******************************************************** DC.Title = LA BAGUETTE DE VULCAIN, COMÉDIE EN UN ACTE DC.Author = REGNARD, DUFRESNY DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:07. DC.Coverage = Pays imaginaire DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DUFRESNYREGNARD_BAGUETTEVULCAIN.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA BAGUETTE DE VULCAIN COMÉDIE EN UN ACTE 1693 REGNARD et DUFRESNY Représentée pour la première fois le 10 janvier 1693 en société. AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR SUR LA BAGUETTE DE VULCAIN, ET SUR L'AUGMENTATION DE LA BAGUETTE. [1823] Cette pièce, que Regnard fit en société avec Dufresny, fut jouée pour la première fois le 10 janvier 1693. On lit dans les Anecdotes dramatiques qu'elle eut un succès prodigieux dans sa nouveauté, et rien ne le prouve mieux que l'addition que les auteurs y firent sous le titre d'Augmentation à la Baguette de Vulcain. La pièce fit passer l'Augmentation, comme un tonneau de vin vieux en fait débiter plusieurs de vin nouveau. Cette comparaison est des auteurs eux-mêmes. L'Augmentation commence par le conte d'un cabaretier qui avait un muid de bon vin vieux : tout le monde en voulait avoir ; et il s'avisa, pour le perpétuer, de remplacer sans cesse par du vin nouveau ce qu'il ôtait du tonneau. Le conte est appliqué à la pièce. La Baguette de Vulcain est le bon vin vieux, que le public savoure depuis trois mois, et qui doit faire passer plusieurs scènes ajoutées, qui sont le vin nouveau. Ce n'est pas cependant que ces trois scènes soient inférieures à la pièce ; elles sont épisodiques comme les autres, et toutes roulent sur des demandes étrangères les unes aux autres, que Roger et le Druide sont chargés de décider. Il faut même qu'à la représentation on ait inséré les scènes de l'Augmentation dans la pièce ; non seulement les deux couplets ajoutés au Vaudeville le demandaient, mais la question de Bélise à Roger : « Jouez-vous encore aujourd'hui votre Baguette de Vulcain ? » (Scène première de l'Augmentation) ne peut se faire qu'avant que la Baguette soit jouée. Le titre de la pièce est pris de la Baguette divinatoire, qui, dans les mains du nommé Jacques Aymar, avait alors beaucoup de réputation dans Paris. Mais la pièce ne remplit pas son titre ; car il n'y a qu'une seule circonstance où la Baguette produise l'effet qui lui est propre ; c'est quand elle fait trouver le mari de Mélisse. Au reste, toute la fortune de la Baguette nous paraît devoir être attribuée à cette scène, et à celle où les moeurs du temps sont mises en opposition avec celles que l'on suppose avoir existé deux cents ans auparavant ; encore peut-on dire que l'ignorance de Roger sur ces moeurs anciennes est bien déplacée : il vivait sans doute dans le temps que Bradamante a été enchantée, puisqu'il était son amant. PERSONNAGES ROGER. Arlequin. BRADAMANTE. Isabelle. MÉLISSE. Colombine. FLORIDAN. Octave. ZERBIN. Pierrot. GABRINE, femme de Zerbin. UN GÉANT, personnage muet. BRANDIMART, mari de Mélisse. Pasquariel. UN DRUIDE, personnage chantant. La scène est dans une île enchantée. SCÈNE I. Le théâtre représente une grotte obscure, défendue par un géant couché à l'entrée de la grotte. Le théâtre représente une grotte obscure, défendue par un géant couché à l'entrée de la grotte. ROGER, seul. Enfin, Roger, voici le jour où tu dois donner des marques de ta valeur, et délivrer Bradamante de l'enchantement qui la possède