******************************************************** DC.Title = ZÉLAMIRE OU LA SAUVAGE, COMÉDIE DC.Author = [Anonyme] DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 07/03/2021 à 20:47:28. DC.Coverage = Canada DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ANONYME_ZELAMIRE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9061644h/f28.image DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ZÉLAMIRE OU LA SAUVAGE COMÉDIE PERSONNAGES. DOLNANGE, Officier français, Premier rôle, jeune. BELFORT, officier français. second rôle. GERMAIN, valet de Dolnange. Grande livrée. DUBOIS, valet de Belfort. Second valet. ZÉLAMIRE, amante de Dolnange. Jeune première amoureuse. NADINE, soeur de Zélamire. Ingénuité. OUKÉA, Sauvage. Premier rôle masqué. TROUPE DE SAUVAGES. La scène est en Canada. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Dolnange, Germain. DOLNANGE. Oui la tranquillité de cet endroit champêtre,Au séjour de Paris préférable peut-être,Malgré tous nos malheurs a mille attraits pour moi. GERMAIN. Comment pourrait-on regarder sans effroi,Ces rochers habités par des hommes sauvages Humains dénaturés et vils anthropophages,Que forma la nature en dépit du bon sens,Pour nous donner la chasse et manger les passants.Je maudis mille fois l'amour qui vous enchaîne ! DOLNANGE. Que crains-tu dans ces lieux ? GERMAIN. La fureur inhumaine Des féroces hurons qui nous guettent partout : Et qui nous trouveraient tous deux fort à leur goût,J'en vis un qui pressé par une faim canineHier sur ces coteaux lorgnait ma bonne mine.Je l'évitai bien vite... Enfin à leur fureur Que peut-on opposer ? DOLNANGE. L'amour et la valeur. GERMAIN. Pour éviter leurs coups voilà de belles armes !Et qui ne calment point mes trop justes alarmes.J'ai grand tort en effet de paraître peureuxEt pour leur résister nous sommes bien nombreux. DOLNANGE. Sur cela ta frayeur ... GERMAIN. Est un trait de prudence. Vous fondez sur l'amour toute votre espérancePour nous tirer des mains de ce peuple abruti,Et c'est pour l'amour seul que je serai rôti.Quoi vous osez chez eux aimer une Huronne ! Au mépris d'un Huron la belle vous couronne.Vous oseriez penser que cet amant jalouxS'il peut vous attraper aura pitié de vous ?Et qu'il n'obtiendra pas de ses barbares frères,Pour vous vaincre à son gré les secours nécessaires ? Quand il devrait mourir d'une indigestion,Il nous croquera seul aujourd'hui sans façon. DOLNANGE. Le Huron de ces bois n'est point anthropophage.C'est ce que nous disait ce malheureux Sauvage,Par d'indignes fuyards, près du camp arrêté ; Et par mon bras vainqueur remis en liberté. GERMAIN. Pour mieux nous attraper il vous tint ce langage.Pourrait-il être humain quand il est né Sauvage ?C'était un piège adroit qu'il nous faut éviterEn quittant ces forêts qu'on ne peut habiter Sans risquer mille morts. DOLNANGE. Ô Ciel qu'oses-tu dire ?Je quitterais ces lieux ! Je fuirais Zélamire !La mort la plus cruelle est plus douce pour moi ;Quel être assez ingrat voudrait trahir sa foiQuand il est adoré d'une amante fidèle, À laquelle il promit une flamme éternelle ?Zélamire est un dieu qui répand le bonheur.C'est l'astre bienfaisant qui luit seul sur mon coeur.Et quel serait d'ailleurs mon destin déplorable, Accablé sous le poids d'un remords effroyable, Après avoir trahi mes serments, mon amour ?Serai-je digne encore de voir l'éclat du jour ?Un traître est sur la terre un monstre détestableUn parjure est encor mille fois plus coupable.Opprimer l'innocence et tromper sa candeur Est un crime odieux qui révolte l'honneur.L'amour en moi n'est point une simple faiblesse :Quand j'ai juré d'aimer, je tiendrai ma promesseAux dépens de ma vie. GERMAIN. Et vous êtes Français ? DOLNANGE. Je le suis pour l'honneur, et qui pourrait jamais Se résoudre à trahir l'espoir de Zélamire ?Je ne suis point parjure, et cela doit suffirePour raffermir mon coeur au milieu des combats,Que pourrait lui livrer la crainte du trépas.Ses bienfaits pour toujours sont gravés dans mon âme, Ils ont donné naissance à ma constante flamme.Qu'ils en soient le soutien. Oui, j'ose l'attester :Pour l'unir à mon sort je saurai tout tenter.Et si de mon destin l'affreuse barbarie,Zélamire, pour toi me fait perdre la vie, Je te rends sans murmure un bien que je te dois. GERMAIN. Moi je m'acquitterai bien mieux une autre fois.Je lui dois le jour, mais plus sage que vous n'êtes,Je ne suis point pressé d'aller payer mes dettes.Et ne croirai jamais à ne rien déguiser, Que vous puissiez, Monsieur, songer à l'épouser. DOLNANGE. Dis-moi dans quels climats, sur quel heureux rivage,Je pourrais faire un choix qui me plût davantage. GERMAIN. Je sais que sur ce point tout dépend du hasard :Mais vous allez en France être en butte au brocard. Oserez-vous produire une épouse iroquoise ?On vous lapidera. La plus mince bourgeoise,Imitant le bel air, lui devra ses méprisesEt vous serez contraint de déserter Paris. DOLNANGE. Va, de quelque façon que la vertu se montre Elle sait nous séduire. GERMAIN. Ah, fatale rencontre !J'entends du bruit, Monsieur, je frémis... DOLNANGE. C'est à tort...Je ne me trompe pas, c'est mon ami Belfort. GERMAIN, à part. Si les Hurons voulaient l'avaler à ma place ! SCÈNE II. Dolnange, Germain, Belfort, Dubois. BELFORT. C'est toi que je revois ! Et le Ciel, par sa grâce, Remplit en ce moment mes plus ardents souhaits. DOLNANGE. Ah, que viens-tu chercher dans ces tristes forêts ? BELFORT. Mon ami... Je te trouve et ma joie est extrêmeDe te rendre aux soupirs de ton oncle qui t'aime,Et qui sur un faux bruit t'a pu croire noyé ; Cédant à ses désirs, cédant à l'amitié,Pour te rendre à ses voeux j'aurais donné ma vie.Viens, dans un mois au plus tu verras ta patrie.Nous retournons en France... DOLNANGE. Ah, Belfort, que dis-tu ! BELFORT. Pourquoi donc ces regrets et cet air abattu ? As-tu donc oublié la belle destinée,Que déjà t'y prépare un brillant hyménée ? DOLNANGE. Ah, je dois à jamais habiter ce séjour, Et j'y suis enchaîné ! BELFORT. Qui t'y retient ? DOLNANGE. L'Amour !Mon coeur humilié l'avouerait avec peine, S'il avait à rougir de l'objet qui l'enchaîne.Mais au sein des déserts comme au milieu des coursLa beauté, la vertu, nous charmera toujours. BELFORT. Quand le bonheur te plaît, sans doute je l'approuve ;Mais plus réel qu'ici dans Paris on le trouve Crois que ce n'est que là que l'on peut faire un [choix]Les belles valent mieux que dans ces sombres bois.Nos beautés profitant de tous leurs avantages,N'en ont pas moins d'attraits pour n'être pas Sauvages. DOLNANGE. La nature deux fois ne se répète pas. Elle s'est épuisée en ces heureux climats ;Et cet effort lui seul aura pu lui suffire,On ne verra jamais une autre Zélamire ! BELFORT. Quel est donc ce prodige ? Apprends-moi par quel sortCette Sauvage a pu t'enchaîner sur ce bord ? DOLNANGE. Belfort, pour en juger, il faut avoir mon âme.Je ne fus pas séduit par une aveugle flamme :Je lui rendis justice, avant que de l'aimer.Et ce n'est pas en vain qu'elle m'a su charmer. BELFORT. Mais quelle est-elle enfin ? DOLNANGE. Une ange tutélaire ; Une divinité ; la vertu sur la Terre...C'est un Dieu... Cher Belfort, dois-je me rappelerCe jour dont, sans frémir, je ne saurais parler ?Pour aller à la pêche, avec une chaloupeJe m'embarque et je sors, ayant le vent en poupe. Seul avec mon valet, je m'éloigne du port.Un ouragan affreux nous pousse sur ce bord.Contre un roc notre barque, à l'instant fracassée,Nous laisse pour soutien une planche cassée ; Sans moyens, sans secours, luttant contre la mort, Les vents impétueux nous poussaient loin du bord,De l'espoir consolant, l'inépuisable amorce,Voyait avec regret épuiser notre force ;Et nous allions périr au milieu des courants.Zélamire, attentive, entend nos cris perçants. Cette femme sensible, avec un coeur sauvage,S'attendrit à ma voix, s'élance du rivageJusqu'au sein des mers. Son coeur compatissant,Nous faisant éviter un obstacle puissant,Nous sauve et je m'écrie en ma surprise extrême : C'est une déité : C'est Vénus elle-même !Elle n'a pas voulu que son brillant berceau,De deux infortunés deviennent le tombeau. J'embrasse ses genoux, j'admire son courage,Et mon coeur attendri lui rend un pur hommage. Lève-toi, me dit-elle, et crois qu'en ces climats,La bienfaisance peut avoir quelques appas.Nous naissons ennemis de toute la Nature,Mais c'est un sentiment que pour jamais j'abjure.Du plaisir d'obliger mon coeur trop satisfait Saisit avidement le bonheur d'un bienfait :Venez et vous verrez combien je suis heureuseDe vous prouver qu'il est une âme généreuse. Dans des rochers affreux, elle nous conduisit.Prévenant nos besoins, sa pitié nous nourrit. Tant de soins, tant d'attraits : un rayon d'espéranceFit succéder l'amour à la reconnaissance.En tremblant à ses pieds, j'en fait le tendre aveu.Rassure-toi, dit-elle... Oui, j'approuve ton feu.L'amour dans nos forêts ne sait pas se contraindre. Et l'art d'aimer ici ne fut point l'art de feindre.Depuis ce bel instant, je la vois chaque jour,Et chaque aurore voit augmenter mon amour. GERMAIN. Et ma frayeur aussi, mon cher maître. De grâce,Sortons de ces déserts où la mort nous menace Et courons habiter le séjour de Paris. Zélamire vous fait rester en ce pays ?Eh bien, emmenons-la, qu'elle vous suive en France !Vous pouvez l'emmener sans grande résistance Et vous satisferez l'amour et l'amitié. BELFORT. Il a raison, Dolnange. GERMAIN. Ah, Monsieur, par pitié,Rendez-vous à nos voeux ! DOLNANGE. Zélamire a son père.Abandonnerait-elle une tête si chère.Prolonger ses vieux jours fut son unique espoirEt faire son bonheur est son premier devoir. Emmenons le vieux père, et la mère, et la fille,Emmenons le grand-père, et toute la famille,Et fuyons loin d'ici BELFORT, à Dolnange. Viens, retournons au camp.Voyons ton oncle ; il est humain, compatissant.Il plaindra ton amour, l'approuvera peut-être, Et de l'objet aimé pourra te rendre maître. GERMAIN. Et s'il n'approuve pas, tous deux nous reviendronsServir de déjeuner à messieurs les Hurons. À part.Ah, si l'on m'y attrape... BELFORT. Écoute ! Pour te plaire,J'engagerai ton oncle à terminer l'affaire. J'ai du crédit sur lui... DOLNANGE. Zélamire en ces lieuxVa se rendre et croira que j'évite ses yeux.Que pour la fuir... BELFORT. Germain peut bien ici l'attendreEt l'instruire de tout. GERMAIN. Je ne saurai m'y prendre,Je narre mal. BELFORT. Il est courageux, je le vois ; Aussi vaillant que lui, tu peux rester, Dubois.Tu le seconderas... À Dolnange.Et toi viens ... je te jureQue nous réussirons... DOLNANGE. Germain, je t'en conjure.Rassure Zélamire et