******************************************************** DC.Title = MONSIEUR LAMENTIN, ou LA MANIE DE SE PLAINDRE, COMÉDIE. DC.Author = DORVO, Hyacinthe DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 21/08/2023 à 06:23:31. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DORVO_LAMENTIN.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k860122 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** MONSIEUR LAMENTIN ou LA MANIE DE SE PLAINDRE COMÉDIE EN UN ACTE ET EN VERS. Représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre de Sa Majesté l'Impératrice et Reine, l2 janvier 1808. Prix, 1fr. 1808. PAR H. DORVO IMPRIMERIE DE CHAIGNIEAU aîné.Achevé d'imprimer : 30 novembre 1663 Monsieur, Se plaindre est une manie dont se corrigent bientôt toutes les personnes qui ont le bonheur de vous approcher. La probité, le bon droit, le mérite et l'indigence ne vous implorent jamais en vain. Mais ce n'est point à l'homme d'État au ministre éclairé au jurisconsulte profond, enfin au littérateur distingué, que je fais hommage de cette bagatelle ; et bien que ce soit les qualités qui vous caractérisent, en vous la dédiant, je l'offre avec confiance à mon compatriote, à l'ami de ma famille, à celui qui, de concert avec sa digne et vertueuse épouse daigna parfois s'occuper de moi dans mon enfance et me procurer quelques moments heureux. Plusieurs traits de cette petite comédie vous avaient paru vrais et plaisants lorsque j'eus l'honneur de vous la communiquer,le public, à la représentation, a confirmé le jugement que vous en aviez porté d'avance. Si mon amour propre a lieu d'être flatté de son succès c'est qu'il me met à même de la faire imprimer sous vos auspices. J'espère que le lecteur, dans le silence du cabinet, aura pour moi quelque indulgence, et me pardonner a les défauts qu'on lui reproche avec raison, en la voyant décorée d'un nom aussi estimable, aussi justement estimé, que le vôtre. Je suis avec le plus profond respect, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur, H. DORVO. PERSONNAGES. ACTEURS. MONSIEUR LAMENTIN, propriétaire, riche, M. Armand. ISAURE, sa fille, Melle DEVIN. JOLIVAL, cousin de Lamentin, pauvre, M. GRANDVILLE. FERDINAND, son fils peintre, amant d'Isaure M. FIRMIN. PHILON, parasite, intrigant et provençal, M. ROSAMBEAU. UNE HÔTESSE, Mme LÉGÉ. La Scène est à Paris, dans un hôtel garni. Le théâtre représente un salon. LA MANIE DE SE PLAINDRE, SCÈNE PREMIÈRE. L'Hôtesse, Philon. L'HÔTESSE. Où va monsieur Philon ? PHILON. Je sors, ma toute belle. L'HÔTESSE. Si matin ? PHILON. Il le faut. Vous connaissez mon zèle.Je n'ai d'autre plaisir que celui d'obliger,Et rien de ce défaut ne peut me corriger.Dans Paris aujourd'hui j'ai vingt courses à faire. L'HÔTESSE. Pourquoi ? PHILON. Pour terminer une petite affaireQui d'un homme de bien doit assurer le sort. L'HÔTESSE. Ah ! Ah! PHILON. J'ai refusé de m'en mêler d'abord... L'HÔTESSE. Vous ? PHILON. Mais de ses malheurs le récit déplorableEnvers lui par degrés m'a rendu plus traitable, Et bref, en l'écoutant, je me suis attendri. L'HÔTESSE. Fort bien. PHILON. [Note : Le Café Very : Crée en 1808, premier restaurant à prix fixe situé au 84 de la Galerie Beaujolais au Palais Royal.]Nous déjeunons ensemble chez Véry.Il m'attend et j'y vais. Adieu charmante femme. Fausse sortie. L'HÔTESSE, l'arrêtant. Un mot. PHILON, à part. Quel embarras ! L'HÔTESSE. Pardon si je réclameCe que depuis longtemps vous me promettez. PHILON. Quoi ? L'HÔTESSE. Voilà trois mois passés.que vous logea chez moi `Vous y buvez mangez, PHILON. Ai-je tort ? Votre table,Du faubourg Saint-Germain est la plus agréable ;Chère et vins délicats bonne, société,Une hôtesse qui joint à l'amabilité L'esprit, l'air du grand monde, et la fraîcheur des grâces... L'HÔTESSE, minaudant. Ce compliment... PHILON. L'amour voltige sur vos traces ;Trop heureux le mortel qui prompt à le fixer,Pourrait au célibat vous faire renoncer ! L'HÔTESSE, de même. Vous me flattez. PHILON. Jamais. L'HÔTESSE. Parlons de notre compte. PHILON, avec cajolerie. Vous, demoiselle encor ! N'est-ce pas une honte ?Quand on voit des appas de certaine façon,Convenez qu'il est dur de demeurer garçon. L'HÔTESSE, se rengorgeant. Mais, si j'avais voulu me lier, je confesse,Que plus, d'un soupirant m'ont parlé de tendresse. PHILON. Et moi donc ! L'HÔTESSE. Vous m'aimez ? PHILON. Ne vous l'ai-je pas dit ?Serviteur. Il veut s'en aller. L'HÔTESSE, l'arrêtant. Un moment. PHILON. Le déjeuner froidit. L'HÔTESSE. Vous y tenez beaucoup. PHILON. Non pas ; mais je sais vivre. L'HÔTESSE. Restez. PHILON, à part. Je suis perdu si l'on ne m'en délivre. L'HÔTESSE. Je m'étonne, entre nous, qu'étant si répandu, Vous, favori des grands et près d'eux assidu,Vous n'ayez pas brigue, postulé quelque place. PHILON. Je l'aurais dû, peut-être, et tel sot qui m'efface,Si je ne m'étais pas ainsi mis en oubli,Ramperait devant moi dans la foule avili. Mais le moindre devoir me fatigue et me gêne :Un emploi, quel qu'il soit, est toujours une chaîne.Acheter à ce prix un crédit emprunté,C'est au premier venu vendre sa liberté ;Et le fruit qu'on en a, pour peu qu'on réfléchisse, Ne récompense pas d'un pareil sacrifice.Je veux plus de repos et moins d'ambition,Et me trouve content de ma condition. L'HÔTESSE. D'accord, mais cependant vous contractez des dette3. PHILON. Bagatelle ! Avant