******************************************************** DC.Title = JOSEPH, TRAGÉDIE DC.Author = GENEST, Abbé DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 19/11/2020 à 18:09:22. DC.Coverage = Egypte DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GENEST_JOSEPH.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** JOSEPH TRAGÉDIE. Tirée de l'Ecriture Sainte. M. DCC. XI. Avec Approbation et Privilège du Roi. Par MonSieur l'Abbé GENEST À ROUEN, Chez EUSTACHE HERAULT, dans la Cour du Palais. AVERTISSEMENT. Je fais une préface, où, selon la coutume, je rendais raison de mon ouvrage, et répondais à des objections bien ou mal fondées. Mais elle me devient absolument inutile, et j'ai crû devoir la retrancher, pour faire place au Discours que Monsieur de Malezieu adresse à Madame la Duchesse DU MAINE. Ce n'est pas toutefois que j'accepte les Louanges qu'il me donne, comme si elles m'étaient dues ; je les regarde plûtôt comme de précieux témoignages de son amitié. Quoiqu'il s'étende un peu sur des circonstances qui me sont avantageuses, on peut reconnaître qu'elles ne diminuent point la force de ses raisonnements ; et je suis persuadé qu'indépendamment de Joseph , on trouvera beaucoup de plaisir et d'utilité à lire de si belles et de si savantes Remarques sur la Tragédie ancienne et moderne. DISCOURS de Mr de Malezieu à son Altesse Sérénissime Madame la Duchesse DU MAINE, sur la Tragédie de Joseph. Je suis ravi, MADAME, que votre Altesse Sérénissime ait enfin déterminé Monsieur l'Abbé Genest à donner son Joseph au Public, et que Vous ayez agréé que votre nom paraisse à la tête de cet Ouvrage. Je ne doute pas, MADAME , que cette excellente Tragédie n'ait auprès de tous les connaisseurs le même succès qu'elle eut à Clagny, quand Votre Altesse Sérénissime daignant l'animer par sa voix, fit verser tant de larmes à la Cour la plus délicate et la plus éclairée qui soit dans l'Univers. Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait peut-être bien des gens qui trouveront le Sujet trop peu chargé d'incidents, et qui voyant que l'amour n'y a point de part, seront peu disposez à lui donner leur approbation. Tout le monde n'est pas obligé de savoir à fonds ce que c'est qu'une Tragédie ; et vous savez par expérience combien de fois il nous est arrivé d'avoir désabusé des personnes assez habiles d'ailleurs, sur des Ouvrages qu'ils n'avaient pas assez examinés. Vous en avez vu, MADAME, avoir honte de leur jugement précipité, et de l'approbation qu'ils avaient donnée sur la foi d'autrui. Vous ne sauriez avoir oublié ce qui arriva il y a deux ans à Seaux pendant nos traductions de Sophocle. M. .... que personne n'accuse de manquer d'esprit, nous parla avec éloge d'une tragédie qu'il avait lue. Les situations, c'est le mot à la mode, les événements extraordinaires et imprévus, des passions outrées, quelques vers qui semblaient vouloir dire quelque chose, dispersés au milieu de plusieurs autres qui ne disaient rien, et qui par leur contraste, avaient fait sur son esprit, à peu près le même effet, que produit pour un moment une faible lumière sur les yeux d'un homme qui vient tout-à-coup à sortir des ténèbres : Enfin la déférence qu'il avait pour le sentiment de quelques amis dont cette pièce avait les suffrages ; tout cela, dis-je, avait enlevé le sien. Cependant, MADAME, quand votre Altesse Sérénissime entra dans le détail, et que parcourant la pièce de scène en scène, vous le priâtes de vous expliquer comment il était possible que ces personnages se trouvassent ensemble ; s'il était bien vraisemblable qu'ils eussent pu être tous à la fois en ce lieu ; s'ils pouvaient avoir la liberté de s'y parler ; quelle raison un tel acteur avait de confier ses aventures à son ami, précisément dans ce temps plutôt que dans un autre ; qu'est-ce qui l'avait amené dans ce moment sur la scène ; ce qu'il était devenu et quelle avait été sa vie pendant quinze ou vingt années d'une absence aussi peu fondée que son retour ; quand vous lui demandâtes s'il lui paraissait que les autres acteurs prissent des partis convenables à leur condition présente ; si les règles de la vraisemblance permettaient que tant d'aventures extraordinaires et presque incroyables, arrivassent en un même jour ; si les passions tumultueuses et opposées qui régnaient dans tout l'ouvrage, si telles et telles expressions ne visaient point un peu au galimatias ; si enfin le sujet s'expliquait avec la netteté qui convient ; si l'esprit du spectateur y entrait sans peine, et n'avait rien à désirer dans le premier acte, pour l'intelligence du reste ? Alors, MADAME, vous le vîtes revenir comme d'une léthargie, et abjurer de bonne foi ses premiers sentiments, avec protestation de ne plus rien admirer sans bien entendre. Vous n'en demeurâtes pas là, MADAME, Vous entreprîtes de le convaincre, par sa propre expérience, que la simplicité du sujet est la base de toutes les beautés de la tragédie. Vous lui dîtes que j'allais vous expliquer une tragédie de Sophocle, dont le sujet était le plus simple qui eût jamais été mis sur la scène ; que cette pièce n'avait que quatre acteurs, qu'il n'y avait point de femmes, et qu'à proprement parler, ce n'était autre chose qu'un homme qui se plaignait pendant cinq actes, d'avoir été exposé dans une île déserte où il était depuis dix ans. Pour obéir à vos ordres j'expliquai en effet Philoctete en présence d'une nombreuse assemblée ; il y avait de fort habiles gens, quelques uns du métier, et assez médiocres admirateurs des anciens, beaucoup de dames de la Cour, que l'exposé d'un sujet apparemment si stérile et dénué des ornements qui accompagnent les nôtres, n'avait pas fort prévenues en faveur de Sophocle. Effet surprenant de cette admirable simplicité, quand elle est mise en oeuvre par l'Art d'un grand poète ! Cette traduction imparfaite, informe, faite sur le champ, et si fort au dessous des beautés de l'original, transporta d'admiration tout l'auditoire. Vous n'avez pas oublié, MADAME, que tout y pleura du commencement jusqu'à la fin, et que je fus obligé de m'interrompre plus d'une fois, pour donner temps aux applaudissements. Notre homme vint à vos pieds renouveler son abjuration, et par l'opposition qu'il trouva entre la merveilleuse simplicité de Sophocle, et l'énorme composition de la pièce qu'il avait admirée, il fut désabusé pour le reste de sa vie de tous les ouvrages de même espèce, et apprit à en juger plus sainement qu'il n'avait fait jusqu'alors. Après tout, MADAME, n'est-ce pas la droite raison qui a dicté aux Maîtres de l'Art la simplicité pour première règle du poème dramatique : Sans elle il est bien malaisé de trouver le vraisemblable, et sans vraisemblable il n'y a plus de poème. Pourquoi l'unité de lieu ; parce qu'il n'est pas vraisemblable que le même théâtre représente en même temps Paris et Constantinople. Pourquoi l'unité d'action ; parce qu'il n'est pas vraisemblable qu'un acteur principal sorti d'un grand péril, par exemple, tombe sur le champ et tout de fuite en plusieurs autres. Pourquoi la persévérance dans son caractère ? Parce qu'il n'est pas vraisemblable que le même homme, en si peu de temps, soit si différent de lui-même. Pourquoi enfin la simplicité dans la constitution du sujet : toujours le même Principe. Parce qu'il n'est pas vraisemblable que tant d'aventures surprenantes et inopinées, concourent ensemble dans le même lieu, dans le même temps, et dans les mêmes personnes. Oui, MADAME, ces poèmes surchargés d'aventures, et qui, pour ainsi dire, gémissent sous le poids et la multitude des événements, sont le refuge des génies médiocres, qui, ne se sentant pas la force de soutenir pendant cinq actes l'admirable simplicité dont nous parlons, tâchent d'éblouir leur auditoire par la foule des circonstances, dont ils embarrassent leur composition. Semblable à ces peintres Chinois, qui n'étant point assez habiles pour imiter la belle nature, tirent de leur imagination des animaux qui ne ressemblent à rien, etqui n'ont jamais été. Cinna, ce chef-d'oeuvre immortel du Sophocle Français ; Cinna , qui dans sa naissance excita ces applaudissements unanimes, dont nos théâtres retentissent encore tous les jours, n'est-il pas le plus simple de tous les sujets qu'ait jamais traités le grand Corneille ? À quoi ce grand homme attribue-t-il un si prodigieux succès ? Voici ses propres paroles : « Cette approbation si forte est si générale vient sans doute de ce que la vraisemblance s'y trouve si heureusement conservée... Rien n'y est violenté par les incommodités de la représentation... La facilité de concevoir le sujet, qui n'est ni trop chargé d'incidents mi trop embarrassé de récits, est une des causes de la grande approbation qu'il a reçue... L'auditeur aime à s'abandonner à l'action présente, et à n'être point obligé pour l'intelligence de ce qu'il voit ; de réfléchir toujours sur ce qu'il a déjà vu. Mais aussi, ajoute ce grand personnage, ces sortes de pièces demandent plus de force de vers, de raisonnements et de sentiments pour les soutenir. » Cinna est sur le point d'exécuter une conspiration qu'il a formée contre Auguste, Maxime le déclare, Auguste le pardonne. Rien n'est plus simple, mais il fallait un Corneille pour traiter ainsi cette admirable simplicité. Tous les acteurs qui concourent à l'action, y ont de grands intérêts, tous agissent comme ils doivent agir, tous parlent comme ils doivent parler. Ils ne paraissent pas sur la scène simplement pour réciter des vers, ils paraissent parce qu'il y a raison de paraître ; ils sortent, parce qu'il y a raison de sortir. Enfin, le spectateur oublie qu'il voit une imitation des actions des Hommes : il est transporté dans le siècle et dans le Palais d'Auguste. Il assiste à ses conseils, et voit de ses propres yeux ce grand événement qui fait tant d'honneur à la mémoire de ce Prince. Je crois entendre encore Monseigneur le Prince, votre père, le jour que j'eus l'honneur de lui lire Joseph pour la première fois, en présence de Vôtre Altesse Sérénissime. Je m'imagine, disait ce grand Prince, être à la Cour de Pharaon. Je vois arriver les enfants de Jacob, ils parlent comme ils doivent : Joseph a tous les sentiments qu'il doit avoir ; et c'est sans doute la noble simplicité de cette histoire et la peinture vive et naturelle de la tendresse