******************************************************** DC.Title = LAODICE, REINE DE CAPPADOCE, TRAGÉDIE DC.Author = CORNEILLE, Thomas DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:46. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CORNEILLET_LAODICE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LAODICE, REINE DE CAPPADOCE TRAGÉDIE M. DC LXVIII. AVEC PRIVILÈGE DU ROY. DE T. CORNEILLE À ROUEN, Et se vend À PARIS, Chez CLAUDE BARBIN, sur le second Perron de la Sainte Chapelle.Achevé d'imprimer pour la première fois le 8 Mars 1668. à Rouen, par L. MAURRY, aux dépens de l'auteur, lequel a traité la présente impression et du privilège à l'avenir avec CLAUDE BARBIN, et GABRIEL QUINET Marchands Libraires à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entr'eux. AU LECTEUR. Le sujet de cette tragédie est tiré du trente-septième livre de Justin. Ceux qui auront la curiosité de l'y chercher, connaîtront ce que j'ai ajouté à l'Histoire pour l'accommoder à notre théâtre. L'action principale y est si forte qu'elle m'a contraint d'affaiblir les épisodes, et de négliger beaucoup d'ornements pour laisser à Laodice toute l'étendue de son caractère. La matière était belle pour l'ambition, et je ne doute point qu'un autre n'en eut fait voir des peintures plus achevées. Pour moi, j'avoue que mes forces n'ont pû aller plus loin, et que je ne demande l'indulgence dont j'ai besoin pour cet ouvrage, qu'après avoir employé tous mes soins pour adoucir les défauts dont je n'ai pu entièrement le purger. ACTEURS. LAODICE, Reine de Cappadoce. ARIARATE, fils de Laodice, déguisé sous le nom d'Oronte. AQUILIUS, ambassadeur de Rome. PHRADATE, prince sujet de Laodice. ANAXANDRE, prince sujet de Laodice. AXIANE, princesse de Cilicie. CLÉONE, confidente de Laodice. ALCINE, confidente d'Axiane. THÉODOT. La Scène est dans la Capitale de Cappadoce. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Axiane, Alcine. AXIANE. Quoi, le Sénat députe, et sans daigner attendreQu'ici l'Ambassadeur ait le temps de se rendre,La Reine sur ce choix ne consultant que soi,Veut à la Cappadoce enfin donner un Roi ? ALCINE. Vous en étonnez-vous quand Rome s'intéresse À l'époux qu'elle doit choisir pour la Princesse ? Déjà depuis longtemps le peuple à haute voix Afin d'avoir un Roi presse pour ce grand choix, Et comme Aquilius que ce projet amèneArrivant tout à coup peut surprendre la Reine, Pour prévenir son ordre, elle veut aujourd'huiNous donner seule un maître et s'en faire un appui.Jalouse de l'éclat dont la Couronne brilleElle a peine sans doute à la rendre à sa fille,Mais au moins cet époux que son choix seul résout, Ne tiendra rien de Rome, et va lui devoir tout. AXIANE. Mais Rome se plaindra de ce choix fait sans elle :Si le feu Roi mourut armé pour sa querelle,Du moins dans sa mort même il en reçut le prixLorsque Rome agrandit l'Empire de ses fils, [Note : Cappadoce : Région de l'Asie mineure bornée au nord par le Pont-Euxin, au levant par l'Arménie Mineure, et à l'Occident par la Galatie, au midi le Mont Taurus la séparait de la Cilicie. [T]]Et qu'à la Cappadoce on vit par elle unieLa Cilicie entière, et la Lycaonie. ALCINE. Que ne sont-ils vivants ces fils infortunésPar qui tous ces États vous étaient destinés !L'hymen qui vous eût jointe à l'ainé de ces Princes Vous aurait fait régner sur toutes ces provinces,Et vos Ciliciens par ce noeud glorieuxEussent vu leur Princesse au rang de ses aïeux. AXIANE. Le Ciel dont contre moi les rigueurs éclatèrentM'ôta la Cilicie où mes aïeux régnèrent, Et par l'ordre de Rome envoyée en ces lieuxJ'y pouvais espérer un destin glorieux,Du moins Rome, en donnant mes États à la Reine,Sembla me réserver au rang de souveraine,Et pour les voir au siens plus sûrement unis Me destina pour femme à l'aîné de ses fils ;Mais ils ne vivent plus, et quoi que l'on se flatteQue le Ciel a sauvé le jeune Ariarate,Arsinoé sa soeur a droit seule aujourd'huiDe posséder le rang que j'attendais de lui. ALCINE. Aux voeux d'Arsinoé quoi que ce rang promette,Ariarate encor la peut laisser sujette.Le plus riant espoir nous trompe assez souvent,Que sait-on si ce frère enfin n'est point vivant ?Si l'on en croit la Reine, il est prêt à paraître. AXIANE. Sais-tu d'où vient le bruit qui le force à renaître ?La Reine que le trône a toujours su charmerFait à regret le Roi qu'elle est prête à nommer,Et des jours de son fils la frivole assuranceTenait toujours l'hymen de sa fille en balance, Qui de son frère encore attendrait le retour,Si le Peuple ennuyé ne pressait ce grand jour,Il croit ce Prince mort, et veut avoir un maître. ALCINE. Ah, s'il était vivant, et qu'il se fît connaître,Le trône sûr pour vous... AXIANE. Il a de quoi toucher, Mais peut-être à ce prix il me coûterait cher. ALCINE. Quoi ? Vous refuseriez l'hymen d'Ariarate ? AXIANE. Il peut seul m'affranchir d'une fortune ingrate,Mais pour nous éblouir quoi qu'un Trône ait d'appas,Peut-on être content quand le coeur ne l'est pas ? ALCINE. Ô Dieux ! Se pourrait-il que pour toucher le vôtre,L'Amour... AXIANE. Il peut sur moi ce qu'il peut sur une autre,Et ce qu'on met d'obstacle aux traits qu'il fait sentirSert à croître souvent ce qu'on pense amortir. ALCINE. Cet aveu me surprend, mais à qui puis-je croire Que l'amour ait voulu destiner tant de gloire ?Nos Princes qui pourraient aspirer jusqu'à vousDe leur ambition font leurs voeux les plus doux,La main d'Arsinoé donne le diadème,Et dans l'avidité de la grandeur suprême, Chacun pour son hymen qui les fera régnerBrigue la voix d'Oronte, et tâche à le gagner.Ce fameux inconnu peut beaucoup sur la Reine. AXIANE. Son mérite est bien rare. ALCINE. Il obtient tout sans peine,Et ce faîte d'honneurs où l'on voit aujourd'hui... AXIANE. Ils sont grands, mais crois-tu qu'on puisse trop pour lui ? ALCINE. Je sais bien qu'à l'État il est si nécessaireQu'afin de l'arrêter on ne peut assez faire.Depuis plus de deux ans que la faveur des DieuxNous l'ayant envoyé le retient en ces lieux, De nos fiers ennemis l'insolence étoufféeÀ ses moindres exploits a servi de trophée,Et ce que leur audace ou médite ou produitPar ses sages conseils est aussitôt détruit ;Mais ces rares effets de valeur, de prudence, Lui donnent de la gloire, et non de la naissance,Et le rang inégal où le Ciel l'a forméNe l'empêche pas moins d'espérer d'être aimé. AXIANE. Il se peut qu'en son coeur cet espoir n'ose naître,Mais, Alcine, pourquoi ne pourrait-il pas l'être ? L'amour, de la raison est-il toujours l'effet,Et n'aime-t-on jamais sans savoir ce qu'on fait ? ALCINE. Je croirais que son rang trop différent du vôtre... AXIANE. Et n'ai-je pas un coeur et des yeux comme une autre,Et quand d'un vrai mérite on fait briller l'appas, Est-il en mon pouvoir de ne l'estimer pas ? ALCINE. L'estime est innocente, et fut toujours permise,Mais l'amour... AXIANE. Songe-t-on que l'amour se déguise,Et dans la liberté de voir et d'estimer,Lorsqu'on aime en effet, s'aperçoit-on d'aimer ? D'un doux je ne sais quoi la plus flatteuse amorceN'est d'abord qu'un tribut où la vertu nous force.L'éclat dont elle brille aux yeux de cent témoinsD'un coeur qui la connaît ne peut attendre moins.L'âme a beau s'en trouver inquiète, interdite, La raison y consent, c'est l'effet du mérite,Et l'on ne veut pas voir que malgré son secoursCe mérite plaît tant qu'on y pense toujours.C'est par là qu'ébloui d'une vertu parfaiteMon coeur en succombant s'est caché sa défaite, Et qu'à mes sens surpris osant trop déférerIl a pris de l'amour, et n'a crû qu'admirer.Tout ce que des héros l'Histoire nous raconte,Tout ce qu'ils ont de grand je l'ai vu dans Oronte.L'État qui chancelait sans l'appui de son bras Doit son entier triomphe à ses derniers combats,Au trône par lui seul la Reine est affermie,Et s'il eut en naissant la fortune ennemie,Quoi qu'on veuille par là ravaler ses exploits,C'est être plus que Roi que maintenir les Rois. ALCINE. Je le veux croire ainsi. Mais Oronte, Madame,Est-il assez heureux pour lire dans votre âme ?En sait-il le secret ? AXIANE. Je tâche à lui cacherCe qu'en vain de mon coeur je voudrais arracher,Je m'observe sans cesse en tout ce qu'il m'inspire, Mais l'amour dit beaucoup lorsqu'il croit ne rien dire,Et quelque soin qu'on prenne à bien dissimuler,Si la bouche se tait, les yeux savent parler.Aussi je l'avouerai ; cet heureux téméraireSemble se tenir sûr de ne me point déplaire. Je le vois quelquefois d'un regard tout mourantSolliciter l'aveu des devoirs qu'il me rend.Son amour que fait taire un respect tyranniqueEmprunte le secours d'un soupir qui l'explique,Et j'ai connu souvent qu'il s'était répondu Que s'il m'avait parlé je l'avais entendu.Juge, Alcine ... ALCINE. Voyez que l'amour vous l'amène. SCÈNE II. Ariarate sous le nom d'Oronte, Axiane, Alcine. ARIARATE. Madame, vous savez le dessein de la Reine.Des voeux de ses sujets se faisant une loiOn la voit qui s'apprête à nous donner un Roi ; Au défaut de son fils dont on plaint la disgrâceSa fille Arsinoé prend aujourd'hui sa place,Et l'époux que pour elle a résolu son choixMontant par elle au trône y va donner des lois.Quelle douceur pour moi si dans cette journée Au lieu d'Arsinoé vous étiez couronnée !Quand Rome disposa de vos États conquis La Reine pour époux vous destina son fils,Et dans la Cappadoce on vous vit élevéePour la gloire où ce choix vous avait réservée. Plut au Ciel qu'il parût ce fils, et qu'il fut prêt... AXIANE. Oronte en mon destin prend toujours intérêt,Et ne peut sans douleur voir ma gloire obscurciePar le sort qui m'a fait perdre la Cilicie.Comme elle est le partage où régnaient mes aïeux J'aurais voulu sans doute y régner après eux,Mais puisqu'enfin le Ciel autrement en disposeM'ôtant la Cappadoce, il m'ôte peu de chose,Et du moins ne devant ni mon coeur ni ma foi,Si je vis sans éclat, je puis vivre pour moi. ARIARATE. Quoi, donner votre coeur au Prince AriarateSerait un sort pour vous... AXIANE. La liberté me flatte,Et ce coeur trop altier appelle un attentatTout ce qui le soumet à des raisons d'État. ARIARATE. J'admire à ces raisons la fierté qu'il oppose, Mais si j'osais, Madame, en pénétrer la cause. AXIANE. Et que me diriez-vous ? ARIARATE. Ce qu'il nous tient caché,Que sans doute en secret quelque autre l'a touché,Et qu'ainsi... AXIANE. Ce soupçon va trop loin pour ma gloireMais enfin quel sujet auriez-vous de le croire ? D'aucuns voeux, d'aucuns soins m'a-t-on vu faire cas ? ARIARATE. Madame, au nom des Dieux ne me le cachez pas.Un si fort intérêt me presse de l'apprendre... AXIANE. Vous ? Et quel intérêt auriez-vous lieu d'y prendre ? ARIARATE. Madame... AXIANE. Expliquez-vous, je vous ai tout permis. ARIARATE. Vous savez le crédit où la faveur m'a mis,Je puis ce que je veux sur l'esprit de la Reine,Et quand le choix d'un Roi lui tient l'âme incertaine,Nommant qui vous aimez vous n'auriez point l'ennuiDe craindre que ce choix put s'arrêter sur lui, J'en saurais à vos voeux épargner le supplice. AXIANE. Je lui ferais peut-être un peu moins d'injustice,Et croirais que ma gloire aurait à s'indignerSi mon coeur lui coûtait la douceur de régner.Mais ma crainte par là trouve peu de matière, Et pour vous en donner la marque toute entière,Si quelque vrai mérite avait à me charmer,Ce serait par vos yeux que je voudrais aimer,Ce que vous choisiriez aurait droit de me plaire. ARIARATE. Et vous pourriez, Madame, en croire un téméraire, Qui pour faire un heureux, quel que soit votre rang,Chercherait plus l'amour que la splendeur du sang ?