******************************************************** DC.Title = L'AVOCAT CHANSONNIER, COMÉDIE DC.Author = CARMONTELLE, Louis de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:18:06. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CARMONTELLE_AVOCATCHANSONNIER.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AVOCAT CHANSONNIER. COMÉDIE. VINGT QUATRIÈME PROVERBE. 1822. de CARMONTELLE. À PARIS, chez DELONGCHAMPS, LIBRAIRE RUE DE LA FEUILLADE, n°2, près de la Place des Victoires. PERSONNAGES MONSIEUR DE LA BARRE, avocat. MONSIEUR DE LA MOTTE, ami de Monsieur de la Barre. MADAME POURSUIT, plaideuse. LA PIERRE, laquais de M. de la Barre. La scène est dans le cabinet de Monsieur de la Barre. Extrait de PROVERBES DRAMATIQUES DE CARMONTELLE précédé de la vie de Carmontelle (...), chez DELONGCHAMPS libraire, Tome Premier, 1822. pp. 317-355 L'AVOCAT CHANSONNIER SCÈNE PREMIÈRE. Monsieur de La Barre, La Pierre. MONSIEUR DE LA BARRE, entrant. N'est-il venu personne ? LA PIERRE. Non, monsieur ; voilà seulement une lettre qu'on a apportée. MONSIEUR DE LA BARRE. Ah, c'est de Dupuis ! Décachetant la lettre.Qu'est-ce qu'il veut ? Il lit.Un café chez madame Dourci ! Je ne serais pas fâché d'en avoir un. Qui est-ce qui connaît madame Dourci ?... Ah, Duval ! Je m'en vais lui écrire. Il se met à écrire. LA PIERRE. Monsieur ne veut rien ? MONSIEUR DE LA BARRE. Attendez. Il écrit. LA PIERRE. C'est que j'irais chercher la robe-de-chambre qui est chez le dégraisseur. MONSIEUR DE LA BARRE. Il est bien question de cela ! Il écrit. LA PIERRE. Votre bonnet carré n'a plus de houppe ; elle est perdue. MONSIEUR DE LA BARRE. Écoutez-moi ; savez-vous où demeure Monsieur Duval ? Il cachète sa lettre. LA PIERRE. Monsieur Duval ? MONSIEUR DE LA BARRE. Oui. LA PIERRE. Oh, oui, monsieur ; c'est un grand homme maigre. MONSIEUR DE LA BARRE. Eh non ; c'est Monsieur Duplessis que vous voulez dire. LA PIERRE. Ah, oui ! C'est que ces deux noms-là se ressemblent ; je les confonds toujours. MONSIEUR DE LA BARRE. Eh bien, savez-vous à présent ? LA PIERRE. Oh, je trouverai bien. MONSIEUR DE LA BARRE. N'est ce pas dans le cloître ?... LA PIERRE. Des Cordeliers ? MONSIEUR DE LA BARRE. Imbécile, vous voulez qu'il loge dans le cloître d'un couvent ? Non, c'est dans le cloître.... Un nom qui finit en é. LA PIERRE. Saint-Benoît ? MONSIEUR DE LA BARRE. Non, Saint.... Saint.... LA PIERRE. Saint-Méry ? MONSIEUR DE LA BARRE. Non, non, Saint... LA PIERRE. Notre-Dame ? MONSIEUR DE LA BARRE. Non. Ah ! C'est Saint-Honoré ? LA PIERRE. Saint-Honoré ? MONSIEUR DE LA BARRE. Oui. LA PIERRE. J'y ai été plus de cent fois ; c'est chez monsieur.... MONSIEUR DE LA BARRE. Monsieur Duval. LA PIERRE. Monsieur Duval ? Je n'y ai jamais été. MONSIEUR DE LA BARRE. Cela ne fait rien. Portez-lui cela ; et ne revenez point sans réponse. Il lui donne la lettre. LA PIERRE. Oui, Monsieur. Il sort. MONSIEUR DE LA BARRE. La Pierre, vous apprêterez mon habit de velours ciselé. LA PIERRE. Oui, monsieur. Il s'en va. MONSIEUR DE LA BARRE. La Pierre ! LA PIERRE. Monsieur ? MONSIEUR DE LA BARRE. Et ma perruque neuve à boucles en roses, vous savez bien ? Passez chez le perruquier. LA PIERRE. Oui, oui, monsieur. MONSIEUR DE LA BARRE. Parbleu, je serai charmé de voir un des cafés de Madame Dourci. LA PIERRE, revenant pour annoncer. Monsieur de la Motte. MONSIEUR DE LA BARRE. Quoi, vous n'êtes pas encore parti ? LA PIERRE. Je m'en vais, je m'en vais. SCÈNE II. Monsieur