de Joseph pour sa famille qui me remue si fortement les entrailles. L'Abbé Genest a eu l'adresse de suspendre la grande reconnaissance, et de la présenter toujours. Elle fait son effet par avance. L'art qui la suspend n'a rien de forcé ; au contraire, Joseph qui paraît prêt à se déclarer par les mouvements de sa tendresse, est toujours retenu par l'incertitude où il doit être du retour de ses frères à la vertu. Enfin, bien convaincu de l'amour qu'ils ont pour leur père et pour Benjamin, par le mépris qu'ils font de la mort : pénétré par les larmes de Juda, il cède à la tendresse fraternelle, il les embrasse et leur pardonne. Rien n'est simple ni n'est plus beau ; rien n'est plus conforme à la raison. Il faudrait, poursuivit-il, n'être ni frère, ni fils, ni père, ni homme, pour n'être pas vivement touché de la beauté de cet ouvrage, et j'aurais bien mauvaise opinion du coeur des personnes qui assisteraient à cette lecture » sans y pleurer autant que moi. Vous savez en effet, MADAME, qu'il sanglota depuis le commencement jusqu'à la fin, et qu'il m'ordonna plus d'une fois de suspendre la lecture ; parce, disait-il, qu'il se sentait étouffer. Deux autres grands Princes, dont la France pleurera toujours la perte, honorèrent aussi de leurs larmes ces premières lectures de Joseph. Il vous souvient, MADAME, que feu Monseigneur le Duc, qui avait su de M. le Prince combien cette Tragédie l'avait touché, vint à Châtenay me défier de le faire pleurer. Si cela m'arrive, dit-il, ce sera pour la première fois de ma vie, et jamais aucune pièce ne ma mené jusques-là. Sa résolution l'abandonna dés le premier acte. La reconnaissance de Joseph et d'Heli lui tira des larmes qu'il s'efforçait en vain de retenir. Il se leva deux fois dans la suite pour les aller cacher, en vous difant qu'il était honteux de pleurer comme un enfant. L'Auteur doit se souvenir avec complaisance des judicieuses réflexions que ce grand Prince fit sur tout l'Ouvrage. Combien il admira l'art du théâtre, l'enchaînement naturel des scènes, la pureté du langage, la beauté de la versification, et particulièrement l'exacte vraisemblance qui régnait partout. À l'égard du grand Prince de Conti, que puis je dire, MADAME, qui représente l'état où le mirent ces premières lectures ; assurément l'âme des Héros doit être encore plus tendre que celle des autres Hommes. Laissez-moi, disait-il, le loisir de pleurer : il faut que je me remette, je ne suis plus en état d'écouter. Je crois toujours le voir riant de temps en temps au milieu de ses pleurs, par réflexion sur la faiblesse qu'il avait de pleurer ainsi ; et je vis en effet plus d'une fois sur son visa ge une expression bien naturelle de ce rire pleureux d'Andromaque, qu'Homere a si magnifiquement exprimé. Mais que ne puis-je, pour l'honneur de Joseph et pour l'honneur des belles Lettres, redire une partie de ce que ce savant Prince nous fit remarquer. Ce serait, MADAME, une poétique, peut-être plus utile que plusieurs volumes faits par les Maîtres de l'Art. Que ne nous dit-il point sur les narrations intéressantes et pathétiques que Joseph et Hély se font mutuellement, sur l'artifice avec lequel le sujet s'y exposait, sur le chemin naturel que la pièce faisait par degrés vers le dénouement, sur les leçons de tendresse, de reconnaissance, de générosité, de clémence, dont tout l'ouvrage est animé, et qui étant comme incorporées dans les sentiments des acteurs, instruisent l'Auditeur, en l'intéressant infiniment plus qu'elles ne feraient sous la forme naturelle de précepte. Enfin, MADAME, il montra par son discours, et l'admiration que lui avait donné Joseph, et les raisons qu'il avait eues de l'admirer. Je ne vous dis rien des sentiments de Monseigneur le Duc du Maine, il sait la pièce presque par coeur ; il vous en parle tous les jours lui-même ; cinq représentations que vous lui en avez données à Clagny ; huit ou dix lectures où il a assisté l'ont toujours également attendri. Il écouta la dernière avec plus d'émotion, de plaisir et d'attention, s'il est possible, qu'il n'avait fait toutes les autres ; et une approbation si éclairée répond du succès de cet ouvrage, sur les coeurs bien faits, et sur les esprits raisonnables. ACTEURS. JOSEPH, fils de Jacob et de Rachel. AZANETH, femme de Joseph. RUBEN, ainé de Joseph. SIMÉON, ainé de Joseph. JUDA, jeune frère de Joseph. BENJAMIN, jeune frère de Joseph. SEPT AUTRES FRÈRES DE JOSEPH. THIAMIS, Égyptien, principal Officier de Joseph. HELY, vieil Hébreu qui avait élevé Joseph. THERMUTIS, Égyptienne, confidente d'Azaneth. OFFICIER ÉGYPTIEN. PHARAON, Roi d'Égypte. GARDES. La scène est à Memphis. ACTE PREMIER SCÈNE I. Azaneth, Thermutis. AZANETH. Tu le vois, Thermutis, Memphis impatiente,Brûle de commencer cette fête éclatante.Mon cher Sophoneas, de gloire couronné,Et du manteau royal si dignement orné,Dans un superbe char conduit sur ces rivages, Va des Peuples charmés recevoir les hommages.Mais quoi ! Dans ce bonheur qui passe mes souhaits,Dans ces contentements qui te semblent parfaits,Ce noble époux, hélas ! Si cher à ma tendresse,Me paraît agité d'une sombre tristesse ! THERMUTIS. Lui ? Des chagrins, Madame ! Et sur quoi pensez-vousQu'un triste ennui se mêle au bonheur le plus doux ?Par ses sages conseils l'Égypte conservée,Du Monstre de la faim par son secours sauvée,Soumise avec amour, révère ses bienfaits, Et ce juste devoir peut-il cesser jamais ?Père commun de tous, humain, doux, accessible,Ses moindres actions ont un charme sensible ; .Incapable d'erreur et de faibles désirs,Toujours du bien public faisant tous ses plaisirs, Par des ordres constants, où la sagesse brille,Ce grand État n'est plus qu'une seule famille,Qui n'a de mouvement que par ses volontés,Et ne fait que louer et bénir ses bontés. AZANETH. Il le faut confesser, ses vertus souveraines S'élèvent au dessus des qualités humaines !Par la sagesse même à toute heure inspiré,Sur les secrets des Dieux il paraît éclairé.Rien de son vaste esprit ne borne l'étendue,Le plus sombre avenir est présent à sa vue, Et toujours plus modeste, au comble des grandeurs,À l'égard du Roi même entouré de splendeurs,Pour leur pompeux éclat sa noble indifférenceEn dédaigne le faste et la magnificence,Et méprisant la Terre, et regardant les Cieux, Il sert sans cesse un Dieu différent de nos Dieux.Toujours de ce grand Dieu racontant les merveilles,Il enchante mon coeur, il charme mes oreilles,Mon âme, qu'il attache, y trouve mille appas,Et ressent des douceurs qu'elle ne conçoit pas ! THERMUTIS. Lui-même n'est-il point de la race divine ?Tout semble nous montrer sa céleste origine.On l'a dit enlevé sur un bord inconnu ;Mais pour sauver l'Égypte exprès il est venu.De son sort ignoré que ne peut-on pas croire ? Il rappelle des Dieux la merveilleuse histoire,Qu'on a vu quelquefois, en Hommes, transformés,Habiter ici bas des lieux qu'ils ont aimés,Quitter de leur pouvoir les marques redoutables,Vivre avec les mortels, leur être favorables ; Et par des traits charmants, des soins pleins de bonté,Tempérer les rayons de la Divinité !À voir de quelle sorte il régit cet Empire,S'il n'est un Dieu lui-même, il faut qu'un Dieu l'inspire. JOSEPH. On dirait qu'en un temple il change ce Palais, Où règne l'équité, l'innocence et la paix ! AZANETH. Quand mon sort est si beau, la fortune envieusePeut se lasser enfin de me voir trop heureuse.Sophoneas nourrit quelque trouble caché.De ses moindres chagrins mon coeur serait touché ; Mais pour moi-même encor mon amitié s'offenseQu'il ne me donne pas toute sa confiance.Pour des noms que j'ignore il pousse des soupirs,Une Terre étrangère attire ses désirs! THERMUTIS. Objet de tous ses voeux uniquement aimée, De quel soupçon injuste êtes-vous alarmée ?Il est toujours le même. AZANETH. Oui, je puis me tromper,Une frivole crainte aura pu me frapper ;Mais peut-être qu'aussi cette vive tendresse,Qui pour un cher époux m'anime et m'intéresse, Me rend plus éclairée, hélas ! et me fait voirCe qu'un coeur moins touché ne peut apercevoir.Livré dans ces moments à son inquiétude,Il évite la Cour, cherche la solitude.Je voudrais lui parler, et savoir aujourd'hui... On vient. THERMUTIS. C'est Thiamis qui sort d'auprès de lui. SCÈNE II. Azaneth, Thiamis, Thermutis. AZANETH. Que fait Sophoneas ? THIAMIS. Aux Gouverneurs, aux PrincesIl trace de sa main le destin des Provinces.Le Sujet, l'Étranger, Prêtres, Peuple, Soldats,Tout, par ordre du Roi, vient à Sophoneas. Son active bonté, sa sage vigilanceRègle tout, met partout une heureuse abondance.Jamais aucun repos n'interrompt tant de soins.Ici, dans ce moment, il veut voir sans témoins,Un Hébreu que le sort mit hier sur son passage ; Il le vit, fut touché, le tira d'esclavage. AZANETH. Et cet autre étranger que l'on retient ici,S'est-il fait mieux connaître ? THIAMIS. On doit être éclairciPar ceux qui reviendront retirer cet otage.Pour lui leur longue absence est d'un mauvais présage. L'Hébreu paraît. AZANETH. Hé bien, je vais me retirer.Songe-t-il qu'au triomphe il doit se préparer ?Je reviendrai. SCÈNE III. Thiamis, Hely. THIAMIS. Toi, viens jouir de la présenceDe celui dont l'Egypte adore la puissance.Le voilà. Cet accès qu'il te donne en ces lieux, Peut causer de l'envie aux plus ambitieux. SCÈNE IV. Joseph, Hely. JOSEPH. Ce Vieillard qui me rend sensible à sa misère,Dans les plaines d'Hébron n'a-t-il point vu mon Père ?Qu'on sorte. Avance-toi. Plus je le vois de près,Plus mon coeur attendri croit connaître ses traits ! D'où viens-tu ? Dans quels lieux as-tu pris ta naissance ? HELY. Aux rives du Jourdain j'ai passé mon enfance.Dans la maison d'Isaac, ce grand chef des Hébreux. JOSEPH. J'aime les habitants de ce pays heureux. HELY. Seigneur, vous connaissez la paisible contrée, Où Dieu fit avec nous l'alliance sacrée ! JOSEPH. Oui, je connais, ami, ces lieux où l'ÉternelInstruisit vos aïeux de son culte immortel.Et toi, qui m'en fais voir un souvenir si tendre,De Jacob, de ses fils, ne peux-tu rien m'apprendre ? HELY. C'est la peine, Seigneur, qui trouble mes esprits.Depuis plus de vingt ans je n'en ai rien appris.Hélas ! Près de Jacob attaché par mon zèle,J'avais sa confiance. Ô disgrâce cruelle !En quel gouffre d'ennuis il fut précipité ! JOSEPH. Que dis-tu ? Quel malheur ? Comment l'as-tu quitté ? Parle, explique-moi tout, fais-le moi