À quel prompt désaveu vous verrais-je réduite ? AXIANE. Ayant choisi par vous j'en craindrais peu la suite,Et qui pour la vertu s'est toujours expliqué... ARIARATE. Que sert cet avantage où le reste a manqué ?Si je vous proposais quelqu'un dont la naissanceAvec le sang des Rois eût trop de différence,Quelqu'un dont ce malheur ternit les qualités ? AXIANE. Ces défauts au Destin doivent être imputés, Un héros n'est garant que d'un mérite extrême,Que d'un... ARIARATE. Et si j'osais vous parler pour moi-même,Vous jurer que jamais une si vive ardeurAvec tant de respect ne s'empara d'un coeur,Que le mien tout à vous par un pur sacrifice... Mais de ma folle audace ordonnez le supplice,Dans son emportement je m'égare et me perds.Est-ce à moi de porter de si glorieux fers ?Est-ce à moi de prétendre où mon orgueil aspire ?Parlez, Madame. AXIANE. Adieu. ARIARATE. Quoi, sans me vouloir dire... AXIANE. Épargnez ce qu'ici je me dois de fierté.C'est vous avoir trop dit que d'avoir écouté. ARIARATE. C'est beaucoup, il est vrai, mais si ce pur hommage... AXIANE. À quoi bon me presser d'en dire davantage ?Les devoirs d'un beau sang vous sont assez connus, Vous savez qui je suis, jugez vous là dessus. ARIARATE. Ce que vous m'opposez n'est pas ce qui me gêne,Soutenez ce beau sang, je le verrai sans peine,Dites-moi seulement si mon feu vous déplaît,Si votre coeur touché... AXIANE. Je ne sais ce qu'il est, Mais je sens qu'il se trouble à vouloir vous entendre,Et que quoi que l'amour vous forçât d'entreprendreVous pourriez espérer le succès le plus doux,Si l'orgueil de mon rang n'était pas contre vous. SCÈNE III. Ariarate, Phradate. PHRADATE. Voudrez-vous l'avouer ? La Princesse Axiane Cherche à rompre par vous un choix qu'elle condamne,L'hymen d'Arsinoé la doit inquiéter. ARIARATE. L'espoir d'une Couronne est fâcheux à quitter,Mais Axiane est ferme, et loin de lui voir craindre ... PHRADATE. Que je la trouve heureuse, et que je suis à plaindre ! Quoi que d'Arsinoé tous les voeux soient pour moi,J'ai des rivaux, Oronte, et j'en tremble d'effroi,Car vous ne doutez point que leur jalouse envieM'ôtant Arsinoé ne me coûte la vie.Vous pouvez seul contre eux soutenir mon espoir, Vous avez sur la Reine un absolu pouvoir,Et cent fois, quant le trouble est entré dans mon âmeVous m'avez répondu du succès de ma flamme,Enfin, mon cher Oronte, il est temps de parler. ARIARATE. Je vous dois trop, Seigneur, pour vouloir reculer, Ce service est le moindre où l'honneur me convie,Sans vous dans un combat j'aurais perdu la vie,Et cent fois vos bontés s'intéressant pour moiOnt daigné m'affermir au rang où je me vois.Ainsi pour vôtre amour ne soyez point en peine, Aimez Arsinoé, je réponds de la Reine,Et vous pouvez vous croire au comble de vos voeux, S'il est vrai que sa main vous puisse rendre heureux. PHRADATE. À l'honneur de ce choix beaucoup osent prétendre,Mais mon amour sur tout me fait craindre Anaxandre, Cet orgueilleux rival ne manque point d'appui,Et de ses partisans... ARIARATE. Ne craignez rien de lui ;L'aveugle ambition dont la fierté l'entraîneLui laisse peu de part aux bontés de la Reine,Elle cherche un esprit souple, docile, accort, Qui pour régner toujours lui serve de support,Et qui du rang pompeux dont on la voit arbitre,Lui laissant le pouvoir se contente du titre. PHRADATE. Je l'abandonne entier à l'ardeur de ses voeux,Le coeur d'Arsinoé, c'est tout ce que je veux, Et pourvu que sa main ... ARIARATE. Quoi, Seigneur, sa personneA des charmes pour vous plus forts que sa Couronne ? PHRADATE. Oui, j'atteste les Dieux que sans ambitionElle seule a causé toute ma passion,Que sans trône à mes yeux également aimable... ARIARATE. Toujours d'un pur amour je vous ai cru capable,Vous en aviez besoin, et pour m'expliquer mieux,Ariarate est prêt de paraître en ces lieux. PHRADATE. Ariarate ! ARIARATE. Et quoi ? Son retour vous fait peine ? PHRADATE. Non, mais je conçois mal le dessein de la Reine, Pourquoi feindre aujourd'hui le choix d'un autre Roi ? ARIARATE. Le secret de son fils n'est connu que de moi,Elle-même l'ignore, et pour ne vous rien taireÀ vous qui m'honorez d'une amitié sincère,Aquilius qu'exprès Rome envoie en ces lieux Vient rétablir ce Prince au rang de ses aïeux. PHRADATE. Aucun n'ignore ici que dès son plus bas âgeDu vivant du feu Roi Rome l'eut en otage,Mais à peine du jour le Roi fut-il privéQue Rome se plaignit qu'il lui fut enlevé, Et si nous en croyons ce qu'elle fit paraître,Ce crime eut des auteurs que l'on ne put connaître. ARIARATE. Hélas ! Ils n'ont enfin été que trop connus.Dispensez-moi, Seigneur, de parler là-dessus,Et pour finir plutôt un discours qui me gêne Songez aux bruits fâcheux qu'on sema de la Reine.De cinq fils, tous enfants, restez en son pouvoir,La mort souilla son nom du crime le plus noir,Le poison l'en défit, au moins contre sa gloireChacun le publia comme on le voulut croire ; Mais si l'on eut ici des soupçons incertainsLe crime fut bientôt évident aux Romains.Comme la peur de rendre un jour le diadèmeEn elle avait armé le sang contre soi-même,Le jeune Ariarate en otage chez eux Mettait un dur obstacle au succès de ses voeux.Pour l'enlever de Rome elle choisit OrcameQui surpris de sa rage, et plein d'horreur dans l'âme,Feignant de la servir vient apprendre au SénatL'ordre de ce funeste et dernier attentat. Rome qu'occupait lors une pressante guerreSuspend pour quelque temps l'éclat de son tonnerre,Et croit qu'un seul témoin ne l'autorise pasÀ détruire une Reine, et prendre ses États,Mais pour n'exposer plus le Prince à tant de rage, Elle feint qu'on lui vient d'enlever son otage,Tandis que l'élevant ailleurs sous un faux nom,Du sort qui le conserve elle ôte le soupçon.Orcame cependant vient retrouver la Reine,De ce fils malheureux lui fait la mort certaine, Et la sienne qui suit la laisse en libertéDe jouir de son crime avec impunité.Pour régner toujours seule en dépit de l'envie,Du Prince Ariarate elle opposait la vie,Et feignant de douter de la mort de ce fils, De son doute affecté le trône était le prix.Mais enfin il est temps de rompre le silence,L'Ambassadeur de Rome est plus près qu'on ne pense,Et dès aujourd'hui même on doit rendre éclairciPar un premier avis ce qui l'amène ici. PHRADATE. Ah, souffrez que pour moi tout le secret éclate,Ce que vous m'apprenez me montre Ariarate,Puisque sous un faux nom il nous abuse tous,À vos rares vertus je le dois croire en vous,Sur ma fidélité prenez toute assurance. ARIARATE. Oui, Prince, il faut vous faire entière confidence ;Fils d'une indigne mère ... PHRADATE. Ah, Seigneur ! ARIARATE. Ces respectsSi l'on nous observait, pourraient être suspects,Il est bon qu'aujourd'hui ce zèle se surmonte,Attendant le Romain traitez-moi comme Oronte, Lui seul de mon secret a droit de disposer. PHRADATE. Mais quoi ? Depuis deux ans Seigneur, vous déguiser ? ARIARATE. Rome a donné ce temps à ma juste prièrePour me laisser fléchir la haine de ma mère,Et voir si je pourrais lui faire concevoir Qu'en vain d'un fils au trône elle a craint le pouvoir.Que bien loin qu'à ce rang l'ambition m'appelle,Même en donnant des lois, je veux en prendre d'elle,J'ai réussi, ce semble, elle m'aime, ou du moinsPour l'appui de son sceptre elle estime mes soins. J'ai d'ailleurs la douceur d'avoir pu sans couronneAttacher Axiane à ma seule personne,En voir mes voeux reçus sans qu'un feu si discretPour les faire agréer ait trahi mon secret.J'aime à le taire exprès jusqu'à ce qu'elle apprenne Qu'Ariarate vit, et vient la faire Reine,Et que j'aie éprouvé si dans ce doux appasOronte abandonné ne la touchera pas.Ce sera lors... PHRADATE. Seigneur, j'aperçois Anaxandre. ARIARATE. Laissez-moi pénétrer ce qu'il ose prétendre, Ses projets n'ont plus lieu d'alarmer vôtre amour. SCÈNE IV. Ariarate, Anaxandre. ANAXANDRE. Phradate prend grand soin de vous faire sa CourEt je ne doute point qu'il n'ait quelque avantageSur quiconque voudra briguer vôtre suffrage.La secrète amitié qu'on remarque entre vous... ARIARATE. Seigneur, cette amitié... ANAXANDRE. Je n'en suis point jaloux,Parlez-moi seulement avec pleine franchise.Vous savez mon espoir, la place est-elle prise ?Proposez-vous Phradate, en faites-vous un Roi ? ARIARATE. Je ne sais si ce choix peut dépendre de moi, Mais si l'espoir du trône est un bien qui vous flatte,Soyez sûr que jamais vous n'y verrez Phradate. ANAXANDRE. Si vous me dites vrai, je puis tout espérer.Chacun en ma faveur aime à se déclarer,Et quoi qu'à mes Rivaux nous voyions entreprendre, Si vous n'êtes pour eux, ils n'ont rien à prétendre,Mais comme c'est par vous que je veux être Roi,Le Trône, si j'y monte, est plus à vous qu'à moi,Prenez-en ma parole, et pour plus d'assuranceJ'y joins déjà les noeuds d'une étroite alliance, De l'hymen de ma soeur... ARIARATE. Ah, Seigneur, voyez-vousCe que le Ciel a mis de distance entre nous ? ANAXANDRE. Si d'un sang plus obscur le Ciel vous a fait naître,Ce n'est pas un défaut pour qui sait vous connaître,L'éclat de cet Hymen n'est que le moindre prix... ARIARATE. D'un tel excès d'honneur je me trouve surpris,Comme vous en secret l'ambition me flatte,Mais qu'opposerez-vous au Prince Ariarate ?Il est vivant, dit-on, et vient de ses aïeux... ANAXANDRE. Montons au trône, Oronte, et laissons faire aux Dieux. ARIARATE. Quoi ? Vous refuseriez de rendre la Couronne ? ANAXANDRE. Nous en saurons les droits si l'hymen me la donne,Et lors comme de tout le temps sait décider,Nous verrons s'il faudra la rendre, ou la garder. ARIARATE. Du sang d'Ariarate on chérit la mémoire, Et pour lui contre vous je crains qu'on ne fit gloire... ANAXANDRE. Eut-il ici l'appui d'un million de bras,Avec le sceptre en main je ne le craindrais pas. ARIARATE. Mais s'il vous opposait les plus augustes marquesQue mit jamais le Ciel sur le front des Monarques, Pourriez-vous sans remords sur son trône usurpé... ANAXANDRE. Du foudre sans remords je m'y verrais frappé.Fut-il tout prêt à choir, il est beau de l'attendre ;Mais c'est perdre du temps et l'on peut nous entendre,Allez trouver la Reine, et recevez ma foi Que le trône est à vous si son choix est pour moi. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Laodice, Cléone. CLÉONE. Madame, on est surpris que dès aujourd'hui mêmeVous veuillez partager la puissance suprême,Et pour Arsinoé faire choix d'un épouxAvant que Rome ait pu conférer avec vous. Aquilius ne vient que pour cet hyménée. LAODICE. Et Cléone elle-même en peut être étonnée,Elle à qui ma conduite a dû trop enseignerQu'il n'est pour moi qu'un choix, ou périr, ou régner ?En vain j'ai fait longtemps revivre Ariarate, D'un peuple audacieux l'impatience éclate,Et l'hymen de ma fille offrant un doux espoir,Nos Princes ont de Rome employé le pouvoir,C'est par elle à choisir qu'ils ont crû me contraindre ;Mais je n'attendrai pas ce que j'aurais à craindre, Si par Aquilius l'un d'eux devenu RoiSe pouvait voir en droit de régner malgré moi.Si je fais part du trône, au moins je serai sûreEn y plaçant un Roi d'y voir ma créature,Et de rester toujours pour qui veut m'asservir Maîtresse du pouvoir qu'on cherche à me ravir. CLÉONE. Ce Roi nommé par vous doit n'aimer qu'à vous plaire,Mais pour gagner la Fille, il oubliera la mère,Et quand Arsinoé l'aura pris pour époux,Je doute qui pourra le plus d'elle ou de vous, Il n'est rien qu'à l'amour le temps ne sacrifie. LAODICE. Et pouvant le prévoir tu crois que je m'y fie,Et souffre qu'aujourd'hui par le don de sa mainMa fille ait la douceur de faire un souverain ? CLÉONE. Pour qui donc cet époux qui doit monter au trône ? Vous promettez ce choix. LAODICE. Pour qui ? Pour moi, Cléone. CLÉONE. Pour vous, Madame ! Et Rome y voudra consentir ? LAODICE. Quoi donc, à son orgueil il faut m'assujettir, Et quand des droits du trône on me doit voir instruiteCette Reine des Rois réglera ma conduite ? Qu'elle en murmure ou non, je saurai faire un RoiQui dédaignant ses lois n'en prenne que de moi,Et content de l'éclat dont un si grand nom brilleMe sauve de l'affront d'obéir à ma fille.Le prétexte est plausible, on croit mon fils vivant, Et sur l'heureuse erreur de ce bruit décevantJe feindrai que ma main ne donne au Peuple un maîtreQu'attendant qu'en ces lieux ce fils daigne paraître,Et vienne enfin de moi reprendre les ÉtatsQue l'époux de sa soeur ne lui remettrait pas. CLÉONE. Quoi qu'attende Phradate, ou qu'Anaxandre espère,Je ne demande plus quel choix vous allez faire.Tant d'honneurs sur Oronte à pleines mains versezSans vous l'ouïr nommer me l'apprennent assez,Son zèle exact et pur, sa valeur, sa prudence... LAODICE. Dis qu'il est étranger, sans appui de naissance,Et que par Politique il me faut faire un RoiDont le sort au besoin dépende tout de moi,Que je puisse à mon choix conserver ou détruire,Perdre au moindre projet qu'il ferait pour me nuire, Qui soit soumis, qui craigne, et reste sans secoursSi jamais il me plait ordonner de ses jours :Mais après cet orgueil, après ce que t'expliqueDe mon ambition la fière politique,T'oserai-je, à ma honte, avouer que l'Amour Dispose presque seul du choix de ce grand jour ? CLÉONE. Vous, de l'amour, Madame ? LAODICE. Étonne-t'en, Cléone,Toi qui sais que jamais je n'aimai que le trône,Et qu'une insatiable et vaste ambitionMe faisait dédaigner toute autre passion. Pour en remplir l'ardeur, je traitai de faiblesseCe que peut la Nature inspirer de tendresse,Et quoi qu'elle en gémit, dans la mort de cinq filsLe charme de régner fut tout ce que je vis.Le sixième qu'à Rome on gardait en otage À mes jaloux désirs faisait encor ombrage.De peur qu'un jour du Trône il osât me priver,Sans pitié, sans remords, je le fis enlever,Et voulus que sa mort parût être incertainePour suspendre les droits qui font ma fille Reine, Et contre son hymen me laisser tout permisSous couleur de garder la couronne à ce fils.Dans les brûlants transports dont l'inquiète flammeVers le trône toujours pousse toute mon âme,J'ai peine à concevoir par quel abaissement Dans un Roi que je fais j'aime à voir un amant,J'y trouve de la honte, et ma fierté s'en fâche,Je me traite en secret et de faible et de lâche,a Et cependant mon coeur ne se peut arracherAux flatteuses douceurs qui l'ont trop su toucher, Je vois sans cesse Oronte actif, ardent, fidèle,Par cent soins empressés me signaler son zèle,Au seul bien de me plaire attacher tous ses voeux,Se soumettre en aveugle à tout ce que je veux,Je m'en sens attendrie, et par sa déférence De mon coeur avec lui telle est l'intelligence,Que je me défierais de moi-même aujourd'huiS'il me fallait choisir entre le trône et lui.Ce sentiment est lâche, indigne, bas, infâme,Je m'en haï, mais j'ai beau le bannir de mon âme, Il semble que des Dieux la dure volontéM'en ait fait pour ma honte une nécessité,Que l'amour qui m'embrase indigne d'une ReineSoit de mon trop d'orgueil l'inévitable peine,Et qu'exprès leur courroux ait voulu m'enflammer À l'âge où quoi qu'on puisse on doit rougir d'aimer.Des prétextes d'État en couvriront la honte,Je saurai la cacher aux yeux même d'Oronte,Mais il faut qu'avec toi je soulage mon coeurDu poids trop accablant d'une si vive ardeur; Que toute ma fierté t'ayant été connueTu m'aides à chercher ce qu'elle est devenue,Et me plaignes du moins... CLÉONE. Madame. LAODICE. Écoute-moi,Et vois si je réponds à ce que je me dois. SCÈNE II. Laodice, Ariarate, Cléone. LAODICE. Il faut faire un grand choix, Oronte, et mon adresse À rompre pour ma fille un hymen que l'on presse,Ne sait plus qu'opposer aux superbes projetsQue forment contre moi des Princes mes Sujets.L'espoir de la Couronne à la naissance acquiseD'un succès éclatant flatte leur entreprise, Et tous pouvant prétendre à l'honneur de mon choix,Tous de Rome en secret ont fait briguer la voix,Aquilius entre eux vient résoudre d'un maître,Et l'on voit quelle honte au rang où j'ai su naîtreSi pour moi dans ce choix qu'exprès je veux hâter Les ordres du Sénat étaient à respecter.Mais quoi qu'il ne soit pas indigne d'une ReineDe refuser le joug de la grandeur Romaine,Les Dieux me sont témoins qu'un intérêt plus cherFait naître ici l'orgueil qu'on me peut reprocher, Et que dans cet orgueil à mon rang nécessaireTout ce que je regarde est un devoir de mèreQui toujours pour mon fils m'engage à conserverUn sceptre dont je vois qu'on cherche à le priver.C'est ce que je veux faire avec cette tendresse Que demande le sang, que la Nature presse,Et comme de son trône on voit en vous l'appuiC'est de vous jusqu'au bout que j'attends tout pour lui.Il est vivant sans doute, et le Ciel qui m'inspireMe promet la douceur de lui rendre l'Empire, Si toujours d'un vrai zèle Oronte prévenuVeut demeurer pour moi ce que je l'ai connu. ARIARATE. Madame, pardonnez si mon chagrin s'exprimeQuand je vous vois douter du zèle qui m'anime.Mes plus doux voeux sans doute auront été remplis Si je puis voir régner le Prince votre fils.Mais pour vos intérêts tel est ce zèle extrêmeQue malgré le respect qu'on doit au diadème,Si ce fils sur le trône oubliant son devoirAbusait contre vous du souverain pouvoir, S'il ne vous laissait pas tous les droits que vous donneLe privilège heureux de porter la Couronne,Il me verrait moi-même armé pour le chasserDe ce trône où vous seule auriez su le placer.Jugez après cela si je veux toujours être Ce que jusques ici vous m'avez su connaître,Et si j'ai mérité que peu sûre de moiÀ de nouveaux serments vous obligiez ma foi. LAODICE. Je n'attendais pas moins de ce noble courageQu'à soutenir l'État mon intérêt engage, Aussi quand il me faut sur des droits incertainsMettre en dépôt le trône en de fidèles mains,Voyant combien d'orgueil nos Princes font paraître,Je crains tout si par moi l'un d'eux en devient maître,Et dans l'ambition qui les aveuglent tous Je n'ose pour ce choix m'assurer que sur vous,Ce n'est pas que ma fille à mes ordres défèreJusqu'à vouloir en soeur ce que je cherche en mère,De l'éclat de son sang la jalouse fierté,Contre moi, contre vous, tient son coeur révolté, Votre hymen lui fait honte, et dès que je la presse... ARIARATE. Vouloir jusques à moi qu'Arsinoé s'abaisse !Non, non, quelques dédains qu'elle fasse éclaterMon sort trop inégal me les fait mériter,Elle se rend justice, et si la faisant Reine Par l'intérêt d'un fils sa grandeur vous fait peine,Il est d'autres moyens de ne point hasarderLe Trône qu'à ce fils il vous plaît de garder. LAODICE. Il en est, et j'en sais sans que je la contraigne,Qui sauront empêcher qu'un jour je ne la craigne, Et vous affranchiront de la nécessitéD'être jamais en bute à son trop de fierté.Vous savez quel éclat les Princes ont fait naître,Le Peuple agit par eux, il me demande un maître,Et le Peuple obtiendra ce qu'il attend de moi, Si ma main vous acquiert la qualité de Roi.Ce dessein vous surprend, et quinze ans de veuvage,M'éloignant des soupçons d'un second mariage,Il paraîtra nouveau qu'au rang où je me voisD'un époux tout à coup une Reine ait fait choix, Mais fut-ce en démentir l'orgueilleux caractèreMa principale gloire est d'être bonne mère,Et j'en croirai l'éclat au plus haut point montéSi je mets pour mon fils le Trône en sûreté.Comme de toutes parts l'ambition menace, C'est l'assurer pour lui que vous y donner place,Et lui choisir en vous sous ce grand nom de RoiUn tuteur qui pour lui va s'unir avec moi,Qui plein du même esprit qui me pousse et m'inspireAura le même zèle à gouverner l'Empire, Et sera comme moi toujours prêt à céderCe que sans doute un autre essayerait de garder. ARIARATE. Ah, pour tant de bontés c'est trop peu qu'une vieQu'aujourd'hui de nouveau ma foi vous sacrifie,Et tout mon sang pour vous répandu mille fois Ne pourrait m'acquitter de ce que je vous dois.Après m'avoir déjà par un effort d'estimeÉlevé dans un rang glorieux et sublime,Quoi qu'oppose le peuple ou pense le Sénat,Du trône à mon destin vouloir joindre l'éclat, Et par tout ce qu'aux rois il donne d'avantage,Dans votre créature achevez votre ouvrage.Madame, s'il se peut, pénétrez dans mon coeurCe qu'un zèle soumis y renferme d'ardeur.Voyez-y ce qu'il faut enfin que vous explique... LAODICE. Le mien prend quelque part à cette politique,Et j'aime les raisons qui semblent me forcerÀ l'hymen où pour vous je me veux abaisser.Le peuple qui par vous depuis longtemps respireVous verra sans regret possesseur de l'Empire, Et si Rome s'en plaint, il lui sera permisD'attaquer un héros protecteur de mon fils. ARIARATE. Ah, puisque de ce fils l'intérêt seul vous presseDe ne pas confier le trône à la Princesse,Il ne faut plus cacher... LAODICE. Oui, ce serait en vain Que je voudrais encor déguiser mon dessein,Comme il est résolu je consens qu'il éclate. SCÈNE III. Laodice, Ariarate, Anaxandre, Cléone. LAODICE, à Anaxandre. Prince, j'entends toujours parler d'Ariarate,On dit qu'il va paraître, et ce bruit est trop fortPour me croire permis de régler votre sort. Entre de grands Rivaux qu'un doux espoir engageÀ soumettre à ma fille un noble et pur hommage,Ce Fils que les destins vous réservent pour RoiLe diadème au front choisira mieux que moi.Le Peuple cependant chaque jour fait connaître Qu'attendant qu'il se montre il veut un second maîtreQui commande, exécute, et puisse avec éclatM'aider à soutenir le grand poids de l'État.Aux dépens de ma main il faut le