******************************************************** DC.Title = LE PLEUREUR MALGRÉ LUI, COMÉDIE. DC.Author = BILLARD-DEMONCEAU, Edme DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 03/09/2023 à 05:52:28. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BILLARD_PLEUREURMALGRELUI.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5813894z DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE PLEUREUR MALGRÉ LUI COMÉDIE. [1779] comédie, par E*** B*** ACTEURS. MONSIEUR JOVIAL. MADAME JOVIAL. MONSIEUR PARTERRE. MADAME LOGE. MONSIEUR BALCON. HÉRACLITE. CATAFALCUS. CASCARET. la Scène est au Théâtre Français. LE PLEUREUR MALGRÉ LUI. SCÈNE PREMIÈRE. Jovial, Parterre, Loge, Balcon. JOVIAL. Rhabillons, croyez-moi, le Théâtre à l'antique,Qu'il prenne un ton moins dogmatiqueLas de subtiliser le subtil Marivaux,Des Rieurs plus naïfs devenons les rivaux ;Dérobons au marasme un peuple d'hypocondres, Aujourd'hui plus nombreux dans Paris que dans Londres ;Laissons Milord en scène arriver tout exprèsPour y broyer du noir, y planter des cyprès :Moi, j'entends que de fleurs mes planches soient jonchées.Mon Dialogue alerte, et mes pièces brochées : Celle-ci, par exemple, aura ses partisans,Si je dois être absous des sarcasmes plaisants :Je puis tomber de haut, mais non point jusqu'à terre,Attendu que pour moi j'aurai Monsieur Parterre. PARTERRE. Oui, Monsieur Jovial, comptez sur votre ami ; Je ne rends que pour vous mon sifflet endormi ;Mais n'enguenillez point quelque farce grotesque,[Note : Don Japhet d'Arménie est une comédie de Paul Scarron (1653)]Renvoyez, Don-Japhet avec la soldatesque ;[Note : L'Enfant-prodigue comédie de Voltaire (1738), Euphémon est un des personnages.]Suivez L'Enfant-Prodigue, Euphémon dans Cognac,Et laissez dans Limoge un Monsieur Pourceaugnac ; Donnez-moi, vous savez, là, du comi-tragique,Chaussez, à mes souhaits, le Cothurne magique ;J'aime en la Comédie Alecton, ses flambeaux,La lampe sépulcrale et le spectre en lambeaux. JOVIAL. Pour l'honneur de Momus j'avais juré d'écrire ; Mais si vous décidez qu'il faille le proscrire,Chassons-le du Théâtre, à coups de brodequin,[Note : Catafalque : Estrade élevée, par honneur, au milieu d'une église, pour recevoir le cercueil ou la représentation d'un mort. [L]]Dressons le catafalque au nez du Sieur Pasquin. PARTERRE. C'est ainsi que vous seul gagnerez mon suffrage,Que vous garantirez vos planches du naufrage ; Songez que le Public, cet animal changeant,Veut, pour se divertir, un spectacle affligeant :Il faudra désormais que la journée entièreVous hantiez avec moi. JOVIAL. Quelque beau cimetière !Là, dégoûté du monde, affamé du trépas, D'avance avec les morts, quels régals n'a-t-on pas ?Qu'en dit Monsieur Balcon ? Madame, on vous néglige ! LOGE. Eh bien ! Concluriez-vous que l'on me désoblige,Lorsqu'on veut me prouver que les derniers avisRestent les plus présents et font les mieux suivis ? JOVIAL. Je déchiffre à-peu-près le nom des personnagesQui surprennent chez vous d'insignes patronages ! LOGE. Ce sont gens à la mode, et qu'elle a du fêter :Plus d'un ciseau dateur s'obstine à les sculpter. JOVIAL. Grand bien leur fasse ! À moi, ni marbres, ni statues, Que par le zéphir même on verrait abattues :Qu'un plâtre me figure et meuble un cabinet,[Note : Louis Poinsinet de Sivry (1733-1804) est un auteur célèbre, qui a traduit des auteurs grecs.]Mon buste affrontera celui de Poinsinet.Et vous, Monsieur Balcon, quel charme vous attire ?Est-ce un Auteur célèbre, égayant la satyre, Francaleu, Baliveau, Courez-vous Patelin,Palaprat, Dufresny, Régnard et Poquelin ? BALCON. Je ne les connais point. JOVIAL. Iriez-vous d'ordinaireCourir l'enterrement, le sombre luminaire,Le lugubre Morphile ? BALCON. Avec lui j'ai soupé, J'aime à le voir plaintif, d'un crêpe enveloppé. JOVIAL. Vous fréquentez d'ailleurs la dolente Artemise !Nous verrons vos chagrins noyés dans la Tamise ! BALCON. J'incline en suicide. JOVIAL. Il est divertissant ! BALCON. De la Tamise au Styx franchir le pas glissant, C'est un jeu. JOVIAL. Qui perd gagne ! Après la sépulture,On dort, couché gratis, rien pour la couverture ! BALCON. Donnez-moi pour spectacle un amant ténébreux ;Perdez-le en la forêt sur quelque mont scabreux ;Faites qu'il soit jaloux, qu'il peine et se dépite, Que du haut d'un rocher l'amour le précipite ! JOVIAL. Et son Iris témoin, retombe en pâmoison,Recouvre ses esprits pour sabler du poison ! BALCON. L'arsenic. JOVIAL. J'ai sur moi la drogue salutairePour vous conduire en poste au trépas volontaire ; Et s'il ne faut ici vous rien dissimuler,Le mal qu'il vous plaira je puis l'inoculer :Je veux que ma soubrette à votre choix finissePar le hoquet, la toux, le spleen, ou la jaunisse. BALCON. Vous en déciderez. L'on s'évanouira ! JOVIAL. Sans secours, et fans rate, on s'épanouira ! BALCON. Point de rire impromptu ! JOVIAL. Fi donc ! Le rire ignobleN'est bon que pour Grégoire, ivre de son vignoble ! BALCON. Des hélas, des soupirs, des cris, des hurlements ! JOVIAL. Calculons : du métier voilà quatre éléments ! BALCON. Des poignards, des fureurs. JOVIAL. Oui, sans miséricorde,J'évoque, à vos périls, les Enfers, la Discorde.Et vous, Madame Loge, il faut vous contenter !Je vous garde un valet prompt à se lamenter,Qui tirant de sa poche un mouchoir pathétique, Beugle jusqu'à rougir son col apoplectique :[Note : Phlébotomiser : Terme qui n'est plus guère usité dans le langage actuel de la chirurgie. Pratiquer la phlébotomie. Synonyme de saignée, en tant qu'il s'agit de la saignée d'une veine, et non de la saignée d'une artère ou de la saignée par sangsues ou par ventouses. [L]]On le phlébotomise, au plus vite, et FrontinDébile et moribond, vous semble calotin ! LOGE. II touche, il intéresse ! JOVIAL. On pourrait, quoiqu'on die,Accoutumer au sang l'aimable Comédie : Qu'en pensez-vous ? LOGE. Ma foi, l'Anglais à cet égardNous donne un bel exemple, et son joueur hagard,Outrant sa passion, sa fougue Britannique,Sur la carte, ou le dé, perdrait son fils unique !Le brelandier qu'en France adopta le tréteau, Risque, pour tout potage, argent, bijou, manteau ;Aussi dans un malheur n'attendez point qu'il forgeLe gentil coutelas dont lui même il s'égorge ! JOVIAL. Il lit Sénèque ! LOGE. Eh oui ! Mais revenons ; plaisez. JOVIAL. C'est le point difficile ! LOGE. À