******************************************************** DC.Title = UN SAMEDI SOIR, MONOLOGUE DC.Author = CROS, Charles DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 12:57:06. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DUVAUCHEL_SAMEDISOIR.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** UN SAMEDI SOIR MONOLOGUE 1881. Tous droits réservés. PAR X. et M. CHARLES CROS PARIS TRESSE, ÉDITEUR, GALERIE DU THÉÂTRE-FRANÇAIS - PALAIS ROYAL. PERSONNAGES UN HOMME. La scène est à Paris. Texte extrait de "Saynetes et Monologues, Nouvelle Edition", cinquième série, 1881. pp. 31-36 UN SAMEDI SOIR UN HOMME « Ouvre, Jeanne, c'est moi !... Je t'apporte un bouquet !... » Loquet : Sorte de fermeture très simple que l'on met aux portes qui n'ont point de serrure, et à celles dont le pêne est dormant. [L] Une invisible main a tiré le loquet ; La porte s'ouvre. Il entre, et, sur le seuil, regarde Mansarde : Chambre pratiquée sous un comble brisé. [L] D'un air d'amant vainqueur la riante mansarde - Un de ces coins touchés du doigt d'un enchanteur, Où l'on voit du soleil et des pois de senteur, Où l'on respire auprès des plus modestes choses Des parfums de baisers, de muguets et de roses ; Paradis sous les toits où l'amour nous conduit. Un désordre parfait règne dans ce réduit : Des chiffons sont épars à terre et sur tes chaises ; Des bobines de fil, des aiguilles anglaises Et des rubans froissés traînent un peu partout Parmi cet attirail d'une femme qui coud. Le vent, par la fenêtre ouverte sur la rue, Écru : Qui n'a point été soumis à l'eau. Soie écrue. Des brodequins de cuir écru. Fil écru, fil qui n'a point été lavé. Toile écrue, toile qui n'a point été blanchie. [L] Soulève le fouillis de fine toile écrue Étendu sur la table, et le chat familier Se cache, turbulent, dans des flots de papier, Dans le premier-Paris d'un journal politique Qui servit de patron pour tailler la tunique. Sur l'étroit lit de fer, complice des ébats, Coutil : Toile serrée et lissée, propre à envelopper des matelas, des oreillers, à faire des tentes, des habits d'été, des robes. [L] De très mignons souliers de coutil et des bas Sont jetés pêle-mêle auprès de la muraille, Corset : Espèce de corsage baleiné lacé derrière, que les femmes portent en dessous de leurs robes, et qui enveloppe et suit exactement les formes du buste depuis la poitrine jusqu'au dessous des hanches. [L] À côté d'un corset et d'un chapeau de paille Orné, suivant un goût qui sied aux jeunes fronts, Des fleurettes des champs, bleuets et liserons, Églogue : Ouvrage de poésie pastorale, où l'on introduit des bergers qui conversent ensemble. [L] Et léger comme un souffle ; et frais comme une églogue. On dirait l'atelier d'une modiste en vogue En train d'improviser des chefs-d'oeuvre nouveaux, Ou d'une couturière, au temps des grands travaux. L'ouvrière ? Elle est là, très brune, qui s'occupe À finir de poser les volants de sa jupe. Son âge ? Devinez ! Vienne encore un printemps, Et, sans qu'il y paraisse, elle aura dix-huit ans ! Vaillante, sans quitter du regard son ouvrage, Et comme poursuivant un idéal mirage, Elle est tout allégresse et tout activité. Mais pour qui donc ces frais dé toilette d'été ? Ah ! Le nouveau venu le soupçonne sans doute, Quoiqu'à peine on l'accueille et qu'à peine on l'écoute, Et que ce grand désir d'être belle demain Laisse à peine le temps de lui donner la main. La visite, après tout, la trouble, la dérange ; Ce n'est pas raisonnable, en effet, c'est étrange, Alors que le jour baisse et qu'on doit se presser, Cette prétention qu'il a de l'embrasser ! Une fée obligée à travailler pour vivre Assurément aurait de la peine à la suivre. Parfois, d'un ton railleur, à son blond vis-à-vis Elle permet pourtant de donner son avis Pour choisir un galon ou plisser une ruche. Mais lui se déconcerte et son esprit trébuche ; Qu'est-il donc arrivé pour qu'on lui batte froid ? Il prononce un « Je veux » En somme, c'est son droit !... - « Halte-là ! vous fripez mes manches de dentelle... Et ce décolleté ?... Qu'en penses-tu ? » dit-elle. Si l'amour aujourd'hui perd ses droits de seigneur Pour ces préparatifs qu'on fait en son honneur, Si l'éloquence émue et qu'un geste complète Doit céder au lyrisme exquis de la toilette, Ne t'en afflige pas, ô jeune homme amoureux, Toi qu'elle daigna mettre au nombre des heureux ! Égoïste jaloux, garde intacte l'ivresse Que réserve à toi seul ta divine maîtresse... Demain, quand vous irez, pour la première fois, Sourire au beau soleil et chanter dans les bois ; Quand, prenant la volée, après une semaine D'une captivité désolante, inhumaine, Tu voudras l'entraîner loin, bien loin de Paris, De ce beau dévouement tu recevras le prix En la voyant courir, par chacun admirée, Cette chère et cruelle enfant, cette adorée. Dans les sentiers perdus où tu la conduiras, Sur les berges du fleuve où, pendue à ton bras, Dans le gazon couvert de perles argentines Elle appréhendera de mouiller ses bottines, Les arbres salueront ta conquête et diront : « Voyez donc cette taille ! Et voyez quel bras rond Se montre sous ces plis d'étoffe transparente ! - Cette fille, bien sûr, doit être ma parente, » Pensera la fauvette en l'entendant chanter. Et les reines-des-prés se feront présenter Par les papillons bleus et les bergeronnettes À ta reine égrenant au vent ses chansonnettes Tandis que des roseaux, les demoiselles d'or Au svelte corselet, bourdonneront encor Devant ce ravissant, ce merveilleux poème : « Voilà celle qui fait ses robes elle-même ! » ==================================================