******************************************************** DC.Title = L'AVEUGLE DE SMYRNE, TRAGI-COMÉDIE DC.Author = LES CINQ AUTEURS DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:45. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CINQAUTEURS_AVEUGLEDESMYRNE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k718403.image DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AVEUGLE DE SMYRNE TRAGI-COMÉDIE EN CINQ ACTES M. DC. XXXVIII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. Par les cinq Auteurs À PARIS, Chez AUGUSTIN COURBÉ, Imprimeur et Libraire de Monseigneur frère du Roi, dans la petite Salle du Palais, à la Palme.Achevé d'imprimer pour la première fois, le 17. Juin, 1638. Les Exemplaires ont été fournies, ainsi qu'il est porté parle Privilège. Représenté pour la première fois en 1639 à l'Hôtel de Bourgogne. MONSEIGNEUR, J'aurais fort mauvaise grâce de vous offrir cette tragi-comédie, si je ne croyais que vous n'aurez pas moins de divertissement à la lire, que vous en avez eu à la voir représenter ; ou si je n'étais bien assuré que les bonnes choses, de la nature de celle-ci, vous plaisent plus d'une fois ; et qu'il est peu de personnes, qui aiment plus passionnément que vous faites, tout ce qui porte le caractère de la Vertu. Puis que c'est une vérité manifeste, il me siérait mal, de la vouloir publier ; et quand je m'étudierais à le faire, mes paroles n'ajouteraient rien à votre Gloire, vu qu'elle éclate assez d'elle-même. Pour vous bien louer, MONSEIGNEUR, je n'ai seulement qu'à dire, que vous êtes digne imitateur des HÉROS de votre illustre Maison ; que leurs vertus sont nées avecque vous, comme la Valeur et la générosité sont naturelles aux Lions, et qu'elles vous mettent généralement dans l'estime de tout ce qu'il y a d'honnêtes gens, qui ont l'honneur de vous approcher. Aussi vous sont-ils toujours considérables pour leurs bonnes qualités, et particulièrement pour les Ouvrages de leur Esprit. Ce qui me fait croire, MONSEIGNEUR, que celui-ci vous sera d'autant plus agréable, que les beautés et les grâces n'en sont pas vulgaires. Que si je prends la hardiesse de vous le présenter, encore qu'il ne soit pas de moi ; c'est pour ce qu'ayant eu le soin de lui faire voir le jour, il est raisonnable que je l'aie aussi de lui chercher un asile, et qu'assurément il n'en saurait avoir un meilleur que sous votre protection, ni moi un plus grand bonheur que celui d'être avoué, MONSEIGNEUR, Votre très humble, et très obéissant serviteur, BAUDOIN. AU LECTEUR. Si l'Invention est l'âme de la Poésie, je ne doute point, LECTEUR, que vous ne trouviez parfaitement animée cette Pièce de Théâtre, où sont exprimées avec un Art merveilleux les amertumes et les douceurs de la plus noble de toutes les Passions. Bien qu'elle ait pour titre L'AVEUGLE, les lumières ne laissent pas d'en être si vives, qu'elles font avouer à nos Muses, que c'est Apollon qui les a lui-même produites. Amour, à qui les Poètes donnent la gloire d'avoir autrefois développé le Chaos, démêle ici d'étranges intrigues ; et par un trait de magie, qui lui est naturel, il se sert des yeux de la Beauté qu'il a blessée, pour rendre la vue à un amant qui l'a perdue. Il veut qu'à son exemple ceux qui se voilent de son Bandeau, soient à la fin clairvoyants. Il leur cache ses mystères pour un temps ; puis il les révèle tout_à_coup ; et pour leur apprendre qu'il est savant dans les secrets de l'avenir, il est ensemble l'illustre sujet, et l'Interprète miraculeux de la plupart des Oracles. En voici un qui ne s'éclaircit que par lui, après avoir été prononcé dans le Temple de Delphes en termes obscurs ; d'où cet absolu Monarque des Coeurs, tire des sujets de joie, et des succès agréables. Il montre par là, qu'il n'est pas toujours Auteur de Tragédies, comme quelques-uns l'ont voulu dire, puisqu'il rend ici Comique l'évènement du dernier Acte de ce Poème. Vous le reconnaîtrez LECTEUR, si vous avez la patience de le voir entièrement ; et pourrez juger de ce que vaut cet Ouvrage, soit par l'excellence de sa Matière, soit par la Forme que lui ont donnée quatre célèbres Esprits. Ce qui leur promet (quelque sentiment contraire que leur modestie leur fasse avoir) que cette Tragi-comédie aura l'approbation qu'elle mérite, et qui se doit attendre en semblables Pièces, du Jugement qu'on en peut faire sur le papier, plutôt que de l'applaudissement du Théâtre. ACTEURS ATLANTE, Prince du Sénat. PHILARQUE, Fils d'Atlante. ÉLIANE, Fille d'Atlante. OLINTHE, Mère d'Aristée. ARISTÉE, Maîtresse de Philarque. PHILISTE, Rival de Philarque. TERFILE, Confident de Philarque, et ami d'Atlante. ALCINON, Guide de Philarque. PAULINE, Confidente d'Aristée. SILENE, Geôlier. La Scène est dans l'île de Smyrne. ACTE I SCÈNE I. Philarque, Terfile. TERFILE. Les bras ainsi croisés, et les larmes aux yeux, Frappant du pied la terre, et regardant les Cieux, Que veut dire Philarque ? PHILARQUE. Ah ! J'ai trop de courage, Pour commettre jamais un si perfide outrage. TERFILE. Quel fâcheux accident lui causant ces transports, Agite également son esprit et son corps ? PHILARQUE. Au secours ma raison, j'ai besoin de tes armes. TERFILE. Ses mots entrecoupés de soupirs et de larmes ; Ses farouches regards, son geste, et sa couleur, Témoignent qu'il succombe aux traits de la douleur. PHILARQUE. Oui, je mourrai plutôt, que jamais il arrive. TERFILE. Quoi ? PHILARQUE. Vous m'avez surpris. TERFILE. Quelle peine excessive Fait que depuis trois jours je vous vois soupirer ? PHILARQUE. Hélas ! J'ai bien sujet de me désespérer. TERFILE. Ne m'apprendrez-vous point d'où votre mal procède ? PHILARQUE. J'ai deux forts ennemis ; mon mal est sans remède. TERFILE. Hé bien, est-ce là tout ? PHILARQUE. Ils sont à redouter. TERFILE. Nous sommes deux aussi, courons les surmonter ; Nous en viendrons à bout, s'ils ne sont invincibles. PHILARQUE. Les pourriez-vous trouver, puisqu'ils sont invisibles. TERFILE. Hé quoi, ne sont-ce pas des hommes comme nous ? PHILARQUE. Non, ces deux ennemis redoutent peu nos coups ; Et les efforts d'un Dieu me seraient nécessaires. TERFILE. Mais encor, qui sont ces puissants adversaires ? Où sont-ils ? PHILARQUE. Dans mon coeur ; il leur sert de séjour. TERFILE. Dans votre coeur, hé qui ? PHILARQUE. La Vengeance, et l'Amour. TERFILE. Ce sont deux passions, dont la moindre est capable De rendre pour jamais un esprit misérable : Mais encor, quel sujet vous porte à vous venger ? Et quels maux en aimant, vous peuvent affliger ? PHILARQUE. Deux mots vous l'apprendront, puisqu'il vous prend envie, Cher ami, de savoir l'histoire de ma vie. Mon père eut autrefois assez de cruauté, Pour vouloir sans raison forcer ma volonté, Et me faire épouser une autre que la Belle, À qui je suis lié d'une chaîne éternelle. Je fais ce que je puis, pour arrêter sa main, Comme il allait signer cet arrêt inhumain :Je pars, pour éviter ce triste mariage ; Je m'éloigne de Smyrne, et fais un long voyage. Il fut à mon départ touché de déplaisir, Et cesse à mon retour de forcer mon désir ; Qui grâce aux Immortels, à mon âme asservie Au plus aimable Objet qui respire la vie ; Mais qu'avec cette joie il mêle de douleurs ! TERFILE. Pourquoi joint-il ainsi les épines aux fleurs ? PHILARQUE. Il pense que Philiste ait ma soeur subornée. TERFILE. Que votre soeur ainsi se soit abandonnée ? PHILARQUE. Il le croit, et s'attend que par un lâche effort, Sans me battre avec lui, je lui donne la mort. Dieux ! Cette lâcheté n'est-elle pas extrême ? TERFILE. Le faire ainsi mourir ? PHILARQUE. Plutôt mourir moi-même. TERFILE. Ce qu'il veut, n'est pas juste. PHILARQUE. Il parle absolument, Et veut que j'obéisse à son commandement. TERFILE. Mais que lui dites-vous ? PHILARQUE. Que je ne le puis faire, Parce que la Raison m'ordonne le contraire Qu'en traître je le tue ? Et vengeant un affront, Qu'il m'en demeure un autre imprimé sur le front ? Croit-il bien réparer la honte de sa fille, Déshonorant son Fils, et toute sa Famille ? Voudrait-il abuser par cet assassinat, Du titre glorieux de Prince du Sénat ? Se venger en Tyran, et par cette licence, Faire dans toute l'Île abhorrer sa puissance ? M'a-t-il fait assassin ? Suis-je lâche, et sans coeur ? Il m'a donné la vie, il veut m'ôter l'honneur ; Qu'il me laisse l'honneur, et je lui rends la vie : Oui, j'aime beaucoup mieux qu'elle me soit ravie, Que d'aller faire un coup de Lâche et de Cruel ; Je veux bien voir Philiste en un juste duel : Mais je crois, qui plus est, que mon père s'abuse, C'est, c'est peut-être à faux que Philiste on accuse. Retirez-moi de doute, et faites, justes Dieux, Éclater l'Innocence, ou le Crime à mes yeux ; Et je soutiendrai l'une, ou je vengerai l'autre, Afin de conserver mon honneur, et le vôtre. Mais j'aperçois mon père. TERFILE. Allez le consoler. PHILARQUE. L'excès de la douleur m'empêche de parler. SCÈNE II. Atlante, Philarque, Terfile. ATLANTE. Ô Ciel qui si longtemps m'avez été propice, Qu'ai-je fait, pour tomber du faîte au précipice ? PHILARQUE. Rien mon père. ATLANTE. Ah mon fils ! Hé bien, avais-je tort ? Philiste et votre soeur n'étaient-ils pas d'accord ? J'étais un vieux rêveur, et dans votre créance, Je supposais un crime à la même Innocence ; Mais je les ai surpris, je les tiens en prison, Et sans votre secours, j'en aurai la raison, L'effort de votre bras ne m'est plus nécessaire, Pour donner à ce Traître un supplice exemplaire ; Il mourra dans les fers, accablé de tourments, Autant de fois et plus, qu'il vivra de moments. PHILARQUE. Mais s'il est Innocent ? ATLANTE. Ah que viens-je d'entendre ! Pouvez-vous bien sans crime un tel crime défendre ?Ils sont dans ces prisons, et e vais de ce pas, Par un honteux supplice avancer le trépas. PHILARQUE. Mon père, ATLANTE. Ha ! Laissez-moi. PHILARQUE. Dieux ! Que pensez-vous faire ? ATLANTE. Mon devoir. PHILARQUE. Mais plutôt. ATLANTE. Rien ne m'en peut distraire. TERFILE. Il faut vous consoler, et dans cet accident, Ne paraître pas moins courageux que prudent. PHILARQUE. Comment me consoler au milieu de deux peines, Dont je ne puis souffrir les rigueurs inhumaines ? L'une, c'est de cacher, malgré mon désespoir, Le gouffre d'infamie, où ma soeur vient de choir ; Et l'autre est de donner un peu d'air à la flamme, Que deux Soleils vivants allument dans mon âme ; Deux beaux yeux, où l'Amour fait sa gloire éclater, Armés de traits de feu, qu'on ne peut éviter. TERFILE. Comment appelez-vous cette jeune merveille, Qui vous force à brûler d'une ardeur non pareille ? PHILARQUE. Je vous ouvre mon coeur, avecque liberté, Je meurs en adorant une Divinité, Qui paraît en ces lieux sous le nom d'Aristée. TERFILE. Mais l'avez-vous aussi dans vos fers arrêtée ? PHILARQUE. Si je n'en suis aimé, je n'en suis pas haï, Ou ses yeux, et les miens mille fois m'ont trahi : Je sais bien que du feu dont je brûle pour elle, Il est jusqu'en son coeur volé quelque étincelle. Elle sait bien aussi quelle est ma passion ; Elle la dissimule avec discrétion ; Mais sa mère l'ignore, et je n'ose entreprendre, De lui dire l'ardeur qui me réduit en cendre. TERFILE. Hé pourquoi ? Quel sujet vous en peut retenir ? PHILARQUE. À quoi me servirait de l'en entretenir ? TERFILE. À terminer vos maux par un doux Hyménée. PHILARQUE. Au Temple de Diane elle l'a destinée ; Et je crois que bientôt cette chaste beauté, Choisira pour retraite un lieu de pureté, Plutôt qu'une maison de gloire dépouillée, Qu'un amour dissolu pour jamais a souillée. TERFILE. Il vous faut éclaircir de cette trahison, Et puis vous songerez à votre guérison. PHILARQUE. Courons donc au Logis ; et s'il nous est possible Apprenons si mon père à mes maux insensible, Saura par les témoins qui peuvent déposer, Les convaincre, aussi bien qu'il les sait accuser. TERFILE. Allons, je le veux bien. PHILARQUE. Mais devant que je sorte, Allez à la prison, et frappez à la porte ; Peut-être n'a-t-il dit que pour m'épouvanter, Qu'il les a faits ainsi l'un et l'autre arrêter. TERFILE. J'y vais tout maintenant ; poursuivez votre route. PHILISTE. Qui heurte ? TERFILE. C'est assez, j'ois Philiste sans doute. PHILISTE. Quel