vous des plus aisés : Il suffit d'un roman, dont le héros timideAit toujours le coeur tendre et l'oeil toujours humide ;Imaginez un Duc, au village amoureux,J'obtiens de Nanette un soupir langoureux. JOVIAL. Du corset d'étamine aussitôt dépouillée, Voilà notre Duchesse en velours habillée ! LOGE. [Note : Pourpris : Enceinte, habitation. [L]]Blaise, ou quelqu'autre sot, l'admire en son pourpris. JOVIAL. Le noble Gentilhomme eu devient plus épris ! LOGE. Dabord il l'épousait : une dame importanteVeut bisser le contrat, c'est sa mère, où sa tante. JOVIAL. Grande altercation ! LOGE. Monseigneur triomphantDresse un lit nuptial pour la bénigne enfant :Incidentez le fait, beaucoup de jalousie,De furieux soupçons, une épitre saisie,Un rival que Nanette aura bien mitonné, Et c'est, par quiproquo, son père époumoné. JOVIAL. Pour mettre en action si commune aventure,Faut-il à son esprit donner la tablature ? LOGE. Non ! JOVIAL. Mais que de la scène on usurpe l'accès,Sans être un beau rieur, on accroche un succès ! LOGE. Il n'est plus temps de rire, et votre SganarelleAvec nos Beverleys peut vider sa querelle. BALCON. Quand le Théâtre change, il faut changer aussi ! PARTERRE. Vous le dites, Monsieur, nous le pensons ainsi. LOGE. Nous voilà tous d'accord, preuve que nos idées, N'en déplaise aux gloseurs, sont assez bien fondées ;[Note : Histrion : Nom, chez les Romains, des acteurs qui jouaient dans les bouffonneries grossières importées d'Étrurie. Aujourd'hui, comédien, mais avec un sens de mépris. Un vil, un misérable histrion. [L]]Preuve qu'il faut bannir le Mercure histrion,Qui couche Jupiter au lit d'Amphitrion,[Note : Élegiaque : Qui appartient à l'élégie. Le genre élégiaque. Poëte élégiaque, poëte qui a composé des élégies. Chez nous c'est toujours dans le sens de mélancolique que ce mot est pris, à moins qu'il ne s'agisse des anciens. Des vers élégiaques. Par ironie ou par moquerie, mélancolique, qui cherche à se faire plaindre. [L]]Et flatter, caresser le masque élégiaque,Qui ferait de Panurge un hypocondriaque. JOVIAL. [M]adame enfin m'éclaiie, et je dois à son goût,En Cuisinier moderne, apprêter le ragoût ;Vous, Messieurs, trouvez bon que dans la solitude,Entouré de tombeaux, rongé d'inquiétude,Abîmé dans les pleurs, je songe à vous offrir Un comique, en long deuil, que vous puissiez souffrir. BALCON. Égorgez. PARTERRE. Enterrez. LOGE. Larmoyez. JOVIAL. Belle affaire ! PARTERRE. Nous reviendrons savoir ce que vous savez faire. SCÈNE II. JOVIAL. Pleurez, pleurez mes yeux, et fondez-vous en eau :Ah ! Venez, Templiers, coulez-bas mon tonneau ; J'ai du vin, du nectar ! Mais qu'il m'en reste goutte,Je la savoure et puis, voyez ce qu'il m'en coûte !Dans le vin, la gaieté, j'éclate, et mes acteursS'en vont communiquant leur joie aux spectateurs !Que deviens-je ? Un Pasquin ! Gare à Monsieur Parterre ! [Note : Nanterre : Ville à l'Ouest de Paris. Elle est actuellement le préfecture des Hauts-de-Seine.]On entend le sifflet de Paris à Nanterre.Et vous, Monsieur Balcon, vous, la fleur des Marquis,[Note : Amouracher : Engager dans un amour peu justifié. Quelques oeillades l'amourachèrent de cette comédienne. [L]]Amourachez du titre a menus frais acquis.Pourriez-vous l'heure entière, assez mal employée,Rire avec la canaille à gorge déployée ! [Note : Petites maisons : On dit aussi, qu'il faut mettre un homme aux petites maisons, quand il est fou, ou quand il fait une extravagance signalée ; à cause qu'il y a à Paris un hôpital de ce nom où on enferme ces fous. [F]]Et vous, Madame Loge, aux Petites-MaisonsVous m'installez sans doute, et pour juste raisons !C'est une archifolie, en nos jours lamentables,Que tenir vieux propos, tant soit peu délectables ;Et si d'un grain de sel ils sont assaisonnés, Il faudra qu'un gourmet les juge empoisonnés !Tel qui des Romanciers fait son plus cher délice,Le Public s'écriera que j'ose avec malicePleurer à ses dépens, et qu'à moi n'appartientD'apostropher ainsi les Drames qu'il soutient ; [Note : Pierre Claude Nivelle de la Chaussée (1691-1754) est un auteur dramatique et Académicien. On lui l'invention de la comédie larmoyante.][Note : L'Écossaise est une comédie de Voltaire de 1760.]L'Écossaise et Freeport, d'autres, ce La Chaussée,Dont la muse oratoire en chaire est exhaussée ;Tandis qu'on va branchant nos habiles coquins,Nos Daves, qui vendraient Chremès pour deux sequins ;Tandis que ces matois... On frappe, qu'est-ce ? J'ouvre. SCÈNE III. Héraclite, en habit brun, Jovial. JOVIAL. Qu'on entre, avec respect ! Mon logis est un Louvre. HÉRACLITE. Jovial, votre nom ! JOVIAL. Oui, fort gai, Dieu merci : Mai sauriez-vous, Monsieur, où l'on vend du souci ?J'en aurais grand besoin pour l'oeuvre dramatique,Qu'en dépit du Crispin je rendrai chromatique : Je ménage aux Rieurs un coup inattendu,Ils verront sur ma scène un massacre étendu. HÉRACLITE. Fort bien, vous êtes mime ? JOVIAL. Oui, Monsieur, dont j'enrage. HÉRACLITE. Qu'au métier mon exemple au moins vous encourage :Je débute. JOVIAL. Et quel jour ? HÉRACLITE. Je viens m'en informer. JOVIAL. Le jour qu'en la semaine il vous plaira nommer :Dimanche. HÉRACLITE. Volontiers. JOVIAL. Joueriez-vous d'habitudeLes rôles douloureux ? HÉRACLITE. J'en fais ma seule étude. JOVIAL. Bon, vous amolliriez, par vos cris déchirants,Le roc, le léopard, l'hydre et tous les tyrans ! HÉRACLITE. Je vous le dis, croyez ; dans le Pathos j'excelle,Et la gaieté chez mol n'a que pâle étincelle. JOVIAL. Bon, vous n'irez donc point rire avec des Scapins,Tandis qu'il faut, chez nous, quitter leurs escarpins! HÉRACLITE. Moi, rire, à votre avis, le monde est-il risible ? Le vice, à vos regards, serait-il invisible,Ou bien dans fa laideur si vous l'envisagez,N'en souhaitez-vous point voir les hommes purgés ?L'orgueil nous ravala, l'intérêt nous domine ;Pour s'engraisser le monstre entretient la famine, Partout les usuriers infestent l'Univers,Qui n'est, comme un cachot, peuplé que de pervers. JOVIAL, à part. M'en voudrait-il ? HÉRACLITE. Combien la vertu périclite ! J'en pleure avec raison. Tirant un ample mouchoir.Je m'appelle Héraclite. JOVIAL. Héraclite ! Ô fortune ! Heureux événement ! C'est vous, c'est vous, Monsieur, du siècle l'ornement 1Apprenez-moi, de grâce, à contrister la France,À laisser mon Théâtre abattu de souffranceEt que Monsieur