******************************************************** DC.Title = LES BONNES GENS, PETITE PIÈCE EN UN ACTE, ET EN VERS. DC.Author = [Anonyme] DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:04. DC.Coverage = Pologne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ANONYME_BONNESGENS.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES BONNES GENS PETITE PIÈCE EN UN ACTE, ET EN VERS. M. DCC. LXXII. À PARIS, Chez DELALAIN, Libraire, rue de la Comédie Française. ÉPITRE A MADAME LA COMTESSE DE B***** D*****. Vous m'avez permis, MADAME, d'offrir, à une des plus aimables personnes, l'hommage qui méritait le moins cette grâce. Une Préface est très souvent consacrée par l'Auteur à s'entretenir de lui-même avec complaisance. Dans ces Vers, qui en tiennent lieu, je n'ai rien annoncé de mon très petit Ouvrage sur ce ton-là, parce qu'il n'y avait rien de bon à en dire. Dans l'Épître dédicatoire, où naturellement votre éloge doit se opposée à celle qui m'a mpêché de parler de mes talents. J'use de la faveur à mes voeux accordée ; Cent bijoux furent rejetés ; Mais vous louer ! Je ne suis pas si sot : Tout le monde dirait, choqué de cette idée, Ce sont les Dieux peints par Calot. J'ai l'honneur d'être, avec le plus sincère et le plus respectueux attachement, MADAME, Votre très humble, et très obéissant serviteur, LE MARQUIS DE F*** AU PUBLIC. Mes moeurs d'un vrai sauvage unissent tous les traits. Un séjour solitaire, au fond de la Champagne, Est à mes yeux rempli d'attraits ; Pour mon Théâtre seul, Théâtre de campagne, J'ai produit ces faibles essais. Soigneusement ailleurs je les cachais. Sans vouloir jamais en démordre, J'ai suivi, quelque temps, cette prudente loi. Jusques-là tout était dans l'ordre ; Mais peut-on répondre de soi ? Un certain jour n'ai-je pas eu l'idée De courir chez les Imprimeurs ! Puis la voilà contrariée Par la plus juste des frayeurs. De vous plaire, Messieurs, la flatteuse espérance S'éloignait de mon coeur à la crainte livré ; Deux minutes plus tard l'Ouvrage était serré. Lors j'ai pensé que l'ignorance Facilement se gendarme et s'offense, Et que d'un esprit éclairé Le caractère est l'indulgence : Cette réflexion m'a bientôt rassuré ; Je n'ai plus craint votre présence, Et me voilà donc imprimé. Si cet hommage est agréé, Je pourrai vous en offrir d'autres. Plus d'un Écrivain glorieux Croit, en s'applaudissant, faire tout pour le mieux. Quant à moi, les faveurs que j'aime sont les vôtres ; Et de tous les Auteurs dont vous comblez les voeux, En accordant un accueil gracieux Aux nouveautés qu'ils font paraître, Si je trouve grâce à vos yeux, Je jure qu'il n'en peut pas être Un plus sensible, un plus heureux. PERSONNAGES. GUILLAUME, pauvre Polonais, pas tout-à-fait un Paysan. SA FEMME. UN ROI DE POLOGNE, que l'on reconnaître aisément. ARLEQUIN, Capitaine de Hussards. DEUX HUSSARDS. La scène est dans un bois. On doit y placer une Cabane, ou une très petite Maison, dont la porte, s'ouvre sur le théatre. Cette pièce est issue du recueil : TRÈS-PETITES PIÉCES, qui ne peuvent être jouées que sur un très petit théâtre, que j'aurai certainement faites pour mon plaisir, si elles contribuent à celui de mes Lecteurs. SCÈNE PREMIÈRE. Guillaume, Sa Femme. GUILLAUME. C'est ici, l'an passé, que nous vîmes le Roi...Te rappelles-tu bien sa physionomie ? MADAME GUILLAUME. Je le vois là tout comme toi.Ce fut le jour le plus beau de ma vie.Comment veux-tu que je l'oublie ?... Ô le bon Roi ! Pour mieux graver ses traits,La méthode qu'il a suivieDoit lui répondre du succès.Son âme, sur nos maux, est toujours attendrie.Ainsi que ses enfants il traite ses sujets ; A pleines mains, sur eux, il répand les bienfaits. GUILLAUME. Tu dis bien vrai, ma bonne amie.Un Roi puissant, un Roi vainqueurAu souvenir échappe avec toute sa gloire ;Mais celui qui touche le coeur Ne sort jamais de la mémoire.Un carrosse doré, superbe, éblouissant,Des chevaux, dés Gardes, des Pages,(De l'élévation magnifiques images)Tout cela, dans, le fond, n'est pas attendrissant : Mais, de son char pompeux, un Prince qui descendPour me donner la plus touchante marqueDes bontés que son coeur répand,Voilà le Prince intéressant.Voilà celui que je remarque. MADAME GUILLAUME. Avec quelle douceur, Guillaume, il nous parla !