******************************************************** DC.Title = LES PLEUREURS D'HOMÈRE, PROVERBE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:18. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_PLEUREURSDHOMERE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES PLEUREURS D'HOMÈRE TRENTE-QUATRIÈME PROVERBE. M. DCC. LXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. de CARMONTELLE. À Paris, chez Sébastien JORRY, vis à vis le Comédie Française, chez Le JAY, rue Saint Jacques, près celle des Mathurins. PERSONNAGES MONSIEUR DESGRAIS. MONSIEUR DELEPINE. MONSIEUR DUCHESNE. MADAME RAMAS, revendeuse. La Scène est dans un café. SCÈNE PREMIÈRE. Monsieur Desgrais, Monsieur Delepine. MONSIEUR DESGRAIS. Bonjour, Monsieur Delépine. Comment vous va aujourd'hui ? MONSIEUR DELEPINE. Ah, Monsieur Desgrais, je ne vous voyais pas. MONSIEUR DESGRAIS. Qu'est-ce que vous avez donc ? MONSIEUR DELEPINE. [Note : Cinq-pieds : fait référence au pentamètre qui est la mesure du vers antique.]J'ai bien du chagrin. Ce pauvre Monsieur Cinq-pieds est mort. MONSIEUR DESGRAIS. Cinq-pieds est mort ? MONSIEUR DELEPINE. Oui, vraiment, à Nemours. MONSIEUR DESGRAIS. Et qu'est ce qu'il faisait là ? MONSIEUR DELEPINE. [Note : Logogriphe : sorte de symbole en paroles énigmatiques ; petite enigme qu'on propose à deviner à des écoliers pour leur éveiller l'esprit. [F]]Il s'y était retiré, pour deviner des logogriphes. MONSIEUR DESGRAIS. Pour deviner des logogriphes ? MONSIEUR DELEPINE. Oui, et c'est ce qui l'a tué. MONSIEUR DESGRAIS. Je ne comprends pas cela. MONSIEUR DELEPINE. Il avait choisi ce genre d'occupation-là, et c'était pour n'être pas distrait , qu'il avait abandonné Paris, pour Nemours. MONSIEUR DESGRAIS. Je conçois qu'on y est plus tranquille. MONSIEUR DELEPINE. Il mit une si grande application à ce qui ne devait être pour lui qu'un amusement, qu'il en perdait le boire et le manger. Le dernier logogriphe lui a fait passer huit jours et huit nuits de suite, sans pouvoir le deviner ; cela lui a échauffé le sang, en trois jours de temps il est mort. C'est affreux ! MONSIEUR DESGRAIS. [Note : Homère : poète grec du VIIème siècle avant JC, auteur présumé de l'Illiade et de l'Odyssée.]Voilà comme est mort ce pauvre Homère. MONSIEUR DELEPINE. Qu'est-ce que c'était que Monsieur Homère? MONSIEUR DESGRAIS. Quoi ! vous ne connaissez pas Homère, le poète Grec ? MONSIEUR DELEPINE. Ah, mon Dieu, je ne le connois pas ? Je le regretterai toute ma vie. MONSIEUR DESGRAIS. C'était un homme cela ! Quelles images ! Quelle poésie ! MONSIEUR DELEPINE. Ah, ne m'en parlez pas, les larmes me viennent aux yeux , d'abord que j'y pense. MONSIEUR DESGRAIS. Et qui pleurera-t-on, si ce n'est un aussi grand homme ? MONSIEUR DELEPINE. Et vous croyez que Monsieur Cinq-pieds est mort comme lui ? MONSIEUR DESGRAIS. Quoi, ne vous souvenez-vous pas qu'il mourut de regret de