******************************************************** DC.Title = LES AMOURS DE TRAPOLIN, COMÉDIE DC.Author = DORIMOND, Nicolas Drouin dit DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:07. DC.Coverage = Pays féérique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DORIMOND_AMOURSDETRAPOLIN.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72658v DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES AMOURS DE TRAPOLIN COMÉDIE M. DC. LXII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. À PARIS, Chez JEAN RIBOU, sur le Quai des Augustins, à L'Image Saint Louis.Achevé d'imprimer pour la première fois, le 22. Janvier 1662. MONSIEUR, Les belles qualités que vous possédez attirent l'admiration de tous ceux qui vous connaissent, et sont ordinairement le digne sujet d'une louange légitime. Mais, MONSIEUR, je viens vous confesser que je suis hors d'état de m'acquitter de ce que je vous dois, que les muses m'ont refusé le présent qui pourrait être digne de vous et de l'honneur que vous m'avez fait tant de fois de souhaiter mes ouvrages, et de les souffrir, m'a donné autant de sujet d'étonnement que de reconnaissance : Je vous prie donc de fermer les yeux sur le présent que je vous faits, qui n'est pas digne de vous, et qui pour un Gentilhomme, dont la valeur s'est signalée en milles belles occasions, et qui porte d'illustres cicatrices, qui sont les beaux témoignages du service que vous avez rendu à la France, il fallait un ouvrage plus sublime ; mais l'ardeur que j'ai de vous donner quelques preuves de la vénération et de l'estime que j'ai conservée pour vous a précipité mon dessein, et m'a fait vous dédier cette comédie, moins pour la vanité de la faire paraître au public, que pour celle de montrer à tout le monde que je suis, MONSIEUR, Votre très humble et très obéissant serviteur, DORIMOND. ACTEURS L'IGNORANCE. TRAPOLIN. LE DOCTEUR. PHILOSOPHIE, fille du Docteur. POÉSIE. GALANTERIE, Cousine. Ce texte est édité dans le même volume avec "La Comédie de la Comédie" du même auteur. SCÈNE PREMIÈRE. Trapolin, Ignorance. IGNORANCE. Et bien mon cher, mon beau, mon tout, mon agréable,L'essence des amants, coquet le plus aimable,Idole de mon coeur, si je languis pour vousVous languissez pour moi : tout est égal en nous.Nos jeunes coeurs blessés, et des fers et des flammes Qu'un amour mutuel a fait naître en nos âmesN'en peuvent ma foi plus et je vois bien qu'il fautQue l'hymen à l'amour livre un petit assaut ;Rien n'est égal à moi sur la terre et sur l'ondeEt mes beaux yeux mourants, font mourir tout le monde. TRAPOLIN. Beauté, beaux yeux, mon coeur, belle bouche, beau teint. IGNORANCE. Aujourd'hui j'en ai peu, mais j'en aurai demainSi je n'ai pas le teint, j'aurai la marjolaine. TRAPOLIN. Que vous êtes railleuse, adorable inhumaine. IGNORANCE. Que vous êtes cruel, de me percer le coeur ! TRAPOLIN. Ah ! Que vous me grillez, oeil mon petit vainqueur ! IGNORANCE. Petit fripon, voleur, et filou de mon âme. TRAPOLIN. Ignorance, mon coeur, beau sujet de ma flamme,Pour te suivre toujours, je veux m'efféminer,Lire peu, manger bien, ne jamais raisonner. IGNORANCE. Voila le vrai moyen d'être aimé de sa belleEt de me voir pour toi, plus douce que cruelle ;[Note : Tendron : La partie fort tendre de quelque chose. Se dit figurément et burlesquement, de filles au dessous de vingt ans. [F]]Je suis pour un amant un fort joli tendron.L'amour quand il est las se met sur mon giron,Et ce petit fripon d'un ardeur sans égale, VoudrAit prendre mon coeur, et ma fleur virginale ;Mais ma pudeur combat avecque mes désirs ;Je pâme, je succombe, et pousse des soupirs,Mais ma virginité demeure toujours pure ;Dieu me veuille sauver d'une chute future ; Ah ! Si