Parterre, actif à m'applaudir,Me claque et me reclaque, au point de m'assourdir. HÉRACLITE. Je vous réponds de lui. JOVIAL. Serait-il vraisemblableQu'il méconnut en vous son féal, son semblable,Son oracle, son Dieu ? HÉRACLITE. Tant qu'il fut baladin,Qu'il poussa Mascarille à leurrer TrufaldinNous fûmes peu d'accord : aujourd'hui moins folâtre, C'est de moi, seulement, qu'il paraît idolâtre ;Ou s'il peut m'oublier, c'est pour mes sectateurs,Du pauvre genre humain, tristes consolateurs,Toujours lui remontrant, à l'instar d'un vrai sage,Que la gloire est un songé, et la vie un passage. JOVIAL. Vous prêchez comme un ange ! Avec votré talentJe ferais, sans Minerve, un ouvrage excellent ;Et je vois qu'à Momus Jovial infidèle,Aurait dû vous choisir pour unique modèle. HÉRACLITE. Je vous en garde un autre. JOVIAL. Encor plus soucieux ? HÉRACLITE. Jamais on n'a vu d'homme aussi noir sous les cieux :Toujours sur l'avenir promenant qa pensée,Fuyant des jeux, des bals, l'allégresse insensée,Mort avant le trépas, il vit dans les tombeaux,Appréhende l'aspect des jardins les plus beaux, Jette un sombre coup d'oeil sur les fleurs printanièresEt la Parque voulut qu'il portât ses bannières. JOVIAL. Voilà mon homme ! Oh, oui ! Chacun l'estimera,Surtout nos Anglicans ! Son nom ? HÉRACLITE. Vous charmera. JOVIAL. Dites. HÉRACLITE. Catafalcus. JOVIAL. [Note : J'expire dans ce contexte doit être lu comme un à-peu-près de Shakespeare.]À ce nom seul j'expire : Qu'on me plaque au cercueil, à mes voeux tout conspire !Catafalcus ! Tel gnome engourdissait soudainLe volatile esprit du plus léger mondain !Mais parlons, s'il vous plaît : ce rare personnage,Qui plus que vous, Monsieur, répugne au badinage, Il est de vos amis ! HÉRACLITE. Mon intime. JOVIAL. Écoutez,L'instinct m'appelle encor vers les joyeusetés ;Je compte infiniment sur vous pour le détruire ; Héraclite s'incline.Mais la riante école où j'eus coeur à m'instruire,[Note : Arnolphe et Agnès sont deux personnages de l'École des Femmes de Molière.]Arnolphe et son Agnès, mes inclinations, Reviennent faire obstacle aux lamentations :Vous êtes, par état, fort propre à les contraindre, Héraclite s'incline.Mais de moi-même enfin, que ne dois-je pas craindre,Si dans Catafalcus je ne trouve un secoursLui renforce, à mon gré, vos larmoyants discours ! HÉRACLITE. Vous serez satisfait, il me rejoint fur l'heure ;Nous allons, à l'écart, marchander la demeureQue tous deux, ce n'est qu'un, nous comptons habiter,Si l'endroit taciturne invite à méditer,Plus qu'à rire. JOVIAL. Étouffons tous ces ris dont MOLIÈRE Entrecoupe , au hasard, sa maxime écolière !D'ineptes raisonneurs, en sa coulisse admis,À ses enseignements, à ses dogmes soumis,Perdent la gravité qui les caractérise Et, toujours en éveil leur grelot martyrise ! HÉRACLITE. Croyez un Charlatan , Philosophe ancien ;[Note : Horace et Lucien sont des auteurs de l'Antiquité.]C'était, je me rappelle, Horace ou Lucien. JOVIAL. L'un vaut l'autre, passons. HÉRACLITE. Le couple, assez futile,S'attache beaucoup plus au plaisant qu'à l'utile ;Présente, en belle humeur, la morale aux humains. [Note : Marotte : Fig. et familièrement. Objet de quelque folie. [L]]Lui met la castagnette et la marotte en mains ! JOVIAL. Même avec la sagesse il badine, il gambade !Il apprête à sa guise un banquet, une aubade !Plutarque, singulier, l'affole au bal masquéÉpanche le vin grec dans son chef détraqué, [Note : Flegme : Fig. Caractère posé, patient et qui se possède. [L]]Déconcerte à la fois sa démarche, son flegme,[Note : Apophtegme : Dit notable de quelque personnage illustre. [L]]Et de la bouche d'or enivre l'apophtegme ! HÉRACLITE. Il mêle à son air grave un bizarre enjouement,Un charme inconcevable, un étrange agrément... JOVIAL. Qui déplaît ! Et partout la rendrait haïssable ! HÉRACLITE. La défigure au point qu'elle est méconnaissable ! JOVIAL. Votre ennemi juté ; Démocrite odieux,.Eut beau la revêtir d'un éclat radieux,En faire, avec licence, un patron de peinture,La montrér en Venus, détacher sa ceinture, Elle allait, malgré lui, perdre tous ses attraits,Si vous n'eussiez ridé sa face et ses portraits !C'est à vous, Héraclite, à vous, que je révère, Héraclìus s'incline.Qu'il sied de l'embellir, avec un front sévère ;Et dans Catafalcus, puissai-je encor la voir Sous une image... HÉRACLITE. Il vient. JOVIAL. Je cours, le recevoir. SCÈNE IV. Catafalcus, Jovial, Héraclite. JOVIAL. Ah, Monsieur ! Agréez que dans cette embrassade,Marqué d'une amitié franche, et non de passade,J'accueille un des supports du poudreux monument,Où je compte avec vous être gîté dûment. CATAFALCUS d'une voix ténébreuse. Tout passe, et le soleil disparaîtra : les mondesCrouleront. JOVIAL. Tôt ou tard ! CATAFALCUS. Leurs citoyens immondes,Les uns à demi-nus, les autres surdoués,Dans le vague des airs seront évaporés.Comme un souffle ! CATAFALCUS. La nuit épaissira ses voiles, Et l'Astrologue aux cieux cherchera des étoiles. JOVIAL. Éclipse universelle ? CATAFALCUS. À quoi tient l'univers ? JOVIAL. À des fils ! CATAFALCUS. La nature, et mille objets divers,Les rosiers, leurs boutons, les gentes bergerettes,Les bocages discrets, témoins des amourettes, Le rossignol, ses chants, Silvandre, ses troupeaux,[Note : Corneille a composé de nombreuses tragédies romaines.][Note : Turenne est un militaire de haut-rang de Louis XIV.]Corneille et ses Romains, Turenne et ses Drapeaux.... JOVIAL. Tout périrai ! CATAFALCUS. Le temps, divinité première, Abat d'un même coup le Louvre et la chaumière. JOVIAL. Les pâtres et les rois ! CATAFALCUS. Le plus fidèle ami Contre tous les assauts tint mon coeur affermi ;[Note : Oreste et Pylade sont deux amis dans la tragédie Andromaque de Jean Racine. La pièce commence par un dialogue entre eux deux.]Ensemble nous vivions comme Oreste et Pylade,[Note : Grabat : Méchant lit, tel que sont ceux des pauvres gens. Familièrement. Être sur le grabat, être malade au lit. [L]]J'étais sur le grabat pour peu qu'il fut malade. JOVIAL. Aurait-il rendu l'âme ? CATAFALCUS. Hélas ! J'ai vu tomberLe sépulcral Hervey je faillis succomber. JOVIAL. Pressante occasion ! CATAFALCUS. Dans ma douleur aiguë,[Note : Ciguë : plante toxique. Socrate fut condamne à la boire. ]Dans un beau désespoir j'avalai la ciguë ;Mais tandis qu'opérait le poison végétalMon