n'avoir pas pu deviner une énigme que lui avaient proposé des Pêcheurs dans une des Îles Soporades ? MONSIEUR DELEPINE. Ah, mon Dieu, oui, vous me le rappelez ; que c'était un bon homme ! Il pleure. MONSIEUR DESGRAIS. C'est un excellent homme, qu'il faut dire. Ah ! Il pleure. MONSIEUR DELEPINE. Quand on dit qu'il dormait quelquefois, c'est qu'il était aveugle, et l'on s'y méprenait, ah ! Il pleure. MONSIEUR DESGRAIS. Monsieur, les grands hommes auront toujours des envieux, mais qu'ils imitent Homère ceux qui disent cela ; qu'ils imitent sa bonté et sa reconnaissance, comme il célébrait dans ses ouvrages tous ceux à qui il avait quelque obligation ! Ah ! Il pleure. MONSIEUR DELEPINE. Quel homme ! Quel homme ! Il pleure.Qui est-ce qui aurait inventé l'épopée de nos jours ? MONSIEUR DESGRAIS. Ah, personne , personne ! Il pleure. MONSIEUR DELEPINE. Aristote n'en veut pas convenir ; mais il dit pourtant que c'est lui qui l'a enseignée aux Poètes. MONSIEUR DESGRAIS. L'épopée ? Il pleure. MONSIEUR DELEPINE. Oui, l'épopée ! Ils pleurent tous les deux bien fort. MONSIEUR DESGRAIS. L'épopée, sans lui n'aurait jamais parue ! Il pleure. MONSIEUR DELEPINE. Nous n'eussions jamais connu l'épopée ! Ils pleurent. MONSIEUR DESGRAIS. Non, non, l'épopée ! ENSEMBLE. Ah, ah, ah ! Ils pleurent jusqu'aux sanglots. SCÈNE II. Monsieur Desgrais, Monsieur Duchesne, Monsieur Delepine. MONSIEUR DUCHESNE. Eh, mes amis, qu'est-ce qui vous est donc arrivé ? Messieurs DESGRAIS, DELEPINE. Ah, ah, ah ! Ils pleurent sans pouvoir parler. MONSIEUR DUCHESNE. Mais dites donc ? Je n'ai jamais vu une douleur pareille. MONSIEUR DESGRAIS. Nous pleurons, ons, ons, ons ons... MONSIEUR DUCHESNE. Achevez donc. MONSIEUR DELEPINE. Ce pauvre ho , ho , ho , ho... MONSIEUR DUCHESNE. Et qui donc ? MONSIEUR DESGRAIS. Ho, ho , ho. ... MONSIEUR DUCHESNE. Je ne vous comprends point. MONSIEUR DELEPINE. Vous ne pouvez pas, ah, ah, ah, nous blâmer. MONSIEUR DESGRAIS. Oui, quand vous saurez, hé , hé , hé... MONSIEUR DELEPINE. Que nous pleurons, ho , ho, ho... MONSIEUR DESGRAIS. Ho, ho, ho... je ne peux pas prononcer son nom. MONSIEUR DUCHESNE. Vous parlez bien pourtant. MONSIEUR DELEPINE. C'est, est ; est, est. MONSIEUR DESGRAIS. Homère. MONSIEUR DUCHESNE. Homère ? Je ne le connais pas. MONSIEUR DESGRAIS. Quoi, vous ne le connaissez pas ? MONSIEUR DUCHESNE. Non, était-ce un de vos parents ? MONSIEUR DELEPINE. Homère, le Poëte ? MONSIEUR DUCHESNE. C'est Homère que vous pleurez ? MONSIEUR DESGRAIS. Oui , vraiment. MONSIEUR DUCHESNE. Mais vous êtes donc fous ? MONSIEUR DELEPINE. Foux ? Et qui trouvez-vous qu'on doive autant regretter ? MONSIEUR DUCHESNE. Oui, je conviens que c'étAit un grand homme. Il s'attriste. MONSIEUR DESGRAIS. Un homme incomparable ! MONSIEUR DELEPINE. Un homme qu'on doit être bien fâché de savoir mort. MONSIEUR DUCHESNE. Il y a si longtemps ! MONSIEUR DESGRAIS. Sa mémoire vit bien