moi que de gens en ont faites, Qui riches maintenant semblent tout oublier,Et sont les créanciers de l'univers entier ! L'HÔTESSE. Cela se peut. Au fait, j'ai là votre mémoire. PHILON. Et je l'acquitterai. L'HÔTESSE. Mais... PHILON. Vous pouvez m'en croire. L'HÔTESSE, regardant son papier. Il se monte en total à huit-cent... PHILON. Plus ou moins. Je l'approuve, il suffit. L'HÔTESSE. Chacun a ses besoins. PHILON. À qui le dites-vous ? L'HÔTESSE, le lui présentant. Au bas est ma quittance,Jetez les yeux. PHILON. Que d'ordre et que de prévoyance !Je n'ai plus qu'à solder, et le voilà tout prêt. L'HÔTESSE. Ce que j'en fais, Monsieur, n'est pas par intérêt ; Sans la nécessité qui m'y force... PHILON, avec empressement. Qu'entends-je ?Auriez-vous des chagrins ? Vous soupirez, mon ange ! L'HÔTESSE. C'est de colère. PHILON. Eh ! Mais, contre qui ? L'HÔTESSE. Contre un Juif,Qui, de sa vieille tante héritier présomptif,M'apporte à point nommé son extrait mortuaire, Et de cette maison devient propriétaire :Le traître me poursuit, je lui dois mille écusPour les frais et l'acquit de deux termes échus. PHILON. Mais cet individu sans doute ne vous presseQue parce que lui-même il est dans la détresse. L'HÔTESSE. Non monsieur cousu d'or et pis qu'un harpagon,Pour mieux en imposer il s'est fait un jargon.Veuf, et de son hymen n'ayant eu qu'une fille,Il cite à tous propos sa nombreuse famille ;Se plaint de sa dépense et de son entretien, Et d'avoir tant de charge avec si peu de bien;Raconte à tous venants les malheurs qu'il essuie,S'en prend au froid, au chaud, au beau temps, à la pluie,Pleure ici bas des maux le partage inhumain,Et n'aborde les gens qu'un mouchoir à la main. PHILON. La peinture est naïve autant qu'originale. À part.Serait-ce, par hasard, celui qui me régale ? L'HÔTESSE. Comment ? PHILON. Rassurez-vous, j'aurai vos mille écus. L'HÔTESSE. Se pourrait-il ? PHILON. Oui, moi ; tablez bien là-dessus ;Mais j'exige de vous, pour ce léger service, Qu'enfin vous m'honoriez d'un regard, plus propice,Et que, vous soumettant à la commune loi,Vous consentiez, Madame, à recevoir ma foi. L'HÔTESSE, minaudant. La proposition. PHILON. Vous plait et vous console ? L'HÔTESSE. Noms verrons ; commencez par être de parole. PHILON. Elle est sûre, et d'un mot c'est me déterminer.Vous serez satisfaite, et je vais déjeuner. L'HÔTESSE. Vous ne l'oublierez pas ? PHILON. Vous riez. L'HÔTESSE. Allez vite. PHILON, lui baise la main. Je pars et je reviens. À part.Dieu merci, j'en suis quitte. L'HÔTESSE. Je vous attendrai. PHILON. Bon. Il sort. SCÈNE II. L'HÔTESSE, seule. Comme il est diligent Et prêt à s'esquiver dès qu'il s'agit d'argentIl a beau se vanter, je ne suis pas sa dupe,Et de lui dans Paris personne ne s'occupe :Non certe, et j'aurais tort de me fier à lui.Pour sortir d'embarras cherchons un autre appui. Elle réfléchit.Le jeune Ferdinand... en effet, plus j'y pense...Déjà de ses amours il m'a fait confidence ;Il demeure chez moi c'est un bon naturel.Depuis hier son père habite mon hôtel ;Il est riche, et son fils, pour un peintre, est à l'aise. Il vient, tâchons d'abord que mon début lui plaise. SCÈNE III. L'Hôtesse, Ferdinand. FERDINAND, sans la voir. Suis-je assez malheureux je la perds, c'en est fait !J'aurais dû le prévoir et m'attendre à ce trait. L'HÔTESSE, à part. Qu'a-t-il ? FERDINAND. De mon destin la disgrace s'achève,On va la marier, son père me l'enlève. L'HÔTESSE, s'avançant vers lui. Vous l'enlève, Monsieur ? FERDINAND, supris. Ciel ! L'HÔTESSE. Pourrais-je savoir ? FERDINAND. Ne m'interrogez pas, je suis au désespoir. L'HÔTESSE. Parlez. FERDINAND. Je vous ai dit, il vous souvient encoreDu hasard qui m'offrit à celle que j'adore,Et comment, de mon art désirant profiter, Seul, à sa pension, j'allai me présenter ?Que n'ai-je combattu cette fatale envie ! L'HÔTESSE. La raison ? FERDINAND. Cet essai me coûtera la vie.Ce fut là que ses traits que le son de sa voix,Captivèrent mes sens pour la première fois. Je n'y pus résister, et de cette entrevueDate le coup mortel dont la douleur me tue ;On nous sépare, hélas ! Et son père aujourd'huiPour la sacrifier la ramène chez lui. L'HÔTESSE. Mais vous savez le nom de votre belle ? FERDINAND. Isaure. L'HÔTESSE. Et celui de ce père inhumain ? FERDINAND. Je l'ignore. L'HÔTESSE. Est-il possible ? FERDINAND. Eh oui, voilà quel est mon sort.Je ne dois plus la voir et voudrais être mort, L'HÔTESSE. N'êtes-vous pas aimé ? FERDINAND. J'en ai la certitude. L'HÔTESSE. D'où naît dont ce grand trouble et cette inquiétude ? FERDINAND. On va pour la contraindre user d'autorité. L'HÔTESSE. Notre sexe au besoin a de la fermeté :Espérez. FERDINAND. Le moyen sans savoir sa demeure ?