factotum m'amène un médecin fatal,Il rétablit chez moi l'équilibre organique. JOVIAL. Vous déviez assommer le frater galehique ! CATAFALCUS. La mort nous est propice, ôte à l'humanitéLes maux, les passions, l'erreur, la vanité ;Et des plus érudits bornant la connaissance,Nous replonge au limon qui nous prêta naissance. HÉRACLITE, bas à Jovial. Eh bien ! Qu'en dites-vous ? Est-ce un homme ? JOVIAL, bas. Étonnant ! HÉRACLITE, bas. Toujours près de sa fosse ! JOVIAL, bas. Et jamais ricanant ! HÉRACLITE, bas. Voyez comme en lui-même il se plaît à descendre ! JOVIAL, bas. Il songe que nous trois sommes poussière et cendre !Reviendra-t-il à nous votre intime ? HÉRACLITE, bas. Distrait, Il voyage, isolé dans le pays abstrait ;Mais son retour approche ! JOVIAL, bas. Il faudra qu'il arrive,À moins que de Caron il n'ait franchi la rive ! CATAFALCUS. Serviteur, Héraclite : en moi-même absorbé,Je croyais au cercueíl être déjà plombé : Je m'éveille et vous cherche. Eh bien ! Le domicile ? JOVIAL. À trouver, dès ce soir, sera peu difficile. CATAFALCUS. II nous en faudrait un éloigné du quartier, Où les filles d'amour vaquent à leur métier. HÉRACLITE. Quelque morne Chartteusc où l'on puisse en silence Vaincre un désir brutal, malgré sa violence. CATAFALCUS. Surmonter l'avarice et la soif des honneurs,Pour lés Socrates même appas empoisonneurs. HÉRACLITE. Où trouver sur la terre un bois, un habitacle,Qui ne serve aux brigands d'odieux réceptacle ? JOVIAL. Loin des Cartouchiens je possède un réduit,Palais d'où le soleil fut par sombre éconduit ;Qu'on entre dans la chambre, on frissonne, on recule,Le jour qu'on y reçoit n'est qu'un faux crépuscule :Des plus ternes couleurs les lambris vernissés Présentent, pour tableaux, deux visages plissés,Un triste Philosophe imbibé de ses larmes,Dont le flux renaissant provoque les alarmes ;Un autre solitaire, aux tombes retranché,Sur le crâne du mort tient son oeil attaché. Estimez-vous, Messieurs, que le manoir convienne,Et que la chambre, obscure en sa faveur prévienne,Je la livre à bon prix. HÉRACLITE. Je l'accepte CATAFALCUS. Attendons. HÉRACLITE. Excusez, Jovial, grâces, si nous tardons. CATAFALCUS. Où suis-je ? Jovial ! Quoi ! C'est l'Acteur en masque Qui double incongrument Arlequin bergamasque ! JOVIAL. Non. CATAFALCUS. Quoi ! C'est le pilier des Théâtres gaillardsFléaux pour la jeunesse et pour les béquillards ! JOVIAL. Non. CATAFALCUS. Quoi ! C'est le valet suivant la Comédie,[Note : Le Tartuffe est une comédie de Molière.]Où le Tartuffe a su blanchir la perfidie ! JOVIAL. Non ! C'est le romancier, de vapeurs consumé ;C'est l'homme qui tout vif voudrait être inhumé ;[Note : La Malade imaginaire est une comédie de Molière.]C'est le Malade enfin , non pas imaginaire,Qui pour guérir ses maux postule un luminaire,Un catafalque. CATAFALCUS. Bon ! Vous voilà converti ! Vous quittez des rieurs le malheureux parti ! JOVIAL. Loin de suivre ardemment la nouveauté comique,Je cours, tous les matins, l'école anatomique :Sans répugnance aucune, avec facilité,J'apprends combien la fibre a de fragilité ; J'observe, en curieux, du cerveau la structure ;Du corps en désarroi, j'assiste à l'ouverture,Et, pour les disséqueurs j'ai tant d'affection,Que j'offre mon viscère à la dissection. CATAFALCUS. Je vous en félicite, et mon âme étonnée Que la vôtre, Monsieur, au scalpel, soit tournée,Vous jure amitié, foi, touchez-là, Jovial. JOVIAL. Taisez mon nom, Falot, burlesque, trivial. HÉRACLITE. Mais plus vous connaîtrez ses proches, sa personneMoins vous soupçonnerez qu'à rire on les façonne. JOVIAL. Ailleurs qu'en ma famille on peut chercher des gensPour qui les quolibets soient des besoins urgents ;Qui s'endorment repus de farce, de parades,De jeux, de carnavals, de folles mascarades !J'y renonce, et me cloître. HÉRACLITE. Il ira, sans mentir, Creuser en Thébaïde un trou pour s'y blottir. JOVIAL. Oui, Messieurs, la tanière est mon dernier refuge,Mon plus doux reposoir : que des cités transfuge,Que souche des forêts, j'aille, loin des humains,Faire amicalement aux ours mes baisemains ! CATAFALCUS. Approuvez, en ce cas, que suivi d'Héraclite,Précepteur éploré du monde hétéroclite, Héraclite s'incline.J'aille avec doléance habiter les tombeaux. Ils sortent se tenant embrassés. JOVIAL. Courez, courez, Messieurs, des spectacles si beaux. CATAFALCUS, revenant avec Héraclite. S'il vous plaisait, ce soir, écorner mon fromage. JOVIAL. Je soupe, à la guinguette. HÉRACLITE. Ah ! Monsieur, quel dommage! CATAFALCUS. Vous veniez, de bon oeil, dans ma salle à manger,La momie... JOVIAL. Avec elle on pourra me ranger :[Note : Carême-prenant : Le jour du mardi qui précède le carême et quelquefois tout le temps du carnaval depuis les rois. (...) On appelle aussi des Carêmes-prenants, des gens du peuple qui se masquent de façon ridicules, et qui courent les rues. [F] ]Au carême prenant, donnez-moi la poularde ;Que votre factotum ait soin qu'on l'entre-larde ! CATAFALCUS. Nous aurons pour convive un squelette. JOVIAL. Au revoir. CATAFALCUS. Songeons que la mort vient, et sachons la prévoir. SCÈNE V. JOVIAL. Encore, par accident, deux rencontres pareilles,Encor deux trépassés pendus à mes oreilles,J'ose ici garantir mon succès théâtral, Prendre avec mes égaux le verbe magistral,Démontrer que ma piété, en pleurs épidémiques,Exige, à tout le moins, vingt prix académiques,Et qu'il me faut, à moi, des bronzes, des sculpteurs,L'encens, l'apothéose , et mille adorateurs : Fort bien, mais si je veux que l'on m'exalte aux nues,Grossissons le torrent des larmes continues,Enfantons un prodige, un sujet merveilleux,Qui terrasse un critique amer ou vétilleux ;Y suis-je ? En doutez-vous ? Voyez comme on sanglote, [Note : Épiglotte : Terme d'anatomie. Valvule fibro-cartilagineuse, qui, placée à la partie supérieure du larynx, recouvre la glotte au moment de la déglutition, et empêche ainsi l'introduction des aliments ou des boissons dans les voies aériennes. [L]]On risque diablement d'obstruer l'épiglotte !Pour ce, j'ai des moyens. Ho-là, hé, Cascaret. SCÈNE VI. Cascaret, Jovial. JOVIAL. Divorce, une minute, avec le cabaret. CASCARET. Je ne bois qu'à ma soif. JOVIAL. Quittons les railleries ;Des lieux, par trop suspects, tu fais tes galeries; Mais brisons là dessus. Il te faut prestementM'apporter un habit