j'avais été du temps du beau Pâris,Vénus assurément n'aurait pas eu le pris :Les déesses auraient bientôt baissé la vue,Si comme elles j'avais montré ma beauté nue.Et le sort ne rend pas mon visage serein, D'un peu d'eau seulement je me nourri le teint.La nature qui fit cet aimable visage,De ces traits délicats seule à tout l'avantage.Mais adieu, je m'en vais, maman me fouetteraitSi je demeurais plus avec toi, mon coquet. TRAPOLIN. Adieu, lampe d'amour. IGNORANCE. [Note : Falot : grosse lumière qu'on porte au bout d'un bâton, enfermée dans quelque vessie ou lanterne. [F]]Adieu falot de flamme. TRAPOLIN. Je soupire. IGNORANCE. Je meurs. TRAPOLIN. Je succombe. IGNORANCE. Ah ! Je pâme !Se quitter quand on s'aime, quelle cruauté ! TRAPOLIN. Je soupire à tout coup, et de tous les côtés. SCÈNE II. LE DOCTEUR. J'ai des filles chez moy, doctes, spirituelles; La matière, et l'esprit sont excellents en elles,Leurs esprits et leurs corps sont forts beaux et sont bons,Mais leurs rentes n'ont pas l'éclat de leurs tétons,Et l'on est dans un temps où l'on ne considèreL'esprit ni la beauté, l'or seul a droit de plaire. Un teint semé d'appas, un astre merveilleux,D'un lourdaud bien renté ne charme point les yeuxSi l'on dit, regardez les admirables filles,On vous répond à qui vendez-vous vos coquilles ?Bref il faut être belle au coffre comme au corps, [Note : Butor : Gros oiseau, espèce de héron fainéant et poltron. On dit figurément d'un homme stupide et maladroit que c'est un butor. [F]]Tant il est d'ignorants et de vilains butors.Un certain Trapolin a de grandes richesses :Si mes filles pouvaient attirer ses caressesJe serais bienheureux, je serais au repos.Je ne puis toutefois lui dire de grands mots Car je n'ai point appris la basse complaisance,De peur de déroger et souiller ma science. SCÈNE III. Le Docteur, Trapolin. TRAPOLIN. Docteurs, musiciens, poètes ; à mon lever,Je suis riche et coquet, le sort veut m'élever. LE DOCTEUR. Je ne m'étonne point de ce que la fortune A chargé de ses biens ta figure commune ;Pour les pouvoir porter, il fallait un cheval :L'homme est pour ce sujet un trop faible animal. TRAPOLIN. Les peintres, les docteurs, avec tous les poètesSont dessus ce sujet aussi fols que vous êtes : La fortune est aveugle à leur gré, mais ma foi,Je tiens qu'elle voit clair, puisqu'elle vient à moi. LE DOCTEUR. Eh bien, mettez le pied hors du commun vulgaire,Développez-un peu l'esprit de la matière ;Un riche, un grand Seigneur de grandeurs revêtu, N'est que de l'or impur, s'il n'a point de vertu,Qu'un soleil offusqué par un épais nuageEt qu'un oiseau huppé qui n'a point de ramage.Avecque vos trésors achetez de l'esprit ! TRAPOLIN. De l'esprit, en quel lieu ? Qui m'en fera débit ? LE DOCTEUR. Les Muses, Apollon, un docte Philosophe,Des auteurs en un mot, des gens de mon étoffe. TRAPOLIN. Pour vous rendre agréable à la Cour, au publicJ'en veux faire passer douze par l'alambicPour en tirer l'esprit, et puis par fantaisie J'en prendrai les matins comme de l'eau de vie. LE DOCTEUR. Le beau fils de Latonne à lui-même épuréLes esprits merveilleux au sublime degré :Ce sont individus tout remplis de scienceQui ne sont point impurs, et qui ne sont qu'essence. TRAPOLIN. Qu'essence ? Il en est donc chez notre parfumeur :Je n'ai qu'à demander de l'essence d'auteur;S'il en est, j'en aurai, de la plus excellente. LE DOCTEUR. Que j'ai peine à souffrir ta langue impertinente !Le centre de l'esprit est au sacré ruisseau : Vas-y voir ignorant ! TRAPOLIN. Qui moi ? Boire de l'eau ?Je ne bois que du vin ! Quand j'ai bu je fais rage,Si je parle d'amour, j'enfle mieux mon langage.Quand j'ai bu, si je vais au pays féminin,D'un an en un seul jour je fais tout le