À qui pour la trouver recourir à cette heure ? L'HÔTESSE. Vous ne vous êtes pas informé.?? FERDINAND. Je l'ai fait, Mais à mes questions pas un n'a satisfait ;Isaure sur ce point a gardé le silence,Et ne m'en a rien dit dans sa correspondance. L'HÔTESSE. Vous ne vous parliez donc jamais ? FERDINAND. L'avons-nous pu ?Pour nous ce doux commerce en naissant fut rompu. Ce matin, plein d'amour, j'ai tracé cette lettre,Et son portier pour moi devait la lui remettre ;Il était de nos feux le discret confident.Jugez de mes transports, quand j'ai su l'accidentQui sans aucun retour me ravit ma maîtresse. J'ai prié, supplié, pour avoir son adresse ;Mais à tous mes discours mon homme a tenu bon,Et de notre oppresseur il ignore le nom. L'HÔTESSE. En ce cas, je vous plains. Cependant je soupçonne... À elle-même en rêvant.Isaure... il se pourrait... Peignez-moi la personne. FERDINAND. Elle est brune, et ses yeux respirent l'enjouement,L'esprit s'y réunit avec le sentiment ;Sa démarche est aisée et sa taille bien prise ;Elle a ce ton naïf que l'usage autorise.Si son aspect séduit, un ascendant vainqueur Vous frappe en l'écoutant,et subjugue le coeur.De grâces en un mot, c'est un parfait modèle,Et le monde n'a rien qui soit au-dessus d'elle. L'HÔTESSE. Son âge ? FERDINAND. Dix-sept ans environ. L'HÔTESSE, après avoir rêvé. C'est cela :Je crois la reconnaître au portrait que voilà. FERDINAND. Est-il vrai ? L'HÔTESSE. Calmez-vous, la chose n'est pas sûre ;Je n'en répondrais ; pas mais je le conjecture. FERDINAND, avec feu. Et moi j'en suis certain. Je serai son époux,Pour peu que vous vouliez vous employer pour nous. l'hôtesse. L'HÔTESSE. J'y consens mais je crois que cette complaisance, Tout bien examiné mérite récompense. FERDINAND. Ordonnez ; que faut-il ? L'HÔTESSE. Pour quinze jours, au plus,J'ai dans ce moment-ci besoin de mille écus. FERDINAND. Mille écus ! L'HÔTESSE. Votre père a l'air d'un galant hommeEt peut, sans se gêner, me prêter cette somme. FERDINAND. Lui ? Mon père ? L'HÔTESSE. Il vous aime; et sachant vos projetsLe voici veillez bien à tous nos intérêts. SCÈNE IV. Les mêmes Jolival. FERDINAND, à l'Hôtesse. Songez donc... L'HÔTESSE, le saluant. Je vous fais mon humble révérence. JOLIVAL, à l'Hôtesse. Je vous chasse ? FERDINAND, à part. Bien fou qui croit à l'apparence. L'HÔTESSE, à Jolival. Pardon, Monsieur, j'ai hâte, et les soins du logis... JOLIVAL, malignement. Ah ! Vous en raisonniez avec monsieur mon fils ? L'HÔTESSE. Justement. N'allez pas rejeter sa demande.À vos bontés, pour nous, mon coeur se recommande. Elle sort. SCÈNE V. Ferdinand, Jolival. JOLIVAL. À mes bontés, dit-elle; éclaircis-moi ce point.Où tendent ces adieux que je ne comprends point s FERDINAND. Elle doit mille écus, et, faute de ressource,La dame ingénument compte sur votre bourse. JOLIVAL, gaiement. Sur ma bourse ? Ma foi le trait est merveilleux,Pour avoir des secours c'est s'adresser au mieux !Il est gai de donner de telles espérances Quand on touche soi-même au bout de ses finances. FERDINAND. Ce crédit, aussi prompt que superficiel,De vos façons d'agir est l'effet naturel :Partout où vous irez vous l'obtiendrez de même ;Mais il ne tient qu'à vous de changer de système. JOLIVAL. Je m'en garderai bien. FERDINAND. Soumis et circonspect,Vous ne me verrez pas vous manquer de respect,Ni m'arroger le droit de censurer mon père ;Je sais apprécier sa probité sévère.Permettez-moi pourtant de vous faire sentir Qu'à sa condition il faut t'assujettir :Et convenez qu'au moins c'est une inconséquence,Comme vous, en tous lieux, d'affecter l'opulence,D'en avoir les dehors, d'en prendre le maintien,Lorsque dans l'univers on ne possède rien. JOLIVAL. En quoi cette méthode est-elle si blâmable ?Personne ne s'empresse auprès d'un misérable ; Il suffit une fois de se déclarer tel,Pour que chacun vous fuie ainsi qu'un criminel.Sans but, à tous venants, voudrais-tu que j'allasse D'un style langoureux raconter ma disgrâce,Dire que de mes biens j'ai vendu les débrisPour venir postuler une place à Paris,Et que déshérité par ma défunte tante,Le ciel à cet égard a trompé mon attente ? Belle péroraison pour émouvoir les gens !On n'a rien à gagner avec les indigents.Et l'homme qui se plaint, quel que soit son mérite,Plaide contre lui-même alors qu'il sollicite.Trancher de l'important, grossir ses revenus, Citer ses liaisons avec des gens connus,Pour aller à ses fins c'est la bonne manière.L'eau va, mon bon ami, toujours à la rivière ;Songes-y ; c'est la règle et ressouviens-toi bienQu'on offre tout à ceux qui n'ont besoin de rien. FERDINAND. Mais nous avons tous deux besoin de tout le monde. JOLIVAL. Aussi pour le cacher c'est sur quoi je me fonde. FERDINAND. S'obstiner à mentir !... JOLIVAL. Eh bien ! On me le rend.L'usage ainsi le veut, et je cède au torrent.Toi, par exemple, à moins d'une métamorphose, Ne vas pas te flatter d'être un jour quelque chose.Qu'est-ce que le talent et l'éducation,Sans argent, sans intrigue et sans protection ?Que te reviendra-t-il d'exceller en peinture,Sur ton sort à venir si rien ne te rassure ? T'imagines-tu donc qu'en gémissant toujours,Les afFaires pour toi prendront un meilleur cours ?Erreur si tu n'as rien, ne le fais pas connaîtreEt voulant être heureux, tâche de le paraître. FERDINAND. Le puis-je dans l'état dans la crise où je suis, Lorsque vous-même encore aggravez mes ennuis ? JOLIVAL. Moi. Comment cela ? FERDINAND. J'aime. JOLIVAL. Ah ! Voilà le mystère !Et de quoi te plains-tu ? Suis-je donc si sévère ?