bien connaître.Dis tout ce que tu sais... HELY. Je laissai ce cher maître,Sur la perte d'un fils, accablé de douleurs,Et je crains que jamais il n'ait séché ses pleurs. Ce fils, nommé Joseph, était son espérance ;Il commit à ma foi le soin de son enfance,Je gardais près de lui ce gage bien aimé,Enfant qu'avec amour le Ciel avait formé !Triste objet de l'envie ! Oui, ses frères perfides Ont peut-être conçu des fureurs parricides.Un jour, où commença notre cruel ennui,Il alla les chercher ; ils revinrent sans lui.Une voix lamentable, en nos champs répandue,Du malheureux Jacob frappe l'âme éperdue ; On lui dit que son fils dans le bois égaré,Par des tigres affreux vient d'être dévoré.Moi, je cours pour chercher ses déplorables restes,Et trouve des brigands les embûches funestes.Je fus pris et vendu. Sous des maîtres cruels, J'ai depuis enduré mille travaux mortels.Mais déplorant Jacob plus que ma servitude,Ses ennuis ont été mon tourment le plus rude ;Pour l'aimable Joseph j'ai senti ses douleurs. JOSEPH. Ah ! Ce même Joseph pourrait tarir vos pleurs. Il est vivant. HELY. Ô Ciel ! Ô sainte Providence !Sa fortune est venue à votre connaissance !Où dois-je le chercher ? Ah ! Que vôtre bontéM'accorde cette joie avec la liberté,Seigneur. JOSEPH. Hely, tes yeux auraient dû le connaître. Tu le cherches encor quand tu le vois paraître ! HELY. Quelle heureuse clarté vient défiler mes yeux !Joseph... Seigneur... c'est vous qui régnez dans ces lieux !C'est vous, je vois les traits de vOtre illustre mère,Vous qu'avec tant de pleurs regrette votre père. De vOtre perte, ô Ciel ! Le récit l'a trompé !Et comment à la mort êtes-vous échappé ? JOSEPH. De mes frères jaloux me croyant la victime,Cher Hely, ton soupçon était trop légitime.Tous ces tendres transports que Jacob me marquait, Cette extrême bonté dont il me distinguait,Jointe au pressentiment de ces secrets mystèresQui me devaient un jour élever sur mes frères,Quand des songes divins me venaient annoncerQu'on verrait à mes pieds leur orgueil s'abaisser Tout cela, cher Hely, contre moi les irrite.Un jour leur jalousie à me perdre s'excite.Puis-je encore y penser sans en frémir d'horreur !Ils m'environnent tous embrasés de fureur ;Siméon veut mon sang, et vient pour le répandre ; Ruben, pour me sauver, dit qu'il faut me descendre,Dans un antre profond, où loin de tout secours,Sans profaner leur bras, je finirais mes jours.Siméon qui sur tous veut signaler son crime,Me dépouille, et me plonge au fond de cet abîme. Vois l'état où j'étais, ainsi précipité ;Je ne m'attendais plus à revoir la clarté !Juda crut adoucir ces âmes inhumaines,Il détourne ma mort en me donnant des chaînes.Il les y fait résoudre ; et pour être vendu, On me tire du gouffre où j'étais descendu.Et sur les bords du Nil, où d'autres fers m'attendent,Ceux qui m'ont acheté m'amènent et me vendent. HELY. Contre un frère, un enfant ! Quelle inhumanité !Qu'ils mêlent d'artifice avec leur cruauté ! Jacob vit votre robe en leurs mains déchirée,Et d'un sang emprunté fumante et colorée ;Des plus vives douleurs il ressent tous les coups,Comme s'il n'avait eu nul autre enfant que vous.Mais quel événement, qu'à peine je puis croire, Fait à d'indignes fers succéder tant de gloire ? JOSEPH. Par ces décrets profonds des hommes ignorés,Souvent c'est de nos maux que nos biens sont tirés.Triste esclave, éloigné de nos rives aimées,Je me trouve à Memphis, près du chef des armées. Dieu dans ma servitude en secret m'inspirait,Tout, par son assistance, en mes mains prospérait.De mon Maître nouveau la gloire et l'opulence,Sous mes soins fortunés, passaient son espérance.Il ne croit plus alors d'autres yeux que les miens, Me fait absolument le maître de ses biens ;Et plus par ses bontés il honorait mon zèle,Plus j'augmentais l'ardeur de mon devoir fidèle.Mais, Ciel ! Dans sa famille, un démon suborneur,Par des traits imprévus, vint troubler ce bonheur ! Quelle disgrâce, Hely ! La rougeur me surmonteDe ce récit affreux épargne-moi la honte.Une femme livrée à son indigne erreur,M'impute un attentat qui me faisait horreur !Et contre moi mon maître aveuglé de colère, Crut ne pouvoir trouver de peine assez sévère ;En des cachots obscurs il me fait enterrer,Attendant les tourments qu'il veut me préparer. HELY. Ciel ! JOSEPH. Dieu, qui fut toujours ma plus sûre défense,Fit briller sur mon front le calme et l'innocence. Le Maître des prisons, chargé de me punir,De ces ordres reçus perdit le souvenir.Ni plaintes, ni regrets ne partent de ma bouche ;Mon regard l'adoucit, et la pitié le touche ;Libre au milieu des fers, j'allais de tous côtés Consoler les captifs en ces lieux arrêtés.Deux hommes de la Cour, accusés de grands crimes,Sont par l'ordre du Roi mis dans ces noirs abîmesJe les vois chaque jour tremblants et désolés ;Par des songes divers leurs esprits sont troublés. Je leur prédis, Hely, par un céleste indice,À l'un sa délivrance, à l'autre son supplice ;L'effet suit ma parole ; et des ordres nouveauxRetirent l'un des fers, livrent l'autre aux bourreaux.Celui qui se voyait rétabli dans sa gloire, Devoir de ma prison conserver la mémoire,Parler au Roi pour moi ; mais dans un calme heureux,L'ingrat ne songea plus à mon sort rigoureux.Deux ans après le Roi sent son âme agitée,Et de songes frappants vivement tourmentée. Il veut que promptement les mages assemblés,Lui montrent du destin les secrets dévoilés.Il n'a plus de repos, la Cour est en tumulte ;Les sages sont muets, en vain on les consulte.Alors ce prisonnier, rétabli près du Roi. Plein d'un espoir flatteur se ressouvient de moi.Il me propose, il dit que fidèle interprète,J'expliquerai du sort l'ordonnance secrète.Je viens, et je réponds au plus puissant des Rois,Que peut-être le Ciel parlerait par ma voix. Dieu seul sait pénétrer les ténèbres obscures,Que sa sagesse a mis sur les choses futures ;Cet être sans principe ; et qui ne peut finir,N'a point de temps passé, ni de temps à venir ;Tout est présent pour lui sa sainte Providence, Des décrets qu'elle forme a pleine connaissance ;Et jamais incertain, et jamais limité,Tous les temps font un point dans son éternité.Afin d'en obtenir les secrètes lumières,J'adresse à ce grand Dieu mes ardentes prières ; Il exauce mes voeux, il daigne m'éclairer,Et tu vois les conseils qu'il a su m'inspirer.C'est par lui que ma voix a prédit sept annéesD'abondantes moissons richement couronnées ;Et qu'après tous ces biens, les champs secs et brûlés, Tromperaient le désir des peuples désolés.Je dis que par l'amas des récoltes fertiles,On prévint le malheur de ces saisons stériles.J'ajoute le conseil de ne point déclarer ;En prévenant le mal, combien il doit durer ; Que les peuples toujours vivent dans l'espérance,Et d'une année à l'autre attendent l'abondance.Qu'un homme ordonne tout, dont la pure équité,L'infatigable soin, la sage autorité,En modérant l'excès, réglant le nécessaire, Chassent également l'abus et la misère.Ce conseil vient d'un Dieu, s'écrie alors le Roi,Ce même Dieu me montre un ministre ; c'est toi. HELY. Jusque dans mes cachots, sous ma chaîne pesante,J'ai su du bruit public votre gloire éclatante ; Que Pharaon remit son anneau dans vos mains,Et vous commit le soin de sauver les Humains.Quand de votre sagesse on vantait les miracles,Quand par vous l'éternel prononçait ses Oracles,Qui m'eût dit, c'est l'enfant élevé dans tes bras ! C'est Joseph, dont tes yeux ont pleuré le trépas ! JOSEPH. Par ce père immortel ma vie est gouvernée.L'illustre épouse encor que le Roi m'a donnée,Riche de tous les dons, et des grâces des Cieux,Rend mon sort aussi doux qu'on le voit glorieux. Mais parmi cet excès de bonheur et de gloire,Mon père et ma famille occupent ma mémoire ;Je tremble pour Jacob ; et mes esprits troublés,Me peignent de Sichem les vallons désolés. HELY. Hé quoi, ne pouvez-vous soulager leurs misères ? N'avez-vous rien appris de lui, ni de vos frères ? JOSEPH. Je les ai vus ici, ces frères malheureux,Qui livrèrent ma vie à des fers rigoureux ! Pressez par le fléau qui fait tant de ravages,Ils cherchaient du secours sur ces heureux rivages. J'ai su d'eux que Jacob voyait encor le jour,Et gardait Benjamin objet de son amour. HELY. Vous reconnurent-ils ? Vous fîtes-vous connaître,Seigneur ? JOSEPH. Que j'eus de trouble en les voyant paraître !Comme il m'était prédit, je les vis à mes pieds, Timides, suppliants, tremblants, humiliés.Je leur laisse ignorer qu'ils parlent à leur frère ;J'écoute, je m'instruis du fort de notre père ;Avant que ma tendresse ose se déclarer,Tu retour de leur coeur, je cherche à m'assurer. Ils ne m'ont point connu. Qui d'eux aurait pu croireQu'un malheureux captif parvint à tant de gloire ?Pour calmer mes transports, qui voulaient éclater,Hely, je me forçai jusqu'à les maltraiter ;Je les fis dès l'abord ôter de ma présence ; Ensuite témoignant pour eux plus d'indulgence,On chargea des chameaux de ces riches présentsQui peuvent ranimer les mortels languissants.Thiamis accepta l'or qu'ils lui présentèrentPour le prix des moissons qu'en Hébron ils portèrent ; Mais cet or aussitôt, par mon commandement,Sur les mêmes chameaux fut mis secrètement.Et sans me découvrir ainsi je les renvoie.De revoir Benjamin je me promis la joie.Je leur ordonne à tous, Hely, de l'amener, Je leur défends, sans lui, de jamais retourner,S'ils veulent que les dons de nos fertiles plaines,Des peuples du Jourdain puissent finir les peines.Je retins Siméon pour gage de leur foi,Siméon que j'ai vu le plus cruel pour moi, Qui voulut dans mon sein porter sa main sanglante.Hélas ! Je me flattais d'une erreur décevante !J'espérais que bientôt, pour un nouveau secours,À mes bontés encor forcés d'avoir recours,Ils conduiraient ici Benjamin mon cher frère, Qui peut-être après lui m'attirerait mon père.J'ai compté tous les jours que j'ai vu s'écouler.De combien de frayeurs je me sens accabler ?Peut-être que Jacob, ce vieillard vénérable,Succombe entre les siens sous un fléau redoutable ; Et peut-être en venant le jeune Benjamin Se perd dans les déserts, ou périt en chemin.Hely, voilà d'où vient ma profonde tristesse.Tous ces honneurs, hélas ! Ces marques d'allégresse,Tous ces chants de triomphe aigrissent dans mon coeur De mes tristes pensers la cruelle rigueur !Non, cet éclat pompeux n'a point de quoi me plaire,S'il ne peut