******************************************************** DC.Title = LA FEINTE PAR AMOUR, COMÉDIE. DC.Author = DORAT, Claude-Joseph DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 12:03:30. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DORAT_FEINTEPARAMOUR.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k296397 DC.Source.cote = BnF 16-Yf-156 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA FEINTE PAR AMOUR COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN VERS 1773. Claude-Joseph DORAT Représenté pour la première fois le 31 juillet 1773 au théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. V E R S Présentés présentés à Madame la Dauphine, le jour qu'elle vint à la Comédie Française, sans être annoncée. Quoi ! Sous un nuage envieux, Croyez-vous, augure Dauphine, Pouvoir vous cacher en ces lieux ? Lorsque Vénus descend des cieux, On sent l'influence divine De ton aspect majestueux ; Et lorsque vous trompez leurs yeux, Le coeur des Ftançais vous devine. VERS présentés au ROI, après la représentation de la Feinte par amour, à Choisy. Des souverains, quoi, le plus adoré À mes essais daigne sourire ! Ah ! Plus mon coeur est enivré, Moins j'ai de force pour le dire. Des écrivains heureux que leur siècle chérit, Un autre âge souvent vient faner la couronne ; Mais rien jamais ne ]a flétrit, Lorsque c'est LOUIS qui la donne ; Une timide fleur, peu faite pour briller, Loin de lui languissait encore. Sous ses yeux elle vient d'éclore... Et la fleur se change en laurier. PERSONNAGES MÉLISE, jeune veuve Melle. Doligny. DAMIS amant de Mélise. M. Molé. LISIMOND, oncle M. Mélise. FLORICOURT. M. Monvel. DORINE,suivante de Mélise. Mlle. Fanier. GERMAIN, laquais de Damis M. Augé. La scène est dans la maison de Lisimond, commune à Mélise et à Damis. Texte issu de "Répertoire général du théâtre français... Théâtre du second ordre. Comédies en vers. Tome XIII. [La Feinte par amour, par Dorat. Les Rivaux amis, par Forgeot. Les Epreuves, par Imbert. Le Jaloux sans amour, par Imbert.", Paris, Vve Dabo, 1822. In-12, 266 p. - pp 187- ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Dorine, Germain. GERMAIN. Ce que c'est d'habiter dans le même logis !On va l'on se cultive et l'on voit tes amis. DORINE. Ton maître ?... GERMAIN. Quel motif peut ici te conduire ? DORINE. Un billet qu'à Damis, Mélise vient d'écrire. GERMAIN. Billet doux ? DORINE. Il suffit ; tout va se déclarer. GERMAIN. Tu n'aimes point Damis ? DORINE. Et comment l'endurer ?Quel homme !... GERMAIN. Réservé, n'osant rien se permettre. DORINE. Monsieur apparemment craint de se compromettre.C'est un air, c'est un ton équivoque et discret,Un feu sourd qui veut naître et soudain disparaît. Je veux, moi, qu'en aimant l'on bavarde, l'on rie,Qu'on se plaigne, se brouille, et se réconcilie. GERMAIN. Qu'on ait le diable au corps. DORINE. Ton Damis ne l'a pas.Il est du plus beau froid !... GERMAIN. Il te faut des éclats,Des soins... marqués. DORINE. Oh ! Oui ! GERMAIN. Sur ce pied-là mon maître ; Neuf ou dix mois plus tôt était ton fait peut-être.Moi je l'ai vu, soumis à la commune loi,Prodiguer, comme un autre, et son coeur et sa foi.Il est vrai qu'aujourd'hui ce n'est plus le même homme,Et je te l'avouerai, quelquefois m'assomme Avec son air tranquille et son ton mesuré.Non, depuis sa réforme, il n'est plus à mon gré ;J'en suis fâché pour lui. DORINE. Tu n'es pas à connaîtreDe quels graves motifs sa réforme a pu naître. GERMAIN. Mais... j'en fixe l'époque au goût très singulier Que pour certaine femme il eut l'hiver dernier.C'était un vrai lutin ne voulant que séduireAttirant avec art, dans l'espoir d'éconduire,Bien parjure, bien gai, de tout faisant un jeu :Il alla brusquement l'étourdir d'un aveu ; La dame s'en moqua, prit son vol de plus belle,Et voilà vingt amants attroupés autour d'elle.Le dépit, la fureur, la plainte étaient son lot :Bref l'amour cette fois n'en avait fait qu'un sot.Depuis cet accident, il a juré sans doute, Voulant un autre sort, de prendre une autre route,D'élaguer tes soupirs, les protestationsEt d'être moins alerte en déclarations.Quelqu'amoureux qu'on soit, Dorine, Dieu fait commeQuatre mois de rigueur découragent un homme. DORINE. À ce qu'il m'a semblé. GERMAIN. Malgré son changement,Mélise l'aime enfin... assez passablement. DORINE. Tu crois cela ? GERMAIN. Très fort. DORINE. Va, va, pure chimère. GERMAIN. Point. DORINE. Allons, à vingt ans on n'aspire qu'à plaire.Veuve d'un pédagogue appelé son mari, Elle a pris dans le monde un maintien aguerri ;Et de la liberté connaissant l'avantage,Elle ne voudra plus tâter de l'esclavage.D'honneur, l'indépendance est un état charmant !Les villes, le spectacle et les goûts du moment, Et sa coquetterie à toute heure excitée,El le renom flatteur d'une femme citée,Voilà ce qui l'enivre !... À quelques humeurs près,Qui depuis plusieurs jours ont voilé ses attraits.Fière d'accumuler conquête sur conquête, Fort légère, un peu folle, et pourtant très honnête :Son unique désir, crois-moi, c'est de charmer :Nous vous laissons le soin et l'embarras d'aimer.Mais aussi qu'un amant à mots couverts s'expliqueQu'il élude l'aveu... Ma foi cela nous pique. Vous entendre gémir et soupirer vos feuxMoi, c'est là dans l'amour ce que j'aime le mieux.Un aveu réjouit... un soupir intéresse. GERMAIN. Je suis tout stupéfait de ta délicatesse !Mon maître cependant, Mélise en conviendra, Peut tourner une tête alors qu'il le voudra ;Et j'ai, moi qui te parle, adopté son systèmeOn se fait mieux aimer, ne disant pas qu'on aime.J'ai donné dans le piège où lui-même il fut pris :Eh bien, c'était l'enfer, et mépris sur mépris. Tu n'imagines pas, pour les plus minces charmes,Ce qu'il m'en a coûté de soupirs et de larmesC'est une conscience... Il faut changer celaEt faire un peu la loi. DORINE. J'aime ce projet là. GERMAIN. Qu'il me vienne à présent quelqu'adroite soubrette. Je vous la mène un train !... DORINE. Oui-dà ? GERMAIN. J'ai la recette.Eh ! Ne valons-nous pas ton sublime marquis,Par sa frivolité connu dans tout Paris,Étourdi s'il en fut, grand conteur de sornettes,Et trop distrait surtout, pour acquitter ses dettes ? Mélise franchement... [DORINE]. Dis ce qu'il te plaira.Nous savons mieux que toi tous les talents qu'il a.Il doit, il se ruine. GERMAIN. On le dit. DORINE. Bagatelle.Il subvient à propos aux langueurs de mon zèleDonne sans trop compter et va toujours semant Ce qui mène une intrigue et distingue un amant. GERMAIN. Comme il voudrait enfin avancer ses affaires,N'a-t-il pas depuis peu doublé tes honoraires ?Il a craint les longueurs... N'importe, malgré toi,Votre bon oncle est fou de Damis et de moi. DORINE. Il est vrai que Damis aujourd'hui s'en empare. GERMAIN. Il nous a proposé sa nièce. DORINE. Le barbare !Ne me parle jamais de ce vieux éventé.C'est le dernier qu'il voit dont il est entêté.Ce qu'il veut le matin, le soir peut lui déplaire Et lassé de ton maître, il voudra s'en défaireTête vague esprit faible et sans le moindre plan.Ne fut-il pas jadis apprentif courtisan ?Je riais de le voir, dans son humeur caustique,S'ériger en penseur trancher du politique. Affectant tous les airs et n'en ayant aucunIl se