satisfaire,Et je crois que mon choix aura droit de lui plaire Quand il saura qu'Oronte élevé jusqu'à moi... ANAXANDRE. Quoi, c'est par votre hymen que nous aurons un roi,Madame, et sur un bruit qu'exprès on a fait naître,Il nous faut recevoir un inconnu pour maître ? LAODICE. Prince, n'abusez point d'un excès de bonté Qui m'oblige à souffrir votre témérité,Je sais ce que je dois à l'État, à ma gloire. ANAXANDRE. Oronte ! Et le Sénat voudra-t-il vous en croire,Lui qui pour vos sujets dont il soutient les voeux,Demande un digne maître, et non pas un heureux ? Souffrira-t-il qu'un trône où depuis tant d'annéesLa naissance est l'appui des têtes couronnées,Où la splendeur du sang... LAODICE. C'est trop, n'achevez pas,Oronte est inconnu, son sang peut être bas,Je le sais comme vous, mais quoi qu'il en puisse être, Malgré vous, malgré Rome il sera votre maître,Et si quelque insolent murmure de mon choix,Je suis Reine, et le sceptre est la foudre des Rois. SCÈNE IV. Ariarate, Anaxandre. ANAXANDRE. Dans l'espoir dont je vois que la Reine vous flatteVous pouviez être sûr du destin de Phradate, Et m'ôter tout sujet de rien craindre de luiQuand j'ai crû pour régner qu'il aurait votre appui. ARIARATE. L'honneur qu'elle me fait passe le sort d'Oronte,Il va jusqu'à l'excès, mais j'en rendrai bon compte,Ses desseins par ce choix ne seront point trahis. ANAXANDRE. Ainsi vous garderez la couronne à son fils ? ARIARATE. J'y ferai mes efforts, et peut-être en ma placeQuelque autre la rendrait de plus mauvaise grâce,Mais enfin comme en tout j'aime à garder ma foi,Qu'on montre Ariarate, Oronte n'est plus Roi. ANAXANDRE. Vous pensez déjà l'être, et dévorant dans l'âmeLes restes précieux du règne d'une femme,Vous consentez sans peine au généreux effortDe rétablir ce fils dont vous savez la mort. ARIARATE. Si le ciel pour régner de quelques droits me flatte, Je n'entreprendrai point sur ceux d'Ariarate,Le temps éclaircira s'il est vivant ou non. ANAXANDRE. C'est ainsi qu'un héros doit se faire un grand nom,Aussi bien de quelque oeil que le Sénat vous voieVotre hymen préviendra les ordres qu'il envoie, Et je le crois trop juste, après de si beaux noeuds,Pour ne pas consentir à vous laisser heureux,Sans trouble de sa part votre gloire est certaine.Mais enfin vous serez le mari de la ReineTandis qu'à l'un de nous daignant donner sa foi Sa fille Arsinoé saura choisir un Roi. ARIARATE. Je sais combien pour vous son hymen a de charmes,Il vous promet beaucoup, mais j'en prends peu d'alarmes,Et vous plains si du trône y croyant voir les droits,Vous n'avez rien pour vous de plus fort que son choix. ANAXANDRE. Quoi, déjà souverain jusqu'à disposer d'elle ? SCÈNE V. Ariarate, Anaxandre, Théodot. THÉODOT. Ah, Seigneur, savez-vous une grande nouvelle ? ANAXANDRE. Dis vite. THÉODOT. Aquilius est tout prêt d'arriver.À trois milles d'ici chacun le va trouver,Et le Peuple montrant sa joie et sa surprise... ANAXANDRE. Vous croyez-vous encor Arsinoé soumise,Seigneur, et le Sénat sera-t-il sans pouvoir ? ARIARATE. Aquilius arrive, il faut le recevoir. THÉODOT. Ce n'est pas pour lui seul que tant de joie éclate,Il vient accompagné du Prince Ariarate, Il l'amène avec lui. ANAXANDRE. Quoi ? Ce Prince est vivant ? THÉODOT. On ne prend plus ce bruit pour un bruit décevant,On l'approche, on lui parle, et lui-même il ordonne... ARIARATE. C'est par lui seul enfin qu'Arsinoé se donne,Obtenez-la, Seigneur. ANAXANDRE. Et c'est aussi par lui Qu'on voit un téméraire être enfin sans appui.Allez remplir ce trône où vous attend la Reine. ARIARATE. Je ne sais qui de nous s'en met le plus en peine. ANAXANDRE. Avant que vous connaître un ami lâche et feintDe quelque ambition j'avais le coeur atteint, Du Prince avec chagrin j'eusse reçu l'obstacle,Mais votre orgueil puni m'est un si doux spectacle,Il m'assure un plaisir si charmant à goûterQue qui peut en jouir n'a rien à regretter.Flattez-vous des douceurs que promet la Couronne, Votre sort sera beau, quoi que le Ciel ordonne,Et du moins un moment, Phradate que je voisPeut adorer en vous le fantôme d'un Roi. SCÈNE VI. Ariarate, Phradate. PHRADATE. Seigneur, d'où naît ce bruit qui tout à coup éclate,Aquilius, dit-on, amène Ariarate, Il se montre, on le voit. ARIARATE. N'en soyez point surpris,Par un avis secret j'aie déjà tout appris.Un Imposteur qu'anime une coupable audaceDe ma première enfance ayant su la disgrâce,Et n'oyant plus parler de mon enlèvement A pris enfin mon nom, et l'a pris hautement.Comme fils du feu Roi que de longues misèresFirent vivre incertain du vrai rang de ses pères,Pour trouver les moyens d'en terminer le cours,Il est venu de Rome implorer le secours. Rome qui de mon sort eut toujours connaissanceA feint de s'abuser sur sa fausse naissance,Et ne l'envoie ici qu'afin de l'y punirDu mensonge insolent qu'il ose soutenir.J'en tire au moins ce fruit, que s'il est quelque traître, Aux périls de ce fourbe il se fera connaître,Quoi qu'après les bontés que ma mère a pour moiMes secrets ennemis me causent peu d'effroi. PHRADATE. Vous la croyez vaincue ? ARIARATE. Oui, la Nature est forte,Et telle est pour son fils la chaleur qui l'emporte Que de peur que du sceptre on n'osât abuserElle se contraignait à vouloir m'épouser.Jugez me connaissant ce que j'en dois attendre.Cependant ayez soin d'observer Anaxandre,Et j'irai découvrir quand il s'agit d'un Roi, Quels secrets sentiments Axiane a pour moi ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Axiane, Ariarate. AXIANE. Je veux bien l'avouer, que malgré votre flammeJe m'étais attendue à cette grandeur d'âme,Et n'avais point douté qu'un si dur changementNe laissât triompher le héros de l'amant ; Mais je l'avoue aussi, ce que le Ciel m'envoieN'obligeait pas Oronte à montrer tant de joie,Et perdant ce qu'il aime, un coeur bien amoureuxEut pu se dispenser d'être si généreux. ARIARATE. Dans les bras d'un rival voir passer ce qu'on aime Est sans doute un malheur plus grand que la mort même,Je le sais, mais malgré ce désespoir jalouxEn vous osant aimer je ne puis voir que vous.Ainsi quand ma princesse acquiert le nom de ReineJe n'examine point si ma perte est certaine, Ce haut rang où l'élève un destin éclatantM'offre tout ce qu'il faut pour me rendre content,Cet objet seul me frappe, et dans la chère idéeDont par votre heureux sort j'ai l'âme possédée,Un aimable transport me fait imaginer Que c'est moi, c'est ma main qui va vous couronner,Que si vôtre malheur par le trône s'efface,Malgré mes envieux c'est moi qui vous y place.Condamnez-vous ma joie, et dans ce doux appas... AXIANE. Oui, cruel, puis qu'enfin tu ne m'y places pas, Je ne t'en ai déjà que trop dit pour ma gloire,Achève de jouir de toute ta victoire,Et vois une Princesse aux dépens de sa foiMurmurer d'un bonheur qui ne vient pas de toi.Lorsqu'à te couronner la Reine a paru prête, Qu'il fallait me résoudre à te voir sa conquête,J'ai voulu, j'ai tâché de vaincre mes désirs,Mais ce n'a pas été sans pousser des soupirs.Contre tes intérêts mon coeur pressait ma flamme,Je souhaitais ta gloire, et j'en tremblais dans l'âme. Qui te rend dans mon sort le coeur moins abattu ?Est-ce défaut d'amour ? Est-ce excès de vertu ?L'un et l'autre de toi m'est un pareil outrage,Et si d'un pur amour tu m'a offert l'hommageDevrais-tu me réduire à soupirer tout bas De voir qu'en me perdant tu ne soupires pas ? ARIARATE. Ah, si ce pur amour qu'en moi vous fîtes naîtreN'a pu jusques ici se faire assez connaître,Par où pourrais-je mieux vous en prouver l'ardeurQue par la pleine joie où nage tout mon coeur ? Vous régnez, et mon sort s'attachant tout au vôtre,Ce triomphe pour moi l'emporte sur tout autre.Pour en jouir sans trouble et dans sa pureté,Tournez ainsi que moi les yeux de ce côté,Ne voyez que la gloire où le Ciel vous appelle, Ne voyez que ce trône... AXIANE. Et le puis-je, infidèle,(Car qui du trône seul veut qu'un coeur soit charmé,Ou trahit ce qu'il aime, ou n'a jamais aimé ?)Ah, que je m'abusais quand j'ai crû que la ReinePar l'offre de sa main te causait quelque peine ! Tu régnais, et l'éclat d'un sort si glorieuxPour les tourner vers moi ne te laissait plus d'yeux.Tu te livrais entier aux charmes d'un EmpireDont ton amour vaincu... ARIARATE. Que vous entends-je dire ?Moi, j'eusse consenti sous l'espoir de régner À perdre... AXIANE. Et quel motif te l'eût fait dédaigner ? ARIARATE. L'amour, ce pur amour dont tout l'excès éclateLorsqu'Oronte vous cède aux voeux d'Ariarate.Peut-il vous arracher à l'Hymen d'un grand Roi ? AXIANE. Non, ce n'est point par là que je me plains de toi. Je te l'ai déjà dit, il est beau que ton âmeImmole à ma grandeur tout l'espoir de ta flamme,Mais serait-ce une honte indigne d'un grand coeurD'en laisser échapper du moins quelque douleur ?Ne saurais-tu souffrir, ingrat, qu'une Princesse Pour prix de son amour te coûte une faiblesse,Ou crois-tu qu'à rougir il fallut t'apprêterSi quand tu perds mon coeur tu l'osais regretter ?Ah, contre ton amour, contre son arroganceQue n'ai-je fait agir l'orgueil de ma naissance, Et pourquoi me laissais-je arracher un aveuQui m'a fait tant de peine, et te touche si peu ! ARIARATE. Il fait tout mon bonheur, il fait toute ma joie,Mais quand du Ciel sur vous la faveur se déploie,Serait-ce vous aimer que mêler mes regrets Aux pompes d'un destin qui remplit vos souhaits ? AXIANE. Qui remplit mes souhaits ? ARIARATE. C'est de quoi je me flatte,Avant que d'en douter voyez Ariarate,Et si le connaissant vous avez quelque ennui,Que Rome vous engage à régner avec lui, Si lui donnant la main ma Princesse est capableDe regretter ailleurs quelque chose d'aimable,L'excès de ma douleur alors lui fera voirJusqu'où peut ce dégoût porter mon désespoir.Alors ce désespoir lui montrera sans cesse Si je crains que son coeur me coûte une faiblesse,Et si de son bonheur j'ai pu me réjouir,Qu'assuré qu'elle-même aimerait d'en jouir. AXIANE. Va, tu seras content, et puisque c'est te plaire,Sans regret, sans murmure, il faut te satisfaire. Je ne m'abandonne au trône, et ne vois plus en toiQue ce qui te pouvait rendre indigne de moi.Crois déjà que régnant avec AriarateIl n'est plus rien ailleurs qui m'attire ou me flatte,Et que sa main m'assure un bonheur si parfait Que j'aurais fait ce choix si Rome ne l'eut fait.Aussi bien quand j'aurais à soupirer sans cesse,Il suffit qu'une fois j'ai fait une bassesse,Je t'empêcherais bien d'espérer la douceurDe t'applaudir jamais des peines de mon coeur, Tu me verrais égale, et tranquille et constanteMontrer dans mes ennuis l'âme la plus contente,En démentir l'atteinte, et ne rien témoignerQui parût m'affaiblir la douceur de régner. ARIARATE. S'il m'est permis de croire à ce que j'en présume Cette douceur toujours sera sans amertume,Et pour ne taire plus ce qui doit éclaterSachez... AXIANE. La Reine vient, et c'est trop t'écouter. SCÈNE II. Laodice, Axiane, Ariarate, Cléone. LAODICE. Princesse, enfin le Ciel par