est cet Importun qui heurte de la sorte, Sans vouloir seulement m'en dire la raison ? N'est-ce pas un Esprit, qui frappant à ma porte, Veut que j'ouvre plutôt mon coeur que ma prison ? Hé bien, il faudra que je l'ouvre, Et que librement je découvre, Mon crime, et mon affection ; L'un me perd, l'autre est ma défense ; L'un mérite punition, L'autre est digne de récompense. Pouvons-nous trop oser sous l'amoureux empire, Pour vaincre la Beauté, qui nous force à l'aimer ? Libre je déplaisais à l'objet que j'admire, Et peut-être captif m'en ferai-je estimer. Ne sera-t-elle pas forcée, De me louer en sa pensée, Puisqu'en l'adorant je me perds ? Ma prise m'est une victoire ; Je triomphe au milieu des fers, Et ma honte cède à ma gloire. Rien ne me paraît si grand que mon amour fidèle, Et mon crime en pouvoir le surpasse pourtant, On croit qu'elle a failli ; mon crime passe en elle, Et jamais mon amour n'en a su faire autant. Il n'entra jamais Le moindre rayon de la flamme, Qui comble mon coeur de souci : Elle me hait, je la seconde ; Car je me hais moi-même aussi, Afin de n'aimer qu'elle au monde. Je n'aime qu'elle au monde, et veux malgré l'envie, Pour l'ôter de l'orage, et la conduire au port ; Faire voir qu'on s'attaque à la plus belle vie, Qui tombera jamais sous les traits de la mort. Que si je n'ai pas la puissance, De montrer que son innocence, Ne se peut sans crime accuser ; Au moins la Loi la plus cruelle, Ne me pourra pas refuser, La gloire de mourir pour elle. Un incroyable excès et d'amour, et de peine, Fait qu'avecque raison j'ai toujours souhaité, De pouvoir posséder cette belle Inhumaine, Ou de pouvoir au moins mourir pour sa beauté. Maintenant l'un m'est impossible, Mais l'autre m'est bien infaillible : Je vais mourir en la servant ; Et la mort m'est un avantage, Puisque ce beau rocher vivant, Est la cause de mon Naufrage. Peut-être cette Ingrate, après tant de services, Aura-t-elle regret à la mort d'un amant ; Qui soutiendra toujours, au milieu des supplices, Qu'il est seul criminel, et qu'il meurt justement ; Mais que pourtant sa faute est belle ; Qu'il est moins traître que fidèle, Et moins coupable qu'amoureux : Qu'Aristée est la vertu même, Et que Philarque est trop heureux, D'être lui seul tout ce qu'elle aime. SCÈNE III. Terfile, Philarque. TERFILE. Tout ce que dit Atlante en cette occasion, Est, comme son esprit, plein de confusion. PHILARQUE. Il n'a point de leur crime une assez claire marque, Mais on vient de nommer Aristée et Philarque : N'avez-vous pas ouï ces malheureux amants, Proférer nos deux noms au fort de leurs tourments ? TERFILE. Oui, mais à quels propos vous nomment-ils ensemble ? D'où vient que dans ce lieu vos deux noms on assemble ? PHILARQUE. Ils joignent justement nos noms dans leurs discours, Puisque nos coeurs sont joints, et le seront toujours ; Allons en leur parlant tâcher de les surprendre. TERFILE. Mais quoi, de leurs prisons vous pourront-ils entendre ? PHILARQUE. Je viens de les ouïr, sans doute ils m'entendront. TERFILE. Mais à votre parole ils vous reconnaîtront. PHILARQUE. Je la déguiserai. TERFILE. Dieux quelle rêveries ! Mais que leur direz-vous ? PHILARQUE. Approchez, je vous prie, Un mensonge en pourra tirer la vérité, Il est mort le méchant, et l'a bien mérité. ARISTÉE, en prison. Qui donc est mort ? PHILARQUE. Celui qui tient votre franchise, Et venait vous parler, quand on vous a surprise. ARISTÉE. Qui l'a tué ? PHILARQUE. C'est moi, j'ai terminé son sort. ARISTÉE. Ha ! C'est donc toi méchant qui mérites la mort. PHILARQUE. La raison ? ARISTÉE. Laisse-moi, cherche qui te réponde : Sa mort me fait mourir, va, le Ciel te confonde. TERFILE. Pour une prisonnière elle a peu de douceur ; Mais qui vous parle ainsi ? Serait-ce votre soeur ? PHILARQUE. Et qui donc ? TERFILE. Je ne sais, mais sa voix, ce me semble, Et celle qui parlait, n'ont rien qui se ressemble. PHILARQUE. Ce séjour triste et noir, plein d'un air échauffé, Où le son de la voix est soudain étouffé, Et la peur, et le mal, dont elle est affligée, Ont en moins d'une nuit sa parole changée. Mais allons vers Philiste, et tâchons d'en tirer Ce que jamais ma soeur n'a voulu déclarer, Il va à la prison de Philiste, et frappe à la porte, et dit. Elle est morte à la fin, et sa mort est tragique. PHILISTE, en prison. Qui donc est morte ainsi ? PHILARQUE. Cette jeune impudique, Qui de feux dissolus embrasait vos esprits, Et venait vous parler, quand on vous a surpris. PHILISTE. Impudique ! Bons Dieux, tu vomis un blasphème : Elle était innocente, et ma faute est extrême, Impudique ! Ha plutôt dis qu'avec la Beauté On a mis au tombeau le même Chasteté. SCÈNE IV. Atlante, Philarque, Terfile. ATLANTE. Que vois-je ? Parlez-vous à ces deux misérables ? PHILARQUE. Je parle aux Prisonniers, Innocents ou Coupables. ATLANTE. Innocents ? J'ai pitié de toi, si tu le crois. PHILARQUE. Arrête ; si ma soeur n'a déguisé sa voix, Quelque autre prisonnière a répondu pour elle. SCÈNE V. Éliane, Pauline, Atlante, Philarque, Terfile. ATLANTE. Éliane paraît sur le Théâtre. Dieux ! Qui l'a fait sortir, étant si criminelle ? Ne l'aperçois-je pas, qui s'en vient droit à nous ? ÉLIANE. Triste jusqu'à la mort, j'embrasse vos genoux, Pour savoir. TERFILE. Les sanglots lui coupent la parole. ATLANTE. Qui l'a mise dehors ? Que le Ciel me console, Mais tout le monde au moins connaît visiblement, Que si je l'accusais, c'était bien justement : Ses pleurs et ses sanglots, avec trop d'apparence, Me demandent pardon de sa cruelle offense. ÉLIANE. Vous demander pardon ? Ha ! Dieux que dites-vous ? Qu'ai-je fait qui vous pique, et vous mette en courroux ? Vous demander pardon ! Je serais insensée, N'étant pas seulement coupable de pensée. ATLANTE. Impudente, confesse, et ne diffère plus ; Sanglots, plaintes, serments sont ici superflus. ÉLIANE. Si j'ai perdu l'honneur, je veux perdre la vie ; Le garder, ou mourir, est toute mon envie, Et je ne sais quel crime on me peut imposer ; Mais je sais que sans crime on ne peut m'accuser. ATLANTE. Quel endroit cette nuit te retenait cachée, Alors que dans la chambre en vain je t'ai cherchée ? ÉLIANE. J'étais devant l'autel, où je priais les Dieux, De vous toucher le coeur, et vous ouvrir les yeux. PAULINE. Il est vrai. ATLANTE. Que sans vous elle s'est échappée, Pour s'en aller trouver celui qui l'a trompée ; Et qui favorisé des ombres de la nuit, L'attendait sans témoins. ÉLIANE. D'où vient ce mauvais bruit ? Mon coeur ne fut jamais saisi de cette envie, Vous me donnez la mort. ATLANTE. Je t'ai donné la vie. ÉLIANE. Me la conservez-vous, si vous m'ôtez l'honneur ? ATLANTE. Hélas ! Le seul Philiste en est le ravisseur ; Et par ce coup funeste, en prive ma Famille. ÉLIANE. Il demeure pourtant entier à votre Fille. ATLANTE. Dieu le voulut ainsi ! ÉLIANE. Veuillez-le seulement ; Vous le verrez bientôt avec étonnement. ATLANTE. Oui, ton crime, et ma mort, ma honte, et ton supplice. ÉLIANE. Mais plutôt ma Vertu, qui s'oppose à tout Vice. ATLANTE. Tes discours et tes pleurs ne m'apaiseront pas. ÉLIANE. La raison le doit faire, ou le cours au trépas. ATLANTE. Tais-toi. ÉLIANE. Mon innocence en un état si triste Parlera donc pour moi. ATLANTE. Connais-tu bien Philiste ? ÉLIANE. Je le dois bien connaître. ATLANTE. Où penses-tu qu'il soit ? ÉLIANE. Je crois qu'il est chez lui. ATLANTE. Ton esprit te déçoit ; Approche-toi d'ici, mais n'ouvre pas la bouche. ÉLIANE. Quel moyen de parler dans le mal qui me touche ? ATLANTE. Philiste, nous savons tout ce qui s'est passé ; Vous perdez temps de feindre, elle a tout confessé. PHILISTE, en prison. Son innocence donc vous est assez connue. ÉLIANE. Vous a-t-on pas surpris ? Et ne l'a-t-on pas vue, La nuit avec vous ? PHILISTE. Je ne saurais celer, Que nous étions sortis la nuit pour nous parler. ATLANTE, se tournant à Éliane. Entends-tu ce qu'il dit ? As-tu la hardiesse, De le nier, après qu'il le confesse ? ÉLIANE. J'entends de ces discours les mots, mais non le sens, Je n'ai jamais brûlé que de feux innocents. PAULINE. Dieux ! Qui nous peut jouer une telle partie ? ÉLIANE. Les Dieux m'en sont témoins, je ne suis point sortie, Et n'ai point vu Philiste. ATLANTE. Indigne fausseté ! Que de feintise est jointe à sa méchanceté ! Tu n'as point vu Philiste ? ÉLIANE. Accablez-moi de chaînes, Et je dirai toujours, au milieu de mes gênes, Je n'ai point vu Philiste. ATLANTE. Ha ! Tu mériterais D'être mise en Prison, pour la seconde fois. ÉLIANE. Je n'y suis point entrée, et j'y serai contente, Pourvu que dans mes maux, je me trouve innocente : Mais le tort qu'on me fait me met au désespoir. ATLANTE. Infâme, cache-toi, je ne te puis plus voir. TERFILE. Ses pleurs demandent grâce. ATLANTE. On lui fera Justice, Oui, je veux à son crime égaler son supplice. PHILARQUE. Quels célestes flambeaux dissiperont mes nuits ? Quel Dieu débrouillera le chaos où je suis ? Rentrons, et par argent, ou bien par artifice, Tirons la vérité de sa vieille nourrice. ACTE II SCÈNE I. Atlante, Philarque. ATLANTE. Voilà pas un étrange et bizarre accident ; On les a pris tous deux ensemble ; et cependant, Elle était dans sa chambre, et n'en est point partie, Si l'on croit mon Portier, elle n'est point sortie, Sa Nourrice et mes gens sont tous d'un même accort, Pour la favoriser, et seul j'aurai le tort. On se plaît à tromper les vieilles gens sans cesse, Les valets sont toujours contre eux pour la jeunesse, Quelqu'un pourrait pâtir de mon juste courroux. PHILARQUE. Certes, ce déplaisir me touche autant qu'à vous ; Mais parmi ces malheurs, qui choquent la constance, Montrez votre Vertu par votre résistance. ATLANTE. Hélas qu'il est aisé de sembler généreux, Et d'être philosophe, alors qu'on est heureux ! Que nous sommes touchés d'un sentiment contraire ! Ha qu'un père aime bien plus fortement qu'un frère ! Ton coeur est endormi, laisse-le réveiller ; Fais le frère et le Fils, et non le Conseiller. SCÈNE II. Atlante, Éliane, Pauline, Philarque, Silène. PHILARQUE. Voici ma soeur qui vient. ATLANTE. Rien ne t'est impossible ; Partout tu trouves l'art de te rendre invisible : Tes tours sont merveilleux ! Tu sors de la maison, Sans qu'on s'en aperçoive, et puis de la prison, J'admire ton esprit, dont la souplesse est rare. PAULINE. Dieux ! Rendez-lui les sens, le bon homme s'égare. ÉLIANE. Les miens d'étonnement se trouvent tous confus : Moi sortir de prison, où jamais je ne fus ? Moi sortir du logis ? Je n'en suis point partie, De mon devoir aussi je ne suis point sortie. ATLANTE. Sus, il t'y faut rentrer : qu'on ouvre la prison. ÉLIANE. Hé, mon père, écoutez ma voix, et la raison. ATLANTE. Silène doit ouvrir la prison, et comme Éliane doit entrer, Aristée doit sortir.Je la mets en vos mains ; vous me répondrez d'elle. SILENE. La prison est fort sûre, et Silène est fidèle. ATLANTE. Mais qu'est-ce que je vois ? PHILARQUE. Mes yeux me trompez-vous ? ÉLIANE. Que j'ai d'étonnement ! PHILARQUE. Et que j'ai de courroux ! SCÈNE III. Aristée, Philarque, Atlante, Éliane. ARISTÉE. Et bien, que voulez-vous ? Délivrer l'Innocente ? La Vertu sera-t-elle enfin assez puissante ? Vos coeurs se seront-ils amollis, jusqu'au point, De vouloir réunir ce que l'amour a joint ? Ô Dieux ! Je vois Philarque, objet seul que j'adore ; Mais comme est-il sans fers, puisque j'en porte encore ? Qui l'a pu délivrer ? Qui me peut retenir ? Lui veut-on pardonner, et me veut-on punir ? Serait-il Inconstant, comme je suis Loyale ? Encor que nous ayons une Innocence égale, Je vois bien qu'aujourd'hui notre sort ne l'est pas, Maintenant sans frayeur je verrais le trépas. Que mon coeur est ravi dans sa peine amoureuse, De me voir seule esclave, et seule malheureuse ! Non, par les sentiments dont ce coeur est charmé, Je ne saurais souffrir que dans l'objet aimé : Vos malheurs sont les miens, qui vous nuit, m'importune, Et l'heur que vous avez fait ma bonne fortune : Tant que vous n'aurez point les maux que j'ai soufferts, Je m'estimerai libre au milieu de mes fers. PHILARQUE. Que voyez-vous mes yeux ? Mon amour maltraitée, La vertu de ma soeur, le crime d'Aristée,Par sa légèreté