couleur d'enterrement,[Note : Pantagruéliste : Partisan du pantagruélisme : Sorte de philosophie épicurienne. De Pantagruel, un personnage du roman éponyme de Rabelais.]Je figure au convoi du Pantagruéliste. CASCARET. Lui ! défunt ! Ah ! JOVIAL. Je tiens le fait d'un nouvellistePlus sûr qu'un prognostic. Allons, pars donc, lourdaud, Vite y tu restes là, planté comme un badaud. CASCARET. [Note : Falaise : ville de Normandie au sud de Caen.][Note : Basoche : Nom d'une cour de justice, établie fort anciennement entre les clercs du parlement de Paris, pour juger les différends qui s'élevaient entre eux. L'ensemble des avoués et des clercs, leurs habitudes. [L]]Moi ! Je suis de Falaise, issu de la basoche ;J'ai quelque sens commun épars dans ma caboche. JOVIAL. Un crêpe à mon castor, très-long crêpe, entends-tu ? CASCARET. Un autre, pour le deuil, aurait moins de vertu ! JOVIAL. Oui, mon cher, tu me plais, tu préviens mon idée :Trouve-moi Frétillon, ma servante affidée. CASCARET. Fille alerte ! JOVIAL. Et demande un juste-au-corps de veuf,Des pleureuses, surtout. CASCARET. Le drap plus vieux que neuf ;La gueuserie attriste. JOVIAL. En effet, ton costume Pourra de mes chagrins accroître l'amertume. CASCARET. Vous prenez donc plaisir à vous désespérer ! JOVIAL. Pars, te dis-je, ou bientôt j'en prends à t'atterrer. CASCARET. Dussiez-vous d'un revers m'étendre sur la planche,Déboîter ma rotule, ou disloquer ma hanche, Je ne comprendrai point qu'aux désolationsVous n'entremêliez pas les dissipations. JOVIAL. Dieu m'en préserve ! Il faut que la douleur m'accable. CASCARET. Vous le voulez, Monsieur, tenez-y par un câble. JOVIAL. Las du monde insipide, il faut qu'à chaque instant Je n'éprouve qu'ennui, que dégoût révoltant,Que mon humeur fâcheuse, aigre, mélancolique,[Note : Lymphe : Terme d'anatomie. Liquide blanc, nutritif, contenu dans les vaisseaux lymphatiques, moins les chylifères, qui n'en contiennent que pendant l'abstinence ; il est versé dans le sang veineux proche du coeur. [L]]Tourne en bile ma lymphe et tout mon hydraulique. CASCARET. [Note : Diafoirus : personnage du Malade imaginaire de Molière.]Aubaine à Diafoirus. JOVIAL. Que mon coeur ulcéréSoit, comme avec l'étau, par des spasmes serré, Que de moi-même enfui l'Anglicisme s'empare,Que j'abhorre mon être et que je m'en sépare. CASCARET. À votre aise, employez le fer, le pistolet,Coulez le plomb fondu dans votre cervelet,Ou si vous l'aimez mieux, empestez la pilule, Empêchez qu'ici bas votre engeance pullule :J'oubliais la rivière, où par amusement,Vous pouvez, eu belle eau, vous noyer proprement,À moins qu'en la fureur dont l'accès vous emporte,Vous n'alliez, haut et court, vous pendre à votre porte ! J'ai d'autres soins, je veille à vous bien décorer[Note : Guenillon : Petite guenille. S'est dit, par extension et par plaisanterie, d'un petit morceau de papier, d'un billet. [L]]Du fatal guenillon qu'il vous faut arborer. SCÈNE VII. JOVIAL. Si j'enterrais ma femme ! Oh, oui ! La catastropheM'entrave à son caveau, du mien fort limitrophe,Et je demeure en proie aux méditations Qui peuvent m'affranchir des jubilations !C'en est fait : tu péris, ma chère et digne épouse,Toi, qui ne fus jamais criarde ni jalouse ;Toi, qui toujours fidèle à mes déloyautés,Idolâtrais l'époux félon à tes beautés ; Toi, qui dans mon veuvage, à mes yeux survivante,M'étouffe de plaisir, de douleur, d'épouvante :Hélas ! J'ai tout perdu !... Bon, voici les tourments,Les hélas, les soupirs, les cris, les hurlements :Que ma salle en frémisse et que le ceintre en croule ! Qu'au milieu des plâtras l'un sur l'autre se roule,Et sous les madriers que moi-même engloutiJ'en sorte, sein et sauf, comme latte aplati !...Mais tandis que j'englobe, avec grand tintamarre,[Note : Camail : Petit manteau tombant des épaules à la ceinture, que portent par-dessus le rochet les évêques et autres ecclésiastiques privilégiés. [L]][Note : Simarre : Habillement long et traînant, dont les femmes se servaient autrefois. Espèce de soutane que certains magistrats portent sous leur robe. [L]]Le camail, le plumet, la jupe et la simarre, Cascaret côte à côte avec ma Frétillon,N'insulterait-il pas son chaste cotillon ? SCÈNE VIII. Cascaret, Jovial. CASCARET. Monsieur, j'ai peu tardé, voici tout l'équipage. JOVIAL. Endossons-le, et bien vite, allons, sers-moi de page, Cascaret l'habille en pleureuse, et le coiffe d'un feutre à long crêpe. CASCARET. À mon regret. JOVIAL. D'où vient ? CASCARET. Vous savez ! JOVIAL. Tel habit Te semble donc pour moi d'un sinistre acabit ! CASCARET. Si j'en étais porteur, chamarré de tristesse,Tenez, j'aurais demain Lachésis pour hôtesse. JOVIAL. Poltron ! CASCARET. En disconviens-je ? Ai-je un coeur de héros ?Voit-on mon effigie, en marbre de Paros, Reluire au piédestal ? JOVIAL. Au gibet, en planchette,On pourra bien la voir ! CASCARET. Si l'or ne la rachète !J'ai du comptant, Monsieur! JOVIAL. [Note : Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. [L]]Grâce à plus d'un méchef ! CASCARET. [Note : Escarboucle : Nom que les anciens donnaient aux rubis. [L]]J'ai l'escarboucle au doigt, Montrant sa bague.Les parfums sur le chef,[Note : Flaberge : Nom donné quelquefois à l'épée du paladin Roland (le nom de Durandal est beaucoup plus commun, surtout dans les textes modernes), et à celle de Renaud de Montauban, l'aîné des quatre fils Aymon, dans les romans de chevalerie. [L]]Le brocard au pourpoint, au côté la flamberge, Les draps blancs chez Catin, le Bourgogne à l'auberge,La bisque sur ma table, un parasite au bout,Derrière et devant moi les échansons debout,Les fluteurs sur l'estrade, un groupé symphonisteQue je vous donne ici pour sublime harmoniste. JOVIAL. Congédions l'orchestre. Ajuste mon collet,Il me gêne. CASCARET. Admirez votre attirail follet ! JOVIAL. Ta railles ! CASCARET. Se peut-il ? JOVIAL. Voudrais-tu qu'en paillettes,L'omoplate ennoblie avec des aiguillettes,J'allasse à des convois, paré comme un Seigneur ? CASCARET. Oui. JOVIAL. Lâche mes cheveux. CASCARET. Qu'en dira le baigneur ? JOVIAL. Obéis. CASCARET. Aux cordons la bourse est accrochée,Mais un tour de poignet, je rassure empochée. Il l'empoche. JOVIAL. Tu m'arraches les crins ! Ahi. CASCARET. J'y vais doucement. JOVIAL. Comme un Palefrenier qui peigne sa jument. CASCARET. Aussi pourquoi