chemin ; [Note : Mignard : Qui a une beauté délicate, qui a les traits doux et agréables. [F]]Je pousse la douceur auprès d'une mignarde[Note : Hargarde : Qui a quelque chose de rude, de furieux. [F]]Et soumets à mes lois l'amour la plus hagarde ;Je ne m'amuse point à passer par les lieuxOù passent tant d'amants pour gagner de beaux yeux :Je montre à ma Philis ma flamme toute nue Et vais au rendez-vous, dès la première vue. LE DOCTEUR. Des sottises du temps la multiplicitéCause beaucoup de peine et d'importunité;J'aime bien qu'un amant tôt auprès d'une amante,Montre si sa pensée est ou bonne ou méchante. Être un an ou deux à faire le badin,Parler sans raisonner, geler, brûler soudain,Dépenser en cadeaux, en bals, en sérénades,En essence, en rubans, en gants, en limonades,En oranges, en citrons, en pommettes d'apis, En confiture, en chien, en musque, en ambre gris,[Note : Guenuche : Petite guenuche. Fig. Femme petite et laide. [L]]En collets, en dentelles, en bijoux, en guenuche,En beau pendants d'oreilles, en panache d'autruche,Ce n'est pas le moyen de se mettre en crédit,Si l'on ne fait jamais de dépense en esprit. Je sais comme un amant remporte la victoire,Et comme un galant rend sa flamme méritoire :Après certains objets on se met assez bien,Dès l'instant que l'on fait dépense en bon chrétien ;D'autres aiment le fat et la galanterie, Et d'autres le solide et la cajolerie.Enfin, pour faire un nombre entre les vrais galants,Il faut avoir du coeur, de l'esprit, et du sens. TRAPOLIN. Les femmes ne sont pas difficiles à prendre :Un coquet comme moi met tôt leurs coeurs en cendre, Les femmes à mon gré... LE DOCTEUR. Les femmes... taisez-vousParlez avec respect de ces objets si doux ![Note : Marjolet : Terme injurieux et populaire, qu'on dit à ceux qui veulent faire les damoiseaux, ou qui se piquent mal à propos de noblesse et de qualité. [F]]Un galant de trois jours, un marjolet d'une heureDira je suis aimé d'une dame, je meure.Et la belle souvent ne pense pas à lui. L'autre dira toujours : je suis exempt d'ennui ;J'ai deux beaux rendez-vous sur le soir à la lune :Mais laquelle verrai-je, ou la blonde ou la brune ?L'imaginaire amant ne trouve en véritéPour maîtresse la nuit rien que sa vanité. TRAPOLIN. Les femmes... LE DOCTEUR. Taisez-vous ! Cent bourrus, dans leurs âmes,Fourbez sans y penser par quelqu'unes des femmes,Vomissent leurs venins contre le général;La femme d'elle-même est un bel animal :Un animal aime la source de l'espèce Où la nature verse et donne avec largesse :Elle verse en son corps ce qu'elle a d'excellentEt dedans son esprit ce qu'elle a de brillant. TRAPOLIN. Les femmes... LE DOCTEUR. Taisez-vous, s'il est vrai que des femmesAyant des actions diaboliques et infâmes, La femme n'en est point coupable aucunement :L'action de la femme a péché seulement.Je dirai, prouverai, par raison admirableQue l'homme est toujours homme, et n'est ni saint ni diable.La femme a toujours droit de régner sur le coeur, Et la femme est toujours le trône de l'honneur.S'il se trouve une femme et méchante et coupable,La femme pour cela n'en est point responsable.Enfin les femmes sont de faibles animaux,Fort sujettes à broncher, mais nul n'est sans défauts ; Et je vais hardiment sous l'étendard des femmes Combattre et vaincre ceux qui sont contre les dames. TRAPOLIN. Les femmes... LE DOCTEUR. Taisez-vous mille fois, taisez-vous !Les femmes l'ont toujours emporté dessus nous. TRAPOLIN. Les femmes... LE DOCTEUR. Taisez-vous, ne parlons plus des femmes, Ou si nous en parlons, mettons les dans nos âmes,Et supplions qu'amour sans peine et sans ennui,Nous en veuille donner quelque belle aujourd'hui. TRAPOLIN. Les femmes... LE DOCTEUR. À genoux quand tu