d'éclatantes marquesNous fait voir que toujours il prend soin des Monarques ; Ce fils si souhaité, ce fils dont mon amourPar un secret instinct assurait le retour,Il paraît, et comblant tous nos peuples de joie,Sa main vous ouvre au trône une brillante voie.Pour vous le conserver que n'ai-je pris de soins ? Vos yeux depuis longtemps m'en sont d'heureux témoins,À l'hymen de ma fille ils m'ont vu mettre obstaclePour attendre toujours le temps de ce miracle,Et quand aux voeux du peuple il me fallait céderLes Dieux à mon espoir ont daigné l'accorder. AXIANE. Si ce miracle est grand, il était dû sans douteAux soins que jusqu'ici ce doux espoir vous coûte,Madame, et je dois trop à vos rares bontésPour ne partager pas tout ce que vous sentez.Dans le retour d'un fils que le Ciel vous renvoie Par vos seuls intérêts j'aurais eu pleine joie,Et pour remplir mon coeur des transports les plus douxVous me souffrez en lui d'espérer un époux.Tant de gloire est un bien dont le Ciel m'autoriseÀ me montrer charmée aussi bien que surprise, Heureuse si pour dot ma main rendait soumisLe reste de la terre à cet illustre fils. LAODICE. Vos voeux ont pu le rendre à ma juste tendresse,Ils se sont joints aux miens, et c'est assez, Princesse ;D'un retour qui fait seul le bonheur de ces lieux, Ne songeons aujourd'hui qu'à rendre grâce aux Dieux.On vous attend au temple, où par des sacrificesVous vous acquitterez vers ces Dieux si propices,Tandis que j'aurai soin que pour marquer sa foiChacun sorte avec pompe au devant de son Roi. AXIANE. Madame, j'obéis, et mon obéissanceParlera mieux que moi de tout ce que je pense,Je vous la jure entière, et vous l'éprouverez. LAODICE. Qu'on me laisse ici seule ; Oronte, demeurez. SCÈNE III. Laodice, Ariarate. ARIARATE. Madame, j'attendais à vous faire paraître Quelle joie en mon coeur la vôtre avait fait naître,Apprenant que le Ciel propice à vos souhaits... LAODICE. Plus ils semblent remplis, moins ils sont satisfaits,Oronte, et puisqu'enfin il faut ne vous rien taire,J'ai souhaité mon fils, mon fils me désespère, Par son fatal retour tous mes soins sont trahis. ARIARATE. Quoi, vous en plaindre, vous qui n'aimiez que ce fils,Qui lui gardiez le sceptre, et qui du nom de mère... LAODICE. Oui, mère pour un fils à qui je serais chère,Qui viendrait sans secours le prendre de mes mains, Mais je ne puis souffrir l'esclave des Romains.Soumis à ces Tyrans que bravaient nos ancêtresIl vient nous asservir sous l'orgueil de ses maîtres,Nous faire part des fers qu'il s'abaisse à traîner,Et j'aurais quelque joie à le voir couronner ? Non, non, l'espoir du trône en vain l'a pu surprendre,Point d'ordre du Sénat s'il y voulait prétendre,Point de force étrangère à me faire obéir. ARIARATE. Le sang dans votre coeur se laisse donc trahir.Si le Sénat députe, est-ce l'avoir pour maître Que prendre son aveu pour se faire connaître ?Sans lui, sans les Romains qui l'ont nourri chez eux,Le destin de ce fils serait-il pas douteux ?Pourriez-vous sur sa foi le croire Ariarate ? LAODICE. Je sais qu'il faut par eux que sa naissance éclate, Mais enfin avec lui si Rome était d'accord,À quoi bon si longtemps m'avoir caché son sort ?Quand députant vers moi l'on m'a tant fait connaîtreQu'elle voulait m'aider à faire choix d'un maître,Par quel rare motif ne m'a-t-on pas appris Que son ambassadeur me ramenait mon fils ?Avec tant de mystère Aquilius s'avanceQu'on le voit arriver même avant qu'on y pense,Comme si tout à coup surpris de voir son RoiLe Peuple devait mieux s'animer contre moi. C'est là, c'est là que tend toute leur Politique,Dans ces précautions je la vois qui s'explique,Et cherche à m'arracher par des moyens si basCe qu'ils ont présumé que je ne rendrais pas.Par l'hymen de ma fille où l'on me crut forcée, Ils ont voulu d'abord pénétrer ma pensée,Et le choix que de vous ils sauront que j'ai faitÀ leurs jaloux soupçons tiendra lieu de forfait,Ils voudront vous punir d'en avoir été digne ;Mais que le Peuple s'arme, ou que Rome s'indigne, Pour vous perdre à son choix ou me faire la loi,Ce fils n'est pas encor assuré d'être Roi. ARIARATE. Je veux bien avec vous blâmer la politiqueDont par trop de secret le mystère vous pique,Ariarate a dû faire un plus prompt éclat, Mais songez ce que c'est qu'irriter le Sénat.Vous l'ayant renvoyé pensez-vous qu'il endureQu'au destin de ce fils vous osiez faire injure ?Il armera sans doute, et tout autre que vousCraindrait un grand pouvoir dans un juste courroux. LAODICE. Si l'État veut un Roi, s'il a besoin d'un homme,Vous faisant mon époux que craindrai-je de Rome ?Armé de ce grand titre et d'époux et de RoiManquerez-vous de coeur à combattre pour moi ?Vous trouverai-je moins cet invincible Oronte Que nos plus fiers voisins n'ont connu qu'à leur honte,Et l'orage que veut éviter votre soinEst-il plus dangereux pour venir de plus loin ? ARIARATE. J'aurai le même coeur, mais à quoi qu'il m'anime,Que peut-on espérer contre un Roi légitime, Qui saura malgré vous, malgré tous nos projets,Gagner en se montrant le coeur de ses sujets ? LAODICE. Et bien, si vous craignez qu'à sa vue on ne cède,C'est un mal où peut-être il est quelque remède. ARIARATE. En est-il quand déjà son nom seul en ces lieux... LAODICE. Vous ne m'entendez pas il faut m'expliquer mieux.La rigueur me fait peine, et depuis que je règneSi pour ma sûreté je souffre qu'on me craigne,Contre mille ennemis de ma grandeur jalouxJ'ai toujours essayé les moyens les plus doux. Aussi lente à punir que prompte à faire grâceIl m'a suffi cent fois d'en désarmer l'audace,Tant j'ai conçu d'horreur dès mes plus jeunes ansPour la sévérité qu'exercent les tyrans.Mais il faut l'avouer, s'agissant de l'Empire, Comme c'est à lui seul que tout mon coeur aspire,Si pour le conserver il faut armer mon brasUn peu de sang versé ne m'épouvante pas.Quoi ? Vous ferait-il peur ? Vous pâlissez, ce semble ? ARIARATE. Oui, Madame, il est vrai, je pâlis, et je tremble, Et quand le sang d'un fils est l'unique moyen... LAODICE. Il faut donc voir répandre et le vôtre et le mien ?Ce choix seul est à faire, il s'agit de résoudre,C'est à nous ou d'attendre ou de lancer la foudre,Elle est inévitable à quiconque de nous N'osera par scrupule en prévenir les coups,Si mon fils ne périt, notre perte est certaine. ARIARATE. Vous suivez les transports où le soupçon vous mène,Mais de quoi ne peut pas le sang venir à bout ?Croyez-vous que ce fils... LAODICE. Il faut vous dire tout, Aussi bien avec vous dont l'âme est un peu tendreQui s'explique à demi ne se fait pas entendre,Sachant mes intérêts vous jugerez de moi.J'eus six fils qu'en mourant me laissa le feu Roi.Par divers accidents des six les cinq moururent, Peut-être avez-vous su quels fâcheux bruits coururent,J'en dédaignai l'outrage, et crus de tels malheurs,Puisque j'étais au trône, indignes de mes pleurs.Dans le charme secret d'un si brillant partagePour me l'assurer mieux je mis tout en usage ; Ariarate à Rome en otage élevéPouvait me le ravir s'il n'était enlevé,J'en donnai l'ordre exprès, sa mort fut résolue,Mais je vois que les Dieux ne l'avaient pas conclue,Qu'un lâche m'a trahie, et que de mon projet Ariarate et Rome ont su tout le secret.C'est à vous là dessus à voir ce que peut faireUn fils trop convaincu de l'orgueil de sa mère.Si j'immolai sa vie à l'ardeur de régner,Pour régner à son tour voudra-t-il m'épargner ? C'est mon sang, et ce sang du trône est trop avidePour trembler à l'aspect d'un simple parricide,Et bientôt, si par moi ce fils n'était détruit,Sur mes propres leçons on l'y verrait instruit.Il faut, il faut le perdre, et je m'y vois réduite, Avec Aquilius on dit qu'il est sans suite,Vous ne pouvez avoir d'ennemis que les miens,Et qui veut s'en défaire en trouve les moyens. ARIARATE. Ah, pour rompre un projet à ses jours si funeste,Souffrez qu'il s'abandonne à l'espoir qui lui reste, Et que pour vous fléchir, ce Prince infortunéVous oppose par moi le sang dont il est né.Croyez en m'écoutant que c'est lui qui vous prie,Qu'en regardant sa mère il la cherche attendrie,Et qu'enfin à vos pieds il vous dit par ma voix, Accordez moi la vie une seconde fois,Je vous suis odieux, mais quoi qui vous anime,Être né votre fils n'est pas un si grand crime.Daignez lui faire grâce en faveur d'un respectQue jamais rien de moi ne vous rendra suspect, Prenez-en pour garant la foi sincère et pureQu'à la face du Ciel ma tendresse vous jure,Cette foi que jamais les plus durs changements... LAODICE. Lors qu'il s'agit du Trône on se fie aux serments ? Ne vous y trompez point, quand il se pourrait faire Qu'à ce fils comme à vous le crime put déplaire,Qu'une vertu pareille eut pour lui même appas,Dans ce qu'il sait de moi, je ne m'y fierais pas.Je dis plus, quand j'aurais une entière assuranceQu'il dût laisser toujours le trône en ma puissance, Toujours comme sujet me soumettre son sort,J'aurais la même ardeur à poursuivre sa mort.Pour en tenir l'arrêt et juste et légitime,Il suffirait de voir qu'il fît grâce à mon crime,Et que je périrais si par un noble effroi Il ne refusait d'être aussi méchant que moi.Ainsi je ne puis voir cette mort assez prompteNe fut-ce que pour perdre un témoin de ma honte.C'est par là que son sort est toujours combattu,Je dois craindre son crime, ou haïr sa vertu, Et chercher dans son sang la sûreté du nôtrePour me sauver de l'un, ou le punir de l'autre.Enfin, plus de réplique, il faut vous déclarer,Et choisir qui des deux vous voulez préférer.Si du sang à verser vous émeut, vous fait peine, J'en sais qui sans scrupule en croiront une Reine,Et qui pour un seul crime exigé de leur foi,Ne dédaigneront pas de régner avec moi.Mais avant qu'emprunter d'autre bras que le vôtreSongez bien que souvent un crime en presse un autre, Et que vous ayant dit à quoi je me résous,Le trône seul peut être un asile pour vous. ARIARATE. Et bien, prenez ma vie, elle est à vous, Madame.Toujours la vertu seule a régné sur mon âme,Et s'il me faut mourir, je mourrai satisfait D'avoir donné mon sang au refus d'un forfait. LAODICE. C'est trop, n'en parlons plus, tant de vertu me lasse.