vouloir m'astreindre à tel office,Sans privilège aucun, et sans nul bénéfice ? JOVIAL. Choisis dans mes haras trois pégases nerveux. CASCARET. À leur intention j'allonge vos cheveux :Les voilà jusqu'à terre ; ils outrent la coutume ! Et vous poussez trop loin le funèbre costume. JOVIAL. Dépêche. CASCARET. Patience. JOVIAL. As-tu fini ? CASCARET. D'abord :Vous cherchez votre fosse, et je vous laisse au bord. SCÈNE IX. JOVIAL. Ah ! Moitié de ma vie, idole de mon âme,Tu n'est donc plus ! Quel coup ! Je sens que je me pâme, Il tombe mollement dans un fauteuil.Mon coeur débilité... Bon, je m'évanouis :Quels battements de mains ! Quels fracas inouïs !L'auteur, l'auteur !... Et toi, compagne de ma couche,Pour crier un bravo, tu n'ouvres plus la bouche !Tu quittes l'air infect, l'égout parisien, Pour les sentiers fleuris du val Élyséen ![S]on ombre bocagère élague quelque arbusteQue la castration doit rendre plus robuste ![L]'auteur, l'auteur ! Tu vas sous le vivace ormeau,Parmi les flageolets, t'asseoir avec Rameau, [A]ttirer par tes chants les cygnes, les Virgiles,Affleurer le gazon par tes danses agiles ![L]'auteur, l'auteur! Il fait, à la manière des Comédiens trois profondes révérences, l'une du côté du Roi, l'autre du coté de la Reine, la troisième au Parterre.Messieurs, il est chez lui reclus,Il traîne en sa cellule un pied demi-perclus,Comme il a pressenti que selon votre usage Vous pourriez ordonner qu'il montrât son visage,N'ayez aucun regret, s'il échappe à vos yeux,Le comique, en long deuil, n'a point l'air trop joyeux,Dans sa propre maison, de pleurards obsédée,On n'entend que des cris, sa femme est décédée. SCÈNE X. Monsieur et Madame Jovial. MADAME, à la coulisse. Comptez sur Jovial. MONSIEUR. Oh ! C'est elle ! MADAME, à la coulisse. Au festinMon homme assistera chez l'ami Fagotin :Point de façon, surtout, entre gens de revue,[Note : Tokay : Vin de Hongrie que l'on place au premier rang parmi les vins doux. [L]]Il suffit que la cave en tokay soit pourvue. MONSIEUR. Hélas ! MADAME. Que de langueur ! Pourquoi tant soupirer ? Te voilà défaillant, blême, prêt d'expirer !Des crêpes ! Quel défunt nous laisse un héritage ?Quel bien, à mon insu, nous échoit en partage ?Est-ce un riche terroir ? Remplis-tu nos celliers ?Nous faudra-t-il gager nombre de sommeliers ? Les vins sont-ils brûlants du feu qui réconforte ? MONSIEUR. Hélas ! Tu ne fais point ! Ma pauvre femme est morte. MADAME. Rêves-tu ? MONSIEUR. Samedi, tous deux, en liberté,Nous soupâmes ; pour tiers nous eûmes la gaieté,Nul docteur, nul bavard, point de métaphysique, La mousse du champagne animait la musique ;Tu me rossignolais l'Opéra par fragment.Un frisson te survient, j'éprouve un tremblement ;J'appelle, on reste coi ; je prie, on s'humanise ;Accourez donc, je meurs, voilà qu'elle agonise ! Colique d'estomac, lourde indigestion,Le ventre boursouflé par la réplétion :Ces pâtes d'abricots, friande nourriture,N'apprêtaient, à mon dam, que sa déconfiture !Vous riez ! Eh ! Morbleu ! Croyez-vous que son mal Ne soit pas d'une force à tuer l'animal ?Oui, oui, c'est une crise, un trouble, des symptômesQui vous écraseraient ainsi que des atomes ;Vite, apportez des eaux, de[s] sels, des Médecins!Tandis qu'on galopait ces siestes assassins, Ton oeil faiblit, ton pouls manque, tu m'es ravie,Et j'ai perdu mes soins à rappeler ta vie. MADAME. Te moques-tu de moi ? Perds-tu sens et raison ?Avec quel tavernier as-tu fait liaison ?Ivre, ou fou, si quelqu'un, les miens, ta parentelle, Tes amis te voyaient dans ta douleur mortelle,Eux-mêmes, les premiers, t'enverraient me pleurerDans la loge, où longtemps, on t'a vu demeurer !Souviens-toi du beau jour où ta langue enhardiePiqua des Roscius, la race abâtardie ! Leur ligue, concertée au chevet de Marton,Conduisit, poings liés, ta muse à Charenton !Tu le méritais bien ! Tu voulais sur la scène Le Suborneur, Comédie en cinq Actes et en vers, je l'imprime incessamment.Ôter sa belle écorce au Suborneur obscène,Tandis qu'à son service il fallait t'engager, Devenir, en public, son galant messager ! MONSIEUR. Hélas ! MADAME. Plus de complainte, ou je cours de pied fermeSupplier qu'en lieu sûr derechef on t'enferme.J'aime un extravagant, mais gai, récréatif ;Qui tient à son narré l'auditoire attentif, Broche l'épithalame aux noces des fillettes,Trinque et va de Pomard épuiser les feuillettes :Pour toi, fou sérieux, léthargique, glacé ;Toi, parmi les vivants, te voilà déplacé ! MONSIEUR. Hélas ! Viens, Héraclite, et que mes yeux périssent Si mes pleurs suspendus dans leurs canaux tarissent ! MADAME. Héraclite ! Où peut-il hanter cet égrillardQui jette autour de nous le vaporeux brouillard ?Voudrais-tu m'enseigner quelle est la coterieOù ce Monsieur s'annonce avec plaisanterie, Déride un Sénateur, désarme un officier,Discipline un abbé, dégraisse un financier ?Parle donc, Jovial.... Ta parole est coupée !Que fais-tu d'Héraclite ? Un joujou, ta poupée !Dis, réponds... Il délire ! Il ne m'écoute pas ! MONSIEUR. Et toi, Catafalcus, apôtre du trépas,Précipite mes jours, creuse ma sépulture,Et que des vers, à jeun, mon corps soit la pâture ! MADAME. Catafalcus, où diantre a t-il pu rencontrerL'homme qui veut qu'en terre on s'acharne à rentrer ? Oh ! Pareils fossoyeurs, nourris des funérailles, S'en viendraient d'ossements tapisser nos murailles,Et le fantôme Young, ici même apparu,Timbra mon cher époux, de requiems féru !Dis-moi donc, mon amour, reconnais ta femelle, Regarde ! En quel sépulcre en verrais-tu comme elle ?Sèche tes pleurs. MONSIEUR. Le dois-je ? Ah ! MADAME. Tu me fais pitié ! MONSIEUR. Quel veuf peut sans regret enterrer sa moitié ? MADAME. Tu la vois, tu l'entends, tâte, je suis vivante,Je suis avec respect ta très humble servante ; J'étayai ton castel, j'ornai ton vêtement,Je conviai ta meule à moudre ton froment ;C'est moi qu'avec raison tu choisis pour compagne,Je t'escorte à la ville, en Cour, à la campagne ;C'est mot qui par ton aide, engendrai, sans effort, [Note : Marmouset : Marmouset, visage de marmouset, petit garçon, petit homme mal fait ou non. [L]]Cinq ou six marmousets qui te ressemblent fort. MONSIEUR. Qu'on me laisse ! MADAME. À loisir, dans la mélancolieEnfoncez-vous, Monsieur. À part.