fais-lui concevoir Que je ne me dérobe au bonheur de la voir Que pour la posséder, que pour la rendre heureuseEt reconnaître enfin sa bonté généreuseAu milieu des grandeurs, de la félicité,Que par mille vertus elle a bien mérité. SCÈNE III. Germain, Dubois. GERMAIN. À quoi me réduit-on !... Trop faible créature ! Le sort a dans ces bois marqué ma sépulture. DUBOIS. Mais est-il bien certain que ces peuples méchantsSe font un vrai plaisir de manger les passants ?On ne poussa jamais si loin la barbarie !En as-tu fait l'essai ? GERMAIN. [Note : Butor : Familièrement, un homme stupide, grossier, maladroit. [L]]Butor, serais-je en vie ? Mais, hélas, je pressens qu'il faudra passer là.De leurs mains, l'autre jour, le hasard me sauva.Un Huron aux humains chassait sur la colline,La goulu m'aperçoit, lorgne ma bonne mine :Teint frais, bouche vermeille, oeil vif, corps gras, beau port, Peau fine et blanche ; en moi, tout le charme d'abord.À mon aspect, chez lui l'appétit se réveille.Il court, saute et bientôt me saisit par l'oreille.Mon maître entend mes cris, il paraît et, soudain,Il charge le Huron qui, de sa belle main, Reçoit pour l'autre monde un passeport en forme. DUBOIS. Avant de voyager, prudemment on s'informeDes moeurs des habitants, des risques à courir ;Et quand on est instruit... GERMAIN. Est-ce pour mon plaisirQue je vins en ces lieux ? On a su m'y contraindre Et je vois que ma mort... DUBOIS. Va, tu n'as rien à craindre,Tu peux te reposer ici sur ma valeur.Un Huron n'est qu'un homme ! Et quand on a du coeur,Il faut savoir combattre avant que de se rendre.Contre une horde, seul, je pourrais me défendre. GERMAIN. Ciel, près de ce buisson, j'entends quelqu'un marcher ! DUBOIS. Défends-toi bien, Germain... Moi, je vais me cacher. Il s'enfuit. SCÈNE IV. GERMAIN, seul. Attends-moi donc... Ah, c'est la soeur de Zélamire.Dubois... Il est bien loin, sa frayeur me fait rire.Aussi poltron qu'un autre, il vantait sa valeur. Quelle fanfaronnade ! Il a, ma foi, du coeur !Oh, le brave guerrier ! Pour une femme, il tremble. Voyant descendre Nadine de la montagne.La petite est gentille et je puis, ce me semble,Pour charmer mon ennui dans ce triste séjour,Puisqu'elle est seule ici, lui faire un peu ma cour. Mon maître obtiendra l'une et moi l'autre... Je penseQue, comme lui, je dois avoir la préférenceSur les amants hurons... Ce peuple de vautours,Sanguinaire et cruel jusques dans leurs amours. SCÈNE V. Germain, Nadine. NADINE, sans voir Germain. Zélamire viendra quand... je ne vois personne... Dolnange, hélas, a cru que ma soeur l'abandonne.Il sera reparti... là... je m'en doutais bien...Je l'ai dit à ma soeur, qui ne me croit en rien.Il faut l'aimer bien peu pour l'avoir fait attendre.Au point du jour ici, tous deux viennent se rendre. Zélamire ne peut y venir aujourd'hui...Son père, ce matin, l'occupe auprès de lui.Dolnange, en son chagrin, sans doute a pris sa fuitePour la punir... Tant mieux, car elle le mérite.Il a bien fait aussi de savoir se venger : Quand on a des amants, on les fait enrager.Oh, si j'en ai jamais sans tant faire la fière,Au rendez-vous toujours je serai la première. Germain se montre.Ah, te voilà Germain ! Ton maître... GERMAIN. Va venir.Un de ses bons amis qu'il vient d'entretenir La conduit jusqu'au camp que l'on voit dans la plaine.Ils reviendront bientôt... NADINE. Je doute qu'il revienneQuoi qu'il en soit dis-lui que Zélamire attendSon retour en ces bois très impatiemment.Elle viendra s'y rendre. Adieu. GERMAIN. Quoi donc, si vite ? Je gage qu'en secret votre coeur qui palpite,Au rendez-vous déjà va trouver quelque amant ? NADINE. Qui, moi ? Je n'en ai point. GERMAIN. C'est dommage, vraiment. NADINE. J'en avais un rempli d'amour, de complaisance :Je l'ai gardé deux jours. GERMAIN. Voyez quelle constance ! NADINE. À mon âge, on ne veut que plaire, que charmer,Et ce tyran jaloux voulait seul m'enflammer. GERMAIN. Ou diable a-t-il vécu ? Dans les bois ? Mais j'espèreQue vous ne verrez plus cet amant éphémère.Vos attraits enchanteurs me charment et je veux Vous donner de ma main un aimable amoureux. NADINE. Est-ce un Français ? GERMAIN. Fort bien ! Vous les aimez, mignonne ? NADINE. Oui, j'en veux avoir un... Je ne connais personneQui possède comme eux l'art de se faire aimer. GERMAIN. Eh bien, c'est un Français que je vais vous nommer. Il est beau, fait au tour, de l'esprit et des grâces ;Il vous séduit, mais non par de fades grimacesQui des hommes du jour font le seul agrément,[Note : Caquet : Fig. Babil haut et bruyant, et aussi babil de jactance. [L]]Mais par un beau génie, un caquet amusant. NADINE. Dis donc qui c'est déjà, je voudrais le connaître. GERMAIN. Eh bien, c'est moi ! NADINE. Fi donc, cela ne saurait être !Tu me l'as peint joli, plein d'esprit et bien fait ;Et toi tu me parais assez sot et fort laid. GERMAIN. Vous en jugez très mal. NADINE. C'est ce que dit ton maître. GERMAIN. Il ne s'y connaît pas. NADINE. Il doit bien s'y connaître. Quant à moi, je ne sais juger que par mon coeur.Si tu voyais Dolnange aux genoux de ma soeur...Les jolis mots qu'il dit : quelle ardeur, quelle flamme !Dans ses yeux brille un feu qui dévore son âme.L'amour qui fut pour lui le dieu de vérité Est le garant sacré de sa sincérité.Aussi, quand je le vois, une rougeur subiteCouvre