croyait utile, et n'était qu'importun.Ce ton a disparu maintenant c'est un autre.Il est peut-être bon mais ce n'est pas le nôtreOn entre : c'est Damis... Il a l'air de rêver. SCÈNE II. Dorine, Germain, Damis. GERMAIN. Ne l'interrompons point. DORINE. Laisse-moi l'observer.Chut. GERMAIN, à part. Il tient le portrait de Mélise elle-mêmeIl croit que je l'ignore. DAMIS, contemplant un portrait à voix basse. Oui, c'est celle que j'aime.Voilà ces traits si doux, ce naïf enjouementCes regards ou l'esprit est joint au sentiment. Heureuse illusion qui me rends sa présence,L'amour ne t'inventa que pour charmer l'absence.Je ne fais cependant ; ce portrait séducteur,En captivant mes yeux, contente peu mon coeur.Un reproche secret vient troubler mon ivresse. Qu'est-ce qu'un bien qui pèse à la délicatesse ?Ce qui m'enchante ici, gage trop imparfait,N'est qu'un larcin, hélas ! Et dut être un bienfait. DORINE. À part.Il soupire !... Haut, à Germain.Sur quoi promène-t-il sa vue ? GERMAIN. C'est que de ses bijoux il a fait la revue ; C'est un portrait qu'il a tiré de son écrin.De ces misères là nous tenions magasin. DORINE. Un portrait ! DAMIS. Que dis-tu ? GERMAIN, s'approchant à la gauche de Damis. Je dis que quelque belleVous a sans doute fait cette faveur nouvelle. DAMIS, à part. Le drôle n'en croit rien. DORINE, s'approchant à la droite de Damis. Monsieur !... DAMIS. Qu'est-ce ? DORINE. Un billet. DAMIS, avec joie. De Mélise ? DORINE. Prenez et lisez s'il vous plaît. DAMIS, à part. Voyons : d'un vain espoir je me flatte peut-être... Après avoir parcouru le billet.Me trompé-je ? Comment ! Ne laissons rien paraître. Il relit le billet à voix basse.« Vos assiduités, j'aurais dû le prévoir,Fixent sur moi les yeux d'un monde susceptible. Échappons aux propos en cessant de nous voir.Quel que soit cet effort, j'ai cru me le devoir,Et votre calme heureux m'y rendra moins sensible. » Apercevant Germain qui a les yeux sur sa lettre.Que fais-tu là ? Va-t-en. GERMAIN. Perte, n'y fait pas bon ! DAMIS. Qu'on fâche si bientôt je puis voir Lisimon. Germain sort. SCÈNE III. Damis, Dorine. DAMIS, à part. Comment interpréter... Je tremble... DORINE. Quel nuage... DAMIS, haut, et affectant un air serein. Je dois récompenser, Dorine, un tel message. DORINE. Vous moquez-vous ? DAMIS, lui donnant sa bourse. Prenez. DORINE. Soit : mais en vérité,Vous pouviez être ingrat avec sécurité. DAMIS. Je hais ce vice là. DORINE. Vous êtes magnifique. Ce procédé, Monsieur, est vraiment héroïque.Je n'imaginais pas ( voyez le préjugé ! )Qu'à prix d'or quelquefois on payât un congé, DAMIS, surpris. Comment ? DORINE. Vous le tenez. DAMIS. Je soutiens... DORINE. Je proteste.L'argent est bien donné... quitte à prouver le reste. DAMIS. Un congé, dites-vous ? DORINE, gaiment. Oui, bien clair et bien net.J'ai vu, n'en doutez pas, composer ce billet ;J'ai vu, j'ai lu, relu le congé qu'il renferme.Tant pis, si votre orgueil est offensé du terme. DAMIS, après une pause, avec un dépit concentré et une gaîté contrainte. Je voulais de Mélise en cette occasion, Couvrir l'étourderie et l'indiscrétion : À ce qu'il me paraît, ce zèle est inutile.Votre maîtresse en moi trouve un ami docile,Soumis, respectueux qui n'a point hésitéPour souscrire à l'arrêt que son coeur a dicté. DORINE. J'admire le biais dont vous prenez la chose.Ainsi vous acceptez la loi qu'on vous impose,Et ne murmurez pas d'un arrêt si soudain ? DAMIS, avec une gaîté feinte. L'a-t-elle écrit gaiement ? DORINE, l'observant. Sans gaîté, sans chagrin.D'un air indifférent. DAMIS. Indifférent ? DORINE. Sans doute. Pour écrire autrement, on fait ce qu'il en coûte. DAMIS, avec un peu de vivacité. Mais au fait, savez-vous le fin de tout ceci ? DORINE. Je fais que cette nuit on a très mal dormi. DAMIS. Ah, voilà contre moi ce qui la détermine ! DORINE. Mais ne dirait-on pas que ce n'est rien ! DAMIS. Dorine Approuve sa maîtresse ? DORINE. Eh, ne le dois-je pas ? DAMIS. Surtout quand elle fait de semblables éclats.La prudence le veut. DORINE. J'aime la remontrance !Éconduire un amant, c'est blesser la prudence,C'est bouleverser tout. DAMIS. Un amant est fort bon ! DORINE. Ce titre là vous choque ? DAMIS. Et c'est avec raison...Mais brisons là-dessus. Quoi que Mélise fasse,Je saurai constamment endurer ma disgrâce ;Et puisqu'une insomnie a causé mon malheur,Je juge le motif, pour calmer ma douleur. Ces événements là n'ont plus rien qui m'étonne.Le caprice m'exclut, l'amitié lui pardonne.L'indulgente amitié n'a jamais de fureursEt ne connaît point l'art de contraindre les coeurs. DORINE. Oh, vive l'amitié qu'elle est calme et soumise ! Vous êtes surprenant. Je vais dire à MéliseAvec quelle douceur et de quel air sereinOn accueille chez vous ses billets du matin. Elle sort. SCÈNE IV. DAMIS, seul, avec dépit. Enfin, Madame, enfin, je connais votre style.Vous voulez m'affliger, et j'en suis plus tranquille. SCÈNE V. Damis, Germain. GERMAIN. Lisimon est, dit-on chez Mélise. DAMIS, avec humeur. Il suffit. Il lit le billet et chiffonne. GERMAIN, à part. Ce diable de billet lui tourmente l'esprit. DAMIS, se promenant toujours et à part. Vous me chassez ! Fort bien. GERMAIN, à part. Fort mal. DAMIS, à part. À la bonne heure.Rien n'est encor perdu mon secret me demeure. GERMAIN. Pauvre avoir que cela ! DAMIS, àpart, et parcourent le théâtre. De l'éclat et du bruit, Des soins trop prodigués c'est l'orgueil qui jouit.Il faut un autre frein à votre humeur légère ;Je vous ai fait parler, j'ai bien fait de me taire.On distrait votre coeur ;... il faut le ranimer,Et punir la coquette, en la forçant d'aimer. Mais ce cruel billet !.. Gardons-nous de m'en plaindre.J'ai dû le désirer, beaucoup plus que le craindre ;C'est quelque chose au moins... Qu'est-ce que je prétends ?Fixer un coeur volage. Il résiste, et j'attends...J'attendrai. Ce billet m'a rendu l'espérance. Heureux d'être aujourd'hui l'objet d'une imprudence !Trop heureux d'occuper ! Pour qui s'y connaît bien,Un dépit, un congé vaut toujours mieux que rien. GERMAIN, s'approchant par degrés de Damis, qui marche toujours avec la même action. Monsieur... DAMIS, brusquement. Hein !... GERMAIN. Vous voulez me cacher votre flamme ;Je ne suis plus admis aux secrets de votre âme. DAMIS. Après ? GERMAIN. Épargnez-vous ces inutiles soins ;Ce qu'on ne me dit pas, je ne le fais pas moins. DAMIS. Si je le laisse aller, il va par complaisance,De mes propres amours me faire confidence. GERMAIN, avec intrépidité. Oui, monsieur ; cet air froid qui cache votre feu, Vos discours, votre ton, tout cela n'est qu'un jeu. DAMIS. Très scrupuleusement gardez vos conjectures.S'il venait jusqu'à moi les plus légers murmures...Vous m'entendez ?... GERMAIN. Ces mots sont significatifs. DAMIS. C'est que je n'aime point les esprits inventifs. GERMAIN. Moi, je n'invente rien. Vous n'aimez pas Mélise ?Sa main par Lisimon ne vous est pas promise ?Ce portrait que tantôt vous observiez... DAMIS. Eh bien ? GERMAIN. Me direz-vous aussi que ce n'est pas le sien ?D'après son grand tableau lorsqu'elle fut sortie, Vous fîtes l'autre jour tirer cette copie. DAMIS. Motus, encore un coup, ou gare... GERMAIN. Avec ce ton,Vous obtenez des droits sur ma