me servir à soulager mon père ;Ce ne sont que des fers qui viennent m'attacher,Et m'ôtent le bonheur de le pouvoir chercher. Mais je me ressouviens qu'une Cour qui m'appelle,S'empresse d'applaudir à ma gloire nouvelle.Hely, sans écouter leurs applaudissements,Je me vais à leurs yeux montrer quelques moments. ACTE II SCÈNE I. Joseph, Azaneth. JOSEPH. Non, ne m'accusez point d'une tristesse ingrate, Je ressens comme vous ce bonheur qui vous flatteSeulement qu'on me laisse encor quelques instants,Et j'irai recevoir ces honneurs éclatants. AZANETH. L'Univers attentif, ne cherche qu'à vous plaire.De ses plus beaux rayons le soleil nous éclaire. À l'envi de nos soins, on dirait que les CieuxAiment à signaler un jour si glorieux.Tout fléchit devant vous, l'Égypte vous contempleDans un degré d'honneur qui n'eut jamais d'exemple.Maître de vos destins, qu'auriez-vous souhaité Qui pût accroître encor votre félicité ?Songez, Seigneur, songez, pour en goûter les charmes,Que vos biens au Public n'ont point coûté de larmes.Souvent le Peuple voit élever à ses yeuxDes colosses d'orgueil, des monstres odieux, Dont la fière grandeur, les titres magnifiques,Sont tristement formez des misères publiques ;Tyrans, dont le pouvoir n'inspire que l'effroi,Et dont les passions sont la suprême loi.Mais tout ce grand État vous aime et vous révère, Des peuples et du Prince on vous nomme le père.Pharaon est heureux par vos sages projets ;Il règne, et vous régnez, en sauvant ses Sujets.Le salut, le repos, la gloire de l'Empire,Sont le fruit des conseils que le Ciel vous inspire. Et ce qui rend enfin votre destin plus doux,C'est que votre bonheur est le bonheur de tous ! JOSEPH. Le Nil ne ressent point cette effroyable guerre,Que livre la famine au reste de la Terre.Les succès que le Ciel accorde à mes travaux, Des peuples de l'Egypte ont prévenu les maux,Mais dois-je me borner aux climats où nous sommes !Madame, en d'autres lieux n'est-il point d'autres Hommes ? Que de tristes objets de loin viennent s'offrir !Combien de malheureux je ne puis secourir ! AZANETH. N'altérez point les biens que le sort vous octroie,Donnez au moins ce jour à la commune joie.Le Peuple qui s'assemble autour de ce palais ,Envoie au Ciel pour vous milles tendres souhaits.Le Triomphe à son gré se fera trop attendre ? Et la Cour sur vos pas est prête de se rendre.La Reine, qui veut bien m'avouer de son sang,Et dans son amitié me mettre au premier rang,Regarde avec plaisir la Pompe qui s'apprête ,Et veut de sa présence honorer cette fête. Avec quel doux transport je vais voir ces honneurs,Qui, répandus sur vous, ravissent tous les coeurs ! SCÈNE II. Joseph, Hely. JOSEPH. Qu'on appelle l'Hébreu. Viens, Hely. Mes penséesEn des doutes flottants si longtemps balancées,Ne trouvent de douceur ! Que dans ton entretien ; En l'état où je suis, c'est mon unique bien.Je puis parler enfin de Jacob, de mes frères,De ces vallons aimés, de ces rives si chères ;Pour moi toute ma pompe, et toute ma faveur,Ne vaut pas le plaisir de t'épancher mon coeur ! HELY. Ce grand Dieu qui, pour vous paraît si favorable,Fera cesser, Seigneur, l'ennui qui vous accable.On viendra. JOSEPH. Cher Hely, que les moments dont longs !Ah ! Que ne puis-je aller dans ces sacrés vallons :Où mon père Jacob a choisi sa retraite ? N'obtiendrai-je jamais cette douceur parfaite ?Ne le verrai-je plus ? Mais, en parlant de lui,Tâchons de dissiper ce douloureux ennui.Depuis que Siméon, ce trop barbare frère,Fut ici retenu par mon ordre sévère, Hely, j'ai commandé qu'on adoucît ses fers ;Memphis est sa prison, mes biens lui font offerts.Mais craignant à ses yeux de rompre le silence,Je l'ai fait rarement venir en ma présence.J'ai dit qu'on me l'amène. Et pour me soulager, Devant toi, cher Hely, je veux l'interroger.Cherchons quelque lumière au trouble qui m'agiteDe ses discours toi-même examine la suite.Le voilà, le barbare ! Et peut-être aujourd'huiIl ne me reste plus d'autre frère que lui ! HELY. Il tremble devant vous. SCÈNE III. Joseph, Siméon, Hely. JOSEPH. Venez. Hé bien, parjures,N'avais-je pas prévu vos lâches impostures ?Et que feignant ici de chercher du secours,Qui d'un père mourant sauvât les tristes jours,Vous dressiez à Memphis des trames criminelles ? Ingrats, vous m'avez fait des récits infidèles.Vos frères supposés étaient des ennemis ;Ils n'osent revenir après l'avoir promis. SIMÉON. Nous n'avons point formé ces desseins téméraires.D'un pays éloigné, dix malheureux, tous frères , Éprouvant de la faim la dure extrémité,Nous vînmes implorer, Seigneur, votre bonté.C'est votre secours seul qui peut nous faire vivre.Et si de tant de maux enfin il nous délivre,D'un coeur reconnaissant nous allons à jamais, Aux rives du Jourdain, publier vos bienfaits. JOSEPH. Non, non, de vos discours l'artifice est visible.À vos feintes douleurs j'eus tort d'être sensible,Sous un prétexte faux, traversant les déserts,Vous vous étiez unis pour des complots couverts. Mais répétez encor votre frivole histoire.Le mensonge se nuit ; il trouble la mémoire, SIMÉON. Nous vous avons parlé sans feinte et sans détour.Un même père à tous nous a donné le jour.La vérité sincère est sur notre visage ; Et nos traits ressemblants en sont le témoignage.Vos yeux seuls auraient pu vous en persuader ;Si vous aviez daigné, Seigneur, nous regarder.Hélas ! Nous habitions ces rivages tranquilles,Où le Jourdain baignait des campagnes fertiles, Libres d'ambition, uniquement instruitsÀ nourrir nos Troupeaux, à cultiver nos Fruits.Nos coeurs des premiers temps conservant l'innocence,Tous les biens parmi nous coulaient en abondance.L'Auteur de l'Univers nous a dicté sa loi. Le chef de la Famille entre nous est le Roi.Les armes en nos mains ne font jamais d'usage,Sinon pour repousser l'injustice et l'outrage.Suivi de ses pasteurs, Abraham nôtre aïeux,Contre cinq Rois armés a combattu lui seul ; Il courut réprimer leurs fureurs insolentes,Arracha de leurs mains des dépouilles sanglantes.Et vainqueur, rendant grâce au céleste Secours,De ses paisibles soins reprit soudain le cours.Isaac, son digne fils, n'a point eu d'autre envie Seigneur, que d'imiter ses vertus et sa vie ;Et Jacob notre père a marché sur leurs pas. JOSEPH. Perfides, vous pouvez ne leur ressembler pas. SIMÉON. A[h] ! ces mêmes emplois nos âmes sont bornées.Dans les champs paternels nous passions nos années Mais au courroux du Ciel ces beaux lieux exposés,De salutaires eaux ne sont plus arrosez ;Tout sèche, tout périt, et la source est tarieDes humides trésors dont la terre est nourrie ;[Note : Guérets : Terre labourée et non ensemencée. [L]]Les guérets endurcis, le Ciel rendu d'airain, Ont armé contre nous la dévorante faim ! JOSEPH. Cher Hely, que je souffre à cette triste image ! SIMÉON. Implorant notre Dieu dans ce cruel ravage,Un jour de l'Esprit-Saint notre père inspiré ;« Il est, s'écria-t-il, un secours assuré. Le grand Sophoneas a par sa prévoyance,Maintenu dans l'Égypte une heureuse abondance.C'est trop peu de pourvoir, par ses travaux heureux,Aux immenses besoins d'un peuple si nombreux,Il étend ses regards aux rives étrangères, Et des Peuples divers soulage les misères.Il sait qu'un noeud commun unit tous les Humains,Tout dispersés qu'ils soient en des climats lointains ;Que ceux à qui le Ciel ses largesses dispense,Doivent des malheureux soulager l'indigence. De ces grains précieux qu'il a fait renfermer,La quantité s'égale au sable de la mer ;Et vous verrez sur nous sa pitié secourable,Ouvrir de ses trésors la source inépuisable.Partez, allez, mes fils, allez lui demander Le secours que lui seul il peut vous accorder. » JOSEPH. Deviez-vous tous ainsi laisser votre vieux pèreEn des temps malheureux, désolé, solitaire ?Qui peut dans ces moments soulager son ennui ? SIMÉON. Le plus jeune de nous était auprès de lui. JOSEPH. Et pourquoi le plus jeune ? Il était incapableD'aider et de servir ce vieillard vénérableMais de ce jeune frère on fait un vain récit.Je désirais le voir, ne vous l'ai-je pas dit ?Je veux de vos discours une preuve certaine. SIMÉON. Du malheureux Jacob, hélas ! Quelle est la peine ?Peut-être il ne veut pas exposer Benjamin,Aux périls du voyage, aux longueurs du chemin,Ce fils, le cher objet de toute sa tendresse,Est l'unique soutien de sa triste vieillesse. JOSEPH. Hely ! SIMÉON. Dans quel bonheur il vivait autrefois,Père de douze fils, tous unis sous ses lois !Depuis qu'à l'un de nous la clarté sur ravie,D'éternelles douleurs ont affligé sa vie. JOSEPH. Quel nom avait ce frère ? Et comment est-il mort ? SIMÉON. Il se nommait Joseph. Né pour un triste fort,Égaré dans les bois, sa jeunesse imprudenteAssouvit des Lions la rage dévorante. JOSEPH. Vous dites que ce sont ces animaux cruels ;Et des Hommes peut-être ont été criminels. Peut-être qu'au milieu d'une plaine déserte,De lâches ennemis ont conspiré sa perte.Les hommes, trop souvent par leur malignitéDes plus affreux lions passent la cruauté. SIMÉON, se trouble. Mais pourquoi vous offrir cette idée importune ? Pouvez-vous si longtemPs ouïr notre infortune ?Ces incidents communs qu'ici vous écoutez,Abusent trop, Seigneur, de vos rares bontés.Et je ne conçois pas quel intérêt peut prendreUn ministre si grand à ce qu'il vient d'entendre ! JOSEPH. J'en prends à vos discours plus que vous ne pensez,Et par votre mensonge enfin vous m'offensez.Peut-être ignorez-vous que je lis dans les âmes,[Note : Trame : Fig. Machiner. [L]]Et perce les replis de vos perfides trames.J'ai dans votre discours connu des traits menteurs, Et je ne vous tiens plus que pour des imposteurs.Vous pensez m'abuser par des histoires vaines ;Mais vous m'en répondrez à loisir dans les chaînes.Et quiconque aujourd'hui voudra vous ressembler ,Par vôtre triste exemple aura lieu de trembler. Allez. SCÈNE IV. Joseph, Hely. JOSEPH. Je l'ai chassé. Mon âme trop émue,Ne pouvait plus cacher mon désordre à sa vue.Ah ! Puisqu'on ne vient pas, Hely, sans différerÀ Partir avec lui tu dois te préparer.Va porter mes présents, va dans la Palestine Arrêter les rigueurs de l'horrible famine.Peut-être c'est trop tard ! Que de temps j'ai perdu !