bientôt mon front et puis mon coeur palpite,Et croit voir le bonheur suivre un pareil amant,Au lieu qu'il ne sent rien, Germain, en te voyant. GERMAIN. Je saurai vous forcer à me rendre les armes,Quand je me servirai du pouvoir de mes charmesC'est depuis le moment que je vous vis iciQue je conçus l'espoir d'être votre mari. NADINE. Mon mari ! Juste ciel ! Que je serais à plaindre. GERMAIN. Pourquoi vous récrier ! Je m'en vais vous dépeindreCelui qu'avec honneur, vous venez de nommer.C'est un être charmant, qui sait se faire aimer.Toujours plus amoureux, plus épris de sa femme,Chaque jour, chaque instant voit augmenter sa flamme. Rempli d'égards, de soins, il n'a d'autre bonheurQue celui de l'objet qui maîtrise son coeur.Indifférents pour tous, tendre, constant, fidèle,Sa femme est son héros : il ne vit que pour elle.Ses désirs sont les siens, sa gloire, son honneur, Sa destinée, enfin tout dépend du vainqueur. NADINE. Dolnange, qui peignait l'époux d'après nature,N'en parlait pas ainsi. GERMAIN. Par méchanceté pure. NADINE. Rien que sur le portait qu'il en fit à ma soeur,Pour ce nom si fâcheux je conçus de l'horreur. Un mari, disait-il, est un être bizarre :S'il aime, il est tyran ; s'il hait, il est barbare.Injuste, soupçonneux, exigeant, tour à tour,Chez lui la jalousie empoisonne l'amour.Si c'est l'indifférence, elle est bien plus cruelle. Elle livre au mépris une épouse fidèle,Qui voit un autre objet usurper le bonheur,Qu'elle dut obtenir du tyran de son coeur. GERMAIN, à part. Bon. NADINE. Dolnange dit que dans votre patrie,Souvent par intérêt on s'unit pour la vie Avec ceux que l'on hait ou qu'on ne connaît pas.Peut-on dans de tels noeuds trouver quelques appas ? GERMAIN. Non, mais c'est que l'argent, vous l'ignorez Nadine,[Note : Lutiner : Tourmenter comme ferait un lutin. [L]]Est un démon malin qui toujours nous lutine.À qui l'on sacrifie honneur, gloire, vertu, Sa santé, son bonheur et son coeur par-dessus. NADINE. Nous gardons entre nous un plus juste équilibre.Plus sage dans nos bois, l'amour est un dieu libre.Tant que nous nous aimons, nous sommes enchaînés ;Si nous nous déplaisons, nous sommes condamnés, En rompant nos liens, à former d'autres chaînesQui ne soient pas pour nous une source de peines. GERMAIN, à part. Ciel, les Hurons ! Fuyons un supplice nouveau.Les gloutons de Germain ne feraient qu'un morceau. SCÈNE VI. Nadine, Oukéa. NADINE. Où va-t-il donc ? Il court sans doute après son maître. Tant mieux... C'est Oukéa qu'ici je vois paraître.Il recherche ma soeur vainement aujourd'hui,Elle adore un Français qui vaut bien mieux que lui. OUKÉA. Où donc est Zélamire ? NADINE. Elle est avec son père. OUKÉA. Il faut que je lui parle. NADINE. Il n'est pas nécessaire, Tu lui feras plaisir de ne plus la revoir. OUKÉA. Veut-elle me porter au dernier désespoir ? NADINE. Et que lui feras-tu ? OUKÉA. L'ingrate ! Je l'adore !Pour prix de mon amour, elle me hait, m'abhorre.Que plutôt Oukéa, par les cieux écrasé, Soit victime des maux d'un amour méprisé,Que de souffrir l'affront de son indifférence.Elle fait mon malheur, je veux dans ma vengeanceDéchirer à ses yeux cet indigne Français,Qui m'a ravi ce coeur qu'il n'obtiendra jamais, À moins que du Destin le funeste caprice,N'entrouvre un gouffre affreux qui soudain m'engloutisse.Tant que le ciel, enfin, me laissera respirer,Je mettrai mon bonheur à la désespérer. NADINE. Par pitié, quelquefois ma soeur daignait te plaindre, Elle te haïra si tu veux la contraindre. OUKÉA. Eh ! Que peut m'importer sa haine ou sa pitié ?Je dois m'attendre à tout quand je suis oublié.Il faut que je l'obtienne ou bien que je périsse.Après l'avoir livrée au plus affreux supplice, En immolant l'objet qu'on m'oser préférer. NADINE. Est-ce là le moyen de te faire adorer ?Elle ne t'aime plus et ton coeur s'en offense ?Tu la punirais plus par ton indifférenceQue par ces vains transports que brave son amour. Nous voudrions avoir vingt amants chaque jour,Et pour en faire plus aucun soin ne nous coûte.Si l'un d'eux nous dédaigne, il nous punit sans doute.Nous voulons les voir tous nous aimer sans espoir,Mais s'il s'en échappe un on voudrait le ravoir. Crois-moi, quand on veut plaire, il faut avec adresseOpposer tour à tour la ruse et la finesse. OUKÉA. Penses-tu que mon coeur blessé cruellement Veut suivre le conseil que me donne un enfant ? NADINE. Je suis jeune... Je sens que j'ai peu de malice, Mais je crois qu'en amour il est peu de novice ;Et le plus innocent est maître en l'art d'aimer.Mes discours cependant ne peuvent te calmerJe m'enfuis... Laisse là cette mine boudeuse, Rien ne rend aussi laid que l'humeur querelleuse. Si j'avais un amant qui pût te ressembler,Avec un air pareil, il me ferait trembler.Et mon coeur, que déjà ta vaine fureur choque,Se moquerait de toi comme ma soeur s'en moque. SCÈNE VII. OUKÉA. Je jure par l'amour que ce n'est pas en vain Que sa flamme en fureur se change dans mon sein.Je ne suis pas cruel, mais il m'enseigne à l'être.Allons trouver l'ingrate, elle apprendra peut-êtreCe que peut dans sa rage un amant rebuté.Je veux jusqu'à l'excès porter la cruauté, Je veux, dans les transports dont la fureur me guide, Sous mes coups redoublés écraser la perfide.Et déchirant son coeur percé du coup mortel :Que dis-tu, malheureux, quel