discrétion. DAMIS. Prévenez là-dedans qu'à me suivre on s'apprête. À part.Qu'on ne s'éloigne pas. Ma surprise est complète ! On entend chanter, faire du bruit derrière le théâtre.Qu'est-ce que ce train là ? Va-t-en voir à l'instant. GERMAIN. C'est monsieur Floricourt, qui s'annonce en chantant.Il est votre rival... DAMIS. Lui ? GERMAIN. Déclaré. DAMIS. Quel conte ! SCÈNE VI. Floricourt, Damis, Germain. GERMAIN. Tenez, lui-même ici vous en rendra bon compte,Il est franc. Germain sort. FLORICOURT, du ton le plus gai. Je suis triste, et je viens près de toi, Pour éclaircir le noir qui s'empare de moi.Que je te trouve heureux ! Un esprit toujours libre !Tu maintiens dans tes goûts le plus juste équilibre.Le fort prévient tes voeux, tout succède à ton gré ;Très peu d'ambition, un amour tempéré ! Moi, je suis ballotté de toutes les manières :Le feu plus que jamais s'est mis dans mes affaires.Tout, depuis ce matin, m'affecte horriblement. DAMIS. Depuis ce matin ? FLORICOURT. Oui. DAMIS. Le terme est alarmant. FLORICOURT. Ma sensibilité devient insupportable. DAMIS. Allons, remettez-vous un revers vous accable !Comment vont les amours, les projets, tout le train ? FLORICOURT. Nous vivons, mon ami, dans un siècle d'airain.Rien n'avance ne va... j'ai plus de cent paroles :Pour les effets, néant... J'ai beau changer de rôles, Saisir l'esprit, le ton de nos sociétés,Amuser tous les jours dix cercles d'hébétés,Voir les gens qu'il faut voir, briller par ma dépense,Renchérir sur ces riens qui font notre importance,Je reste là tout net... On me berce d'espoir ; Vingt billets le matin m'invitent pour le soir ;On me fête, et c'est tout :avantage stérile !J'ai prouvé cependant que je puis être utile...Tiens, pas plus tard qu'hier, dans un fort grand soupé,J'eus des traits d'un bonheur... dont chacun fut frappé. On murmurait tout bas, il est vraiment aimable.J'abîmai le baron ; il parut détestable.Je fis rire Chloé, rire jusqu'à l'excèsUne bégueule morne et qui ne rit jamais...Tu fais qu'elle peut tout, qu'on obtient tout par elle. Eh bien, quand on sourit, je réclamai son zèle ;Elle me répondit par des airs nonchalants,Me pria de descendre et d'appeler ses gens.Eh, sur ces têtes là fondés quelque espéranceNulle solidité, point de reconnaissance. Qu'ils s'arrangent : je sens qu'il faut vivre pour soi,Et mon ingrat pays n'est pas digne de moi. DAMIS. Comment je vous croyais en faveur. FLORICOURT, avec étourderie. Quel vertige !Crois-tu donc à ce mot, à ce brillant prestige ?La faveur maintenant n'est qu'un flux et reflux ; On a beau la poursuivre, on ne la fixe plus.Il semble qu'aujourd'hui la fortune vous rie ;Demain le ciel se brouille, et la scène varie.Le terr[a]in où je marche est fertile en ingratsC'est un sable mouvant, qu'on sent fuir sous ses pas ; Et le public léger, qu'un changement réveille,Brise, en riant, l'autel qu'il encensait la veille.Ainsi de crainte en crainte, et d'espoir en espoir,On se tue à briguer ce qu'on ne peut avoir.Parmi cent concurrents coudoyé dans la foule, Moins de gré que de force, on cède au flot qui roule ;Et plus que mécontent, mais non pas converti,On se retrouve au point d'où l'on était parti. DAMIS. Ce tableau me paraît frappant de ressemblance.Vous devenez profond ! FLORICOURT. Il le faut bien... on pense. C'est fait, je m'exécute, et borne mon roman. DAMIS. Propos. FLORICOURT. Ton oeil encor n'a pas saisi mon plan ? DAMIS. Oh ! Pas le mot. FLORICOURT. Écoute. Épouses-tu Mélise,Ne l'épouses-tu pas ? DAMIS. La demande est exquise ! FLORICOURT. Quels que soient tes projets, je n'y pénètre pas ; Mais j'épouserai, moi. DAMIS, ironiquement. Dès lors plus d'embarras.De vos expédients j'admire la justesse. FLORICOURT. Nul procédé, surtout : le prix est pour l'adresse.Dorine me protège ; elle fait babiller :Moi, je possède l'art de la faire parler ; Je me la suis acquise et sa soi m'est connue. DAMIS, à part. Cette Dorine là me paraît entendue. FLORICOURT. Et Lisimon, d'ailleurs, servira mon amour.On dit qu'il a jadis raffolé de la Cour ;Je veux lui mettre encor l'ambition en tête. C'est un ressort plaisant. DAMIS. Et surtout fort honnête.Ainsi vous épousez ? FLORICOURT. Un peu. DAMIS. C'est mon avis. FLORICOURT. Tes conseils sont très bons, tu les verras suivis. DAMIS. Rien n'est mieux calculé qu'une telle conduite ;Et c'est avec plaisir que j'en verrai la suite. Vous n'aimez pas Mélise, on conçoit bien cela :Votre coeur ne s'est point oublie jusques là.Sa fraîcheur, sa jeunesse, une grâce piquante,D'un sourire attrayant la finesse éloquente,N'ont pu, j'en jurerais, vous inspirer un goût : Mais Lisimon est riche, et Mélise aura tout.Voilà ce qu'il vous faut ; rien n'est plus convenable ;Et c'est ce qu'on appelle un hymen très sortable.S'aimer, détail bourgeois ! Bravant ce sot abus,Vous allez épouser... quelques cent mille écus. FLORICOURT. Oui. Par ce mariage ( et tu m'y détermines )Je veux de ma fortune étayer les ruines.Pour les gens de notre ordre il n'est que ce recours.Étourdis par nos goûts, distraits par nos amours,Tant que l'activité nous tient lieu d'opulence, Nous vivons dans l'ivresse et dans l'indépendance.Autre temps, autres soins ; risquant quelques soupirs,Nous implorons l'hymen pour payer nos plaisirs.Adieu : je vais courir chez tous mes gens d'affaires,Et mettre à la raison intendant et notaires. Tous ces animaux là, qu'on voit en enrageant,Ont toujours de l'humeur, et n'ont jamais d'argent. DAMIS. N'allez pas les manquer. FLORICOURT, prenant la ~M/K DMKM. Non vraiment. Je te quitte.J'emporte un avis sage, et mon coeur le mérite. Il sort. SCÈNE VII. DAMIS, seul. D'un moment de dépit il peut tout obtenir ; Il va voir Lisimon, je dois le prévenir.N'eussé-je point d'amour, je lui serais contraire ;Je voudrais traverser le bonheur qu'il espère :L'amitié m'en eut seule inspiré le dessein.Sans adorer Mélise, il prétend à sa main ! Ses grâces, son esprit n'ont rien qui t'intéresse !En elle il considère, il cherche la richesse !Quel amant ! De mon but ne nous écartons point :L'amour me l'indiqua, la probité s'y joint.Mais si j'échoue enfin si Mélise enivrée Se borne à cette Cour dont elle est entourée !Je ne le sais que trop, la beauté bien souvent,Attentive à l'hommage, est sourde au sentiment.Cachons encor le mien... Amour ! Tu fais si j'aime !Ce pénible détour m'est dicté par toi-même. Mélise, tu le vois, est prête à t'échapper,Et je crois te servir, en osant la tromper. ACTE II La scène est dans une avant-salle de l'appartement de Mélise. SCÈNE PREMIÈRE. DAMIS, seul. Chez Mélise, aujourd'hui ! Moi ! Quelle hardiesse !Voyons : par l'oncle ici piquons un peu la nièce.Il va venir, osons ; et dans l'espoir que j'ai, En feignant un refus, vengeons-nous du congé.Je puis bien à mon tour risquer une imprudence SCÈNE II. Damis, Lisimon. DAMIS. Ah ! Je vous attendais avec impatience. LISIMON, absorbé dans la rêverie. Me voilà. J'en conviens j'étais dans ce moment,D'une vue assez neuve occupé fortement. Monsieur c'est que le tact des affaires publiquesVeut de mâles esprits et des coeurs énergiques.Quand je m'en escrimais, j'accordais tout cela :Le tableau de l'Europe était imprimé là.Tu m'as fait avertir, j'accours, adieu