******************************************************** DC.Title = LA BOURSE DE LOUIS, DRAME EN UN ACTE. DC.Author = GARNIER, Thomas DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:08. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GARNIERT_BOURSE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA BOURSE DE LOUIS DRAME EN UN ACTE. SECOND PROVERBE. M. DCC. LXXXV. Par MONSIEUR G***. À LIÈGE, Chez F.J. DESOER, Imprimeur-Libraire, sur le Pontd'Isle, à la Croix d'Or. PERSONNAGES LE MARQUIS DE ROSEMONT. LE PETIT MARQUIS, son fils. LE GOUVERNEUR, du petit Marquais. RUSTAUT, Jardinier du Marquis. JEANNOT, fils de Rustaut. La Scène est à la Campagne dans le Château du Marquis. Le texte est issu de "Nouveaux proverbes dramatiques ou recueil de comédies de société pour servir de suite aux Théâtres de Société et d'Éducation" par Monsieur G[arnier], 1785. pp. 17-32. LA BOURSE DE LOUIS Le Théâtre représente un Cabinet de verdure, où aboutissent plusieurs allées de charmille ; sur le devant est un banc de gazon. Au fond, dans l'éloignement, on aperçoit le Château du Marquis. SCÈNE PREMIÈRE. Le Gouverneur, Le Petit Marquis. LE GOUVERNEUR, entre le premier sur la scène, le petit Marquis le fuit d'un air rêveur. Arrêtons-nous un peu, Monsieur le Marquis, nous avons fait une promenade un peu longue. LE PETIT MARQUIS. Comme il vous plaira. LE GOUVERNEUR. - Vous avez l'air bien rêveur. LE PETIT MARQUIS. Oui, ce que vous m'avez dit me fait de la peine ; mais cela est-il bien vrai ? LE GOUVERNEUR. N'en doutez pas. LE PETIT MARQUIS. Quoi, tous ces gens que vous m'avez fait voir, travaillent du matin au soir, pour se procurer ce vilain pain noir qui eu si mauvais ; et ils ne mangent que de cela à tous leurs repas. LE GOUVERNEUR. Rien n'est plus vrai, Monsieur le Marquis. Que diriez-vous donc si je vous apprenais qu'il en est beaucoup qui n'en mangent pas à leur suffisance. LE PETIT MARQUIS, d'un air mécontents Allons donc, cela ne se peut pas. LE GOUVERNEUR. Je ne vous en impose pas, mon cher Marquis, ils gagnent ce pain noir qui vous répugne tant par le travail le plus obstiné, et s'ils cessaient un seul instant de travailler, ils seraient obligés de s'en passer. LE PETIT MARQUIS. Mais, Monsieur, quelquefois je travaille, d'autres fois, vous me laissez prendre de la récréation, et je trouve mou souper prêt les jours que je me divertis tout aussi bien que les jours que vous me donnez de l'occupation. LE GOUVERNEUR. Il est vrai, mais vous êtes riche vous, Monsieur Le Marquis, vous avez du bien ; ainsi vous n'avez pas besoin de travailler pour vivre. LE PETIT MARQUIS. Mais, est-ce qu'ils n'ont point de bien, ces gens-là ? LE GOUVERNEUR. La plupart n'en ont point ; les autres en ont si peu que cela ne suffit pas pour les faire vivre. LE PETIT MARQUIS. Voilà qui est bien chagrinant ! Mais, Monsieur, comment cela se peut-il ? Ils font si gais. Je n'en rencontre point qui ne rient ou, qui ne chantent même en travaillant ; il faut que cela leur fasse plaisir. LE GOUVERNEUR. Non, pas autrement ; ils font accoutumés à leurs maux. LE PETIT MARQUIS. Hum, je sens pourtant bien que quand j'ai du chagrin, je ne puis ni chanter ni rire. LE GOUVERNEUR. Ce que je vous dis est pourtant très vrai ; mais voyons notre Géographie. Il cherche dans ses