mon espoir abattu, Et le vice qui règne, où régnait la vertu. Las ! En cet accident, qui cause mon martyre, Que ne dirai-je point ? Ou que lui dois-je dire ? Dois-je avoir du respect ? Dois-je la quereller. Quoi ! Me pourrai-je taire ? Ou pourrai-je parler ? Ha ! Que ne suis-je mort, voyant qu'elle est capable D'une légèreté qui la rend si coupable. Il n'est point de raison qui la puisse excuser, Et n'en est point aussi qui me puisse apaiser. ARISTÉE. Moi coupable ! Et de quoi ? Faites-le moi connaître, Ne l'étant que pour vous, je ne pense pas l'être. ATLANTE. Tirons-nous à l'écart, afin que librement, Ils puissent démêler leur mécontentement. ÉLIANE. Amour videra mieux, sans témoins, leur querelle. PHILARQUE. Hélas ! Que me sert-il d'avoir été fidèle ? ARISTÉE. Mais, Philarque, après tout, je ne vois point vos fers. PHILARQUE. Aussi n'en ai-je plus, je les ai trop soufferts. ARISTÉE. Que votre liberté me va causer de joie ! Et que je dois bénir la main qui me l'envoie ! Qui vous offre ces fers, en ce jour fortuné ? Dites-moi. PHILARQUE. Celle-là qui m'avait enchaîné. ARISTÉE. Je ne vous entends point, comment ! Est-ce une femme ? PHILARQUE. En pouvez-vous douter ? ARISTÉE. Oui, j'en doute, mon âme ; Car un homme m'a prise. PHILARQUE. Un homme ! Je le crois, Et ce qui le déplaît, c'est un autre que moi. ARISTÉE. Que dites-vous, bons Dieux ! D'où vous naît ce caprice ? Voudriez-vous l'avoir fait ? PHILARQUE. Serait-ce une injustice ? Je le dis franchement, je serais satisfait, Et nul autre que moi ne devrait l'avoir fait. ARISTÉE. Que vous êtes changé ! Qui peut vous reconnaître ? PHILARQUE. Ah ! Si je ne le suis, j'ai bien sujet de l'être. ARISTÉE. Mais enfin, cher Philarque, aidez à ma raison, Comment avez-vous pu sortir de la prison ? Ici mon esprit cède, ici je rends les armes. PHILARQUE. Vous m'avez jeté hors de celle de vos charmes : En nulle autre prison ce coeur ne fut jamais, Et libre, il deviendra plus sage désormais. ARISTÉE. En nulle autre bons Dieux ! Voyez, voyez vos lettres, Le Ciel confond toujours l'artifice des traîtres. LETTRE.Pour savoir si j'arrive au port, En suite d'un si long voyage, Et si mon coeur vaincra le sort, Et triomphera de l'orage ; Je me sers d'un ami si fidèle et discret, Que j'ose lui fier ma vie, et mon secret. Apprenez-moi, chère Beauté, Si votre coeur toujours fidèle, A fléchi la sévérité, D'une mère injuste et cruelle. Car si la cruauté s'oppose à mes amours, Je consacre aux Autels le reste de mes jours. PHILARQUE.Dans ces obscurités, je reste sans lumière. ARISTÉE. Achevez donc de lire, et voyez la dernière. LETTRE. Nos ennemis seront confus, Si vous osez tenter une belle Aventure ; Amour, aussi bien que Mercure, Pourrait tromper les yeux d'Argus. Rendez-vous donc sur ce rivage, Qui me sera plus doux, qu'il ne paraît sauvage ; Mais pour me rendre heureux un jour, Venez-y seule, avec Amour. PHILARQUE. PHILARQUE. Je reconnais mon nom, je vois que l'écriture Est fort bien contrefaite, ô l'étrange imposture ! ARISTÉE. Peux-tu désavouer qu'elles partent de toi ?Perfide, es-tu sans yeux, aussi bien que sans foi ? Les peux-tu nier à celle qui confesse, D'avoir en t'écrivant témoigné sa faiblesse ? Rends mes lettres, Ingrat, rends-les-moi dans ce lieu, Et nous disons après un éternel adieu. PHILARQUE. Las ! À mon grand regret, je n'ai rien à vous rendre, Car je n'ai rien reçu. ARISTÉE. Tu t'en voudrais défendre. Va, le plus Inconstant qui respire le jour, Le Ciel me vengera de ton perfide amour. Est-ce donc là le fruit de ma persévérance ? Des pleurs, et des sanglots poussés en ton absence ? Ingrat, est le prix des soins et des travaux, Soufferts depuis trois ans, à vaincre tes Rivaux ? Je n'ai rien eu que toi de cher à la pensée ; J'ai tout fui pour te suivre, et tu m'as délaissée : Il n'est rien que pour toi mon coeur n'ait entrepris, Et tout ce que j'ai fait attire ton mépris ; Mes parents irrités ont vu ma résistance Vaincre tous leurs efforts, mépriser leur puissance, Pour t'aimer, pour te plaire, et vivre en tes liens ; Et tu cèdes sans peine aux volontés des tiens, Pour me nuire, infidèle, et pour me faire outrage ? Les preuves de ma foi, celles de mon courage, T'obligent-elles donc lâche, et perfide Amant, À paraître infidèle, et faible également ? On dit, mais on se trompe, en tenant ce langage, Que l'homme est seul constant, et la femme volage ; Cependant j'aime encor, et mon oeil affligé, Te voit non seulement changeant, mais tout changé. J'ai vaincu ma raison, qui t'était si contraire ; Et toi, pour me traiter en mortel adversaire, Tu délaisses la tienne, aussi bien que ta foi La tienne qui combat assurément pour moi. PHILARQUE. Pensez belle Aristée. ARISTÉE. Ah ! Philarque, ton crime N'a point devant mes yeux d'excuse légitime. PHILARQUE. Écoutez, je vous jure. ARISTÉE. Ah ! Parjure tu mens, N'irrite point le Ciel avec tes faux serments ; Tu n'as rien à me dire, après l'affront insigne, Que tu fais à ce coeur, dont tu n'étais pas digne : Mais si j'ai pu me convaincre, et faire un tel effort Dessus moi, pour t'aimer en dépit de mon sort ; Sache que je puis bien me surmonter encore, Pour ne te plus aimer, Ingrat, que je déplore ; Et quand même il serait impossible à mon coeur, De n'aimer pas ce lâche et perfide Vainqueur, Au moins j'abhorrerai son inconstance extrême, Qui lui doit désormais faire horreur à lui-même. PHILARQUE. Souffrez que je vous die en deux mots seulement. ARISTÉE. Quoi ! Que me diras-tu ? Veux-tu perfide amant, Ou me faire un reproche, ou me faire une excuse ? Tu ne peux t'excuser, car ton crime t'accuse, Et ma pure innocence aurait peine à souffrir Ton injuste reproche, il me ferait mourir. Hélas ! Qui t'a forcé, faible et mauvais courage, De joindre l'inconstance et l'affront et l'outrage ? N'as-tu pu me quitter qu'en traître et suborneur ? Surprise au rendez-vous qui cause mon malheur : Dis-moi ce que j'ai fait, pour mériter ta haine ? N'est-ce pas une place où chacun se promène ?N'y suis-je pas venue, Ingrat, dessus ta foi ? Ai-je rien fait de lâche, et d'indigne de moi ? Avais-je autre dessein que de t'y faire instance, D'une honnête amitié, d'une ferme constance ? Depuis trois ans passés, que mon aveuglement, Dedans ton amitié m'engagea follement T'ai-je dit un seul mot, qui m'ait porté dommage ? Et dans ton vain esprit pût tirer avantage ? Tu sais que non, Barbare, et vu que tu ne peux, Me perdre par ma faute, ainsi que tu le veux, Tu me perds par toi-même, ah ! Que penses-tu faire ? Donc ma ruine, Ingrat, t'est glorieuse et chère ? Doncque ton faible esprit, follement transporté, En tire grand plaisir, et grande vanité ? S'il est vrai qu'en effet ton âme en soit ravie, Si mon malheur te plaît, que ne prends-tu ma vie, Pour achever ma perte en la diminuant ? Tu le peux aisément, qui t'en garde méchant ? Tu portes au côté, des armes pour la prendre, Je n'en ai point ici, qui me puissent défendre, Et quand bien j'en aurais, je n'en userais pas ; Sans défense, et sans peur, j'attendrais le trépas : J'y cours avec joie, et ce coeur magnanime, Te punit mieux ainsi de l'excès de ton crime. PHILARQUE. Vous faire mal, bons Dieux ! Plutôt mourir cent fois, Ah ! Vous êtes ma vie. ARISTÉE. Ingrat, si je l'étais, Pour me venger de toi, je me tuerais moi-même, Ne pouvant plus souffrir ta perfidie extrême. Fais mieux, puisque ton âme insensible à pitié, N'a jamais su répondre à ma tendre amitié ; Puisque tu n'as pu suivre, à faute de courage, L'avis de mon Amour, suis celui de ma rage : Penses-tu par ma mort faire un nouveau forfait ? C'est plutôt expier le premier déjà fait. Voudrais-tu bien, infâme, encore ouvrir la bouche ? Ne crois pas que jamais ton repentir me touche : Je ne te parle plus, va, fasse le pouvoir De nos Dieux, que jamais tu ne puisses me voir. PHILARQUE. Arrêtez, Aristée, arrêtez, inhumaine. ÉLIANE. Ah ! Pour la retenir notre assistance est vaine. ATLANTE. Peux-tu la regretter ? PHILARQUE. Hélas ! Elle s'enfuit. ATLANTE. Et qui plus est, ton coeur l'accompagne, et la suit. PHILARQUE. Il est vrai, je l'avoue. ATLANTE. Elle va chez sa mère. PHILISTE. Je brûle également d'amour, et de Colère, Serait-elle Innocente ? Ah ! Je n'en doute point. ATLANTE. Mais que dira Philiste ? PHILARQUE. Éclaircissons ce point. ATLANTE. Sus, avérons son crime. PHILARQUE. Ou bien son innocence. ATLANTE. Vois bien si son discours aura quelque apparence : Silène vient d'ouvrir, avancez donc un pas, Et l'interrogez bien, je ne paraîtrai pas. SCÈNE IV. PHILISTE, en prison. Philiste sort de prison, Silène ayant ouvert la porte.Et bien, que voulez-vous d'un amant misérable ? Faites qu'il souffre seul, puisqu'il est seul coupable ; Ou veuillez soulager la douleur qu'il ressent, Puisque ce coeur coupable, est pourtant innocent. Si j'ai pris un dessein, qui n'est pas légitime, L'amour qui fait la faute, en efface le crime : Pour tromper un rival, l'artifice est permis ; On peut tout employer contre ses ennemis : Depuis assez longtemps la Fortune irritée, Me fait souffrir l'orgueil de la belle Aristée : Quatre fois la Nature a changé les saisons, Quatre fois le Soleil a revu ses maisons ; Et quatre fois cet astre, auteur de toutes choses, A vu fondre la neige, et fait naître les roses : Depuis que ses beaux yeux captivèrent mes sens Sous le joug rigoureux de leurs attraits puissants. Avec de grands respects mon âme l'a servie, Mon coeur, pour s'immoler a méprisé la vie ; Il a beaucoup souffert, beaucoup dissimulé ; Il a vu sa froideur, lorsqu'il était brûlé ; Et loin de l'émouvoir, par un juste reproche, Les torrents de mes pleurs n'ont touché qu'une roche. Enfin connaissant bien, que par votre retour Cet espoir, qui fait naître, et fait vivre l'amour, M'allait abandonner, la pâle Jalousie, M'a logé des bourreaux dedans la fantaisie ; Elle m'a fait juger, que vous teniez son coeur, Qu'au triomphe d'amour vous étiez le vainqueur, Et que tant de mépris, que je recevais d'elle, Venaient moins d'un esprit farouche que fidèle ; Que je n'étais haï, que pour ce qu'elle aimait, Et que malgré sa glace, un autre l'enflammait. Dans ces vifs sentiments, que la rage me donne, La raison fuit de moi, la vertu m'abandonne : Ainsi je me résous en cette extrémité, De vaincre mon Vainqueur par une lâcheté. J'écris sous votre nom à la belle Aristée ; Là par des maux de flamme, elle est sollicitée, De m'accorder le bien que je ne la puisse voir, Sur le bord de cette onde, où chacun va le soir. PHILARQUE. Quel était le dessein d'une telle entreprise ? PHILISTE. Mon coeur s'imagina, que se voyant surprise, Pour sauver son honneur, elle consentirait À cet heureux Hymen, où mon âme aspirait. En effet, elle vient, où son Amour l'embarque, Et Philiste est heureux, sous le nom de Philarque. Mais Dieux ! Quelle inconstance accompagne le sort ? J'ai fait enfin naufrage, étant si près du port : Devant que lui parler, pour disgrâce dernière, On m'a fait prisonnier, comme elle est prisonnière. Je connais clairement, qui c'est qui m'a trahi ; C'est Cléarque, un des miens, que j'ai toujours haï ; À qui je dis hier, en secret par finesse, Qu'Éliane m'aimait, qu'elle était ma maîtresse, Que tous autres objets m'étaient indifférents, Que j'allais l'enlever, malgré tous ses parents ; Ce que j'ai dit exprès, pour sauver Aristée, Que parmi mes transports, j'ai toujours respectée : Ce bruit s'est divulgué, l'on a cru ce causeur ; Voilà comme j'offense, et le frère et la soeur ; J'en demande pardon à tous deux, et j'espère, De l'obtenir par vous, d'Atlante votre père. ÉLIANE. Philiste, en ce discours que vous me soulagez ! Les Dieux sont un Asile à tous les affligés ; Ah ! Qu'ils font bien paraître, en prenant ma défense, Que leur bonté suprême a soin de l'Innocence, L'aise que j'en ressens, ne se peut exprimer. ATLANTE. À ce juste plaisir je me laisse charmer ; Pour te voir Innocente, et pour être coupable, De t'accuser à tort, ma joie est incroyable. PHILARQUE. Demande ton pardon à l'objet de ma foi, Obtiens-le d'Aristée, et tu l'auras de moi. PHILISTE. Je n'en demande point à la belle offensée, Pour elle aucun remords n'agite ma