l'idée, C'est le diable ! DAMIS. Pardon. Votre humeur est fondée. LISIMON. C'est fait... que me veux-tu ? DAMIS. Je me suis consulté,Et je peux avec vous parler en liberté.Mélise est fort aimable ; elle a droit de prétendreAux hommages, aux voeux de l'amant le plus tendre ; Mais comment souffre-t-elle un cercle d'étourdis,D'agréables, de sots, par la mode enhardis,Du bon ton qu'ils n'ont pas se croyant les arbitres,Mettant leur ineptie à l'ombre de leurs titres,Traînant d'un luxe outré l'indiscret attirail, Petits sultans honnis même dans leur sérail ;Tous ces demi-seigneurs sans talents et sans âme,Qui bornent leurs exploits à tromper quelques femmes ;De pères très fameux enfants très peu connus,Dont on cite les noms, au défaut des vertus ? LISIMON. Je vais, si tu le veux, t'expliquer ce mystère. DAMIS. Soit. LISIMON. Tel que tu me vois, jadis j'eus ma chimère,Comme un autre : à la cour j'étais fort assidu ;Dans un monde nouveau je me croyais perdu.Je proposais alors des plans économiques, Que je te montrerai, tous biens patriotiques,Bien conçus.... DAMIS. Je le crois. LISIMON. J'osai les présenter ;Mais l'embarras était de les faire adopter.Ces gens-ci m'y servaient, du moins en apparence :Je les reçus chez moi, par excès de prudence. Sous les dehors du zèle, ils venaient par essaims,En obsédant ma nièce, opiner sur mes vins.Moi, comme un franc Gaulois, j'aime encor ma patrie.Leurs protestations trompaient ma bonhommie.Qu'ai-je embrassé ? Du vent. On ne m'écouta pas J'en fus pour mes calculs et pour mes résultats.Aussi tout va, Dieu fait ! Grâces a ma routine,J'aurais en trois matins remonté la machine.Je n'y renonce point ; mon porte-feuille est plein.Aujourd'hui secondé, j'exécute demain. Oui, Monsieur, qu'on m'installe, et je réponds du reste.Je puis être à l'état d'un profit manifeste.Brouillant, bouleversant les principes connus,J'arbore la réforme, et je pare aux abus.Voilà dans quel espoir ma folle complaisance A de ces importuns toléré l'affluence. DAMIS. De leur zèle affecté voyez quels sont les fruits. LISIMON. Puisqu'ils ne peuvent rien, ils seront éconduits. DAMIS. Bon change-t-on ainsi sa manière de vivre ?Votre charmante nièce au tourbillon se livre ; Et croyant échapper à de tristes liens,Obéit à des goûts qui ne font pas les siens.Elle est à cette époque, ou l'âme irrésolueEntre différents choix reste encor suspendue.Son naturel heureux lutte et perce toujours ; Mais il faut avec vous s'expliquer sans détours,Il incline un peu trop vers la coquetterie,Jeu cruel qui bientôt mène à la perfidie,Des plus doux sentiments corrompt la pureté,Éteint le caractère et nuit à la beauté. Il faudrait à Mélise un ami difficile,Qui tourmentât son coeur, encor neuf et docile,Employât, pour le vaincre, un manège innocent,Y jetât par degrés un trouble intéressant,Enveloppât de fleurs les traits de la censure, Et sut, à force d'art, le rendre à la nature. LISIMON. Eh bien, sois cet ami. DAMIS, riant demi. Moi ? LISIMON. Toi-même, parbleu.Il faut, comme tu dis, la tourmenter un peu,Par de certains secrets dérouter son caprice,Retenir la coquette au bord du précipice ; Et lui sauvant surtout l'ennui de la leçon,La forcer par humeur d'avoir de la raison...L'idée est lumineuse, et je l'ai bien saisie.À l'application. Je t'en charge. DAMIS. Folie.Revenons s'il vous plaît, et daignez m'écouter. Il regarde de tous côtés avec un air mystérieux.Vous m'offrîtes sa main, je ne puis l'accepter.Je veux choisir, Monsieur, quelqu'un qui me convienne,Dont la façon de voir s'accorde avec la mienne,Qui connaisse le prix d'un amour délicat,Et fâche préférer le bonheur à l'éclat. LISIMON. Tu m'étonnes beaucoup et je te crois à peine.Sans doute elle t'a fait quelque nouvelle scène,Car c'est une étourdie !... Ah ! Je vais la tancerD'une belle façon ! DAMIS. Gardez-vous d'y penser.Ne vous voilà-t-il pas, comme à votre ordinaire, Emporté ?... LISIMON. J'en conviens, je suis un peu colère. DAMIS. Un peu ? Beaucoup. LISIMON,se radoucissant. Eh bien, je me corrigerai. Reprenant le ton vif.Mais on fera morbleu ce que je résoudrai.Dans ce que j'ai conclu je suis fixe et tenace.Ma nièce obéira... DAMIS. Modérez-vous, de grâce : De mon absence au moins choisissez le moment,Et qu'à cet entretien je ne sois pas présentCiel ! Mélise !... Je sors. Mélise entre dans ce moment. Ils se font une révérence, et Damis sort. SCÈNE III. Mélise, Lisimon, Dorine. MÉLISE, avec étonnement. Damis ici ? LISIMON. Lui-même.Pourquoi non, s'il vous plaît ? MÉLISE. Ma surprise est extrême.Quand nous mariez-vous ? LISIMON. Je le voudrais en vain Vous l'avez trop bien su guérir de ce dessein. MÉLISE. Quoi ?... LISIMON. Rien. MÉLISE. Encore ?... LISIMON. Eh bien !... MÉLISE. Parlez. LISIMON. Je vous annonce... MÉLISE. Mais quoi donc ? LISIMON. Que Damis à vos charmes renonce.De vos airs de vos tons, il est las à la fin.Il refuse, en un mot, le don de votre main. MÉLISE. Il me refuse ? LISIMON. Net. Mais cela sans colère,Toujours maître de lui ( car c'est son caractère ),Si posément enfin, et d'un air fi glacé,Que tout autre à ma place en serait courroucé. MÉLISE, avec gaieté contrainte. Courroucé ! Pourquoi donc ? Le trait est impayable. LISIMON. Vous parait-il plaisant ? MÉLISE, avec chaleur, et ne pouvant cacher son dépit. Damis est admirable !C'est moi, Monsieur, c'est moi, qui, trompant son espoir,Lui mandais ce matin de ne me plus revoir. LISIMON. Fable. DORINE. Rien n'est plus vrai : ma maîtresse est vengée.De l'exécution cette main fut chargée. MÉLISE. De sa froideur pour moi vous voilà convaincu ? LISIMON. Oh ! oui. MÉLISE. Vous en a-t-il longtemps entretenu ?Félicitez-vous bien, vantez votre conduiteDe vos précautions voilà quelle est la suite. LISIMON, brusquement. Moi, j'ai cru que ces noeuds seraient bien assortis. Affectant de la finesse.J'ai même soupçonné que vous aimiez Damis. MÉLISE. Mon oncle assurément le soupçon est unique.Vous êtes étonnant. LISIMON. Non, je suis véridique. DORINE. Que monsieur Lisimon a reprit clairvoyant !Rien ne peut échapper à son oeil pénétrant. Il lit, sans se tromper, jusqu'au fond de nos âmes ;Comme il déchiffre un coeur ! Comme il connaît les femmes ! LISIMON. Que trop, en vérité. J'ai bien payé cela ;On est dupe longtemps avant d'en venir là...Mais, dans ce moment, ci je m'abuse peut-être, Je ne démêle rien, je ne fais rien connaître... À Mélise avec humeur.Que m'importe après tout ? Congédiez Damis ;Si vous le voulez même, épousez le Marquis.Bel hymen MÉLISE, avec impatience. Vous l'aimiez dans ces jours de folie,Où les gens du bel air étaient votre manie ; Quand mon oncle, en projets consumant chaque jour,En poste allait chercher des chagrins à la Cour...De tous ces meilleurs là vous goûtiez l'importance.Leur ton vous paraissait le ton par excellence. LISIMON. Oh ! J'avais mes raisons. Le bien public d'ailleurs... Bref, c'est un autre temps, et je veux d'autres moeurs. DORINE. Floricourt, au surplus, n'a rien pour vous déplaire.D'une vieille parente il sera légataire ; Sa naissance est illustre ; il est jeune, bien fait. MÉLISE, avec humeur. Ah ! Vous le protégez ?... DORINE. Enfin on s'y connaît. À Lisimon.Puis, s'il vous revenait un