******************************************************** DC.Title = SCÉVOLE, TRAGÉDIE. DC.Author = DU RYER, Pierre DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:30:57. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DURYER_SCEVOLE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71575x DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** SCÉVOLE TRAGÉDIE M. DC. XLVII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. DE Mr. DU RYER. Achevé d'imprimer pour la première fois le deuxième janvier mil six cent quarante six. Représenté pour la première fois en 1646 au Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. LES ACTEURS. TARQUIN, roi des Romains. PORSENNE, roi d'Étrurie, ou de la Toscane. MARCILE, capitaine. ARONS, fils de Porsenne amoureux de Junie. LICINE, capitaine. JUNIE, fille de Brute amoureuse de Scévole. FULVIE, suivante de Junie. SCÉVOLE, amoureux de Junie. La Scène est dans le Camp de Porsenne devant Rome. ARUNI. Nom par lequel est parfois désigné Arons. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Tarquin, Porsenne, et sa suite. TARQUIN. Quoi ? Toujours différer le succès d'une guerreQui doit intéresser tous les Rois de la terre,Et joindre à leur pouvoir même la cruauté,Puisqu'elle venge un roi d'un peuple révolté.Vous avez vu le crime ou la fureur d'un homme Où Brute a fait monter l'insolence de Rome ;Vous voyez les effets de ses noirs attentatsPuisque vous me voyez chassé de mes États.Cependant aujourd'hui vous Porsenne vous-même,Qui m'avez vu tomber de ce degré suprême, Et de qui le secours s'est offert tant de foisÀ remettre Tarquin dans le nombre des Rois ;Vous enfin... PORSENNE. Qu'ai-je fait contre cette assistanceQue mon affection donne à votre vengeance ?N'ai-je pas pour remettre un sceptre entre vos mains Couverts de mes soldats tous les champs des Romains ?Ne fais-je pas paraître au pied de leurs muraillesTout ce qui rend affreux le Démon des batailles ?Rome qui m'opposait l'orgueil de ses rempartsLes voit avec horreur trembler de toutes parts. Enfin dans cette guerre on me voit en personneCombattre, non pour moi, mais pour votre couronne.N'est-ce pas témoigner que je sens vos douleurs ?N'est-ce pas noblement combattre vos malheurs ?N'est-ce pas vous donner d'assez visibles marques Que qui blesse un Roi seul blesse tous les Monarques ? TARQUIN. Oui Porsenne, il est vrai que vos soins généreuxÉclatent noblement pour un roi malheureux.Oui par votre secours Rome cette mutine,Par ses murs entrouverts voit déjà sa ruine ; Ses Remparts ébranlés sont prêts à succomber,Il ne faut plus qu'un coup pour les faire tomber.Mais vous le différez ce grand coup favorable,Qui doit remettre au trône un prince misérable :Mais vous le différez ce grand coup que j'attends, Et vous donnez relâche à ses nouveaux Titans,Forçons, forçons enfin ces superbes murailles ;Qu'un assaut glorieux m'épargne cent batailles ;Pour rendre la victoire et ses plaisirs tous pursIl faut voir le rebelle enterré sous ses murs. PORSENNE. S'il suffit pour dompter cette ville mutineQue nous lui fassions voir l'instant de sa ruine,Si l'on veut obliger ces ennemis des roisDe venir repentants se soumettre à vos lois,Pourquoi par un assaut où préside la rage, Irez-vous ruiner votre propre héritage ?Pourquoi par les rigueurs qu'inspire le courrouxIrez-vous renverser des murs qui sont à vous ?Que peut rendre un assaut à votre âme outragéeQue les restes affreux de Rome saccagée ? Mais serait-ce reprendre un État mutinéQue de n'en recouvrer qu'un reste ruiné ?Attendez un moment ce que le ciel destine,Lorsqu'à punir son peuple un Monarque s'obstine,Cette guerre féconde en funestes effets Est fatale au monarque aussi bien qu'aux sujets.Jamais dessus les siens un roi qui veut la gloireNe gagna par la force une heureuse victoire,Et la sévérité qu'il exerce sur euxEst d'une autre révolte un germe malheureux. Que si des révoltés l'insolence félonneAbuse du relâche, et du temps qu'on lui donne,Alors faisons agir la colère des lois,Alors armons nos mains de la foudre des Rois ;Et si jusques ici le sort qui vous opprime De Rome et des Romains favorisa le crime,Gravons-y par le fer, que des peuples mutinsN'ont jamais pour longtemps la faveur des destins. TARQUIN. Hé ! Quoi ? Si votre peuple ; hé ! Quoi ? Si l'ÉtrurieExerçait contre vous une même furie, Si par un coup mortel des plus noirs attentatsIl vous avait chassé de vos propres États,S'il vous avait contraint d'aller dans les provincesMendier l'oeil en pleurs l'assistance des Princes,Pourriez-vous en faveur d'un peuple mutiné Recevoir le conseil que vous m'avez donné.Certes un roi qui tient ce paisible langage,Ne sait pas ce que pèse un si mortel outrage,Certes il n'a jamais le tourment ressentiD'avoir eu place au trône, et d'en être sorti. Non, non, pour châtier cette forcennerieLa plus cruelle guerre a trop peu de furie ;Et quand il faut soumettre un peuple conjuréLe plus sanglant triomphe est le plus assuré.Il faut par le malheur de mes peuples rebelles Apprendre à vos sujets à demeurer fidèles ;Vous-même en me donnant des conseils rigoureuxEt propres à venger un Prince malheureux ;Vous-même vous devez hors de toute contrainte,Instruire vos sujets leur enseigner la crainte, Et leur montrer enfin par vos sévéritésCe que vous en feriez s'ils étaient révoltés.Rendez donc à mon sort sa splendeur ancienne,Fondez votre puissance en me rendant la mienne.Présenter le pardon qu'on ne demande pas, C'est donner de l'audace à des esprits ingrats,C'est faire croire à Rome après sa résistance,Que contre elle deux Rois ont manqué de puissance,Et que pour la gagner et pour se maintenirOn veut lui pardonner, ne pouvant la punir. S'il faut lui pardonner, il faut il faut attendreQu'en tienne le flambeau pour la réduire en cendre,Il faut avoir son peuple, il faut qu'il soit aux fers,Et qu'il se voie enfin sur le bord des enfers,Alors un beau pardon nous comblera de gloire Si nous le prononçons sur un char de Victoire,S'il n'est pas un effet de la nécessitéMais d'un beau mouvement de générosité. PORSENNE. Puisque pour terminer de si longues alarmesVous avez moins aimé mes raisons que mes armes, Je ne conteste plus. TARQUIN. Ainsi donc présumantQue vous donneriez tout à mon contentement,Et voyant dans les miens cette ardeur de courageQui des succès heureux est souvent le présageJ'ai contenté leurs voeux, et je leur ai permis D'attaquer aujourd'hui le pont des ennemis PORSENNE. Si comme votre honneur votre repos consisteÀ dompter des sujets dont l'orgueil vous résiste,Quoi que le sort destine au reste de vos joursJe rencontre ma gloire à vous donner secours. SCÈNE II. Porsenne, Tarquin, Marcile. TARQUIN. Voici quelque nouvelle, hé bien, hé bien Marcile.Enfin qu'avons-nous fait. MARCILE. Peut-être pris la ville. TARQUIN. Pris la ville ? MARCILE. Et je viens envoyé tout exprèsDe nos premiers efforts vous dire les progrès. TARQUIN. Enfin tu connaîtras peuple infâme et rebelle, Que de nos intérêts les Dieux font leur querelle.Mais enfin achevez Marcile, dites-nousEt l'état de la ville, et l'effet de vos coups. MARCILE. Dans le même moment que deux de nos cohortesOnt marché vers le pont et menacé ses portes, Les Romains animés d'un reste de vertuOnt fait une sortie et l'on a combattu.Ainsi les deux partis ont fait même entreprise,Ainsi les deux partis ont fait une surprise,Mais d'une ardeur si vive échauffé les esprits Qu'aucun des deux partis ne s'est montré surpris :On a des deux côtés fait paraître un courageQui semblait à tous deux promettre l'avantage,Et la victoire entre eux ne sait où se porterParce que tous les deux semblent la mériter. TARQUIN. Mais enfin. MARCILE. Mais enfin cette victoire augusteRegarde de bon oeil le parti le plus juste ;Les Romains affaiblis par le nombre des mortsOnt cédé lentement à nos derniers efforts. En montrant Aruni.Mais... SCÈNE III. Tarquin, Porsenne, Aruni. TARQUIN parlant à Aruni. Rome est donc à nous. ARUNI. Non, non. TARQUIN. Hé quoi Marcile ? ARUNI. Oui l'on a cru longtemps avoir gagné la ville,La fuite des Romains nous rendait glorieuxNous étions sur le pont déjà victorieux,Et déjà Rome esclave avant qu'elle succombeCroyait être des siens le bûcher ou la tombe ; Mais aussitôt le sort s'est comme repentiD'avoir favorisé le plus juste parti. TARQUIN. Ô Ciel qui me trahis ! Es-tu donc équitableD'abandonner un Roi pour un peuple coupable,Mérites-tu nos voeux ? PORSENNE. Ce succès me surprend. Dis le reste mon fils. ARUNI. Certes le reste est grand.Lorsque des ennemis la défaite et la fuiteSemblaient nous donner Rome à l'extrême réduite,Horace qui menait ce reste de RomainsSe retourne vers eux, leur fait signe des mains Leur parle fortement, les conjure, les piqueD'appuyer en tombant la fortune publique,Mais le bien du public est une faible loiQue l'on respecte peu quand chacun craint pour soi.Horace veut en vain retenir ces rebelles La frayeur les emporte, et leur prête des ailes ;On fuit, on l'abandonne, il ne voit plus d'appui,Bref il demeure seul et pour Rome et pour lui.Toutefois il tient ferme et nous montre visage,On dirait que le Ciel seconde son courage, Ou que le sort de Rome ait en lui ramasséEt la force et les bras de ceux qui l'ont laissé. TARQUIN. Quoi ? Tout seul contre nous et sans autre assistanceCe chef de révoltés vous a fait résistance. ARUNI. Il a résisté seul assisté de son bras Sur le pont chancelant qu'on rompait sous ses pas !Car durant le combat il criait à la villeRompez, rompez le pont, mon bras est mon asile.De là jetant sur nous des regards furieux,Il provoque au combat nos gens victorieux, Leur reproche en Héros un honteux esclavage,Vante la liberté, fait voir son avantage,Et par les faux appas qu'il veut faire goûterTâche à corrompre ceux qu'il ne peut surmonter.Enfin d'un si beau feu son audace animée A comme un grand prodige étonné notre armée,Et cet étonnement que sent chaque soldatA fait comme une trêve au milieu du combat.Ainsi pour un moment nos meilleurs CapitainesPour admirer Horace ont oublié leurs haines, Se regardent l'un l'autre, et demeurent honteuxD'attaquer un seul homme opposé devant eux :Mais enfin plus honteux qu'un homme les arrêteDe mille traits ensemble ils attaquent sa têteSon bouclier les reçoit, Horace les fait voir Et nous donne l'horreur qu'il devait recevoir.Partout où de nos gens le courage s'adresse,On rencontre partout