spectacle cruel ?L'amour était-il fait pour me rendre barbare ? Qui, moi, plus inhumain qu'un féroce tartare,Cédant à la rigueur d'un sentiment nouveau,Dans un coeur que j'adore enfoncer le couteau ?Que ma rage plutôt retombe sur moi-même.Quoi, je veux la punir parce qu'un autre l'aime ! Elle me hait... peut-on commander à son coeur ?Et puis-je maîtriser ma malheureuse ardeur ?J'adore une infidèle, elle outrage ma flamme ; Embrassons un projet plus digne de mon âme,Faisons-la repentir d'oser m'abandonner, Je pourrais l'en punir, je veux lui pardonner,l'accabler de bienfaits et lui faire connaîtreQu'un coeur tel que le mien la méritait peut-être.Oukéa généreux, lâchement outragé,Put lui donner la mort et s'est bien mieux vengé. La vertu dans son coeur anéantit le crime...Mais envers son amant ma rage est légitime.C'est lui qui l'a séduite ; et Zélamire ici,Sous les lois d'Oukéa, serait encor sans lui.Qu'il meure sous mes coups et que l'ingrate apprenne Jusqu'où vont mes vertus, ma vengeance et ma haine. Fin du premier acte. ACTE II [SCÈNE I]. Germain, Dubois. DUBOIS. Tu veux venir ici, mais y sommes-nous bien ? GERMAIN. N'es-tu pas avec moi ? Va, n'appréhende rien. DUBOIS. Je n'ai pas comme toi cette ardeur magnanime :Si l'on vient, je m'enfuis. GERMAIN. Quel coeur pusillanime ! Moi, je ne fuis jamais ; d'ailleurs, mon maître iciPourrait bien nous sauver. DUBOIS. Oui, je m'y fie aussi ? GERMAIN. Pourquoi non ? Un Sauvage allait perdre la vie.Dolnange, seul vainqueur d'une troupe ennemie,Combattit comme un tigre et sauva l'Iroquois, Qui sans mon maître était pourfendu cette fois.Si l'on nous attaquait, nous trouverions peut-êtreCet homme qu'a sauvé la valeur de mon maître,Il viendrait nous défendre. DUBOIS. Oh non pas, s'il vous plaît !Ici tout comme en France on oublie un bienfait. Il peut avoir affaire et sa reconnaissanceNous laissera périr par simple négligence.Ne pas nous exposer est toujours le meilleur. GERMAIN. Quelqu'un vient, cachons-nous. DUBOIS. Ô ciel, je meurs de peur ! GERMAIN. C'est Zélamire, bon. DUBOIS. Je la redoute encore. Et le sexe sauvage est, dit-on, carnivore.Viens, sauvons-nous toujours. GERMAIN. Tu peux bien l'observer. DUBOIS. Mes jours me sont trop chers, je veux les conserver. Ils se retirent dans le fond. SCÈNE II. Zélamire, Dubois et Germain, à l'écart. ZÉLAMIRE. Dolnange, me voici ! Mon âme impatiente !...Ah, ne te cache plus aux yeux de ton amante. Parais... Il ne vient pas ! Qu'est-il donc devenu ?Ciel, quel présage affreux pour mon coeur suspendu !Si de quelque autre objet la présence nouvelle...Le puis-je croire ? Non... Dolnange m'est fidèle.Son coeur m'est bien connu, j'en atteste l'amour. Un si grand changement se fait-il en un jour ?Convaincu, à jamais, du feu qui le dévore,À le trouver constant je dois m'attendre encore.Et tel qui sait aimer... On approche, c'est lui... Germain passant.Vaine erreur ! Tout doit-il m'abuser aujourd'hui ? Germain, que fait ton maître ? Et quelle horrible affaire,Du bonheur de nous voir a donc pu le distraire ?Qui peut le dérober à mon empressement ? GERMAIN. Il m'a dit... ZÉLAMIRE, l'interrompant. Je frémis... achève promptement ! GERMAIN. Avant son départ... ZÉLAMIRE. Ciel, il est parti ! Barbare ! À la face des cieux mon amour te déclareQue de la feinte ardeur dont tu viens m'outragerAu bout de l'univers je saurai me venger.Est-ce qu'impunément on peut être parjure ?Va, ce crime odieux que proscrit la nature Ailleurs comme en ces bois aura son châtiment. GERMAIN. Zélamire, de grâce, écoutez un moment !À vos vivacités, tâchez de faire trêve.Vous vous emportez trop, permettez que j'achève.Votre amant est parti, mais c'est pour revenir. À ne vous plus revoir pourrait-il consentir ?Il en mourrait.... ZÉLAMIRE. Germain, tu m'abuses peut-être ? GERMAIN. Non, c'est la vérité. Vous saurez que mon maîtreA trouvé par hasard un Français dans ces lieuxQui l'a conduit au camp près d'un oncle fort vieux, Pour lui parler de vous, lui peindre sa tendresse,Obtenir son aveu pour vous aimer sans cesse,Et vous placer enfin au rang le plus brillant. ZÉLAMIRE. Son coeur seul me suffit. GERMAIN. Je le crois... CependantPour vous calmer, il m'a prescrit de vous attendre. Et de sa part, ici, je dois vous faire entendreQue sa démarche est pure et son coeur sans détour,Qu'il ne s'éloigne enfin que par excès d'amour.Son âme est à la vôtre à jamais attachée.Ah, dans un petit coin, que n'étiez-vous cachée ! Son ton vous eût séduite : "Oui, Germain, disait-ilDe mes jours à tes yeux je trancherais le filSi je savais manquer à la reconnaissanceÀ l'amour, à l'ardeur..." Ai-je son éloquencePour peindre comme lui ce qu'un coeur peut sentir ? Mais je puis vous jurer qu'il va bientôt venir.Et pour hâter ses pas, il faut que je vous quitte.Je vais vous l'amener. Bas, à Dubois.Enfuyons nous bien vite. Ils sortent. SCÈNE III. ZÉLAMIRE, seule. Je ne suis pas tranquille et jusqu'à son retour,Mon coeur plus inquiet... Pourquoi donc ce détour ? Ce mystère m'étonne... Est-il nécessaireDe me faire un secret d'une important affaire ?J'ai cru m'apercevoir que Germain hésitait,À travers ses discours le mensonge perçait.Dolnange, me trahir ? Ah, serait-il capable, À mes yeux indignés, de se rendre coupable ?Non, non, et mes soupçons ne sauraient me tromper.Mais