jour en fantaisieDe vouer à l'état votre rare génie,Aux airs de courtisan il fau[d]ra vous plierEt c'est un homme, au moins, qui peut vous appuyer.Quel plaisir de briller, d'étendre un peu sa sphère ! Une fois en crédit, que d'heureux on doit faire ! LISIMON. Tu crois donc qu'on pourrait. DORINE. Je vous ai dévoilé. LISIMON. Toi !... Comment donc ? Par où ? DORINE. Tout en vous m'a parlé.Discours obscurs mais fins ; silence énigmatique...Et ce rire ingénu qui cache un politique. LISIMON. L'y voilà. MÉLISE. Finissez... Le beau raisonnement ! LISIMON, après avoir réfléchi. Eh ! Ce qu'elle dit là n'est pas sans fondement ;Elle voit assez bien. Mais j'insiste : ma nièce.Je veux encor pour vous signaler ma tendresse.Je regrette Damis, quoi que vous en disiez, Et veux le ramener dès ce soir à vos pieds.Je sens bien qu'il faudra, rappelant ma finesse,Négocier la chose avec un peu d'adresse...Mais on fait se tirer d'une difficulté,Et délicatement ménager un traité. Sois sûre... Enfin... SCÈNE IV. Mélise, Dorine. MÉLISE. Mon oncle est incompréhensible. DORINE. Damis, toujours Damis ! Ce caprice est risible...Oui ; mais tous ces discours sont ici superflus.Damis est hors de Cour, et vous n'y songez plus. MÉLISE. Y songer ! Il faudrait que je fusse bien folle ! Sa conduite avec moi cependant me désole.Je voudrais à mes pieds le voir s'humilier,Et... DORINE. Ce procédé là serait plus régulier. MÉLISE. N'en parlons plus. DORINE. Sans doute. MÉLISE. Au fond, je le déteste. DORINE. De vos ressentiments ce dépit est le reste. MÉLISE. Tu dis que mon billet n'a point paru l'aigrir ? DORINE. Non ; tranquillisez-vous. MÉLISE. Je n'en puis revenir.Nais moi, Dorine, aussi j'ai fait une imprudence ;Que prétendais-je enfin ? DORINE. Punir son impudence. MÉLISE. Dis sa discrétion, c'est le mot : en effet, Tu le fais comme moi, qu'a-t-il dit, qu'a-t-il faitQui lui pût attirer cette rigueur extrême ? DORINE. Comment, un insolent qui ne dit pas qu'il aime ! MÉLISE. Qu'il aime ! Il faut savoir s'il aime : le fais-tu ? DORINE. Eh ! Mais, rien n'est plus clair. MÉLISE. Moi, je n'en ai rien vu. DORINE. Moi, je vous garantis qu'il brûle au fond de l'âme. MÉLISE. Eh que ne parle-t-il ? DORINE. Mais il craint pour sa flamme. MÉLISE. Oh ! Il a bien raison... mais il faut s'expliquer. DORINE. N'ayez pas seulement l'air de le remarquer. MÉLISE. Bon ! DORINE. Laissons ce sujet ; car il vous indispose. MÉLISE. Moi ! Non : autant parler de lui que d'autre chose.Tu peux continuer. DORINE. Parlons-en donc... Eh bien,Puisque vous le voulez, qu'en dirons-nous ? MÉLISE. Oh ! Rien. DORINE. Pourquoi donc cette humeur et cette Impatience ?Si vous l'aimiez encor ? MÉLISE. Tais-toi. Elles se taisent pendant un moment. DORINE. Le beau silence ! MÉLISE. Tu n'as point remarqué le portrait qu'il tenait ?Tu n'as point distingué ? DORINE. Non, il l'examinait.D'un oeil très satisfait. MÉLISE, à part. Je souffre le martyre ; Haut.Tu n'as rien entendu de ce qu'il a pu dire ? DORINE. Il avait l'air content... c'est tout ce que je sai[s]. MÉLISE, avec la plus grande vivacité. Je ne demande pas s'il était triste ou gai ;Répondez juste au moins. DORINE. Je quitte la partie.Mais j'aperçois Germain. MÉLISE. Demeurez, je vous prie.Qu'il approche. SCÈNE V. Mélise, Dorine, Germain. Il sort. MÉLISE, d'un air distrait. Ah ! C'est toi Germain ? GERMAIN. Pour vous servir,Madame ; commandez, et je cours obéir. Je montais chez Damis. MÉLISE. Il est ici ton maître ? GERMAIN. Oui, même tout le soir je crois qu'il y doit être. MÉLISE. Seul ? GERMAIN. Seul, je l'imagine. MÉLISE. Il ne peut être mieux.Tu fais apparemment qu'il est fort amoureux ? GERMAIN. Amoureux ! MÉLISE. Et bien plus, il ose le paraître... GERMAIN. Madame, écoutez donc... DORINE. Dis, tu dois t'y connaître. GERMAIN. Je sais qu'il s'est donné ces airs là quelquefois. DORINE. Et fait-on quel objet a décidé son choix ? GERMAIN. Non : il est fort discret, il soupire en silence ;Rien n'échappe avec lui.. MÉLISE. La bonne extravagance ! DORINE. Et ce portrait divin, dont il est enivré,Qu'il observe sans cesse avec l'air égaré,À ton compte, Germain, n'est-ce point un indice ? MÉLISE. Va, parle a coeur ouvert, et quitte l'artifice. DORINE. Sans doute : allons, du coeur. GERMAIN. S'il ne faut rien celer, Ce portrait lui plaît fort, et... MÉLISE, poussant Dorine. Fais-le donc parler. DORINE, poussant Germain. Va donc. GERMAIN. Seul dans un coin quand il est à son aise,Il le tourne et retourne il le baise et rebaise ;Il lui parle souvent comme s'il l'entendait,Et lui reparle encor comme s'il répondait. Cela me charme, moi, je me plais à l'entendre. DORINE. À cette école là tu deviendras fort tendre. MÉLISE. Et l'on ne peut savoir quel est l'original ? GERMAIN. Non. DORINE. Non ? MÉLISE. Germain discret ! Mais cela n'est point mal...Oh ! C'est n'en doutons pas, quelque franche coquette ? GERMAIN. Madame, en vérité... MÉLISE. Quelque folle parfaite ? GERMAIN. Madame, je rougis... MÉLISE. J'en suis sûre. GERMAIN. Comment ?Quoi qu'il en soit enfin, le portrait est charmant. MÉLISE. Affreux peut-être ? GERMAIN. Affreux ! Cela vous plaît à dire. MÉLISE. Je le répète, affreux. GERMAIN. Je cède et me retire. Ah ! Ce pauvre portrait, comme vous le traiter !Mais vous ne savez pas à qui vous insultez. MÉLISE, le rappelant. Si Damis n'est point trop occupé de fa flamme,Dis-lui que je t'attends, ici même. GERMAIN. Oui, Madame. SCÈNE VI. Mélise, Dorine. MÉLISE. Il faut que je lui parle indispensablement. Oui... DORINE, à part. Ma maîtresse en tient indubitablement. MÉLISE. Je veux qu'avant le soir tout ceci se termine. DORINE. Comme il va s'applaudir ! MÉLISE. Retirez-vous, Dorine.J'entends du bruit : on vient. Ciel ! Floricourt ! L'ennui !Mais feignons. Contre moi tout conspire aujourd'hui. Dorine, en sortant, rencontre Floricourt ; ils se sont réciproquement des signes. SCÈNE VII. Floricourt, Mélise. FLORICOURT. On vous rencontre enfin ! Mais vous êtes charmanteDe disparaître ainsi, de tromper mon attente. Qu'elle est belle ! MÉLISE. Oh ! Laissez ce ton complimenteur. FLORICOURT, du ton le plus étourdi. Non, Madame ; avec vous ce ton là part du coeur. MÉLISE. Du coeur ! Y songez-vous ? Vous léger, vous frivole !... Recueillez-vous, marquis : est-ce là votre rôle ? FLORICOURT. Sans doute. MÉLISE. Encore un coup, supprimons la fadeur ;Sinon je vous le dis, j'aurai beaucoup d'humeur,Et je vous ennuierai. FLORICOURT, avec galanterie et légèreté. Non, cela ne peut être.Je cherche le plaisir, et vos yeux le font naître : Mais depuis près d'un mois, disons la vérité,Dans quelle solitude avez-vous végété ?C'est le conduire mal ; tout le monde en murmure.Plus de bals de soupers pas la moindre aventure !Vous avez de l'humeur : on n'en est pas surpris. Vous prenez un travers, je vous en avertis.Comment donc, belle, aimable, à la fleur de votre âge,S'enterrer chez un oncle, et s'ériger en sage !Mais vous n'y pensez pas ; il faut absolumentVous rendre à vos amis, vous remettre au courant. Je vous offre mes voeux qui sont flatteurs peut-être ;Mon nom, ce que je suis, et ce que je dois être,Une exigence enfin. Allons ouvrez les yeuxLe temps vole, il échappe, il emporte les