depuis deux cents ans. Ô Amour ! Petit dieu félon, Toi qui fais flamber ton brandon Dans le tréfonds de ma poitrine, [Note : Corroborer : Terme de médecine. Donner de la force, du ton. Le vin corrobore l'estomac. En général, donner appui, force. Ces faits peuvent corroborer mon système. [L]]Corrobore mon coeur craintif [Note : Julep : Terme de pharmacie. Potion adoucissante ou calmante dans laquelle il n'entre ni huile, ni substances purgatives, ni poudres ou substances extractives, mais qui est composée simplement d'eau distillée et de sirops. [L]]Par un julep confortatif ; Car l'hideux aspect de la mine De ce géant rébarbatif [Note : Jà : vieux mot, au lieu duquel on se sert de maintenant ou de déjà. [F]]Fait jà sur moi, pauvre chétif, Les effets d'une médecine. [Note : Ribaud : Terme populaire et grossier. Impudique, luxurieux. [L]]Toi, glouton, ribaud, Sarrasin, [Note : Dol : Terme de Palais. Tromperie, mauvaise foi. Le dol personnel est un moyen de requête civile. Autrefois on mettait dans les contrats cette formule, qu'il n'y avait dol, fraude ni mal engin. [F]]Qui, par ton dol et mal engin, [Note : Engin : se dit figurément pour signifier, Finesse. Autrefois on jurait sur les traités et contrats avec cette formule, qu'il n'y avait eu dol, fraude ni mal engin, pour signifier, qu'ils n'étaient point faits par surprise, ni mauvais artifice. [F]]Retiens ma gente tourterelle ; Dis-moi si tes bras pourfendants Ont bien pu garder si longtemps L'honneur de cette jouvencelle ? Hélas ! Dans nos jours verglissants, Pour conserver une pucelle Jusqu'à l'âge de quatorze ans, Combien faudrait-il de géants ! Mais il est temps de mettre à fin l'oeuvre commencée. Combattons ce géant pendant qu'il est endormi. Roger combat le géant, le vainc ensuite il touche la caverne de sa baguette, et elle se change en un jardin agréable, au milieu duquel est Bradamante, endormie sur un lit de fleurs. SCÈNE II. Bradamante, Roger. ROGER. Allons, allons, debout : depuis deux cents ans de sommeil n'êtes-vous pas lasse de dormir ? On ne saurait tirer une femme du lit. BRADAMNTE se réveille. Où suis-je ? ROGER. Je vous demande pardon, la belle, si je vous ai interrompue dans un rêve dont peut-être vous auriez été bien aise de voir la fin. BRADAMANTE. Ciel ! Que vois-je ? ROGER. Le coloris de mon visage vous surprend ? Apprenez que depuis deux cents ans les hommes ont changé du blanc au noir, et les femmes du noir au blanc et au rouge. BRADAMANTE. Quoi ! Il y a deux cents ans que je n'ai vu le jour ? ROGER. Assurément. BRADAMANTE. Hélas ! Je ne trouverai donc plus l'amant qui m'était destiné pour époux ? ROGER. [Note : Epouseux ou épouseurs : Qui veut épouser. Sponsus. Il ne se dit que dans le style comique. [T]][Note : Rara avis in terris : Phrase latine qui signifie : oiseau rare dans nos régions. citation de Juvénal.]Oh ! Pour des amants, vous n'en manquerez pas ; mais pour des épouseux, rara avis in terris. Vous étiez donc fille quand vous vous êtes endormie ? BRADAMANTE. Vraiment oui. ROGER. Et l'êtes-vous encore ? BRADAMANTE. Assurément. ROGER. La chose est problématique, et je crois que vous n'auriez pas dormi si tranquillement. Mais dites-moi, je vous prie, comment faisait-on l'amour de votre temps ? BRADAMANTE. Le coeur se payait par le coeur. Une fille croyait tout ce que lui disait son amant, et l'amant ne disait que ce qu'il pensait. La tendresse durait autant que la vie ; plus on était amoureux, plus on était aimé ; plus