À cet aveu subit, que je pourrais blâmerMe vois-tu contre toi d'abord me gendarmer ? FERDINAND. Non, mais à mes désirs un obstacle s'oppose. JOLIVAL. De ta peine aisément je devine la cause :Ma pauvreté te nuit, n'est-ce pas ? Dis-le-moi. FERDINAND. Ah ! Daignez m'épargner. JOLIVAL. J'en souffre plus que toi.N'importe, à mes avis si tu veux te soumettre, Rien n'est désespéré, j'ose te le promettre.Que nous fait, après tout, que Monsieur LamentinSoit depuis dix-huit ans devenu mon cousin ?Que ma tante en mourant lui lègue un héritageDont la moitié, de droit, me tombait en partage ? Suis-je donc pour cela réduit au dépourvu ?Le cher homme nous fuit et ne m'a jamais vu ;Mais, malgré le plaisir qu'en son âme il éprouve,Dans la passe où je suis, je doute qu'il se trouve,Et que par un ministre en secret protégé, Il ait entre ses mains l'assurance que j'ai.Prends seulement, et lis. Il lui remet une lettre. FERDINAND. Qu'est-ce donc ? JOLIVAL. Une lettreQu'à la porte en entrant on vient de me remettre. FERDINAND, après avoir lu. Cet emploi si couru ? JOLIVAL. Mais je l'aurai, je crois. FERDINAND. Vous ? JOLIVAL. Avec cinq cent francs d'appointements par mois. Une place pareille... Il remet la lettre dans sa poche. FERDINAND, à part. Il la tient, à l'entendre. JOLIVAL. Aux plus brillants partis te permet de prétendre;Et si ta belle en tout répond à mes souhaits... FERDINAND. Sa vertu, sa naissance, égalent ses attraits.Mais inutilement j'exhale ma tendresse Si je n'ai la faveur et l'appui de l'hôtesse ;Et comment la gagner sans cet argent maudit ?... JOLIVAL, bas. Elle revient, tais-toi. SCÈNE VI. Les mêmes, L'Hôtesse, dans le fond. JOLIVAL, haut à Ferdinand. Je te l'ai déjà dit,Non, tu ne devais pas t'avancer de la sorte.Puis-je me dessaisir d'une somme si forte ? Mais je t'affligerais par un juste refus,Et mieux vaut s'exposer à perdre mille écus. L'HÔTESSE, s'avançant. N'ayez à ce sujet aucune inquiétude,Monsieur, et soyez sûr de mon exactitude. JOLIVAL, feignant, la surprise. Quoi, Madame ? L'HÔTESSE. Je sens tout le prix d'un bienfait. JOLIVAL. Il se peut. L'HÔTESSE. Et mon coeur. JOLIVAL. Brisons-là, s'il vous plaît. L'HÔTESSE. Pardon. JOLIVAL. C'est à mon fils, en cette circonstanceQu'il vous faut témoigner votre reconnaissanceJe l'aime uniquement et n'agis » que pour lui. FERDINAND, bas à Jolival. Mon père... Jolival lui fait signe de se taire. L'HÔTESSE. À son bonheur tout conspire aujourd'hui, Et je lui viens apprendre une heureuse nouvelle. FERDINAND. À moi, Madame ? L'HÔTESSE. À vous. FERDINAND. De grâce, quelle est-elle ? L'HÔTESSE. Ce brusque enlèvement qui vous glaçait d'effroi... FERDINAND. Eh bien ? L'HÔTESSE. Consolez-vous. FERDINAND. Isaure ? L'HÔTESSE. Elle est chez moi. FERDINAND. Grand Dieu ! JOLIVAL. Qu'as-tu ? Voyons. FERDINAND. Ah, je respire à peine. L'HÔTESSE. Son père est obligeant, lui-même vous l'amène. FERDINAND. Son père ? L'HÔTESSE. J'ai tout su. Rien ne doit vous troubler. Bas.On n'aime que vous seul, et vous pouvez parler. FERDINAND. Que d'obligations ! N'est-ce point un prestige ? L'HÔTESSE, avec cajolerie. Allez, on vous attend. FERDINAND. Se peut-il ? JOLIVAL. Quel vertige ! FERDINAND, hors de lui. Excusez, mais l'amour me force à vous quitter ;Les moments sont trop chers pour n'en pas profiter. Il sort. SCÈNE VII. Jolival, L'Hôtesse. JOLIVAL. L'étourdi ! Sur un mot sa tête s'évapore.À qui donc en a-t-il ? Et quelle est cette Isaure ? L'HÔTESSE. Sa maîtresse. JOLIVAL. Ah ! Fort bien. L'HÔTESSE. Ceci n'est point un jeu. JOLIVAL. Mais je m'en aperçois. Quel engouement ! Quel feu ! L'HÔTESSE. A-t-il tort ? Savez-vous que la jeune personneMérite à tous égards les tourments qu'il se donne.Outre ses agréments, si vous avez du bien,Son père là-dessus ne vous le cède en rien. Enfin cette union de tout point assortie,Par le rang, la fortune et par la sympathie,Assure à votre fils les destins les meilleurs,Et d'innocents plaisirs qu'il n'aurait point ailleurs. JOLIVAL. Je vous en remercie. L'HÔTESSE. Avec chaleur, au père, J'ai peint la loyauté de votre caractère,Détaillé les secours qu'en s'unissant à vousIl se ménagerait par des liens si doux ;Car à vous dire tout et sans nulle équivoque,C'est un original d'une espèce baroque, Il a de revenu vingt-mille francs au moins,Et ne saurait, dit-il, pourvoir à ses besoins.C'est à lui cet hôtel et d'argent il regorge ;Mais rien ne le guérît des chagrins qu'il se forge ;Il ne sait inspirer que la compassion, Et veut être commis, c'est-là sa passion.Sur vous il a fondé de grandes espérances,Et va vous fatiguer avec ses doléances.Il approche. JOLIVAL, bas. Suffit. L'HÔTESSE. Je vous ai prévenu.Flattez ses visions. JOLIVAL. Eh oui, c'est convenu. L'HÔTESSE. Ne m'oubliez pas. JOLIVAL. Non. SCÈNE VIII. Les mêmes, Lamentin. LAMENTIN en noir le crêpe au chapeau le mouchoir blanc à la main bas à l'hôtesse montrant Jolival. Le voilà ce me semble ? L'HÔTESSE, bas. Prêt à vous écouter, et je vous laisse ensemble. Elle sort. LAMENTIN, après s'être essuyé les yeux. Monsieur... À part.Que lui dirai-je ? JOLIVAL, à part. Oh ! Le drôle d'accueil !Quel teint ! Le beau cocher, pour un bureau de deuil ! LAMENTIN. Puis-je espérer, Monsieur, qu'envers moi favorable, Vous ne me verrez point d'un oeil impitoyable ?Et sans avoir l'honneur d'être connu de vous. JOLIVAL. Monsieur. LAMENTIN. Ayez pitié d'un père à vos genoux ! JOLIVAL, voulant le relever. Vous moquez-vous de moi ? LAMENTIN. Je n'en peux pas trop faire. JOLIVAL. Levez-vous. LAMENTIN. Cet abord convient à ma misère. Sur ce front pâlissant, image de ta mort,Contemplez les effets des caprices du sort.Nous voulons être heureux, insensés que nous sommes !Vain espoir, le bonheur n'est pas fait pour les hommes.Je fus, je dois en être, un exemple frappant ; Je le dis à dîner je le dis en soupant ;Et lorsque le sommeil me berce de mensonges,Je le répète