jeux.Ressuscitez ; sortez de cette nuit profonde, Et paraissons tous deux sur la scène du monde. MÉLISE. Mais vous devenez fou ! FLORICOURT, de l'air de plus évaposé. Non, je ne le suis pas.C'est trop ensevelir de si brillants appas,Faits pour orner, Madame, un plus décent asileQue des cercles obscurs et l'ombre de la ville. Écoutez-moi : je viens d'apprendre en ce moment,J'en ai l'avis sur moi, que je dois sûrement.Hériter, avant peu, d'une tante éternelle !...Qui me remet toujours. MÉLISE. Cette dame est cruelle. FLORICOURT. Elle ne finit pas. Mais, pour cette fois ci, Il paraît cependant qu'elle a pris son parti.Elle a quatre-vingt ans, c'est l'âge des retraites.J'envahis sa fortune ; elle est des plus complètes.Le tout vous est offert. Nous mêlerons nos biens,Et l'opulence encor va ferrer nos liens. MÉLISE. L'opulence et le coeur ? Est-il un autre empire ?Le trésor d'un amant c'est l'amour qu'il inspire.Est-il riche ? On l'ignore... on songe à ses vertus.Est-il pauvre ? On le venge, en l'aimant encor plus :Voilà mes sentiments. FLORICOURT. Je vous en félicite. Vous bravez la fortune et cédez au mérite.Ce sacrifice est noble et surtout bien placé.Je savais à quel coeur je m'étais adressé. MÉLISE. Par exemple, Marquis, permettez-moi de rire.Quoi, vous prenez pour vous ce que je viens de dire ? FLORICOURT, avec la plus grande gaîté. Eh ! Comment s'y tromper ? Le détour est charmant. MÉLISE. Encor ? FLORICOURT, hors de lui. Vous me voyez dans un enchantement !...Je suis las d'espérer. Décidez-vous de grâce.Écoutons la raison et laissons la grimace. Il tombe à ses pieds.Ah ! Je vous le demande au nom de nos beaux jours, Faisons à tout Paris envier nos amours. MÉLISE. Trêve donc s'il vous plaît à la plaisanterie...Il extravague... On vient. Levez-vous, je vous prie. FLORICOURT. Non. Je lis dans vos yeux dans ce tendre embarras,Que mon hommage a pris, et ne vous déplaît pas. Damis entre dans ce moment. Il est aperçu de Mélise, et non de Floricourt.C'est à moi d'affermir mon bonheur qui s'apprête.Tout me sert, et je cours assurer ma conquête. Floricourt, en sortant, rencontre Damis, et lui fait des signes d'un air triomphant. SCÈNE VIII. Damis, Mélise. DAMIS, au font du théâtre. Fort bien ! Le tête-à-tête est un peu hasardé.Est-ce pour ce tableau que vous m'avez mandé ?Il est touchant ! MÉLISE. A-t-il le bonheur de vous plaire ? DAMIS, avec une gaieté contrainte. Beaucoup. MÉLISE, ironiquement. Il me parlait de son ardeur sincère. DAMIS. Et vous daigniez répondre à des transports si doux ?C'est l'usage au surplus. MÉLISE, à part. Mais serait-il jaloux ? Haut.J'étais libre, Monsieur, lorsqu'on vous lit descendre. DAMIS, très froidement. Vos ordres sont sacrés ; j'ai volé pour m'y rendre. À part.L'entretien sera vif. MÉLISE. M'expliquez-vous enfinLes propos que mon oncle a tenus ce matin ?Qu'est-ce que cet hymen, ce refus, cet outrage,Dont il vous accusait ? DAMIS. Quand tout vous rend hommage,Madame, en vérité, pensez-vous à cela ? C'est une vision que cet outrage là.Ne le savez-vous pas ? Qui raconte exagère,Et c'est l'art d'embrouiller la chose la plus claire.Votre oncle brusquement vient m'offrir votre main.Je ne m'attendais pas à ce bonheur soudain ; Je n'avais ni le droit, ni l'orgueil d'y prétendre ;C'est en m'appréciant que j'osai m'en défendre.Voilà tout. MÉLISE, d'un ton ironique. Voilà tout ? DAMIS,se rapprochant. Mais vous, Madame, vous,M'expliquez-vous enfin quel est ce grand courroux,Cet étonnant billet qui de chez vous me chasse ? Comment me suis-je donc attiré ma disgrâce ? MÉLISE. Ma lettre vous l'apprend sans rien dissimuler.Je suis lasse, Monsieur, d'apprêter à parler.Je suis jeune, on m'observe, on censure, on raisonne ;Et pour fuir les amants, je ne vois plus personne. DAMIS. Est-ce à titre d'amant que je suis renvoyé ? MÉLISE, très vite. Point de détail. DAMIS. Je vois qu'on m'a calomnié.Quand on aime, on s'échappe, on se trahit. Madame,Vous ai-je dit un mot qui fît croire à ma flamme ? MÉLISE, avec vivacité. Eh ! Quand cela serait ? DAMIS. Oui : mais... cela n'est pas. MÉLISE, avec chaleur. Quoi, votre empressement à suivre tous mes pas,Cette assiduité que tout Paris a vue,Et votre jalousie avec art retenue,N'annonçaient pas assez un homme qui prétend,Et semble, pour le dire, aux aguets d'un instant ? DAMIS. Ah ! Ne confondons point : tout cela voulait direQu'on rencontre chez vous ce que mon coeur désire,Des grâces, des talents... MÉLISE. Vous m'impatientez. DAMIS. Un commerce divin, cent belles qualités.Cela signifiait que votre esprit enchante, Qu'on se plaît à vous voir, que vous êtes charmante.Enfin... MÉLISE. Parlez. DAMIS. Cela, je le dis sans détour,Prouvait tous vos attraits, sans prouver mon amour. MÉLISE. Soit, soit. Eh ! Que me fait votre amour, je vous prie ? DAMIS. Vous m'accusez ; il faut que je me justifie. MÉLISE. De quoi donc ? Il m'outrage à chaque mot. DAMIS. De quoi ?De l'amour prétendu qui vous révolte en moi. MÉLISE. Vous me haïssez donc, Monsieur ? DAMIS. Qui ? Moi, madame ? MÉLISE. Répondez. DAMIS. Mieux que moi vous lisez dans mon âme,Et c'est trop prolonger mon cruel embarras. Comment lorsqu'on vous voit, dire qu'on n'aime pas ?Un tel aveu pour vous serait tout neuf peut-être,Il pourrait vous fâcher ; mais vous l'auriez fait naître.Car enfin, si vos lois n'en veulent qu'aux amants,Pourquoi m'envelopper dans vos ressentiments ? pourquoi, prompte à risquer un arrêt qui m'accable,Si je suis innocent, me traiter en coupable ? MÉLISE. Allez, Monsieur, allez, vous m'êtes odieux. DAMIS. Vous ne fûtes jamais plus aimable à mes yeux. MÉLISE. Éteignez-vous des miens. DAMIS. D'où vient cette colère ? J'obéis, et je sors, de peur de vous déplaire. SCÈNE IX. MÉLISE, seule. Eh ! De cet homme là je serais le jouet !Qu'est-ce donc qui me tient ? L'aimerais-je en effet ?Oh ! Que je l'aime ou non, je prétends qu'il fléchisse.Je le veux par raison, bien plus que par caprice... J'ai su toucher ton coeur, il a beau se masquer ;Et son adroit orgueil ne veut pas s'expliquer !C'est mon maudit billet !... Qui me forçait d'écrire ?Que prétendais-je avant qu'il m'eut osé rien dire ?Ma conduite est étrange, incroyable vraiment ; Nais la sienne !... La sienne est un affront sanglant.Oh ! Cet homme est un monstre.... Eh bien, il est aimable,C'est la règle... Que faire ? Ô trouble insupportable !Ce monstre là me plaît, je le sens, j'en rougis ;Mais je m'en vengerai, quand je l'aurai soumis. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. LISIMON. Ma foi, ce Floricourt n'est point aussi frivole...Cet homme, avec le temps, peut jouer un grand rôle.Dans ce moment encore, il m'a très bien parlé.Malgré mon air discret, comme il m'a démêlé !La peste quel coup d'oeil ! Oui, j'étais un barbare : Je désolais Mélise, il faut que je répare.Le marquis lui convient, il pense... Il ira loin,Et de lui quelque jour on peut avoir besoin.Que fait-on ? SCÈNE II. Lisimon, Mélise, Dorine. LISIMON. Eh bien ! Qu'est-ce ? Un air mélancolique ?Moi, je veux qu'on me parle et qu'on se communique. Ça, raisonnons un peu : j'avais jugé trop tôt.Damis, je le vois bien, n'est pas ce qu'il vous faut.Il a je ne sais quoi qui d'abord intéresse ;Mais sa conduite sourde annonce trop d'adresse.Trop de flegme, à la longue, est à périr d'ennui, Et je crois que vraiment je me gâte avec lui. DORINE. Vivat ! Enfin, monsieur redevient raisonnable.Damis a des moments, mais il n'est point aimable.Il aime avec méthode, il brûle sensément ;La mode en peut venir, et rien n'est moins plaisant. MÉLISE. À ravir ! Comment donc ! Allez, Mademoiselle,Sachez une autre fois mesurer votre zèle ;Renfermez avec soin ces transports indiscrets,Et supprimez surtout le talent des portraits. DORINE. Madame une autre fois je ferai moins sincère, Et je saurai... MÉLISE. Sachez m'obéir et vous taire. LISIMON. Sans doute elle outre un peu ; mais je crois qu'en effetDamis est trop contraint, et n'est point votre fait. MÉLISE. Y longez-vous ? Laissez, laissez aller les choses.Je ne comprends plus rien à vos métaphores. LISIMON. Oh ! Je veux vous venger d'un insolent refus. MÉLISE. Je vous dispense, moi, de ces soins superflus. LISIMON. Mon amitié pour lui, dans cette circonstance,Lui vaut de votre part un reste d'indulgence :Mais je vois clairement que vous le détestez, Et je ne prétends pas forcer les volontés.Rejeter un hymen pour lui trop honorable... MÉLISE. À part.Vous me persécutez. Il est insupportable ! LISIMON. Assurément il l'est, et j'en suis révolté.J'admire en pareil cas, votre sécurité : Je suis d'une fureur !... C'est que cette aventurePeut prendre dans le monde une sotte tournure.Je vois loin. MÉLISE. Oui, très loin. LISIMON. Et puis d'ailleurs j'ai suQue là-bas... À la Cour, il est très peu connu. MÉLISE. Quoi, cela vous reprend ? LISIMON. L'obscurité me blesse. Quand on a votre esprit, vos grâces, votre goût,Il faut prendre un mari fait pour aller à tout.J'ai des projets... je veux.... l'affaire m'intéresse ;Et pour bien des raisons, je dois venger ma nièce,En ce jour, à l'instant : oui, j'y cours de ce pas... Vous m'arrêtez en vain, je n'en démordrai pas.Je n'en point comme vous une tête légère,Qui veut et ne veut plus ; il faut du caractère. Il sort. SCÈNE III. Mélisse, Dorine. MÉLISE. Voilà du Floricourt... Si pourtant son humeur...Damis a dans mon oncle un zèle protecteur ! Je crois qu'il devient fou... Mais moi, suis-je plus sage ? À Dorine.De parler aujourd'hui vous avez une rage ! DORINE. Moi ? MÉLISE. Damis est à plaindre. DORINE, entre ses dents. Il le mériterait. MÉLISE. Hem ? Comment ? Votre esprit se forme tout-à-fait,Je vous trouve aujourd'hui brillante en réparties. À part.Mais, par où de mon oncle arrêter les lubies ?Il va trouver Damis : que lui va-t-il conter ? Damis paraît, Dorine se retire. SCÈNE 1V. Mélise, Damis. MÉLISE. Quoi, c'est vous ? DAMIS. Je me sauve. MÉLISE. Oh vous pouvez rester. Après une pause. Savez-vous que tantôt j'étais fort singulière. DAMIS. Vous vous en souvenez ? MÉLISE. J'en ai ri la première. Je ne fais où j'ai pris ces indiscrets éclats.Il est tout simple au moins que vous ne m'aimiez pas. DAMIS. Je vous ai rassurée. MÉLISE. Et j'en suis fort contente. DAMIS. Autant que je puis voir, l'amour vous épouvante ? MÉLISE. Tout ce qui me fâchait, c'est qu'en vous défendant, Vous paraissiez encore avoir l'air d'un amant.Il régnait dans vos tons je ne sais qu'elle gêne,Qui sur vos sentiments me laissait incertaine.Oui, tenez, on eût dit que vous étiez piqué. DAMIS. Voilà ce que dans moi vous avez remarqué ? MÉLISE. C'est ce que j'ai cru voir. DAMIS. Idée. MÉLISE. En conscience,Êtes-vous bien certain de votre indifférence ? DAMIS. Celui-là vient de loin ! Quoi, vous ne croyez pas ?Mais ne retournons point à nos premiers débats.Prenez garde; au traité vous êtes infidèle, C'est vous qui commencez à me chercher querelle.Quand je vous aimerais pensez-vous entre nousQue j'irais l'avouer après votre courrouxMoi qui sais à quel point cela peut vous déplaire,Moi qu'on vient de chasser sans nul préliminaire ? Si contre moi le doute a bien pu vous armer,Quel sort me feriez-vous si j'osais vous aimer ? MÉLISE. Le cas est différent. DAMIS. Il deviendrait le même.Oh ! Je vous connais bien. Malheur qui vous aime ! MÉLISE. Quelle obstination ! DAMIS. Eh bien, n'en parlons plus. Pourquoi, sans nul objet, s'échauffer là-dessus ? MÉLISE. Vous êtes incroyable avec votre système !Comment ? Si vous m'aimiez, par un malheur extrême !Loin d'en faire l'aveu, loin de me prévenir... DAMIS, avec une sorte de crainte. Mais... Il est quelquefois très bon de voir venir. MÉLISE. Et le coeur est soumis à ces calculs infâmes !Les hommes ! Quels fléaux ! Puis on s'en prend aux femmes !D'un instinct libre et pur si l'amour est le fruit,Du moment qu'on raisonne, il est déjà détruit.L'homme honnête, Monsieur, dédaignant la finesse, Doit tout à son penchant, et rien à son adresse.Eh ! Qu'attendre d'un coeur par lui-même gêné,Qui, s'observant toujours, n'est jamais entraîné ?Il faut s'abandonner, sentir tout, ne rien feindre,S'enflammer pour le prix, sans projet pour l'atteindre. Qui sait le mieux tromper, plaît quelquefois le mieux :Mais qui plaît sans aimer, jouit sans être heureux.Ah ! Je plains bien le sort d'une femme sensible !... DAMIS. Ce phénix, s'il existe, est au moins invisible. MÉLISE. À vos yeux. DAMIS. Le trouver, c'est l'affaire du temps. Sous le masque entre nous reconnaît-on les gens ?De vos goûts passagers comment suivre les traces ?Le sentiment chez vous disparaît sous les grâces. MÉLISE. Quoi vous ne savez pas lire au fond de nos coeurs ? DAMIS. Moi ! Vraiment je le donne aux plus fins connaisseurs. MÉLISE. Vous n'avez donc pas vu que cent fois dans sa vie,Floricourt, par exemple, et m'excède et m'ennuie ?Vous n'avez donc point vu malgré tous leurs propos,Que même en les fêtant, je méprise les sots ;Qu'au milieu du grand monde, où je parais légère, Je me suis fait un plan et presqu'un caractère ;Qu'à la foule bruyante, à mille jolis riens,J'ai souvent préféré vos graves entretiens ;Et que ?... DAMIS. Vous vous taisez ? Pourquoi donc ? MÉLISE, à part. Je m'admire ! DAMIS. Eh bien ? MÉLISE. Eh bien, Monsieur... Je n'ai plus rien à dire. DAMIS. Quand le coeur ne sent rien... SCÈNE V. Les mêmes, Floricourt. FLORICOURT, riant aux éclats dans le fond du théâtre. S'approchant.D'honneur le tour est gai.Ah ! Je respire enfin, notre oncle est subjugué.Jugez s'il m'aime ! Il veut, et dès cette journée,Décider mon bonheur, fixer notre hyménée.Il est expéditif. MÉLISE. Fort bien, Marquis, fort bien ! L'aveu de Lisimon vous assure du mien :Vous pouvez y compter. FLORICOURT. Après ce tour d'adresse,Il serait trop piquant... MÉLISE. Mais par quelle finesseAvez-vous donc, Monsieur, retourné son esprit ? FLORICOURT. Bien dit. MÉLISE, avec empressement. Voyons. FLORICOURT. Pour le réduire, il a fallu lui plaire. Votre oncle s'est d'abord armé d'un front sévère.J'ai radouci mon ton pour ne le point heurter,Et j'ai surpris enfin l'instant de le flatter.J'ai vanté son discours soi-disant laconique,Sa pénétration, surtout sa politique : Je me fuis étonné qu'un homme tel que lui,Ne fût point dans l'état très puissant aujourd'hui.Vous auriez un oeil d'aigle, un abord populaire,Et l'art d'approfondir, joint avec l'art de plaire !Lui disais-je à peu près : il l'a cru bonnement. Moi de montrer alors un zèle