de La Barre, Monsieur de La Motte. MONSIEUR DE LA BARRE. Ah! bonjour, la Motte. MONSIEUR DE LA MOTTE. Eh bien, comment t'en va? MONSIEUR DE LA BARRE. Fort bien. Et toi, t'es-tu amusé à la campagne ? MONSIEUR DE LA MOTTE. Oui, assez, mais, ma foi, le mauvais temps nous a chassés. MONSIEUR DE LA BARRE. Ah çà, dis moi un peu, où soupes-tu ce soir ? MONSIEUR DE LA MOTTE. Moi ? Pourquoi cela ? MONSIEUR DE LA BARRE. Mais voyons. MONSIEUR DE LA MOTTE. Chez madame Desglands. MONSIEUR DE LA BARRE. Es-tu prié ? MONSIEUR DE LA MOTTE. Oui, et voilà la cinquième fois ; j'avais toujours refusé. MONSIEUR DE LA BARRE. Et bien, il faut que tu refuses encore. MONSIEUR DE LA MOTTE. Mais j'ai accepté ; cela ne se peut pas. MONSIEUR DE LA BARRE. Il faut manquer de parole. MONSIEUR DE LA MOTTE. Je ne le peux pas, te dis-je. MONSIEUR DE LA BARRE. Va donc t'excuser. MONSIEUR DE LA MOTTE. Pourquoi cela ? MONSIEUR DE LA BARRE. C'est que je veux absolument te mener souper quelque part, où tu seras bien aise d'aller. MONSIEUR DE LA MOTTE. Mais encore, où cela ? MONSIEUR DE LA BARRE. Chez madame Dourci. MONSIEUR DE LA MOTTE. Je ne la connais pas. MONSIEUR DE LA BARRE. C'est un café. MONSIEUR DE LA MOTTE. À un café ? MONSIEUR DE LA BARRE. Oui, je n'en ai jamais vu ; on dit que c'est charmant ! Nous irons ensemble. MONSIEUR DE LA MOTTE. Tu la connais donc ? MONSIEUR DE LA BARRE. Non ; mais Duval est son ami de tous les temps. Je viens de lui écrire ; et sûrement il nous y mènera avec plaisir. MONSIEUR DE LA MOTTE. J'aurais grande envie d'y aller. MONSIEUR DE LA BARRE. Moi, cela me tourne la tête ; et je ne veux pas manquer cette occasion-ci. MONSIEUR DE LA MOTTE. Mais, aimera-t-elle à voir comme cela deux inconnus, Madame Dourci ? MONSIEUR DE LA BARRE. Elle nous connaît tous les deux; et il y a longtemps que je sais qu'elle désire que j'aille chez elle. MONSIEUR DE LA MOTTE. C'est que Madame Desglands sera fâchée. MONSIEUR DE LA BARRE. [Note : Whist : Sorte de jeu de cartes qui se joue à quatre personnes, deux contre deux ou à trois, avec un mort. [L]]Tu y souperas un autre jour. Compare la différence qu'il y a d'être à un café, où l'on s'amuse, à souper froidement dans une maison, pour faire un whist le plus triste du monde. MONSIEUR DE LA MOTTE. C'est vrai. Allons je vais me dégager : je lui dirai la raison tout simplement ; elle est bonne femme ; elle y consentira. MONSIEUR DE LA BARRE. À quelle heure seras-tu revenu ? MONSIEUR DE LA MOTTE. Mais, à huit heures et demie. Voyons ta montre : la mienne va bien. MONSIEUR DE LA BARRE. Ils comparent leurs montres.Elles vont de même. MONSIEUR DE LA MOTTE. Me mèneras-tu ? Ou veux-tu que je te mène. MONSIEUR DE LA BARRE. Je te mènerai. Il y a ici près des fiacres tant qu'on en veut. MONSIEUR DE LA MOTTE. Allons, je serai bientôt ici. Il s'en va. MONSIEUR DE LA BARRE. Ne perds pas de temps ; sûrement nous nous amuserons. SCÈNE III. Monsieur de La Barre, La Pierre. MONSIEUR DE LA BARRE, regardant ses papiers. Ma foi, je verrai cela une autre fois. Ah ! Voici La Pierre. Eh bien ? LA PIERRE. Monsieur, il n'y était pas. MONSIEUR DE LA BARRE. Tu n'as point de réponse ? LA PIERRE. Monsieur, l'on m'a envoyé dans la rue... Attendez... MONSIEUR DE LA BARRE. Et qu'est-ce que cela fait ? LA PIERRE. Enfin je l'ai trouvé. Il jouait ; il a lu votre lettre, et puis il a écrit. MONSIEUR DE LA BARRE. Donne donc. LA PIERRE. C'est que c'est une si petite lettre, que tout le long du chemin j'ai eu peur de la perdre ; mais la voilà. MONSIEUR DE LA BARRE. Voyons, voyons. Il lit.