c'est son retour seul qui peut les dissiper. SCÈNE IV. Zélamire, Oukéa, Germain, sur la montagne et courant à Zélamire. GERMAIN. Je me meurs ! On me tue ! Il faut que je périsse ! OUKÉA, une massue à la main. Rien ne peut te soustraire à ton juste supplice. Je vais même à ses yeux te déchirer le flancEt laver mon affront dans ton infâme sang. GERMAIN, à genoux et tremblant. Respectable affamé, par la faim qui vous presse,Laissez-moi vivre encor : il faut que je m'engraisse. Quel plaisir aurez-vous de me tordre le cou ? Voyez, ne suis-je pas aussi sec qu'un coucou ?Ce ne sont que des os et ma chair coriaceNe satisferait point votre appétit vorace !Pour faire de mon corps un excellent ragout,Donnez-moi quinze jours quelques mets à mon goût. À ma discrétion livrez votre volaille Et vous me mangerez aussi gras qu'une caille. OUKÉA. Vil objet de ma haine, odieux séducteur,Ta lâcheté pourrait adoucir ma fureur,Si ma rage envers toi n'était pas légitime. Mais j'ai juré ta mort. ZÉLAMIRE. Qu'a-t-il fait ? Et quel crime ? OUKÉA. L'amour qu'il a pour toi... GERMAIN. Moi, je ne l'aime pasC'est mon maître qui rend hommage à ses appas,Pour moi, je la déteste. OUKÉA. Et qui donc est ton maître ? GERMAIN. Seigneur, pour en juger, il faudrait le connaître. Il est beau, blanc, bien gras, c'est un morceau de roi.Je vais le chercher. OUKÉA. Non, attends. GERMAIN, à part. C'est fait de moi. ZÉLAMIRE. Que veux-tu ? OUKÉA. Puisqu'il t'aime... GERMAIN. Eh non, je vous assureUn autre est son amant. Si c'est une imposture,Assommez-moi. OUKÉA. Qu'il vienne et cesse de me fuir ; Qu'il vienne m'immoler ou qu'il vienne mourir ;Qu'il apprenne à me vaincre et me fasse connaîtreSi je suis son esclave ou si je suis son maître. S'il oppose à mes feux des feux aussi brûlants,Si son amour vainqueur peut commander au temps, Que le hasard, la force ou la valeur décide.Quiconque sait aimer n'a pas un coeur timide.S'il t'aime, qu'il paraisse. ZÉLAMIRE. Et crois-tu que mon coeur,D'un lâche et vil amant aurait fait son vainqueur ?Plus délicat encor que le tien n'est farouche, Je te proteste ici que l'objet qui me touche,Plus amoureux sans doute, et plus vaillant que toi,En est plus digne aussi de recevoir ma foi. OUKÉA. J'ose l'en défier... mais tu trompes... Je jureQue voilà ton amant. GERMAIN. En ai-je l'encolure ? Je peux vous attester qu'il était en ces lieux,Lorsqu'un de ses amis s'est offert à ses yeux.Pour retourner au camp, il s'est laissé séduire.Si vous voulez le voir, je vais vous y conduire :Suivez-moi... OUKÉA. Crois-tu donc que s'il t'aimait vraiment, Il t'abandonnerait ? Vois ton aveuglement !Par son indifférence, il prouverait qu'il t'aime ?Compare sa froideur à mon amour extrêmeEt sois juste. Bien plus, pour combler ton affront,Il va partir. Jamais tes yeux ne le verront. Il ne reviendra pas. ZÉLAMIRE. Pourrait-il... GERMAIN, bas. Zélamire !Croyez qu'il... OUKÉA. Que dis-tu ? GERMAIN. Rien du tout. OUKÉA. Il faut direCe que tu peux savoir et ne rien déguiser,Ou bien de mille coups ma main va t'écraser. GERMAIN. Eh bien, j'obéirai. Que faut-il vous apprendre ? OUKÉA. Que son amant la fuit ; plus parjure que tendre,Il ne saurait garder un coeur comme le sien.Pour conserver ta vie, il n'est que ce moyen.La vérité te sauve. GERMAIN, à part. Ou plutôt le mensongeAyons recours à lui... Haut.Seigneur, lorsque j'y songe Je ne puis me résoudre à vendre impunémentLe secret de mon maître... Il le faut cependant,[Note : Le vers 573 comporte 13 pieds.]Puisque vous l'exigez. OUKÉA. Parle. GERMAIN. Amante infortunée !Êtes-vous faites, hélas, pour être abandonnée ?Votre parjure amant... (vous l'aviez bien prévu) Va retourner en France. ZÉLAMIRE. Ô ciel ! Qu'ai-je entendu ? GERMAIN. Oui, c'est la vérité, je l'avais déguiséeMais vous méritez bien d'être désabusée. OUKÉA. C'est bon, pars. GERMAIN. Tout de suite. Il s'enfuit. SCÈNE V. Zélamire, Oukéa. OUKÉA. Eh quoi, ton coeur gémit ?Regrettes-tu l'ingrat qui te trompe et te fuit ? Que t'importe après tout sa haine ou sa constance,Puisqu'il croit te punir par son indifférence ?Je veux venger l'affront qu'il te fait en ce jour.C'est moi seul qu'il offense et je vais à mon tour,Exhalant contre lui les transports de sa rage, Effacer par sa mort son crime et mon outrage. ZÉLAMIRE. Demeurez. OUKÉA. C'est en vain que tu veux m'arrêter.L'arrêt est prononcé, je cours l'exécuter.Rien ne pourra sauver un rival que j'abhorre. ZÉLAMIRE. Attends. OUKÉA. Quelle pitié peut te parler encore ? ZÉLAMIRE. On ne saurait haïr ce qu'on a tant aimé.Si c'est pour me venger que ton bras est armé,Garde pour d'autres temps ton affreux ministère.Je n'en ai pas besoin... Dolnange était sincère,Il ne m'a pas trompée. OUKÉA. Apprenez-moi sans détour Par quel moyen il sut t'inspirer tant d'amour ?Est-ce par la vertu, par la reconnaissance ?Est-ce par la valeur ? Est-ce par la constance ?À ces titres jamais l'emporta-t-on sur moi.Mais non, c'est le caprice et tu trompes sa foi En lui persuadant que ton âme l'adore.Quiconque a pu changer saura changer encor.Cette épreuve devrait éteindre mon ardeur.Mais dussé-je en mourir, je veux avoir ton coeur.Je l'obtiendrai, cruelle, en dépit de toi-même. Tu peux le refuser à ma tendresse extrême,Mais je m'en vengerai sur mes rivaux heureux.Leur mort suivra ton choix et ma haine pour euxVa se manifester sur ton amant parjure,Pour punir ton amour et venger mon injure. ZÉLAMIRE. Penses-tu que ton bras sera toujours vainqueur ?Si l'aveugle hasard secondait ta valeur,Si par ton corps Dolnange allait perdre la vie,Crains tout de ton amante, elle est ton ennemie.