on était aimé, plus on était fidèle ; et on ne consultait que l'amour pour faire les mariages. ROGER. Oh ! Que ce n'est plus le temps ! Quand on veut se marier aujourd'hui, on va chez le père et la mère marchander une fille comme une aune de drap : et tel qui croit acheter la pièce tout entière, trouve souvent qu'on en a levé bien des échantillons. Mais de votre temps, comment un mari vivait-il avec sa femme ? BRADAMANTE. Dans une union charmante ; la volonté, les biens, les plaisirs, tout devenait commun, sitôt qu'on s'était donné la foi. ROGER. Oh ! Que ce n'est plus le temps ! Premièrement, dans ce siècle-ci, il n'y a plus de foi à donner, et la communauté ne subsiste que dans les articles du contrat. Un mari n'a rien de commun avec sa femme que le nom et la qualité ; il a sa table seul, son carrosse seul, sa chambre seul ; il n'y a que son lit que bien souvent il n'a pas tout seul. Mais de votre temps, avait-on trouvé l'art de s'égorger avec la plume ? Plaidait-on vigoureusement ? Qui est-ce qui rendait la justice ? BRADAMANTE. C'étaient d'anciens et vénérables magistrats, qui passaient la nuit à examiner les procès, et le jour à les juger. ROGER. Oh ! Que ce n'est plus le temps ! La plus grande partie de nos juges passent présentement la nuit à courir le bal, et le jour à dormir à l'audience. BRADAMANTE. Comment peuvent-ils donc apprendre leur métier ? ROGER. Cela n'empêche pas qu'ils ne sachent la procédure comme des Césars, surtout en amour ; et les arrêts qu'ils rendent auprès des dames, sont, l'été, par défaut contre les officiers, et l'hiver, contradictoires avec les financiers. De votre temps avait-on des comédies ? BRADAMANTE. Les plus divertissantes du monde : elles étaient agréablement mêlées de danses et de symphonies. ROGER. Oh ! Que ce n'est plus le temps ! Tout cela est retranché, et nos théâtres seraient terriblement lugubres, si messieurs du parterre ne prenaient soin quelquefois de les égayer avec leur symphonie. BRADAMANTE. Mais, après avoir satisfait toutes vos questions, ne puis-je savoir, brave champion, à qui je suis redevable de ma délivrance ? ROGER. À moi, qui suis la fleur de la chevalerie, le redresseur des torts et le syndic de toute la magie. Je vais vous faire voir des effets de ma puissance. Alli Astaroth, Abracadabra. Barbara celarent darii, ferio baralipton. En disant ces mots, il touche de sa baguette les figures enchantées de la suite de Bradamante, qui s'animent au son du violon. SCÈNE III. Mélisse, Roger. MÉLISSE. Que je suis malheureuse ! Je vois tout le monde en joie ; mais pour moi, je ne saurais rire. ROGER. Qu'avez-vous donc, la belle larmoyeuse ? MÉLISSE, pleurant. J'avais un mari... hi ! Quand je fus enchantée... Hé ! Et je ne le trouve plus... hu, hu ! ROGER. Quoi ! La perte d'un mari vous afflige si fort ? Vous avez beau pleurer en musique, vous ne trouverez guère de veuves qui fassent la contrepartie avec vous. MÉLISSE. Monsieur le sorcier, vous qui êtes si habile homme, ne pourriez-vous pas me faire retrouver mon cher époux ? ROGER. Rien ne m'est impossible. Par la vertu de cette baguette, je découvre les eaux et les trésors les plus cachés ; c'est avec cette baguette que je suis les meurtriers à la piste, par mer et par terre ; et c'est enfin avec cette baguette que je retrouve les maris perdus. MÉLISSE. Est-il possible ? Je crois que sans moi vous n'auriez guère de pratiques ; car un mari est un meuble qui ne se perd pas aisément, et je n'ai