Épions sa folie. Elle se retire et le guette. MONSIEUR. Voyez les jeux du sort ! Moi, qui dès le berceauManiai dextrement le comique pinceau ; Moi, qui fus appelé, je ne sais par quel astre,Pour être du théâtre un solide pilastre ;Moi, cet original ! L'on me force à gémir !Je gémis ; dans les pleurs je cherche à m'affermir :Héraclite survient, Catafalcus ensuite ; [Note : Apprentif : Celui qui est novice dans les arts et les sciences. [F]]Moi, leur singe apprentif, je grimace à leur suite,Le chagrin me gagnait, ma femme a tout gâté :Que je m'égaye un peu, net, mon drame est raté,Ma banquette déserte ! Ou si le monde afflue,S'il avance en tumulte, et qu'en preste il reflue... MADAME, à part. Il me jouait, le drôle, et jouera, je le vois,Nos lugubres Français qu'il mène à mon convoi. MONSIEUR. Si ma toile baissée étale pour devise...Veut-on se réjouir, céans, qu'on se ravise !Pour m'y rendre fameux j'en bannis les hochets. MADAME, à part. II va sur l'Acheron glisser des ricochets. MONSIEUR. Si ma scène imprévue offre à mon assembléeLa charmante Atropos, d'un linceul affublée... MADAME, à part. Je frémis du spectacle ! Il plaira néanmoins !IL aura, j'en réponds, nos quakers pour témoins. MONSIEUR. Si j'accouche d'une oeuvre où mes AristophanesPlongent le fer tragique en leurs flancs diaphanes,Ils criaillent, je braille, on rit, je reste mort. MADAME. Catafalcus l'emporte et le Rieur a tort. MONSIEUR. Tu m'épiais ! MADAME. Ah, ah ! Toute chaude on m'enterre ! MONSIEUR. Rentre dans ton caveau, j'attends Monsieur Parterre,Il ne te connaît point ! Il faut nous divertirÀ lamenter ta perte ; y veux-tu consentir ? MADAME. Volontiers : moquons-nous des Romans qu'il accueille,Et du choix malheureux des pièces qu'il recueille. MONSIEUR. Tu sais son crime énorme ! MADAME. [Note : Ris : Synonyme de rire.]II étrangla les ris. MONSIEUR. Avec le noeud coulant que serra tout Paris. MADAME. Je sais que le pendard a saisi l'occurrence,Pour exterminer Plaute et juguler Térence ! MONSIEUR. Tandis qu'il complimente, un froid dialogueur S'enroue à lui prôner son actrice en langueur,[Note : Nanine ou le préjugé vaincu est une comédie de Voltaire (1760).][Note : Cénie est une comédie en prose de Françoise de Grafigny (1750).]Et me soutient, à moi, que Nanine, ou Cénie,Sont les derniers efforts du comique génie ! MADAME. Pour voir là du MOLIÈRE, il faut être aveuglé !Mais l'ouvrage est-il plat, mal conçu, mal réglé, Le Dave y met du sien ; le vieux renard finasse,Accrédite un auteur, embryon du Parnasse !Dans les doctes papiers le nabot agrandi,[Note : Quarante : les Académiciens français.]Au fauteuil des Quarante arrive tout brandi,Et des Contemporains les neuf Muses prisées, N'ont des siècles futurs que nargués et risées. MONSIEUR. [Note : Vaugelas, Claude Favre, Seigneur de [1585-1650] : célèbre grammairien français, un des premiers membres de l'Académie française. On lui doit : "Remarques sur la langue française" où il définit le bon usage.]Comment ! Ces Vaugelas dont l'oeil grammaticalDécouvre dans le Cid un vice radical,Ces Bourgeois d'Hélicon, glosent la Melpomène,Qui trèfle son laurier pour en coiffer Chìmène, Et de Monsieur Parterre, en butte au correctif,Il faudra consacrer l'arrêt définitif ! MADAME. Je récuse le juge, et ma fin qui s'approcheVa lui coûter des pleurs, fut-il plus dur que roche !II s'en faut ! Le bonhomme, aussi mou qu'un chiffon, Cède aux piteux bémols d'un Opéra bouffon,Et sa voix monotone assoupit la Romance,Que l'écho, fatigué, répète et recommence.Quel triste chansonnier ! MONSIEUR. II vient, paix, le voilà !Courage, larmoyons. Tous deux tirent le mouchoir. SCÈNE DERNIÈRE. Parterre, Loge, Balcon, Monsieur et Madame Jovial. JOVIAL. Quel coup me frappe là ! Montrant son coeur. PARTERRE. Je vous retrouve en deuil ! JOVIAL. Pour les uns déplorable !Oh l'a vu, bien souvent, pour d'autres favorable. LOGE. À peine en nos foyers, où l'on grelotte ici,Avons-nous pu phraser un discours raccourci... BALCON. Et dans cet intervalle arrive une nouvelle.... MADAME JOVIAL. À casser contre un mur la plus forte cervelle !Figurez-vous la femme en sa pleine vigueur,Affrontant les hivers, la bise et sa rigueur,C'était ma jovial, allaigre, sémillante.L'image de santé, la jeunesse brillante : J'aurais mis sur sa tête un lingot du Pérou !Elle était mal au point d'abbattre un loup-garou,Toutefois gracieuse, aussi douce qu'hermine :La friponne en avait la finesse et la mine. JOVIAL. Quel démon put flétrir les roses, la fraîcheur, L'éclat qui de son teint relevaient la blancheur ?Quel Artiste éminent, peintre de la nature,N'échouerait à vous rendre au vif sa miniature ? MADAME JOVIAL. La voici : Montrant son bracelet, que considèrent les Acteurs et que baise et rebaise Jovial.Peu fidèle, en proie au vermillon ;[Note : Émerillon : Femelle du faucon aesalon, dont le mâle est appelé rochier. [L] Ici oeil vif.]Mais... c'est-là... c'est bien là... son oeil d'émerillon ! Sans Lapidaire aucun, sens nulles girandoles,La Dame eut éclipsé [les] Chinoises idoles IEt la voilà perdue au fabuleux séjourDont, par un trait jaloux, la nuit chassa le jour !La pauvre créature, agréable, follette, Le miroir devant elle, expire à sa toilette. LOGE. Encor si dans son lit elle eut trouvé sa fin ! MADAME JOVIAL. Je m'en consolerais ! LOGE. Je le crois, mais enfin,[Note : Prétintaille : Ornement de toilette en découpure qui se mettait sur les robes des femmes. [L]]Que l'on souffre à mourir en robe à preétintaille ! MADAME JOVIAL. Avec le busque habile à raffiner la taille ! JOVIAL. Quel Négromatien espéra vainement,Conjurer par son art, tourner l'événement,Et subjuguer le sort dont l'arbitraire empireVoulut de tous les maux me réserver le pire ?Je suis veuf : l'apos[t]ème enleva cet objet Qui sera de mes pleurs un éternel sujet ;J'en verse à flots, Messieurs, et je m'en félicite,[Note : Cocyte : Terme de mythologie. Un des fleuves qui environnaient les enfers. [L]]Ma femme, en falbalas, vogue sur le Cocyte :Sa mort, toujours vivante en mes esprits troublés,Les retient, à plaisir, sous la tombe accablés. PARTERRE. N'en sortez point, songez que plus on nous afflige,Moins on craint les lardons, châtiments que j'infligeÀ l'insensible époux qui perdrait sa moitié,Sans lui faire un adieu surchargé d'amitié. BALCON. Oh ! Monsieur Jovial n'aura plus d'autre envie Que de sacrifier les restes de sa vie... LOGE. Pour