encore au milieu de mes songes. JOLIVAL. C'est très récréatif. LAMENTIN. Jouet infortunéDe tous les accidents depuis que je suis né Je n'en évite aucun ; ma vie est un passageDe l'espoir à la crainte et du calme à l'orage.Rien ne peut m'y soustraire immuable est la loi,Et le courroux du ciel s'appesantit sur moi. JOLIVAL. Puisque de tant de maux vous êtes la victime, Votre douleur, Monsieur, sans doute est légitime ;Aussi vous ressembler serait peu de mon goût.Cependant, à la longue on s'accoutume à tout.L'état où je vous vois devrait par habitude,Après de tels essais vous paraître moins rude. Au reste, pensez-vous qu'en ce triste univers,Tout homme ne soit pas sujet à des revers ?Croyez que j'ai les miens, si vous avez les vôtres ;Souffrez patiemment ce que souffrent les autresEt contre les fléaux dont on est tourmenté Armez-vous de courage et de stoïcité.Riez, imitez-moi; qu'on m'approuve ou me fronde,Je supporte gaiement les choses de ce monde ;De nos afflictions j'éloigne l'entretien,Et crois qu'en murmurer ne nous conduit à rien. LAMENTIN. Il est aisé, Monsieur, de tenir ce langageQuand on a comme vous l'opulence en partage ;Lorsque dans nos désirs tout sourit à nos voeux, Et qu'on n'a qu'à parler pour devenir heureux. JOLIVAL. Vous disiez à l'instant qu'on ne pouvait pas l'être. LAMENTIN. De ces accès d'humeur on n'est souvent pas maître.Ce sont propos qu'on cite, et par distraction. JOLIVAL. Oui-dà, pour égayer la conversation. LAMENTIN. Quoi que je fasse, enfin, le sort me persécute,Il n'est point de disgrâce où je ne sois en butte. JOLIVAL. Pourtant vous êtes riche. LAMENTIN. Ah ! Monsieur, dans Paris,Combien de gens voudraient ne pas l'être à ce prix ! JOLIVAL. Vous avez des maisons. LAMENTIN. Je cherche à m'en défaire.À mes propres dépens je suis propriétaire.Comptez les non-valeurs, les réparations ; Je ne vous parle pas des contributions.On peut vérifier et compulser mes livres ;Je paie en francs, Monsieur, et ne reçois qu'en livres,Ce n'était pas assez de pleurer nuit et jourL'unique et cher objet du plus constant amour, D'avoir à regretter la fin prématurée,Le trépas rigoureux d'une épouse adorée ;De la fatalité le cruel ascendant,Me voulait accabler encor dans mon enfant.Je donnais tous mes soins à cette jeune plante, Et cultivais en paix sa candeur innocenteUn séducteur perfide... À ce mot je frémis !... JOLIVAL. On l'a séduite ? LAMENTIN. Hélas ! JOLIVAL. Et qui donc ? LAMENTIN. Votre fils. JOLIVAL. Mon fils ! LAMENTIN. J'ai son aveu. Ce dernier coup m'achève ;Mon coeur à cet affront s'indigne et se soulève. Suborner mon enfant c'est être mon bourreau ;Il ne me reste plus qu'à descendre au tombeau. JOLIVAL. Vous vous portez trop bien, monsieur, et rien ne presse.Autant et plus que vous l'affaire m'intéresse.Où donc est le grand mal, pour se désespérer ? Si nous nous entendons, tout peut se réparer. LAMENTIN. Se réparer ! JOLIVAL. Mais oui ; ma famille est honnête,Mon fils de votre fille aura fait la conquête,Rien de plus naturel ils sont jeunes tous deux,À leur âge, sans crime on peut être amoureux, Marions-les. LAMENTIN. Monsieur... JOLIVAL. Quoi, pour cette allianceAuriez-vous du mépris ou de la répugnance ? LAMENTIN. M'en préserve le ciel ! Mais puis-je décemmentM'occuper d'une noce avec ce vêtement ?Puis-je, dans les tourments où mon âme se noie, Sans trahir mes serments me livrer à la joie ? JOLIVAL. Quand on a comme vous un vrai fond de gaieté... LAMENTIN. D'accord. Mais il s'élève une difficulté :Je ne suis point du tout ce que l'on s'imagine.Je vous l'ai dit, Monsieur, ma fortune est mesquine. JOLIVAL. Quoi la fortune encor ! N'en parlez donc jamais.Mon fils a du talent, et grâce à ses portraits... LAMENTIN. Oh ! L'on sait ce que c'est qu'un peintre en miniature,Et je ne vois pas là de quoi faire figure. D'un air suppliant.Si je pouvais un jour seulement me flatter D'obtenir un emploi qui me fit exister... JOLIVAL, l'air important. Quelque chose vous tente, et vous avez des vues ? LAMENTIN. Oui, mais comment percer ? JOLIVAL. Oh ! LAMENTIN. Démarches perdues !Les gens de leur crédit me bercent tour-à-tour,Mais on connaît, Monsieur, l'eau bénite de cour. De ma position déplorable et critique,Je me tue à leur faire un tableau pathétique ;Hors de leur antichambre à peine ai-je le pied,Qu'on me met au rebut, et je suis oublié. JOLIVAL. Mais vos prétentions sont extrêmes, peut-être ? LAMENTIN. Non pas, d'illusions ce serait me repaître ;Le poste que je brigue est très inférieur,Et convient tellement à mon extérieur... JOLIVAL. Vrai ? LAMENTIN. Les émoluments en sont des plus modiques. JOLIVAL. Et c'est ?... LAMENTIN. Celui de chef dans les fêtes publiques. JOLIVAL. Vous ? LAMENTIN. Sous tous les rapports, je crois le mériter. JOLIVAL. On ne choisit pas mieux. LAMENTIN, l'air pressant. Pour le solliciter,Il me faudrait quelqu'un d'insinuant, d'habile... JOLIVAL. Vous nommé, quel plaisir, quels transports dans la ville !Je m'en charge. LAMENTIN. Qui vous ? JOLIVAL, à part. L'aimable concurrent ! LAMENTIN. Mais rien de votre part, Monsieur, ne me surprend,Et mon émotion... JOLIVAL. La mienne est aussi grande.Là-dedans, par écrit, mettez votre demande. Il lui indique le cabinet à gauche. LAMENTIN. Ah ! Si la vertu seule a droit à vos secours. SCÈNE IX. Les mêmes, Philon. PHILON, à Lamentin. Je vous trouve, à la fin ! Ce sont