sa force ou son adresse ;À peine en ai-je cru le rapport de mes yeux,On court de toutes parts, mais il est en tous lieux. Enfin Horace seul est partout où l'on donneEt remplit tout le pont de sa seule personne.Certes cet ennemi m'a surpris à mon tour,Certes cet ennemi m'a donné de l'amour ;Au moins j'ai regretté qu'une audace si belle Et si digne d'amour fût au coeur d'un rebelle. TARQUIN. Quoi ? L'on n'a pu l'abattre ? ARUNI. En vain de toutes partsNos gens poussaient sur lui des orages de dards,Il semblait que les Dieux aveugles pour les autresDétournaient tous les traits que lui poussaient les nôtres Et que pour faire honneur à chacun de ses coupsIls conduisaient les traits qu'il poussait contre nous.Mais si ce grand combat d'un seul contre dix milleEst un prodige illustre en prodiges fertile,La fin de ce combat et si grand et si beau Est en faveur de Rome un miracle nouveau.Comme enfin tous nos gens confus de tant d'audaceAllaient faire un effort pour renverser HoraceLe pont s'est entrouvert a fait un grand fracasEt dans les eaux du Tibre est tombé sous ses pas. L'air en a retenti, notre poursuite cesse,Et Rome en a jeté de grands cris d'allégresse.Horace en même temps jette l'oeil dessus l'eauEt comme préparé d'y faire son tombeau ;Dieu du Tibre, a-t-il dit, seconde l'entreprise Et reçoit un soldat qui défend ta franchise.Il se jette en parlant. TARQUIN. Et le Tibre irritéN'aurait pas englouti ce fameux révolté ? ARUNI. Non Seigneur, mais les Dieux ravis de son courageL'ont porté sans péril jusqu'à l'autre rivage, Et malgré tous les traits dont il est combattuOnt fait de son salut le prix de sa vertu,Ayant osé tout seul un acte magnanimeÀ qui l'on donnera moins de foi que d'estime.On eût dit à le voir balancé dessus l'eau Que même son bouclier lui servait de vaisseauEt qu'en poussant nos traits, tout notre effort n'exciteQu'un favorable vent qui le pousse plus vite.On eût dit qu'en tombant le Dieu même des flotsComme un autre dauphin le reçut sur son dos. Et que l'eau secondant une si belle audaceFut un char de cristal où triomphait Horace.Ainsi le pont brisé tombant pour son secoursA de notre victoire interrompu le cours :Ainsi nous pouvons dire et même à notre gloire Que dessus les Romains nous gagnons la victoire,Mais qu'Horace arrêtant nos pas et nos desseinsA vaincu les vainqueurs de Rome et des Romains. TARQUIN. Donc le crime de Rome à sa perte penchanteDes forces de deux Rois la rendra triomphante ! Devez-vous le souffrir ? Et ce fameux affrontNe se répand-il pas jusques sur votre front ?Non, non, ne laissons pas à cette ville ingrateLa gloire de jouir du succès qui la flatte,Forçons ces révoltés, et ne me dites pas Que c'est mon propre bien que je renverse à bas.En l'état misérable où le ciel m'abandonneJe cherche la vengeance autant que la couronne. PORSENNE. Encore un coup, sachons si le peuple Romain,Comme on nous en assure est pressé de la faim. SCÈNE IV. Porsenne, Licine, Tarquin, Junie. PORSENNE. Que veut-on ? LICINE. L'on a pris une dame romaine. PORSENNE. Il faut la voir, Seigneur, Licine qu'on l'amène.Peut-être que la peur aura bien le pouvoirDe tirer de son coeur ce que l'on veut savoir. TARQUIN. Que vois-je ! Ha ma fureur te peux-tu bien contraindre ? PORSENNE. Dieux la fille de Brute ! Approche et sans rien craindre. JUNIE, suivie de Fulvie. Je t'obéis, Porsenne, et te rends ce devoirParce que le destin me met en ton pouvoir.Mais ne présume pas qu'une honteuse crainteDans la fille de Brute imprime quelque atteinte, Si ce n'est que l'honneur qui voit ses assassinsDoive craindre partout où l'on voit les Tarquins. TARQUIN. Superbe. JUNIE. C'est un nom que le crime te donne. PORSENNE. Garde ici le respect qu'on doit à la couronne. JUNIE. J'en ai pour toi Seigneur autant que je le dois. TARQUIN. Je t'apprendrai rebelle à respecter ton Roi. JUNIE. Frappe, j'attends le coup, je t'offrirai ma têtePlutôt que pour frapper ta main ne sera prête.Au moins cette action si célèbre de soiConfirmera partout ce que l'on croit de toi, Au moins cette action justifiera la haine,Que porte à son tyran la nation Romaine. PORSENNE. On n'a pas résolu de te persécuter,Ta prison sera douce, on t'y veut bien traiter,Parmi tes ennemis tu trouves ton asile, Mais montre-nous l'état où tu laisses la ville. JUNIE. Je n'étais pas à Rome, et venais d'en partirLorsque vos légions la vinrent investir.Depuis loin des Romains, à moi seule soumiseComme un bien paternel conservant ma franchise, Je fus prise en un Temple où je faisais des voeux,Je ne le cache point, contre vous et pour eux. PORSENNE. Ainsi les justes Dieux qui se vengent des crimesPunissent sur le champ les voeux illégitimes. JUNIE. Ainsi les justes Dieux ont mes voeux exaucés Puisque Horace est vainqueur, et vous a repoussés.Mais enfin apprenez que Rome est indomptable,Que pour elle la faim n'a rien d'épouvantable,Et que les aliments ne lui manqueront pasTandis que les Romains conserveront leur bras. Ce peuple pour sa gloire ennemi de la vôtre,Se nourrira d'un bras et combattra de l'autre. PORSENNE. Tu nous montres leur crime en pensant les louer. JUNIE. Ils sont prêts de sortir afin de m'avouer. TARQUIN. C'est trop perdre de temps en paroles stériles, Il faut avoir recours à des effets utiles. JUNIE. Donc ma seule présence a chassé ce grand Roi,Ainsi de Brute mort la vertu vit en moi.Tarquin et vous Porsenne armez tout contre Rome,Pour se sauver de tout, elle ne veut qu'un homme. Si mon Père a montré par des actes si grands,Qu'il ne faut qu'un Romain pour chasser cent tyrans,Que vient de faire Horace ? Il vient de vous instruireQu'il ne faut qu'un Romain pour défendre un empire. PORSENNE. Au moins il t'est permis malgré notre pouvoir, De flatter ton pays par un si noble espoir. JUNIE. Mais, Seigneur, cependant accorde à ma prière,Ce que l'honnêteté doit à ta prisonnièreEt confirme en mon coeur ce renom glorieux,Qui même à nos Romains t'a rendu précieux. Je suis ta prisonnière, il est vrai je l'avoue,Mais par de nobles soins mérite qu'on te loue.Je ne demande point un traitement si bonQu'il me fasse douter si je suis en prison ;Fais-nous un traitement qui ressemble à des gênes, Pour nous mieux arrêter charge-nous de cent chaînes,Nous ne voulons de toi qu'une captivitéOù soit, comme le corps, l'honneur en sûreté. PORSENNE. Cette demande est belle, et digne que l'on t'aime,Et ne pas l'écouter c'est haïr l'honneur même. Ainsi pour mettre en paix ton esprit combattuJe laisse ton honneur en garde à ta vertu ;Et pour te faire un bien dont l'excès te console,Je te laisse toi-même en garde à ta parole.Est-ce une sûre garde ? JUNIE. Oui Seigneur, et ma foi Me gardera bien mieux que les forces d'un Roi. PORSENNE. Mon fils ayez en soin, et parmi ses misèresFaites lui malgré Rome aimer ses adversaires. ARONS. De ce commandement je fais tous mes plaisirs. SCÈNE V. Arons, Junie. ARONS. Ainsi j'ai la moitié de mes plus beaux désirs. J'avais chez les Romains deux personnes si chèresQue je craignais pour eux nos fortunes prospères.Vous Junie autrefois la cause de mes feuxEt maintenant encor le sujet de mes voeux,Vous pour qui j'ai brûlé d'une secrète flamme. JUNIE. Seigneur ne faites rien qui tourne à votre blâme.C'est trop de cette amour que vous me destinez,Votre pitié suffit pour des infortunés :Mais quel est l'autre objet qui vous rend pitoyableAu destin des Romains ? ARONS. Un ami véritable, Un ami généreux de qui l'heureux secoursMe tira d'un péril qui menaçait mes jours.Je l'ai vu quelque temps plein d'une noble audaceCombattre avec les gens que conduisait Horace ;Mais hélas tout d'un coup après ces beaux efforts Je l'ai vu trébucher peut-être chez les morts. JUNIE. Que dites-vous Seigneur ? Serait-ce donc Scévole. ARONS. C'est lui-même Junie : hé quoi cette paroleVous trouble. JUNIE. Hélas Seigneur, ne pleurerais-je pasUn appui des Romains que le sort jette à bas ? Mais enfin donnez-nous le secours salutaireQue notre affliction obtient de notre Père. ARONS. Ne vous affligez point, votre captivitéN'aura pas moins d'appas qu'en a la liberté. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. JUNIE, seule. Amour de la patrie, ô belle et forte chaîne Qui dois seule enchaîner le coeur d'une Romaine,Amour de la patrie enfin pardonne-moiSi l'amour de Scévole y règne avecques toi.Ô mère des Romains ! Rome presque asservie,Hélas ! Quand tes enfants te vont rendre leur vie Au moins tu dois souffrir pour le prix de leur foiQu'on pleure avecques toi ceux qui meurent pour toiSi tu ne peux souffrir proche de tant de gouffresQu'on plaigne d'autres maux que les maux que tu souffres,Si tu ne peux souffrir que mon ressentiment Fasse couler mes pleurs à la mort d'un amant,Au moins tu souffriras qu'en sa perte communeJe pleure un défenseur, que t'ôte la Fortune.Ô Scévole ! Ô grand coeur ! Où règne la vertuSi j'ai par mes froideurs ton Amour combattu, Si jamais cet amour qu'emporte ta belle âmeNe tira de ma bouche un aveu de ma flamme,Je crois te satisfaire après tant de douleursLorsque entre Rome et toi je partage mes pleurs. SCÈNE II. Fulvie, Junie. FULVIE. Madame. JUNIE. Quoi Fulvie ? Et d'où vient cette joie. FULVIE. De celle qui vous touche et qu'un Dieu vous envoie. JUNIE. La déplorable Rome est-elle en liberté ?Ou l'illustre Scévole est-il ressuscité ? FULVIE. Au moins il est au camp. JUNIE. Dans le camp de Porsenne ?Il est donc prisonnier. FULVIE. Il est libre et sans peine. JUNIE. Tu penses l'avoir vu, tes yeux étaient voilés. FULVIE. Madame, je l'ai vu, nous nous sommes parlés.[Note : On dit "nous nous sommes parlé", mais à l'époque l'accord était autorisé.]Mais comme il vous croyait dans le sein d'un asileÀ l'abri des malheurs qui menacent la ville,Ayant par mon discours appris votre malheur J'ai presque aussitôt vu sa mort que sa douleur. JUNIE. Mais où l'as-tu trouvé ? FULVIE. Sur un chemin qui mèneD'un rivage du Tibre au quartier de Porsenne. JUNIE. Et quel est le discours que Scévole a tenu ? FULVIE. Ayant su le malheur qui vous est advenu Dieux, s'est-il écrié, dont j'attends un miracle,Devez-vous à ma course opposer cet obstacle ? JUNIE. Explique ce discours qui semble le choquer. FULVIE. Si je ne l'entends pas, pourrais-je l'expliquer ?Au reste il est armé non pas à la Romaine, Mais comme sont armés les soldats de Porsenne. JUNIE. Et pourquoi ? FULVIE. Sa réponse est contre sa vertu,Pour nous sauver Fulvie, a-t-il dit. JUNIE. Que dis-tu ? FULVIE. Ce que je ne crois pas. JUNIE. Pour se sauver Fulvie !Pour dérober à Rome et son sang et sa vie ! Ôte, ôte-moi du coeur ces sentiments douteux,Achève, ou ne dis rien si le reste est honteux. FULVIE. Quelques gens aperçus sur le même passageNous ont ôté le temps de parler davantage.Nous nous sommes quittés tous deux pleins de souci, Mais son chemin je crois s'adresse par ici. JUNIE. Pour se sauver, dis-tu ? Tu n'as point vu Scévole,Son courage dément cette lâche parole.Scévole se serait déguisé lâchement,Il se voudrait devoir à ce déguisement, Il se voudrait cacher, lui que l'honneur éclaire,À l'ombre du bouclier de son propre adversaire.Tu n'as vu qu'un Démon de sa forme vêtu,Qui tâche après sa mort d'étouffer sa vertu.