pensée ; Les fautes que peut faire un amour véhément, Méritent récompense, et non pas châtiment. Quand nous voulons gagner l'objet qui nous engage, Qui l'offense le plus, l'oblige davantage : Il faut en ce seul point aller jusques au bout, Car aimer sagement, c'est n'aimer point du tout. Vous êtes plein d'ardeur pour la belle Aristée, Mais Dieux ! Qu'il est facile à l'âme bien traitée, De conserver un feu, si doux et si charmant, Et lorsqu'on est heureux, qu'il fait bon être amant ! Moi, qu'on n'a jamais vu que d'un oeil de colère, Qui ne faisant qu'aimer, ne fais rien que déplaire, Dont le sort est cruel, comme le vôtre est doux, Il le faut confesser, j'aime bien mieux que vous. PHILARQUE. De subtiles raisons vos paroles sont pleines, Mais c'est injustement que vous plaignez vos peines, Et que vous condamnez cette ingrate beauté, Dont votre coeur se plaint d'être si mal traité. Vous avez ses faveurs, et ses lettres pour gages De son bon traitement. PHILISTE. Ô faibles témoignages ! Cruel ressouvenir d'où naissent mes douleurs, J'ai des Lettres Philarque, et vous seul des faveurs, Elles n'allègent point mes disgrâces passées, Puisque c'est à vous seul qu'elles sont adressées. ATLANTE. Quelles faveurs bons Dieux ! PHILARQUE. Faites-les-moi donc voir. PHILISTE. Ainsi l'ont ordonné le sort et le devoir. LETTRE.Mon cher et bien aimé Philarque, Ma mère a toujours sa rigueur, Mais nul n'aura jamais mon coeur, Que les Dieux, ou vous, ou la Parque. ARISTÉE. PHILARQUE. Elle s'adresse à moi ; je n'en saurais douter, Mon coeur n'a désormais plus rien à redouter. ATLANTE. Il ne m'a point menti, c'est là son écriture, Sa colère est trop juste, ah cruelle aventure ! Retirez-vous, Philiste, un homme de haut coeur Pardonne à son rival, quand il en est Vainqueur. PHILARQUE. Je la tiens innocente. ATLANTE. Ah Ciel, quelle faiblesse ! Tu veux encor baiser une main qui te blesse ? Tu veux croire un rival, esprit tout hébété, Et tu ne rougis pas de ta simplicité ? Quoi donc, ton lâche coeur n'aime point la vengeance ? Quoi, ne peuvent-ils pas être d'intelligence, Et s'accorder tous deux, pour mieux te décevoir ? Bons Dieux assistez-moi, va, je ne te puis voir. PHILARQUE. Je ne saurais souffrir de te voir mal traitée, Te voyant Innocente, adorable Aristée : Le crime qu'on impose à ton ardente amour, Prouve qu'elle est pour moi plus clair que le jour ; Je soutiendrai partout cette juste querelle, Et jusques à la mort je te serai fidèle. ACTE III SCÈNE I. Atlante, Terfile. ATLANTE. Terfile, quel malheur est comparable au nôtre, Je sors d'un précipice, et rentre dans un autre,Que nous sommes à plaindre ! Et qu'un père aujourd'hui, Souffre pour ses Enfants de misère et d'ennui ! Tantôt triste et confus, je croyais que ma fille, Perdait en se perdant l'honneur de sa famille ; Je la trouve innocente, et dans le meilleur jour, Mon fils devient coupable, et ce mal vient d'amour, Cet amant aveuglé, de qui l'âme obstinée Court après une ingrate, au vice abandonnée, Ne voit pas qu'il me tue, et qu'il va procurant Notre honte commune, en se déshonorant. TERFILE. Votre courroux contre elle est-il bien légitime ?Atlante êtes-vous bien assuré de son crime ? ATLANTE. Oui, j'ai de bons témoins de ses folles amours, Et cependant mon fils l'idolâtre toujours.Il la veut épouser, cette maîtresse infâme, De qui la vertu feinte avait ravi mon âme, Aussi bien que la sienne, avant ce changement, Qui l'abandonne toute à son nouvel amant : Mais pour rompre ce noeud, qui ne saurait me plaire, Je suis tantôt tombé d'accord avec sa mère, Que la volage irait recluse dans ce jour, Aux filles de Diane, ou de force, ou d'amour. Oui, nous l'enfermerons cette Jeune étourdie, Dont l'humeur a paru si libre, et si hardie.Sa mère, qui sans doute a vu son repentir, Dit que la malheureuse y veut bien consentir, Confuse du mépris qu'elle croit que fait d'elle Cet amant, qui lui fut si cher, et si fidèle. TERFILE. Atlante, croyez-moi, pensez-y mûrement, Gardez de faire tort à votre jugement, Souffrez que la raison vous conseille, et vous aide, Avant que vous résoudre à ce fâcheux remède, Mais qui vient ? SCÈNE II. Philarque, Terfile. PHILARQUE. Votre esprit, éclairci que je crois, N'en doute plus, mon père. ATLANTE. Il est vrai ; mais de quoi ? PHILARQUE. De la foi d'Aristée, et de son innocence. ATLANTE. J'entends de ta stupide, et grossière Ignorance, Fol, aveugle, insensé, qui ne reconnais pas Les vices que l'amour cache sous tant d'appas ; Où se va perdre enfin ta raison égarée ? Veux-tu qu'une beauté, qui s'est déshonorée, Soit aujourd'hui ta femme ? PHILARQUE. Ah ne l'offensez point, Mon père, je me suis éclairci sur ce point, Las ! Si quelque défaut à sa vertu s'attache, C'est de nous seulement que lui vient cette tache ; Il est vrai, ce grand coeur, que vous avez blâmé, S'est fait tort en un point, c'est de m'avoir aimé. ATLANTE. C'est en un autre objet qu'elle t'aimait, l'Ingrate, Et je plains en cela ton esprit, qui se flatte. PHILARQUE. Il a surpris ses yeux, sans surprendre sa foi, Elle allait lui parler, pensant parler à moi. ATLANTE. Tu crois doncques ce coeur d'innocence capable ? PHILARQUE. Oui, mon père, ou je suis de tout crime coupable. ATLANTE. Dis ce que tu voudras, je te jure et promets, Que mon coeur à tes voeux n'adhérera jamais ; Et je mourrai plutôt, que souffrir cette honte, Qu'une fille impudique aujourd'hui nous affronte : Fais mieux, si ton esprit trouve tant de douceur, Dedans cette maison, Philarque prends sa soeur, Dont le visage au sien a tant de ressemblance, Que la voix seulement en fait la différence : Je sais qu'elle est muette, et je veux toutefois, S'il te plaît de l'aimer, consentir à ton choix, On ne peut la blâmer, sans lui faire une injure, Car ce défaut qu'elle a lui vient de la nature, Où celui d'inconstance, et d'infidélité, Qu'on remarque en sa soeur, lui vient de volonté. PHILARQUE. Avant que de changer, je cesserai de vivre ; Ce conseil serait bon, et je voudrais le suivre, Si la mauvaise humeur, qu'on blâme justement Aux femmes, dans leur langue était entièrement : N'employez point, mon père, ici votre puissance, Veuillez-moi dispenser de cette obéissance. ATLANTE. Pense à ce que tu dis ; si tu ne la veux pas, Tu verras aujourd'hui consacrer les appas À la chaste Déesse ; et ton âme abusée, Se repentira tard de l'avoir méprisée. PHILARQUE. Dieux, si vous cessez d'être amis des innocents, Vous n'aurez plus de moi, ni de voeux, ni d'encens. TERFILE. Il est désespéré. ATLANTE. Que sa poursuite vaine, Lui donne comme à moi, de tourment et de peine ! Mais j'aperçois Olinthe, allons la recevoir. SCÈNE III. Atlante, Olinthe. ATLANTE. Que fait votre Aristée ? OLINTHE. Elle est au désespoir. Quand elle a su par moi, que l'on se plaignait d'elle, Que son fidèle amant la croyait infidèle, Et qu'il ne voulait plus adorer ses appas ; Après avoir cent fois souhaité le trépas, Quoi donc, m'a-t-elle dit, d'une voix faible et triste, On me peut soupçonner d'avoir aimé Philiste ? Philarque, à qui mon coeur céda sa liberté, M'accuse d'inconstance, et d'infidélité ? Après tant de serments cet ingrat est capable De me croire aujourd'hui si lâche et si coupable ? Et bien, ma mère, et bien, il connaîtra dans peu, Si j'ai, comme il a cru, brûlé d'un autre feu : Je m'en vais de ce pas me vouer à Diane, Menez-moi droit au temple, où, si j'étais profane, Et qu'un amour infâme eût été mon vainqueur, Je n'irais pas offrir, ni mes voeux, ni mon coeur. ATLANTE. Elle a donc pris le voile ? OLINTHE. En ce destin constante, Elle l'eût déjà pris, et j'en étais contente, Mais deux de ses parents croyant qu'on lui fait tort, Et qu'elle est innocente, ont tous fait leur effort, Pour empêcher qu'au Temple elle ne fut reçue, Leur attente pourtant sera tantôt déçue ; Car elle doit y entrer, sous le nom de sa soeur, Et puis vous assurer qu'elle y va de bon coeur. ATLANTE. Pourquoi s'y résout-elle, avec tant de constance ? OLINTHE. C'est, ou pour exercer une juste vengeance Sur son ingrat amant, s'il est vrai que pour prix, De son amour extrême, elle en ait du mépris, Ou bien pour le guérir, si constant en sa flamme, Il ne peut aujourd'hui l'obtenir pour sa femme ; Et si par nos refus, ils sont persécutés, Dans l'agréable espoir, dont ils se sont flattés. ATLANTE. Je rendrai sur ce point votre âme satisfaite, Nous la ferons passer tantôt pour la muette. OLINTHE. Et je feindrai si bien, que Philarque trompé, Y sera, s'il la voit, le premier attrapé. ATLANTE. Allez ; mais je revois cet amant déplorable, Qui veut avecque lui me rendre misérable : À son teint pâle et triste, à ses yeux languissants, Je vois qu'amour toujours est maître de ses sens, Et qu'il persiste encor dans son même caprice ; Il ne m'aperçoit point. SCÈNE IV. Philarque, Atlante. PHILARQUE. Ô Dieux ! Quelle injustice ? L'avais-je bien dit, qu'on l'accusait à faux, Et que son âme était sans tache, et sans défaut ; Je viens de m'enquérir dans tout le voisinage, Qui ne connaît jamais une fille si sage ; Je vois que tout le monde admire sa Vertu. ATLANTE. Où s'égarent tes sens, Philarque, d'où viens-tu ? PHILARQUE. Ah ! Mon père, est-ce vous ? Que vos rigueurs m'étonnent ! Et qu'on doit bien prier les Dieux qu'ils vous pardonnent ! Offensant Aristée, en qui les justes Dieux, Gardent ce que le Ciel a de plus précieux : Hélas ! Vous vous rendez coupable envers eux-mêmes Et vos traits médisants sont autant de blasphèmes. ATLANTE. Après un tel affront, encore elle te plaît, Tu la crois pure et chaste ? PHILARQUE. Oui si Diane l'est : Désabusez-vous donc, et perdez la licence D'outrager l'Honneur même, et la même innocence. Tout le monde admirant sa conduite, et ses moeurs Bénit l'égalité de ses douces humeurs. J'apprends de tous côtés, que son âme résiste Avec aversion, à l'amour de Philiste ; Et que le seul Philarque, outré de déplaisirs, Est le but malheureux, où tendent ses désirs. Mon père, par l'ardeur de la première flamme, Qu'un doux et saint hymen alluma dans votre âme, Par ces chastes baisers, qui m'ont donné le jour, Par ces doux mouvements de tendresse et d'amour, Et par tous les respects dont mes devoirs fidèles, Ont tâché de payer les grâces paternelles, S'il reste dans votre âme un rayon d'amitié, Jetez sur mon amour un regard de pitié : Si vous ne m'accordez une si juste grâce, Je ne quitte pas ces genoux que j'embrasse, Qu'abattu par l'excès de mes vives douleurs, Je n'expire à vos pieds, tous mouillés de mes pleurs. ATLANTE. Pour guérir de son coeur la blessure profonde, Voici l'occasion la plus belle du monde. Sa Maîtresse paraît, Philarque, lève-toi. Puisque ton coeur blessé persévère en sa foi ; Et qu'en ce bon dessein tu fondes ta constance, Sur l'honneur d'Aristée, et sur son innocence : J'approuve ta recherche ; et sans plus m'obstiner Contre cette beauté, je te la veux donner, La voilà qui paraît. SCÈNE V. Philarque, Atlante, Olinthe, Aristée. PHILARQUE. Ô Dieux ! Le puis-je croire ? Passer si promptement de la mort à la gloire ? Trouver tant de tendresse, après tant de rigueur ? Ah ! C'est d'un faux espoir que l'on flatte mon coeur, Afin de le sauver de la mort infaillible, Où le précipitait sa douleur trop sensible. ATLANTE. On ne t'abuse point, parle-lui seulement. PHILARQUE. Ah ! Père généreux, si dans ce mouvement, Vos bontés en effet secondent mon envie, Je vous suis pour deux fois obligé de la vie, Aristée, Aristée, est-ce vous que je vois ? Elle passe, en branlant la tête devant moi. Et ne me répond point ; c'est elle ce me semble, Non, c'est assurément sa soeur, qui lui ressemble, Et qui dans son défaut ne m'a point entendu, Si c'était Aristée elle m'eût répondu. ATLANTE. Il ne la connaît point, la fourbe est bien conduite, Tout va bien jusqu'ici, voyons un peu la suite. PHILARQUE. Mais Dieux ! Si c'était elle, et que ses doux appas, Ennuyés de nous plaire ; ah ! Ne le croyons pas. Si je la soupçonnais de la moindre inconstance, La mort au même instant suivrait ma repentance ; Éclaircissons-nous mieux encore sur ce point, Est-ce vous Aristée ? Elle ne répond point, D'où vient ce grand silence ? Ôtez ce voile