là de vos tours ! Le trait est délicat, je vous en félicite.Esquivez-vous encore, et sauvez-vous bien vite. JOLIVAL. Qu'est-ce ? LAMENTIN, à part. À l'autre, à présent. PHILON. Je suis d'une fureur !... À Jolival.Monsieur mille pardons, très humble serviteur. JOLIVAL. Que vous a-t-il fait ? PHILON. Lui ? Je n'ose pas le dire. Tout est bouleversé, tout va de pire en pire ;C'est à qui blessera les moeurs la probité ;Et l'on n'a plus de frein dans la société. JOLIVAL. Peste ! LAMENTIN. Vous m'en voulez ? PHILON. J'aurai tort à son compte !Est-ce ainsi qu'on agit ? LAMENTIN. Mais. PHILON. Rougissez de honte. JOLIVAL. Expliquez-vous enfin. PHILON. Vous allez frissonner. JOLIVAL. Moi ? PHILON. Monsieur ce matin m'invite, à déjeuner.J'en refuse un pour lui, superbe, magnifique,Il attend de moi seul un service authentique ;Et m'assigne Véry pour le lieu du repas. J'y cours. Qu'arrive-t-il ? Monsieur ne s'y rend pas. JOLIVAL. Comment, votre colère ?... PHILON. Est-elle bien fondée ?D'un procédé pareil concevez-vous l'idée ?A-t-on si peu d'égards pour un homme d'honneur ?Et peut-on le narguer avec cette impudeur ? JOLIVAL. Non. LAMENTIN. Des événements dois-je être responsable ? PHILON. Défaite, que cela. LAMENTIN. Je ne suis point coupable. PHILON. Point coupable ! Un délit où je suis compromis !Il n'est rien de sacré, non, rien, s'il est permis. LAMENTIN. Faut-il qu'un déjeuner ?... PHILON. Halte-là, je vous prie ; Si vous vous en moquez, pensez-vous que j'en rie ?Sachez que dans Paris deux mille individusGémiront des moments que pour vous j'ai perdus ;Qu'il n'est point de puissant, à la cour, à la ville,Avec qui tous les jours, Monsieur, je ne faufile ? Et vous voulez avoir un emploi ! Vous ? Jamais.Vous n'en obtiendrez point, non, je vous le promets.Je sais pertinemment que celui qui vous flatteEst convoité sous main par un homme qui date.Je ne le connais point, mais je le connaîtrai ; Mort ou vif, aujourd'hui je le découvrirai ;Dussai-je des bureaux ne pas quitter la porte.Sur vous, d'autorité, je prétends qu'il l'emporte,Et que vous appreniez quand je le fais placer,Ce que de but en blanc l'on gagne à m'offenser. JOLIVAL, bas à Lamentin. Il est fâché. LAMENTIN, bas. Que trop. JOLIVAL, bas. C'est donc un personnage ? LAMENTIN, bas. Faute de mille écus il me fait ce tapage.En vain le ciel de moi paraît avoir pitié ;Tout-à-coup devant vous, flétri calomnié... PHILON. Parbleu ! Je suis ravi que monsieur vous protège ! Des larmes, n'est-ce pas ? Toujours même manège ?Mensonge. Il est adroit et bon comédien. JOLIVAL. Là-dessus vous et lui vous ne vous devez rien. PHILON, avec humeur. Monsieur !... JOLIVAL. Je suis sincère. Il se masque sans doute ;Mais vous êtes son maître, et lui tracez la route. Quel profit tire-t-il des lamentationsDont il a soin d'orner ses conversations ?S'il captive d'abord par ses complaintes fades, L'abandon est le fruit de ses jérémiades ;Tandis que vous, fêté, riche sans rien avoir, Et faisant en tous lieux sonner votre pouvoir,Sans argent, sans état, sans existence aucune,Vous vivez grassement sur la bourse commune ;C'est un métier divin pour qui sait l'exercer,Je vous engage fort à n'y pas renoncer. PHILON, à part, en le fixant. Quel est cet homme-là ? LAMENTIN, piqué, à Jolival. Faire ainsi ma satyre ! JOLIVAL, se calmant du geste. Point de bruit. Votre note. Allez vous-en l'écrire.Monsieur s'est contre vous justement emporté,Mais il excusera votre incivilité. Lamentin entre dans le cabinet. SCÈNE X. Les mêmes. JOLIVAL, à part. Faisons-le un peu jaser. Haut.Si bien qu'à vous entendre, À l'emploi qu'il désire il ne doit plus prétendre ? PHILON, sèchement. Non. JOLIVAL, finement. Quoiqu'au rendez-vous il ne soit pas venuJe doute néanmoins que pour un inconnuVous vous déterminiez. PHILON. C'est où je vous arrête ;Je dis ce qUe je veux, et n'en fais qu'à ma tête. En me contre-carrant vous vous adressez mal.Celui dont il s'agit s'appelle Jolival. JOLIVAL. Eh quoi ? PHILON. Ce nom vous frappe et vous sera sinistre.Quand on a comme lui la faveur d'un ministre... JOLIVAL, feignant la surprise. Jolival ? PHILON. Savez-vous qu'il est très opulent, Et joint beaucoup d'esprit à beaucoup de talent ? JOLIVAL. Bah ! PHILON. Les plus grands seigneurs accueillent sa visite ;Il est de mes amis. JOLIVAL. Ah ! Ah ! PHILON. Si je m'irrite,Si de l'oubli d'un sot j'ai l'air de m'offenser,C'est un prétexte feint pour m'en débarrasser. JOLIVAL. Je comprends. PHILON. Jolival est un de mes intimes,Et ce titre peut tout sur les coeurs magnanimes.Ensemble rapprochés au printemps de nos jours,Au collège autrefois nous fîmes notre cours.Le temps a resserré des liaisons si chères, Et ma foi dans Paris nous ne nous quittons guère.Jugez d'après cela si je dois l'appuyer. JOLIVAL. Vous êtes familiers ? PHILON. Jusqu'à nous tutoyer. JOLIVAL. C'est étonnant. PHILON. Pourquoi ? JOLIVAL. Pour une bagatelle.Plus je vous examine et moins je me rappelle Où nous nous sommes vus. PHILON. La remarque je crois... JOLIVAL. Ne la condamnez pas. Ce Jolival, c'est moi. PHILON. Vous ? JOLIVAL. Moi-même. PHILON. Monsieur. JOLIVAL. Moi, dis-je. PHILON, à part. Quelle école ! JOLIVAL. Selon vous, comme il faut ai-je rempli mon rôle ?J'ai gardé le silence, et je suis complaisant. De vos protections vantez-vous à présent. PHILON, affectant l'assurance. Avant de triompher,laissez-moi