parle des femmes ! TRAPOLIN. Les dames... LE DOCTEUR. Tremble donc quand tu parles des Dames. TRAPOLIN. Leurs beautés... LE DOCTEUR. Meurs d'amour parlant de leurs beautés ! TRAPOLIN. Leurs beaux yeux... LE DOCTEUR. Du respect, pour les divinités ! TRAPOLIN. Leur esprit... LE DOCTEUR. Malheureux, tu vas ouvrir ta tombe !Laisse là leur esprit, que le tien y succombe. TRAPOLIN. Leur amour. TRAPOLIN. Leur amour et leur fidélité Va jusques à l'excès, ainsi que leur beauté.Cette généreuse Artémise,Par son amour et sa franchise,A si bien fait pour son mariQue le nom n'en a point péri ; Une des merveilles du mondeVient de son amour sans seconde.[Note : Panthée : Terme d'antiquité. Figure panthée, figure qui réunissait les attributs de différentes divinités. [L]]Panthée à suivi noblementSon mari dans le monument.Evadne dans un duel extrême Et tant d'autres firent de même.Laodamie en un tombeauRejoignit le sien de nouveau,Leur amour est incomparable,Leur regret est inviolable; Quand elles aiment une fois,Leur amitié leur fait des lois,Dont la force et la violenceLeur fait conserver leur confiance. TRAPOLIN. L'amour... LE DOCTEUR. L'amour, l'amour perd un sot comme toi ! Des femmes sans cesser nous recevrons la loi :Alexandre, César, Sanson, Antoine, d'elles,Furent-ils pas férus, et charmés de leurs belles ?Les doctes n'ont-ils pas ressenti tour à tourPar leur charmants attraits le pouvoir de l'amour ? Un honnête homme enfin, serait-il honnête hommeS'il n'avait pas aimé ? Mais pour te montrer comme... TRAPOLIN. Hélas ! Ne contes plus, veux-tu parler toujours ?Veux-tu parler un an ? Trêve à tant de discours !Ne parlez plus Docteur, quittez cette coutume ! LE DOCTEUR. Je me sens en humeur de te dire un volume,Mais j'aime mieux aller retrouver mes auteur.De parler aux pourceaux, c'est exposer des fleurs.Le docteur sort. TRAPOLIN, seul. Ah ! le Docteur m'entend, il me donne silence ;Je m'en vais à mon tour montrer mon éloquence. Mais vous m'écouterez, au moins, mon cher Docteur !Il se tait et m'entend, faisons donc l'orateur.La femme est très fâcheuse, elle n'a que malice ;Certain jaloux m'a dit, en demandant justiceQue la femme à l'amour plus léger que le vent : Écoutez bien Docteur, et que le plus souvent,Les jaloux eussent-ils l'exactitude entière,Sieur Basle et Sieur Cadot viennent rompre en visière.Un homme est fort constant, la femme ne l'est pas ;Et je vous prouverai... mais il n'écoute pas ! Docteur, Docteur ! Il est méchant comme un guenuche. SCENE IV. Le Docteur, Trapolin. LE DOCTEUR revient. Que veux-tu, veau doré, franc badin, esprit cruche ? TRAPOLIN. Peut-on passer une heure en conversation,Mais il faut pour cela votre permission,Avec vos beautés, avec vos belles filles ? LE DOCTEUR. Mes filles ne sont pas pour ouïr des vétilles ;Et cent petits mortels qui s'en disent amantsN'arriveront jamais jusqu'à leur firmaments.Pour vous, de votre esprit j'excuse les faiblessesParce que vous avez de très grandes richesses ; Mes filles ont esprit pour elles et pour vousEt vous avez du bien et pour vous et pour nous.J'ai deux filles enfin dont l'une est poésie,Elle chante toujours, l'autre est philosophie,Elle est fort sérieuse, et d'un tempérament Froid, dont l'abord fait endurer un amant ;Ses secrets ne sont point connus, quoi que l'on fasse,Elle est grande, elle est belle, elle a fort bonne grâce,Poésie est galante, elle a l'esprit serein,Mais elle est fort quinteuse, et sujette au chagrin; Chez tous les demis dieux elle est fort bien venue,Son langage est fort grand, mais sa bourse est menue.Elles ont des amants dont le nombre est petit,Mais vos grands biens, Monsieur, les vont mettre en crédit,À deux portes d'ici loge Dame Ignorance : Tout y