sombre, Qui cache vos beautés, dont je ne vois que l'ombre, Découvrez ces Soleils de mille traits armés, Sous ce nuage obscur, qui les tient enfermés, Ce n'est point Aristée ; elle serait moins dure Au sentiment cruel des peines que j'endure. ATLANTE. Enfin je te la donne, et j'en conclus l'accord : Quoi ! Tu ne la veux pas ? PHILARQUE. Je veux plutôt la mort. ATLANTE. Par ce que tu me dois, je conjure ton âme, Philarque, de la prendre en qualité de femme ; De recevoir ses voeux, de lui donner ta foi, Quand tu ne l'aimerais que pour l'amour de moi. PHILARQUE. Je chérirai toujours, et d'une ardeur extrême, Celle qui tient mon coeur, pour l'amour d'elle-même. ATLANTE. Mépriser Aristée, au lieu de la chérir ! De quelle humeur es-tu ? PHILARQUE. Ce nom me fait mourir, Et c'est aussi le seul qui peut me faire vivre. ATLANTE. Tu fuis, pauvre insensé, ce que tu voulais suivre ; Pense à ce que tu fais, on s'en va de ce pas, Pour jamais dans ce temple enfermer ses appas. PHILARQUE. J'y consens de bon coeur. ATLANTE. Or sus donc, qu'on l'y mène. PHILARQUE. Croyez que cet objet me donne peu de peine. ATLANTE. Tu pousseras tantôt des regrets superflus, Pour n'avoir pas voulu ce que tu veux le plus. PHILARQUE. Trompez-vous donc, mon père, ainsi mon espérance ? La flattez-vous ainsi d'une vaine apparence ? ATLANTE. Tu connaîtras tantôt, sans sortir de ces lieux, Qui t'a trompé de moi, Philarque, ou de tes yeux. PHILARQUE. Ce ne sont point mes yeux, je connais Aristée, Mais la méconnaissant, l'aurais-je rejetée ? Souvent l'Amour aveugle, et porte son Bandeau, Sur les yeux des amants, qui suivent son flambeau : Quand une passion est grande, elle est muette. Doncques pour trop aimer une beauté discrète, Pour être trop charmé de ses divins appas, Pourrais-je en les voyant, ne les connaître pas ? Et par la raison même, ou par excès de haine, Peut-elle être muette ? Ici ma plainte est vaine, Il faut mourir constant dans mon premier dessein, Les Dieux ne voudraient pas me l'arracher du sein ; Quand bien ils le voudraient, ils ne sauraient le faire, Et leur désobéir en ce point, c'est leur plaire, Philarque sans ce bien ne peut aimer le jour, Tant qu'il aura de la vie, il aura de l'amour. ATLANTE. Dis ce que tu voudras, mais tu l'as rejetée, On vient de l'enfermer ton aimable Aristée, Apprends de sa mère, elle revient à nous. OLINTHE. C'est fait, votre Aristée. PHILARQUE. Ah Dieux ! Que dites-vous ? OLINTHE. Qu'autrefois vous aimiez d'une amour si profonde, Philarque, pour jamais a pris congé du monde ; Et c'est à vos froideurs, dont j'ai connu l'excès, Que nous sommes tenus de cet heureux succès ; Votre consentement aujourd'hui nous convie, De consacrer aux Dieux le reste de sa vie. PHILARQUE. Vous me raillez, Olinthe, et n'avez pas raison De gêner mon esprit ici hors de saison ; D'assez d'autres ennuis mon âme est agitée. OLINTHE. Je ne me raille point, vous perdez Aristée ; En se taisant, Philarque, elle vous a surpris, Et ce fâcheux silence a trompé vos esprits. ATLANTE. Te disais-je pas bien, obstiné, que ton âme S'abusait en ce point. OLINTHE. Ah mon père ! Ah Madame ! ATLANTE. Elle a pu vous parler au partir de ce lieu, Mais elle a sagement évité cet adieu ; Car son coeur éloigné de tout penser profane, Ne songeait plus à vous, pour penser à Diane. PHILARQUE. Quoi ! Je la perdrai donc ? ATLANTE. Tu t'affliges de rien. OLINTHE. Je vous donne sa soeur, avec tout notre bien, C'est son portrait vivant. ATLANTE. Je l'estime autant qu'elle. OLINTHE. Le défaut de sa voix ne la rend pas moins belle. PHILARQUE. Quoi ! Je la perdrai donc ? Et l'ayant vu partir, Mon coeur à ce départ aura pu consentir ? Quoi ! Cette beauté, divine, et sans exemple, Sera pour tout jamais recluse dans ce temple ? Et mon coeur qui la cherche entre les immortels, N'aura pas le crédit d'approcher des autels ? Détruiriez-vous la foi que nous avons jurée, Père sans amitié, mère dénaturée ? Et par vos cruautés, barbares en ce point, Voudriez-vous désunir ce que le ciel a joint ? Pensez-vous que Diane approuve l'injustice, Contre nous concertée avec tant d'artifice, Et que nos chastes feux indignement traités, Ne lui plaisent pas mieux que vos sévérités ? ATLANTE. Te l'ai-je pas offerte, et ton âme obstinée, S'est-elle pas toujours contre moi mutinée ? Ton reproche est injuste, et touche peu mon coeur, Plains-toi de ta sottise, et non de ma rigueur. PHILARQUE. Quand vous l'avez offerte, était-il bien croyable, Que vous soyez sitôt devenu pitoyable ? Et n'avais-je pas droit de démentir mes yeux, Quand vous m'avez fait voir ce chef-d'oeuvre des Cieux ? Hélas ! S'il m'eût été permis de la connaître, Quand, ainsi qu'un éclair, je l'ai vu disparaître, Non seulement muette, elle eût eu tout pouvoir, Dessus mes sens charmés du plaisir de la voir, Mais avec des défauts bien plus considérables, Mon coeur eût respecté ses beautés adorables ; Enfin quoi qu'il arrive, ô Père sans pitié, Elle sera l'objet de ma sainte amitié, Et malgré vos rigueurs, ma pauvre âme agitée, Jusque dans le tombeau suivra son Aristée. ATLANTE. Retirons-nous, Olinthe, il n'a pas l'esprit sain. PHILARQUE. Que ne me plongiez-vous un poignard dans le sein, Père ingrat et cruel, si vous aviez envie, De m'ôter aujourd'hui la moitié de ma vie ? ATLANTE. Il va dans sa colère injurier le Ciel, Allons, laissons-le plaindre, et vomir tout son fiel. OLINTHE. Après ces mouvements, pleins de trop de licence, Il rentrera peut-être en son obéissance. PHILARQUE. Triste et faible raison, dans quel aveuglement, As-tu tantôt laissé tomber mon jugement ? Quel charme au doux aspect de ce parfait visage, De mes sens égarés a suspendu l'usage ? Mes yeux n'étaient ouverts, que pour me décevoir ; Je voyais misérable, et ne pouvais pas voir L'objet où j'avais l'âme, et la vue arrêtée ; Où pouvait être alors la langue d'Aristée ? Un seul mot de sa bouche eût pu me divertir De l'erreur dont mes yeux n'ont su me garantir. Je ne l'ai pu connaître en ce profond silence, Qui fait tout mon malheur, et toute mon offense ; Adorable Aristée, objet doux et charmant, Qui m'as par ton silence ôté le jugement ; Beauté vraiment fatale à ce coeur misérable, Tu sembles de ma faute être seule coupable ; Cependant je t'adore, et bénis tes appas, Je me condamne seul, je ne t'accuse pas. Et seul, sans murmurer, je souffre le supplice D'un crime, dont au moins ta rigueur est complice. Mais que dis-je insensé ? Peut-être, et je le crois, Que cette âme innocente endure autant que moi ; Et c'est ce qui me trouble, et rengrège ma peine : Ma créance pourtant est encore incertaine. Hélas ! S'il arrivait qu'Inhumaine en ce point, Elle connut ma peine, et ne la sentit point ; Ce mépris à mon coeur serait insupportable, Et ma mort en ce cas serait inévitable : Que si tout au contraire elle verse des pleurs, Au sentiment cruel de mes justes douleurs ; S'il est vrai qu'elle souffre une peine aussi dure, À mon occasion, que celle que j'endure ; Sa souffrance me tue, et me perce le coeur, Sa pitié m'est funeste, autant que sa rigueur ; Soit qu'en mes déplaisirs je l'éprouve à cette heure, Ou rude, ou favorable, il faudra que je meure. Mais, malheureux Philarque, où tendent ces discours ? Le sort en est jeté, mon mal a pris son cours : Je succombe aux ennuis, qui règnent dans mon âme ; En vain je vous appelle, en vain je vous réclame : J'afflige mon esprit de regrets superflus, Merveilles des beautés, je ne vous verrai plus. Au moins dans mon malheur, qui n'eut jamais d'exemple, Permettez que j'expire aux portes de ce temple : Je ne quitterai point ce funeste séjour, Où j'ai perdu l'espoir, sans perdre aussi le jour.Mais faisons-en le tour, voyons si d'aventure, Je pourrai découvrir les tourments que j'endure, À celle qui les cause, et si je ne puis pas Rendre ses yeux divins témoins de mon trépas. ACTE IV SCÈNE I. Atlante, Terfile. ATLANTE. Aimable confident, fidèle secrétaire, De tous mes intérêts sacré dépositaire, Terfile ami prudent, dont les sages avis Me rendraient plus heureux, s'ils étaient mieux suivis ; Enfin malgré tes soins mon malheur continue, De moment en moment, mon espoir diminue, Et l'esprit de Philarque, envers moi criminel, Rend comme son amour, mon regret éternel ; Ce fils méconnaissant, et fatal à son père, S'oppose insolemment aux plaisirs que j'espère, Cet ingrat veut ma perte à la sienne ajouter, Et qui me doit le jour, tâche de me l'ôter. TERFILE. Votre colère, Atlante, excède son offense ; Que Philarque ait manqué d'un peu d'obéissance, Et qu'il est méprisé mes utiles conseils, On en voit peu mourir par des crimes pareils ; Quoique de vos bontés ce jeune amant abuse, La faveur qui le perd, elle-même l'excuse : Amour est un tyran, dont l'injuste pouvoir, N'a jamais respecté, ni raison, ni devoir. ATLANTE. À te l'ouïr défendre avec tant d'injustice, De ses feux criminels on te croirait complice ! Je vois son désespoir, je sais qu'il veut périr, Mais je veux comme lui me perdre, ou le guérir. TERFILE. Pourquoi vous donnez-vous ce soin qui vous dévore ? C'est inutilement que Philarque l'adore ; Puisqu'elle s'est vouée à Diane aujourd'hui, Elle n'a plus pouvoir de se donner à lui. ATLANTE. Le dépit, ou l'amour, a fait sortir du monde, Cette fille coupable, en charmes si féconde. Et peut-être qu'aussi, le Dépit, ou l'Amour, La fera revenir au monde quelque jour. De plus, quand la Prêtresse apprendra cette ruse, Dont Olinthe aujourd'hui son Innocence abuse, Quoi que fasse Aristée, on la fera sortir : Philarque qui sait tout, ira l'en avertir. Sur ce sujet, Terfile, il faut que je confesse, Que dans le désespoir, ou Philarque me laisse, J'ai touchant son Destin l'Oracle consulté, Et Diane en ces mots m'a dit sa volonté. ORACLE. Ton fils t'obéira, c'est le vouloir des Dieux, Qu'il perde l'usage des yeux ; Pour épouser après, par une loi secrète, La vertueuse, et la muette. Par un excès d'amour, on m'ôtera mon bien, Mais je ne perdrai rien, Donc que de cet espoir ton âme se console, Je leur redonnerai la vue, et la parole. TERFILE. Cet Oracle est obscur. ATLANTE. Il l'est extrêmement. Aussi pour en tirer quelque éclaircissement. Sous prétexte du mal que tu sais qui m'accable, J'ai fait venir Amech. TERFILE. Quoi, ce mage admirable ? Cet homme si fameux, dont les moindres efforts Rendraient en un besoin, l'âme et le jour aux morts ? Atlante, sans mentir, son mérite est extrême. ATLANTE. Je n'en doutai jamais, Terfile, c'est lui-même, Sache donc, cher ami, que l'ayant consulté, Sur le triste sujet, qui trouble ma santé.J'ai voulu réciter l'Oracle en sa présence, Pour tâcher d'en avoir la vraie intelligence, Ou bien pour obliger ce médecin expert, À veiller au salut de mon fils qui se perd. TERFILE. Que vous a répondu ce docte personnage ? ATLANTE. Les grands Dieux (m'a-t-il dit) ont seuls cet avantage, D'expliquer leur pensée, et l'homme est indiscret, Dont l'esprit curieux veut savoir leur secret ; Tâche à te consoler, le mal qui te possède, N'ira pas plus avant, le temps est ton remède ; Mais de guérir ton fils, je ne l'espère pas, Son amour durera jusqu'après le trépas, Car dès que belle âme en ressent la blessure, On a beau consulter, et l'art, et la nature, Rechercher le secours du ciel, et des enfers, Rien ne saurait briser le moindre de ses fers : Contre l'effort puissant de ce Dieu qui le blesse, Je manque de pouvoir, je connais ma faiblesse, Et l'art des Médecins ne fait qu'un vain effort, Quand il pense combattre, ou l'amour, ou la mort. Mais (a-t-il ajouté) si le priver de vue, Peut divertir l'effet du charme qui le tue, Je puis faire en ce point, ce que les Dieux ont dit, J'ai des secrets cachés, rien ne m'est interdit, Je puis par la faveur d'un secours salutaire, Le retirer du mal que j'aurai su lui faire. À ce mot, je l'avoue, un tel étonnement A surpris mon esprit en cet heureux moment, Que j'eusse cru passer pour ingrat, ou profane, De ne le tenir pas pour prêtre de Diane. En effet, si j'apprends qu'il ait eu le pouvoir De rendre cet amant incapable de voir, Terfile dois-je plus douter de mon remède ? Et que selon mes voeux l'Oracle ne succède ? Philarque