******************************************************** DC.Title = JUBA, ROI DE MAURITANIE, TRAGÉDIE DC.Author = CAMPISTRON, Jean Galbert de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 14/07/2023 à 20:11:34. DC.Coverage = Tunisie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/CAMPISTRON_JUBA.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** JUBA, ROI DE MAURITANIE TRAGÉDIE 1685 CAMPISTRON ACTEURS JUBA, Roi de Maurétanie. BARCÉ, Reine de Maurétanie, femme de Juba. PETREIUS, Général romain du parti de Pompée. OPPIUS, Général romain envoyé de César à Juba. THÉOCLE, Prince du sang de Maurétanie. NARBAL, Confident de Théocle. MÉROPE, Confidente de Barcé. La scène est à Zama, capitale de Mauritanie dans le palais de Juba. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. THÉOCLE, seul. Théocle, que fais-tu ? Quel mouvement t'agite ?Dans quels vastes projets, ton coeur se précipite ?Ne peux-tu réprimer la hauteur de tes voeuxEt de tes sentiments, l'effort impétueux ?Non ! Rien ne peut calmer l'ardeur qui me transporte Et plus je la combats, plus elle devient forte.Aux yeux de l'univers, elle doit éclaterEt tout, dans ce moment, conspire à me flatter.Narbal peut entrer dans cette confidence.Il vient, expliquons-nous et rompons le silence. SCÈNE II. Théocle, Narbal. THÉOCLE. La fortune, Narbal, répond à mes souhaitsPuisqu'enfin Scipion et Juba sont défaits,Le ciel dans nos climats, par une perte égale[Note : Pharsale : Ville de Thessalie d'une célèbre bataille qui eut lieu le 9 août -48 entre Pompée et César et qui la victoire de ce dernier.]Vient de renouveler le malheur de Pharsale ;Du reste des amis de Pompée immolé, Il dissipe le camp dans l'Afrique assemblé.Thapsus a vu leur déroute et la grande victoireQui fixe de César la fortune et la gloire.C'est au pied de ces murs qu'après de longs efforts,Scipion est tombé dans la foule des morts, Et l'on ignore encore dans ce désordre extrêmeLe sort des autres chefs et de Juba lui-même. NARBAL. Ainsi donc les malheurs de ce roi généreuxVous assurent, Seigneur, du succès de vos voeux ? THÉOCLE. Je m'en flatte du moins, et j'ai lieu de le croire. César me fera part des fruits de sa victoire.Il connaît dès longtemps mes sentiments pour lui,Et peut avec éclat les payer aujourd'hui.Il sait, lorsque Juba courût servir Pompée,Que je leur refusais mon bras et mon épée, Que toujours en secret soutenant son parti,Théocle un seul instant ne s'est point démenti.Prescrira-t-il de bornes à sa reconnaissanceAprès que, pour garants de mon obéissance,La Reine, ses trésors, cette ville et son fils Par moi-même en ses mains, auront été remis ?Dans les murs de Zama, Barcé n'a plus d'asile.Je suis maître des forts, du palais, de la ville,J'y commande ; je veux les livrer au vainqueurEt par ce grand présent, m'assurer de son coeur. NARBAL. La Reine, digne objet de l'estime publique,Son fils qui fait lui seul tout l'espoir de l'Afrique,Que ses traits au berceau, nous forcent d'admirer,Par vous-même à César se verraient-ils livrésEt soumis aux horreurs qui suivent l'esclavage ? Leur honte et leur malheur seront?ils votre ouvrage ? THÉOCLE. Je vais te découvrir jusqu'au fond de mon coeur.Dévoué dès l'enfance à la seule grandeur,Insensible aux plaisirs, plein de vastes pensées,Méprisant de l'amour les ardeurs insensées, Dévoré du désir d'égaler mes aïeux,Le brillant de leur trône a seul frappé mes yeux.Le ciel, pour m'y placer m'ouvre enfin une voie.Je me sens accablé par l'excès de ma joie.J'ai peine à soutenir les violents accès D'un espoir redoublé par un prochain succès.Je régnerai, Narbal. NARBAL. Vous voyez ma surprise.Seigneur, concevez-vous toute votre entreprise ?Vous allez conspirer contre un roi généreux,Un roi, par sa vertu seulement malheureux. Formés d'un même sang, unis depuis l'enfance.Puissant par son estime et par sa confiance,Maître de ses trésors, de son fils, de l'État,Vous formez contre lui le plus noir attentat.Pardonnez-moi, Seigneur, le zèle qui m'anime : Ne saurez-vous souffrir le projet d'un tel crime ? THÉOCLE. Ah ! Cesse d'employer ces termes odieux.Tout ce qui mène au trône est noble, et glorieux.Que dis-je ? ces égards, ces faits que tu rappelles,Pour me mortifier, sont des raisons nouvelles. Les bienfaits de Juba sont des affronts pour moi ;Je rougis, je frémis de ce que je lui dois.Mais que lui dois-je encore ? Quelque ombre de puissance,Des emplois, des honneurs qu'il donne à ma naissanceDont jaloux en secret, au lieu de m'élever, S'il l'osait entreprendre, il voudrait me priver,Car ne présume pas que ce soit par tendresseQue Juba, chaque jour, m'approuve et me caresse ;L'amitié pour les grands n'a point dicté ses lois,Le sang même sur eux a rarement des droits. Un monarque attentif à conserver sa place,Des princes de son sang craint l'orgueilleuse audace,Et les princes, brûlants de l'ardeur de régner,Sont prêts pour réussir de ne rien épargner :Cette soif par degrés devient plus inquiète. Plus on est près du trône, et plus on le souhaite,Et pour un roi timide, ou faible, ou malheureuxPlus ils sont élevés, plus ils sont dangereux.Nourris-toi, cher Narbal, de ces grandes maximes,Goûte-les. NARBAL. Mais Seigneur, sont-elles légitimes ? THÉOCLE. C'est moi qui t'en réponds. Repose-t'en sur moiEt par d'heureux efforts, fais que je sois ton roi.Exerce en ma faveur ton zèle et ta prudence,Et tu verras après... Mais la reine s'avance. SCÈNE III. Barcé, Théocle, Mérope, Narbal. BARCÉ. Prince, me fuyez vous ? dans l'état où je suis ? Dieux ! Vous me laissez en proie à mes ennuis,Du sort de mon époux, inquiète, incertaine,Mon coeur désespéré ne respire qu'à peine,Je souffre mille maux. Quel trouble ou quel effroiQuel intérêt enfin vous éloigne de moi. À quel autre que vous, en ce péril extrême,Confierai-je l'État et mon fils, et moi-même ?Quel autre peut ici faire entendre ma voix,Défendre, maintenir la majesté des rois,Et de Juba vaincu, relevant la fortune, Combattre et triompher pour la cause commune ? THÉOCLE. Je n'épargnerai rien pour remplir mon devoir,Madame, cependant je craignais de vous voir,Contraint de vous causer de nouvelles alarmes,Je voulais n'être point le témoin de vos larmes. BARCÉ. Oh ! Quel nouveau malheur devez-vous m'annoncer !Quoi ? Le courroux des dieux ne peut?il se lasser ? THÉOCLE. Madame, c'est en vain que je voudrais me taire,Et ma sincérité vous devient nécessaire.De quoi vous flattez-vous ? Osez-vous concevoir Qu'on puisse de César, balancer le pouvoir ?Ignorez-vous encore toute sa renommée ?Ne connaissez-vous point ce chef et son armée ?Qui ne tremble au récit de ses nombreux exploits ?La liberté ravie aux farouches Gaulois, Les pirates détruits, la Bretagne conquise,Malgré tant de héros, Rome entière soumise,Pompée enfin dompté, Caton même abattu,Forcent tous les mortels d'admirer sa vertu.Comment à sa grandeur, mettrons-nous des obstacles ? En sa faveur, le ciel prodigue des miracles :Il remplit ses soldats des plus hauts sentiments,Il fait à ses projets servir les éléments,Il imprime à son bras la force du tonnerre,Et sur les autres chefs renommés dans la guerre, Il donne à ce héros toujours victorieux,Le rang que Jupiter tient sur les autres Dieux.Madame, subissons l'ordre des destinées.Les nations au joug sont toutes condamnées.Il ne reste que nous. L'univers est soumis. Au lieu de les aigrir, gagnons nos ennemis.Autant aux orgueilleux, César est redoutable,Autant aux suppliants, il devient favorable.Enfin le seul parti qui puisse vous sauverSerait... BARCÉ. Ah ! C'en est trop ! Gardez-vous d'achever. D'un prince de mon rang est-ce là le langage ?Le fils de tant de rois se livre à l'esclavage,Et préfère à l'honneur qu'il est prêt d'acquérir,Un opprobre éternel dont il va se couvrir ?Faut-il que ce soit moi, prince qui vous rassure ? Profitez du bonheur de cette conjoncture.Combien de vos pareils voudraient trouver la mort,En cherchant les périls que vous offre le sort ?