******************************************************** DC.Title = UN MONSIEUR QUI N'AIME PAS LES MONOLOGUES, MONOLOGUE. DC.Author = FEYDEAU, Georges DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:09:26. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/FEYDEAU_HOMMEQUINAIMAITPASLESMONOLOGUES.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76168r DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** UN MONSIEUR QUI N'AIME PAS LES MONOLOGUES MONOLOGUE DIT PAR COQUELIN CADET, de la Comédie Française 1882. Tous droits réservés. GEORGES FEYDEAU PERSONNAGE UN HOMME. UN MONSIEUR QUI N'AIME PAS LES MONOLOGUES À Coquelin Cadet. [UN HOMME]. Non ! Je m'en vais ! Cela m'agace ! Il y a là, à côté, ce grand blond, vous savez, ce grand blond qui dit des monologues... Eh bien ! Il en dit un en ce moment !... Des monologues ! A-t-on idée de cela ! Si j'étais la préfecture de police, je les défendrais ! C'est faux ! Archi-faux ! Un homme raisonnable ne parle pas tout seul ; il pense, et alors il ne parle pas ! C'est ce qui le distingue des fous qui parlent et qui ne pensent pas. Admettre le monologue, c'est rabaisser l'humanité ! On devrait le défendre ! Cela me rend malade ! Moi, je n'admets le monologue... qu'à plusieurs ; parce qu'alors ce n'est plus un monologue ! Ce sont des gens qui se parlent ! Et nous, qui les écoutons, dans la salle, nous sommes comme des indiscrets ; mais ils ne s'occupent pas de nous. Tandis que celui qui vient nous débiter un monologue... de quel droit ? Qui est-ce qui lui demande quelque chose ? Enfin, c'est comme si je venais vous en dire un, moi ! Hein ! Qu'est-ce que vous diriez ? C'est faux, archi-faux, n'est-ce pas ? Eh bien ! Nous sommes du même avis. Ah ! Quand on a une excuse, bon, je comprends : c'est autre chose ! Ainsi, moi, tenez, j'ai un concierge... C'est très curieux... pas d'avoir un concierge, c'est une infirmité !... Non, c'est qu'il parle toujours seul. Mais lui, cela ne m'agace pas, parce qu'il a une excuse : il est sourd ! Il parle, c'est une façon de s'entendre penser.Mais, tenez, pour vous prouver que je ne suis pas de parti pris : la chanson, la romance, je comprends très bien ! Parce qu'il y a la musique ; c'est faux, archi-faux, mais il y a la musique. Voilà l'excuse. C'est une façon de vous dire : « Vous savez, n'en croyez pas un mot ! » Tandis que le monologue, on dirait toujours que c'est arrivé. Ainsi, dans les tragédies de Corneille, c'en est rempli ; chaque fois qu'il y en a un, je quitte la salle ; ça m'agace ! Et je ne rentre que lorsqu'un second personnage rentre aussi. C'est pour cela que vous me voyez toujours aux strapontins ; c'est plus commode pour sortir ! Malheureusement, on les a supprimés. Enfin, je vous demande un peu, quoi de plus ridicule qu'un homme qui a bien autre chose à faire que de bavarder tout seul, et qui se met à déclamer, par exemple : Déclamant.Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie !...C'est idiot !... Encore s'il y avait de la musique ! Il chante sur l'air de "Tout à la joie" de Fahrbach.[Note : Fahrbach, Philipp (1843-1894) : musicien allemand auteur de Polka et co-auteur de Melle Gavroche, opérette.]Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !Ah ! ah ! ah !N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ! Ah ! ah ! ah !Eh bien ! Ce serait tolérable : il y aurait une excuse ! mais sans cela il n'y en a pas.L'autre jour, j'étais en chemin de fer ; dans le même compartiment, il y avait un monsieur. Nous n'étions que deux... lui et moi ! C'était un Anglais... ou, du moins, il en avait l'accent... quand ilparlait... mais il ne parlait pas. Tout à coup, entre deux stations, il se met à remuer, à se tortiller, avec un flegme britannique ; puis, soudain, il desserre les dents... des dents britanniques, comme le flegme ; et je l'entends murmurer : « Oh ! yes, yes, water-closet ! oh ! là ! » J'ai compris que c'était de l'anglais. Un monologue en anglais, passe encore ; je ne pouvais pas lui en vouloir, au moins celui-là, il avait ses raisons !L'autre jour, j'étais à l'exposition : il y avait des dames, beaucoup de dames ; j'en avais une devant moi... Elle était très bien ! Elle parlait toute seule et j'entendais tout ce qu'elle disait : « Ah ! Je suis bien fatiguée !... Si je prenais une voiture... J'irais dîner avec plaisir au restaurant... Un bon buisson d'écrevisses, du champagne, oh ! Ce serait bon !... »Et ainsi de suite ; c'était un monologue ! Mais là, soit, il y avait une excuse ; je pouvais pas lui en vouloir ;... je ne lui en ai même pas voulu du tout... Enfin c'est un monologue qui m'a coûté très cher... Passons ! Tenez ! Ma femme !... Elle est bien bonne !... Pas ma femme, l'aventure. Elle était dans sa chambre, un soir, étendue sur son divan. Je rentre doucement ; elle parlait toute seule, elle disait des bêtises : « Auguste !... Viens !... N'aie pas peur, l'autre est sorti ! Tu n'as rien à craindre... »Auguste ! Je vous demande un peu ! Et je m'appelle Ernest. Elle faisait du monologue ! Mais je n'ai pas pu lui en vouloir : c'était inconscient... elle dormait !Enfin, celui-là, je le comprends, mais les autres... C'est faux, archi-faux. Ah ! Si jamais je venais comme cela, à propos de rien, vous raconter mes petites affaires, je voudrais que chacun de vous se levât et me criât : « Allez-vous-en ! allez-vous-en ! » Et tenez ! C'est une idée, si le grand blond n'a pas encore fini son monologue, je vais rentrer dans la salle, et je lui crierai : « Allez-vous-en ! allez-vous-en ! allez-vous-en ! » Il sort en courant. Fin ==================================================