point encore vu d'affiches pour des maris perdus. ROGER. Mais il est bon de vous avertir que ma baguette n'a de vertu que sur des maris d'une certaine espèce. Parlez-moi franchement : avez-vous toujours été bien fidèle au vôtre ? MÉLISSE. Si j'ai été fidèle ? J'aurais dévisagé un homme qui aurait eu la hardiesse de me regarder seulement entre deux yeux. ROGER. Tant pis ! Je ne saurais rien faire pour vous. MÉLISSE. Et pourquoi ? ROGER. [Note : Vulcain : dieu du feu et des volcans pour les Romains, fils unique de Jupiter et de Junon [B].]C'est que ma baguette est un présent qui m'a été fait par Vulcain : elle n'a point de vertu sur les maris dont les femmes ont été fidèles ; mais quand elle approche d'un mari tant soit peu vulcanisé... Voyez, examinez bien votre conduite. Pour peu que vous ayez écorné la fidélité matrimoniale, je vous réponds de retrouver votre mari. MÉLISSE. Et mais... mais... ROGER. Allez, allez ; parlez en toute assurance. MÉLISSE. [Note : Plumet : Cavalier qui porte des plumes ; et particulièrement il se dit de celui qui fait le fanfaron, à cause qu'il a une épée au côté, et des plumes sur le chapeau. [F]]Il venait chez nous autrefois un certain petit plumet, qui était terriblement sémillant. Monsieur, est-ce assez pour la baguette ? ROGER. Oh ! Non, non. MÉLISSE. J'ai reçu aussi des présents d'un banquier qui faisait tout ce qu'il pouvait pour faire profiter son argent auprès de moi. Monsieur, est-ce assez pour la baguette ? ROGER. Eh ! Non ! Vous dis-je, non. MÉLISSE. Oh dame ! S'il faut tant de choses ! ROGER. Mais que diable ! Il faut ce qu'il faut, une fois. MÉLISSE. Attendez, attendez. ROGER. Hé ! Là, voyez, voyez. MÉLISSE. [Note : Blondin : Celui, celle qui a les cheveux blonds. Fig. et familièrement, un jeune homme qui fait le beau, qui courtise le beau sexe. [L]][Note : Rabat : Ce qui est rabattu ; s'est dit primitivement d'un col garni de dentelles ou même sans garniture, qui laissait le cou des hommes tout à fait à découvert. Plus tard, pièce d'une toile fine et empesée, quelquefois même garnie de dentelles, qui tombait sur le devant de la poitrine. Le rabat blanc est porté par la magistrature, le barreau, le parquet et les professeurs de l'université en robe. [L]]Il fréquentait aussi au logis un petit blondin à rabat, qui... ROGER. Doucement. Cet homme à rabat était-il de la grande ou de la petite espèce ? MÉLISSE. Mais son rabat était de quatre doigts plus court que celui d'un conseiller, et nous allions souvent nous promener ensemble. ROGER. Il n'y a pas encore là de quoi faire tourner la baguette. MÉLISSE. Il me mena une fois promener hors de la ville ; mais malheureusement la flèche de son carrosse rompit, et nous fûmes obligés de coucher à sa maison de campagne. ROGER. Oh ! En voilà plus qu'il n'en faut. Nous retrouverons votre mari, fût-il dans le centre de la terre. Voyez In vertu de ma baguette. Roger fait tourner sa baguette, qui prend la figure d'un croissant ; aussitôt le mari de Mélisse paraît. SCÈNE IV. Roger, Mélisse, le Mari de Mélisse, un Druide. Le mari de Mélisse est inquiet du mouvement de la baguette, et en demande la raison. MÉLISSE, à son mari. Va, va, mon mari, ne te chagrine point : tu m'as plus d'obligation que tu ne penses ; car sans moi tu n'aurais jamais été retrouvé. ROGER. Cela est vrai ; sans la flèche rompue, vous étiez un homme perdu. Le mari de Mélisse insiste et se fâche. ROGER. Puisque vous voulez être éclairci, voilà le Druide, qui