rejoindre sa dame en beaux accoutrementQu'elle a quitté si jeune... MADAME JOVIAL. Et pour quels ornements ! JOVIAL. Moi, vivre, et je la perds ! qu'on m'effile une épée ! MADAME JOVIAL. Vous détruire ! JOVIAL. Qu'au Styx la rouillarde trempée M'arrache à mes douleurs, m'immole à ma Philis,Dont la faux désastreuse a pu trancher les lys,La voilà... Qu'on me dise... Où ? MADAME JOVIAL, à part. Chez toi. JOVIAL. Je l'ignore ;Mais que l'urne, Ils s'en fait une de sa tabatière.Enfermant sa cendre que j'honore,M'excite à conserver le mortel souvenir D'une épouse qui part... MADAME JOVIAL. Pour ne plus revenir ! JOVIAL. Rapprochons-là de moi, quoique fort reculée ;Oui, j'annonce aux Français la pièce intitulée,Le Veuf inconsolable. PARTERRE. Oh ! Je vous garantisQue contre un tel chef-d'oeuvre il n'est point de partis, De cabales, sans frein, que votre acteur n'écrase ! JOVIAL. Monsieur... PARTERRE. D'yeux qu'il ne mouille, et d'âmes qu'il n'embrase !Sur vos dignes tréteaux, je ne reviens exprèsQue pour vous couronner du comique cyprès. Il tire de dessous sa veste, et pose sur la tête de Jovial le cyprès dont il se défend. LOGE. Et moi, je vous ménage une heureuse élégie, Dont le vers gémissant fait votre apologie. JOVIAL. Madame... LOGE. Oh plaint ce veuf, éperdu, désolé,Que l'on verra plutôt défunt que consolé.À vous, Monsieur Balcon. BALCON. Pour moi, Madame Loge,J'ai toujours réussi dans le funèbre éloge, J'en garde à Jovial un qui n'est point menteur. JOVIAL. Monsieur. BALCON. Point doucereux, et d'autant plus flatteur. LOGE. Que pour vous, mon Thespis, en casaque drapée,La médaille en bel or au bon coin soit frappée ! Jovial s'humilie. BALCON. Qu'exempte d'alliage, aucun temps ne la fouille, Qu'elle échappe aux affronts que lui ferait la rouille ! Jovial s'humilie. PARTERRE. Le ciseau vous réclame, un Pigal se réveillePour montrer sous vos traits la huitième merveille,Aux yeux du monde entier vous produire en granit,Et porter votre nom du Nadir au Zénith. JOVIAL. Triomphez, écrivains, dont la plume émoussée,Fut par un vent contraire au théâtre poussée :Du savoir et du goût, en Gaule anéantis,Naquirent les succès dont vous fûtes nantis ;Qu'ils rongent l'envieux ! Qu'ils s'accroissent encore ! Que Midas Oreillard, comme lui, vous décore,;Qu'il vous donne la palme, à vous, plats romanciers,Les bourreaux de Momus, des ris les justiciers ! MADAME JOVIAL. Éclate, mon époux, ta splendeur m'environne :Pleuvent sur toi les vers, l'éloge et la couronne, Et si ce n'est assez pour te rendre immortel,Opérons un miracle, il te vaudra l'autel :Que ton chef blanchissant tout-à-coup refleurisse,Et s'il se peut, l'ami, qu'à ton âge il meurisse ! JOVIAL. Tu vois que mon travail, à moi-même suspect, Usurpe un médaillon, des honneurs et du respect !Tu vois bien qu'en granit aux places l'on m'installePour avoir renfrogné la sombre Capitale !Ma somme... Qu'en dis-tu ? PARTERRE. Sa femme ! Il nous bernait ! JOVIAL. Tandis que de sa main Monsieur me couronnait. Allez, cyprès maudit, Le jetant, par mégarde, dans le Parterre.Allez au cimetière,Servir à nos Youngs de béguin, de têtière :Pour moi, loin des Anglais, je marche panaché[Note : Piron, Alexis (1689-1773) : Auteur dramatique français auteur de Arlequin deucalion (opéra comique), la Métromanie (comédie) et de Gusave Wasa (tragédie).]Des pampres, que PIRON du cep a détaché. PARTERRE. Le farceur ! LOGE. L'impudent ! BALCON. Le maroufle ! PARTERRE. Débute : À plat sur ton parquet ma clique te culbute. LOGE. [Note : Gilles : Toinette, Asgan, Purgon. [L] ]Présente à mon courroux tes Gilles contournés,Je leur jette aussitôt mon éventail au nez. BALCON. Sollicite un appui pour tes pièces véreuses, [Note : Nicolet : Producteur de spectacle de la Foire Saint-Laurent.]J'envoie à Nicolet ton crêpe et tes pleureuses. LOGE. [Note : Crispin : noms de types de personnages de comédie.]Ose arrondir la fraise au col de ton Crispin,[Note : Turlupin : Fig. Nom de farce que prit un comédien.]Ma cassolette ira masquer le Turlupin. BALCON. [Note : Incaguer : Terme bas et vieilli Défier quelqu'un, le braver, en lui témoignant beaucoup de mépris. [L]]Tremble pour ta séquelle ! Oui, j'incague, à ta barbe[Note : Toinette, Asgan, Purgon personnages de comédies de Molière.]Toinette, Argan, Purgon, sa toque et sa rhubarbe. LOGE. Je livre à nos rimeurs, les plus fastidieux, L'Olympe où Métromane, habite avec lés Dieux. BALCON. [Note : Ceste : Nom d'un gantelet de cuir souvent garni de plomb, qui servait aux anciens athlètes, pour combattre à coups de poings, dans les jeux publics. Le prix du ceste, le prix donné au vainqueur dans cette sorte de combat. [L]]Gémis sur mes exploits, je cours, armé d'un ceste,[Note : Alceste et Célimène sont deux personnage du Misanthrope de Molière.]Étendre Célimène aux pieds du fauve Alceste,Et de tous les humains le frondeur abjuré,Sent de mon gantelet le poids démesuré. JOVIAL. [Note : Elmire, Orgon, Dorine : personnages du Tartuffe de Molière. ]Frappez d'un coup de foudre Elmire, Orgon, DorineComplétez la victoire, et qu'on la tambourine. BALCON. Vous me raillez, je pense ! JOVIAL. Innocemment ! BALCON. D'un ton[Qui] semble sur vos reins appeler le bâton ! JOVIAL. [Halte]-là ; Jovial, valet de comédie, Pourrait changer, Monsieur, la scène en Tragédie I PARTERRE. C'est un double maraud, suivant le Trivelin,Palaprat, Dufresny, Regnard et Poquelin ;C'est un drôle avoué du rieur Démocrite :Sortons, que sa mémoire en ces lieux soit proscrite ! Il tire un long sifflet, siffle à outrance, et sort avec Loge et Balcon. JOVIAL. Nargue à Monsieur Parterre, il siffle, il applaudit... MADAME. Il ne sait ce qu'il fait, car il se contredit. JOVIAL. Il suffit, une fois, montrer sa turpitude. MADAME. Pour lui tu sanglotais, n'en prends point l'habitude. JOVIAL. Allons, ma toute belle, allons rire au festin Qu'assaisonne en bons mots notre amé Fagotin,Et d'un Catafalcus fuyons l'itinéraireQui nous mène, avant terme, au dortoir funéraire.Refoulons la vendange avec mon Rabelais,Réintégrons Thalie en son joyeux Palais. AU PARTERRE.Monsieur, quelque pitié, grâce, si l'on vous joue,Je vous applique ici le soufflet sur ma joue !Ma pièce est misérable ! et mes chétifs acteursSeront jusqu'à la mort vos zélés.... détracteurs. ==================================================