À moi, quelqu'un. SCÈNE IV. Laodice, Ariarate, Cléone. CLÉONE. Madame. LAODICE. Écoutez. Cléone sort après que la Reine lui a parlé bas. ARIARATE. Eh, de grâce,Par ce zèle pour vous tant de fois employé... LAODICE. Je l'avoue, il fut grand, mais je l'ai bien payé. Quoi qu'ait pu m'opposer une envie importune,Par moi votre destin a bravé la fortune,Élevé tout à coup vous possédez un rangQu'on n'accorda jamais qu'au plus illustre sang.Du suprême pouvoir depuis deux ans arbitre On ne vous voit de Roi manquer que le seul titre ;Je vous l'offre, et pour prix, ingrat, de mes bienfaitsVous voulez m'arracher du trône où je vous mets,Vous voulez qu'aux Romains je serve de victime ? ARIARATE. Moi ? Dites que je veux vous épargner un crime, En voir le noir projet par le sang combattu. LAODICE. Allez, dans le besoin gardez votre vertu,Je récompenserai de même qu'on m'oblige.Et bien ? CLÉONE. L'ordre est donné. ARIARATE. Madame... LAODICE. Allez, vous dis je,Je connais votre coeur, vous le mien, il suffit. SCÈNE V. Laodice, Cléone. CLÉONE. Quel nouveau trouble encor agite votre esprit ?Madame ; si j'osais parler sans vous déplaire... LAODICE. Ah, Cléone, ce fils dont j'ai crû me défaire,Ce fils dont je feignais d'attendre le retour...Dieux ! CLÉONE. Un si prompt revers change bien ce grand jour. Mais il semble d'ailleurs que quelque autre disgrâceSe joigne à la rigueur du sort qui vous menace ;Dans le moment qu'Oronte est sorti d'avec vousJ'ai crû vous voir contraindre un violent courroux.Avant qu'il vous quittât vous m'avez fait entendre Qu'il fallait que sur l'heure on trouvât Anaxandre,Comme si pouvant seul adoucir votre ennui... LAODICE. Viens, suis-moi, tu sauras ce que je veux de lui. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Laodice, Cléone. LAODICE. En vain tu me fais voir que le peuple est à craindre.Le projet est hardi, mais j'ai dû m'y contraindre, Étouffer la Nature, et ne balancer pasÀ couronner par là mes premiers attentats.Qui s'est pu dans le trône affermir par le crime,S'il tremble à l'achever mérite qu'on l'opprime,Et quand mille forfaits le rendraient odieux, Le dernier qui l'absout est toujours glorieux,Si je ne veux périr sa mort est nécessaire. CLÉONE. Pour vôtre sûreté je vois ce qu'il faut faire,Ce fils dès son jeune âge instruit de vos desseinsSuivra pour s'en sauver le conseil des Romains, Et dans ce qu'ils auront de juste défianceVos jours seuls immolés seront son assurance,C'est ce que vous avez sans doute à prévenir.Anaxandre promet, mais pourra-t-il tenir ?En jurant cette mort voyez ce qu'il hasarde ; Le Prince autour de lui doit avoir quelque garde,C'est un faible secours que vous ne craignez pas,Mais verra-t-on le coup sans connaître le bras ?Un complice arrêté que devient Anaxandre ? LAODICE. Ai-je dans son destin quelque intérêt à prendre ? Le coup fait, qu'il périsse, il m'importe fort peu,Je ferai de son crime un entier désaveu,Et croirai n'avoir plus à craindre un sort contraireSi d'un ambitieux Rome veut me défaire.Ce n'est pas qu'il n'ait pris toutes ses sûretés, Si ceux dont il se sert se voyaient arrêtez,Il m'a fait consentir qu'ils nommassent Oronte. CLÉONE. Quoi, pour ce malheureux une haine si prompte,Madame ? Et votre amour a pu si tôt céder ? LAODICE. À qui nous prête un crime on doit tout accorder, Anaxandre le hait, et m'aurait mal servieSi je n'avais pas feint d'abandonner sa vie,Et de vouloir sur lui rejeter l'attentatQui malgré son refus est prêt de faire éclat,Mais enfin quoi qu'Oronte ait mérité ma haine, Contre lui dans mon coeur elle est faible, elle est vaine ;Ce refus d'un forfait dont il me sait le prix,Après ce qu'il me doit joint l'injure au mépris,Et par un sentiment qu'en vain je désavoue,Contre mes intérêts moi-même je l'en loue. Étrange aveu d'un coeur sous le crime abattuDe se sentir contraint d'estimer la vertu !Oui, telle que je suis, aux forfaits enchaînéePar le dur ascendant que prend la Destinée,Je me vois malgré-moi forcée à respecter Ce qu'un fatal penchant me défend d'imiter ;Plus Oronte du crime a rejeté l'amorce,Plus mon amour pour lui semble avoir pris de force,Son refus m'a trahie, et loin de l'en haïrJe l'aurais moins aimé s'il eut pu m'obéir. Ma flamme s'est accrue à voir croître sa gloire,Et s'il n'a pu tantôt me réduire à le croire,Si j'embrasse un forfait par lui si combattu,C'est afin qu'il me serve à payer sa vertu.J'en fais le prix du trône, où de quoi qu'on m'accuse Je lui veux acheter la place qu'il refuse,Y voir briller sa gloire, et faire en ce grand jourServir l'ambition de prétexte à l'amour.C'est par là seulement que ma honte s'efface. SCÈNE II. Laodice, Axiane, Cléone. AXIANE. Ah, Madame, apprenez une étrange disgrâce, On ne la sait encor que sur un bruit confus,Mais si l'on m'a dit vrai, le Prince ne vit plus. LAODICE. Quoi, mon fils ! Tout va bien, Cléone. Hélas, Princesse ! AXIANE. Ce bruit change en soupirs la commune allégresse.Chacun de ce malheur également surpris Fait par tout jusqu'à nous retentir de longs cris,On gémit, on se plaint, et le peuple en furieDemande au Ciel raison de cette barbarie,Il jure de venger un sang si précieux. LAODICE. Ô trop sensible effet du vif courroux des Dieux ! Après un si long règne et d'ennuis et d'alarmesEst-ce là ce bonheur dont ils m'offraient les charmes ?Ce fils sur qui leur haine a voulu s'assouvirNe me l'ont-ils rendu que pour me le ravir ?Mais enfin s'il est mort, connaît-on le perfide Qui s'est osé souiller d'un si noir parricide ?Comme il lui faut du sang les pleurs sont superflus. AXIANE. Ariarate est mort, on ne dit rien de plus,On parle seulement de désordre, d'insulteQu'a causé pour les rangs un imprévu tumulte, Mais sans que rien s'explique, et si l'on peut douter... SCÈNE III. Laodice, Axiane, Phradate, Cléone. LAODICE. Que m'apprend-on, Phradate, et qu'ai-je à redouter ? PHRADATE. L'aveugle emportement que semble avoir fait naîtreDans un grand peuple ému la perte de son maître,Son désespoir éclate, et dans ses cris confus... LAODICE. Hélas ! il est donc vrai que mon fils ne vit plus,Et qu'à mes voeux le Ciel n'a paru favorableQue pour mieux redoubler le malheur qui m'accable.J'avais eu trop de joie, et tous mes sens saisisGoûtaient trop le triomphe où j'attendais ce fils, Il faut que de sa mort sa gloire soit suivie. PHRADATE. C'est ce triomphe seul qui lui coûte la vie.Par votre ordre, Madame, on a fait son pouvoirPour se mettre en état de l'aller recevoir.Le Peuple sous ses Chefs en superbe équipage Brûlait de s'acquitter de ce premier hommage,Et sortant de la ville avec l'empressementQu'inspire à des sujets un si grand changement,À peine avions-nous fait mille pas dans la plaineQue nous voyons de loin briller l'Aigle romaine Qui vers nous à pas lents paraissant avancerDonne à nos escadrons le temps de se placer.On s'arrête, et tandis qu'on veut se rendre maîtreDe l'ardeur qu'à la voir nos soldats font paraître,Ariarate arrive, et se livre en nos mains Suivi d'Aquilius et d'un gros de Romains.D'une foi toute pure il a d'abord pour gagesNos plus profonds respects, nos plus soumis hommages,Il souffre avec plaisir qu'on le puisse approcher,Et nos devoirs rendus on commence à marcher. C'est lorsqu'entre deux chefs un intérêt de gloireFait naître un différent qu'on aura peine à croire,Tous deux proches du Prince et le voulant garderDisputent un honneur qu'aucun ne veut céder,Et dans l'aveugle ardeur de cette préférence, Tandis qu'avec Oronte Aquilius s'avance,Tel est l'emportement qui soutient leurs desseinsQu'après quelque menace ils en viennent aux mains.D'un parti contre l'autre on voit la troupe émue,Malgré nous on se mêle, on se bat, on se tue, Quand d'un funeste coup jusqu'au Prince échappéDans ce fatal désordre il est d'abord frappé,Il tombe, et sans avoir la force de rien dire,À peine a-t-il poussé deux soupirs qu'il expire.Cette mort de frayeur saisit les combattants, On arrête les chefs et les plus importants,Et voulant qu'à vos yeux l'attentat s'éclaircisseAquilius ici vient demander justice. LAODICE. Il l'aura toute entière, et je lui ferai voirL'horreur que j'ai d'un crime et si lâche et si noir, Ce tumulte imprévu cache quelque mystère,Rome a pour l'éclaircir le pouvoir d'une mère ;Ayant nourri mon fils elle est au même rang,Elle est aux mêmes droits où je suis par le sang ;Même intérêt l'engage à se faire justice, Et de quelque façon qu'un monarque périsse,Fut-ce par un malheur qu'on n'eût su prévenir,Ce crime du hasard est un crime à punir.Princesse, à ma douleur prêtez encor la vôtre,Pour mieux venger ce fils pressons l'une par l'autre, Il vous eut mise au trône, et pour en démentirL'injustice du sort qui n'y peut consentir,Si Rome de ses dons souffre que je disposeVotre espoir n'aura rien où mon chagrin s'oppose,Obtenez son aveu, je vous rends vos États. AXIANE. Madame, vos bontés ne me surprennent pas,Mais je me croirais l'âme aussi lâche qu'ingrateSi j'oubliais sitôt la mort d'Ariarate.Vengez-la, punissez un perfide assassin,Et le Sénat après réglera mon destin. SCÈNE IV. Laodice, Axiane, Anaxandre, Phradate, Cléone. LAODICE. Et bien, mon fils est mort, Anaxandre ? ANAXANDRE. Oui, Madame,Dans les bras des Romains il vient de rendre l'âme,Sa gloire a fait sa perte, et jamais on n'a vuRevers plus surprenant ni coup plus imprévu. LAODICE. De ce coup du hasard je perce le mystère, Voilà ce que me coûte un peuple téméraire,Qui me voulant contraindre à faire choix d'un RoiPrête à l'ambition des armes contre moi.Ma douleur entre vous ne désigne personne,Mais mon fils n'étant plus, ma fille a la Couronne, Et le don de sa main qui fait tant de jalouxPour qui peut y prétendre a des charmes bien doux,Sans ce coupable espoir mon fils vivrait encore. PHRADATE. Ce soupçon peut avoir des raisons que j'ignore,Mais comme enfin par là mon honneur est noirci Je me rends prisonnier tant qu'il soit éclairci.L'innocence à l'épreuve aisément s'abandonne. ANAXANDRE. Madame il est fâcheux de voir qu'on nous soupçonne,Mais si l'espoir du trône a pu nous engagerÀ résoudre une mort que vous devez venger, Que croira-t-on d'Oronte à qui dans ce jour mêmeVotre hymen résolu donnait le diadème ?Je ne l'accuse point, mais on est étonnéQue venant pour le Prince il l'ait abandonné ;Qu'avec Aquilius s'avançant vers la ville Il ait rendu pour lui son secours inutile,Et semble tout exprès s'être mis hors d'étatD'apporter quelque obstacle à ce lâche attentat.On se plaint, et beaucoup le traitent de coupable. AXIANE. De tant de perfidie Oronte est incapable. Sa vertu, son grand coeur, tout parle assez pour lui. ANAXANDRE. Je sais que sa vertu lui doit servir d'appui,Qu'un vrai héros est ferme, et jamais ne s'oublie,Mais Aquilius sait ce que l'on en publie,Et dans l'horreur du crime où va la trahison Peut-il se dispenser d'en demander raison ? LAODICE. D'Oronte pour l'État le zèle inébranlableRepousse les soupçons qui le peignent coupable,Pour les pouvoir souffrir sa gloire a trop d'éclat. ANAXANDRE. Madame, Aquilius parle au nom du Sénat, Et quand d'Ariarate il doit lui rendre compte,S'il demandait qu'à Rome on envoyât Oronte,Pour l'oser affranchir d'un ordre si pressant,Pensez-vous qu'il suffit de le croire innocent ? AXIANE. Le voici qui paraît, souffrez que je vous quitte. Un sensible intérêt à punir vous invite,Madame, et je craindrais dans un sort si cruelD'avoir de mauvais yeux à voir le criminel. SCÈNE V. Laodice, Ariarate, Anaxandre, Phradate, Cléone. LAODICE. Viens, Oronte, et réponds, c'est en vain qu'on t'excuse,Sur un bruit qui s'épand Anaxandre t'accuse, Est-ce à toi que le crime a si bien réussi ? ARIARATE. Madame, Aquilius est à vingt pas d'ici,Il a su l'attentat, et s'il m'en croit complice,J'ai du sang à verser, vous lui ferez justice. LAODICE. Dans le superbe espoir que je t'avais donné C'est être criminel que d'être soupçonné,On murmure, on se plaint, qu'as-tu pour te défendre ? ARIARATE. Peut-être est-ce un peu trop que d'en croire Anaxandre. ANAXANDRE. J'ai dit ce qu'on publie, et n'ai point prétenduAppuyer un soupçon qui ne vous est pas dû ; Mais il a beau s'armer contre votre innocence,Nos mutins arrêtés prendront votre défense,Et n'ayant point de part à la coupable ardeur... ARIARATE. Vous pourrez achever devant l'Ambassadeur. SCÈNE VI. Laodice, Aquilius, Ariarate, Anaxandre, Phradate, Cléone, Théodot, suite de Romains. LAODICE. Seigneur, qui l'aurait crû qu'un jour si plein de charmes Dut être un jour pour moi de soupirs et de larmes,Et que venant ici pour finir mes malheursLa gloire de vous voir me put coûter des pleurs ?Pour tout remerciement à votre RépubliqueFaut-il que ma douleur avec elle s'explique, Et que de ses bienfaits je lui marque le prixPar le trouble où me met la perte de mon fils ?Vous nous le rameniez instruit par de grands maîtresÀ marcher sur les pas de ses dignes ancêtres,Et par le dur revers du plus funeste sort Le moment de sa gloire est celui de sa mort.