Ô vertu de Scévole aux Romains si connue, Viens comme un beau soleil dissiper cette nue :Reviens, reviens Scévole, ou si quelque DémonTe fait servir toi-même à diffamer ton nom,Rentre dans le cercueil où je viens de te croire.Il vaut mieux te pleurer, que de pleurer ta gloire, Aussi bien es-tu mort et pour Rome et pour moiSi quelque lâcheté te fait vivre pour toi :Aussi bien désormais. SCÈNE III. Fulvie, Junie, Scévole. FULVIE. Mais le voici, Madame. JUNIE. Vous trompez-vous mes yeux, vous trompez-vous mon âme ? SCÉVOLE. Est-ce vous que je vois ? JUNIE. Mais plutôt est-ce toi, Ou quelque illusion qui se présente à moi ?Je ne connais point sous ces honteuses armesQui loin de m'assurer me donnent des alarmes. SCÉVOLE. Ô Dieux qui m'inspirez un si puissant effort,Fallait-il m'opposer un obstacle si fort. JUNIE. Crains-tu que je t'arrête ? SCÉVOLE. Oui je crains ta présence. JUNIE. Dieux vient-il confirmer une indigne croyance ? SCÉVOLE. Que dites-vous Junie, et sur quels fondementsPourriez-vous appuyer d'indignes sentiments ? JUNIE. Que direz-vous Scévole, et quelle noble excuse Pourra justifier ces armes que j'accuse. SCÉVOLE. Une illustre action qui mérite un autel,Qui rendra Rome libre et Scévole immortel.Je marche maintenant sur les pas de ton père.Son courage est partout le flambeau qui m'éclaire ; Mais sa fille est ici comme l'empêchementQui semble retarder un grand événement. JUNIE. Moi, moi l'empêchement d'une noble aventure ?Tu me blesses Scévole, et me fait une injure.Vas-tu dans le péril ? J'y conduirai tes pas, Vas-tu faire un grand coup ? Je pousserai ton bras :Mais enfin m'aimes-tu ? Veux-tu le faire croire ?Fais-moi part d'un danger qui conduit à la gloire. SCÉVOLE. Hélas ! Je tente un coup qui me signalera :Mais peut-être ton sang, ton sang le payera. JUNIE. Hé bien, me plaindrais-tu de payer de ma vieUn acte digne ensemble et de gloire et d'envie ?Quoi, le sang d'une fille est à ton jugementD'une illustre action un trop beau payement ?Si de ce sentiment ton esprit est capable, Tu ne sais pas le prix d'un acte mémorable.Parle donc. SCÉVOLE. Mais Fulvie, allez voir si ces lieuxN'ont point pour nous surprendre ou d'oreilles ou d'yeux. JUNIE. Allez : mais cependant ne crains point de surprise,On respecte ce lieu comme un lieu de franchise, Il n'est point d'yeux au camp qui veille dessus moi,Je suis libre en prison, et ma garde est ma foi,C'est l'adoucissement qui se trouve en ma peine,Et c'est une faveur que je dois à Porsenne. SCÉVOLE. À Porsenne ? JUNIE. À ce roi l'honneur des souverains Qui mérite en un mot d'être ami des Romains.Quoi Scévole s'étonne ! Et trouve-t-il étrangeQu'un louable ennemi reçoive une louange ? SCÉVOLE. Si tu peux le louer ainsi que ton appuiSouffriras-tu le bras qui s'arme contre lui ? Je viens enfin de creuser le tombeau de PorsenneComme le fondement de la grandeur Romaine.Juge si ce grand coup doit te mettre en danger. JUNIE. Il m'étonne Scévole, et tu dois le juger,Non pas que j'appréhende une mort effroyable Si celle de Porsenne à Rome est profitable ;Mais je veux que ton bras achève tes desseinsCrois-tu que cette mort soit utile aux Romains,Et ne juges-tu pas qu'au lieu de les défendreMille vengeurs d'un Roi renaîtront de sa cendre ? SCÉVOLE. S'il renaît de son sang mille monstres fameuxRome reproduira mille Hercules contre eux. JUNIE. Rome est-elle réduite à ce malheur extrême,Qu'il lui faille tenter un remède de même ? SCÉVOLE. Il faut ou que demain soit la fin de ses jours, Ou bien qu'elle reçoive aujourd'hui du secours.Tarquin ne combat plus pour une ville entière,Il combat seulement pour un grand cimetière,Tant le destin de Rome est triste et malheureux !La famine y produit tout ce qu'elle a d'affreux, Il n'est rien de funeste en toute la NatureQue la nécessité n'y change en nourriture :Bref le peuple de Rome emploie à se nourrirTout ce qui peut aider à le faire mourir.Aussi voit-on partout des images tragiques Et de malheurs publics et de maux domestiques.Là le fils chancelant de faiblesse et d'ennuiMettant son Père en terre y tombe avec lui ;Ici l'enfant se meurt d'une mort triste et lenteSur le sein épuisé de sa mère mourante, Et la mère qui voit ce spectacle inhumainSe meurt en même temps de douleur et de faim.Enfin on voit partout la mort en son imageChacun la porte au coeur ou dessus son visage,Et telle est ta patrie en cette extrémité Qu'elle semble un séjour de spectres habité :Mais cette extrémité féconde en tant de peineEst encore au dessous de la vertu Romaine,Même le peuple souffre avecques fermeté,Il veut le monument ou bien la liberté. Chacun sollicité d'une noble colèreSemble avoir hérité des vertus de ton Père,Et veut montrer que Rome au défaut d'autres biensN'a pas moins de Héros qu'elle a de Citoyens.On a vu des Vieillards languissants et débiles Et que l'âge a rendus à la guerre inutilesOn les a vu poussés d'un vif ressentimentAux plus jeunes guerriers s'offrir pour alimentComme s'ils espéraient changes en leur substanceÊtre encore de Rome et l'âme et la défense. JUNIE. Ô grands coeurs ! Mais hélas sans espoir d'aucun bienTu te mets en danger, et tu n'avances rien. SCÉVOLE. Mais nous en tirerons tous deux de l'avantage,Moi de mourir pour Rome en homme de courage,Et toi de ne voir plus un amant obstiné Que cent fois à la mort tes yeux ont condamné.Si je n'ai pu gagner ton amour poursuiviePar les plus beaux travaux qui signalent ma vie,Laisse-moi comme en proie à des maux inouïsMériter par ma mort l'amour de mon pays. JUNIE. Hélas ! SCÉVOLE. Plains-tu Porsenne ? JUNIE. Ah Scévole ! Ah JunieL'as-tu donc retrouvé s'il va perdre la vie ? SCÉVOLE. Quoi ? La fille de Brute oubliera sa vertu.Et pour notre adversaire elle aura combattu !Si Porsenne autrefois témoigna que son Âme Brûlait en la fureur d'une amoureuse flamme,Réponds à mes soupçons, croirai-je qu'aujourd'huiPour garder son amour tu me combats pour lui.Veux-tu donc l'épargner pour gagner la couronnePar qui sa passion marchande ta personne, Et que ton coeur illustre en ses nobles rigueursRejeta comme un bien qui corrompt les grands coeurs.Depuis quand préférer ce vain titre de ReineAux titres adorés de libre et de romaine ?Un ennemi régnant aura donc des appas Que Rome, que les tiens, que ton pays n'a pas ! JUNIE. Enfin par ce discours justement offenséeJe croirais que l'ardeur dont ton âme est pousséeEt que ce grand dessein pour toi si dangereuxSort d'un esprit jaloux plutôt que généreux. Mais s'il a des succès, n'importe à la patrieQu'il soit de ton courage ou bien de ta furie. SCÉVOLE. Oui je t'aime, il est vrai ; mais ne présume pasQu'un caprice d'amour conduise ici mes pas.Sache donc que voyant la ville menacée Et dedans et dehors également pressée,Je conçus dans mon coeur pour Rome inquiétéLe dessein de ma mort ou de sa liberté.Mais afin d'empêcher que la haine ou l'envieN'obscurcît de ses traits la splendeur de ma vie, Je vais droit au Sénat que je trouve assembléPour soulager les maux dont le peuple est troublé,Je demande à parler, je dis mon entreprise,On l'écoute, elle plaît, le Sénat l'autorise,Et pour trouver moyen sur l'heure et sur le champ Et de sortir de Rome, et d'entrer dans ce camp,On résout la sortie où le fameux HoraceVient d'effacer l'éclat des Héros de sa race.Ainsi favorisé de ce déguisementParmi les ennemis j'ai passé sûrement, Et j'emprunte leur forme, afin d'aller sans peineEt sans être connu jusqu'au coeur de Porsenne.Est-ce donc à ton gré marcher en furieuxQue de suivre la loi d'un Sénat glorieux ?Si tu veux condamner cette grande entreprise, Ne condamnes-tu pas Rome qui l'autorise ? JUNIE. Mais enfin réponds-moi, quel est ici ton but ? SCÉVOLE. Je cherche des Romains la gloire et le salut. JUNIE. Si l'on peut obtenir un si grand avantageSans que notre bonheur cause un si grand carnage, Le Sénat aurait-il tant d'inhumanité,Qu'un Laurier lui déplût s'il n'est ensanglanté ?Et toi-même Scévole es-tu si sanguinaire,Que tu veuilles sans fruit le sang d'un adversaire ? SCÉVOLE. Non Junie, et mon sang coulerait par mes mains, Si mon sang suffisait pour sauver les Romains. JUNIE. Laisse donc devant toi combattre ma paroleContre un Roi si puissant, pour Rome, pour Scévole.Tu mérites du moins par un destin si grandQu'on tâche à te sauver du péril qui t'attend, Et le bon traitement que je dois à PorsenneVeut qu'au moins d'un moment je recule sa peine.Lorsque j'aurai tâché de détourner sa mort,Au moins pour m'acquitter j'aurai fait un effort.Bref si de mes conseils ce prince ne profite Il ne tiendra qu'à lui que je n'aie été quitte,Et ton bras qui conduit la gloire et le hasardN'en aura triomphé que d'un moment plus tard. SCÉVOLE. Te laisses-tu charmer par de vaines caresses ?Redoute un ennemi qui te fait des largesses. Ce qu'on doit au pays nous acquitte de tout,Et Rome tombera si Porsenne est debout. JUNIE. Mais je la soutiendrai peut-être par lui-même.Si ce Prince m'aime, s'il témoigne qu'il m'aime,[Note : Cas très rare où, dans un alexandrin, une syllabe muette est à la césure.]Pourquoi pour le pays ne souffrirai-je pas Cet amour qu'il reçut de mes faibles appas ?Si j'ai quelques attraits, réponds-moi je te prie,Peuvent-ils mieux servir qu'à servir la Patrie !Diffère donc l'effet qu'on attend de tes coups,Ou je te crois barbare, ou je te crois jaloux, Ou je prends ta vertu pour une frénésieQu'inspire à ton esprit la seule jalousie. SCÉVOLE. Quoi, tu veux retarder ma gloire ? JUNIE. Je le veux. SCÉVOLE. Que ce mot est puissant sur un coeur amoureux !Hé bien pour t'obéir j'exposerai ma gloire, Mais quoi, que feras-tu ? JUNIE. J'obtiendrai la