va, tout y court avec grande abondance. TRAPOLIN. Pour moi je suis toujours la mode et son torrent :Et j'aime des longtemps, et son mérite est grand ;J'y pourrais bien aller avec tous les autres. LE DOCTEUR. Elle vous plaira fort, mais daignez voir les nôtres. TRAPOLIN. Soit fait. LE DOCTEUR. Poetica et Philosophica. SCÈNE V. Philosophie, Poésie, Trapolin, Le Docteur. POÉSIE. Qvid vis Papa ego sum paratissima. PHILOSOPHIE. Idsum tibi Papa, quid de me cupis ?.......................... LE DOCTEUR. Accedite. TRAPOLIN. Cupis veut dire Cupidon, Moi Cupidon, j'ai l'oeoeil assez fripon.Il est vrai, qu'à peu près j'ai sa taille et sa mine,J'ai comme lui les yeux, comme lui j'assassine ;Et si l'on veut d'amour prendre la nudité,Du mignard et du brun, je veux être emprunté. Vos yeux vont me servir de chambre et d'antichambre,Votre beau sein de trône et de doux sachets d'ambre ;De là je lancerai la foudre chaque jour,Et l'on m'appellera le beau petit amour. POÉSIE. [Note : Hyperbole : figure de rhétorique qui augmente ou qui diminue excessivement la vérité des choses dont on parle. [F] ]Mon oncle le Parnasse, et ma tante Hyperbole, Voyant tant d'écrivains de l'un à l'autre pôle,Qui disent avoir fait des enfants avec moi,Veulent que de l'hymen je reçoive la loi,Comme vous, mon Papa, voulant que je m'escrime,Pour mettre un jour au jour un enfant légitime. Enfin je suis outrée avec juste raison :[Note : Galimatias : discours obscur, et embrouillé, où on ne comprend rien, où les paroles sont mises confusément, et sans ordre ; et où il n'y a rien de naturel. [F]]Un galimatias bien souvent prend mon nom,Passe pour mon enfant, et j'en suis en colère,N'ayant rien dissipé des esprits de son père. LE DOCTEUR. Ce galant pour produire est-il à votre gré. POÉSIE. Avec un peu de temps je le poétiserai,[Note : Carme : Est aussi un vieux mot qui signifiait vers. Il vient du latin carmen ; et en ce sens il est tout à fait hors d'usage. [F]]Ensemble nous ferons un Carme magnifique :Il fera le sonnet, et je ferai l'épique. TRAPOLIN. Moi Poète ! ah bon Dieu, quel discours de travers !Avant que de mourir, me voir manger au vers ! Dans mon berceau, maman me donna d'une poudreQui de mes vers était le redoutable foudre :Elle m'en a purgé, pourquoi donc en auteur,En remettrai-je en moi l'insupportable humeur ?Et puis selon mon sens, s'il faut que je le dise, Vous avez la façon, Madame Poésie,De me donner après la consommation,Au lieu de votre foi, de quelque fiction.La corne d'abondance est un de vos ouvrages ;Mars avecque Vulcain parlent ce langage. Et puis avec vous à le trancher tout net,Je ne pourrai jamais faire qu'un beau sonnet. PHILOSOPHIE. Et moi Monsieur, qui met les beaux esprits en flamme,Qui tiens dans mes liens et la raison et l'âme,[Note : Tison : Pièce de bois à demi consumée par le feu, soit qu'elle soit éteinte, soit qu'elle soit encore enflammée. [F]]L'âme vient rallumer ces feux à mon tison Et je sais dessiller les yeux de la raison.Sans trop de vanité, ma beauté fait renaître,La confiance, le coeur, et la gloire de l'être.Que l'amante et la femme ait violé leur foi,L'amant et le mari d'abord viennent à moi : De cent infortuné je soulage les peines;Jugez si pour le mien mes leçons seront vaines.Et si quand par malheur je vous ferais cocu,Je ne vous rendrais pas pacifique cornu.Enfin je suis.... TRAPOLIN. Ho, ho, Madame Philosophie, Vous en savez beaucoup pour mon petit génieVous l'avez trop grand, l'esprit,Et moi je l'ai trop petit. POÉSIE. Ma soeur Philosophie, à de trop grands secrets ;Je suis bien plus connue, et j'ai bien plus d'attraits : On me pénètre mieux, et je suis plus galante. TRAPOLIN. Oui vous êtes de vrai connue et consonante ;Votre esprit