vous répondre ;Deux mots me suffiront et je vais vous confondre.Ce que je soupçonnais, vous l'avez avouéVous pensez m'avoir pris, et je vous ai joué. JOLIVAL. Plaît-il ! PHILON, avec ironie. Étalez-nous vos graves remontrances,Vous qui leurrez les gens de fausses espérances. JOLIVAL. Quoi ? PHILON. Monsieur prévoit tout, et promet aujourd'huiLa place qu'en cachette il demande pour lui.C'est charmant ! Mais bientôt... JOLIVAL, gaiement. Refuge pitoyable Vous êtes découvert, soyez plus raisonnable ;Bravement avec moi prenez votre parti. PHILON, à part. J'enrage. JOLIVAL. À vos dépens je me suis diverti.Cette vengeance est douce, et c'était la plus sage ;Mais je la gâterais en restant davantage. Tout ne se règle pas, Monsieur, par vos conseils,Et je n'ai jamais craint ni vous ni vos pareils. Il sort en riant. SCÈNE XI. PHILON, seul. Ah ! Pour apprendre à vivre à qui me mortifie,Que n'ai-je le crédit dont je me glorifie!L'insolent qui me fait, un affront si cruel Depuis peu sûrement habite cet hôtel,Et j'ai pu l'ignorer !... N'importe je proteste...Je ne perdrai pas tout, et Lamentin me reste ;J'ai de quoi lui fournir matière à s'égayer,Et puisque je le tiens il va me le payer. Il va vers la porte du cabinet. SCÈNE XII. Philon, Lamentin. PHILON. Arrivez, arrivez, l'homme au joyeux langage !Vous avez le tact fin ; et ce serait dommageDe vous contrarier, tant vous êtes prudent. LAMENTIN, un papier à la main. Qu'est-ce ? PHILON. Applaudissez-vous de votre confident !Votre choix me transporte, et vous faites merveilles ! Procurez-vous toujours des ressources pareilles ! LAMENTIN, se désespérant par degrés. Qu'est-il donc survenu ? PHILON. Vous éloigner de moiLorsque je m'offre à vous de la meilleure foi ;Au lieu de me prêter une légère somme,Mettre vos intérêts entre les mains d'un homme... ! LAMENTIN, hors de lui. Achevez. PHILON. M'outrager... LAMENTIN. Eh non. PHILON. Pour mille écus.Je me repentirais de les avoir reçus.Contre la probité tout le monde se ligue ;Le secret d'emprunter est d'avoir de l'intrigue.D'obliger un fripon l'univers est jaloux, Et moi, dans mon quartier,je n'aurais pas cent tous. LAMENTIN. Parlez, parlez, de grâce ; abrégez mon supplice. PHILON. L'homme qui s'est chargé de vous rendre service,Cet homme qu'aujourd'hui vous préférez à moi. LAMENTIN. Eh bien ? PHILON. Est sur le point d'obtenir votre emploi. LAMENTIN. Ciel ! PHILON. Je l'ai pénétré. LAMENTIN, accablé. La nouvelle me tue.Sous des dehors si beaux !... PHILON. Sur ce, je vous salue.Voyez à vous pourvoir, agréez mon respect,Et tâchez maintenant d'être plus circonspect. À part.Le dîner, maintenant, cherchons qui me le donne. SCÈNE XIII. LAMENTIN, seul. Je suis anéanti ; ma force m'abandonne.Siècle ingrat et pervers ! À qui donc recourir ?Et personne, grand Dieu, ne vient me secourir ! SCÈNE XIV. Lamentin, Isaure, Ferdinand. LAMENTIN, allant vers eux. Ah ! Qu'est-il devenu ? ISAURE. Qui ? Quel est ce mystère ? FERDINAND. Qu'avez-vous ? LAMENTIN, comme un homme qui se trouve mal. Je succombe, et Monsieur votre père... FERDINAND. Poursuivez. LAMENTIN. Je ne puis. ISAURE. Qu'a-t-il fait ? LAMENTIN. Mon malheur ! FERDINAND. Lui ? ISAURE. Vous vous méprenez. FERDINAND. Vous êtes dans l'erreur.Croyez, Monsieur... LAMENTIN. Hélas ! Cette épreuve dernièreEmpoisonne à jamais la fin de ma carrière.Vous étiez nés tous deux pour être mon tourment. FERDINAND. Moi ? Mon père ? ISAURE, gaiement. Il nous quitte, et son ravissement,Quand je vous ai nommé, ne saurait se dépeindre ;Sa joie en m'embrassant ne pouvait se contraindre ;Il approuve nos feux, il se soumet à tout ;Quoique vous ordonniez, il suivra votre goût ; À former nos liens, comme vous il aspire,Et notre hymen, dit-il, est tout ce qu'il désire. LAMENTIN. L'amour ma pauvre enfant, fascine ta raison :Ta joie et cet hymen ne sont plus de saison. FERDINAND. Comment ! Lorsqu'au bonheur nous touchons l'un et l'autre ? ISAURE. Il sort pour assurer et le sien et le nôtre. LAMENTIN, avec explosion. Il sort ! Ah ! C'en est fait et tout est éclairci ;Et moi, triste, opprimé je languirais ici !Non, si dans ce débat il faut que je périsse, Je périrai du moins en réclamant justice. ISAURE. Demeurez et sachez... LAMENTIN. (Désespoir ridicule.) Rien, discours superflusUne place, ou la mort : je ne veux rien de plus. Il sort. SCÈNE XV. Isaure, Ferdinand. ISAURE. Une place dit-il quelle est cette boutade FERDINAND. Tout est perdu pour nous ! ISAURE, riant. Il a l'esprit malade. FERDINAND. Quel que soit son chagrin nous n'en sommes pas mieux. ISAURE. Seriez-vous assez fou pour prendre au sérieuxCe désespoir outré ? Voilà quel est mon père ;Ceci n'est de sa part qu'un trait de caractère. FERDINAND. Vous pouvez plaisanter et rire !... ISAURE. Pourquoi pas ?Le sujet pour lequel il fait tant de fracas N'est, je le gage, au fond qu'un rien, une vétille.Se plaindre, je le vois, est un tic de famille :Vous en tenez un peu, mon cher petit cousin ;Et Ferdinand ressemble à Monsieur Lamentin. FERDINAND. Donc à dissimuler je devrais me contraindre ; Et d'après vos avis, nous n'avons rien à craindre ? ISAURE. Rien. Votre père est gai... FERDINAND. Dites qu'il le parait. ISAURE. Soit, mais il est honnête, et c'est ce qui me plaît.Il est riche, estimable, et sa bonté m'enchanteIl conciliera tout au gré de notre attente. FERDINAND. Riche ? Détrompez-vous