poches.Ouais, je ne la trouve point ; je l'aurai laissée dans ma chambre. Je reviens à l'instant. Il sort. SCÈNE II. LE PETIT MARQUIS, seul. Pardi, ce que m'a dit monsieur le Gouverneur m'inquiète ; comment se peut-il que l'on soit si gai, tandis qu'on a tant de sujet d'être triste. Il rêve. SCÈNE III. Le Petit Marquis, Jeannot. Jeannot entre sur la scène tout en sautant : et en chantant, s'arrête tout court lorsqu'il aperçoit le jeune Marquis. LE PETIT MARQUIS. Bonjour, Jeannot ; eh bien, tu t'enfuis. JEANNOT, reculant. Oh non, Monsieur le Marquis, c'est que je ne vous savions pas là. LE PETIT MARQUIS, à Jeannot qui s'en va. Où vas-tu donc ? Est-ce que je te fais peur ? JEANNOT. Oh ! Non, Monsieur le Marquis, c'est que je m'en retourne tant seulement auprès de mon père. LE PETIT MARQUIS. Attends un instant. Reste ici. Assieds-toi auprès de moi. JEANNOT, faisant des révérences. Oh, monsieu le Marquis... LE PETIT MARQUIS. Allons, assieds-toi donc. JEANNOT, faisant toujours des révérences et se cachant avec son chapeau. Monsieu le Marquis... je savons que... je ne sommes pas daignes... LE PETIT MARQUIS. Allons, assieds-toi, quand je te le dis. Jeannot s'assied. Bon. Approche-toi encore ; encore : causons ensemble maintenant. JEANNOT, honteux et décontenancé. Dame, monsieu le Marquis, c'est que vous le voulais comme ça au moins. LE PETIT MARQUIS. Oh ça, Jeannot, dis-moi un peu, tu n'es pas riche, n'est-ce pas ? JEANNOT, d'un air triste et plaintif. Oh, bien du contraire, monsieu le Marquis ; je sommes si pauvres, si pauvres.... que ce n'est rian que de le dire[.] LE PETIT MARQUIS. Vous êtes donc bien pauvres ? JEANNOT. Pour ça oui, monsieu le Marquis ; je travaillons pour avoir du pain, et quand je ne pouvons pas travailler, je sommes bian à plaindre. L'y a six mois que mon père avait la fièvre bian fort. Pendant deux jours il se trouvait si faible, si dibile, qu'il ne pouvit pas travailler. Je n'avions que deux livres de pain cheux nous ; je les partagîmes de façon que je ne faisions qu'eun repas et je pleurions tous, je pleurions que c'était une pitié ; car si j'avions pardu not' pauvr' père, je ferions morts de faim. LE PETIT MARQUIS. Mais, voilà qui est affreux, et comment peux-tu être si gai ? Pour moi, je crois que si j'étais à ta place, je mourrais de chagrin. JEANNOT. Ma fi, monfieu le Marquis, que voulais vous, je sommes faits à ça nous autres. LE PETIT MARQUIS. Mais ne serais-tu pas plus content, si tu devenais riche ? JEANNOT. Si je ferions content, dame, je vous en réponds. Mais vous me gaussais, monsieu le Marquis. LE PETIT MARQUIS. Non, mon ami Jeannot, je t'aime bien, je ne veux pas que tu aies du chagrin davantage. Dis-moi, comment tu serais content, si je te faisais riche ; je s uis bien aise de savoir cela. JEANNOT, avec joie. Je serions content, comme... Tenais, je ne pouvons pas dire ça ; mais je ne nous sentirions pas d'aise. LE PETIT MARQUIS. Eh bien, mon ami Jeannot, tiens, prends cette bourse, il y a dix louis, que amassés de mes épargnes. Mon papa, à qui je les montrais ce matin, me disais comme ça : Oh, te voilà bien riche ; et tu feras riche à ton tour, mon pauvre Jeannot. JEANNOT, ouvre de grands yeux, considère la bourse et n'ose y toucher. Ça est-il possible ! LE PETIT MARQUIS. Oui Jeannot ; oui, mon ami, je t'en fais présent. Cet argent-là m'appartient ; j'aime mieux te le donner, que de m'acheter des bijoux dont je ne me soucie plus un instant après. JEANNOT, prend la bourse en tressaillant de joie. C'est donc tout de bon, monsieu le Marquis. LE PETIT MARQUIS. Oui , tout de bon. JEANNOT. Vot' papa ne grondera-t-il pas ? LE PETIT MARQUIS. Ne crains rien. JEANNOT, transporté. Je ne sais où j'en suis ; je n'en reviens pas. Il faut que j'aille montrer ça à mon père. Il se lève précipitamment et fort en courant sans remercier le petit Marquis. SCENE IV. LE PETIT MARQUIS, seul. Le pauvre garçon, comme il est content ! J'en pleure de joie. Il y a bien du plaisir à faire des heureux... Je n'ai pas besoin de cet argent ; cela ne m'empêchera pas de vivre... J'aurais pu, il est vrai, m'acheter cette belle épée dont j'ai tant d'envie ; mais... baste ; je peux me contenter de la mienne. Et puis je m'en passerai plus aisément que Jeannot ne se passera de pain quand il sera malade. SCENE V. Le Petit Marquis, Le Gouverneur. LE GOUVERNEUR, tenant un gros livre, une Carte Géographique et des Globes. Eh bien, monsieur le Marquis, vous voilà encore dans la rêverie : vous songez toujours aux malheurs des pauvres ; vous faites bien, les Grands ne sauraient trop s'en occuper. LE PETIT MARQUIS. Mais, monsieur, ne serait-on pas mieux de les rendre riches tout d'un coup, que de les plaindre ainsi, sans les empêcher d'être malheureux ? LE GOUVERNEUR. Vous pensez bien, Monsieur, et ce que vous venez de dire découvre une belle âme ; cependant, il ne faudrait pas prodiguer inconsidérément les richesses ; il est nécessaire qu'il y ait de pauvres et de riches ; les uns travaillent, les autres payent. Mais ce n'est pas le temps ici de disserter là-dessus, il faut attendre que quelques années de plus vous aient donné de l'expérience. Revenons à votre leçon de Géographie. SCÈNE VI. Le Marquis de Rosemont, les précédents. LE MARQUIS, entre sur la scène, en se promenant, un livre à la main. Ah, ah, messieurs, je ne vous soupçonnais pas si près. LE GOUVERNEUR. La journée est belle, Monsieur ; j'ai préféré de donner ici leçon à Monsieur le Marquis. LE MARQUIS. C'est très bien fait. Vous avez un élève, Monsieur, qui est fort économe ; il m'a montré ce matin dix louis au moins qu'il a en bourse. Mon fils, je suis charmé de voir cet argent entre vos mains, l'emploi que vous en ferez me développera votre coeur. LE GOUVERNEUR, au petit Marquis. Vous ne m'aviez rien dit de cela, Monsieur. LE MARQUIS. Rien n'est plus vrai, Monsieur. Allons, mon fils, montrez votre bourse à monsieur votre Gouverneur ; je ne doute pas que vous ne le fassiez confident de votre bonne fortune, et que vous ne le consultiez sur ce à quoi vous la destinez. LE PETIT MARQUIS, embarrassé. Il est vrai, mon papa, que je n'en ai dit lieu à monsieur... Mais... SCÈNE VII. Les précédent, RUSTAUT, JEANNOT. On entend crier de loin Ruflaut et Jeannot. LE MARQUIS. Qu'est-ce que j'entends ? LE GOUVERNEUR. C'est la voix de votre jardinier ; je crois qu'il querelle son fils. RUSTAUT, sans paraître. Ah, malheureux ! Ah, vaurian ! Indaigne enfant. JEANNOT, pleurant et criant. Mais, mon père, acoutez-moi. RUSTAUT, avec de grands cris, toujours sans paraître. Tais-toi. T'es eun misérable, eun