victoire. FULVIE. On vient, retirez-vous. JUNIE. Va, détourne tes pas.Je tâche à le sauver, Dieux n'y résistez pas ! SCÈNE IV. Porsenne, Tarquin, et leur suite. TARQUIN. Quoi ? Vous vous étonnez ? PORSENNE. Oui certes je m'étonneDes présages affreux que la victime donne. On ne perd pas les noms de grand, de glorieuxPour prendre l'épouvante aux menaces des Dieux. TARQUIN. Quoi, vous vous étonnez ? Cette âme grande et forteCraint un présage vain, crains une bête morte. PORSENNE. Quoi, vous ne craignez pas, et toutefois c'est vous Que menacent du Ciel la haine et le courroux.Jamais un sacrifice effroyable et funesteNe représenta mieux la colère céleste,Et malgré ces amis qui vous viennent d'en hautVous voulez sans raison hasarder trois assauts. TARQUIN. Que les Dieux à leur gré gouvernent le tonnerre,Et qu'ils laissent aux Rois à gouverner la terre,La vaillance, la force, un esprit généreuxChange un triste présage en un présage heureux.Donc vous vous figurez qu'une bête assommée Tienne notre fortune en son ventre enfermée,Et que des animaux les sales intestinsSoient un temple adorable où parlent les destins.Ces superstitions et tout ce grand mystèreSont propres seulement à tromper le vulgaire ; C'est par là qu'on le pousse, ou qu'on retient ses pasSelon qu'il est utile au bien des potentats.Mais les rois méprisant ces pleurs et ces bassessesDoivent être au-dessus de toutes ces faiblesses.Ils ont des bons succès les présages en eux Selon qu'ils sont puissants, ou qu'ils sont courageux. PORSENNE. Ha Tarquin, ce discours fait aux Dieux un outrageEt des maux que je crains c'est un fameux présage ! TARQUIN. Si ces Dieux que l'on craint aident des révoltés,Sont-ils nos protecteurs et des divinités ? Quand leurs présages vains favorisent les crimesQuand ils jettent à bas des Trônes légitimes,Ces Idoles, ces Dieux, ces abus des mortelsNe nous montrent-ils pas à rompre leurs autels ? PORSENNE. C'est trop, c'est trop Tarquin. TARQUIN. Si c'était trop Porsenne, Peut-être que déjà j'en souffrirais la peine. PORSENNE. Et peut-être aujourd'hui que vos calamitésMontrent à l'Univers que vous la ressentez. TARQUIN. Vous êtes trop pieux pour un Roi magnanime. PORSENNE. Et vous l'êtes trop peu pour un Roi qu'on opprime. TARQUIN. Quoi qu'ordonnent ces Dieux, le Destin ou le SortIl est temps de trouver ou le Trône ou la mort.C'est trop sacrifier ; pour gagner des conquêtesIl faut du sang humain et non celui des bêtes.Enfin de tous ces Dieux que se font les mortels À la victoire seule un Roi doit des autels.Mais pour favoriser nos sueurs et nos peinesElle exige de nous des victimes humaines,Et l'autel qu'elle veut des Princes fortunésC'est un champ de bataille, et des Mars ruinés. Allons donc noblement achever un ouvrageDont la fin ne dépend que d'un peu de courage. PORSENNE. J'attends l'occasion qui doit tout avancer. TARQUIN. Attendez-vous qu'un Dieu vous la vienne annoncer ?Hé quoi ? N'est-il pas temps pour vaincre en assurance D'attaquer l'ennemi quand il est sans défense ? PORSENNE. Non, non, il n'est pas temps de donner des combatsQuand les Dieux opposés nous retiennent le bras. TARQUIN. Quoi donc toujours les Dieux ! Ces Dieux que l'on m'opposeSont de belles couleurs qui cachent autre chose. Junie est dans votre âme, on ne l'en peut chasserEt c'est l'unique Dieu que l'on craint d'offenser. PORSENNE. Je ne m'étonne pas en l'état où nous sommesQu'ayant choqué les Dieux vous attaquiez les hommes. TARQUIN. Je ne m'étonne pas qu'un véritable Amant Immole son honneur à son contentement.En faveur d'une fille à ses yeux adorableIl peut bien délivrer tout un peuple coupable :Mais je m'étonne enfin qu'un Prince glorieuxFasse aux dépens d'autrui des dons si précieux. PORSENNE. Vous reconnaissez mal nos travaux et nos peines. TARQUIN. Je ne dois rien encore à des faveurs si vaines. PORSENNE. Et par ce sentiment vous nous faites bien voirQue votre coeur trop grand ne veut rien nous devoir.Certes vous faites bien ; quoi que l'on se propose, C'est une honte aux Rois de devoir quelque chose,Et pour vous l'épargner, Seigneur, nous voulons bienVous laisser en état de ne nous devoir rien. TARQUIN, seul. Confesse donc ainsi que Rome te surmonte,Si j'en souffre la perte, emportes-en la honte. Et malgré ce lien qui doit unir les RoisQuand la rébellion veut usurper les droitsFait cette injure extrême à la grandeur RoyaleQue de favoriser un coup qui la ravale.Si je perds un État, c'est perdre plus que moi Que de se déclarer indigne d'être Roi. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Arons, Marcile. ARONS. Oui Marcile, il est vrai, j'aime cette colèreQui doit priver Tarquin du secours de mon Père.Les Romains sont pour moi des peuples précieuxScévole vif ou mort me fait craindre pour eux, Scévole vif ou mort, et que mon âme embrassePour mes jours conserver me demande leur grâce,Et veut que pour payer ce qu'il a fait pour moiJe donne à son pays le bien que je lui dois. MARCILE. Quoi ? Pour un homme seul épargner une ville De la rébellion le refuge et l'asile !Certes c'est un grand prix. ARONS. Le bienfait est plus grand.Me conseillerais-tu ce que l'honneur défend ?Voudrais-tu secourir un Prince sacrilègeQui se rend le Tyran d'un Roi qui le protège ? MARCILE. Non Seigneur, mais il faut. ARONS. Voilà le Roi qui sort. SCÈNE II. Porsenne, Arons, Marcile. PORSENNE. Jamais Roi montra-t-il un plus lâche transport ?Voyez s'il veut périr, et causer son naufrage,Nous lui rendons sa gloire, et l'ingrat nous outrage.Le superbe est chassé de ses propres États, Il vient me demander le secours de mon bras,Et l'on dirait à voir l'orgueil qui l'environneQue c'est moi qui demande, et que c'est lui qui donne. ARONS. Hé Sire ! Abandonnez ce Prince injurieuxQui nous traite en vassaux, et vous brave à vos yeux ; Prenez l'occasion maintenant favorableD'ôter à votre État un voisin formidable.Qu'on ne dise point qu'il est de votre honneurDe relever encore son Trône et son bonheur,Vous avez assez fait pour votre propre gloire D'avoir pu dans ses mains enchaîner la victoire,Vous avez assez fait de montrer aux Romains,Que leurs murs tomberaient si vous leviez les mains ;Quelle loi maintenant, quel honneur vous engageÀ rétablir un Roi qui vous fait un outrage ? Et quel illustre excès de générositéPeut inspirer l'oubli de cette indignité !Un Roi peut oublier sans offenser sa gloireD'un sujet criminel la faute la plus noire :Mais lorsque par les Rois les Rois sont outragés, Ils doivent tout tenter afin d'être vengés ;Ou si de leurs pareils ils souffrent quelque offense,Ils se font soupçonner de crainte et d'impuissance,Et plus que le malheur de cent tristes exploits,L'impuissance et la peur déshonorent les Rois. Montrez donc que sans vous la Fortune ennemiePour l'injuste Tarquin n'a que de l'infamie.Qu'il tombe, qu'il périsse avec tous ses desseinsPour vous venger de lui, délivrez les Romains,Et que Rome aujourd'hui vous doive la franchise Que de sa vertu seule elle s'était promise.Si les maux de Tarquin, si les impiétésChassent de son parti tous les Dieux irrités,Son orgueil criminel, et digne du tonnerreEn doit aussi châtier tous les Rois de la terre. MARCILE. Certes ce sentiment est noble, et généreux,Mais l'effet ce me semble en paraît dangereux ;Si vous épargnez Rome, et que votre indulgenceVeuille en sa liberté borner votre vengeance,Par cent et cent chemins, Tarquin ne peut-il pas Avec Rome d'accord rentrer dans ses États ?Et pensez-vous qu'alors sa force et sa furiePar vous-même allumée épargne l'Étrurie ?Sire pardonnez-moi, l'on sait mal se venger,Quand après la vengeance on demeure en danger. Rome n'attend plus rien des forces de la terre,Chaque coup qu'on lui donne est un coup de tonnerre,Et dans ce triste état il faut que les RomainsOu nous tendent la gorge, ou nous tendent les mains.Mais après leurs efforts, après leur résistance Qui passent les effets de l'humaine vaillance,Peut-on quitter les murs qui nous séparent d'euxQu'on ne semble lever un siège si fameux ?Se retirer ainsi, c'est céder la victoire,Et moins abandonner Tarquin que votre gloire. Sire, il faut se venger, mais par de plus grand coups.Vous devez prendre Rome, et la prendre pour vous.Il faut la retenir et tout ce qu'elle enserreComme un gage assuré des frais de cette guerre,La flatter cependant des douceurs de la paix, Et gagner le Romain à force de bienfaits.Il déteste Tarquin, il nous le fait paraître,Et croira s'en venger s'il peut changer de Maître.Mais pour mieux vous gagner et Rome et les RomainsVous aimâtes Junie achevez vos desseins, Que l'illustre lien d'un pompeux hyménéeAttache une Romaine à votre destinée. ARONS. Ce conseil est étrange et peu juste. MARCILE. Je croisQu'il est juste Seigneur, s'il est utile au Roi. ARONS. L'utilité d'un Roi sera donc sa justice. MARCILE. Oui, son bien est la loi qu'il faut qu'il accomplisse.Et quand on ôte un Sceptre à qui n'a su régner,Il appartient à ceux qui le savent gagner.