véhément,D'offrir tout mon crédit... Enfin rien ne l'arrête,Le voilà décidé. MÉLISE. Mais c'est une conquête. À part en regardant Damis.Voyez si rien l'émeut. FLORICOURT. L'amour agit pour nous. MÉLISE, sérieusement. Puisque mon oncle enfin est appuyé par vous, À ses nouveaux desseins je n'ose être contraire.Il faut... FLORICOURT. Vous convenez que pour moi tout prospère.Notre hymen... MÉLISE. Oui, Marquis, devient très positif. DAMIS, d'un ton piqué. La grandeur de votre oncle est un point décisif,Et... FLORICOURT. J'ai craint de Damis quelque temps la poursuite ; On m'a tranquillisé. DAMIS. Qui donc ? MÉLISE, vivement. Dites-nous vite. FLORICOURT, à Mélise. Je sais qu'il aime ailleurs. MÉLISE. Il peut nous mettre au fait. FLORICOURT. Eh comment donc ? Comment ? MÉLISE. Il a certain portraitQui ne le quitte pas. FLORICOURT. C'est Céladon lui-même !Oui, pour ce portrait là sa folie est extrême. DAMIS. Madame il est trop vrai, je l'aime éperdument. MÉLISE. L'original, sans doute est un objet charmant ? DAMIS, d'un ton passionné. Oh ! Charmant ! MÉLISE. Je le crois. DAMIS. Je lui dois cet hommage. FLORICOURT. Eh bien, s'il est ainsi, montrez-nous son image. DAMIS. Si madame le veut, ma prudence consent ; Mais à condition que vous serez absent. FLORICOURT. Moi ? DAMIS. Vous. FLORICOURT. Pour un portrait ? Allons, quelle manie ! DAMIS. Vous le faire entrevoir, c'est en donner copie. FLORICOURT. Il est d'une rigueur Madame, prononcez. MÉLISE. Mon sexe... est curieux. FLORICOURT. J'entends, vous me chassez. Je vais de Lisimon aiguillonner le zèle ;Votre bonheur, le mien près de lui me rappelle,J'y vole en m'éclipsant d'un air paisible et doux,Je satisfais d'avance aux égards d'un époux. Il baise la main de Mélise et sort. SCÈNE VI. Mélise, Damis. DAMIS. Cet hymen me paraît une affaire conclue. MÉLISE. Tout de bon, croyez-vous que j'y sois résolue ? DAMIS. Pourquoi non ? De votre oncle il a déjà l'aveu,Et... le vôtre suivra. MÉLISE. Le mien ?... Voyons un peuLe Portrait. DAMIS. Un moment. MÉLISE. Volontiers. Mais, de grâce,Que vous importe enfin que cet hymen se fasse ? Vous êtes occupé tout le prouve et le dit :Ce que l'art veut cacher, l'art même le trahit.Pour moi, ce qui m'en plaît, tout haut je le confesse,C'est que vous possédez une étrange maîtresse.Elle est assurément calme dans ses amours. Elle sait que chez moi vous êtes tous les jours,Et son orgueil se tait, et son coeur est tranquille !De tous vos soins pour moi spectatrice immobile,Madame ne dit mot, trouve que tout est bien,Et n'a garde avec vous de se plaindre de rien ! Elle a donc cinquante ans ? DAMIS. Pas tout-à-fait encore.Elle n'en a que vingt. MÉLISE. Quel conte ! À part.Je l'abhorre. DAMIS. Ah ! N'en parlez point mal. Quand vous la connaîtrez,D'un jugement trop prompt vous vous repentirez ;C'est moi qui vous le dis. MÉLISE. Vous dites à merveille, DAMIS. Vraiment ? MÉLISE. Continuez, oui, je vous le conseille ;Que m'importe... Ah ! Je vois... peut-être croyez-vousQu'une humeur sans motif cache un dépit jaloux ?Cela serait nouveau ! Moi, de la jalousie !Moi, vous aimer ! Non, non; je n'en ai nulle envie. Je ne m'oppose point à vos félicités. DAMIS. Vous ne devinez pas combien vous m'enchantez...C'est votre dernier mot ? MÉLISE. Ce doute là m'offense.Vos discours à la fin lassent ma patience.Allez trouver, Monsieur, la beauté qui vous plaît, Et gardez constamment un aussi rare objet. DAMIS. Je me le promets bien... MÉLISE. Mon Dieu ! J'en étais sûre...Je me ravise, et veux connaître sa figure : Son naturel paisible, unique en ses effets,Me donne le désir de contempler ses traits. DAMIS. Oh ! Dans ce moment-ci vous verriez mal sans doute. MÉLISE. Elle craint mes regards ? DAMIS. C'est moi... qui les redoute. MÉLISE. Mais j'ai votre parole... Essuierai-je un refus ? DAMIS. Pour juger sainement, vos sens font trop émus. MÉLISE. Je le veux. DAMIS. Je ne puis. MÉLISE. Comptez, comptez d'avance, Puisqu'elle en a besoin, sur beaucoup d'indulgence. DAMIS, tirant le portrait. Vous l'exigez ? MÉLISE, arrachant le portrait. Oui, oui. Mais donnez donc, Monsieur. DAMIS. Oh, tout charmant qu'il est, il va vous faire peur. MÉLISE, avec le plus grand étonnement. Ciel ! DAMIS. Je l'avais prévu. MÉLISE. Mon portrait ! DAMIS. Oui, lui-même.C'est un vol que j'ai fait. MÉLISE. Cette audace est extrême ! Après une pause riant.Vraiment je l'ai tantôt joliment arrangé. DAMIS. Puisqu'il est ressemblant, Madame, il est vengé. MÉLISE. D'honneur, il est parlant, et... Quel fourbe vous êtes !Voilà donc contre nous les complots que vous faites ?Sur l'excès de vos torts je n'ose m'arrêter. Pourquoi ravir un bien que l'on peut mériter ?Mais ce portrait enfin suffit-il pour m'instruire ? DAMIS. Il est chargé de tout ; moi je n'ai rien à dire.D'ailleurs, puis-je jamais fléchir votre courroux ? MÉLISE. Puisque vous en parlez, je conviens avec vous... C'est le cas ou jamais d'être fort en colère. DAMIS. Oh, oui ! Vous servirez contre le téméraire. MÉLISE. C'est selon... Cependant... Je dois... Que fais-je ? DAMIS. Enfin...Quand le coupable plaît... DAMIS. Fait-on grâce au larcin ?Il faut qu'absolument votre bouche prononce. MÉLISE. Après un silence.Il vous tint lieu d'aveu : qu'il soit donc ma réponse. Elle lui rend le portrait. DAMIS, avec la plus grande vivacité. Je tombe à vos genoux. Quel moment enchanteur.Plus je me suis contraint, plus je sens mon bonheur.Ne vous souvenez plus d'une ruse innocente,Qui peut-être a fixé votre âme indépendante... Ah, la mienne est à vous ! Recevez son serment.Le calme de mon front cachait un coeur brûlant.Je redoutais vos goûts, le Marquis... vos caprices,Vous ne vous doutiez pas de tous mes sacrifices.Des combats douloureux voilà mes Seuls forfaits. J'ai feint quelques instants, pour ne feindre jamais.L'amour seul m'inspira : c'est lui qui me couronne.Le tour n'est pas si noir... vous riez. MÉLISE. Je pardonne. Damis se met à genoux. SCÈNE VII. Lisimon, Floricourt au fond du théâtre ; Dorine, Germain entrant par une coulisse opposée, Damis, Mélise. Ils restent tous dans un différente attitude. LISIMON, à Dorine. Que le notaire... Apercevant Damis à genoux de Mélise.Attends... Je reste confondu... FLORICOURT, à Damis. L'attitude me plaît... D'ailleurs c'est un rendu. Vous avez votre tour. LISIMON. Quel est donc ce mystère ? À Folrimont.Que diable ! Je croyais que vous aviez su plaire. FLORICOURT. Eh bien, vous vous trompiez. DAMIS, à Lisimon. Daignez combler mes voeux. DORINE, se mettant entre Floricourt et Lisimon. Courage.... ou vous voilà disgraciés tous deux. FLORICOURT, à Lisimon, avec gaieté. Adieu nos grands projets. Tout amant à ma place S'en irait contristé, honteux de sa disgrâce.Un tendre désespoir m'ennuierait à mourir.Éprouve-je un revers ? Je médite un plaisir.Je reviens à mes goûts, il me faut des coquettes. À Mélise.Damis est trop heureux ! Je le suis, si vous l'êtes. Il s'échappe, en faisant signe qu'on ne prenne pas garde a lui. SCÈNE VIII. Lisimon, Mélise, Damis, Dorine, Germain. LISIMON, à Damis. Pour chasser un rival ton secret est fort bon. GERMAIN, d'un air triomphant. Nous avons esquivé la déclaration ! ==================================================