Poésie était doux et bénin,Vous savez assez bien placer le masculin,Et jamais il ne va sans rime féminine ; Pour le mêle toujours vous êtes fort bénigne ;La propagation pour vous a des appas :Un masculin tout seul ne vous contente pas,Il vous en faut plusieurs, et si je me marie,Je veux être tout seul, ma belle poésie Ayez du féminin autant qu'il vous plaira,Si je suis votre époux, nul ne me rimera. POÉSIE. Pour moi ; je n'ai plaisir de me voir poésieQue parce qu'il me faut cette rime jolie ;On nommerait mon homme un homme de vertu Et je ne pourrais pas trouver la rime en nu ;Les masculins seraient bien rares dans le monde,Si je ne rimais pas cette rime féconde. TRAPOLIN. Ah ! que l'on rime en nu, sans moi dans l'univers :Sur ce point je renonce à la règle des vers. PHILOSOPHIE. Vous avez bien raison, vous êtes un brave homme ![Note : Axiome : Principe qu'on a établi dans un art, ou science, qui est indubitable, ou tenu pour tel. [F]]Avec moi vous n'avez qu'à faire un axiomeEt d'abord vous serez Philosophe parfait ;Et pour en faire voir promptement un effetVous n'avez qu'à trouver du vide en la nature Et qu'à bien raisonner, selon la conjoncture,Des Dames de sur tout connaître les humeurs,Imiter leur vertus, suivre leurs bonnes moeurs,Discerner les effets du néant et de l'être.Il me faut pénétrer afin de me connaître, Discourir fortement sur la vie et la mort,Connaître le destin, la nature et le sort.Parlant du papillon, du fourmi, de l'atome,Il n'appartient qu'à moi de bien exercer l'homme.Philosophie est belle, et je vous en réponds. TRAPOLIN. Oui, mais Philosophie a pour moi trop de fonds;Un téton ce me semble a beaucoup d'éloquence,La chair a plus d'appas pour moi que la science;Vous avez l'un et l'autre, il est vrai, mais ma foi,Vous en savez beaucoup, l'une et l'autre pour moi : On m'a toujours fait craindre une femme savante,J'aimerais quasi mieux une douce ignorante. POÉSIE. Il faut mieux tout risquer pour aimer en bons lieux.Ma bouche parle enfin le langage des dieux,S'augmente des Héros les éclatants trophées ; .........................................Un Hésiode, Homère ont été mes galants ;Dans Athènes jadis j'avais mes courtisans,Mais Paris à présent est bien une autre Athènes,On soupire après moi, j'y fait naître des peines, Mes neuf Muses y vont travailler nuit et jour ;On y veut que du tendre et du galant amour,Mais on aime surtout assez la bagatelle :[Note : Ruelle : se dit aussi de l'espace qu'on laisse entre le lit et la muraille. Se dit aussi des alcôves, et en général les lieux parés où les dames reçoivent leurs visites, soit dans leurs lits, soit sur des sièges. [F]]C'est ce qui fait causer dans la belle ruelle ;Et puisque me voila sur le tendre et le doux, Profitez de ce temps, faites-vous mon époux. TRAPOLIN. Vous allez Poésie admirablement vite,Mais vos pieds en sont cause ; halte, ou bien je vous quitte. POÉSIE. Tant mieux, je ne veux point de froid tempérament :Il me faut plus de feux que de raisonnement, Il faut être pour moi d'une âme vigoureuse,Une humeur enjouée, une humeur amoureuse,Dormir peu, cheminer du soir jusques au matin,Se nourrir d'espérance, et d'un peu de chagrin,Aller en un seul jour du couchant à l'aurore, [Note : Sarmate : Peuple d'Europe centrale, issu des Scythes, d'une aire entre le Don et l'Oural.]Dormir chez le Sarmate, et souper chez le More,Et s'ils avaient dîné, vous auriez en tout casVotre gloire à manger qui ne manquerait pas. PHILOSOPHIE. Pour moi j'aime une humeur pensive et solitaire,Un grand contemplateur et sobre d'ordinaire, Qui quitte le manger pour me faire l'amourEt qui soit dans mes bras et la nuit et le jour. TRAPOLIN. Chère Philosophie, aimable Poésie,Io bazio la mane à vostra