À donner ces secours j'aurai trop attendu !Tout ce qu'à fait pour moi ta feinte providence,Grand Dieu, doit me remplir de joie et d'espérance, Je crois qu'avec ce soin qui conserva mes jours,Sur mon père Jacob ton oeil veille toujours,Mais pardonne, grand Dieu, pardonne à ma faiblesse,Qui semble quelquefois oublier ta promesse.Tu choisis Abraham, et voulus l'éclairer Pour connaître ton nom, te servir, t'adorer.Tu lui promis, Seigneur, que sa race fécondeDe ses enfants élus, remplirait tout le Monde,Et que toujours comblés de tes sacrés bienfaits,Ils chanteraient ton nom, et ta gloire à jamais. Mais, hélas ! On dirait qu'aujourd'hui leurs offenses,Ont ramené sur eux le temps de tes vengeances !La faim qui détruit tout, règne avec plus d'horreurQue n'en eut le Déluge aux jours de ta fureur !Sur les bords du Jourdain tout périt ; et j'ignore Ce que devient mon père, et s'il respire encore.Ma crainte rompt le cours de mes félicités.Découvre-moi sur lui tes saintes volontés,Grand Dieu, déclare-moi ce qu'il faut que j'espère.Ces biens que tu me fais, répands-les sur mon père ; Après qu'à son amour j'ai coûté tant de pleurs.En lui montrant Joseph, termine ses douleurs.Mes voeux... SCÈNE V. Joseph, Thiamis, Hely. JOSEPH. Que me veut-on, Thiamis ? THIAMIS. Vous apprendreQue la Troupe étrangère à vos pieds vient se rendre.Les Gens que par votre ordre on avait disposés, Leur rendant les chemins plus sûrs et plus aisésOnt, sans se découvrir, aidé leur diligence. JOSEPH. Qu'on les amène. THIAMIS. Instruit de votre impatience,Je les ai fait d'abord conduire en ce Palais. JOSEPH. Qu'ils entrent. Ô grand Dieu ! Seconde mes souhaits, De quels troubles divers je me sens l'âme atteinte.Quel mélange soudain d'espérance et de crainte !Le jeune Benjamin, que j'ai tant désiré,Vient-il, malgré les cris de son père éploré ?Que vont-ils m'annoncer ? À cet aspect je tremble. HELY. Ah ! Voilà Benjamin ! Seigneur, il vous ressemble,Vous aviez à cet âge, et ces traits, et ce port. JOSEPH. Il faut, mon cher Hely, retenir mon transport. SCÈNE VI. Joseph, Ruben, Juda, Benjamin, etc, Hely, Thiamis. RUBEN. Dans ces extrémités qui de la Palestine,Avancent tous les jours la cruelle ruine, Nous revenons encore, embrassant vos genoux,Vous conjurer, Seigneur, d'avoir pitié de nous.Par vos soins fortunés que l'Égypte est heureuse !Tous les autres Climats ont une face affreuse !Et qu'après tant d'horreurs et de calamités, À l'aspect de ces lieux nos coeurs sont transportés !Nous joignons à nos voeux les voeux de notre frère,Nous vous le présentons. JOSEPH. Ce vieillard votre père,De qui vous m'avez fait un portrait si touchant,En quel état est-il ? RUBEN. Dans son âge penchant, Au gré de nos désirs ses nombreuses annéesNous paraissent encor loin de se voir bornées.Supportant ses malheurs ; il coule ses vieux jours,Toujours se confiant au céleste secours.Charmé de vos bontés, il les loue avec zèle, Et se dit, comme nous, votre esclave fidèle. JOSEPH. C'est donc là Benjamin, entre ses bras nourri,De ce père affligé si tendrement chéri ?Ah ! Mon fils, que le Ciel te comble de sa grâce,Et te rende l'honneur et l'appui de ta race. JUDA. Nous venons tout ravis de vos soins bienfaisants,Vous payer nos tributs, vous offrir nos présentsMais que votre bonté, s'il lui plaît, daigne entendre,Un sujet de frayeur qui nous a dû surprendre.L'or qu'à vos officiers nous avions présenté, En partant de ces lieux nous l'avons remporté.Sans pouvoir découvrir d'où l'erreur est venue,Seigneur, pour réparer une faute inconnue,Nous venons à vos pieds offrir tous nos trésors,Et tout ce que de rare on trouve sur nos bords. Faibles dons, il est vrai. Mais dans notre impuissanceQui marquera jamais notre reconnaissance ?Nous vous avons choisi ce que l'on offre aux Cieux,Des parfums parmi nous estimés précieux ;Et de l'arbre odorant tiré ces larmes pures, Infaillible remède aux sanglantes blessures ;Utile à conserver le fil de ces beaux jours,Qui ne devraient jamais finir leur noble cours.C'est ce que par nos mains notre père vous donne.Son espoir et le nôtre à vous seul s'abandonne. D'une juste frayeur nous étions agités.Mais nous reconnaissons vos augustes bontés ;Et dans ce doux moment vos regards favorables,Nous annoncent la fin de nos maux déplorables. JOSEPH. Ah ! Cher Hely, comment retiendrai-je mes pleurs ? Oui, verrez par moi dissiper vos malheurs,Je suis content de vous ; vivez en assurance ;Nous avons en ces lieux de l'or en abondance ;Gardez, gardez le vôtre, et partagez nos biens.Que du frère captif on brise les liens. Pour vous faire oublier un pénible voyage,Et donner de ma grâce un entier témoignage,Un festin solennel avec moi vous attends,D'une étroite amitié, c'est le gage éclatant,Allez. Prenez soin d'eux, Thiamis. SCÈNE VII. Joseph, Hely. JOSEPH. Leur présence À mon coeur attendri fait trop de violence !Et les pleurs dont mes yeux viennent de se tremper,Retenus si longtemps, se voulaient échapper.Mais il faut, cher Hely, renfermer ma faiblesse.Du Peuple qui m'attend, allons voir l'allégresse ; Et si ces vains honneurs ne peuvent me toucher,Le trouble de mon coeur au moins doit se cacher. ACTE III SCÈNE I. Azaaneth, Thermutis. AZANETH. [Note : Pompe : Appareil magnifique et somptueux. [L]]Memphis vient d'éclater d'une pompe nouvelleDans l'Egypte jamais fête ne fut si belle.Tous ces riches trésors en public étalés, En des siècles heureux, sous vingt rois, rassemblés,Des Arts les plus savants l'ingénieuse adresse,Qui surpassait encor l'éclat de la richesse ;Tout de Sophoneas honorait la grandeur,Tout de ce jour fameux relevait la splendeur. Des peuples différents de tout ce vaste Empire,Pour lui le juste zèle également conspire.As-tu bien entendu leurs applaudissements ?Thermutis, as-tu vu leurs tendres mouvements ?De tapis et de fleurs Memphis partout ornée ; Et toute cette foule à genoux prosternée ?Du peuple et des hérauts discernais-tu la voix ?N'as-tu pas entendu répéter mille fois ;C'est par lui que l'Egypte en biens est si féconde ;Qu'il vive ; c'est le père et le Sauveur du Monde. Vous qui faites trembler la Terre sous vos pas,Vous, Guerriers furieux, qui parmi les Combats ,Traînant avec l'effroi la Parque meurtrière,Répandez à nos yeux une triste lumière ;Qui triomphez souvent des Peuples égorgés, De Trônes abattus, des états ravagés,Que l'on doit préférer ce Triomphe paisibleÀ toute vôtre gloire et funeste et terrible !Mon époux triomphant, sans orgueil, sans fierté,Nous montrant sur son Char sa douce Majesté , Par un regard serein, une modeste joie,Répondait à ces cris qu'au Ciel Memphis envoie.Mais bientôt de sa gloire il a paru lassé.Et trop vite à nos yeux le Triomphe a passé. Les premiers de la Cour qu'à sa Table il invite, Dans son appartement revenant à sa suite,Il fait à ce festin appeler ces Hébreux !D'où viennent tant d'égards qu'il témoigne pour eux ?Moi-même à me troubler je suis ingénieuse ;Je ne puis modérer ma crainte curieuse. Qui font ces inconnus ? Que viennent-ils chercher ?De quelle inquiétude ont ils pu le toucher ?J'ai chargé Thiamis de voir ce qui se passe.Je viens de le mander. THERMUTIS. Lui, qui vous doit sa place,Et toutes les faveurs qu'il tient de votre époux, Ne peut mieux employer son zèle que pour vous. AZANETH. Je vais savoir de lui ce qu'il faut que je croie. SCÈNE II. Azaneth, Thiamis, Thermutis. AZANETH. Thiamis, que fait-on ? THIAMIS. De merveille et de joieDans le festin pompeux tout paraît transporté.Ces étrangers, reçus avec tant de bonté, Placés devant mon maître, admiraient en silenceLe surprenant éclat de sa magnificence. Un d'entre eux est surtout comblé de ses faveurs.D'abord un grand respect avait contraint leurs coeurs ;Enfin par sa douceur ce grand respect s'oublie, Et d'une libre joie ils ont l'âme remplie.Les yeux fixés sur eux, sans les en détourner,On dirait qu'il s'applique à les examiner,Souvent avec tendresse on le voit leur sourire ;Et quelquefois, Madame, on l'entend qui soupire. AZANETH. Qui font-ils, le sais-tu ? N'en a-t-il rien marqué ? THIAMIS. Son secret jusqu'ici ne s'est point expliqué. AZANETH. C'est par eux qu'il ressent de secrètes alarmes ?...Après les avoir vus il a verse des larmes.Il a cessé tantôt de les entretenir, Tout baigné par des pleurs qu'il n'a pu retenir.Dans leur destin obscur, qu'est-ce qui l'intéresse ?Quelle est cette douleur, quelle est cette tendresse ?Ah ! Ce doit être enfin quelque triste rapport,Qui jette tant de trouble en un esprit si fort. THIAMIS. Vous en ferez, Madame, instruite par lui-même.Il vient. AZANETH. Il laisse voir une tristesse extrême.Voyons si le sujet en peut être éclairci. SCÈNE III. Joseph, Azaneth. AZANETH. Pouvez-vous du festin vous retirer ainsi,Seigneur ? Quoi ? Dans ce jour pour vous brillant de gloire, Dont l'Égypte jamais ne perdra la mémoire,Ou tous les coeurs pour vous sont comblés de plaisirs,Vous êtes donc le seul qui poussez des soupirs ?Je ne demande pas d'entrer dans ces pensées,Pour le bien de l'État sans relâche exercées ; Sur les secrets du Roi je me tais : mais, Seigneur,Ne saurais-je avoir part à ceux de votre coeur. JOSEPH. vos charmantes bontés, vôtre rare prudence,Madame, ont toujours eu toute ma confiance.Quels pénibles travaux, et quels cuisants soucis, Par ces aimables soins ne seraient adoucis ?Et pour vous, et pour moi, si vous voulez, Madame,Qu'en cette occasion je vous ouvre mon âme ;C'est ce même triomphe, et ce comble d'honneur,Cet excès inouï de gloire et de bonheur, Qui vient à mon esprit, par des couleurs plus vives,Offrir des malheureux les images plaintives,Madame, en cet état sublime et fortuné,Il me souvient toujours en quels lieux je suis né,Dieu me conserve encore un père vénérable, Mais pour l'amour des siens vieillard inconsolable,Et qui voit désoler par les calamités,Ces beaux lieux qu'en repos il avait habités,Hélas ! Quand je devrais lui montrer ma tendresse,Je le laisse languir accablé de tristesse ! AZANETH. Sans nous abandonner, hé quoi ? Ne pouvez-vousLui partager nos biens, l'appeler parmi nous ?De ce devoir si tendre occupé pour un père,Qu'en vous cette amitié, Seigneur, me devient chère !Mais s'il gémit ainsi sous un ciel rigoureux, Que ne l'attirons-nous sur des bords plus heureux ?Pour aplanir sa route, un mot vous peut suffire ;Qu'il vienne voir son fils, maître de cet Empire,Et prolongeant ses jours, de tristesse abattus,Qu'il jouisse en vos bras du fruit de vos vertus. Que je révère en lui le chef de la famille,Et qu'il m'aime à son tour en véritable fille.De quel