À quelques noms fameux que votre coeur aspire,Vous les méritez tous en sauvant cet empire. Songez qu'en travaillant à ce noble projet,Des yeux de l'univers vous devenez l'objet,Que le respect, l'amour, les hommages sincèresSeront de vos efforts, les suites nécessaires ;Que le peuple et la cour, tombant à vos genoux, Chercheront à vous plaire. Enfin, souvenez-vousQu'un prince, né sujet dans cet état sublime,Fait du destin des rois un essai légitime,Que le sort rarement fournit de tels emplois,Et qu'on est trop heureux d'en jouir une fois. THÉOCLE. J'admire le grand coeur que vous faites paraître,Vos vertus dès longtemps me l'avaient fait connaître.Je vous plains. Que ne puis-je, aux dépens de mes jours,Vous assurer, Madame, un utile secours ?J'en atteste les dieux et vous m'en devez croire, Mon coeur incessamment soupire après la gloire.Le sang dont nous sortons vous en répond pour moi,Si, malgré mes serments, vous doutez de ma foi.Mais sans soldats, sans chefs que pourrai-je entreprendre ?Verrons-nous nos guerriers renaître de leur cendre ? Les morts revivront-ils pour combattre pour nous ?Et d'un peuple timide, enfin, qu'espérez-vous ?César du monde entier ne fera qu'un empire.Vainement aux destins, on voudrait contredire,Et loin qu'un vain espoir doive nous éblouir, Sans honte à leurs décrets, nous pouvons obéir.Ce n'est que s'il s'offre encore quelque voieDe vous sauver des maux que le ciel vous envoie,D'éloigner les horreurs qui vous font soupirer,Je n'entreprenne tout pour vous en délivrer. Ce serait là ma gloire et mon bonheur suprême.Je suis de votre sort, plus touché que vous-même,Je vais vous consacrer et mon sang et mes soins,Mais que peut tout mon zèle en de si grands besoins ?Cependant, redonnez quelque calme à votre âme, Et tant que je vivrai, ne craignez rien Madame. SCÈNE IV. Barcé, Mérope. BARCÉ. Que je ne craigne rien ! Ah ! Comment penses-tuTremblant au fond de l'âme, affermir ma vertu ?Quand toutes les raisons que tu viens de me direMarquent les sentiments que la terreur t'inspire. Qu'ai-je entendu grands dieux ? l'aurai-je pu prévoir ?Et lorsque je l'entends, puis-je le concevoir ?Ah lâche prince indigne, âme basse et timide,Ou plutôt, n'es-tu pas moins faible que perfide ?Mérope, c'en est fait, mon coeur sent à la fois, De toutes les douleurs, l'insupportable poids :Mon époux est vaincu, j'ignore s'il respire,Les seuls murs de Zama composent son empire,Et mon fils au berceau ne peut trouver d'appuiPuisque Théocle tremble ou nous trompe aujourd'hui. MÉROPE. Madame, je conçois quelle est votre infortune,Elle pourrait abattre une âme plus commune,Mais la vôtre, plus grande encore que vos revers,Est faite pour servir d'exemple à l'univers.Vous blessez votre gloire en perdant l'espérance. Malgré tout son bonheur et toute sa puissance,César peut éprouver l'inconstance du sort,Peut-être verrons-nous ou sa chute ou sa mort[Note : Ibérie : autre de nom de l'Espagne romaine.]Les enfants de Pompée occupent l'Ibérie.Ils arment puissamment. Sa veuve Cornélie, Soulevant tous les rois que César a soumis,De ces rois révoltés, fera ses ennemis.L'indomptable Caton renfermé dans Utique,Vrai défenseur de Rome et de la république,Peut d'un ambitieux renverser les desseins. BARCÉ. Cesse de me flatter par des présages vains.Et que feront pour Rome et pour notre défense,Ces enfants généreux mais sans expérience ?De Cornélie en pleurs, la plainte et les vertusRendront-elles l'audace à ces rois abattus ? Ah ! Pourrai-je espérer, malgré sa renommée,Que Caton par ses soins rassemble une autre armée,Qu'il puisse réunir, encore sous nos drapeaux,Nos soldats fugitifs et des guerriers nouveaux.Caton est vertueux mais sa vertu farouche N'a rien qui persuade, ou qui plaise, ou qui touche.De son austérité, l'inflexible rigueurSait étonner l'esprit sans émouvoir le coeur.Constant avec excès, intraitable, intrépide,Il suit de ses transports le mouvement rapide, Il parle, il n'agit point, et sans nous secourir,Tu verras que Caton ne saura que mourir. MÉROPE. Ah ! Ne suffit-il pas que Juba vive encore ?Pour calmer justement l'ennui qui vous dévore ?Cet époux si chéri, ce roi si renommé Rassurera d'abord votre coeur alarmé.Un seul de ses regards vous remplira de joie. BARCÉ. Ah ! Si jamais le ciel veut que je le revoieN'en doute point, Mérope, un regard de ses yeux,Plus que tout l'univers me sera précieux. Je l'aime cet époux. Jamais une mortelleNe sentit un amour si tendre et si fidèle.Que dis-je, je l'adore, et Juba dans son coeur,Nourrit pour moi sans cesse une pareille ardeur.Mais nous ne brûlons pas de ces indignes flammes Dont les transports honteux empoisonnent les âmes,Que le temps, le caprice ou le remords détruitEt dont la force cesse au trouble qui la suit.Ce ne sont point des feux que les sens seuls forment,L'estime, la vertu, l'honneur les allument, Sans trouble, sans faiblesse et sans soupçon jalouxEt tels qu'ils devraient être entre tous les époux. MÉROPE. Vos fidèles ardeurs justement célébréesDe l'aurore au couchant sont partout admiréesOn les vante... BARCÉ. Eh ! Peut-on les vanter dignement ? On n'en saurait juger que par le sentimentEt dans un tendre coeur une flamme alluméeEst vivement sentie et jamais exprimée.Je l'éprouve et toujours je sens ma passionMille fois au-dessus de mon expression. Toujours des mêmes traits également frappée,Du même souvenir sans relâche occupée,Je crois à tout moment, voir Juba devant moi.Il me plaît, il me charme ; en effet je le vois,Je lui parle, il m'entend et dès que la nuit sombre Répand sur les humains ses pavois et son ombreSi mes yeux accablés, se livrent au sommeil,Juba leur est présent jusqu'à mon réveil.Cette nuit même encore après que mes penséesDans mon cerveau confus, sans ordre ramassées, Ont longtemps agité mes esprits et mes sens,Enfin après ce trouble et ces transports pressants,Au moment que l'aurore annonçait la lumière,La nature affaiblie a fermé ma paupièreEt par un prompt effort, soudain j'ai été voler Jusqu'aux lieux où César vient de nous accabler.J'ai vu les murs de Thapsus et ses champs détestables,Des deux camps irrités, les apprêts formidables,Des éléphants armés, et des forêts de dards,La fureur et la mort volant de toutes parts, Enfin toute l'horreur, le trouble et le carnageQui suivent des combats, le tumulte et la rage.J'ai vu Juba combattre et mon coeur a frémi,Je craignais pour lui seul chaque trait ennemi.De ces affreux objets fortement travaillée Par un tressaillement, je me suis éveilléeCriant à haute voix : dieux conduisez leurs coups,Accablez tout le reste et sauvez mon époux ! MÉROPE. Merveilleux mouvements que l'amour vous imprime.Vit-on rien de plus fort ? BARCÉ. Ce que je viens de dire N'est qu'un faible crayon des transports redoublésDont mon coeur, mon esprit et mes sens sont troublés.On n'en peut concevoir toute la violence.Mais d'autres soins ailleurs demandent ma présence.Allons revoir mon fils, ce cher fils dont les traits Me rappellent l'objet en qui je me complais.Enfin pour satisfaire ma tendresse extrême,Allons revoir Juba dans un autre lui-même. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Barcé, Mérope. BARCÉ. Je l'avais bien prévu : de nos malheurs troublé,Caton au désespoir s'est lui-même immolé, Et de ses propres mains, s'est arraché la vie.Voilà de quel succès son audace est suivie.Voilà ce qu'ont produit ces superbes discours,Ces sentiments pompeux qu'il étalait toujours.À son âme cédant, comme une âme commune, N'a bravé que la mort et non pas la fortune.Je n'ai jamais douté du parti qu'il prendrait,Pour éviter les fers, j'ai jugé qu'il mourrait,Mais sans penser à nous, sans venir nous défendre,Satisfait de l'honneur de mourir sans se rendre. Voilà tout le secours que nous tirons de lui. MÉROPE. Vous en avez Madame, un plus sûr aujourd'hui :Juba vit. Échappé de l'horrible mêlée,D'où, malgré sa valeur tant de fois signalée,Il fallut obéir à l'ordre du destin ; En combattant toujours, il s'ouvrit un chemin,Et l'ombre de la nuit favorisant sa fuite,Ce grand roi, des vainqueurs évita la poursuite.Pour vous défendre encore, les dieux l'ont conservé.On sait qu'avec Juba, Petreius s'est sauvé, Ce général romain, dont l'amitié fidèle,A montré pour le roi, tant d'ardeur et de zèle,Ce chef par mille exploits justement renommé,Dans les travaux guerriers dès l'enfance formé,Soutiendra jusqu'au bout la liberté romaine Et d'un roi son ami, la grandeur souveraine.Un homme tel que lui, prudent et valeureux,Fait quelquefois revivre un parti malheureuxEt joignant à propos l'adresse et la vaillance,D'un empire abattu, relever l'espérance. BARCÉ. Oui, défiant César et le sort en courroux,Petreius, constamment vient combattre avec nous.J'en conçois, je l'avoue, un favorable augure,Mais c'est Juba vivant surtout qui me rassure,C'est lui seul qui ranime et soutient mon espoir. Non je ne craindrai plus, si je puis le revoir,Son courage éprouvé parmi tant de traversesRegardant du même oeil, les fortunes diverses,Versera dans mon coeur, portera dans ces lieux,L'assurance qui règne et brille dans ses yeux. Mais n'est-ce point hélas, une vaine espérance ?À des rapports confus, puis-je avoir confiance ?Malgré ce qu'on m'a dit, j'appréhende toujours,[Note : Il est difficile de déchiffrer le dernier mot se terminant par 'rses'.]Je ne puis m'empêcher de trembler pour ses jours.Pour le croire vivant, il faut que je le voie Et, jusque là, mon coeur se refuse à la joie.Que fait-il ? et quel soin peut retarder ses pas ?Il sait mes sentiments et je ne le vois pas ;N'est-il pas convaincu que sa seule présencePeut de mes déplaisirs calmer la violence ?1 Qui peut le retenir ? MÉROPE. Mille soins différents,Il rassemble ses chefs et ses soldats errants,Assure leur retraite, anime leur courage,Et jusque dans ces murs, il leur ouvre un passage.Mais Théocle paraît... SCÈNE II. Barcé, Théocle, Mérope, Narbal. THÉOCLE. Madame, grâce aux dieux, Juba doit dans une heure arriver dans ces lieux.Les fuyards qui, cherchant un favorable asile,De toutes parts en foule entrent dans cette ville,L'ont laissé traversant ces immenses forêtsOù le soleil brûlant ne pénètre jamais Et que de noirs sentiers, et presque impénétrables,À des yeux étrangers rendent impraticables.Petreius l'accompagne, ils arrivent tous deux.La présence et les soins de ce Romain fameux,Doivent flatter du roi les voeux et le courage. Je ressens votre joie et mon coeur la partage.Madame, je le sais, mais puis-je vous celerQue la foi dans les coeurs commence à s'ébranler.Trop fortement frappés du sort qui les menace,On voit leur feu s'éteindre et mourir leur audace. J'ai remarqué leurs yeux troublés et chancelants,Les plus fiers m'ont paru timides et tremblants.Ils sont tous pénétrés de si vives alarmes...[Note : Fin du manuscrit définitif. La suite est la transcription du brouillon avec les corrections et ajouts quand ils sont déchiffrables. Huit vers manquants (d'après les numéros en marge).] BARCÉ. Tous, en voyant Juba, ne penseront qu'aux armes,Tous sentiront renaître une nouvelle ardeur, Tous voudront de l'État relever la splendeur.Et secondant du roi la généreuse envie,Pour changer sa fortune, risqueront leur vie.C'est ces mêmes soldats dont Juba tant de foisÉprouva la valeur et vanta les exploits. Et par d'heureux efforts, ils vous feront connaîtreQu'ils aiment leur devoir, leur patrie et leur maître.Je vais de son salut, remercier les dieux,Nous montrer partout, visiter tous les lieux.Alors, vous m'exhortiez tantôt à ne rien craindre. Je vous presse à mon tour, puisqu'il ne faut rien feindre,De changer vos discours, de bannir vos terreurs,De les faire oublier par de nobles fureurs,D'imiter votre roi si vous aimez la gloire,En cherchant, sur ses pas, la mort ou la victoire. SCÈNE III. Théocle, Narbal. THÉOCLE. Oui, je l'imiterai. Tu n'en douteras pas.Je chercherai la gloire ailleurs que sur ses pas.Tu sauras à quel point l'ambition m'anime.Il faut, en t'accablant, mériter ton estime.Il faut, en éclairant ton esprit prévenu, Te forcer d'avouer que tu m'as mal connu.Quel mépris, quel orgueil d'une âme trop hautaine !Juge autrement de moi, fière et superbe reine !Forme de grands projets ; espère qu'en ce jour,Tes malheurs vont finir par un heureux retour. Compte de voir bientôt les troupes ramassées.Conçois sur cet espoir d'agréables pensées,Attends tout de Juba, suivi de Petreius.Tu te flattes en vain. Tu ne les verras plus. NARBAL. Comment Seigneur ?