À ce cruel objet ma raison qui me quitteCède aux égarements de mon âme interdite,Et se perd quand je trouve à venger à la foisEt l'injure de Rome, et le sang de nos Rois. AQUILIUS. Madame, je vous plains, et de votre infortuneLa fatale rigueur semble si peu commune,Qu'il est bien malaisé qu'avecque moins d'éclatVotre fermeté cède au coup qui vous abat ;Il est rude sans doute, et quand sa violence Laisse votre âme entière ouverte à la vengeance,Si c'est vous soulager que de vous dire iciQue j'en veux avec vous partager le souci,Ne vous inquiétez que du choix des supplices.Pour savoir le coupable il suffit des complices, Mes soins à le trouver ne sauraient être vains,Et vous pouvez déjà le croire entre vos mains. LAODICE. C'est par là seulement qu'aux ennuis où je cèdeAprès la mort d'un fils j'attends quelque remède.Pour satisfaire Rome, et remplir cet espoir Prenez ici, Seigneur, un absolu pouvoir,Je sais que d'injustice et d'erreur incapableVous saurez séparer l'innocent du coupable,Et que ceux que l'envie aime à persécuterSur un premier soupçon n'ont rien à redouter. Peut-être ma douleur dans son impatienceAurait moins de lumière, et plus de violence,C'est vous qu'elle en veut croire, ordonnez, punissez. AQUILIUS. L'outrage est grand pour Rome, et vous le connaissez ;Mais de quelque rigueur qu'il arme sa colère, Madame, elle est encore plus juste que sévère,Et s'il m'en faut par tout soutenir l'intérêt,Quand j'ose condamner, je réponds de l'arrêt ;Mais aussi je ne puis qu'aux périls de ma têteVoir sans précaution qu'un grand trouble s'apprête, Et je serais suspect moi-même d'attentatSi j'avais négligé d'en prévenir l'éclat.J'ai de pressants soupçons qui ne peuvent paraîtreQu'on n'ait mis en lieu sûr ceux qui les ont fait naître,Dans leur juste défense ils seront écoutés, Mais je ne parle point s'ils ne sont arrêtés,C'est au nom du Sénat que je vous le demande. ANAXANDRE. Il n'est rien que sous vous l'innocence appréhende,Madame, et si d'Oronte on s'obstine à douter... LAODICE. Où l'ordre est du Sénat il faut l'exécuter. Parlez, de qui, Seigneur, voulez-vous qu'on s'assure ? AQUILIUS. D'Anaxandre. ANAXANDRE. De moi ! AQUILIUS. Si c'est vous faire injure,Le sang des criminels saura la réparer. ANAXANDRE. Madame... LAODICE. Il n'est pas temps, Prince, d'en murmurer.Qu'on le conduise au Fort. ANAXANDRE. Quoi, jusqu'à l'injustice Rome n'a qu'à vouloir, il faut qu'on obéisse ? AQUILIUS. Rome en est incapable, et quand vous l'offensez... LAODICE. Théodot, suivez l'ordre, et vous, obéissez. ANAXANDRE. Que sans égard au rang... LAODICE. Obéissez, vous dis-je,Vous-même vous savez à quoi Rome m'oblige, Contre vous, contre tous je dois lui déférer,Si le soupçon est faux on saura l'avérer,Allez, qu'on me réponde. ANAXANDRE. Il faut céder, Madame, Mais pour m'en consoler vous connaissez mon âme,Et ne souffrirez pas que l'on me pousse à bout. AQUILIUS. Suivez, Lucilian, et prenez garde à tout. SCÈNE VII. Laodice, Aquilius, Ariarate, Phradate, Cléone. LAODICE. Êtes-vous satisfait, Seigneur, de ma franchise ? AQUILIUS. Madame, à cet éclat le Sénat m'autorise,Et vous ne pouviez mieux vous acquitter vers luiQue par ce que son ordre en vous trouve d'appui, Il l'apprendra sans doute avec beaucoup de joie,Mais il est temps qu'ici la vôtre se déploie,Et que la mort d'un lâche indigne de vos pleursCesse d'être comptée au nombre des malheurs. LAODICE. Que dites-vous, Seigneur ? AQUILIUS. Que toujours équitable Le Ciel à l'attentat n'a livré qu'un coupable,Qui dérobant le nom du Prince votre filsÀ la fourbe déjà croyait le Trône acquis.Rome vous l'envoyait pour en punir l'audace. LAODICE. Ce n'était pas mon fils ! Ah, Seigneur, mais de grâce, Le sort d'Ariarate en sera-t-il plus doux ? Puis-je croire qu'il vive, et me l'amenez-vous ? AQUILIUS. Il est vivant, Madame, et le bruit de sa perteFut une illusion heureusement offerte,Dont Rome intéressée à vous garder ce fils, Pour ne l'exposer pas, se crut l'abus permis.Elle en prit toujours soin, et prête à vous le rendreTel que d'elle aujourd'hui vous le pouvez attendre,Elle a voulu d'abord prévenir en ces lieuxCe qu'elle soupçonnait de quelques factieux. Vous en voyez l'effet, et leur rage peut-êtreSur un fourbe avortée aura peine à renaître,Quand le Prince averti qu'on en veut à ses joursDans sa précaution trouvera du secours. LAODICE. Quoi donc, il se pourra qu'enfin je le revoie ? Phradate, allez au peuple annoncer cette joie, Ariarate sort.En le tirant d'erreur calmez son désespoir ;Mais, Seigneur, hâtez-vous de me le faire voir,L'entreprise manquée il n'a plus rien à craindre. AQUILIUS. Un juste empressement à peine à se contraindre, Vous le verrez bientôt paraître avec éclat,Cependant apprenez l'équité du Sénat.S'il fait régner ce fils que le Ciel vous redonneIl ne peut consentir à vous voir sans Couronne,Et que ce changement vous réduise aujourd'hui À ne donner des lois que sous l'aveu d'autrui.Vivez sans dépendance, et toujours souveraine,Les Lycaoniens vous recevront pour Reine,Comme ils sont sa conquête, il en peut disposer. LAODICE. Je sais qu'en vain mon fils s'y voudrait opposer, Si la Lycaonie est jointe à cet EmpireC'est le prix d'un malheur dont encor je soupire,Le bonheur des Romains me coûta mon époux,Mais souffrez que ce fils en résolve pour nous.Attachée à son sort, et moins Reine que mère Je cherche sa grandeur, elle seule m'est chère ;Qu'il me souffre avec lui, qu'il veuille m'éloigner,Mes voeux sont satisfaits si je le vois régner,Ce triomphe est le seul où ma tendresse aspire,Jusque-là dans ces lieux prenez un plein empire, Venez pourvoir à tout, et selon vos souhaitsOrdonnez de la ville ainsi que du Palais. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Ariarate, Phradate. ARIARATE. Quoi, malgré tant d'efforts pour calmer sa furieOn n'a pu l'empêcher de s'immoler sa vie ? PHRADATE. Seigneur, on a tâché d'éviter ce malheur, Mais le peuple animé de rage et de douleurDans son emportement ne cherchant qu'où se prendre,Quoi qu'ait fait Théodot s'est saisi d'Anaxandre,Et sans vouloir souffrir qu'on le menât au Fort,Du Prince Ariarate il faut venger la mort, A-t-il dit, et soudain, comme sûr de son crimeSans rien examiner il l'a pris pour victime.Anaxandre mourant fait ouïr à hauts crisQue la Reine elle seule a fait périr son fils,Et de ce peuple ému l'impatiente rage Eut pu jusques sur elle achever son ouvrage,Si d'un faux attentat le bruit partout seméEn le tirant d'erreur ne l'eut pas désarmé.À voir par ses transports quel doux espoir le flatteSachant qu'il n'a pleuré qu'un feint Ariarate, Il semble qu'il connait déjà pour son reposQue le Ciel va pour Roi lui donner un héros,Qu'il n'est bonheur sous vous qu'il n'ait sujet d'attendre. ARIARATE. Ainsi j'ai causé seul le malheur d'AnaxandreQue par Aquilius j'avais fait arrêter Pour rompre seulement ce qu'il eut pu tenter.Mais si d'un ennemi sa mort m'a su défaire,Que n'ai-je point toujours à craindre de ma mère ?Tous ses voeux n'ont pour but que de me voir périr. PHRADATE. Le Ciel jusques au bout saura vous secourir, Il s'est trop déclaré contre son injustice.Cependant de sa haine admirez l'artifice.Tout ce que pour un fils sauvé des factieuxOn peut montrer de joie, éclate dans ses yeux.Avec Aquilius elle règle, elle ordonne Qui doit d'Ariarate escorter la personne,Quelle sera sa garde, et par où prévenirLes suites d'un forfait qu'elle cherche à punir.Aucun trouble échappé ne la montre gênéeDe tout ce qu'a produit cette grande journée, Ses voeux sont exaucés, le Ciel lui rend son fils. ARIARATE. C'est trop souffrir l'abîme où sa haine m'a mis,Si mes soumissions ne servent qu'à l'accroîtreÉtonnons cette haine en me faisant connaître,Et voyons si ce fils par son orgueil trahi Connu pour ce qu'il est sera toujours haï.La voici, laissez-moi sur cette âme trop dureFaire un dernier effort pour vaincre la nature,Le temps de ce triomphe est peut-être arrivé. SCÈNE II. Laodice, Ariarate. LAODICE. Vous l'emportez, Oronte, et mon fils est sauvé, Contre les fiers projets de ma jalouse envieDéjà le Ciel deux fois a défendu sa vie,Deux fois de ma fureur il a rompu les coups,Mais il n'eut pu jamais en triompher sans vous.C'est vous qui sur mon coeur plus fort que le Ciel même Y savez modérer l'ardeur du diadème,Et contraindre l'orgueil qu'a trop enflé mon rangÀ croire la Nature, et respecter le sang.C'en est fait, cet orgueil n'a plus rien qui m'anime,À force de vertus vous m'arrachez au crime, Malgré tant de serments de ne rien épargnerAriarate est sûr de vivre et de régner,Mon ambition cède, il n'a plus rien à craindre. ARIARATE. Je brûle de vous croire, et cherche à m'y contraindre ;Mais pardonnez, Madame, à mon coeur interdit Un scrupule forcé que mon respect dédit.C'est en vain que je veux empêcher qu'il n'éclate.Vous m'avez demandé le sang d'Ariarate,Et si malgré les Dieux qui s'en montrent l'appuiLa même ardeur encor vous armait contre lui, Me découvririez-vous cette funeste envieÀ moi dont le refus vous a si mal servie,Et qui tâchant à rompre un dessein trop cruelPeut-être auprès de vous me suis fait criminel ?Ainsi par où juger qu'un repentir sincère Faisant vaincre le sang lui rend enfin sa mère ?Quel garant aura-t-il d'un si grand changement ? LAODICE. Le Ciel qui le protège, et mon éloignement.Je suis juste, et vois trop à quelle défianceLe doit de mes projets porter la connaissance Pour exiger de lui que s'assurant sur moiIl souffrit ma présence et régnât sans effroi.J'ai conspiré sa perte, et pour m'en voir punieJe m'impose l'exil de la Lycaonie,C'est là que le Sénat m'autorise à régner, J'y consens, et déjà suis prête à m'éloigner ;Mais dans ce qu'il me laisse et d'honneurs et de gloireMon coeur de vos vertus ne perd pas la mémoire,Et