épousera, quelque amour qu'il ait eu, Celle qu'on sait muette, et pleine de vertu. Il sera le mari de la soeur d'Aristée ; Pour cela, cher ami, j'ai son offre acceptée. TERFILE. Mais que prétendez-vous par cet aveuglement ? ATLANTE. Éclaircir son esprit, pour voir plus clairement, L'insigne lâcheté qu'Aristée a commise, Ou que pour ce défaut l'Ingrate le méprise. TERFILE. Ce secret est fort beau, mais dangereux aussi. ATLANTE. J'en ai pris le hasard, n'en soit plus en souci, Et sache qu'aussitôt que j'ai pu m'y résoudre, Il m'est allé quérir une certaine poudre, Qui doit contre mon Fils agir si promptement, Qu'elle tient du miracle, ou de l'Enchantement, Ainsi, la main tremblante, et le visage pâle, Ayant pris cette poudre, à Philandre fatale, Afin que mon dessein eût bientôt son effet, J'ai de celle qu'il aime, un billet contrefait ; À l'Ingrat maintenant cette lettre est portée ; Mais croyant y baiser le beau nom d'Aristée, Ses yeux par la vertu du secret enfermée, Perdront en un moment le jour qu'ils ont aimé. TERFILE. Quoi que le mal fût grand, votre remède est pire ; Atlante et mon devoir me force à vous le dire ; Hélas ! Si de ses yeux la clarté s'obscurcit, Si du mage savant le secret réussit ; Quels tragiques desseins peut enfanter la rage, Que la fureur n'inspire à ce jeune courage ? Peut-être que les Dieux par cet aveuglement, Ont entendu parler de l'esprit seulement ; Et sur un sens douteux, votre humeur violente, Veut au lieu de l'esprit que le corps s'en ressente, C'est être trop cruel. ATLANTE. Quand le mal sera fait, Je puis, comme tu sais, en détourner l'effet, Quelques crimes si grands, dont Philarque m'offense, Crois que le sang s'oppose aux traits de ma vengeance, Je lui rendrai le bien, que je lui veux ravir. TERFILE. Quel secours assez prompt vous y pourra servir ? ATLANTE. La plus pure des eaux du Temple de Diane, Si le Mage ne ment ; mais que veut Éliane. SCÈNE II. Héliane, Atlante, Terfile. ÉLIANE. Je vous cherche partout, pour vous entretenir, Du plus rude accident qui peut nous advenir ; Philarque ne voit plus ; sa douleur et ses larmes Ont privé ses beaux yeux de lumière, et de charmes. ATLANTE. Ton frère ne voit plus ! ÉLIANE. Hélas ! Sur ce malheur Consultez seulement mes pleurs, et ma couleur : L'excès de son ennui me rend Inconsolable : Et si jamais la Parque, à mes voeux implacable, Triomphait de ses jours, quoiqu'ils soient malheureux, Il ne faudrait ouvrir qu'un Tombeau pour tous deux. ATLANTE. Ce mal inopiné me surprend et m'étonne. ÉLIANE. Le petit Alcinon a soin de sa personne ; Cet enfant qu'il chérit, lui tend ses faibles bras, Et lui donne ses yeux, pour guides de ses pas. ATLANTE. Quel surcroît de malheur, que le Destin m'envoie ! Mais dussé-je en mourir, il faut que je les voie ; Son crime, quoique grand, ne m'en peut retenir ; Va, trouve le moyen de les faire venir. ÉLIANE. Je vais vous obéir ; je les vois, ce me semble, ATLANTE. Tu ne te trompes pas ; ils arrivent ensemble ; Cachons-nous. TERFILE. Vainement vous faites tant de pas ; Si Philarque est aveugle, il ne vous verra pas. ATLANTE. Alcinon voit pour lui. SCÈNE III. Philarque, Alcinon, Atlante, Terfile, Éliane. PHILARQUE. Cruelles destinées. Doncque tant de douleurs, l'une à l'autre enchaînées N'auront jamais pour moi, ni relâche, ni fin ? Où suis-je, dis-le-moi, mon mignon ? ALCINON. Au jardin. PHILARQUE. Y sommes-nous tous seuls ? ALCINON. N'en soyez point en doute ; Ceux que j'ai vu là-bas, ont pris une autre route. ATLANTE. Ne vous disais-je pas, qu'il a les yeux perçants. PHILARQUE. Belles fleurs, dont l'odeur est si douce à mes sens, Parterres tous brillants d'une vive peinture, Rameaux entrelacés, amour de la Nature ; Rares compartiments, promenoirs pleins d'appas, Fontaines que j'entends, et que je ne vois pas, Sourds et muets témoins de ma peine infinie, Admirez de mon sort l'extrême tyrannie : Tout mon mal et mon bien deux enfants l'ont produit, L'un m'a crevé les yeux, et l'autre me conduit : L'un est mon précipice, et l'autre mon adresse ; L'un me traite en esclave, et l'autre me caresse : Ainsi de mon destin le caprice voulut, Que l'un d'eux fût ma perte, et l'autre mon salut : Effets prodigieux d'une cause inconnue, Grands Dieux, si jusqu'à vous ma plainte est parvenue, Tirez-moi de la peine où l'Amour m'a réduit ; Mais peut-être je rêve, Alcinon, il est nuit. ALCINON. S'il est nuit, c'en est une, où le Soleil éclaire, Et je le sens plus chaud, qu'il ne l'est d'ordinaire : Il serait à propos de vous mettre à couvert, Sous les arbres touffus de ce bocage vert. PHILARQUE. Allons où tu voudras. ATLANTE. Cachons-nous mieux, Terfile ; Des yeux de cet enfant la lumière est subtile. ALCINON. Nous voici dans l'allée, où mille arbres pliés, Pour former un Berceau, sont ensemble liés. PHILARQUE. Mon Fils, veux-tu me faire une faveur extrême ; Ne sois point si longtemps ennemi de toi-même : Suis le mouvement de tes jeunes désirs, Hors de mon entretien cherche quelques plaisirs ; Puisque ton amitié mérite une couronne, Va me choisir des fleurs, et que je te la donne. ALCINON. J'ai vu près du bois, et sur le bord de l'eau, Un parterre émaillé ; si charmant, et si beau, Que je rencontrerai de quoi vous satisfaire. PHILARQUE. Il semble qu'on l'ait fait seulement pour te plaire, Dépêche-toi, mon fils, va, laisse-moi rêver, Quand je t'appellerai, tu me viendras trouver. ALCINON. Je vais, puisqu'il vous plaît. PHILARQUE. Philarque misérable, Si tu doutais encor du malheur qui t'accable, N'accuserait-on pas dans ce dérèglement, Ton esprit et ton corps d'un même aveuglement ? Ah ! Mes yeux sont blessés d'une fatale atteinte, De leurs faibles rayons la lumière est éteinte, Ce feu que je fais vivre, et qui me fais mourir ; A desséché l'humeur qui la soulait nourrir, Mais un point me console en ma douleur extrême, Je n'étais qu'amoureux, et je suis l'amour même : Oui, je suis tout pareil à ce maître des Dieux, N'ayant plus comme lui de prudence, ni d'yeux : Quelque obstacle pourtant qu'on oppose à ma flamme, Le supplice du corps ne va point jusqu'à l'âme : Je vois mon Aristée, en ne la voyant pas, Bien que j'en sois absent, je la suis pas à pas ; Et quand je l'entretiens de ma flamme secrète, Sa bouche me répond, bien qu'elle soit muette. Quelquefois je lui dis ; rare et chaste Beauté, Je ne perds malgré moi, le bien de la clarté, Qu'après être tombé, pour t'aimer, et te plaire ! Dans un aveuglement tout à fait volontaire. Lors elle me répond, Philarque, assure-toi, Que je ne manque aussi, ni d'Amour, ni de Foi. Leur excès violent, tient ma langue captive ; Mais mon coeur t'entretient de sa peine excessive ; Et mon penser fidèle, autant qu'ingénieux, Te parle incessamment, comme l'on parle aux Dieux. Sa seule passion a causé son silence, Elle l'a fait résoudre à cette violence, D'entrer dans ces lieux saints, aux hommes interdits, Dont sa seule présence a fait un Paradis. Hélas ! Pour ne voir point ce malheur qui me tue, Que n'avais-je perdu l'usage de la vue, Ou celui de la voix, lorsque j'ai refusé, Cet objet que j'adore, et que j'ai méprisé ; Mais pourquoi l'ai-je fait ? La Jalousie offense, Quand elle est mal fondée, et n'a point d'apparence. La mienne était très juste, elle avait fondement, Et l'accident passé m'excuse entièrement ; Mon âme a pour le moins toujours été remplie, En ce funeste état, d'amour plus que de vie : Car la jalouse humeur d'un esprit amoureux, N'est rien que son Amour, malade, et langoureux. ATLANTE. Il me fait grand pitié. PHILARQUE. Je l'ai trop offensée, Quand bien d'un autre amour elle eût été blessée ; Et qu'adorant Philiste, elle eût manifesté, Son humeur infidèle, et sa légèreté. Charmé de ses appas, que ne l'aimais-je telle ? Non non, je ne l'ai pu, sans être indigne d'elle, Devais-je la quitter, pour la voir en prison ? Ah ! Je m'accuse, Amour, je n'ai pas eu raison, Puisqu'en effet mon coeur était en cette Belle, N'étais-je pas aussi prisonnier avec elle ? Nos yeux de l'oeil du Ciel supportent moins l'ardeur, Quand il sort de la nue, avecque sa splendeur. Au sortir de prison, comme d'une autre nue, J'ai moins souffert l'éclat de l'astre qui me tue. Mais, ô fait merveilleux ! Prodige sans pareil ! Ce bel astre d'amour surpasse le soleil ; On en souffre l'éclat au travers des nuages, Et ce n'est qu'au travers des funestes ombrages, Dont on obscurcissait sa Vertu, que deux dards De ses yeux, vrais soleils, ont éteints mes regards : Ici par la rigueur de nos lois immortelles, On arrache les yeux à ceux qui sont rebelles, Je ne le fus jamais ; et toutefois je crois, Pour avoir paru tel à l'objet de ma foi, Quand j'ai de son amour rejeté l'innocence, Que le Ciel a bien fait de punir mon offense ; Oui, le Ciel m'a puni par mon aveuglement ; Et comme il est bon juge, il l'a fait justement. ATLANTE. Dieux, qu'il est éloquent ! La clarté de sa vue, Passe dans son esprit. TERFILE. Que son âme est émue ! PHILARQUE. Pluton Dieu des trésors, la Fortune et l'Amour, Ont tous les yeux fermés à la clarté du jour ; Et dans l'aveuglement, que les Dieux autorisent, Ils aveuglent aussi tous ceux qu'ils favorisent. Pluton ni ses trésors ne me connaissent pas, La Fortune jamais ne m'avança d'un pas ; Il faut donc que d'Amour la puissance céleste, M'ait aujourd'hui réduit en un état funeste ; Et cela fait qu'au lieu de plaindre mon malheur, Je me plais, et me flatte en ma juste douleur ; Puisqu'en effet les yeux sont les portes des vices, De mon aveuglement je ferai mes délices. Hé bien, je suis privé de la clarté des Cieux, Est-ce pour s'étonner ? Beaucoup vivent sans yeux, Mais nul certainement, ne voit privé de vie ; Comment donc ne serait ma lumière ravie, Vu que je suis privé de l'Objet précieux, Qui fait toute ma vie, et luit seul à mes yeux ? Quand elle m'a paru si rude, et si farouche, Elle m'a menacé de n'ouvrir plus la bouche : S'en allant en colère, elle a prié les Dieux, Que je fusse privé de l'usage des yeux ; Si donc je ne puis plus, ni la voir, ni l'entendre, C'est l'effet de ses voeux, m'en voudrais-je défendre ? Non, ne révoquons pas un si fatal Arrêt, Consentons sans murmure, à tout ce qui lui plaît, Mon coeur ayant reçu le poison qui le tue, Par les conduits mortels de ma fatale vue, Il semble que les Dieux, au lieu de m'affliger, Quand ils les ont fermés, ont voulu m'obliger. Celui perdit les yeux, qui vit Minerve nue ; Je les perds seulement, pour l'avoir méconnue. Il fut trop en effet, moi trop peu curieux, Je n'ai vu que son voile, et j'ai fâché les Dieux : Admirez de mon sort l'extrême violence ; Celui qui vit Minerve, expia cette offense, Je m'offense tout seul, en ne la voyant pas, Et je souffre un tourment pire que le trépas. Mais las ! Je m'extravague, en ma douleur extrême, Et le mal que je sens me met hors de moi-même. Un homme, à votre avis, aurait-il l'esprit sain, Qui mourant se plaindrait de ne voir plus la main, Qui d'un coup de poignard l'aurait privé de vie ? Et moi, qui sens ma vue en un moment ravie, Je me plains seulement, lorsque je me souviens, De ne voir plus les yeux qui m'ont ravi les miens. Mes désirs sont bien téméraires, Je veux deux choses bien contraires, Voulant ce qu'elle veut, et désirant la voir : Elle ne le veut pas, cette Belle inhumaine ; Et partant c'est chose certaine, Que je le veux, sans le vouloir. Mais je retourne encor en mon extravagance, Et sens que la cadence, De mes tristes discours, Est inégale, ainsi que le sort de mes jours. Pour exprimer ce que j'endure ; Ainsi que mon amour, ma plainte est sans mesure ; Arrêtons-en le cours, je me suis emporté, Ce châtiment m'est dû, je l'ai bien mérité. Si le Ciel aujourd'hui, mon repos persécute ; Ce n'est donc plus qu'à moi, qu'il faut que je l'impute, De tous les déplaisirs que mon âme ressent, Je suis le seul auteur ; mon père est innocent : Dieux, comblez-moi d'ennuis, ma perte est arrêtée Mais conservez les jours d'Atlante, et d'Aristée. ATLANTE. Ah ! Ma fille, c'est trop, l'excès de sa bonté, A fléchi ma rigueur ; mon coeur est surmonté, Je me rends. ÉLIANE. Attendez. PHILARQUE. Alcinon, ma lumière, Reviens me secourir