« Mes amis que faites-vous là ?- Nés d'honnêtes parents, avec peu de fortune,Seigneur, nous avons fui les lieuxOù l'indigence est importune. Ici nous sommes plus heureux ;Nous habitons ce réduit solitaire. - Mes enfants, ne souffrez-vous pasDes rigueurs qu'entraîne la guerre ?...Malheureuse Pologne ! Ah ! Que tous ces débats, De regrets accablent mon âme.Oui, c'est le comble du malheurDe voir, et le fer et la flamme,Où mon pouvoir, plus calme, eût fixé le bonheur... »Puis pour cacher ses dons, bien loin qu'il les affiche, De ses gens il s'éloigne, et te dit, mais tout bas :« Tenez. Voilà trente ducats ;Dans un temps plus heureux je vous ferais plus riches. » GUILLAUME. Juges, après cela, si je l'aime à demi ;Aussi, peut-il le dire, en pensant à Guillaume : Dans ma Cour, ni dans mon Royaume,Je n'ai pas un meilleur ami.Mais vrai, la main sur la conscience,Les ducats ne sont là pour rien.Ne m'eût-il accordé qu'un bout de révérence; Je lui voudrais le même bien.Hélas ! Sans se mettre en dépense,Les grands sont aimés des petits ;Un geste, un mot, la plus légère avanceEn venant d'eux a tant de prix ! MADAME GUILLAUME. D'un bien qui coûte peu, pourquoi sont-ils avares ? Pourquoi de leurs bontés les traits sont-ils si rares ? GUILLAUME. La fortune les éblouit ;Puis la tête s'égaye, et puis le coeur la suit.D'un bon vin de Hongrie une trop forte dose M'étourdit ; à tort, à travers,C'est étonnant comme je cause :Je crois à moi tout l'Univers.Ainsi les dignités, le pouvoir, la richesse,Sur les sens étonnés portent la même ivresse, Et de ces biens le charme agit, ou moins, ou plus,Suivant la force ou la faiblesseDu cerveau qui les a reçus.Mais pour en revenir à notre aimable Maître,Tel qu'il est né nous le voyons paraître ; C'est un brave homme, sans façon,Sans étiquette, et sans cérémonie ;Jusques en sa moindre action.Est empreinte la bonhomie. MADAME GUILLAUME. Oui, la pipe à la bouche, avec son habit brun, Il fait honneur à la Nature ;Il dédaigne les airs, le faste, la dorure,Et brille à tous les yeux d'un éclat moins commun ;Ses vertus... voilà sa parure.Que fait-il à présent ? Le Ciel, comblant nos voeux, Rend-il ses jours pareils à ceux qu'il nous prépare ? GUILLAUME. Hélas ! Non ; il n'est pas heureux ;De tous côtés, on s'avance, on s'empareDes postes, où jadis il résista le mieux ;Et malgré les efforts de son bras généreux, Les Russes aguerris par de longues défaites,Ardents à réparer les pertes qu'ils ont faites,Sont à la fin victorieux.Ces nouvelles hier me furent racontées.J'éloignais de ton coeur un douloureux moment. À trois milles d'ici campent les deux armées,Et, pour lui, du combat on craint l'événement MADAME GUILLAUME. À ce triste récit mon âme se déchire.Que d'amertume je ressens !On a bien raison de le dire : Il n'est point de bonheur pour les honnêtes gens. GUILLAUME. La douleur te rend trop injuste ;À notre faible tête, à tous ces songes vainsPenses-tu que le Ciel s'ajuste ? Eh ! Qui sommes-nous donc pour régler ses desseins ? Si la fortune à nos désirs contraire,Pour ce que nous aimons est quelquefois sévère,Le Ciel nous permet fort d'en avoir du chagrin ;Mais en nous soumettant à ses décrets suprêmesNous devons nous dire à nous-mêmes, C'est un mal pour un plus grand bien.Un aveugle qu'il faut conduire,Et qui disputant des couleursCroirait ses avis les meilleurs,Sans contredit te ferait rire. En effet, la plus sage loi,Est de se rendre compte à soiDu motif pour lequel on estime, ou l'on blâme :Eh bien, cet aveugle, ma femme,Ne serait pas plus fou que toi. Mais quel est ce guerrier ? Ah ! Grands Dieux ! C'est le Roi SCÈNE II. Le Roi, Guillaume, Sa Femme. LE ROI. Que dites-vous, et quelle est cette idée ? GUILLAUME. Ah ! Je vous reconnais, Seigneur,Je ne me trompe pas... Votre image sacréePar la reconnaissance en mon coeur est gravée. Et ce sentiment-là ne produit point d'erreur. MADAME GUILLAUME. C'est ici que dans l'autre annéeJe vous connus par vos bienfaits ;Seigneur, vous êtes si bon Maître,Qu'il n'est pas un seul polonais, Qui puisse autrement vous connaître. LE ROI. Je prétendais dissimuler,Avec vous, mes amis, ce serait une offense : Sans crainte je puis vous parler,Vous