[Note : L'original donne comme locuteur suivant Julie, il s'agit de Porsenne. ] PORSENNE. Certes je hais Tarquin avec sa tyrannie,Et de vos deux conseils... Mais que nous veut Junie ? SCÈNE III. Junie, Porsenne, Arons. JUNIE. Roi couronné deux fois, une fois par ton sang,L'autre par ta vertu qui vaut mieux que ton rang ;Ta générosité me donne ici l'audaceDe venir demander une seconde grâce. PORSENNE. Demande librement tout ce que tu voudras, Demande aussi nos coeurs, et tu les obtiendras. JUNIE. Je ne demande rien qui ne soit pour ta gloire,Et qui ne te signale autant qu'une victoire,Tu veux vaincre, Porsenne, et suivant tes desseinsJe viens te demander la perte des Romains, Je viens te demander leur honte et leur suppliceSi leur parti n'est pas celui de la justice.Regarde donc ici d'un oeil plus curieux,Pour qui s'arme aujourd'hui ton bras officieux,Si c'est pour le secours d'un Prince légitime, Les Romains ont failli, que ton bras les opprime :Mais si pour un Tyran tu désoles nos champs,Vois s'il est glorieux d'assister des Tyrans.Veux-tu voir si Tarquin aima la tyrannie ?Fais-moi taire Seigneur, et fais parler sa vie, Tu verras qu'un grand Roi par ses coups massacréDu trône qu'il usurpe est le premier degré,Et qu'avec les raisons qu'il eut de le défendreIl assassine un Roi qui l'avait fait son gendre.Là pour monter plutôt sur un trône charmant, Mais du sang de son père encore tout fumant,Tu verras de Tarquin la femme sanguinaireFaire passer son char sur le corps de son père.Bien qu'à ce triste aspect ses chevaux pleins d'effroiSemblassent respecter le cadavre d'un Roi. Encore si d'un Règne acquis par violenceLa suite eût excusé la tragique naissance.Mais toujours sur un trône injuste et profané,Le crime avec Tarquin demeura couronné,S'il a donc par le crime une couronne acquise, S'il en usa plus mal qu'il ne l'avait conquiseQuand Rome l'a chassé, quand Rome l'a banni,N'est-ce pas un Tyran que sa haine a puni ?Ainsi Rome a donné de glorieuses marquesDe ce juste respect qu'elle a pour les Monarques ; Peut-elle mieux montrer qu'elle honore les Rois,Qu'en punissant celui qui dérobe leurs droits,Et dont l'âme de sang injuste et déloyaleSouille avec tant d'horreur la Majesté Royale.Cette ville invincible en vient de mériter Que les forces du Ciel la vinssent assister.Jette l'oeil sur Horace et sur son aventure,A-t-elle quelques traits qui soient de la Nature ?Avoir seul combattu mille et mille soldats,Avoir seul arrêté leur fureur et leurs pas, Avoir seul tout couvert de splendeur et de gloireAux forces de deux Rois dérobé la victoire,C'est sans doute un effet que l'homme audacieuxNe peut s'attribuer sans le ravir aux Dieux,C'est sans doute un effet qui doit assez t'instruire Que tous les Dieux en lui soutiennent notre Empire.Cependant ô prodige ! Un Roi si glorieuxCombat pour un Tyran, contre Rome, et les Dieux,Il cherche pour le crime une infâme victoire,Et met tout l'Univers en doute de sa gloire. Cherche, cherche des noms et plus beaux et plus grandsQue de restaurateur du crime des Tyrans.Pour moi qui te souhaite une palme honorable,Pour moi que tes bontés rendent ta redevable,J'ai cru pour m'acquitter te devoir ce discours Qui doit sauver ta gloire, et peut-être tes jours. PORSENNE. Si j'ai de quelque grâce honoré ton mérite,Le bien que tu me veux me paye et te rend quitte.Mais enfin il est temps que nous te fassions voirCombien dessus nos coeurs tes yeux ont de pouvoir. Rome, Rome est trop peu, ton destin nous demandeAvec plus de justice une gloire plus grande. JUNIE. À ce rare bienfait Seigneur, n'ajoute rien,Il suffit pour ta gloire, il suffit pour mon bien. PORSENNE. Rome est trop peu pour toi, Noble, et chère adversaire. JUNIE. Si mon pays est peu, quel don peux-tu me faire ? PORSENNE. Des dons dignes de toi, des dons si précieux,Que le Ciel n'en fait point qui soient plus glorieux,Nous voulons sur ta tête attacher la couronne,Nous voulons te donner le pouvoir qu'elle donne, Et te faire avouer par des biens inouïs,Qu'où l'on trouve le Sceptre on trouve son pays. JUNIE. Quoi tu veux me donner un empire et ses charmes,Et tu refuseras mon pays à mes larmes ? PORSENNE. Certes j'en suis fâché ; je ne puis te flatter, Mon honneur le demande, il le faut contenter.Mets donc en oubli Rome. JUNIE. Oublier ma Patrie !Est-ce un Roi qui me parle, ou Tarquin en furie ?Car ce sont les Tyrans, et non pas les vrais RoisQui prescrivent aux coeurs de si cruelles lois. Oublier mon Pays ! Je ne puis me contraindre,Seigneur que dites-vous ? PORSENNE. De quoi peux-tu te plaindreSi je donne à ton sort aujourd'hui languissantPour des murs ruinés un trône florissant ? JUNIE. Peut-être que ce trône est plus prêt de sa chute, Que ces murs ruinés que ton bras nous dispute.Peut-être que le Ciel qui borne ton pouvoirLui conserve un appui qui va te faire choir. PORSENNE. Puisque notre grandeur doit être ton partageFais ici des souhaits plus à notre avantage, Ton sort m'est précieux, et peut-être qu'un jourEntre les plus grands biens tu mettras mon Amour. JUNIE. Ton amour ! PORSENNE. Je sais bien que mon âge t'offense :Mais regarde ce Prince orné de ma puissance,C'est mon fils, c'est enfin l'esclave couronné Que tes yeux gagneront s'ils ne l'ont pas gagné. JUNIE. Mais tourne un peu les yeux, vois Rome, et lui demandeCe qu'il faut que je fasse, et ce qu'elle commande.À quelque grand hymen qu'on m'aille assujettir,Porsenne c'est ma mère, elle y doit consentir. Parle donc, réponds-nous ô Rome combattue ;Dois-je joindre ma main à la main qui te tue ?Quoi tu voudras dans Rome établir les Enfers !Quoi tu la couvriras et de sang et de fers !Sont-ce là les appas dont le sage Porsenne Croit attirer à soi le coeur d'une Romaine ?Aimerais-tu ton fils s'il aimait le vainqueurDont la sanglante main te percerait le coeur ?Et voyant ma Patrie à mes yeux combattueDois-je joindre ma main à la main qui la tue ? Non, non, Seigneur. PORSENNE. Adieu, tu m'écouteras mieux,Quand nos justes desseins paraîtront à tes yeux.Mais Marcile, est-on prêt pour la revue ? MARCILE. Oui Sire, et tous vos chefs ont cette loi reçue. PORSENNE. Allons donc, cependant ma fille songe à toi, Considère les biens que te présente un Roi.Lorsque pour sa patrie on manque de puissance,On peut songer sans crime à sa propre défense. JUNIE seule. Alors il faut périr ; mais dans le même tempsIl faut sous sa ruine accabler ses Tyrans. Ô Scévole ! Ô Patrie ! Ô mourantes merveilles !Comme j'ai pour vous deux des tendresses pareilles,À tous deux équitable hélas j'ai fait des voeux,Et même des efforts pour vous sauver tous deux.Mais soit que le Destin s'offre ici pour obstacle, Soit que pour sauver Rome il réserve un miracle,Hélas ! De deux objets que j'aime également,Dont l'un est ma Patrie, et l'autre mon Amant,Il faut exposer l'un, et n'être pas certaineQue sa perte et sa mort tire l'autre de peine. SCÈNE IV. Scévole, Junie. SCÉVOLE. Hé bien, qu'avez-vous fait ? JUNIE. Je t'ai mis en étatD'obéir justement aux ordres du Sénat.Et par quelques grands coups que ta fureur éclateJe me suis mise au point de n'être plus ingrate.J'ai tâché de sauver ce déplorable Roi Pour payer noblement le bien que je lui dois.Mais enfin je suis quitte avecques sa puissance,Puisqu'il a refusé notre reconnaissance ;Et bien qu'il ait un coeur grand, généreux et fort,Puisqu'il aide un Tyran il est digne de mort. Va donc, va, mais hélas ! SCÉVOLE. Quoi la fille de BruteEntre Rome et Porsenne est encore en dispute.Elle craint... JUNIE. Oui je crains : mais hélas c'est pour toi,Le danger qui te suit me donne de l'effroi.Et ta vertu qui court où le péril l'appelle Mérite pour le moins que l'on craigne pour elle.S'il n'est point de Romain qui ne te doive un prixPour cet acte fameux qu'a ton bras entrepris,Hélas ! Ne pouvant rien où je suis si contrainte,Pour le moins pour ton prix je te donne ma crainte. SCÉVOLE. Si le danger est grand, et tel que je le crois,Excite-moi plutôt que de craindre pour moi,Ou si tu veux me faire une ample récompenseDis que d'un peu d'amour ta crainte a pris naissance,Je suis hors de danger, je suis déjà vainqueur Si je puis en partant me laisser dans ton coeur. JUNIE. Quoi ? Lorsque ton courage et ta noble furieVeut briser par tes mains les fers de la Patrie,Faut-il nous demander la fin de nos rigueurs ?Faut-il nous demander notre Amour et nos coeurs ? Ne dois-tu pas juger par des vertus si grandesQu'on t'a déjà donné ce que tu nous demandes ? SCÉVOLE. Quoi ? Ton Amour Junie ! Ô trop charmant discours ! JUNIE. Bref tu portes mon coeur au danger où tu cours. SCÉVOLE. Vous m'aimez ! JUNIE. Mais enfin que cela te convie Non pas à différer de hasarder ta vie ;Mais à me faire voir par une belle mortQue je devais plutôt t'avouer ce transport.Car enfin ou vainqueur, ou vaincu de Porsenne,Je le dis en pleurant, ta ruine est certaine. Peux-tu frapper un Roi de sa force assisté ?Ou peux-tu le manquer avec impunité ? SCÉVOLE. Ainsi n'appartient-il qu'à la vertu RomaineDe courir à la mort et visible et certaine.Mon trépas sera beau, superbe, et renommé Si je péris pour Rome, et si je meurs aimé.J'avais cru que l'honneur, j'avais cru que la gloirePouvait seule payer ma mort ou ma victoire.Mais enfin ton Amour m'apprend à cette foisQue l'amour peur payer les plus nobles exploits. Soit que pour m'exciter tu feignes cette flamme,Soit qu'un feu véritable échauffe ta belle âme,Je vais d'un même pas, et d'un pareil effortChercher dans le péril la victoire ou la mort.Si tu feins de m'aimer, ô fille incomparable, Je m'en vais mériter une amour véritable, Ou si d'un pur amour ton coeur est enflammé,Je vais en mériter d'être encor plus aimé. JUNIE. Moi, moi pour t'exciter feindre ici que je t'aime !Oui Scévole il est vrai, mon amour est extrême : Mais lorsque la Patrie a besoin de ton bras,S'il fallait t'exciter je ne t'aimerais pas,Car enfin la vertu ruine son mérite,Et n'est jamais vertu quand il faut qu'on l'excite.Je t'aime et je te vois d'un oeil presque envieux Tenter pour le pays un péril glorieux.Ce n'est pas que mon âme à la tristesse ouverteNe ressente déjà les douleurs de ta perte.Déjà mon coeur privé de l'espoir de tout bienEst traversé des traits qui vont percer le tien ; Et peu s'en faut Scévole en pareille aventureQue contre ta vertu mon amour ne murmure.Mais à quelque péril qu'elle t'aille jeter,Loin de me plaindre d'elle il la faut imiter.Tu t'exposes Scévole en illustre en grand homme, Et si je ne puis rien pour le salut de Rome,J'y veux contribuer par le consentementQue je donne au dessein qui m'enlève un Amant :Ainsi pour le pays je ferai quelque chose,Au moins en consentant que Scévole s'expose. SCÉVOLE. Ô d'un coeur généreux digne consentement !Sans lui j'eusse à regret exposé ton Amant ;Et par lui ta belle âme aura part à la gloireOu bien de mon trépas, ou bien de ma victoire.Quoi tu pleures Junie ? JUNIE. Et Rome doit pleurer Quand tu cours à la mort afin de l'en tirer. SCÉVOLE. Adieu je crains tes pleurs. JUNIE. Quoi que les Dieux t'apprêtentMa main te poussera si mes larmes s'arrêtent.Va, tu ne peux mourir d'un plus noble trépas,Mais l'amour peut-il perdre et ne soupirer pas ? ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Junie, Fulvie. JUNIE. Porsenne est mort dis-tu ? Le sais-tu bien Fulvie ? FULVIE. Le bruit en est trop grand ; il a perdu la vie. JUNIE. Sais-tu si l'on a pris celui qui l'a frappé ? FULVIE. Sanglant de ce grand meurtre on le croit échappé. JUNIE. On le croit échappé ? Bons Dieux est-il possible ? FULVIE. D'où vient qu'à son salut vous êtes si sensible ?Savez-vous de quel bras vient ce coup furieux ? JUNIE. Il ne saurait venir que d'un bras glorieux,Et l'on doit prendre part aux intérêts d'un hommeQui d'un tel ennemi vient de délivrer Rome. FULVIE. Et cependant on dit que l'infâme TarquinContre Porsenne même a poussé l'assassin JUNIE. Sur quoi fonder ce bruit ? FULVIE. Ayant cru que PorsenneVoulait favoriser la liberté romaine,On dit qu'il aima mieux ce Tyran inhumain Faire choir son appui que d'en être incertain. JUNIE. Tant mieux, s'il a fait choir l'appui qui le supporte,L'ennemi des Romains rend leur cause plus forte.Au moins il a fait voir. FULVIE. Mais j'entends quelque bruit. JUNIE. Ô dieux qu'ai-je aperçu, c'est Scévole qu'on suit ! Il se défend en vain et le nombre l'accable. SCÈNE II. Marcile, Scévole. MARCILE. Tu fuis, tu fuis en vain parricide exécrable. SCÉVOLE. Non, non je ne fuis pas, je retourne aux RomainsPour leur rendre raison de ce qu'on fait mes mains. MARCILE. Tu n'iras pas si loin. SCÉVOLE. C'est assez pour ma gloire Que je pousse chez eux le bruit de ma victoire. SCÈNE III. Arons, Marcile, Scévole. ARONS. Est-il pris ? MARCILE. Le voilà ce butin des Enfers. SCÉVOLE. Le voilà le fléau des Tyrans que tu sers. ARONS. Ô Dieux qu'ai-je aperçu ? Scévole ! SCÉVOLE. C'est lui-même. ARONS. Scévole à qui je dois plus que le Diadème, Dont le bras obligeant a combattu pour moi,Dont le bras outrageux s'arme contre mon Roi.Libérateur du Fils, mais assassin du Père,Parmi tant de sujets d'amour et de colère,Comment t'appellerai-je ? SCÉVOLE. Ami de volonté, Ennemi seulement pour la nécessité.Je t'aime cher Arons, et si quelque tempêteEncore à ton malheur penchait dessus ta têteTu me verrais encore armé pour ton secoursProdiguer tout mon sang pour conserver tes jours. Mais si comme ton Père abusant de tes armes,À notre liberté tu donnais des alarmes,Si tu faisais servir ta puissance et tes droitsÀ remettre un Tyran dans le trône des Rois,Moi-même transporté d'une noble colère, Je confondrais ton sang dans celui de ton Père.J'ai prolongé tes jours, j'en chercherais la fin,Et qui fut ton ami serait ton assassin.De quelques puissants noeuds dont l'amitié nous lie,L'amitié ne peut vivre avec la tyrannie ; Enfin si des Tarquins tu te rends le soutienUn ami des Tyrans ne peut être le mien.Que si ton coeur plus juste abandonne et détesteÀ tous les potentats un parti si funeste,Même quand ta fureur résoudra mon trépas Je t'aimerai toujours, je ne me plaindrai pas :Car enfin il est juste, et comme nécessaireQue tu venges sur moi le meurtre de ton Père. ARONS. L'effet a démenti ce dessein malheureuxQui te déclare injuste, et non pas généreux, Et ton coeur où l'Enfer a sa rage attisée,Est bien plus criminel que ta main abusée.Porsenne vit. SCÉVOLE. Les Dieux contre lui conjurésConduisent mieux les coups qu'ils nous ont inspirés.Ton Père est mort Arons, et mon bras t'en assure. ARONS. Il est vivant Scévole, et mon oeil te le jure.Et quelque coup mortel que ton bras ait poussé,Porsenne triomphant n'est pas même blessé. SCÉVOLE. Porsenne n'est pas mort ? ARONS. Loin de ce mal extrême,Il aura le plaisir de se venger lui-même. JUNIE. Comment as-tu manqué ce coup que j'attendais ? SCÉVOLE. Pour n'avoir pas connu celui que j'attaquais,Pour n'avoir pas osé me le faire connaître,De crainte qu'en parlant je me fisse paraître,Et que sur un soupçon je fusse retenu En montrant que le Roi me serait inconnu.J'ai donc frappé celui qu'une apparence vaineM'a fait considérer et prendre pour Porsenne. ARONS. Ta vie est en péril, tu m'as sauvé la mienne,Et me réduis au point de poursuivre la tienne. Ô toi qui vis ma mort et la sus détourner,Puis-je sans être ingrat, puis-je t'abandonner ?Ô toi qui de mon Père as attaqué la vie,Puis-je te secourir sans me montrer impie ? SCÉVOLE. Non, non, je suis plus juste, et je ne voudrais pas Par une impiété me sauver du trépas.Fais le devoir d'un fils, et dans cette aventureSois sourd à l'amitié pour ouïr la nature.Prends le parti d'un père, et pour venger ses droitsJe t'acquitte aujourd'hui de ce que tu me dois. Je suis coupable Arons ; mais quoi qu'on délibèreMon crime est seulement d'avoir manqué ton Père.Ô Rome ! Ô mon pays pardonne cette erreur,La faute est de mon bras, et non pas de mon coeur,La faute est de mon bras, non pas de mon courage Qui peur de cent Tyrans exciter le naufrage ;Ou plutôt si Porsenne évite le trépas,La faute est du hasard, et non pas de mon bras.Je confesse pourtant, généreuse Romaine,Que ce grand coup manqué doit m'attirer ta haine, Puisque quand il s'agit de faire de grands coupsLes fautes du hasard sont des crimes pour nous. JUNIE. Il suffit que ton bras ait fait voir à PorsenneCe qu'il doit redouter de la vertu romaine.Il a vu ton courage, et le redoutera, Quand même sa fureur te persécutera.Pour moi si ta vertu tant de fois témoignée,Comme un prix qui t'est dû ne m'avait pas gagnéeTu me conquêterais par ce fameux desseinQui te rend vénérable à l'Empire Romain, N'ayant pu te montrer plus grand ni plus aimableQue par ce beau projet sous qui le sort t'accable. ARONS. Dissimule du moins ce cruel sentimentEt demeure innocente au moins apparemment. JUNIE. Apprends à me connaître, et crois que mon estime Consiste à seconder un si célèbre crime,J'ai part au grand dessein que Scévole en a fait,Sache que je voudrais avoir part à l'effet.Je te plains toutefois d'être sorti d'un PèreDont le meurtre est un coup que la vertu suggère. ARONS. N'augmente point le mal. MARCILE. Seigneur permettez-moiD'accomplir les désirs, et les ordres du roi. ARONS. Quels ordres ? MARCILE. De mener devant lui le coupable. ARONS. Père Ami que vos droits me rendent misérable. SCÉVOLE. Adieu, c'est trop payer ce que j'ai fait pour toi, Que de te partager entre ton père et moi.Et toi dans le grand coeur veut être mon complice,Aime, aime ton pays sans briguer mon supplice ;Et si pour toi le Ciel se rendant plus humainTe reconduit un jour chez le peuple Romain, Dis-lui que je suis mort, non par l'injuste peineQue me va préparer le fureur de Porsenne,Mais par le seul regret pire que cent trépas,D'avoir pour le pays mal employé mon bras.Voilà, voilà mon crime, allons donc au supplice, J'ai manqué d'aider Rome, il faut qu‘on me punisse. JUNIE. Au moins tu mourras digne en ce célèbre jourD'être gendre de Brute et d'avoir mon Amour. ARONS. Son amour ! Qu'ai-je ouï ? Quoi, mon rival Scévole.Demeure un peu Junie, encore une parole. JUNIE. J'en ai trop dit Arons. ARONS. Ô sort prodigieux !Ô Dieux que ferons-nous ? JUNIE. Consultes-tu les Dieux ?Les Dieux te répondront que pour les satisfaireUn fils doit souhaiter la perte de son pèrePlutôt que de souffrir que pour des maux plus grands Il devienne Tyran en servant des Tyrans.Adieu fais ton devoir. ARONS. Quoi que je puisse faireSi je fais mon devoir, je me serai contraire. SCÈNE IV. Tarquin, Porsenne. TARQUIN. Sur un bruit qui m'outrage, et que quelque DémonSème de tous côtés pour noircir mon renom, Je viens me présenter moi-même comme otageEt pour votre assurance et pour votre avantage.Quoi ? L'on m'accusera sans respect de mon rangD'avoir cherché des mains pour verser votre sang.Non, non, si contre vous quelque raison m'anime Je sais bien me venger sans le secours d'un crime,Et lorsqu'on a blessé ma gloire ou mes ÉtatsJe sais faire la guerre et non des attentats.Je viens donc maintenant ou pour vous satisfaireSi je suis convaincu de ce coup sanguinaire, Ou pour être par vous moi-même satisfaitSi l'on m'accuse à tort d'un si lâche forfait. PORSENNE. On poursuit maintenant l'auteur de l'entreprise,Et nous serons tous deux satisfaits par sa prise. TARQUIN. Il ne faut point douter que ce coup inhumain Ne soit un attentat du rebelle Romain,Il croit qu'ayant aux Rois la couronne ravie,L'ouvrage est imparfait s'il n'attente à leur vie,Mais comment s'est commis cet horrible forfait. PORSENNE. J'ai vu plutôt du sang que le bras qui l'a fait. J'écoutais les raisons de quelques gens de guerreQuand j'ai vu luire un fer, et Stace choir à terre. TARQUIN. Qui vous fait donc juger qu'on s'adressait à vous. PORSENNE. Ce qu'a dit l'assassin en lui portant ses coups ?Meurs Porsenne a-t-il dit ; chacun a pu l'entendre, Il frappe et fuit soudain. TARQUIN. Et l'on n'a pu le prendre ? SCÈNE V. Porsenne, Marcile, Tarquin, Scévole. PORSENNE. Hé bien. MARCILE. Sire il est pris. PORSENNE. Qu'on le fasse venir.Il faut que mon aspect commence à le punir.Il faut... Mais le voici plein d'orgueil et d'audace,Si sa main n'est armée, au moins son front menace. Et l'on dirait qu'il vienne avec même desseinAchever par ses yeux ce que tenta sa main.Quel es-tu malheureux ? SCÉVOLE. Je suis Romain, Porsenne,Et tu vois sur mon front la liberté romaine.J'ai d'un bras que l'honneur a toujours affermi Tâché comme ennemi de perdre l'ennemi.Et maintenant qu'un sort plein d'horreur et de blâme,M'expose à la fureur que j'allume en ton âme,Je n'ai pas moins de coeur pour souffrir pour mourirQue j'en ai témoigné pour te faire périr. J'avais conclu ta mort, ordonnes-tu la mienne ?J'y cours d'un même pas que j'allais à la tienne.Enfin je suis Romain ; et de quelques horreursQue tu puisses sur moi signaler tes fureurs,Le propre des Romains en tous lieux invincibles, C'est de faire et souffrir les choses impossibles.Frappe voilà mon coeur ; mais ne présume pasPar mon sang répandu te sauver du trépas,D'autres coeurs que le mien forment la même envie,D'autres bras que le mien s'arment contre ta vie, Et mille transportés d'un courage aussi fortRecherchent comme moi la gloire de ta mort.Résous-toi Porsenne à ce péril extrêmeDe donner chaque instant des combats pour toi-même,Et d'avoir l'ennemi tôt ou tard ton vainqueur, Toujours dans ton Palais et proche de ton coeur.La jeunesse romaine à la foudre semblableTe déclare par moi cette guerre effroyable,Ne forme des desseins que contre ton salut,Et de ton coeur sanglant fait sa gloire et son but. Ne redoute donc plus nos puissantes arméesÀ ta confusion si souvent animées.Mais que chaque Romain t'inspire de la peur.Puisque chaque Romain ne butte qu'à ton coeur.Si ma main ne t'a pas la lumière ravie, Ce n'est pas que les Dieux prennent soin de ta vie,C'est qu'ils veulent ces Dieux qui combattent pour nousQue tu sentes la crainte auparavant les coups. PORSENNE. Jamais un assassin montra-t-il plus d'audace,C'est lui qui doit trembler, et c'est lui qui menace. SCÉVOLE. C'est à faire aux Tyrans de craindre et de trembler,Aux Romains de les vaincre, et de les accabler. PORSENNE. Quelle rage bons Dieux ! SCÉVOLE. Ce n'est point une rageQui pousse contre toi ma main et mon courage,Quelque ardeur qui