infâme, eun... Ahi, je n'en puis plus. Vians, vians auprès de Monseigneur. En disant ces derniers mots, il entre sur la scène en tenant son fils au collet, et se jette aux pieds du Marquis.Ah, Monseigneur, je réclamons vot' miséricorde. LE MARQUIS. Qu'est-ce donc que tout cela veut dire ? RUSTAUT. Prenais-moi en pitié, Monseigneur ; je fit eun homme pardu ; et fi stapendant je ne méritions pas not' malheur. LE MARQUIS. Comment ? RUSTAUT, essoufflé. Monseigneur... Faites-moi justice de ce scélérat... Vla vot' argent que je vous rapportons j'ons tretous été si honnêtes gens dans not' famille... Apostrophant son fils. Ah malheureux ! Je voudrions t'avoir étranglé de mes mains le jour que tu vins au monde. LE MARQUIS. Calmez-vous, Rustaut, remettez-vous, et expliquez-moi ce que cela veut dire. RUSTAUT, avec un sang-froid contraire. Oh ! Oui, Monseigneur, oui ; me v'là dans mon tranquille. Tant y a... Monseigneur, que v'là vot' argent que ce scélérat... Ce misérable... m'n'enfant pourtant... j'en ons assez de chagrin... Ouf, je ne pouvons parler. JEANNOT, au petit Marquis en pleurant de toutes ses forces. Monsieu le Marquis, vous m'avez fait là un vilain tour. LE MARQUIS, à son fils. Mon fils, est-ce que vous savez ce que cela signifie ? LE PETIT MARQUIS, pleurant. Embrassez-moi, mon papa ; j'avais bien dessein de vous le dire ; pardonnez-moi de ne vous l'avoir pas dit. LE MARQUIS. Quoi donc ? LE PETIT MARQUIS. C'est que je parlais avec Monsieur. En montrant son Gouverneur.... des gens pauvres ; il me contait comme ils étaient à plaindre, qu'ils n'avaient pas de pain, qu'ils mouraient de faim. LE MARQUIS. Eh bien ? LE PETIT MARQUIS. Eh bien, mon papa, tout cela me faisait bien de la peine. J'ai appris de Jeannot, qu'il était pauvre, qu'il avait manqué de pain ; et, pour empêcher qu'il n'en manque encore, je lui ai donné cette bourse que vous savez, pour le rendre tout d'un coup riche. JEANNOT, à son père. Vous entendais, mon père, il me l'a donnée. RUSTAUT, avec colère. Quoi, misérable ! D'eun enfant ! Une somme comme ça. LE MARQUIS. Paix, Ruftaut. Votre fils n'a point fait de bassesse, ce que mon fils lui a donné, j'entends qu'il le garde. Je vous en fais dépositaire, et je veux que cet argent soit employé utilement pour lui. Allez, ne maltraitez point ce garçon, qui me paraît avoir des sentiments qui ne vous feront pas de déshonneur. Rustaut veut s'approcher du Marquis pour le remercier.Point de remerciements, mon ami ; vous êtes un honnête homme, et je veux vous prouver par mes bienfaits, combien je fais cas de la probité. Retournez à votre ouvrage. Rustaut se retire ; il veut de temps en temps exprimer sa reconnaissance ; le Marquis lui fait signe de la main de de taire et de s'en aller. SCÈNE VIII. Le Marquis, Le Gouverneur, Le Petit Marquis. LE MARQUIS. L'air devient un peu froid ; retournons au château. Allez devant, mon fils. Le petit Marquis sort. SCÈNE IX ET DERNIÈRE. Le Marquis, Le Gouverneur. MONSIEUR LE GOUVERNEUR. Monsieur, ce trait de Monsieur votre fils me ravit l'âme ; il se montre digne de son père et il est bien agréable d'avoir à cultiver un naturel aussi bien disposé. LE MARQUIS. Je suis enchanté, Monsieur. Qu'il est doux d'être père d'un enfant heureusement né. ==================================================