de ta faveur première, Alcinon ? Ton silence étonne mes esprits, Comme je suis aveugle, es-tu sourd à mes cris ? Alcinon ? Alcinon ? Ah douleur sans seconde ; Mon espérance et lui sont tous deux dans l'onde ; Sans doute il est tombé dans ce proche canal, Qui nous est à tous deux également fatal : Imprudent que je suis, trop coupable Philarque, De ton esprit troublé sa mort est une marque : J'ai failli le quittant, et je dois aujourd'hui, Être nommé moins sage, et plus enfant que lui : Déjà l'eau de mes pleurs la clarté m'a ravie, Alcinon me guidait, l'eau l'a privé de vie ; Ainsi par la rigueur de ce traître Élément, Je demeure sans vue, et la perds doublement, Ô rage ! Ô désespoir ! Quel Démon favorable Soulagera mon coeur de ce faix qui m'accable ? Grands Dieux, qui d'une nuit couvrez mes plus beaux jours, Parmi tant de malheurs, qui sera mon secours ? ATLANTE. Moi, qui veux apaiser ta douleur violente. PHILARQUE. Justes Cieux ! ATLANTE. Ne crains rien, Philarque, c'est Atlante. PHILARQUE. Ah mon père ! ATLANTE. Ah mon Fils ! Cesse de t'affliger, Ton astre est adouci, son aspect va changer ; Quand je t'ai fait du mal, j'en savais le remède, Tes regrets m'ont touché, ma vengeance leur cède ; Et mon coeur, autrefois à ta perte animé, Voit sa colère éteinte, et mon bras désarmé : Mais nous aurons ailleurs un entretien plus ample, Hâtons ta guérison, toi va jusqu'à ce Temple ; Et puisque son enceinte abonde en belles eaux, Apporte m'en ici dans de petits vaisseaux ; Et surtout, Éliane, use de diligence, Pour soulager ton frère, et mon impatience. ÉLIANE. J'y cours. PHILARQUE. Cet élément à mon bien est fatal, Pourrait-il me guérir, m'ayant fait tant de mal ? ATLANTE. Il te rendra le jour. PHILARQUE. Oui, si jamais les ondes, Ouvrant le large sein de leurs vagues profondes, Me rendaient Alcinon, qu'elles ont englouti. ATLANTE. Crois que cela n'est point, ou qu'il en est sorti ; Je le vois tout chargé de fleurs, qu'il a cueillies, Et comme son chapeau, ses mains en sont remplies. PHILARQUE. Dieux ! Serait-il possible ? ATLANTE. Il accourt. PHILARQUE. Alcinon ? ALCINON. Me voici de retour. PHILARQUE. C'est donc toi, mon mignon ? ALCINON. Si j'ai mis trop longtemps, il faut qu'on me pardonne, J'eusse apporté plutôt ces fleurs, que je vous donne, Mais courant dans le bois, je m'étais égaré. PHILARQUE. Mon Fils, je te croyais par les eaux dévoré ; Et craignais que les Dieux t'ayant pris pour Narcisse, De ton propre miroir n'eussent fait ton supplice : Je leur suis obligé de ton heureux retour. ATLANTE. Philarque, il faut songer à te rendre le jour ; Donc puisque je le veux, et qu'Éliane arrive, Viens recouvrer le bien, dont ma rigueur te prive : Mon fils, tu reverras la lumière des Cieux, Si de l'eau qu'elle apporte, on te lave les yeux. ÉLIANE. Ce Temple n'a pour tout que trois vives fontaines, Dont j'ai puisé de l'eau dans ces trois Porcelaines. ATLANTE. Approche, je languis, donne-moi ton mouchoir ; Courage ; et bien, mon Fils, commences-tu de voir ? PHILARQUE. Non. ATLANTE. Il faut que d'ici ta guérison procède. Vois-tu bien ? PHILARQUE. Aussi peu. ATLANTE. Voici donc ton remède. PHILARQUE. Ma guérison n'est pas l'ouvrage des mortels ; La main d'où je l'attends, mérite des autels. ATLANTE. Je serai donc le Dieu qui fera ce miracle, Ne vois-tu point encor ? PHILARQUE. Non. ATLANTE. D'où vient cet obstacle ? Cette difficulté commence à m'étonner ; Je fais ce que le Mage a voulu m'ordonner ; Qui rend donc aujourd'hui mon secours inutile ? Amech nous le dira, va le quérir, Terfile. TERFILE. L'Hipparque d'Hellespont, sur le point de mourir, Aux secrets de cet homme a voulu recourir ; Et je l'ai vu partir, pour ce fâcheux voyage. ATLANTE. Ah Dieu ! De son forfait voilà le témoignage, De ce prétexte faux le traître s'est couvert, Afin d'autoriser sa fuite qui nous perd : Ce sorcier, dont le crime est digne de la foudre, A trahi mon espoir ; et la fatale poudre, Par qui je suis auteur de ton aveuglement, Est l'effet malheureux d'un charme seulement, Le perfide a voulu que l'Enfer fut complice De son noir attentat, et de mon injustice ; Et ce traître a bien su, par un si lâche tour, Contenter ma rigueur, mais non pas mon amour : Mais l'Oracle en est cause, ah ! Ce penser me tue, Les Dieux ont bien voulu, qu'il fut privé de vue, Mais non pas que ma haine, et ma crédulité, Me rendissent l'auteur de cette cruauté : Hélas ! Je suis puni, d'avoir par cet outrage, Offensé la Nature, et détruit mon ouvrage : Apprends, Philarque, apprends, qu'un sensible remords, Me cause des tourments pires que mille morts ; Après t'avoir réduit en cet état funeste, Te plaire désormais, est le soin qui me reste : Si j'ai blessé le corps, je guérirai l'esprit ; Cette rare beauté, dont l'éclat te surprit, N'est plus qu'une Victime à ta gloire apprêtée Cher Philarque, en un mot je te donne Aristée ; Et veux, récompensant le mal que je t'ai fait, Qu'une cause mauvaise, ait un heureux effet, PHILARQUE. Ne me flattez-vous point d'une espérance vaine ? ATLANTE. Non, mon Fils, c'en ait fait, j'ai pitié de ta peine. PHILARQUE. Hélas ! Pour acheter un bien si précieux, Ce n'était pas assez que de perdre les yeux ; Démembrez tout ce corps, pourvu que je ne meure, Je serai trop content, si le coeur me demeure. ATLANTE. Ah ! Ce coeur par ma faute a beaucoup enduré, Ton malheur doit finir, il n'a que trop duré ; Je m'en vais de ce pas ménager la sortie De la beauté qui fait ta meilleure partie. Dispose ton esprit à lui donner sa foi, Et pour me rendre heureux, mon fils, console-toi. Mais l'Oracle m'a dit, qu'il aurait la Muette, Quoi donc, après avoir d'une haine indiscrète, Offensé si souvent ; ce que j'aimais le mieux, Pourrais-je violer ce que je dois aux Dieux ? Il faut qu'en ma faveur, l'Oracle j'interprète ; Aristée a tantôt paru comme muette ; Je la voix vertueuse, et c'est cette beauté, Dont les Dieux aujourd'hui mon espoir ont flatté : Diane la reçut, pour plaire à mon envie ; Elle me la rendra, pour me donner la vie. Donc encore une fois, mon fils console-toi ; Je m'en vais te quérir cet Objet de ta Foi. ACTE V SCÈNE I. Atlante, Philarque Aveugle, Terfile, Alcinon. ATLANTE. Console-toi, mon fils, nous avons ta maîtresse ; Ce n'est plus dans un Temple où l'on voit ta Déesse. Nous l'avons dégagée, et pour rompre ses fers, Il n'est point de tourment que nous n'ayons souffertsL'adresse de sa mère, et l'effort de ses larmes, Ont fait ce que n'eût pu la puissance des charmes ; Et notre soin commun a si bien réussi, Que si tu voyais clair, tu la verrais ici. PHILARQUE. Quelques yeux pénétrants que l'on donne à Lyncée, Je vois plus clair que lui, des yeux de la pensée ; Quelque part que tu sois, beau miracle des Cieux, Je te vois ma Déesse, ainsi qu'on voit les Dieux, C'est pour toi que je vis, c'est en toi que j'espère. TERFILE. Ces compliments sont bons, mais non pas à ton père : Modère tes désirs, aussi bien que tes pas. PHILARQUE. Un amour violent ne se modère pas. ATLANTE. Certes j'ai pour Philarque une telle tendresse, Que je chéris l'amour qu'il a pour sa maîtresse PHILARQUE. Est-elle ici, Terfile ? TERFILE. Apaise ta langueur, Ta maîtresse est ici, puisqu'elle est dans ton coeur. PHILARQUE. Il est vrai, ses beautés sont peintes dans mon âme ; Dans mon aveuglement je vois luire sa flamme. Bel astre de la nuit, je bénis ton retour ; Mais vois-tu, cher ami, l'objet de mon amour ? TERFILE. Je vois bien ton amour dans l'excès de ton zèle, Mais non pas cet objet, qui te rend si fidèle. ATLANTE. Tu le verras bientôt. PHILARQUE. Que n'ai-je encor des yeux ! Mais comment a-t-on pu la tirer de ces lieux ? ATLANTE. Déjà la sage Olinthe, en diverse manière Avait joint la menace avecque la prière, Sans avoir pu fléchir cet esprit révolté Contre les justes lois de son autorité ; Lorsque par mes avis, qu'elle croit salutaires, Elle a dit en un mot à ses filles austères, Que l'on avait trouvé l'art de les décevoir, N'ayant pas Lycoris, qu'elles pensaient avoir ; Qu'elles tenaient l'aînée, et non pas la cadette, Une fille qui parle, au lieu d'une muette. Olinthe a beau jurer, et faire des serments, Prendre à témoin les Dieux, et tous les Éléments ; Elle n'imprime rien dans leurs fausses créances, Que de nouveaux soupçons, et d'autres défiances : Ainsi tous nos desseins s'en allaient renversés. PHILARQUE. Mais comment ces soupçons se sont-ils effacés ? ATLANTE. Deux Filles ont surpris leur compagne Aristée, Les yeux levés au Ciel, de zèle transportée : Qui dans ces lieux sacrés, et dans le fond du bois, Invoquait en pleurant diane à haute voix : Cette voix a d'abord passé pour un miracle. PHILARQUE. Et c'est de mon bonheur le véritable Oracle : Je suis sans yeux, mon père, et pourtant je vois bien, Que de cet accident doit naître tout mon bien, Mais je vous interromps. ATLANTE. Cette voix d'Aristée, À la grande Prêtresse est soudain rapportée, Qui la fait appeler, pour éclaircir ce point ; D'abord qu'elle lui parle, elle ne répond point : La Vérité la presse, et sa bouche est contrainte, De découvrir enfin le sujet de sa feinte ; La Prêtresse consent qu'elle quitte ces lieux ; À ce mot deux ruisseaux s'écoulent de ses yeux, Un long soupir se mêle aux discours de sa bouche. PHILARQUE. La douleur qu'elle sent, est celle qui me touche. ATLANTE. On la veut retirer de ces austérités, Elle oppose à cela mille difficultés ; Elle nous confond tous de réponses subtiles, Et rend par ses raisons les nôtre inutiles ; Alors je l'entreprends, et d'un discours flatteur, Je lui dis que Philiste était un imposteur ; Et pour ne rien caché de sa malice extrême, Je provoque Philiste à la conter lui-même, Lui que j'avais exprès fait sortir de prison, Par ce chemin secret qui mène à la maison. Puis je dis que ton coeur adorant cette belle, Sentait toujours le feu qui l'embrasa pour elle ; Quand un trait de ses yeux te rendit son amant Qu'elle était cause enfin de ton aveuglement. PHILARQUE. Hé bien, qu'a-t-elle dit ? ATLANTE. Lors pâle et toute émue, Pour plaindre avecque toi la perte de ta vue, Elle a quitté le voile, et la profession, Qu'elle avait embrassée à ton occasion. PHILARQUE. Dieux ! Que me dites-vous ? ATLANTE. Un discours véritable. PHILARQUE. Ô puissance du Ciel, que tu m'es favorable ! Je ne méritais pas ce fruit de ta bonté, Mon espoir était mort, tu l'as ressuscité. SCÈNE II. Atlante, Philiste, Philarque, Terfile, ATLANTE. Philiste vient tout seul, qu'as-tu fait d'Aristée ? PHILISTE. Elle vient après moi, mais d'ennuis agitée ; Pour la tirer de là, que de peines bons Dieux ! J'eusse aussitôt tiré tous les astres des Cieux. ATLANTE. C'est un effet d'amour, dont le pouvoir m'étonne. PHILISTE. Diane l'avait prise, Amour nous la redonne. Philarque, en ton malheur que je t'estime heureux ! Je te vois plus aimé, que tu n'es amoureux, Aristée est à toi, la voici qui s'avance. PHILARQUE. Ô de mes maux passés l'aimable récompense ! Courons vers cet objet, si charmant, et si cher. ALCINON. Tu t'éloignes, Philarque, au lieu de t'approcher. PHILARQUE. Hélas ! Si je le fais, c'est contre ma pensée : Pardon divin objet, dont mon âme est blessée ; Et crois, quand je m'éloigne, en cherchant tes appas, Qu'à l'erreur de mon pied mon coeur ne consent pas, Qu'on me mène à l'autel, car je suis la victime, Que j'y veut immoler, pour expier mon crime. SCÈNE III. Olinthe, Aristée, Philarque, Terfile, Atlante, Alcinon, Éliane. OLINTHE. Ma fille, connais-tu ton malheureux amant ? ARISTÉE. J'aurais bien peu d'amour, et moins de jugement. PHILARQUE. Quel rayon de plaisir dissipe ma tristesse ! Ou je rêve, ou j'entends la voix de ma maîtresse ; Que ne puis-je la voir, aussi bien que l'ouïr ! Faites, mon beau soleil, cette ombre évanouir ; Et puisque dans mon sein votre ardeur est enclose, Comme j'en sens l'effet, faites m'en voir la cause, Est-ce vous ? ARISTÉE. Oui, je suis celle que vous pensez. PHILARQUE. Hélas ! Et moi je suis celui que vous blessez. Je suis ce malheureux, cet amant déplorable, Qui pour avoir fâché le sujet adorable, De qui la volonté me doit être une loi, Ne saurais plus le voir, bien qu'il soit devant moi, Et