parfait bonheur je devrais m'assurer,S'il ne vous restait rien ailleurs à désirer ! JOSEPH. Lui peut-on en ces lieux promettre un sort tranquille ? Ah ! Que ce beau projet, Madame, est difficile ! AZANETH. Quoi ? Seigneur, doutez-vous que les ÉgyptiensSauvez de tant de maux, comblés de tant de biens,Ne prennent pour objet de leur reconnaissance,Un Homme à qui l'on doit votre heureuse naissance ? Il jouira des biens que vous nous conservez.Tous ces Peuples nombreux que vous avez sauvés,À ce père fi cher rendront un juste hommage. JOSEPH. Ah ! Qu'est-ce que l'amour du vulgaire volage ?Quand le peuple est soumis aux lois d'un étranger, Que toute cette ardeur est facile à changer !Oui, malgré ces honneurs dont l'éclat vous enchante,Des peuples et des Rois la faveur est changeante.Le coeur des courtisans nous est-il bien soumis ?Ce qui les rend jaloux, les peut-il rendre amis ? Ne sais-je pas déjà ce que c'est que l'envie ?Et mon père, Madame, au déclin de sa vie,Sous un Ciel inconnu peut-il se hasarder ?Quelque asile en ces lieux qu'on lui puisse accorder,Lui qui d'un culte saint, d'un zèle véritable, Adore du vrai Dieu le pouvoir redoutable,De quel oeil verra-t-il les cultes odieux,Dont l'idolâtre Égypte honore ses faux Dieux ?Ici tout est rempli de prodiges bizarres,De superstitions infâmes et barbares ; Et la crainte seconde en fantômes divers,Peuple d'indignes Dieux, l'Eau, la Terre et les Airs.Mais enfin, Azaneth, s'il faut que je m'explique,Tout ce vaste Univers n'a qu'un moteur unique,Invisible soleil, source de vérité ; Dont notre esprit reçoit l'immortelle clarté ;Les vertus que produit la raison épurée,Sont le culte que veut Sa Majesté sacrée,De ce Dieu, seul vrai Dieu, seul digne d'être aimé... AZANETH. Ce Dieu, dans vos discours, mille fois m'a charmé. Vous l'adorez ici ; votre père de même,Peut s'attacher toujours à son culte suprême.Seigneur, auprès du Roi vous pouvez tout oser ;Ce Prince à vos désirs ne peut rien refuser,De sauveur de l'État n'avez-vous pas le titre ? Des lois et des autels n'êtes-vous pas l'arbitre ?Mais voyez donc le Roi. Qu'attendez-vous ? VenezEmployer près de lui ces moments fortunés.Que pourrait-il penser de ce triste silence ?Songez que vous devez paraître en sa présence. Lorsque les Rois sur nous répandent leurs faveurs,Ils veulent que la joie éclate dans nos coeurs.La Reine me demande ; et je vais auprès d'elleLui soumettre pour vous votre gloire nouvelle.J'espère en même temps disposer ses bontés À l'accomplissement de nos félicités.Non, non, pour vos parents, Seigneur, pour votre père,Notre Égypte n'est pas une terre étrangère.Ma réponse bientôt calmera vos ennuis. SCÈNE IV. Joseph, Hely. JOSEPH. Viens, Hely. N'es-tu pas dans le trouble où je suis ? Au milieu du festin, à l'aspect de mes frères,Que mon coeur a senti de mouvements contraires !J'éprouvais tour à tour, le courroux, la pitié,La tendresse, l'horreur, la haine, l'amitié ;Malgré moi leur orgueil, et leur haine sanglante, Quand je veux l'oublier, à mes yeux se présente.Par eux, pour m'abîmer, des gouffres sont ouverts,Le poignard est levé, je suis chargé de fers ;Pour me livrer esclave ils prolongeaient ma vie,Mais dans leur coeur perfide ils me l'ont tous ravie. Ruben ne m'a donné qu'un secours impuissant ;Et mon cher Benjamin est le seul innocent.Que font-ils ? HELY. Tout remplis, tout pénétrés de joie,Ils regardent vos dons qu'à leurs yeux on déploie.Ils brûlent d'emporter ces secours précieux. JOSEPH. Sans me connaître encor, quitteront-ils ces lieux ?Le secours qui leur plaît d'une main étrangère,Leur ferait un outrage, accepté de leur frère !Pourraient-ils supporter dans cet illustre sort,Ce Joseph dont leur haine avait juré la mort ? Si pour des biens songés, une gloire en idée,J'ai vu d'un tel courroux leur âme possédée,Quelle horrible fureur en eux doit exciterCe comble de grandeurs où l'on me voit monter !Je vois avec transport Benjamin ce cher frère, Dont ma mère Rachel était aussi la mère ;Des mêmes sentiments nous sommes animés,Tous deux de notre père également aimés.Eh ! De quel doux plaisir j'aurais l'âme comblée,En voyant ma famille en ces lieux rassemblée, M'aimer, me reconnaître, et chérir mes bienfaits !Mais il faut dans mon coeur renfermer ces souhaits !Je vais me taire encor ; Dieu daignera m'instruire,Agissons en silence, et nous laissons conduire.Mes frères vont paraître. HELY. Oui, Seigneur, les voici. JOSEPH. Toi, ne t'éloigne pas ; et qu'on nous laisse ici,Que la sainte amitié, s'il se peut, les anime ;J'attends leur repentir, je pardonne leur crime ;Avec plaisir sur eux je répandrai mes biens.Leurs devoirs violés ne changent pas les miens. SCÈNE V. Joseph, Ruben, Siméon, Juda, Benjamin, Thiamis. RUBEN. Comblez de vos bontés, témoins de votre gloire,Permettez qu'à Jacob nous en tracions l'histoire.Notre père, Seigneur, sur ces événements,Sera rempli de joie et de ravissements.Et pour nous, qui peut mieux lui témoigner le zèle Dont nous obéissons à la loi paternelle,Que notre empressement à quitter ces beaux lieux ;Où près de vous tout charme et nos coeurs et nos yeux ?Les moments lui sont chers ; et nous osons vous direQu'à peine, loin de nous, ce bon vieillard respire. Il nous a défendu de faire aucun séjourSon ordre et le besoin pressent notre retour.Pour achever, Seigneur, une grâce si grande,Ordonnez, s'il vous plaît, le départ qu'il demande ;Faites-lui ressentir vos heureuses faveurs ; Et que nôtre présence aille sécher ses pleurs. JOSEPH. Tout était préparé. Marchez en diligence.J'approuve vos désirs et votre impatience ;N'ayez point de repos qu'auprès de lui rendus,Il n'ait avec ses fils ces secours attendus. Ramenez Siméon dont j'ai brisé la chaîne.Que Benjamin demeure. JUDA. Ah ! Quelle est nôtre peine !De ne pouvoir, Seigneur, obéir à vos lois !Jacob ne laisse pas l'échange à notre choix.On peut vous avoir dit sa première disgrâce. Déjà privé d'un fils qu'en son coeur rien n'efface,Il en voit dans cet autre et l'esprit et les traits ;Le jeune Benjamin calme ses longs regrets,Il croit revoir Joseph ; et son âme éperdue,Compte tous les moments qu'il est loin de sa vue. JOSEPH. Laissez-le moi, vous dis-je, allez partez sans lui.Jacob verra bientôt dissiper son ennui,Quand il saura les biens et le bonheur extrême.Dont je veux en ces lieux combler ce fils qu'il aime. JUDA. J'ai promis son retour, et sans le remener, Aux rives du Jourdain je ne puis retourner. BENJAMIN. Si ma timide voix ose se faire entendre,Je vous dirai, Seigneur, que d'un père si tendre,Je dois aller encor suivre les saintes lois ;Je dois aller encore m'instruire par sa voix. Heureux si je pouvais apprendre de mon pèreCes divines leçons que pratiquait mon frère.Tout ce que de Joseph j'entendais raconter,M'enflamme du désir de pouvoir l'imiter ;C'est l'exemple éternel que Jacob me présente. JOSEPH. Si vous en conservez la mémoire touchante,Demeurez, Benjamin, et recevez ma foi,Que vous retrouverez votre cher frère en moi,Je ne vous offre point une amitié commune ;Auprès de Pharaon, partagez ma fortune ; Pour vous mieux établir, croyez, cher Benjamin,Que vous serez conduit et formé de ma main. BENJAMIN. Je ne puis de Jacob délaisser la vieillesse ;Je dois par mon retour répondre à sa tendresse.Sans voir tout cet éclat que vous me promettez, Quel charme plus puissant je trouve en vos bontés !Seigneur, il s'en faut peu que je ne les préfèreÀ tous les noeuds du sang, à l'amour de mon père !Sans ce premier devoir, qu'il m'aurait été douxD'apprendre les vertus, Seigneur, auprès de vous, JOSEPH. Où suis-je ! JUDA. Par ses pleurs un père le rappelle.Approuvez pour Jacob notre devoir fidèle.Nous vous l'avons dépeint, Seigneur, de ses vieux ansTraînant seul, affligé, les restes languissants.Il vit du seul espoir que nous allons lui rendre Ce fils, le dernier fruit de l'amour le plus tendre,Lorsque pour obéir à votre ordre absolu ,À nous le confier Jacob s'est résolu ;« Mes Fils, nous a-t-il dit, en nous donnant ce gage,Vous me voyez penchant à la fin de mon âge ; Si mon cher Benjamin ne revient dans mes bras,Vous allez par sa perte avancer mon trépas ;En perdant cet objet dont mon âme est ravie,Je vais dans la douleur finir ma triste vie. » Jamais à l'envoyer il n'eût pu consentir, Si nos serments... JOSEPH. Hé bien, qu'on les fasse partir ;Allez, vous le voulez ; il faut vous satisfaire. RUBEN. À vos sacrés genoux... JOSEPH. Que j'ai peine à me taire !Ne perdez point de temps. Mes Ordres sont donnésEmportés les présents qui vous sont destinés. RUBEN. Que de grâces, Seigneur, nous avons à vous rendre !Que le Ciel ait pour vous... JOSEPH. Partez, c'est trop attendre. SCÈNE VI. Joseph, Hely. JOSEPH. J'y consens donc ? Il part. Cruel consentement.Puis-je de Benjamin souffrir l'éloignement ?Que faire ? Que penser ? Qu'est-ce que je médite ? Allons, Divin Esprit, qui règles ma conduite,Sur mon cher Benjamin daigne encor m'éclairer.Dois-je le retenir ? Dois-je m'en séparer ? ACTE IV SCÈNE I. Joseph, Hely. HELY. Je les ai vu partir ; et mon âme attendrieS'envolait, sur leurs pas, dans ma chère patrie, Mon esprit les suivait en ces vallons aimés,Où du Dieu d'Israël les traits sont imprimés. JOSEPH. On les arrête, Hely. Thiamis, que j'envoie,Pour flatter ma douleur, va retarder leur joie.Hélas ! Comme autrefois, que ne puis-je avec eux Du tranquille Jourdain voir le rivage heureux !Tu le sais ; que mon âme alors était contente !Quels beaux jours éclairaient ma jeunesse innocente,Parmi ces prés fleuris, sur ces riants coteaux,Où paissaient de Jacob les fertiles troupeaux ! . Que d'un père si bon l'amitié m'était chère !Hely, que je trouvais de douceur à lui plaire !Avec quelle rigueur des frères trop cruels,M'ont arraché du sein et des bras paternels !