sa situation... ISAURE. Eh bien je le suis, moi. Dans ma position.Ferdinand penserait et répondrait de même.C'est un plaisir si doux d'enrichir ce qu'on aime !... FERDINAND. Ma chère Isaure ! ISAURE. Et puis n'y pouvant rien changer, D'un malheur idéal à quoi bon s'affliger ?Que sert de s'alarmer, et sur des conjectures,De vouloir pénétrer dans les choses futures ?Ce travers de l'esprit est pire qu'un défautLe mal qu'on doit avoir n'arrive que trop tôt ; N'est-il pas toujours temps de pleurer, de se plaindre ?Je le répète encor, nous n'avons rien à craindre.L'avenir, je le sais, pourra nous attrister ;Le présent est à nous, il faut en profiter. FERDINAND, avec chaleur. Ah ! Vous me pénétrez ! ISAURE. Non, je vous tranquillise. On entend des clameurs en dehors. FERDINAND. Quel bruit ? SCÈNE XVI ET DERNIÈRE. Les mêmes, Lamentin, Jolival, Philon, L'Hôtesse. LAMENTIN, avant d'entrer. Vous me trompiez, et c'est une surprise. JOLIVAL, un papier à la main. Je suis nommé ! FERDINAND. Comment ? PHILON. Et moi je suis à jeun. LAMENTIN, à Jolival. Le choix qu'on fait de vous n'a pas le sens commun. L'HÔTESSE. Pourquoi vous disputer, et quel est ce vacarme ?Tous trois dans ma maison vous répandez l'alarme. ISAURE. Qui vous ramène ici ? FERDINAND. Que s'est-il donc passé ? JOLIVAL. Silence ! De vos cris j'ai le cerveau blessé. LAMENTIN. Je ne me tairai point. PHILON. Non, défenses frivoles. JOLIVAL, à Lamentin en lui offrant la main. Mon cher cousin !... LAMENTIN, regardant autour de lui. À qui s'adressent ces paroles ? JOLIVAL. À vous. LAMENTIN. Il vous sied bien de me pousser à bout. Nous ne le sommes pas, cousins, non, pas du tout. JOLIVAL. Mais je m'en aperçus quand notre bonne tanteEn mourant vous légua vingt mille francs de rente :Ce don rompit nos noeuds et notre parenté ;Vous fûtes le chéri, moi le déshérité. LAMENTIN. Que veut dire cela ? JOLIVAL. La fortune est volage.Si sur moi dans ce temps vous eûtes l'avantage,Aujourd'hui je l'emporte, et tout devient égal.N'y pensons plus. LAMENTIN. Monsieur. JOLIVAL. Embrassez Jolival. LAMENTIN. Vous seriez ? JOLIVAL. Oui, je suis ce pauvre misérable Que poursuivit toujours le sort impitoyable,Et qui, devenu riche à quarante-neuf ans,Vous supplie... LAMENTIN. Et de quoi JOLIVAL, avec cordialité. D'unir nos deux enfants. ISAURE. Mon père ! FERDINAND. Mon cher oncle ! LAMENTIN. Après le tour atroce. L'HÔTESSE, à Lamentin. Monsieur !... PHILON, à part. Modérons-nous, je serai de la noce. JOLIVAL, à Lamentin. Un motif en secret paraît vous retenir,Vous souffrez de l'emploi que je viens d'obtenir.Voici de votre mal l'infaillible remède ;Acceptez mon brevet. Il le tire de sa poche, et le lui offre. LAMENTIN. Qui moi ? JOLIVAL. Je vous le cède. LAMENTIN, avec sentiment. À ce sublime élan de générosité Je ne puis comprimer ma sensibilité,Ah ! Croyez que mon âme est digne de la vôtre.Dans notre état présent demeurons l'un et l'autre.Conservez votre place, et puissiez-vous longtempsLa conserver, Monsieur pour les honnêtes gens! JOLIVAL. Bravo ! Ma nièce ainsi va donc être ma fille ? L'HÔTESSE. Et l'héritage entier reste dans la famille. FERDINAND. Isaure, ah ! Le bonheur que j'éprouve est si grand. ISAURE, avec naïveté. Vous ne vous plaindrez plus, n'est-ce pas, Ferdinand ? FERDINAND. Jamais ! L'HÔTESSE, avec tristesse. À vos désirs je vois que tout s'arrange ; Et moi mes mille écus. JOLIVAL. Vous avez pris le changeJe voudrais les avoir. L'HÔTESSE. Si monsieur LamantinVeut m'accorder du temps. JOLIVAL. Quoi c'est vous, cher cousin. En le cajolant.Un effort, à la noce un peu moins de dépense. ISAURE, naïvement à Lamentin. Prenez-les sur ma dot et donnez-lui quittance; L'HÔTESSE. L'aimable enfant ! JOLIVAL. Comment résister à ce trait ? L'HÔTESSE, à Lamentin. Elle est sensible, humaine... LAMENTIN. Oui, c'est tout mon portrait. JOLIVAL. Cédez donc. FERDINAND. J'y souscris. Je ne suis point avare,Mais on dépense tant et l'argent est si rare !... PHILON, mielleusement. Et moi ? LAMENTIN, sèchement. C'est au cousin à vous récompenser. PHILON. Je n'empruntais de vous que pour vous rembourser ;Madame l'avouera. Je l'aime et mon audace... JOLIVAL. Avec votre crédit on est bientôt en place. PHILON, humblement. Ce que vous dites-là dépasse mon pouvoir .J'en fais donner, Monsieur, et ne puis en avoir. JOLIVAL. J'y pourvoirai. PHILON. Vous ? JOLIVAL. Mais plus d'intrigues secrètes.Abjurez, croyez-moi, le métier que vous faites,Il ne réussit plus. Vous, avez de l'esprit ;Devenez homme utile et... PHILON, à l'Hôtesse. Madame sourit.Quand nous marions-nous ? L'HÔTESSE. Si vous étiez plus sage... PHILON. Touchez-là, je vais l'être en entrant en ménage. JOLIVAL, frappant sur l'épaule de Lamentin, qui s'essuie les yeux. Eh cousin, cette fois vous voilà bien content. LAMENTIN. Vous l'êtes, c'est assez. Que ne le suis-je autant ! JOLIVAL. Encore ! LAMENTIN, tragiquement. C'est dans le port qu'éclate la tempête.La foudre est suspendue et gronde sur ma tête. JOLIVAL. De vains pressentiments pourquoi vous effrayer ? LAMENTIN. Je fais ce que je peux pour me désennuyer, Mais... JOLIVAL. Le joli moyen ! Être toujours en larmes ! LAMENTIN. Laissez-moi ma douleur, elle a pour moi des charmes,Rien ne peut la calmer, rien ne peut l'assoupir ; Je pleure et pleurerai jusqu'au dernier soupir. ==================================================