[Note : À partir d'ici, les vers ne sont plus numérotés.][Note : Insertion de quatre vers en marge illisibles.] THÉOCLE. Je cède aux transports de ma rage. Croit-elle impunément soupçonner mon courage ?Ah ! Je lui prouverai par d'éclatant effets,Qu'un courage inflexible a conduit mes projets.Je n'ai que trop longtemps tyrannisé mon âmeEn réprimant l'excès de l'ardeur qui m'enflamme, En dévorant l'espoir dont je suis animé,En contraignant le feu dont je suis consumé.Ne délibérons plus : voici le temps propice.Il faut que mon dessein paraisse et s'accomplisse.Juba vient dans ces murs rétablir son pouvoir ; Renversons cette idée et trompons son espoir.De ces lieux pour jamais défendons-lui l'entrée.Qu'il erre fugitif de contrée en contréeTandis que sur son trône assis et glorieux,Je n'aurai devant moi que César et les dieux. NARBAL. C'en est donc fait, Seigneur, l'ambition vous guide,Vous vous abandonnez à ce penchant rapide ?Vous dévorez l'objet dont vous êtes épris,Vous brûlez de régner sans songer à quel prixL'aveugle passion dont l'ardeur vous enflamme, Ferme vos yeux sur tout, seule occupe votre âme.Vous n'écoutez plus rien que ses conseils flatteurs. THÉOCLE. Elle seule a toujours entraîné les grands coeurs.Enfin, je veux régner et tout me favorise.Est-il temps de quitter cette grande entreprise Au moment que je vais en recueillir les fruits ;Au moment que je tiens l'objet que je poursuis ?Tout condamne Juba, sa hauteur indiscrète,Sa haine pour César et surtout sa défaite.Si le ciel eu voulu qu'il revint en ces lieux, Il l'eut fait du combat sortir victorieux.Il est proscrit. Faut-il que ma main le couronne,Et dois-je le servir quand le ciel l'abandonne ?Je suis maître en ces lieux plus que l'était le roi.Le peuple, et les soldats n'obéissent qu'à moi. Le sort par ses décrets toujours irrévocablesNe donne pas souvent ces moments favorables.On les souhaite en vain quand on les a perdusEt passés une fois, ils ne reviennent plus.Tu sais que de Zama, j'ai fait fermer les portes. Il n'en reste que deux mais sûres et si fortesQu'il n'est point de valeur qui les ose insulterEt que, sans un long siège, on ne peut emporter.Je vais défendre l'une et tu défendras l'autre.Le courage du peuple, animé par le nôtre Résistera sans peine à l'impuissant effortD'un roi qu'ont abattu les disgrâces du sort.Que fera contre moi le débris pitoyableD'un camp déjà vaincu que l'infortune accable ?Que feront pour Juba des soldats dispersés Que le danger, la crainte et la fuite ont lassés ? NARBAL. Ah ! Pouvez-vous Seigneur concevoir l'espéranceQue Juba contre vous se verra sans défense,Que ses chefs, ses soldats, tous manqueront de foi ? THÉOCLE. Oui je le crois, Narbal. J'en juge mieux que toi. Du commun des soldats, je connais le courage.Ils marchent au péril où leur chef les engage,Ils s'y vont présenter avec le même front,Quand le sort favorable à leurs désirs répond ;Accoutumés à vaincre, ils s'exposent sans crainte, Mais battus, rebutés, leur âme n'est atteinteQue du pressant désir de finir leurs travauxEt de trouver chez eux la paix et le repos.Ne me réplique plus et laisse toi conduire ;Sers-moi dans un dessein que tu ne peux détruire, Dont la gloire et le fruit rejailliront sur toi.Je ne saurais plus vivre à moins que d'être roi.Ne perds point de temps. Va signaler ton zèle.Adieu. Moi je vole où mon destin m'appelle. SCÈNE IV. NARBAL, seul. Quel étrange projet ! Ciel qu'ai-je entendu ? Je ne puis rassurer mon esprit éperdu.Que va-t-il faire hélas ! Que veut-il que je fasse ?[Note : Quatre ou six vers illisibles au bas de la page.]Peut-on porter plus loin l'injustice et l'audace ?Infortuné Narbal ! Fatale extrémité !Moi j'irai accabler mon roi persécuté ? L'éloigner pour jamais des murs de cette ville,Son unique retraite et son dernier asile ?Ce serait me charger du plus noir des forfaits.Mais puis-je de Théocle oublier les bienfaits ?Ce prince relevant ma naissance commune Jusqu'aux premiers emplois a porté ma fortune.Il m'aima dès l'enfance et se fiant à moi...Mais je sais qu'en naissant, je dois tout à mon roi.C'est un devoir sacré dont rien ne me dispensePlus fort que la mort et que la reconnaissance, Commandé par les lois, imposé par les dieuxQui veulent que les rois soient respectés comme eux.C'est une loi commune et Théocle lui-mêmeEst soumis comme un autre à cet ordre suprême.S'il se rend criminel, dois-je le devenir ? Je pourrais... Je frémis à ce seul souvenir.Grâce au ciel, la vertu me conduit et m'animeEt je sens que mon coeur n'est point fait pour le crime.Le malheur de Juba m'attache encore à lui.S'il revenait vainqueur, on pourrait aujourd'hui Justement présumer qu'en prenant sa défense,J'aspirerai sans doute à quelque récompenseEt que l'ambition soutenant le devoir,Je serais entraîné par un flatteur espoir.En de pareils états, l'âme la plus commune Embrasse le parti qui mène à la fortune,Mais de Juba vaincu, les états sont détruitsEt les fers où la mort sont les uniques fruitsQue je doive espérer en cette conjoncture.Ah ! Que cette raison me touche et me rassure. Allons dieux ! Soutenez, en cette occasion,De vos justes conseils, cette heureuse impression. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. BARCÉ, seule. J'erre de toutes parts, inquiète et tremblante.De moment en moment, ma tristesse augmente.J'entends un bruit confus. Une secrète horreur Occupe mon esprit et règne dans mon coeur.Un noir pressentiment dont j'ignore la causeÀ tous ces mouvements m'asservit et m'expose.Tout m'effraie ou m'afflige et jamais le destinNe marqua pour personne un état moins certain. Je ne sais que résoudre en ce désordre extrême :Je tremble pour mon fils, je tremble pour moi-même.Mérope, par mon ordre, a couru s'informer.Quel est ce bruit soudain qui vient de m'alarmer ?[Note : Quatre vers illisibles (en bas de page).]Mérope ne revient point... Mais je la vois paraître. SCÈNE II. Barcé, Mérope. BARCÉ. Mérope, que sait-on ? Qu'as-tu pu connaître ? MÉROPE. Madame, je n'ai pu sortir de ce palais.La garde en est changée et j'ai vu tout auprèsDe soldats inconnus, une troupe empresséeDont les dards présentés m'ont toujours repoussée.2 BARCÉ. Qu'entends-je ? MÉROPE. J'ai remarqué de loin qu'à flots précipités,Le peuple et les soldats courent de tous côtés[Note : 4 Un demi-vers rayé, illisible.][Note : 5 Un mot illisible et un vers barré.]Et j'ai jugé par là qu'une guerre civileAgite les esprits et partage la ville. [Note : 2 Renvoi vers la marge illisible.][Note : 3 Quatre vers illisibles insérés au début.] BARCÉ. Juste ciel ! Suis-je donc prisonnière en ces lieux ?Ah ! Théocle a conduit ce projet odieux.Le traître, méprisant la grandeur souveraine,Comme une criminelle, enfermer sa reine !Dieux, vous gardez la foudre inutile en vos mains Et vous n'écrasez point les perfides humains.Vous laissez respirer les âmes sacrilègesQui violent des lois les plus saints privilèges. 1Mais quoi ? Le bruit redouble et s'approche d'ici.Allons ! Que mon destin soit bientôt éclairci. Viens. Auprès de mon fils, il est temps de me rendre.Allons offrir un sang qu'on brûle de répandre.Je me sens ranimer, plus le péril est grand.Que j'embrasse mon fils du moins en expirantEt que le même coup nous perce l'un et l'autre. MÉROPE. Ah ! Madame arrêtez. Quel dessein est le vôtre ? BARCÉ. Courrons. S'il faut mourir, je mourrai sans effroi.Tu vois qu'on vient à nous. SCÈNE III. Juba, Barcé, Mérope. MÉROPE. Madame, c'est le Roi. BARCÉ. Le roi ! JUBA. Le ciel, plus doux, près de vous me ramène,Madame, et les transports dont la douceur m'entraîne Me font sentir enfin dans vos embrassementsTout ce qu'ont les mortels de plaisirs plus charmants.