dans l'aveuglement de ma faute grossière, Les Dieux ont eu raison d'éteindre ma lumière ; Puisqu'en voyant son bien, elle l'a méprisé, Pour suivre cette erreur, dont j'étais abusé. Infidèles clartés, contre moi révoltées, Dans quelle extrémité vous êtes-vous jetées ? Quand vous vîtes sortir ma nymphe de prison, Pourquoi l'accusiez-vous de quelque trahison ? Vous lisiez sur son front, qu'elle en est incapable, Et vous rendiez pourtant l'innocence coupable. Tyrans de mon repos, regards mal assurés, Jadis guides trompeurs de mes sens égarés, Me la fîtes-vous pas encore méconnaître, Quand sous un voile austère on me la fit paraître ? Quoique de ces erreurs je sois assez puni, Et qu'en effet je souffre un tourment infini ; Qu'il ne soit point de deuil, que le mien ne surpasse, Je ne crois pas encor mériter votre grâce : Vous demander pardon, n'est-ce point trop oser ? ARISTÉE. Rare et fidèle amant, ne viens point t'accuser ; Je te croyais trop parfait, pour t'estimer capable, D'un mal dont mon destin a seul été coupable. PHILARQUE. Ô bonté merveilleuse ! ATLANTE. Elle est grande en effet. OLINTHE. Et Philarque a raison d'en être satisfait. PHILARQUE. Encore que mon coeur n'ait plus lieu de se plaindre, Lorsque j'espère tout, j'ai quelque chose à craindre. J'appréhende en l'excès du trouble où je me sens, D'avoir ainsi perdu le plus beau de mes sens ; Qu'ainsi que de mes yeux la lumière est éteinte, Votre ardeur ne s'éteigne. ARISTÉE. Étouffez cette crainte. PHILARQUE. Mais si tous mes malheurs, me font voir votre foi, Que ferai-je pour vous, Aristée ? ARISTÉE. Aimez-moi. Je jure par ce Dieu, dont vous sentez les charmes, (Et je vous le confirme encore par ces larmes) Que votre amour me touche, et qu'il m'est précieux ; Que je sens plus que vous la perte de vos yeux ; Que sans eux je vous aime, et que je meurs d'envie, De vous rendre le jour, aux dépens de ma vie. PHILARQUE. Faites, belle Aristée, un choix digne de vous ; Quoique plus malheureux, mon sort sera plus doux. ARISTÉE. Ton sort, qui m'est fatal, t'a privé de la vue, Hé bien j'en paraîtrai, comme toi dépourvue : Car mes yeux n'étant faits, que pour toi mon espoir, De qui seront-ils vus, si tu ne les peux voir ? Si tu ne veux que moi, rien ne manque à ta joie, Amour, veut que partout, je te suive, et te voie. PHILARQUE. Vous m'aimerez sans yeux ? ARISTÉE. N'aime-t-on pas l'amour ? PHILARQUE. On l'aime comme amant, bien que privé du jour. ARISTÉE. Hé bien n'es-tu pas tel ? Mon âme en est ravie, Je te chéris ainsi cent fois plus que ma vie. PHILARQUE. Y dois-je consentir, en l'état où je suis ? ARISTÉE. En oses-tu douter ? Tu le dois. PHILARQUE. Je ne puis. Offrir à vos autels une offrande imparfaite. ARISTÉE. Tu me rejetais donc, lorsque j'étais muette ? PHILARQUE. Vous me parliez du coeur. ARISTÉE. Hé que fait ton esprit ? Il me voit, tu le sais, c'est lui qui te prescrit De m'aimer ardemment ; en ton scrupule extrême, Prends mes yeux, puis en toi je m'aimerai moi-même, Ou si tu l'aimes mieux, digne objet de ma foi, Je les arracherai, pour être égale à toi. PHILARQUE. C'est trop, n'en dis pas tant, je me noie en mes larmes, Prends-moi tel que je suis, mon coeur te rend les armes ; Jusqu'ici mon amour m'a défendu d'oser Ce que ce même amour ne peut plus refuser. ARISTÉE. Ha ! Que tu me ravis, assure-toi, Philarque, Qu'ainsi nous braverons le Destin, et la Parque ; Nous n'aurons qu'un flambeau, qu'une vie, et qu'un coeur Je serai ta maîtresse, et toi mon doux vainqueur : Oui, ta nuit sera plus belle qu'une Aurore ; Le soleil ne voit point, cependant on l'adore, Il conduit, il éclaire, il forme les appas De ce monde admirable, en ne le voyant pas ; Ainsi, quoique sans yeux, Objet charmant et rare, Tu seras mon soleil, ma conduite, et mon Phare. Tu n'en as plus besoin, Philarque, assure-toi, Que les miens te sauront bien mieux guider que moi, Puisque toujours collés dessus l'objet que j'aime, Ils ne pourront manquer, si ce n'est à moi-même. La perte de tes yeux accroîtra ton amour, Te cachant mes défauts, qui paraissent au jour ; Et l'usage des miens qui cherchent à te plaire, Tirera même effet, d'une cause contraire, Puisque je ne veux plus désormais m'en servir, Que pour connaître en toi, ce qui me peut ravir. Pénétrant au travers de cette nuit obscure, L'éclat de ta vertu, si constante et si pure. Quand on a les yeux clos, dans cet aveuglement, L'esprit pénètre mieux, et voit plus clairement ; Ainsi tu verras mieux, dans ta lumière éteinte La vive Passion, dont mon âme est atteinte :Dieux ! Me voulez-vous mettre au comble de tous biens ! Ou rendez-lui ses yeux, ou lui donnez les miens. PHILARQUE. Quel secret mouvement est celui qui l'emporte ? Amour, vis-tu jamais une flamme si forte ! Me souhaiter ses yeux, pour finir ma langueur ! Qu'elle garde ses yeux, et me donne son coeur. Quand on la crût muette, à l'égal d'une souche, Hélas lui vins-je offrir, et ma langue, et ma bouche, Ce n'est pas que son feu soit plus grand que le mien, Mais c'est que mon ouvrage est moindre que le sien. ARISTÉE. Lorsque j'étais muette, ou que je feignais l'être, Mon âme vous parlait, sans le faire paraître : Vous ne pouviez répondre à mes secrets discours, Un langage muet ne trouve que des sourds ; Et comme si le cours des Fortunes humaines Toujours aux premiers maux ajoutait d'autres peines, Maintenant que je parle, et que vous m'entendez, Vous ne me sauriez voir, quand vous me répondez, Que cette affliction sensiblement me touche ! PHILARQUE. Je vous parle du coeur, bien mieux que de la bouche ; Et si je n'eus des yeux que pour voir vos attraits, Dans mon aveuglement j'en vois encor les traits. Des yeux de mon esprit, je vois votre visage, Comme on voit le Soleil au travers d'un nuage. ATLANTE. C'est assez, mes enfants, soupirer vos malheurs, Voici le jour fatal qui doit sécher vos pleurs : Embrasez-vous, tous deux, tous deux n'ayez qu'une âme, Philarque est ton époux, Aristée est ta femme. PHILARQUE. J'aurai mon Aristée ? ATLANTE. Oui Philarque ? PHILARQUE. Ha bons Dieux ! Vous me tirez d'un gouffre, et m'élevez aux Cieux. Ô favorable auteur du bien de ma naissance ! Quel heur est comparable à cette jouissance ? Recevez ce baiser de votre cher époux, Et captivez ce corps, dont l'esprit est à vous. ARISTÉE. Recevez ce baiser de celle qui vous aime, Et qui pour être à vous, cesse d'être à soi-même. OLINTHE. Dieux ils pleurent de joie, et noient dans leurs pleurs, Le fâcheux souvenir de leurs tristes malheurs. PHILARQUE. Quel prodige, bons Dieux ! Ô merveille inconnue ! Vos pleurs m'ouvrent un oeil, et me rendent la vue. ARISTÉE. Dites-vous vrai, mon âme ! Hélas que voyez-vous ? PHILARQUE. Tout ce que l'on peut voir, de charmant, et de doux ; En vous voyant, je vois mille grâces écloses : Sans vous je ne vois rien, vous m'êtes toutes choses. ARISTÉE. Sans doute il voit le jour ! PHILARQUE. Je le vois dans vos yeux ; Mais plus beau mille fois, qu'on ne le voit aux Cieux, Et par le doux éclat des rayons qu'il m'envoie, Il me rend tout d'un coup la lumière, et la joie. Mon père, que le mage a dit avec raison, Que j'obtiendrais enfin l'heur de ma guérison, Par la vertu d'une eau la plus pure du monde ! Vous êtes une source en pureté féconde, Et l'Oracle s'accorde avec la Vérité, En parlant de vos pleurs, miracle de beauté : Ainsi ne pensez plus que vous soyez coupable De mon aveuglement, qui fut inévitable ; Au contraire aujourd'hui vous me témoignez bien, Que l'auteur de mon être est celui de mon bien ; Me rendant la beauté que l'on m'avait ravie, Vous me rendez ensemble, et les yeux, et la vie. STANCES. PHILARQUE. Quoique j'aime ma guérison, Je chéris mon remède avec plus de raison, Mon âme en est ravie, et mes sens s'en étonnent, Ô larmes ! Ô baisers ! ô biens délicieux ! Si dès que je vois clair, vos douceurs m'abandonnent, Pour vous goûter encor, je veux être sans yeux. ARISTÉE. Quoique d'un vrai plaisir je ressente les charmes, Puisque mon cher Philarque a besoin de mes larmes, Je veux toujours pleurer, pour charmer son ennui ; Mon départ l'affligeait, mon regard le console ; Je lui rends la lumière, il me rend la parole, Il ne vit plus qu'en moi, je ne vis plus qu'en lui. ATLANTE. Puisque vous n'êtes pas de pitié dépourvue, Baisez-le, pour lui rendre entière la vue : Il ne voit que d'un oeil. ARISTÉE. Hé quoi, mon cher ami, Pensez-vous que je fasse un miracle à demi. OLINTHE. Elle baise Philarque, et sans cérémonie ; Mais si de ces baisers la puissance infinie, Donne en effets des yeux, dont les traits sont aigus, Je crains. ATLANTE. Que craignez-vous ? OLINTHE. Qu'il ne devienne Argus. PHILARQUE. Que ce bonheur est grand, que le destin m'envoie ! Mon coeur nage à souhait, dans un fleuve de joie. ATLANTE. Il fait tout ce qu'il peut, pour recouvrer ses yeux. PHILARQUE. Ils sont tous deux guéris, ô charme gracieux ! Mais de peur de les perdre, il faudra que sans cesse, Je les tienne collés, sur ceux de ma maîtresse ; Source de mon amour, comme de ma clarté, Ne me refusez pas cette félicité. ARISTÉE. Hé bien, soyez heureux, et que pas un n'en doute. ALCINON. Vous n'êtes point aveugle, ou bien je ne vois goutte ; Vous voyez Aristée, aussi bien que nous, Et vous la baisez tant, que j'en deviens jaloux, Vous l'aimez plus que moi, c'est pour ce qu'elle est belle ; Qu'elle vous mène donc, je vous laisse avec elle. Adieu mon oncle, Adieu, je tourne ailleurs mes pas. PHILARQUE. Arrête mon mignon, tu ne t'en iras pas. Je chéris Aristée, ainsi que ma maîtresse, Et toi comme mon fils, viens, qu'elle te caresse : Aimez-le, je vous prie. ARISTÉE. Hé bien, je l'aimerai, Je lui ferai caresse, et je le baiserai. ALCINON. Elle a par ses baisers ma colère apaisée, Ha ! Que je verrai clair, puisque je l'ai baisée ! ARISTÉE. Tu veux que je le guide, Alcinon, je le veux, Pour le mener au Temple, où je dois mille voeux ; J'en ai fait un pour toi, qu'il est temps que j'acquitte :Ne le différons plus, mon coeur, allons-y vite. PHILARQUE. Je vous suivrai partout, où vous voudrez aller, J'irai, quand sur l'autel on devrait m'immoler : Là je réclamerai dans l'ardeur de ma flamme, La Déesse du Temple, et celle de mon âme. ÉLIANE. Il faut que je vous suive en ce lieu de repos, Mais pour y demeurer. PHILARQUE. Ma soeur, à quel propos Oserais-tu troubler les plaisirs de ton frère ? ÉLIANE. Crois que jamais hymen ne te serait prospère, Si prenant Aristée, entre les bras des Dieux, Quelque autre n'occupait un lieu si précieux : Je veux à cet effet, me ravir à moi-même, Et n'aimer jamais rien, à cause que je t'aime. PHILARQUE. Cette amitié t'impose une contraire loi. ÉLIANE. Les Dieux, et la raison veulent cela de moi. PHILARQUE. Ce dessein est trop prompt. ÉLIANE. Mais il est légitime ; Et je serai bientôt ou prêtresse ou victime. PHILARQUE. Mon coeur en est troublé. ÉLIANE. Le mien en est ravi. PHILARQUE. Mon triomphe sera de ta perte suivi. ÉLIANE. Ne me dérobez point la gloire qui m'est due, Ce que l'on donne aux Dieux, est-ce chose perdue ? PHILISTE. Vous consommez le temps en discours superflus, Terminez ce débat, et ne contestez plus. Sous le nom de rival, ou plutôt d'adversaire, J'ai les Dieux offensés, je les veux satisfaire. C'est à moi seulement, qu'il doit être permis, De réparer ainsi le mal que j'ai commis. Quand on veut expier un forfait punissable, On laisse l'Innocent, pour prendre le Coupable. ÉLIANE. Enfin mon coeur touché se consacre aux autels. PHILISTE. Et moi, qu'un repentir blesse de coups mortels, Ravi de ta vertu, digne d'avoir un temple, En me donnant aux Dieux, je suivrai ton exemple. ATLANTE. Je n'ai point de raisons, pour les en divertir. OLINTHE. Puisque le Ciel le veut, il y faut consentir. ATLANTE. Ainsi de point en point l'Oracle s'effectue ; Philarque m'obéit, et recouvre la vue ; La vertu d'Aristée éclate vivement, Son silence, et sa voix, l'approuvent clairement ; Diane ne perd rien, un coup de la fortune, Lui donne en ce moment deux victimes pour une ; Et l'amour a produit tous ses heureux effets, Dont nos yeux sont ravis, et nos coeurs satisfaits. ==================================================