m'inspire un courage si glorieux, Ici je suis semblable aux Ministres des Dieux,Qui pour le bien public constants et magnanimesSans haine et sans fureur égorgent les victimes. TARQUIN. Traître, si ta fureur qui s'attaque à mon rangPour le bien des Romains devait verser du sang, N'était-ce pas le mien que tu devais répandre,Puisque c'est mon courroux qui réduit Rome en cendre ? SCÉVOLE. Penses-tu que ton sang qu'a négligé ma mainSoit digne d'occuper un courage Romain ?On t'a laissé la vie après ton injustice, Afin que sa longueur puisse être ton supplice ;Et l'on n'a pas à Rome ordonné ton trépas,Parce que dans ses maux Rome ne te craint pas.Mais si nous conspirons la mort de grand homme,C'est un signe évident qu'on l'estime dans Rome, Oui Porsenne, mon bras infidèle pour moiVeut marquer par ton sang l'état qu'on fait de toi.On regarde Tarquin sans crainte et sans envieComme un corps sans vigueur et privé de la vie :Mais on te considère avec tes grands efforts Comme l'âme qui meut ce détestable corps.On croit pour t'honorer que le fameux PorsennePeut retarder d'un jour la liberté Romaine ;Et c'est trop pour un peuple illustre mille fois,Et qui pour ses sujets aura bientôt besoin des Rois. PORSENNE. Que le peuple Romain est grand et magnanime !Qu'il est avantageux que Rome nous estime !Puisqu'elle veut juger les Princes couronnésDignes d'être aujourd'hui par elle assassinés.Sont-ce là des effets de cette ville Auguste, Qui fuit comme la honte une victoire injuste ?Et qui refuserait la gloire et le bonheurS'ils n'étaient pas offerts par les mains de l'honneur ? SCÉVOLE. Oui, ce sont des effets de cette ville AugusteQui croit que d'un Tyran la mort est toujours juste ; Mais qui voudrait combattre ainsi que pour ses droits,Pour le juste respect que l'on doit aux vrais Rois,Rome leur doit son être, et Rome les révèreComme un enfant bien né doit révérer son père,Toi donc je dis grand Roi, par nous-même loué, N'usurpe plus ce nom, tu l'as désavoué ;Enfin tu l'as perdu, puisqu'en ce rang suprêmeQuiconque aide un Tyran est un Tyran lui-même,Ne t'étonnes donc pas qu'après tes beaux exploitsOn ne te traite pas comme on traite les Rois ; Ne t'étonne donc pas que sans vouloir combattreRome laisse à mon bras la gloire de t'abattre,Chacun également les petits et les grandsOnt un droit naturel de punir les Tyrans,Et détruire avec eux celui qui les seconde, C'est faire un sacrifice utile à tour le monde. TARQUIN. Souffrirez-vous encor que cet audacieuxMéprise notre force, et nous brave à nos yeux. PORSENNE. Au moins pour t'épargner mille et mille supplicesDécouvre scélérat, découvre tes complices. SCÉVOLE. Ne les demande point, ils ne se cachent pas,Ils se vont découvrir par ton proche trépas. TARQUIN. Et vous différez la mort de cet infâme ? SCÉVOLE. Il a trop différé, moi-même je l'en blâme. PORSENNE. Qu'on allume des feux, qu'on me l'aille immoler, Les gênes le vaincront, et le feront parler. SCÉVOLE. Ajoutez les maux que l'Enfer nous peut faire,Quiconque sait mourir, sait bien aussi se taire. PORSENNE. Donc à cet inhumain montrez-vous inhumain.Vous amenez Junie, elle sait ses desseins ; Ses discours animés d'orgueil et d'insolenceEn donnent trop de jour et trop de connaissance. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. ARONS, seul. Mais tu dois la lumière à son bras généreux.Mais il est ton Rival ; mais faut-il malheureuxQue le nom de Rival excite ta colère Plus que les noms affreux d'assassin de ton Père ?Quoi, je puis excuser ce coeur audacieuxQui vient de s'attaquer à l'image des Dieux.Quoi, je puis l'excuser quand je le considèreAinsi que l'ennemi du destin de mon Père, Et je ne puis le voir sans haine et sans effroiLorsque comme Rival il se présente à moi.L'outrage est-il plus grand d'aimer celle que j'aime,Que d'avoir attenté contre mon Père même ?Ha ! S'il est aussi grand dans un coeur généreux, Il est aussi sensible à l'esprit amoureux.Ô raison que je blesse ! Ô nature offensée !Corrige cette erreur de mon âme insensée.Laissons choir sur un chef coupable mille fois,Et la foudre des Dieux, et la foudre des Rois, Peut-être que le Ciel qui demande sa peine,L'a rendu mon Rival pour exciter ma haine.Mais le Ciel voudrait-il que mes soins dépravésArmassent contre lui les jours qu'il m'a sauvés.Il m'a conservé l'âme, et cette âme inhumaine Médite tout ensemble et sa perte et sa peine.Meurs plutôt mon Amour, puisque c'est par tes feuxQue mon libérateur me devient odieux.Mais pour vaincre une Amour si puissante et si chère,Scévole en est-il moins l'assassin de mon père ? A-t-il moins offensé ? Mais... SCÈNE II. Arons, Junie. ARONS. Où la menez-vous ? JUNIE. On mène une Victime à ton père en courroux. ARONS à Junie conduite par les gens de Porsenne. Ne crains point, mon Amour te répond de ta vie. JUNIE. Je n'en suis pas en peine, et j'en ai peu d'envie.Tu détruis ma Patrie, et tu me défendras. ARONS. Réponds à mon amour et tu la sauveras.Je sais bien que Scévole occupe ta mémoire,Et qu'il fait de ton coeur, et son prix et sa gloire.Mais si pour son Pays Scévole a de l'amour,S'il veut y voir les biens et la paix de retour, Tu ne dois point douter que comme un grand remèdeÀ son propre Rival lui-même il ne te cède. JUNIE. Je sais bien que Scévole est assez généreuxPour servir son pays aux dépends de ses feux,Et suivant cette loi qu'il me ferait lui-même Sans consulter ici je quitte ce que j'aime.Je renonce en aveugle à mes propres désirs,Je forcerai mon coeur sans jeter de soupirs.Triompher de l'amour sans effort et sans peine,C'est la moindre vertu que Rome nous apprenne. Je m'immolerai donc à ton ressentiment. ARONS. Ô discours plein de charme et de ravissement. JUNIE. Mais si le grand Scévole a conservé ta vieQuand les traits de la mort elle était poursuivie,Je ne veux point douter que ce service heureux Ne t'ait charmé le coeur puisqu'il est généreux,Et que l'illustre Arons condamnant ma paroleSi je me donne à lui ne me rende à Scévole. ARONS. Oui, je te céderais à cet ami parfaitS'il était en état de jouir d'un bienfait. JUNIE. Veux-tu montrer une âme et généreuse et belle,Et digne que Scévole ait combattu pour elle ?Tire du précipice un ami si parfaitEt le mets en état de jouir d'un bienfait. ARONS. Mais puis-je avec honneur et pour te satisfaire Embrasser le parti de l'assassin d'un père ? JUNIE. Doncques avec honneur tu pourras au besoinDe ton libérateur abandonner le soin.Apprends, apprends Arons, qu'une âme généreuseDans les extrémités est plus ingénieuse, Et que pour contenter ses illustres transports,Sur l'impossible même elle fait des efforts.C'est sans doute un dessein qui n'est pas ordinaire,Que de solliciter pour l'assassin d'un père.Mais par quelle action témoignerais-tu mieux Que ton libérateur t'est cher et précieux ?Au reste ne crois pas que proche du naufrageL'intérêt de Scévole à ce discours m'engage,Son intérêt consiste à mourir glorieux,Et sa mort le va mettre au rang des demi-Dieux. Si donc tu dois tes jours à sa seule vaillance,Si je te sollicite à la reconnaissance,C'est pour t'apprendre au moins par quelque grand effetÀ mériter le bien que Scévole t'a fait. ARONS. Ah ! Que ne peux-tu voir mon âme à la torture, Ce qui fait l'amitié, l'amour et la Nature,Tu verrais plus de maux, tu verrais plus de fersQu'on ne peut figurer lorsqu'on peint les Enfers.Tu verrais là-dedans que parmi cet orageCeux que j'aime le plus me peinent davantage, J'ai peine de souffrir que ton objet vainqueurY combatte Scévole et l'ôte de mon coeur.J'ai peine de souffrir que mon Père en colèreY combatte Scévole, et Scévole mon Père,Je ne puis toutefois ces combats empêcher, Et ne sais quel parti me sera le plus cher. JUNIE. Prends celui de l'honneur. ARONS. Mais... SCÈNE III. Arons, Marcile. ARONS. Que peut-on Marcile ?Lui pouvons-nous donner une assistance utile ?Parlerons-nous au Roi ? MARCILE. Par vos commandementsJ'ai tâché d'observer ses secrets sentiments ; Mais je n'ai remarqué que fureur et que haine.Scévole voit déjà l'appareil de sa peine ;Les feux sont allumés, il est prêt de périr,Et si l'on veut l'aider il est temps de courir. ARONS. Faisons donc un effort. SCÈNE IV. Porsenne, Arons, Junie. PORSENNE. Ô prodige ! Ô merveille ! Sans le rapport des yeux incroyable à l'oreille.Ha mon fils, ha mon fils ! ARONS. N'êtes-vous pas vengé ?Quelque Dieu contre vous l'aurait-il protégé ? PORSENNE. Oui mon fils, sa vertu qui brave ma CouronneEst le Dieu qui le garde, et le Dieu qui m'étonne. ARONS. Vous puis-je demander e grand événementQui me fait prendre part à votre étonnement ? PORSENNE. Déjà tout était prêt, les feux et les supplices,Pour forcer ce Romain de montrer ses complices.Certes je ne saurais t'en tracer le portrait Sans frémir des discours ainsi que de l'effet.Parle, parle, lui dis-je, en lui montrant les flammes,Dis-nous les compagnons de tes maudites trames,Ou ces feux et ces fers que tu vois préparésT'arracheront du coeur les noms des conjurés. Il rit à ce discours, et loin de me répondreLorsque par les tourments je pense le confondre,Veux-tu savoir, dit-il, combien les hommes fortsAu regard de la gloire estiment peu leur corps ?Contemple avec effroi le fameux témoignage Qu'en va rendre à tes yeux ma main et mon courage.Alors comme voulant se venger de sa mainD'avoir manqué le coup qu'il portait dans mon sein,Il porte dans le feu cette main criminelle,La flamme l'enveloppe, il résiste contre elle, Bref il la voit brûler d'un oeil plus affermiQue s'il eût vu brûler celle d'un ennemi.Chacun tremble et frémit à ce spectacle horrible,Et celui qui pâtit paraît seul insensible.Moi-même, que sa mort doit ce semble assurer, Je suspends ma colère afin de l'admirer.Je ne sais quoi contraint mon âme combattueD'élever la vertu de celui qui me tue,Et par un sentiment ou d'horreur ou d'effroiPour ce noble ennemi plus touché que pour moi Je l'ai fait arracher de ce supplice étrangeQui le rend glorieux plutôt qu'il ne me venge.Ainsi quand on saura cette grande action,Et comment il souffrit cette punition,Sans doute, et je le crois, on dira que Porsenne L'arracha de la gloire, et non pas de la peine. JUNIE. Juge par ce grand coup, et par ces grands desseinsCombien te doit coûter la haine des Romains. PORSENNE. Quoi, partout de l'audace. JUNIE. Et partout des exemplesDe grandeur, de vertu, dignes même des temples. PORSENNE. Mais dignes des enfers, et d'un