est l'oracle de ce pays-ci, qui va vous éclaircir. LE DRUIDE chante. Une femme est encor trop sage, Lorsque après avoir fait naufrage, Elle veut bien cacher l'écueil à son époux : Mais un mari qui connaît son dommage Doit filer doux, De peur d'apprendre au voisinage Qu'il a raison d'être jaloux. ROGER chante sur l'air : Réveillez-vous, belle endormie. Ne crains point que le voisin cause, Son mal est trop égal au tien : Quand on le sait, c'est peu de chose ; Quand on l'ignore, ce n'est rien. SCÈNE V. Roger, Floridan, le Druide, une Bergère, femme de Floridan. FLORIDAN. En me rendant le jour, Rendez le calme à mon amour. ROGER. En quatre mots, dites-moi votre affaire. FLORIDAN. Avant d'être enchanté, cette jeune bergère, Entre plusieurs amants, me choisit pour époux. Ce nom, qui vous paraît si doux, Ne peut encor me satisfaire ; Et je sais que, pour l'ordinaire, L'amant que l'on distingue avec de si beaux noeuds, N'est pas toujours le plus heureux. ROGER. Je vous entends, du moins je vous devine ; Ou je me trompe, ou vous avez la mine D'être le fils d'un fermier bien renté, Dont le riche mérite a si fort éclaté Aux yeux d'une avare maîtresse, Qu'elle a refusé la tendresse De vos rivaux. FLORIDAN. Mon père était rentier ; Mais je n'ai point traité l'amour en financier, Et j'ai gagné son coeur à force de tendresse. ROGER. [Note : Baste : Interjection. Elle indique qu'on se contente, qu'on ne se fâche pas. Elle marque le dédain ; il n'importe. [L]]J'en doute fort ; mais baste, on vous le laisse, Puisque par un contrat vous l'avez acheté : Il est à vous, j'entends pour la propriété, Car l'usufruit, c'est autre chose ; Il faut que la femme en dispose. FLORIDAN. Cet usufruit est encor de mon lot ; Pour le céder, il faudrait être un sot. ROGER. Un sot, d'accord. FLORIDAN. Oh ! Point de raillerie : Une femme n'est pas comme une métairie ; J'en veux être le maître, et non pas le fermier ; [Note : Sambleu : par la sambleu ! ; juron qui signifie par le sang de Dieu ! ]Et par la sambleu ! Le premier... ROGER. Oh ! Tout beau ; respect au Druide : Je ne fais qu'opiner, mais c'est lui qui décide. LE DRUIDE chante. Ne craignez rien, l'hymen est votre asile ; Le nom d'époux écarte les rivaux : De votre Iris la garde est inutile ; Ne songez plus qu'à garder vos troupeaux. ROGER chante sur l'air : Ô le bon vin ! Tu as endormi ma mère. Ô le bon temps Où l'hymen servait d'asile ! Mais pour à présent, Toureloure, loure, loure, Ce n'est qu'un manteau pour couvrir l'amant. SCÈNE VI. Roger, Zerbin, Gabrine, Le Druide. ROGER. À qui donc, s'il vous plaît, En veut ce grand benêt ? ZERBIN. Je venons... pour... tenez, j'enrage : Enfin, je nous plaignons de n'avoir point d'enfants. Je crois que je n'avons pas l'âge ; Et c'est la faute à nos parents, Qui nous ont mis trop tôt en mariage. ROGER. Quel âge avez-vous, bonnes gens ? ZERBIN. Je n'ai guère que quarante ans. GABRINE. J'aurai trente ans viennent les prunes. ROGER. Les pauvres petits sont tout jeunes. À trente ans porter fruit ! Oh ! Cela ne se peut. Cependant, si votre époux veut Je pourrai vous donner une dispense d'âge. Mais depuis quand, la belle, êtes-vous en ménage ? GABRINE. Je ne sais pas compter le temps par l'almanach ; Mais j'ai bien remarqué que, depuis ce temps-là, Ma vache a fait deux viaux. ROGER. C'est qu'elle était en âge. Mais qui peut donc causer votre stérilité ? N'avez-vous pas tous deus, depuis le mariage, Sous le même toit habité ? ZERBIN. Oh ! Qu'si, car un jour Mathurine Nous enfermit dans la cuisine ; Et quand je fûmes là tous deux, Je demeurîmes si honteux... ROGER. C'est la pudeur de l'extrême jeunesse. GABRINE. Moi, pour ne point le voir, j'usis d'une finesse ; Je me fermis les yeux avecque mes cinq doigts. ZERBIN. Moi, je n'en fis pas à deux fois ; Je grimpis tout au haut de notre cheminée, [Note : Grouiller : Terme familier. Se remuer. [L]][Note : Après-dinée : Temps depuis le dîner jusqu'au soir. [L]]Et j'y fus sans grouiller toute l'après-dînée. ROGER. Et depuis ce temps-là ? ZERBIN. Je nous fuyons, faut voir. ROGER. Et, malgré tout cela, Vous ne sauriez avoir lignée ? Je vois bien du malheur à votre destinée ; Car je connais bien des époux Qui prennent à se fuir autant de soin que vous, Et qui, malgré leur mésintelligence, Ont des enfants en abondance. ZERBIN. Que ces pères-là sont heureux ! Hélas ! Que ne suis-je comme eux ! ROGER. Leurs femmes sont bien plus heureuses. GABRINE. Qu'elles doivent être joyeuses D'avoir tant de petits marmots Qui ne coûtent rien à leur père ! Apprenez-moi comme il faut faire. ROGER. Le Druide à l'instant vous en dira deux mots. LE DRUIDE chante. Je ne veux point troubler votre ignorance, Ni vous montrer un chemin trop battu ; Pour être sage, une heureuse indolence Vaut souvent mieux qu'une faible vertu. ROGER chante. Au bon vieux temps La femme était sans science ; Mais pour à présent, Toureloure, loure, loure, La fille sait tout avant quatorze ans. DIVERTISSEMENT. Toutes les personnes que Roger a désenchantées témoignent leur allégresse par des danses et des chansons. Toutes les personnes que Roger a désenchantées témoignent leur allégresse par des danses et des chansons. LE DRUIDE. La verte jeunesse, Qui tourne à tout vent, Peut jouir sans cesse Du plaisir présent ; Mais la jouissance Du vieillard cassé, C'est la souvenance Du bon temps passé. LE CHOEUR. C'est la souvenance Du bon temps passé. GABRINE. Dans notre village, Grâce à nos parents, Toute fille est sage Jusqu'à cinquante ans ; Car c'est être sage D'avoir des amants : Suivons donc l'usage De ce bon vieux temps. LE CHOEUR. Suivons donc l'usage De ce bon vieux temps. BRANDIMART. Que cent ans d'absence Échauffe un mari ! Mais cette apparence M'a bien refroidi. Pour garder mon âme D'un soin inutile, J'ai trouvé ma femme ; Quelqu'un la veut-il ? [Note : Inutile, rime féminine, ne rime point avec "veut-il". Dans les éditions précédentes, on imprimait inutil.] LE CHOEUR. J'ai trouvé ma femme ; Quelqu'un la veut-il ? MÉLISSE. Malgré l'apparence Qui frappe tes yeux, Dors en assurance, Tu seras heureux ; Rallume ta flamme, Je jure ma foi, Qu'il n'est point de femme Plus sage que moi. LE CHOEUR. Qu'il n'est point de femme Plus sage que moi. FLORIDAN. Qui pour l'hyménée Prend jeune catin, A la destinée D'un marchand de vin ; Vainement il tente De garder son muid ; Vin nouveau s'évente, Vin gardé s'aigrit. LE CHOEUR. Vin nouveau s'évente, Vin gardé s'aigrit. BRADAMANTE. Toi qui peux tout faire Par enchantement, Reprends ta lumière, Ou rends mon amant : Le soleil qui brille Fait quelque plaisir ; Mais pour rester fille, J'aime autant dormir. LE CHOEUR. Mais pour rester fille, J'aime autant dormir. ROGER. Il n'est rien qu'on n'tente Pour avoir la foi D'une Bradamante Faite comme toi : Quel plaisir, fillette, D'être ton mari, Si de la baguette On est garanti ! LE CHOEUR. Si de la baguette On est garanti. ==================================================