Ô malheureuse envie ! Ô Monstre détestable, Par la proximité toujours plus implacable,Dans sa noire fureur prompte à s'envenimer,Contre ceux que le Ciel nous ordonne d'aimer !Tous les noeuds sont rompus par sa rage inhumaine ;D'un frère contre un frère elle allume la haine ! HELY. Mais Benjamin, Seigneur, s'est fait voir aujourd'huiDigne du tendre amour que vous avez pour lui.Pour le nom de Jacob quelle douce espérance !Pour l'honneur des Hébreux quelle heureuse assurance. JOSEPH. Ah ! Qu'il revienne, Hely. Je ne puis consentir À quitter Benjamin, à le laisser partir ;Et je crois que le Ciel, à mes desseins propice,Approuve de mon coeur l'innocent artifice.De Jacob cependant je prévois la douleur.Tu peux toi-même, Hely, détourner ce malheur. Au lieu de Benjamin, toi, pars avec mes frères;Ensemble portez-lui ces moissons salutaires.Dis-lui tout ce que Dieu daigne faire pour moi,Les biens que j'ai reçus, l'état où je me vois.Dis-lui que Benjamin m'est plus cher qu'à lui-même ; Et que je l'associe à mon bonheur suprême.Qu'enfin je crains pour lui des frères inhumains ;Que je le veux ôter de leurs cruelles mains,Peut-être qu'à son tour cette maligne envie ,Qui me vendit esclave, attaquerait sa vie. Hé quoi ? Si de mon père on le voit trop aimé,Et si pour son mérite il est trop estimé,Bientôt de cet amour, bientôt de cette estime,Ses frères ennemis lui pourraient faire un crime ;Ses charmantes vertus armeront le courroux, De ces esprits livrés à leurs transports jaloux.De ces perfides coeurs on connaît la faiblesse ;Ils révèrent un Dieu quand le malheur les presse ;Et de ce même Dieu, qu'ils ont tant imploré,Sitôt qu'ils font heureux le nom est ignoré. Par les coups du malheur leur âme est abattue ;Mais leur malignité n'est pas encor vaincue.Pour mon cher Benjamin je veux les éprouver ;Jusqu'au moindre regard je vais les observer.Pour connaître leur coeur, Hely, forcé de feindre, Si je les fais souffrir, j'en suis le plus à plaindre ?J'entends du bruit, c'est eux. SCÈNE II. Joseph, Ruben, Siméon, Juda, Benjamin, Thiamis, Hely. RUBEN, sans voir Joseph. Quoi donc ? Pour quels forfaitsNous fait-on revenir par force en ce Palais ?Votre Maître peut-il approuver cette audace ?Lui, de qui la bonté nous a fait tant de grâce ? Il punira bientôt le cruel traitementQui nous est fait ici sans son consentement. Voyant Joseph.Ah ! Seigneur, à vos pieds vous nous voyez encore,On ose nous poursuivre, et l'on nous déshonore ;On vient nous arrêter comme des criminels ! Quel sujet nous expose à ces affronts mortels ?Qu'ont-ils, ces furieux, qu'est-ce qui les anime ?Ne nous peut-on au moins apprendre notre crime ? THIAMIS. Comment, Hommes ingrats, osez-vous voir le jour ?De tant de biens reçus est-ce là le retour ? Mon Maître ouvre pour vous une main libérale,Ses grâces empêchaient votre perte fatale ;Et des heureux secours qui vous sont accordés,Voilà, voilà le prix, lâches, que vous rendez.Peut-on vous ordonner de supplice assez rude ? Mêler le sacrilège avec l'ingratitude !Vous avez emporté le vase précieux,Dont mon maître se sert en consultant les Cieux ;Ce trésor tout sacré, cette coupe auguraleOù quand il sacrifie... JUDA. Ô fureur sans égale ! Quel horrible mensonge ose nous attaquer ?Quoi ! Seigneur, contre vous nous aurions pu manquer ?Nous aurions oublié ces bienfaits et ces grâces,Qui de nos maux pressants dissipaient les menaces ?Nous aurions pu descendre à cette indignité ? Nous nous ferions souillés par cette lâcheté ?Ah ! Ne permettez pas qu'une noire imposture,À vos rares bontés mêle une telle injure.Oui, Seigneur, si le vase est trouvé parmi nous,Par de cruels tourments nous voulons périr tous. JOSEPH. D'un excès de rigueur je ne suis point capable.La peine ne fera que pour le seul coupable.Je crois que parmi vous il s'en trouve en effet,Qui ne sont point souillés d'un si lâche forfait ;Et peut-être qu'un seul a failli sans complice. J'examinerai tout, et vous rendrai justice. SCÈNE III. Joseph, Officier, Benjamin, Ruben, Siméon, Juda, etc. Thiamis, Hely. JOSEPH. A-t-on le vase ? OFFICIER. Après l'avoir longtemps cherché,Parmi vos riches dons il se trouve caché.Le larcin se mêlait à ces faveurs si chères,Dont Benjamin se voit comblé sur tous ses frères, Il avait pris le vase, il osait l'emporter. JOSEPH. Est-il bien vrai ? OFFICIER. Seigneur, on n'en peut plus douter.Le crime le regarde. JOSEPH. Hé bien, qu'on le retienne. BENJAMIN. Moi ! Ciel, quelle innocence est égale à la mienne ! RUBEN. C'est à vous d'ordonner, de disposer de nous ; Nous respectons, Seigneur, votre juste courroux.Mais il est des esprits qui se plaisent à nuire.Quelqu'un par ce faux crime a voulu nous détruire ;D'un perfide ennemi les regards envieuxN'ont pu nous voir jouir de vos dons précieux. JOSEPH. Non, non. Ne cherchez point de défenses frivoles.Contre un fait avéré, que servent les paroles ?Au plus grand nombre ici je veux bien pardonner.Vous tous, en sûreté, vous pouvez retourner ;Je n'ai de châtiment que pour l'auteur du crime, Et lui seul dans les fers en fera la victime.Je ne vous retiens plus. BENJAMIN. Voyez la vérité.Est-ce là le bonheur dont vous m'avez flatté : JUDA. Je ne puis concevoir quelle affreuse disgrâce,Sur nous de votre haine excite la menace. Mais, si, sur notre tête attirant ce danger,Le Ciel de quelque crime a voulu se venger,Du jeune Benjamin épargnez l'innocence,Et tournez contre nous toute votre vengeance. BENJAMIN. De ce crime honteux je me vois accuser ! Hélas ! Et que de maux je dois toujours causer !En naissant j'ai causé le trépas de ma mère,Et je vais, en mourant, faire expirer mon père :Malheureux Benjamin, à Jacob, à Rachel !Tu dois également porter le coup mortel ! Hélas ! Dans l'infortune où je vous abandonne,Mon père, que je plains l'ennui que je vous donne.Je vais, comme Joseph, vous percer de douleurs ;Je n'ai pas ses vertus, et j'aurai ses malheurs. JOSEPH. Je n'en puis plus, Hely ! Qu'on forte, qu'on finisse. Que sans retardement mon ordre s'accomplisse.Ôtez le criminel ; gardez-le Thiamis.Allez. Ce prisonnier en vos mains est remis. SCÈNE IV. Joesph, Juda, Siméon. JOSEPH. Vous, partez je l'ordonne. JUDA. Ah ! Seigneur, pour m'entendre,Calmez votre colère, ou daignez la suspendre, À votre esclave, hélas ! Permettez de parler.Qu'à vos yeux tout mon sang ici puisse couler,Plutôt que Benjamin... JOSEPH. Ma patience est lasse.Recevez-vous ainsi mes bienfaits et ma grâce ?Vous avez lieu, je crois, de louer ma bonté. J'ai parlé, c'en est fait, et j'ai trop écouté.Le châtiment suivrait un refus téméraire. Partez, obéissez. Ah ! Sous ce front sévère,Je sens mon coeur serré, je sens baigner mes yeux.Pour cacher ce désordre, ôtons-nous de ces lieux. SCÈNE V. Ruben, Siméon, Juda. SIMÉON. Quel changement ! Ainsi nous perdons l'espérance,Qui venait d'adoucir notre longue souffrance ?Après ces vains honneurs, dont il nous a flatté,Nous sommes poursuivis, trahis, persécutés !Quelle était la fureur de ces fiers satellites ? Il avait résolu ces injustes poursuites ! RUBEN. Je ne puis démêler les replis de son coeur.Tandis que Benjamin éprouve sa rigueur,Tout chargés de ses dons, voyez qu'il nous renvoyer ? SIMÉON. Il goûte en notre peine une secrète joie. Présents vains et trompeurs. Ah ! Désabusez-vous,Si nous partions encore, on courrait après nous.Sur un sujet si faux sa colère allumée,D'un prétexte nouveau serait bientôt armée. RUBEN. Non, je ne conçois point ces rudes traitements ! J'ai cru voir dans ses yeux de plus doux sentiments. SIMÉON. Quoi ! Ne devions-nous pas dès le premier voyage,Avoir prévu l'embuche où notre erreur s'engage ?Nous vîmes ce tyran contre nous irrité ;Et s'il mit quelque frein à sa malignité, Cette pitié forcée était un artifice ;Il méditait dès lors sa perfide injustice.C'était un piège, hélas ! Notre oeil fut étonnéDe retrouver tout l'or que nous avions donné ;Mais l'on nous préparait cette mortelle injure, Et notre propre sang en va payer l'usure. JUDA. Malheureux ! Connaissons la main qui nous poursuit.De nos cruels Complots nous recueillons le fruit.Dieu nous trouve partout ; tôt ou tard sa JusticeAtteint les Criminels qu'il faut qu'elle punisse ; Et les crimes, cachés dans le fonds des déserts,Ne peuvent éviter ses yeux toujours ouverts. RUBEN. Moi, qui de vos forfaits ne me sens point coupable :Avec les criminels sa vengeance m'accable ;Ou plutôt, il est vrai je l'ai trop mérité, Puisqu'à vos attentats j'ai si mal résisté.Je vous exhortais bien d'épargner l'innocence ;Mais, Ciel ! Je fus trop faible à prendre sa défense. SIMÉON. D'une fureur jalouse, un soudain mouvement,Devait-il recevoir un si long châtiment ? JUDA. Que devient Benjamin ? Que deviendra mon père ?Nous avons dans les fers amené notre frère !Oui, si Jacob le perd, il va mourir, hélas !Et Jacob meurt aussi, si nous ne partons pas.Quand nous l'avons quitté, nos familles mourantes Éprouvaient de la faim les cruautés pressantes ?Nos femmes, nos enfants, Jacob tout va périr,Si le Ciel apaisé ne veut les secourir ! SIMÉON. Il faut braver ici le coup qui nous menace,Mourons. RUBEN. Dieu d'Israël, qui vois notre disgrâce, Bien que ces châtiments, grand Dieu ! Soient mérités,Que notre repentir rappelle tes bontés. JUDA. Cherchons Sophoneas ; que notre voix l'implore.S'il nous était permis de l'approcher encore ;Hélas ! Si nous pouvions à ses pieds nous jeter, S'il daignait un moment encor nous écouter ?Après avoir paru pour nous si favorable,A-t-il pris pour jamais un coeur inexorable ?Allons, pour le fléchir, faire un dernier effort,Qu'il nous accorde, enfin, Benjamin ou la mort. ACTE V SCÈNE I. Ruben, Siméon, Juda. RUBEN. Malheureux Benjamin ! Sophoneas s'abuse,S'il croit que nous partions lorsqu'il nous le refuse :Sans cesse par nos cris nous le demanderons ;Jusqu'au dernier soupir ici nous nous plaindrons.Il ne veut rien entendre. Il est inaccessible Ce tyran ! Il ordonne un départ impossible ! SIMÉON. C'en est fait, au retour il ne faut plus penser. RUBEN. Mes frères, notre coeur n'a point à balancer. JUDA. Quoi ! Nous verrions encore un père inconsolable,Rappeler de Joseph la perte lamentable. « Rachel, nous dirait-il, au déclin de mes ans,Mon aimable Rachel m'a donné deux enfants,Vous m'avez rapporté de sanglants témoignagesQu'un d'eux fut dévoré par les bêtes sauvages ;Et l'autre qu'en vos mains j'ai remis malgré moi, Ce gage précieux commis à votre foi,Périt... J'éviterai ses plaintes douloureuses ;Les plus cruelles morts pour moi sont moins affreuses.En pleurant Benjamin, qu'il nous regrette aussi.Nous suivrons tous Joseph qui vint mourir ici. Égypte, ton seul nom me confond et m'étonne !Ce souvenir me glace, et l'honneur m'environne !C'est-là que dans les fers Joseph est expiré :Pour venir en Égypte, hélas ! Il fut livré ;C'est aussi le lieu même, ô Ciel ! Où ta Justice Résout que nous venions chercher notre supplice,Nous irritons ici les yeux de