« Il ne m'est pas possible, mon cher de la Barre, de vous mener chez madame Dourci. Quelqu'un vous a desservi auprès d'elle ; car elle m'a parlé de vous avec humeur et dédain. Croyez que je ferai de mon mieux pour.. » Hum. Et une autre fois... Hum. Le diable l'emporte ! LA PIERRE. Monsieur, je m'en vais apprêter votre habit de velours ciselé. MONSIEUR DE LA BARRE. Je n'en ai que faire. LA PIERRE. Votre perruque à roses va arriver. MONSIEUR DE LA BARRE. Allons, va-t'en, et laisse-moi. LA PIERRE. Le perruquier a tout quitté pour vous... Oh ! Il vous aime bien. MONSIEUR DE LA BARRE. Allons donc. Il le chasse. SCÈNE IV. MONSIEUR DE LA BARRE, lisant la lettre de Monsieur Duval. Avec humeur et dédain ! C'est un peu fort, Madame Dourci. Ah, parbleu !... Elle croit que je me soucie de son café... Non, sûrement, je n'irai pas... J'enrage... Je me vengerai ou je ne pourrai... Il rêve.Oui, fort bien, Madame Dourci, vous vous repentirez de votre dédain. Un bon couplet... Voilà la meilleure idée du monde. Écrivons. Il se met à écrire en chantant. Prenons un air connu. Ah ! Celui-ci : Il n'est qu'un pas du mal au bien. En chantant.Chez Dourci tout plaît, tout engage ;On dit qu'elle sait tout charmer....Elle ne peut pas se plaindre de cela. (Riant.)Qu'on ne peut la voir sans l'aimer. Riant.Qu'il est doux de lui rendre hommage ! Oh ! Mais c'est de la louange toute pure. Il est difficile d'être méchant quand on veut. Ah ! Ceci sera bon.Que l'adorer est le vrai bien. Je n'en crois rien ,Je n'en crois rien.À merveille ! À merveille ! Il se lève et se promène en chantant.Je n'en crois rien,Je n'en crois rien.Bien, bien ! Je n'en crois rien.Je n'en crois rien.Il faut en faire un second. Il s'assied, et il écrit en chantant.Que de ses yeux le doux langage,En faisant former mille voeux... SCÈNE V. Monsieur de La Barre, La Pierre. LA PIERRE, annonçant. Monsieur, Madame Poursuit. MONSIEUR DE LA BARRE, chantant. Rend l'amant respectueux. LA PIERRE. Monsieur ? MONSIEUR DE LA BARRE. Qu'est-ce que tu veux ? LA PIERRE. Madame Poursuit demande à vous parler. MONSIEUR DE LA BARRE, chante. Sans oser dire davantage. LA PIERRE. La laisserai-je entrer ? MONSIEUR DE LA BARRE. Non. Je suis en affaire. SCÈNE VI. Monsieur de La Barre, Madame Poursuit. MADAME POURSUIT. Oh, en affaire ! Il n'y a pas d'affaire qui tienne devant la mienne, Monsieur ; il faut que vous ayez la bonté de m'écouter. MONSIEUR DE LA BARRE, chante entre ses dents. Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Qu'est-ce que vous dites donc, Monsieur ? MONSIEUR DE LA BARRE. Je dis que vous ayez la bonté de vous asseoir ; que votre mémoire est fait ; qu'il est chez l'imprimeur, et qu'il faut que vous attendiez qu'il soit distribué pour demander une audience. Voilà dans ce moment-ci tout ce que vous avez à faire, et tout ce que je peux vous dire. Il reprend sa plume, et chante tout bas en composant. MADAME POURSUIT. Monsieur, c'est un nouvel incident qui m'arrive ; on attaque mes moeurs, ma réputation. MONSIEUR DE LA BARRE, chantonnant. Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Mais, Monsieur, vous n'en croyez rien ; il faut pourtant bien que vous le croyez, puisque c'est vous qui me défendrez. MONSIEUR DE LA BARRE. Je n'en crois rien, Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Comment, comment, vous n'en croyez rien ? Quoi, Monsieur, vous refuseriez de prendre la défense d'une femme malheureuse ? Cela serait barbare. MONSIEUR DE LA BARRE. Je vous demande pardon : je ne vous dis pas cela. C'est une autre affaire que j'ai dans la tête, et pour laquelle je fais un mémoire actuellement..... . MADAME POURSUIT. Mais la mienne est plus ancienne. MONSIEUR DE LA BARRE. Oui, c'est vrai. Vous pouvez toujours parler. MADAME POURSUIT. Monsieur, vous connaissez tous mes procédés vis-à-vis de mon mari; et tout le monde sait que je suis une honnête femme. MONSIEUR DE LA BARRE, chantonnant. Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Comment donc ! Vous en douteriez ? MONSIEUR DE LA BARRE. Non, non ; continuez. MADAME POURSUIT. Pendant dix ans que j'ai été avec mon mari, j'ai eu dix enfants dont il m'en reste quatre, et tous quatre sont de lui sûrement. Cependant... MONSIEUR DE LA BARRE, chantonnant. Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Monsieur, vous m'insultez. MONSIEUR DE LA BARRE. Moi ? Comment donc ? MADAME POURSUIT. Quoi, monsieur, à tout ce que je vous dis vous répondez toujours, je n'en crois rien ! MONSIEUR DE LA BARRE. Eh non, Madame ; ce n'est pas à vous, encore une fois ; ce sont des notes que je fais à un mémoire. MADAME POURSUIT. Des notes, des notes ! Faites-en sur ce que je vous dis. MONSIEUR DE LA BARRE. Ne vous inquiétez pas ; continuez, je vous prie. MADAME POURSUIT. Mes enfants sont devenus grands, et mon mari est mort. MONSIEUR DE LA BARRE, chantant. Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Mais, monsieur, vous savez bien qne je suis veuve ? MONSIEUR DE LA BARRE. Veuve ? Oui, oui. MADAME POURSUIT. Depuis que mon mari est mort, je ne puis plus tenir mes enfants dans le respect ; le plus grand, qui est majeur, m'accuse de l'avoir fait périr faute de secours. MONSIEUR DE LA BARRE, chantant. Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Mais vraiment, vous avez bien raison. Le pauvre homme ! Je l'aimais si tendrement ! Elle pleure. MONSIEUR DE LA BARRE, chantant. Je n'en crois rien, Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Cela est pourtant bien vrai, Monsieur. MONSIEUR DE LA BARRE, chantant. Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT. Monsieur, on n'a jamais traité une honnête femme comme vous faites. MONSIEUR DE LA BARRE, chantant. Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MADAME POURSUIT, en colère, et se levant. Vous m'insultez, Monsieur, vous m'outragez ; je m'en plaindrai à Monsieur le premier président. MONSIEUR DE LA BARRE. De quoi donc ? MADAME POURSUIT. C'est affreux à vous ! Une pauvre veuve ! Oui, monsieur, vous me rendrez tous mes papiers ; vous ne plaiderez plus pour moi. MONSIEUR DE LA BARRE. À la bonne heure, Madame. MADAME POURSUIT. Il n'y a pas à dire à cela, je n'en crois rien ; je vais faire dresser une requête contre vous. MONSIEUR DE LA BARRE. Faites, Madame, si vous pouvez. MADAME POURSUIT. Vous serez interdit. Elle s'en va. MONSIEUR DE LA BARRE. Nous verrons. MADAME POURSUIT, revenant. Oui, monsieur, interdit, interdit. Je vous en réponds. Adieu, adieu. Elle s'en va. MONSIEUR DE LA BARRE. La peste soit de la folle ! J'ai pensé ne pas pouvoir faire le dernier vers. SCÈNE VII. Monsieur de La Barre, Monsieur de La Motte, La Pierre. LA PIERRE, annonçant. Monsieur de la Motte. MONSIEUR DE LA MOTTE. Eh bien, allons-nous ? MONSIEUR DE LA BARRE. Assieds, assieds-toi là. MONSIEUR DE LA MOTTE. Mais il est huit heures et demie ; n'est-il pas temps ? MONSIEUR