sort plein d'horreursSi je laissais agir mes trop justes fureurs.Certes par tes discours tu m'as bien fait paraîtreQue tu n'ignorais pas l'attentat de ce traître.Ingrate, et dans l'instant que tes voeux et son bras Cruels également poursuivaient mon trépas,Je voulais noblement réparer mes ruinesEt te donner un Sceptre à toi qui m'assassines. JUNIE. Oui, tu m'as présenté ces biens et cet honneurOù l'ambition même établit son bonheur. Mais sache qu'en mon coeur la qualité de ReineEst beaucoup au-dessous de celle de Romaine.Si tu m'as fait un bien, c'est par la libertéDont tu caches l'horreur de ma captivité.Mais de quelques rayons que cette grâce éclate Ne t'imagine pas que je t'en sois ingrate,J'ai voulu te payer, mais ton aveuglementT'en a fait refuser le noble payement,Et quiconque refuse une reconnaissanceN'en doit plus demander, son refus en dispense. Pourquoi par un discours inspiré par les cieuxT'ai-je représenté les Tarquins odieux ?Pourquoi t'ai-je voulu, favorable ennemie,Arracher d'un parti fertile en infamie,Et qui ne méritant que des maux éternels, Fait de ses partisans autant de criminels !Ainsi pour te payer d'une ombre de franchiseDont tu couvres les fers où la guerre m'a mise,Je voulais pour ton prix te donner un secoursQui sauvât tout ensemble et ta gloire et tes jours, Car je l'avais appris ce dessein magnanimeQui devait de nos Dieux te rendre la victime.Mais enfin connaissant que tes mauvais destinsT'attachaient pour te perdre au crime des Tarquins,Moi-même secondant leur haine découverte J'ai poussé le grand coeur qui courait à ta perte,Je n'ai pu retenir son bras trop malheureuxD'avoir manqué de faire un acte généreux ;Je n'ai plus empêché son illustre colèreD'exécuter un coup si grand, si salutaire, Car j'appelle les coups salutaires et grandsQui poussent aux enfers les amis des Tyrans. PORSENNE. Ingrate à mes faveurs tu diras les complices,Si ce n'est par douceur au moins par les supplices. JUNIE. Contente tes fureurs et tes ressentiments Ma vertu veut paraître, invente des tourments.Ce Romain a brûlé sa dextre triomphanteS'il n'en frappe ton coeur au moins il l'épouvante :Et moi pour enchérir par-dessus ses effortsJe verrai mettre en cendre et ma main et mon corps. PORSENNE. Tu veux donc me forcer ? JUNIE. Tu veux donc me contraindre ? PORSENNE. Songe que je le puis, et que tu dois le craindre. JUNIE. Je ne crains point les maux, les fers et la rigueurQui peuvent faire voir la force de mon coeur. PORSENNE. Faisons donc succéder contre notre espérance À l'injuste pitié la juste violence,Haïssons la douceur qui me met en danger,Aimons la cruauté qui m'en peut dégager.Va mon fils, fais gêner ce Romain détestable,À sa fausse vertu parais impitoyable, Laisse aller ton esprit jusques aux cruautés,Et garde en cet endroit d'imiter mes bontés. ARONS. Souffrez que quatre mots précèdent son supplice,Et que je fasse enfin un acte de justice.Vous souvient-il du temps que mon mauvais destin Me conduisit dans Rome à la Cour de Tarquin.Là Sire, vous savez qu'on attaqua ma vie,Que jusques au cercueil elle fut poursuivie,Et que par des complots bien plus noires que la nuitOù l'on crut lâchement en recueillir le fruit, Tous les miens écartés par la crainte et dans l'ombre,Me laissèrent en proie à des lâches sans nombre. PORSENNE. Quoi donc, mon meurtrier est-il aussi le tien ? ARONS. Si la vie est un bien, c'est l'appui de mon bien.Vous lui devez un fils qui malgré nos tempêtes Vous a depuis gagné conquêtes sur conquêtes.Enfin sans ce Romain armé pour mon secoursVotre oeil aurait pleuré la perte de mes jours.Ordonnez maintenant ce que ma main doit faire,Si mon libérateur doit sentir ma colère. Si j'oubliais le bien qu'il me donne en effet,Afin de le punir d'un mal qu'il n'a pas fait.Car enfin triomphant de ce péril extrême,Malgré lui vous vivez, et je vis par lui-même. PORSENNE. Doncques mon assassin, donc mon persécuteur Est en toi mon secours et mon libérateur.Ô Scévole ! Ô mon fils ! Ô Dieux que dois-je faireD'un si cher défenseur, d'un si grand adversaire !Mais puis-je maintenant sans agir contre moiConsulter en faveur de l'assassin d'un Roi ? Non, non, il faut qu'il meure, et les plus pitoyablesDoivent être cruels pour de pareils coupables.Eussent-ils conservé nos droits et nos enfants,Nous eussent-ils rendus mille fois triomphants,Les moindres attentats qui touchent nos personnes Effacent cent bienfaits rendus à nos couronnes.Mais quoi... Mais il importe, ôtons-nous de souci.Il faut, il faut enfin, mais qu'on l'amène ici. SCÈNE V. Tarquin, Porsenne, Arons, Junie, Scévole. TARQUIN. Le traître vit encore, et vous le laissez vivrePour redoubler le coup dont le ciel vous délivre ! Donc de fausses vertus désarment votre mainÀ l'instant qu'elle doit défendre votre sein ?Certes c'est mériter le mal qu'on nous destine,Que de laisser debout celui qui nous ruine.Le voici ce cruel comme victorieux D'avoir pu faire craindre un Roi si glorieux. SCÉVOLE. Oui Tarquin tu le vois, et son coeur en colèreFait au moins l'action que sa main n'a pu faire.Juge si je craindrais la fureur d'un bourreau,Vois si je me repends d'un attentat si beau, Moi qui viens de punir cette main criminelleD'avoir manqué le coup que Rome attendait d'elle.Toi Prince que j'estime, et que ma seule erreurGarantit aujourd'hui des coups de ma fureur,Délivre ton esprit d'une éternelle alarme, Il me reste une main, garde qu'elle ne s'arme :Mais avec tous tes soins tremble, frémis, et croisQue Rome a des enfants qui valent mieux que moi. PORSENNE. Retire-toi, Scévole, et reprends ton épéeAutrefois pour mon fils noblement occupée. Certes je te louerais, et louerais ta vertuSi pour mon Diadème elle avait combattu.Considère pourtant combien j'en fais d'estime,Puisque pour l'honorer je lui remets ton crime.À toi plus inhumain que cruel envers moi Tu me sembles Scévole, assez puni par toi.Va donc, et de chez nous par une grâce extrêmeN'emporte que le mal que tu t'es fait toi-même,Et va par ton salut témoigner aux RomainsQue Porsenne ne craint ni Rome ni tes mains. SCÉVOLE. Certes tu ne pouvais, magnanime PorsenneMe vaincre et me forcer par la peur de la peine :Mais il faut avouer que tu m'as surmontéPar cet acte fameux de générosité.Ainsi je te dirai par amour, et sans feinte Ce que tu n'aurais pas obtenu par contrainte.Je te découvrirai ce funeste détroitDont je te sauverais si Rome le souffrait.Sache que des Romains la plus belle jeunesseDans ton camp répandue attend ce que je laisse, Et que trois cent Héros brûlant de t'attaquerS'y préparent au coup que je viens de manquer.Le sort tombé sur moi m'a concédé la gloireDe tenter le premier cette grande Victoire,Les autres à leur tour marcheront sur mes pas Comme pour réparer la faute de mon bras.Et si de tant de mains qu'arme la même envie,Tu peux être vainqueur, et garantir ta vie.Alors je publierai que les Dieux sont pour toi,Et que Rome en danger doit craindre un si grand Roi. PORSENNE. Va, retourne dans Rome, et jouis de ma grâce,Je reçois ton avis sans craindre sa menace ;Plus fort que le fardeau qui semble m'accabler Mon salut apprendra que Rome doit trembler. TARQUIN. Quoi Porsenne, vous-même à vous-même perfide, Vous récompenserez un meurtre, un parricide ;Vous son fils que ce coup menace également,Serez-vous sans colère, et sans ressentiment ?Défendez votre père en ce moment horrible,Qu'il se rend à lui-même et funeste et nuisible. ARONS. C'est se rendre à mon gré coupable mille foisQue d'empêcher d'agir la clémence des Rois. TARQUIN. Père et fils aveuglés je vous rendrai justice :Scévole est mon sujet, je veux qu'on le punisse. JUNIE. Porsenne, ton honneur t'oblige désormais D'empêcher qu'un Tyran ne perde tes bienfaits. SCÉVOLE. Mais pour te faire voir Monarque magnanime,Que Rome est équitable, et qu'elle hait le crime,Autrefois elle offrait aux Tarquins tes parents,De s'en remettre à toi de tous ses différends ; Et maintenant encore elle veut s'y remettreSi Tarquin y consent, si tu le veux permettre. TARQUIN. Moi traiter autrement avec des révoltésQue par les châtiments qui leur sont apprêtésNon, non, après leur crime, et de telles alarmes Mes arbitres seront mes fureurs et mes armes. PORSENNE. Vous pourriez toutefois... TARQUIN. Je pourrais me trahir ?À mes propres sujets je pourrais obéir ?Non, non, pour conserver votre gloire et la nôtre,Je ne veux point de juge, et moins vous que tout autre, Vous qui m'ayant de l'aide et tant de bien promis,Favorisez pourtant mes propres ennemis. PORSENNE. Vous m'estimerez donc injuste et sacrilège.Oui Tarquin je le suis lorsque je vous protège. TARQUIN. Donc pour vous rendre juste aidez des révoltés. PORSENNE. Je suivrai la raison dont vous vous écartez. TARQUIN. Que ne commandez-vous qu'on enchaîne mes mainsEt que l'on m'abandonne aux fureurs des Romains ?Après avoir trahi la grandeur SouveraineC'est ce qui reste à faire au généreux Porsenne. PORSENNE. Je le devrais ingrat. TARQUIN en se retirant. Je crains peu ce danger,Et nous vivrons au moins afin de nous venger. SCÈNE DERNIÈRE. Porsenne, Arons, Junie, Scévole. JUNIE. Vois si quelque justice accompagne une causeDont le chef craint les Lois que l'équité propose. PORSENNE. Le sort en est jeté, je change de desseins, Je veux donner la vie et la paix aux Romains.Que l'ingrat se signale avec son arrogance,La liberté de Rome est enfin ma vengeance.Ce sera son supplice, et ce sera ton prixPour avoir su défendre et conserver mon fils. ARONS. Mais Sire, permettez qu'à cette récompenseJe joigne de ma part une reconnaissance. PORSENNE. Que pourrais-tu donner à qui tu dois le jour. ARONS. Lui céder devant vous l'objet de son Amour. PORSENNE. Aime-t-il donc Junie ? Est-il donc aimé d'elle ? ARONS. Oui Seigneur. PORSENNE. Brûlez donc d'une flamme immortelle.Je ne romprai jamais le lien amoureuxQui joint si noblement des coeurs si généreux ;Et puisqu'ils ont tous deux obtenu la victoire,L'un doit être de l'autre et le prix et la gloire Rome doit cet Hymen à tes justes souhaits,Et pour le célébrer je lui donne la Paix. SCÉVOLE. Rome jamais ingrate au soin qu'on a pour elle,Te rendra pour ses biens une gloire immortelle. PORSENNE. Ainsi par ta vertu Rome triomphera, Ainsi par mon Amour Rome subsistera,Et je veux qu'elle compte à la fin de sa peine,Entre ses Fondateurs et Scévole et Porsenne. LAUS DEO. ==================================================