[Note : Deux vers illisibles ajoutés en bas de page et quatre en marge gauche.] BARCÉ. Que vois-je ? où suis-je ? Ciel quel désordre en moi,Quels mouvements confus et de flamme et de joie !Je n'en puis soutenir les efforts trop puissants. Ils troublent ma raison et confondent mes sens. JUBA. Madame, revenez de ce trouble funeste.Reprenez vos esprits. BARCÉ. Ah ! Tout ce qui m'en resteNe saurait m'empêcher de répandre des pleurs.Combien j'en ai donné, Seigneur, à nos malheurs. Mais que ceux, que m'arrache un excès d'allégresse,Sont différents de ceux qu'arrachait la tristesse !Ciel ! Je vois mon époux et je puis l'embrasser.Félicité imprévue où je n'osais penser,Je ne me souviens plus de nos pertes passées. Par ce dernier bonheur, elles sont effacées. JUBA. Rendons grâce au ciel qui nous a réunisEt qui dans nos malheurs ont conservé mon fils. BARCÉ. Échappé jusqu'ici des périls de l'enfance,Ce cher fils ferait seul toute mon espérance. Mais Seigneur, vous vivez. Les dieux vous ont sauvé.Comment, par quels moyens vous ont-ils conservé ? JUBA. Madame, c'est l'effet de leur bonté suprême.Autant et plus que vous, j'en suis surpris moi-même.Vous savez le succès du combat malheureux Où malgré mille faits prudents et généreux,Le destin de César surmontant les obstacles,Confirma son bonheur par de nouveaux miracles.Il vainquit, mais jamais dans ses travaux guerriers,Il ne paya si cher sa gloire et ses lauriers. Tant que dura le jour, la victoire incertaineVola sur nos drapeaux et sur l'aigle romaineEt sans se déclarer, laissa les deux partisAccablés l'un par l'autre et presque anéantis.Chacun semblait reprendre une force nouvelle Quand Scipion frappé d'une atteinte mortelle,Expira sur le champ ; et ce fatal trépasFit gémir et trembler nos plus vaillants soldats.Ils perdirent courage et tournant en arrièreLe combat ne fut plus qu'une déroute entière Et Petreus et moi tentâmes mille foisDe les encourager du geste et de la voix.Ils n'entendirent rien. Ils prirent tous la fuite.Notre camp des vainqueurs retarda la poursuite :L'ardeur de le piller arrêta les Romains. Nous gagnâmes alors ces bois et ces cheminsDont on ne peut percer les sombres avenuesÀ moins que dès longtemps on ne les ait connues.La nuit favorisa nos voeux et nos projetsEt marchant sans relâche au travers des forêts, Après de longs travaux et mille affreuses peines,Nous parvenions enfin dans ces arides plaines,D'où les murs de Zama parurent à nos yeux. BARCÉ. Ciel... JUBA. Plein d'un doux transport, j'avance vers ces lieux,Je vole vers la porte avec impatience. [Note : Un vers barré remplacé par deux entre les lignes et quatre en marge illisibles.]Je me nomme d'abord. Oh comble d'insolence !Ils lancent contre moi leurs parricides traits.Je les menace en vain. Leur fureur continue.La troupe qui me suit, étonnée et éperdueNe sait quel parti prendre et cesse d'espérer. Sans perdre un seul moment, je la fais retirer.Je m'éloigne, et suivant la fureur qui m'emporte,D'un pas précipité, je cours à l'autre porte.À peine j'y parais que je la vois s'ouvrir.Chacun autour de moi s'empresse de courir. Je n'imagine point par quel secret mystère,On m'est en même temps favorable et contraire.D'un côté, l'on me chasse, et quand on me voit,On s'arme contre moi. De l'autre, on me reçoit,On me rend les honneurs dus à mon diadème. Je vois qu'on obéit à mon pouvoir suprême.Je m'approche. Mes yeux s'ouvrent en ce moment.Je comprends les raisons de cet événement.Je reconnais Narbal. Et son ardeur fidèleM'apprend que mon salut est l'effet de son zèle. Venez, dit-il, marchez et venez acheverCe que j'ai commencé, Seigneur, pour vous sauver.Ne perdons point de temps. Nous courrons à la placeQue, sans ordre, occupait toute la populace.Les uns étaient armés. Les autres interdits Observaient les premiers qui poussaient de grands cris.Quand Théocle, suivi d'une troupe perfide,Ose sur moi lever une main parricide.Il vient pour m'immoler. Je frémis de le voirTrahir mon amitié, son sang et son devoir, Et j'allais furieux le punir de son crime.Petreius me ravit cette juste victime.Il aborde ce traître et lui perçant le flanc,Le contraint de vomir son infidèle sang. BARCÉ. Faible punition d'un projet exécrable ! Dieux justes ! JUBA. Nous chargeons cette troupe coupable,Dont plusieurs accablés de honte et d'effroiN'osent plus soutenir les regards de leur roi.Sur les plus obstinés, notre valeur s'exerce.Ils tombent sous nos coups. Le reste se renverse Ou les genoux en terre, implorent ma bontéPour éviter le sort qu'ils auraient mérité.J'épargne des sujets abusés ou timides[Note : Insertion de quatre vers illisibles en marge.]Que j'ai cru que Théocle avait rendus perfidesJ'ai couru. J'ai laissé Petreius et Narbal Réglant tout dans ces murs avec un soin égalEt tout brûlant d'amour, je suis venu, Madame,Chercher l'unique bien qui peut flatter mon âme.Mais je vois Petreius... SCÈNE IV. Juba, Barcé, Petreius, Narbal. JUBA. Venez, venez Seigneur,Recevoir le tribut qu'on doit à votre coeur, À ce coeur généreux qui, si près de sa chute,Soutient un roi vaincu que le sort persécute. BARCÉ. Oui, si le roi respire, il ne le doit qu'à vous.Mais moi, Seigneur, mais moi, je vous dois mon époux.Vous savez de mes feux toute la violence, Vous n'avez qu'à juger de ma reconnaissance ! PETREIUS. Madame, en vous servant, j'ai fait ce que j'ai dû.Avec le sort du roi, mon sort est confondu.Les mêmes intérêts unissent nos fortunes,Et nous rendent la joie ou la douleur communes. Grâce aux dieux immortels, nous pouvons respirer :César et ses soldats n'auront pu pénétrerCes rochers, ces forêts que nous avons passées ;Ils ne sauraient sitôt les avoir traverséesEt nous aurons du temps pour nous fortifier. Les révoltés sont prêts à se sacrifier,Ils veulent effacer au dépend de leur vie,La honte et les remords dus à leur perfidie.Jamais on n'a montré tant de zèle et d'ardeurEt si par leurs discours, nous jugeons de leur coeur, Vous les verrez, Seigneur, passer notre espéranceEt, par de grands efforts, signaler leur vaillance.Lassés de nous frapper des plus terribles coups,Les dieux peuvent-ils se déclarer pour nous ?Pourquoi l'heureux César, jusqu'ici redoutable [Note : Insertion de deux vers illisibles en marge.]Obtiendrait-il encore un succès favorable ?1Enfin, à quelque excès que l'on soit abattu,On peut se relever à force de vertu. SCÈNE V. Juba, Barcé, Petreius, Mérope, Narbal. NARBAL. Tout est tranquille Seigneur. JUBA. Ah ! Que ton zèleEst digne, cher Narbal, d'une gloire immortelle ! Tu nous as sauvés. Que les dieux à jamaisPour te récompenser, épuisent leurs bienfaitsEt puisse ta vertu justement admirée,Être dans l'avenir chérie et célébrée ! NARBAL. Seigneur, je n'ai rien fait qu'obéir à mon roi. Le ciel m'en a prescrit l'indispensable loi.Mais apprenez Seigneur que déjà dans ces plaines,Nous avons aperçu quelques troupes romaines. JUBA. [Note : Deux vers barrés. Remplacés par deux vers entre les lignes et quatre en marge illisibles.]Cependant, je demande encore quelques instants.Pardonnez-moi mes tendres mouvements. À leur attrait puissant, la nature me livre.Je vais revoir mon fils, l'embrasser et vous suivre. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Juba, Petreius. JUBA. Vous le voyez Seigneur, nous nous flattions en vainQue César, retardé plus longtemps en chemin,Contraint par les détours d'un pays difficile, [Note : Deux vers ajoutés entre les lignes plus quatre en marge illisibles.]Ne pourrait s'approcher si tôt de cette ville.Il a tout surmonté. L'on voit de toutes partsSes troupes se ranger autour de nos remparts,Et je ne doute point qu'attaquant ces murailles,Il ne vienne cueillir le fruit de ses batailles. PETREIUS. Seigneur, je suis surpris de son activité.Je ne sais jusqu'ici quel démon l'a porté.Rien ne peut l'arrêter. Il part, il court, il vole,Passant comme un éclair de l'un à l'autre pôle,Toujours prêt à combattre, et toujours glorieux. Des périls les plus grands, il sort victorieux.[Note : Deux vers ajoutés illisibles. Le premier hémistiche du vers suivant est illisible.]Il fait briller partout où le destin l'engage,[Note : Deux vers ajoutés illisibles.]... ne peut trouver d'obstacle. JUBA. [Note : Le premier vers est illisible. Deux vers ajoutés illisibles.]Connaissez-vous, Seigneur, combien de nationsIl a soumis au joug avec six légions ? Qui n'a point ressenti l'effort de son épée ?Je songe quel était le parti de Pompée.Rome le soutenait, et tant de chefs romains,Tant de rois qui tenaient leurs états de ses mains,Tant d'autres alliés soumis ou tributaires, D'autres de sa vertu, partisans volontaires,Tout est mort. De ces chefs, il ne reste que nousEt je suis seul réchappé de ses coups.Mais loin d'être troublé par cette triste image,Elle anime au contraire et soutient mon courage. Peut-être le destin nous servira tous deuxPour confondre l'orgueil d'un vainqueur trop heureux.Pour venger l'univers qu'il a mis à la chaîne,Et relever la gloire et la fierté romaines.Ce qui me flatte encore et console mon coeur, C'est de n'avoir jamais fléchi sous le vainqueur.Et d'être résolu d'abandonner la vie,Sans la souiller jamais par la moindre infamie.Vous êtes, Seigneur, du même sentiment. PETREIUS. Je vais les confirmer par de nouveaux serments. Oui, j'atteste des dieux la majesté suprêmeQue j'aurai le plaisir de m'immoler moi-mêmeAvant que, de César, je subisse les lois. JUBA. Avant que d'obéir, je mourrais mille fois.Il est beau de mourir pour assurer sa gloire, Pour laisser après nous une digne mémoire,Et quand on a suivi la sévère équitéLa mort n'est qu'un passage à l'immortalité.Vous connaissez Seigneur, cette noble maxime.Rien ne peut affaiblir l'ardeur qui nous anime. Libre des tendres noms et de père et d'époux,[Note : Deux vers ajoutés illisibles.]Vous n'avez désormais à consulter que vous.Que vous êtes heureux, que je vous porte envie !Moi, que des noeuds sacrés attachent à la vie !Je la devrais, Seigneur, ménager pour mon fils, Reste de tant de rois et du sang d'Osiris.J'en dois tous les instants à l'adorable femmeDont les charmes divins peuvent tout sur mon âmeEt dont mille vertus dignes de nos autelsMéritent un hommage et des feux éternels. Quels combats, quels efforts pour me séparer d'elle,Pour son coeur, pour le mien, quelle atteinte cruelle ![Note : Deux vers ajoutés et d'autres en marge illisibles.]Je ne puis y penser seulement sans frémir.Laissez-moi seul Seigneur. Je veux quelques moments,Sonder, examiner mes divers mouvements. Je vous joindrai bientôt. PETREIUS. [Note : Deux vers illisibles ajoutés en haut de page.]Seigneur, je me retire.3Que je vous plains des maux dont votre âme soupire.J'en connais la rigueur, mais je ne doute pasQue la gloire toujours ne conduise vos pas. SCÈNE II. JUBA, seul. Moi je le jure encore et vous pouvez me croire : Que je suivrais toujours les conseils de la gloire.Mais qu'elle va me coûter d'effroyables tourments !Que dirai-je à la reine en ces tristes moments ?[Note : Les trois premiers mots sont barrés et remplacés par des mots illisibles.]Dans cette extrémité, comment lui faire entendre[Note : Deux vers ajoutés illisibles et deux autres en marge illisibles.]Toute l'horreur du sort que nous devons attendre ? Ciel, guide mon esprit durant cet entretien,Daigne assurer mon coeur et ramener le sien.Elle vient. Rappelons ma force et mon courage. SCÈNE III. Juba, Barcé. BARCÉ. En quels nouveaux périls le destin vous engage ?Faut-il Seigneur qu'à peine arrivé dans ces lieux, Un superbe vainqueur vous attaque à mes yeux ?Et que, dans nos remparts, sa haine opiniâtre,Pour défendre nos jours, vous force de combattre ! JUBA. Il n'en faut point douter : nous combattrons bientôt.Tout le camp ennemi se prépare à l'assaut. César et ses Romains, fiers de notre défaiteNe voudront point laisser leur victoire imparfaite. BARCÉ. C'en est donc fait. Voici le dernier des malheurs. JUBA. Barcé, calmez-vous et retenez vos pleurs.César jusqu'à ce jour, prompt, heureux, intrépide, N'a point trouvé de digue à sa course rapide,Mais malgré les lauriers qu'a moissonnés son bras,Il n'a point enchaîné le démon des combats,Il en peut éprouver l'inconstance communeEt du plus haut degré voir tomber sa fortune. Il est de ces revers mille exemples fameux,Mais comme ce vainqueur peut être encore heureux,Que je puis succomber sous un destin contraire,Il faut résoudre ici ce que nous devons faire.Pour moi, vous connaissez quels sont mes sentiments, Vous savez que la gloire et ses fiers mouvementsDès ma tendre jeunesse ont régné dans mon âme,Vous savez à quel point sa noble ardeur m'arme.Ainsi quelque parti que l'on puisse m'offrir,Il faut absolument triompher ou mourir. BARCÉ. Ne croyez pas Seigneur que mon coeur désavoue[Note : Deux vers barrés et remplacés par six autres illisibles.]Ce généreux dessein si digne qu'on le loue. JUBA. Ah ! Que me dites-vous ? Je l'ai promis Madame,J'ai toujours admiré la grandeur de votre âme.Mais ce n'est point ainsi qu'il me la faut prouver. BARCÉ. Ah ! Par où donc, Seigneur, voulez-vous m'éprouver ? JUBA. En vous faisant quitter le désir de me suivre,En changeant vos projets et vous forçant de vivre. BARCÉ. Qui moi ? je pourrai vivre en perdant mon époux ?Qu'ai-je entendu, Seigneur, pourquoi m'offensez-vous ? Que pensez-vous de moi ? Comment et par quel crimeAi-je pu mériter de perdre votre estime ? JUBA. Je ne m'attendais pas à ce cruel soupçonIl m'accable, Madame, et toute ma raisonEn ce moment fatal ne me soutient qu'à peine. Ne nous affligeons point par une plainte vaine.Libres des mouvements des vulgaires épouxDes reproches pareils ne sont pas faits pour nous.Nous connaissons nos coeurs et l'ennui l'un de l'autre.Vous répondez du mien et je réponds du vôtre. Ne perdons plus ici le temps à nous troubler.Calmez-vous donc, Madame, et m'écoutez.Si César nous surmonte et force cette ville,Je n'ai d'autre recours. Je ne vois pour asileQue l'espoir d'obtenir de sa seule bonté De tristes jours, sauvés par une indignité,Et de le suivre à Rome où, servant à sa gloire,À un char enchaîné, j'ornerai sa victoire ;Lorsqu'il ira, fameux par tant d'exploits divers,Triompher de Pompée et de tout l'univers. De cet horrible objet, mon âme est trop blessée ;Je n'en puis seulement concevoir la pensée.Je crois qu'elle suffit pour me déshonorerEt ce n'est qu'en mourant que je dois espérerDe conserver ma gloire à mes désirs si chère. BARCÉ. Et moi, Seigneur, et moi que faut-il que j'espère ?Suis-je pas exposée au même sort que vous ?La vie et le trépas sont communs entre nous. JUBA. Non ! Nous avons