DE LA BARRE. Ma foi, si tu veux que je te dise, j'ai changé d'avis. MONSIEUR DE LA MOTTE. Quoi, nous n'irons pas au café ? MONSIEUR DE LA BARRE. Non, je ne m'en soucie plus. Nous nous ennuierions sûrement là. MONSIEUR DE LA MOTTE. Il ne fallait donc pas me faire dégager de chez madame Desglands. MONSIEUR DE LA BARRE. Qu'est-ce que cela fait ? MONSIEUR DE LA MOTTE. Cela fait tout. Elle m'a laissé aller, à condition que je lui rendrais compte de tout ce que je verrais. Que veux-tu que je lui dise ? MONSIEUR DE LA BARRE. Ce que je vais te dire. MONSIEUR DE LA MOTTE. Eh quoi ? MONSIEUR DE LA BARRE. Elle n'aime pas madame Dourci. MONSIEUR DE LA BARRE. C'est vrai. MONSIEUR DE LA BARRE. Ni moi non plus ; c'est ce qui m'a fait changer d'avis. MONSIEUR DE LA MOTTE. Mais il y a une heure que tu étais enchanté d'aller à son café. MONSIEUR DE LA BARRE. Oui ; mais j'ai fait bien des réflexions sur son café et sur elle-même. MONSIEUR DE LA MOTTE. Quelles réflexions ? MONSIEUR DE LA BARRE. Elle est vaine ; et au lieu de lui faire ma cour, j'ai imaginé une chose excellente. MONSIEUR DE LA MOTTE. Qu'est-ce que c'est ? MONSIEUR DE LA BARRE. J'ai fait trois couplets sur elle. MONSIEUR DE LA MOTTE. J'aimerais mieux voir son caFé. MONSIEUR DE LA BARRE. Bon, son café ! Pense donc comme elle sera désespérée. Tiens, tiens, écoute. Il chante.Chez Dourci, tout plaît, tout engage,On dit qu'elle sait tout charmer ;Qu'on ne peut la voir sans l'aimer ;Qu'il est doux de lui rendre hommage ; MONSIEUR DE LA MOTTE. Tu crois qu'elle sera désespérée de cela ? MONSIEUR DE LA BARRE. Que l'adorer est le vrai bien. MONSIEUR DE LA MOTTE. Mais c'est le plus honnête du monde. MONSIEUR DE LA BARRE. Je n'en crois rien, Je n'en crois rien. MONSIEUR DE LA MOTTE. Ah ! J'entends. Mais elle ne t'a rien fait. MONSIEUR DE LA BARRE. Je veux m'amuser ; écoute, écoute. Il chante.Que de ses yeux le doux langage,En faisant former mille voeux,Rend un amant respectueux,Sans oser dire davantage ; Que dans ses chaînes tout retient :Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. Ensemble.Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MONSIEUR DE LA MOTTE. Voici le troisième ; c'est toujours, on dit :Qu'elle est modeste, douce et sage,Et qu'elle inspire la gaîté ;Et que de la félicité,Tout en elle montre l'image ;Mais qu'elle craint un doux lien, Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. Ensemble.Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. MONSIEUR DE LA BARRE. Si tu m'en crois, tu ôteras son nom, et tu mettras, Doris, Cloris. MONSIEUR DE LA BARRE. Pourquoi ? MONSIEUR DE LA MOTTE. On saura toujours que c'est elle ; on le lui dira. MONSIEUR DE LA BARRE. Oui : quand le nom n'y est pas, on n'a rien à dire. Ne trouves-tu pas cette idée délicieuse ? MONSIEUR DE LA MOTTE. Oui ; mais j'aimerais mieux aller à son café. MONSIEUR DE LA BARRE. Bon, cela doit être insipide, ennuyeux ! Allons-nous-en plutôt chez madame Desglands. MONSIEUR DE LA MOTTE. J'y pensais. MONSIEUR DE LA BARRE. Elle sera charmée de ma chanson, par le plaisir qu'elle se promettra de la rage où sera madame Dourci. MONSIEUR DE LA MOTTE. Sûrement, et elle la fera courir tout Paris. MONSIEUR DE LA BARRE. Et quand on louera madame Dourci, qu'on dira qu'elle est délicieuse, charmante, tout le monde répondra :Je n'en crois rien, Je n'en crois rien.Ensemble en s'en allant.Je n'en crois rien,Je n'en crois rien. ==================================================