encore. MONSIEUR DELEPINE. Et elle vivra toujours. MONSIEUR DESGRAIS. Ah, si nous le voyions un moment, tout aveugle qu'il était !... MONSIEUR DUCHESNE. Il ne l'avait pas toujours été. MONSIEUR DELEPINE. Ah c'est bien vrai ! MONSIEUR DESGRAIS. Ses ouvrages le prouvent, quelles descríptions de la Nature ! MONSIEUR DELEPINE. Quel profit il avait tiré de ses voyages ! MONSIEUR DESGRAIS. C'est lui qui nous a dit le premier que la Terre était une île environnée d'eau. Ho, ho, ho. Il pleure. MONSIEUR DELEPINE. Et que le Soleil se levait et se couchait dans l'Océan. Han , han , han. Il pleure. MONSIEUR DUCHESNE. Il est vrai qu'il savait la Géographie !... MONSIEUR DESGRAIS. Tout, tout ce qu'on peut savoir. Il pleure. MONSIEUR DELEPINE. Son Iliade !... MONSIEUR DESGRAIS. Son Odyssée !... MONSIEUR DUCHESNE. Il connaissait le sein des mers, les enfers... MONSIEUR DELEPINE. L'Olympe ! MONSIEUR DESGRAIS. Quelle Mythologie ! Hi, hi, hi, hi. Il pleure. MONSIEUR DUCHESNE. Arrêtez donc. Il pleure.Prêtez-moi un mouchoir. MONSIEUR DELEPINE. Je n'ai que le mien. MONSIEUR DESGRAIS. Ni moi non plus. MONSIEUR DELEPINE. Nous en étions à l'épopée , hé, hé , hé ! MONSIEUR DESGRAIS. Oui, quand vous êtes arrivés, hé , hé, hé ! MONSIEUR DUCHESNE, pleurant. À l'épopée ! Hé , hé , hé ! TOUS LES TROIS. Hé , hé , hé , hé. Ils pleurent. MONSIEUR DUCHESNE. Comment donc vais-je faire ? S'essuyant les yeux avec ses doigts. MONSIEUR DESGRAIS. À l'épopée ! TOUS LES TROIS. Hé, hé, hé, hé ! SCÈNE III. Monsieur Desgrais, Monsieur Délépine, Monsieur Duchesne, Madame Ramas un chapeau sur la tête et des mouchoirs attachés aux épaules. MADAME RAMAS. Messieurs, achetez de mes beaux mouchoirs. MONSIEUR DUCHESNE. Des mouchoirs ? Ils viennent bien à propos, j'en ai grand besoin. Il s'essuie les yeux et se mouche dans un mouchoir de Madame Ramas, sans le détacher de son épaule.Combien me vendrez-vous ce mouchoir-là ? MADAME RAMAS. Six francs, Monsieur. MONSIEUR DUCHESNE. Six francs, c'est trop cher. MADAME RAMAS. Combien en voulez-vous donner ? MONSIEUR DUCHESNE. Je vous en donnerai trois livres. MADAME RAMAS. Monsieur, je ne le peux pas, en conscience. Il est à vous pour cent sols , si vous voulez. MONSIEUR DUCHESNE. Non, je n'en donnerai pas davantage. MADAME RAMAS. Mais, Monsieur, vous ne me le laisserez pas ? MONSIEUR DUCHESNE. Si vous me le donnez pour trois livres ; car sans cela je n'en ai plus que faire, j'aurai le temps d'en aller chercher un chez moi. MADAME RAMAS. Mais, Monsieur, vous l'avez sali. MONSIEUR DUCHESNE. Hé bien, voilà trois livres ou rien. Il s'en va. MADAME RAMAS. Mais, Monsieur, Monsieur ? Elle court après lui. MONSIEUR DUCHESNE. Monsieur Delépine, voulez-vous venir aux Tuilleries , pour nous dissiper un peu, nous en avons besoin. MONSIEUR DELEPINE. Très volontiers, je ne demande pas mieux. Ils s'en vont. ==================================================