un fils dont par votre prudence,Vous avez élevé la précieuse enfance. Vous lui devez vos soins et, pour sauver ce fils,Il faut l'accompagner parmi nos ennemis.Plus vous aurez pour lui de tendresse et de zèle,Plus vous mériterez une gloire immortelle,Et ce qui dans les fers, serait honteux pour moi [Note : Deux vers ajoutés et deux autres en marge illisibles.]Sera pour vous, Madame, un glorieux emploi.Songez que pour ce fils dont vous êtes chargée,Cette mort qui m'attend peut être un jour manquée,Qu'il ne reste que lui du sang de tant de roisDont l'Afrique toujours a reconnu les lois, Qu'il sort d'un fils du dieu qui lança le tonnerre,Et que vous devez en rendre compte à la terre. BARCÉ. Faibles raisons, Seigneur, pour me persuader !Et sur un vain espoir puis-je tout hasarder ?Peut-être un jour, ce fils, sans vertu, sans courage, Élevé dans les fers, aimera l'esclavage. JUBA. Non, non ! Le sang qu'il tient et de vous et de moiLe forcera d'agir et de penser en roi.Et de vos sentiments, la grandeur noble et pureSaura bien s'il le faut, corriger la nature. Enfin j'attends de vous cet effort généreuxAu nom du tendre amour qui nous unit tous deux,Au nom de notre hymen et par ses chastes flammesQui règnent dans nos coeurs et conduisent nos âmes,Accordez cette grâce aux désirs d'un époux Qui n'a jamais brûlé ni vécu que pour vous.Cette grâce est des dieux un ordre légitime.Ne la pas accorder, c'est vous noircir d'un crime.Enfin pour vous en faire une plus sainte loi,Je l'exige en époux et je l'ordonne en roi. BARCÉ. Que vous êtes cruel si j'ose vous le dire,Pourquoi m'affligez-vous d'un éternel martyre ?Pourquoi... SCÈNE IV. Juba, Barcé, Petreius. PETREIUS. Venez, Seigneur, il est temps de marcher.De ces murs, les Romains viennent de s'approcher,Les béliers à leur tête. Allons sans plus attendre Monter sur les remparts que nous devons défendre.Je ne sais en secret quel présage enchanteurRedouble mon espoir et vient flatter mon coeur.Je crois que rien ne peut arrêter mon courage. JUBA. Je me sens animé par le même présage. BARCÉ. Hélas ! JUBA. Sur nos remparts, hâtons nous de courir.Adieu, Madame, adieu je vais vaincre ou mourir. SCÈNE V. BARCÉ, seule. Il me quitte ! Il me fuit ! Et je me vois réduiteAu lieu de la blâmer, d'applaudir à sa fuite.S'il montrait pour la gloire une moins vive ardeur, Serait-il estimable et digne de mon coeur ?Que je souffre, grands dieux ! Que je suis agitée !Par combien de tyrans suis-je persécutée !Ils déchirent mon âme et je sens tour à tourLa crainte, l'espérance et la gloire et l'amour. Malheureuse Barcé, quelle est ta destinée ?Ciel, en fut-il jamais de plus infortunée ?Que peux-tu faire hélas, à quoi te résous-tu ?Je sens qu'en cet état, je manque de vertu.Cet aveu met le comble à mon incertitude, Observons s'il se peut, du haut de ce palaisSi le sort du combat répond à mes souhaits. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Barcé, Mérope. MÉROPE. Oui, Madame, le ciel à nos désirs propice,Nous donne la victoire et soutient la justice.Jamais de deux côtés, on a mieux combattu. On remarquait partout une égale vertu.Les Romains irrités de tant de résistanceMontraient plus de ferveur encor que de vaillance.Nos chefs et nos soldats pour effacer l'affrontDont leur rébellion avait marqué leur front Ont porté la valeur aussi loin que leur crime.Les dieux ont secondé leur effort légitime.De nos murs, les Romains sont enfin repoussés.Les plus hardis d'entre eux sont morts dans nos fossés.Les autres, dans leur camp, rentrent en diligence. BARCÉ. [Note : Deux vers ajoutés et deux autres en marge illisibles.]Juba n'avait donc point une vaine espérance ?1Je respire, Mérope. Ah ! Mon coeur soulagéCommence de sentir que mon sort est changé.Digne bienfait des dieux ! Quoi ? Serait-il possibleQue nous puissions jouir d'un sort paisible ? MÉROPE. On l'espère, Madame, et de tous les côtésOn n'entend que des cris mille fois répétésQue portent jusqu'aux cieux la commune allégresse. SCÈNE II. Juba, Barcé, Mérope. JUBA. Le ciel répond, Madame, à l'ardeur qui me presseEt me renvoie à vous plus content que jamais. J'ai repoussé César. Mes voeux sont satisfaitsEt, quel que soit mon sort, j'aurai du moins la gloireD'avoir pour quelque temps, retardé sa victoire.Et peut-être ces murs sont le fatal accueilQui doit borner sa course et briser son orgueil. Quel que soit son courage, il n'est pas invincible.J'ai vu qu'à la valeur, il n'est rien d'impossibleEt que le juste ciel a soin de secourirCeux qui sont résolus de vaincre ou de mourir. BARCÉ. Oui, Seigneur, j'en conçois l'agréable pensée À la fin, la vertu sera récompensée,Nous jouirons du calme après tant de malheurs[Note : Quatre vers ajoutés illisibles.]Et je crois n'avoir plus à répandre des pleurs.1 SCÈNE III. Juba, Barcé, Narbal, Mérope. NARBAL. Oppius est déjà dans la salle prochaine.Seigneur, César l'envoie et Petreius l'amène. Il a par un héraut, fait devancer ses pas.À peine a-t-il paru que, lui tendant les bras,Petreius l'a reçu comme son ami fidèleDont à Rome autrefois il épousa le zèle. JUBA. Oppius, de César le plus cher confident, Guerrier infatigable et ministre prudent.Qu'a-t-il donc à me dire et que peut-il prétendre ? BARCÉ. Peut-être est-ce la paix qu'il nous en faut attendre ?S'il venait nous l'offrir. JUBA. Comment l'accepter ?Mais laissez-nous, Madame, il le faut écouter. SCÈNE IV. Juba, Petreius, Oppius, Narbal. PETREIUS. Voici le digne ami, Seigneur, et le seul hommeDont je pleurai l'absence en m'éloignant de Rome.Les partis différents que nous avons choisisN'ont point brisé les noeuds qui nous avaient unis.De la part de César, il vient nous faire entendre Quelles conditions nous devons attendre. JUBA. Je connais le mérite et le nom d'Oppius,Estimé de César, ami de Petreius.Je lui rends tout l'honneur que sa vertu m'inspireMais cependant Seigneur, qu'avez-vous à nous dire ? OPPIUS. [Note : Quatre vers ajoutés illisibles.]César, toujours humain, toujours généreux,Ne prétend point détruire un peuple malheureux,Ni voir périr un roi digne de son estimeDont la guerre aujourd'hui va faire sa victime.Avant que de forcer vos murs et vos remparts, Il veut vous épargner le dernier des hasards.Rendez-vous. De sa main, sauvez la couronne,Et conservez vos jours que sa bonté vous donne. JUBA. César fait voir ici sa générosité.Mais sommes-nous réduits à cette extrémité ? Et comment nous peut-il proposer de nous rendre,En venant d'éprouver que nous saurons défendreCes murs et ces remparts qu'il voudrait emporterEt dont notre valeur vient de le rebuter. OPPIUS. César était encore, Seigneur, loin de ces plaines, Quand Hircius menant quelques troupes romaines,A donné cet assaut assez mal concerté.Il a reçu le prix de sa témérité.Il est mort dans l'attaque. JUBA. Ah, que viens-je d'apprendre ! OPPIUS. César est arrivé qui n'a pu se défendre D'un mouvement soudain de trouble et de fureur ;Mais bientôt, ramenant le calme dans son coeur,Il flatte ses soldats, les presse, les appelle,Il prépare lui-même une attaque nouvelle,Et vous verrez, Seigneur, si vous les attendez Ce que sont les