si ce coeur au trône ose encor se donnerC'est moins pour en jouir que pour vous couronner, Oui, vous ayant flatté d'un pompeux hyménéeJe ne révoque point ma parole donnée,À vous voir mon époux mes voeux sont limités. ARIARATE. Je sais ce que je dois à vos rares bontés,Mais quand il vous a plu de me laisser prétendre Aux pompes d'un hymen qui vous faisait descendre,Craignant tout des Romains, dans ce pressant besoinVous cherchiez un appui dont les Dieux ont pris soin,De cet abaissement ils vous ont dégagée. LAODICE. S'ils ont changé mon sort ils ne m'ont pas changée, Et ce fils, si longtemps par ma haine opprimé,Serait encor haï si vous n'étiez aimé. ARIARATE. Si je n'étais aimé ? LAODICE. J'ai voulu vous le taireTant qu'un prétexte heureux m'a permis de le faire,Et que ce qu'un beau feu pour vous m'a fait oser Sous des raisons d'État pouvait se déguiser ;Mais par votre vertu ma flamme encor accrueNe peut plus se contraindre à tant de retenue,Et c'est peu que mon fils trouve grâce en ce jourSi je ne vous apprends qu'il la doit à l'amour. C'est lui qui pour vous seul me contraignant de vivreMe dérobe le sang que j'aimais à poursuivre,Et qui malgré l'orgueil de mes désirs jalouxM'ôte à l'ambition pour me donner à vous.C'est lui, c'est cet amour dont l'ardeur me surmonte... Mais quoi ? Vous vous troublez, expliquez-vous, Oronte,D'où viennent ces regards tremblants, mal assurés,Cette froide surprise ? ARIARATE. Hélas ! LAODICE. Vous soupirez ? ARIARATE. Il est vrai, je soupire, et plut au Ciel, Madame,Vous pouvoir déguiser ce qui trouble mon âme, Les maux que je prévois ne seraient pas le prixDu funeste secret que vous m'avez appris.Le mien va vous réduire où m'a réduit le vôtre,J'ai soupiré de l'un, vous tremblerez de l'autre,Et plus de votre amour vous aurez cru l'erreur, Plus la haine pour moi vous donnera d'horreur. LAODICE. Vous aimez donc ailleurs, et l'hymen d'une ReineNe vaut pas que pour elle on brise une autre chaîne,La constance en amour est digne d'un héros. ARIARATE. Mes voeux n'ont réussi que trop pour mon repos. Quel dur revers, Madame, et qui l'aurait pu croire ?Pour être aimé de vous j'ai cherché de la gloire,Et je me vois réduit à la nécessitéDe me plaindre d'un bien que j'ai tant souhaité.Haïssez un ingrat, perdez un téméraire, J'ai trop tû ce qu'enfin il ne faut plus vous taire,Mais quand d'amour pour moi votre coeur est surpris,Comment vous avouer que je suis votre fils ? LAODICE. Vous, mon fils ? ARIARATE. Si pour vous la nature muetteN'ose de mon destin se faire l'interprète, N'épargnez point mon sang, ce sang trop odieuxQui peut-être en coulant vous l'expliquera mieux.C'est là qu'avec plaisir vous trouverez sans douteLes tristes vérités que vôtre âme redoute ;Pour combler les malheurs de ce funeste jour Satisfaites la haine au défaut de l'amour,Il me sera plus doux... LAODICE. N'en soyez point en peineJe la satisferai cette invincible haine,Vos soupirs font contre elle un impuissant appas,Et si vous l'étonnez vous ne l'ébranlez pas. Quoi, par de faux devoirs vous m'aurez su réduireÀ l'aveu de l'orgueil qui voulait vous détruire,Vous aurez dans mon coeur pénétré mes forfaits,Et vos voeux triomphants en feront les effets ?Non, il faut qu'entre nous cette haine en décide, Elle offre le défi du plus prompt parricide,Et du moins, si les Dieux ont trompé mon amour,Il vous en coûtera l'innocence, ou le jour.Pour vous conserver l'une, il vous faut perdre l'autre,Devenir ma victime, ou me faire la vôtre, Et vous résoudre enfin, quoi qui puisse advenir,De périr par mon crime, ou de le prévenir. ARIARATE. En vain ce vif transport s'empare de votre âme,Quoi qui puisse arriver vous régnerez, Madame.Si mes voeux n'avaient eu qu'un trône pour objet, Je n'aurais pas deux ans paru comme sujet,Je n'aurais pas deux ans par un respect sincèreTâché de mériter les bontés de ma mère,Les armes à la main sans craindre son courrouxJ'aurais osé paraître... LAODICE. Ah, que ne l'osiez-vous ! Alors ma haine libre aurait à force ouverteGoûté l'entier plaisir de jurer votre perte,Et mon coeur qui sans trouble aurait pu l'écouterN'eut pas eu contre vous de faible à redouter,Mais en vous déguisant vous m'avez su contraindre À chérir l'ennemi que j'avais seul à craindre,Vos flatteuses vertus par des charmes trop douxOnt pris intelligence avecque mon courroux,Et dans ce qu'à mon coeur elles offrent d'amorce,Quand il veut vous haïr, il n'en a pas la force, De tout ce qu'il résout vous l'osez détourner.Ah, ce crime est trop grand pour vous le pardonner,Cinq enfants immolés par mes trames secrètesMe laissent encor moins coupable que vous n'êtes ;Par mille et mille soins rendus jusqu'à ce jour Vous m'avez pour mon fils fait naître de l'amour,Vous avez allumé dans le sein d'une mèreUne ardeur à la fois et détestable et chère,Et dont j'ai d'autant plus à craindre les effetsQu'elle cherche à m'ôter le fruit de mes forfaits ; Elle a beau le prétendre, il faut que j'en jouisse,Que je fasse du sang ce dernier sacrifice,Et que l'ambition que j'allais étouffer,Reprenne tout l'orgueil qui l'en fit triompher.Dût en gémir cent fois la Nature détruite J'ai trop bien commencé pour trembler de la suite,Pour craindre lâchement de m'immoler vos jours. ARIARATE. Et bien, prenez ce fer s'il vous faut du secours,Puisque ma mort pour vous peut être un doux spectacle,Hâtez-vous d'en jouir, je n'y mets point d'obstacle, Frappez, percez ce coeur dont les derniers soupirsFurent toujours l'objet de vos plus chers désirs,Effacez dans mon sang ce tendre caractère... LAODICE. Laissez-moi donc, ingrat, le pouvoir de le faire,Et quand à vous haïr tout semble m'animer, Arrachez-moi du coeur ce qui vous fait aimer.Ôtez-moi cette ardeur qui, quoi que je l'abhorre,Me fait voir dans mon fils un amant que j'adore,Et qui bravant l'orgueil qui voudrait son trépasSait corrompre ma haine, et retenir mon bras. En vain ma dureté de votre vie ordonne,La Nature vous l'ôte, et l'Amour vous la donne,Et quand l'une du jour consent à vous priver,L'autre vient me séduire afin de vous sauver.Dure malignité du penchant qui m'entraîne ! Les crimes ont toujours accompagné ma haine,Et tel en est pour moi le triste enchaînementQue cessant de haïr j'en fait un en aimant.D'un violent amour la fureur indomptableMe laisse pour mon fils brûler d'un feu coupable, Et mon fils n'est sauvé que par l'indigne ardeurQue mon aveuglement alluma dans mon coeur.Les Dieux l'ont résolu, ma résistance est vaine,Vivez, Ariarate, et faites une Reine,Tandis que je me rends à la nécessité De chercher mon repos et votre sûreté. ARIARATE. Où la trouverez-vous pour un fils qui vous aime,Qu'en daignant partager la puissance suprême ?Soyez par vos conseils l'appui de ses États,Et régnant avec lui... LAODICE. Ne vous y fiez pas. Quoi que j'eusse promis, l'ambition peut-êtreÉtoufferait l'amour qui s'en est rendu maître,Et dans les bras d'autrui ce qu'on aima le mieuxDevient bientôt pour nous un objet odieux.Contre un péril si grand assurons vôtre vie, Par son Ambassadeur le Sénat m'y convie,Il m'en ouvre la voie, et j'y saurai pourvoir. ARIARATE. Les prières d'un fils auront quelque pouvoir,Et si le temps fait tout, il m'est permis de croire... SCÈNE III. Laodice, Ariarate, xiane, Alcine. LAODICE. Princesse, jouissez enfin de votre gloire. Les Dieux en prirent soin lorsqu'un heureux accordAu destin de mon fils attacha votre sort,Et leur bonté pour vous achève de paraîtreQuand dans l'illustre Oronte ils nous le font connaître,Recevant de ma main ce héros pour époux Vous ne douterez point s'il est digne de vous,Je vous laisse avec lui partager cette joie,Il vous en dira plus. SCÈNE IV. Axiane, Ariarate, Alcine. AXIANE. Que faut-il que je croie ?Après les plus beaux voeux à mon rang immolésSe pourrait-il qu'Oronte... Ah de grâce, parlez, Quoi que de votre sort la Reine ait pu m'apprendre,Je crains que mon amour n'ait voulu trop entendre,Que d'une erreur flatteuse il n'ait trop crû l'appas... ARIARATE. Non, croyez cet amour, il ne vous trompe pas,Je suis Ariarate, et si de ma naissance Je vous ai dérobé toujours la connaissance,J'ai voulu par mes soins mériter d'être aiméSans que le trône eut part au feu qui m'a charmé,D'ailleurs, je m'assurais de l'esprit de la Reine. AXIANE. D'un Peuple ému contre elle on doit craindre la haine, Il s'assemble, il menace, et crie à haute voixQue d'une parricide il abhorre les lois,Que lors que sa fureur contre son sang éclate,Ne l'en oser punir c'est perdre Ariarate.La fuite est dangereuse, et dans un pareil sort... ARIARATE. Le Peuple a su déjà venger ma fausse mort,Et ce hardi tumulte où sa crainte l'engageDe sa fidélité me donne un nouveau gage,Mais il faut le calmer, et c'est ce que je puis. SCÈNE V. Ariarate, Aquilius, Axiane, Alcine. ARIARATE. Seigneur, il n'est plus temps de cacher qui je suis. La Reine et la Princesse ont appris ma naissance. AQUILIUS. Tout se perdrait, Seigneur, par un plus long silence.J'ai rencontré la Reine, et je viens devant tousDe lui redire encor ce qu'elle a su de vous,Mais ce n'est point assez ; il faut par votre vue Apaiser promptement la populace émue,Qui grossissant toujours dans la Cour du PalaisD'elle contre son fils craint de nouveaux forfaits.Ce peuple à haute voix la nomme parricide,Et peut-être il suivrait la fureur qui le guide Si pour la retenir et calmer son effroiNous différions encor à lui montrer son Roi,Hâtons-nous, le temps presse, et tout paraît à craindre. AXIANE, à Ariarate. Allez, Seigneur, ce feu ne peut trop tôt s'éteindre,On y ferait sans vous des efforts superflus. ARIARATE. J'y cours, mais... SCÈNE VI. Ariarate, Aquilius, Axiane, Phradate, Alcine. PHRADATE. Ah, Seigneur, la Reine ne vit plus. ARIARATE. Ô Ciel ! AQUILIUS. Quoi, des mutins l'aveugle et prompte audace... PHRADATE. Non, Seigneur, apprenez quelle est cette disgrâce.Ayant su que le peuple au Palais amasséPour voir son nouveau maître avait déjà pressé, Sur l'appui d'un balcon obstinée à paraîtreLa Reine aux factieux se fait d'abord connaître,Et sa vue aussitôt animant leur fureur,Tous pour elle à la fois ont marqué de l'horreur.Joignant insolemment l'injure à la menace Du plus sanglant reproche ils armaient leur audaceQuand d'un ton qui de loin pouvait être entendu,Va, dit-elle, sans toi je sais ce qui m'est dû,Peuple lâche, et de qui les timides maximesT'ont fait jusques ici dissimuler mes crimes, Sans moi qui contre moi te veux prêter mon brasTu tremblerais toujours, et ne punirais pas.Là tirant un poignard dont elle était saisieAvant qu'on l'ait pu voir elle a tombé sans vie,Un seul coup malgré nous a terminé son sort. ARIARATE. Ô Fils trop malheureux ! Ô déplorable mort ! AQUILIUS. Le Ciel est équitable, et le fait bien connaître,Mais le peuple, Seigneur, soupire après son maître,Forcez votre douleur, et pour prix de sa foiAllons lui faire voir et sa Reine et son Roi. ==================================================