À ses jours précieux, si je survis un jour, Cruel, ce ne sera que pour servir l'amour,Pour te voir expier, dans l'horreur des supplices,Les maux qu'auront causé toutes tes injustices.Dans l'abîme des mers, j'irais te découvrir ;La mort, même la mort ne peut te garantir. Et mon ressentiment, qui va toujours s'étendre,Pour te persécuter renaîtra de ma cendre. OUKÉA. Tu m'irrites encore et, loin de me calmer,Tu m'excites au meurtre ! Il va se consommer.Si ton amant périt, victime de ma rage, Ingrate tu diras : c'est mon horrible ouvrage.Oui, puisque tu le veux, je vais l'anéantir, Avant la fin du jour, tu le verras périr.Quel plaisir d'immoler un objet haïssable ! ZÉLAMIRE. Goûte-t-on quelque joie en frappant son semblable ? Et lorsque par sa mort, plus coupable à mes yeux,Tu m'auras tout ravi, t'en aimerais-je mieux ?Ah, ne l'espère pas ! Ton injustice extrêmeVeut en vain exiger que Zélamire t'aime.Sois jaloux, sois tyran, mais sois juste une fois. L'humanité t'appelle, écoute au moins sa voix.Quand de ton fol amour tu ne peux être maître,Dans mon coeur prévenu veux-tu le faire naître ?Si tu l'oses tenter, est-ce par la rigueur Que tu crois parvenir au comble du bonheur ? C'est par d'autres vertus qu'il faut toucher mon âme,Et peut-être qu'un jour, plus sensible à ta flamme,Ta générosité me touchant à mon tour,Je pourrais te payer d'un plus juste retour.Lorsque je puis pour toi cesser d'être inhumaine, À l'espoir d'être aimé préfères-tu ma haine ? OUKÉA. Il faut la mériter et devenir cruel.Puisque tu me punis sans être criminel,Je veux en [i]mmolant l'amant qu'on me préfère,Me rendre dans ce jour digne de ta colère. Je l'avouerai, mon coeur qu'aigrit ta cruautéÉtait capable encor de générosité.Mais ta rigueur m'aigrit, et ton impertinenceNe peut que m'exciter à suivre ma vengeance. ZÉLAMIRE. Peut-on porter l'amour à cet horrible excès ? As-tu donc oublié qu'aux armes d'un Français,Ingrat, tu dois le jour ? Et que sans eux, sans doute,Je ne frémirais pas des maux que je redoute.Que ne t'ont-ils laissé sous le fer meurtrier ! OUKÉA. Penses-tu qu'un bienfait peut si tôt s'oublier ? Né parmi les Hurons, dans un climat sauvage,De la férocité je fis l'apprentissage.Mais mon coeur que bientôt la nature éclaira,À l'humanité seule enfin se dévoua. D'un naturel trop dur, dès ma tendre jeunesse, Je sus avec succès tempérer la rudesseEt corriger les moeurs de cet affreux climat.Je puis être cruel, mais jamais être ingrat.Quoi ? Parce qu'un Français m'aura sauvé la vie,Dois-je de ses pareils souffrir l'ignominie ? Et ne puis-je venger le plus noir attentat ? ZÉLAMIRE. Cruel, en est-ce moins faire un assassinat ?Je crois dans les transports de ta fureur extrêmeQue tu massacrerais ton bienfaiteur lui-même. OUKÉA. Tu m'accuses à tort, et ton humanité Est plus barbare encore que ma férocité.Tu dédaignes les feux d'un amant qui t'adore ;Aux plus affreux excès, tu le portes encore,Quand tu pourrais d'un mot qui ferait son bonheurEt sauver les Français, et calmer sa fureur. ZÉLAMIRE. Veux-tu que, trahissant mon âme et sa franchise,Avec impunité ma bouche ici te diseCe que pour toi mon coeur ne ressentit jamais ?L'art de feindre n'est pas connu dans nos forêts. OUKÉA. Ah, j'attendais ce mot, et ta seule réponse Est le signal des maux que ma vengeance annonce.Frémis, mais non pour toi, je sais te mépriser ;Mais pour l'affreux rival que tu crois m'opposer. Le cruel, c'est sur lui qu'éclatera l'orage...Quelques amis tous prêts à venger mon outrage M'attendent dans la plaine et je veux avec euxRépandre la terreur dans son asile affreux.L'arrêt est prononcé, j'assouvirai ma rage.Je porterai la mort, la foudre, le carnage,Dans le camp du Français. Puisse-t-il aujourd'hui Dans sa tombe, en mourant, m'entraîner avec lui. SCÈNE VI. ZÉLAMIRE, seule. Arrête et viens plutôt égorger son amante.Il fuit... et de mon sang sa rage mécontenteVeut répandre celui qui m'est plus précieux...Dieux ! Qui va le sauver ? Il périt à mes yeux, Sans que ma flamme puisse aujourd'hui le défendre.Au milieu des Français, ma voix peut faire entendreMes regrets déchirants, mes cris et ma douleur,Et mon amant en moi va trouver un vengeur. SCÈNE VII. Zélamire, Nadine. NADINE. Ah, ma soeur, ne perds pas la force qui te reste. Courons nous opposer à leur rage funeste.Le danger le plus grand menace ses beaux jours :Zélamire, au plus tôt, volons à son secours !Et Dolnange est perdu si tu n'as du courage.J'ai vu près de ces lieux un groupe de Sauvages ; Oukéa, furieux, assemble ses amisPour aller immoler l'amant que tu chéris.On ne peut apaiser leur injuste furie.Viens, courons le défendre et lui sauver la vie. ZÉLAMIRE. Oui, nous le défendrons : ses dangers sont les miens. Pour percer jusqu'à lui, je vois mille moyens.Des Français généreux réclamons la puissance,Jamais le sort jaloux n'a trahi leur vaillance.De l'univers entier, quand vous seriez vainqueur,Barbares, craignez tout. Cédez à ma valeur. Avant de l'arracher des bras de son amante,Cruels, sachez