l'Éternel.Par nous Joseph est mort, ainsi qu'un autre Abel ;Il éprouva des siens la jalouse furie,Et de son sang, hélas ! J'entends la voix qui crie ! SIMÉON. Que Joseph est heureux ! s'il a fini ses jours:Des plus cruels ennuis la mort tranche le cours;S'il vit , s'il voit encore l'Astre qui nous éclaire »Lorsque du Ciel sur nous il arme la colère,Et que tant de malheurs le vengent aujourd'hui, En quelque état qu'il soit quelle gloire pour lui !Mais le voilà , celui qui punit nôtre crime.Quelle sévérité dans ses regards s'exprime ! SCÈNE II. Joseph, Ruben, Simeon, Juda. JOSEPH. Quoi ! Vous ne partez pas ? RUBEN. Que nous ordonnez-vous ;Partir sans Benjamin, Seigneur, le pouvons-nous : Daignez-nous écouter, que la pitié vous touche ;La pure vérité parle par notre bouche ;À nos gémissements laissez-vous émouvoir,Et vous-même voyez quel est nôtre devoir.Sans vouloir d'un coupable obstiner la défense, Nous avouerons, Seigneur, qu'il a fait une offenseQue ne peut trop punir votre sévérité ;Mais laissez seulement agir votre bonté.Quand la Justice a droit de perdre un misérable,Suivez, pour le sauver, la Pitié secourable. Vous faites tant de biens, Seigneur, vous soulageaLes mortels languissants, les peuples affligés ;Mais vous couronnerez vos vertus adorablesSi vous savez encor pardonner aux coupables. JUDA. Votre main bienfaisante a daigné nous nourrir, Vous nous avez, Seigneur, empêché de mourir ;Vos premières faveurs des autres sont un gage.Daignez, hélas ! Daignez conserver votre ouvrage ;De vos dons précieux soyez ici jaloux ;Et que plus d'une fois nous respirions par vous ; Objets infortunés d'une si noble envie,Qu'un généreux pardon nous donne encor la vie.Dans l'accusation de ce crime odieux,Nous voyons éclater la vengeance des Cieux ;Je l'avouerai, Seigneur, ce que l'on nous impute, Vient d'un ordre d'en haut qui sur nous s'exécute ;Et pour un crime faux un juste jugement,Sur de vrais criminels porte le châtiment.Nous tous, hors Benjamin, méritons le supplice ;Lui seul est innocent, que lui seul vous fléchisse. Si l'ennui dont Jacob est encor pénétré,Pour la mort de Joseph si tendrement pleuré,Ne nous avait appris quelle atteinte mortelleLui fera ressentir cette perte nouvelle,Soumis à votre loi, respectant vos arrêts, Nous mourrions sans former ni plaintes ni regrets.Ah ! Seigneur, si le Ciel qui vous rend tout prospère,A conservé les jours de votre auguste père,S'il jouit de la gloire et du plaisir si doux,De donner à l'Égypte un maître tel que vous, S'il voit en vous l'objet de sa digne tendresse,Et l'admirable appui d'une heureuse vieillesse ;C'est en son nom, Seigneur, que nous vous implorons,C'est par son nom sacré que nous vous conjuronsDe rendre au vieux Jacob Benjamin qu'il appelle. Accordez cette grâce à l'amour paternelle ;Et que Dieu, qui lui-même est père des humains,Verse toujours sur vous ses dons à pleines mains.Rendez-nous Benjamin. Ou si votre justicePour son crime apparent ordonne son supplice, S'il doit mourir, changés de victime aujourd'hui,J'irai sur l'échafaud, et je mourrai pour lui.Si par une autre peine, à son crime ordonnée,Vous destinez aux fers sa vie infortunée,Permettez que pour lui j'ose me présenter, Et vous offre une main plus propre à les porter,Nourri dans les travaux, mon zèle infatigable,Seigneur, de vous servir me rendra plus capable,Si de vos châtiments je puis le garantir,Pour moi ce joug pesant se fera peu sentir. Chaîne, prison, trépas, quelque sort que j'obtienne,S'il retourne à Jacob.... JOSEPH. Que Benjamin revienne.Ah ! Par ces tendres pleurs mon coeur est déchiré !De joie et de douleur je me sens pénétré !Qu'on me laisse avec eux. SCÈNE III. Joseph, Benjamin, Ruben, Siméon, Juda, etc. JOSEPH. Levez-vous. Ah ! Mes Frères C'en est trop. Je le vois, vos larmes sont sincères.Je suis Joseph. C'est moi. Votre coeur prévenu,Sous un nom étranger ne m'a point reconnu.Benjamin ! BENJAMIN. Vous ! RUBEN. Joseph ! JUDA. Ô Ciel ! JOSEPH. Chassez la crainte,Dont je vois à mon nom que vôtre âme est atteinte. Mes Frères, approchez, venez, séchons nos pleurs ;Ce grand jour pour jamais doit finir nos douleurs.Approchez sans frayeur ; embrassez votre frère ;Il n'est plus un sujet de haine et de colère.Notre père est vivant ; mes Frères, je vous vois ! Ô Ciel ! Que de bontés tu prodigues pour moi !Dans ces embrassements tout pleins de confiance,Lotions et bénissons la feinte providence. BENJAMIN. Seigneur ! SIMÉON. Joseph ! RUBEN. Mon frère ! JUDA. En quel étonnement ! JOSEPH. Aimez-moi. Pardonnez ce long déguisement. La manière cruelle, oui, je vous le confesse,Dont vous aviez traité ma timide jeunesse,Semblait à mon esprit un signe trop certainQue vous aviez le coeur insensible, inhumain ;Dès le moment qu'ici vous vîntes à paraître, J'ai voulu l'éprouver, j'ai voulu vous connaître;J'ai feint de la rigueur, j'ai forcé ma pitié.Enfin pour Benjamin je vois votre amitié ;Je ne vois plus en vous de haine ni de crime,Le devoir vous conduit, la vertu vous anime ; Et lorsque j'ai pour vous changé de sentiment,Ainsi que je vous aime, aimez-moi tendrement.Ne vous reprochez plus mon exil que j'oublie ;L'Ordonnance du Ciel par là s'est accomplie ;Pour préparer les biens qui vous sont accordés, En cet heureux Climat je vous ai précédé ;C'est Dieu qui m'envoyait, c'est lui dont la puissanceA mis ce grand État sous mon obéissance.Allez dire à Jacob que le Ciel m'a sauvé.Qu'il vienne voir la gloire où je suis élevé. Durant cinq ans entiers l'effroyable famineDoit désoler encor la triste Palestine;Et l'on vous ouvre ici l'asile fortuné,Qui loin de tous ces maux vous était destiné. RUBEN. Ô bonheur incroyable ! Ô douceurs infinies ? Ainsi par vos bontés nos fautes font punies !Mon frère ! J'ose à peine user d'un nom fi doux,Surpris, charmé, confus, je répondrai pour tous ;Nous allons révérer, aimer dans notre frère,Notre Roi, notre Maître, et notre second père. Vous reverrez Jacob. Il nous suivra. J'y cours ;Et ce récit heureux va ranimer ses jours, sCÈNE IV. AZANETH, Joseph, ses frères. AZANETH. Seigneur, je vous apporte un grand sujet de joie. JOSEPH. Ah ! Venez, que la mienne à vos yeux se déploie.Madame, vous voyez mes frères devant vous. AZANETH. L'Égypte, grâce au Ciel, leur offre un sort bien doux,J'ai vu le Roi, Seigneur, il était chez la Reine ;Et pour votre famille il a su votre peine. Je ne pouvais choisir un moment plus heureux ;Pharaon est ravi de répondre à vos voeux ; Vous êtes absolu sur lui, sur son Empire ;Avec tous vos désirs sa volonté conspire.J'accours pour vous l'apprendre ; et j'ai lieu de penser.Qu'il va venir lui-même ici vous l'annoncer. JOSEPH. Il faut le prévenir, Madame, allons lui rendre.... AZANETH. Il entre. Et ses bontés ont voulu vous surprendre. SCÈNE V. Pharaon, Azaneth, Joesph, ses frères, Gardes. PHARAON. Mille nouveaux honneurs seront encor témoinsDu bonheur dont je suis redevable à tes soins,Ô Toi, qui détournant l'effroyable famine,De tout ce grand Empire empêches la ruine, Me conserves mon Peuple, et fais que je suis Roi,Quels éloges, quels prix feront dignes de toi ?L'Égypte, dont tu sais la gloire et les délices,Marque déjà ta place entre ses Dieux propices.D'un coeur impatient, je viens te reprocher Les secrètes douleurs que tu voulais cacher.Appelons ce cher père, objet de tes tendresses ;Que des chars diligents lui portent nos richesses. JOSEPH. Mes Frères à vos pieds osent se présenterPour fidèles sujets daignez les accepter ; On a vanté leurs moeurs et leur noble origine.Leur coeur à vous servir avec moi se destine, PHARAON. Oui, ton père et les siens pourront vivre à ma Cour,Ou dans tous mes États se choisir un séjour,J'abandonne à ton choix nos plus belles contrées. JOSEPH. Grand Roi, je suis comblé de vos bontés sacrées.Quels services jamais peuvent les mériter ?M'est-il permis encor de vous représenterQue mon père viendra d'une rive étrangère,Quittant la liberté qui nous était si chère ; Nous nous donnons à vous de notre volonté ;Un si bon Roi vaut mieux que notre liberté.Mais promettez aussi, grand Roi, que notre zèleNe fera point troublé dans le culte fidèle Transmis à nos aïeux par les premiers Humains, Que notre Dieu forma lui-même de ses mains ;Et si des temps changés l'ordinaire inconstanceFait sentir aux Hébreux une puissance,Qu'il leur sera permis de fuir, loin ces lieux,Un cruel esclavage, un joug injurieux. Ainsi toujours le Nil en épanchant ses ondes,Rende l'Égypte heureuse, et ses plaines fécondes ;Ainsi toujours le Ciel vous donnant de beaux jours.Au gré de nos souhaits en prolonge le cours. PHARAON. Oui, cher Sophoneas. Oui, Pharaon te jure Par le Dieu souverain qui régit la Nature ;Je jure sur ma tête, et pour tous mes neveux ;Par ce Dieu souverain je m'oblige avec eux,Qu'on verra les Hébreux à l'abri des outrages,Habiter librement, ou quitter ces rivages ; Qu'ils y seront heureux, paisibles, respectés,Vivant selon leurs lois et leurs solennités.Et si jamais un Roi qui porte ma couronne,Ose en rien violer la foi que je te donne,Qu'il éprouve du Ciel les plus rudes fléaux ; Qu'en un sang corrompu le Nil change ses eaux ;Qu'en plein midi les airs tout couverts de ténèbres ;Ne répandent qu'horreurs et que spectres funèbres ;Que des coups imprévus qui mènent au cercueil,Dans toutes les maisons fassent régner le deuil, Et, si ce n'est assez, que la Mer en furie,Vengeant notre parjure et notre barbarie,S'ouvre, et qu'elle engloutisse en son gouffre écumant,Tous ceux de qui l'audace enfreindra mon serment. JOSEPH. Tout s'accomplit ! Je vois les éclatants miracles ; Et les jours célébrés par de si grands spectacles !Ce Peuple aimé de Dieu, par ce Dieu même instruitHonoré de sa vue, et par sa voix conduit,Va s'égaler en nombre au nombre des étoiles !Dieu dans le temps marqué dissipera les voiles Où je figure ici les honneurs souverainsDu MESSIE attendu pour sauver les Humains !Immolé, Triomphant... Mais, ô Ciel ! Où m'engageDe ce grand avenir l'inconcevable image ?Où me fait égarer un si prompt mouvement ? Ah ! Seigneur, pardonnez à mon Ravissement. PHARAON. J'approuve tes transports, et l'excès de ta joie.Va donc, mande ton père, ordonne, presse[,] envoie. JOSEPH. Puisse toujours le Ciel de ses dons vous combler.Et puissent vos neveux, grand Roi, vous ressembler. ==================================================