Seignorie.L'Amour est mon ami, mais cet efféminé Ne me charme jamais qu'après avoir dîné;La table a des appas quand elle est bien garnie.Quelle est cette beauté ? SCÈNE VI. Poésie, Trapolin, Galanterie. POÉSIE. Là ? C'est Galanterie. TRAPOLIN. Ce sera bien mon fait, car je suis fort galant ;Approchons et faisons l'agréable en parlant. Ô Dieu ! qu'elle est aimable, et qu'elle a bonne grâce !Aussi tout est de mise ou la Galante passe ;Son teint est plus riant que les fleurs du printemps ;Je la veux épouser, elle charme mes sens.S'il vous faut des rubans belle Galanterie, Je puis seul enrichir votre robe jolie.Ne vaudrais-je pas bien un paquet de ruban ?Courrez si vous voulez de la Scène au Liban ;Vous ne trouverez point mon pareil sur la terre,Quant aux Dames mon oeil veut déclarer la guerre; Par où Trapolin passe on entend que rumeurs,On ouït dire par tout gare, gare les coeurs. GALANTERIE. Avec moi vous aurez liberté toute entière :Oui, chacun avec moI peut vivre à sa manière. TRAPOLIN. Ah ! Cette fille est brave fille, Elle m'a fort bien répondu,Elle est courtoise, elle est gentille,C'est un aimable individu;Elle est souple comme une aiguille,Elle a l'oeil doux et bien fendu, Elle fait des vers a la cheville,Elle hait fort le temps perdu,Elle travaille de l'aiguille,En elle rien n'est confondu,Car elle n'est pas cette fille, Son tempérament morfondu,Bref cette fille est brave fille,Car elle m'a bien répondu. GALANTERIE. Je réponds assez juste, et je suis assez prompte;Qui ne la voudrait pas en aurait de la honte. J'ai du feu, j'ai du faste, et mon sort fortunéVient d'avoir un esprit bien doux et bien tourné.Il me faut des bijoux, et je suis magnifique,Du plus riche Marchand j'épuise la boutique.J'aime mieux retrancher ma table et m'ajuster, Et mon mari jamais ne m'y doit contester :Et pourvu que je sois, mon ami dans ma chambrePleine d'adorateurs dans l'eau d'ange et de l'ambre,Je suis dedans mon Ciel, et les petits mortels,Doivent s'humilier aux pieds de mes autels. TRAPOLIN. Vous êtes fort gentille, et je vous trouve aimable ;Mais ne me parlez point de retrancher ma table;Car j'aime vos attraits, j'estime vos appas,Mais ils ont moins pour moi de prix qu'un bon repas.Je vous baise les mains, belle Galanterie ; Je suis incompatible avec vos humeurs. PHILOSOPHIE. Devenez mon amant, contez-moi des douceurs. POÉSIE. Illustre Trapolin, héros incomparable. GALANTERIE. Mon beau petit mignon, galant le plus aimable. TRAPOLIN. De vos doctes appas me voila dégoûté : Par vous mon appétit serait inquiété;Et puis ma Poésie, il faut demeurer fille,Afin que vos beaux vers demeurent sans cheville.Si j'étais votre époux, vos doctes alliés,Verraient tout aussitôt vos beaux vers chevillés, Et ne voyez-vous pas que les Muses sont filles,Quoi qu'elles aient esprit, et qu'elles soient gentilles;Si je vous épousais, abordant vos appas,[Note : Pégase : C'est un cheval que les poètes ont feint avoir des aIles, et avoir fait sortir la fontaine d'Hipocrene du Mont Helicon en frappant du pied. C'est le cheval sur lequel était monté Bellerophon, quand il combattit la Chimère. On dit qu'il s'envola au ciel, et qu'il fut placé entre les astres. On dit qu'un homme monte sur le cheval Pégase, quand il fait des vers. [F]]Votre Pégase et vous me jetteriez à bas. POÉSIE. Les Muses de Paris ne sont pas toutes filles, Et leurs vers toutefois se trouvent sans chevilles ;Et si lorsqu'elles vont voir le sacré vallon,Chacune sait fort bien trouver son Apollon. TRAPOLIN. Et l'Apollon avec emphaseMonte la Muse sur Pégase Ma foi fille qui fait des versEst sujette à choir à l'envers. POÉSIE. Ma foi garçon qui n'en fait pas,Est sujet à porter le bas. PHILOSOPHIE. Aimez