qu'il faut qu'elle soit expirante. SCÈNE VIII. Zélamire, Nadine, Dolnange. DOLNANGE. Tu vivras pour m'aimer. ZÉLAMIRE et NADINE. Dolnange ! DOLNANGE. Ah, jour heureux !Le Ciel, enfin, le Ciel veut te rendre à mes voeux.Mon absence cruelle a fait couler tes larmes ! Mais d'où vient cette crainte et ces sombres alarmes ?Je t'aime, je t'adore, et tu gémis toujours ? ZÉLAMIRE. Les Sauvages armés en veulent à tes jours.Ils vont fondre sur toi, je crains la barbarieD'un amant dédaigné qui veut avoir ta vie. DOLNANGE. Ah, du moins dans ces lieux, si nous pouvions trouverCelui que de la mort mon bras a su sauver,Il viendrait nous aider lui-même à la combattre. DUBOIS. Quel combat, juste ciel, nous ne sommes que quatre ! GERMAIN. Ne comptez pas sur moi. ZÉLAMIRE. Ils viennent, juste Dieu ! Dolnange, il faut nous dire un éternel adieu. SCÈNE DERNIÈRE. Zélamire, Nadine, Dolnange, Germain, Dubois, Oukéa, Troupe de Sauvages. OUKÉA, aux Sauvages. Amis, secondez tous le transport qui m'anime,Et que nul parmi vous n'épargne la victime. ZÉLAMIRE, courant à eux. Pour arriver au coeur que tu prétends percer,Cruel, c'est par le mien que tu dois commencer. OUKÉA. J'avais besoin encore ici de ta présence,Pour exciter ma rage et hâter ma vengeance. Montrant Dolnange.Amis, voilà l'objet que poursuit ma fureur.Frappons... Il le reconnaît.Ciel... Arrêtez, il est mon bienfaiteur ! GERMAIN. Que nous l'échappons belle ! OUKÉA. Ah, tout mon sang se glace ! Quel était mon malheur ? J'allais, dans ma disgrâce,Immoler le mortel à qui je dois le jour ! ZÉLAMIRE. Puisqu'il fut bienfaisant, tu dois l'être à ton tour. OUKÉA. C'est l'amour méprisé qui rend mon coeur barbare, Mais la reconnaissance, à jamais, s'en empare. Je sens qu'elle est en moi plus forte que l'amour.Tu m'as sauvé la vie et, dans cet heureux jour,Par un bienfait pareil envers toi je m'acquitte. ZÉLAMIRE. Un trait si généreux rend mon âme interdite.Lui seul eût dans ce jour désarmé ma rigueur, Si je pouvais encor disposer de mon coeur. OUKÉA. Je sens bien qu'en secret j'applaudis à ta flamme,Et malgré tout l'amour qui brûle encore mon âme,Je consens à la voir vivre ici sous ta loi,Tant la reconnaissance a d'empire sur moi. C'est m'acquitter assez. GERMAIN. Ah, quelle bienfaisance !Ce monsieur le Huron mérite d'être en France. DOLNANGE. Tu me devais la vie. Ah, je te dois bien plus !Comment puis-je payer de si rares vertus ?Exige tout, ordonne et mon âme charmée... [5] OUKÉA. Aime l'ingrate autant que je l'aurais aimée,Sois-lui toujours fidèle et rend ses jours heureux.C'est tout ce que j'attends de tes soins généreux. DOLNANGE. Ah, ne l'exige pas, c'est elle qui l'ordonne.Et n'appréhende pas que mon coeur abandonne Celle pour qui je veux exister désormais.J'en jure par l'amour, qu'il m'accable à jamais,Si je manque au serment que ma bouche prononce.Et pour te le prouver, permets que je t'annonceQue mon oncle consent à me voir ton époux. Ton père est convenu de partir avec nous,Mon oncle l'a gagné : mes prières, mes larmesOnt enfin dissipé nos cruelle alarmes.Et nous allons en France, au milieu du bonheur,Vivre heureux sous les lois d'un hymen enchanteur. ZÉLAMIRE. Avec mon père et toi puis-je être malheureuse ?N'abandonnons jamais cette âme généreuse :Je lui dois tout, qu'il soit témoin de mon bonheur,Qu'il voie à chaque instant augmenter notre ardeur,Dolnange, et si l'amour veut savoir comment on aime, C'est de nous qu'il faudra qu'il l'apprenne lui-même. BELFORT. Ah, que je porte envie au destin qui t'attend ! GERMAIN. Mais il ne tient qu'à vous d'en avoir tout autant. Montrant Nadine.N'emmènerons-nous pas cette aimable Huronne ?Si l'on en peut juger sur sa mine friponne, Je pense qu'un époux ne lui déplairait pas. DOLNANGE. Belfort il a raison, elle a beaucoup d'appas.Riche et maître de toi, tu en saurais mieux faire.Je réponds de ses moeurs et de son caractère.Elle ferait, je crois, le bonheur d'un époux. Menons les toutes deux à nos Français jaloux,Ils seront enchantés de voir tant d'innocence. GERMAIN. Oui, cette marchandise est assez rare en France. BELFORT, à Nadine. Votre coeur est-il libre et pourrais-je espérerQu'à tout autre en ces lieux il m'ose préférer ? NADINE. En te voyant, bientôt je sentis que mon âmeConsentirait sans peine à céder à ta flamme.Mais je ne prétends pas que tu sois mon mari :Ce sont des monstres ! GERMAIN, à part. Bon ! NADINE, montrant Dolnange. Il me l'a dit ainsi. BELFORT. Tous ceux qui sont méchants méritent qu'on les blâme. GERMAIN. C'est bien souvent aussi la faute de leur femme. DOLNANGE. Je ne citais que ceux qui sont mal assortis,Jamais les vrais amants ne sont mauvais maris. BELFORT, à Nadine. Je vous en convaincrai. OUKÉA. Tous deux, je vous admire !Je cède au doux transports dont le charme m'attire, Je ne voudrais jamais me séparer de vous.Vivez tous quatre unis comme amant, comme époux.L'amour qui n'a pour vous que les plus douces flammesEst un tigre chez nous, un tyran de nos âmes.Je vois qu'en France, il est bien plus doux qu'en ces lieux Ah, que je porte envie à ces peuples heureux !Leur prudente valeur, que l'humanité guide,Sert de sage soutien à l'innocent timide.Et s'il me reste encore à former quelques voeux,C'est d'imiter un jour un Français vertueux. ==================================================