Romains par César commandés. JUBA. César et les Romains n'ont rien qui nous étonne.Mais quels titres, quels droits a-t-il sur ma couronneQue le sang m'a donnée et que je tiens des dieux ?Quel orgueil, quel démon le conduit en ces lieux ? Quels charmes trouve-t-il dans ce climat sauvage ?Je connais ses vertus, j'estime son courage,Mais que vient-il chercher ? qu'attend-il aujourd'hui ?Je suis né libre et roi. Je ne veux rien de lui.Son amitié, Seigneur, me serait précieuse Si ses conditions ne la rendaient honteuse.Qu'il s'éloigne de nous, qu'il quitte ces déserts.Je crains également ses présents et ses fers.Je refuse la paix au prix qu'il me l'annonce.Voilà mes sentiments. Porte-lui ma réponse. PETREIUS. Vous avez entendu ce que pense le roi,Seigneur et je n'ai plus qu'à répondre pour moi.Dès mes plus jeunes ans, vous devez me connaître :Je suis enfant de Rome et j'ai vécu sans maîtreEt connaissant ma vie, a-t-on lieu d'espérer Que j'en reconnaisse un pour me déshonorer ?Vous savez quels étaient les amis de Pompée.Ils ont tous confié leur sort à leur épée,Ils ont tous combattu jusqu'à l'extrémité,Et préféré la mort à la captivité. Vous m'avez offensé si vous avez pu croireQue pour sauver mes jours, je trahirai ma gloireEt, resté le dernier de ces chefs généreux,Je suivrai leur exemple et je mourrai comme eux. OPPIUS. Que je vous plains Seigneur ! PETREIUS. Ah pourquoi suis-je à plaindre ?Lorsque je sens mon coeur incapable de craindre !Quand César triomphant ne saurait m'étonner.Je vous plains des conseils que vous venez donnerVous qui, libre et romain, malgré votre courage [Note : Quatre vers ajoutés illisibles.]Vous livrant à César, embrassez l'esclavage. OPPIUS. Que dites-vous, Seigneur ? PETREIUS. Finissons ce discours.Il serait dangereux d'en prolonger le cours. OPPIUS. N'avez-vous donc plus rien l'un et l'autre à me dire ? JUBA. Non Seigneur. PETREIUS. Allons donc, je vais vous reconduire. SCÈNE V. Juba, Narbal. JUBA. Voici, mon cher Narbal, un cruel coup du sort,Mais pour défier son plus barbare effort,Plus je suis malheureux, plus le destin m'outrage,Plus je sens que les dieux augmentent mon courage.Je connais mon état sans en être abattu Et je rends grâce au ciel qui soutient ma vertu. NARBAL. Elle est rare, Seigneur et j'ai peine à comprendre... JUBA. Ah de ce dernier trait pourrai-je me défendre ?Je vois la Reine. SCÈNE VI. Juba, Barcé, Narbal. BARCÉ. Ah bien, Seigneur, qu'avez-vous fait ?Des offres de César, êtes-vous satisfait ? JUBA. Il veut de notre sort, être l'arbitre suprême,Que je tienne de lui le sacré diadème,Que je rende la ville et que, de sa bonté,Je reçoive la vie avec la liberté. BARCÉ. Ah ! Peut-il jusque-là porter la tyrannie ? Accabler un grand roi de tant d'ignominie ? JUBA. Vous le voyez, Madame, il faut nous préparerÀ soutenir l'assaut que l'on va nous livrer.Notre salut dépend de notre résistanceEt je cours m'opposer à César qui s'avance. BARCÉ. Hélas, Seigneur, hélas, je ne vous verrai plus. JUBA. Ne nous accablons point de regrets superflus,Ne nous épuisons pas en d'inutiles larmes,Et n'allez point, Madame, accroître mes alarmes,En pénétrant quel sort les dieux ont fait pour nous. Vous savez seulement ce que j'attends de vous.Vous savez désormais ce que vous devez faire.C'est un parti pour vous, glorieux, nécessaire,Vous ne trahirez point la gloire et mes désirs. BARCÉ. Grands dieux ! JUBA. Si vous m'aimez, contraignez vos soupirs, N'ajoutez point encore ce surcroît à ma peine.Viens, approche Narbal. Je te donne la reine.C'est un riche présent qu'un sujet tel que toi.Donne-lui chaque jour des preuves de ta foi.Accompagne mon fils, élève son enfance, Donne-lui des conseils dignes de sa naissance.Observe aussi la reine et ne la quitte pas.Enfin... NARBAL. Je vais, Seigneur, combattre sur vos pas. JUBA. Non. Je dois t'épargner ces dernières alarmes.J'ai besoin de tes soins et non pas de tes armes. L'emploi dont je te charge est bien plus importantQue celui de me suivre au péril qui m'attend.Je te laisse encore mon fils, je te laisse sa mère,Seuls objets de l'amour d'un époux et d'un père,Seuls biens sur qui je fonde encore quelque espoir. NARBAL. Quoi, Seigneur ? JUBA. Ta seule vertu répond de ton devoir.Ne me réplique point. Je sens que ma constanceEst près de succomber et craint votre présence.Madame, recevez mes plus tendres adieuxEt par vos voeux, pour nous intéressez les dieux. SCÈNE VII. Barcé, Narbal. NARBAL. Oh magnanime effet d'un courage suprême !Frappé de tant de maux, il est toujours le même.D'aucun trouble son coeur ne paraît combattu.Pouvez-vous, justes dieux, trahir tant de vertus ? BARCÉ. Dans ce fatal moment, je demeure immobile. Je ne me connais plus et je parais tranquille.Je sens que je me meurs : je ne puis respirer.Je n'ai plus même, hélas, la force de pleurer. NARBAL. Madame, je frémis du sort qui vous accable.Il faut, pour s'y soumettre, un courage indomptable Et cependant, fut-il plus cruel mille foisVous en devez subir les rigoureuses lois.Trahirez-vous d'un fils la précieuse enfance ?Tromperez-vous du roi la plus chère espérance. BARCÉ. Puis-je encore t'assurer de ce que je ferai ? Puis-je savoir encore ce que je deviendrai ?Les dieux m'inspireront et de leur voix secrèteMon ardeur pour leurs lois sera seule l'interprète.Il se forme surtout un funeste présage. SCÈNE VIII. Barcé, Narbal, Mérope. BARCÉ. Que m'apprends-tu Mérope et que deviendrons-nous ? MÉROPE. Le peuple et les soldats ont trahi votre époux.Ils attendaient la paix et croyant au contraireOppius renvoyé dans espoir de la faire,Pour éviter l'assaut, la peine et le danger,Ils ont avidement pris le joug étranger, Et couru vers César, suppliant et sans armes,S'efforçant d'apaiser le vainqueur par leurs larmes. BARCÉ. Les traîtres ! MÉROPE. Les Romains saisissant ce moment,Sont entrés dans la ville avec empressement.Petreius et Juba, pleins d'une noble rage, N'ont que d'un seul soldat ranimé le courage,Et, malgré leurs efforts, par la foule pressésJusqu'auprès du palais, ils ont été poussés.Alors Juba, frappé de sa honte prochaineEt voyant dans Zama voler l'aigle romaine, S'adresse à Petreius et lui dit : il est tempsD'assurer notre sort, d'accomplir nos serments.Petreius lui répond avec la même audace :Oui, Seigneur, prévenons l'horreur qui nous menace.Il s'embrassent tous deux. Ils se percent le sein Se prêtant l'un à l'autre une fidèle main,Et le ciel secondant leur généreuse envie,Dans l'instant, à nos yeux, ils sont tombés sans vie. BARCÉ. Ainsi donc de Juba, le sort est accompli.Ah ! Que ne peut le mien être aussitôt rempli. Je ferai ce que mon fils et Juba me demandent.Oui malgré les chagrins et les fers qui m'attendent,Je vais l'exécuter. Allons, suis-moi Narbal,Allons prendre mon fils, trésor cher mais fatal,Veillons sur ses moments et d'une ardeur commune, Jusques dans le tombeau, partageons sa fortune.Attendons de César les ordres absolus.Dépouillons un orgueil qui ne convient plus.Ombre de mon époux, reçois d'un oeil propiceDe ce coeur tout à toi, ce dernier sacrifice. ==================================================