nous. POÉSIE. Suivez-nous. GALANTERIE. Quittez l'indifférence. TRAPOLIN. Mais serais-je infidèle à ma chère Ignorance ?Dés le berceau je suis charmé de sa beauté,Avec elle je dors sans être inquiété ;Mais la voici qui vient, que je la trouve aimable ! SCÈNE VII. Ignorance, Trapolin, Philosophie, Poésie. IGNORANCE. Quoi ? Traître déloyal, perfide, ingrat, coupable, Les sciences t'ont pris lors que je n'y suis pas,Vois, vois, comme Agrippa parle de leurs appas,Et de leurs vanités elles ont eu sa vie ;Et pourtant sans cesser il les avait servie[Note : Friquet : Se dit aussi d'un jeune galant fort mince qui n'a que du caquet, et de l'affeterie, et rie de solide. [F]]Et vous belle friquette, et vous beaux yeux fripons, Et vous qui nous montrez ces beaux petits tétons,Ces deux globes de laits, dites-moi, je vous prie,Par eux doit-on apprendre ici l'astrologie ?Petite pingrenon, Trapolin est à moi,Et vous ne l'aurez pas, non da, non par ma foi ; Jour de Dieu, je le sais, vous m'êtes ennemie,Mais perdant Trapolin, je veux perdre la vie. PHILOSOPHIE. Vous l'avez fort longtemps emporté dessus nous,Mais ce siècle est illustre, et nous sera plus doux. TRAPOLIN. Ah ! Ma chère Ignorance. POÉSIE. Ah ! douceur sans seconde ! Si tu peux la prenant en purger tout le monde,Je serais opulente, et dans fort peu de temps. SCÈNE VIII. Lz Docteur, Philosophie, Ignorance, Poésie, Galanterie, Trapolin. LE DOCTEUR. Et bien captivez-vous ce Phoenix des amants ?Et le marierons-nous ? PHILOSOPHIE. Oui. LE DOCTEUR. De plaisir j'en danse. PHILOSOPHIE. Oui, mais il nous méprise, et choisit l'Ignorance. LE DOCTEUR. Il choisit l'Ignorance ! Et comment gros vilain,Tu choisis le terrestre, et quitte le divin ?Et toi, laide effrontée, as-tu bien l'insolence,De me nuire sans cesse, effroyable Ignorance ?Mes filles demeurer pour toi qui ne vaut rien ! Serai-je toujours gueux, auras-tu tout le bien ?Coupe donc l'esprit et ta gauche;Il faut que Socrates t'embroche,Que Platon comme un pré te fauche,Qu'Épicure te mette à bas, Que Bias te coupe les bras,Que Solon t'envoie au trépas;Que Plutarque t'anéantisse,Que Cloton ta trame t'ourdisse,Ou que la Parque la finisse, Que Cicéron rive ton bec,Que l'on ne te parle qu'en grec;Que ton humide soit à sec.Et moi Docteur, je te souhaiteQue quelque maligne fillette Te vienne nouer l'aiguillette ;Car je trouve selon mon sens ;Sans que tu fasses des enfants,Que la terre a trop d'ignorants. POÉSIE. Je te vais faire faire, au lieu d'épithalame, De satyriques vers, et quelque écrit infâme. PHILOSOPHIE. Et moi je vais monter dessus mes grands chevauxEt te mettre vilain, dans le rang des brutaux. GALANTERIE. Et moi qui sais punir tous les sots de ta sorte,Aux Bals je te ferai toujours fermer la porte; [Note : Nasarder : Donner une chiquenaude sur le nez.]Les laquais par mon ordre iront te nasarder.Mes cousines allons, c'est ici trop tarder,Et voyons sans regret mépriser la science :Un ignorant ne peut aimer que l'Ignorance. IGNORANCE. Avec vos beaux discours et votRe esprit divin, Allez vous faire faire un autre Trapolin !Allons, vient m'épouser, et chéri ta mignonne,Et sache qu'en ménage Ignorance est fort bonne :Elle fait le repos et l'honneur des maris,Et science au contraire, embrouille leurs esprits Et leur fait bien souvent leur sottise connaître,Qu'il vaudrait mieux pour eux ne voir jamais paraître. TRAPOLIN. Tu seras donc mon fait, puisqu'il faut ignorer. IGNORANCE. Par moi de mille maux tu te pourras parer ;Allons mon gros poupon ! TRAPOLIN. Allons mon Ignorance ! Buvons, jouons, dansons, et laissons la science !Allons nous en dormir et manger à foison.Le plus grand ennemi de l'homme est la raison. ==================================================