méritez toute ma confiance. Je n'avais, de vos traits, qu'un souvenir confus ;À présent ils me sont connus :C'est vous que j'ai trouvés, et dans ces mêmes places ;Combien, depuis ce temps, j'éprouve de disgrâces !Que je suis malheureux ! MADAME GUILLAUME. Nous le sommes donc tous. Quand nous avons un Souverain aimable,Et qu'un sort rigoureux l'accable,Nous tombons sous les mêmes coups.Mais ce malheur serait-il sans remède ? LE ROI. À l'ennemi vainqueur il faut bien que je cède. J'ai combattu jusqu'au dernier instant,Mais, presque seul, en ce danger pressant.Il a fallu recourir à la fuite.Deux de mes Officiers étaient toute ma suite ;Et j'ai même voulu qu'un chemin différent Les conduisît au bord du fleuve,Où je serais, sans un autre accident.Le Ciel encor m'a mis à cette épreuve...Tout-à-coup mon cheval blessé dans le combat,Tremblant, sous mes genoux, s'affaiblit et s'abat ; Me voilà donc forcé de ralentir ma course ;Mon courage est alors mon unique ressource :Heureusement j'étais fort près des bois ;Je les connais, j'y chassais quelquefois :L'âme livrée aux plus noires pensées, Peu sensible aux attraits d'un trône que je perds,Si mes forces bientôt ne sont point réparées,Mais regrettant mes soldats dans les fers,Et nos campagnes désolées,Plaignant les tristes destinées Des fidèles sujets qui suivent mon parti,Par des détours obscurs, des routes ignoréesJe suis enfin parvenu jusqu'ici. GUILLAUME. Pour vous servir, que peut tenter mon zèle ?Je n'ai ni fortune, ni rang ; Je ne puis vous offrir que ma hutte et mon sang ;Mon âme est d'une classe, où l'âme la plus belle,Faute d'occasions ne se distingue pas,Dont les riches, les grands, font assez peu de cas,N'attribuant qu'aux leurs une valeur réelle ; Mais j'ose vous jurer, que dans tous vos États,Il n'en est point de plus fidèle. LE ROI. Mon ami, c'est penser en Roi :Quand je t'ennoblirais, que ferais-je pour toi ? C'est des vertus la splendeur, ou le nombre, Qui du noble, à mes yeux, établit la valeur ;Et de tout l'Univers, fussé-je l'Empereur,Je ne puis te donner que l'ombreDu bien que possède ton coeur. GUILLAUME. À l'instant la nuit arrivée, Mon Prince nous vous sauverons,J'ai parmi les roseaux une barque cachée,Dans trois heures au plus nous nous en saisirons ;C'est sur elle pour fuir que mon espoir se fonde :Si votre salut en dépend, Heureux de posséder ce frêle bâtiment,Je le préférerais à tous les biens du monde. MADAME GUILLAUME. Seigneur, dérobez-vous aux regards curieux,Et soignez des jours précieux,Dont votre amour nous doit le compte ; Nous pouvons vous offrir, sans honte,Le plus détestable logis ;C'est le sentiment qui l'habite,De l'offre il est tout le mérite,Et vous en connaissez le prix. LE ROI. Ah ! Mes enfants ! Mon âme est pénétrée.Tendre amitié, des Rois trop ignorée,Du sort le plus affreux tu détruis les horreurs :Aux pieds du trône on prodigue les coeurs :De leur sincérité, quel garant nous assure, Quand nous habitons nos palais ?Oui, c'est dans mes malheurs que je me livre aux traitsDe la volupté la plus pure. MADAME GUILLAUME, à son mari. Allez, suivez le Roi ; je demeure aux aguets. SCÈNE III. MADAME GUILLAUME, seule. Quelle adorable bienfaisance ! Si nous ne l'avons plus, perdons toute espéranceDe le voir remplacé jamais.Pour ne point ajouter encore à ses alarmes,Je m'efforçais de retenir mes larmes.Que son sort est attendrissant ! Qu'il est à plaindre ! Mais, que dis-je ?Ce Monarque si bienfaisant, C'est sur nos peines qu'il s'afflige ;Et, malgré tous les maux dont il est affecté,On voit briller en lui l'air de sérénité. Sa tranquillité n'est point feinte,Ses vertus en sont les garants :C'est du calcul de notre temps,Que naissent le calme et la crainte.À sa place un méchant, rappelant ses forfaits, Ne résisterait point au tableau de ses crimes;Il ne cacherait pas de son trouble l'excès.Dans ces jours malheureux, où l'on se voit de prèsLe tyran compte ses victimes;Et le bon souverain, les heureux qu'il a faits. De la vertu tel est le caractère :Elle sert à jouir de la prospérité ;Et, dans le temps d'adversité,Elle répand sur nous un baume salutaire.Voici des ennemis ; ils cherchent tous le Roi : Que j'ai bien fait de cacher ce bon Maître !Je meurs de douleur et d'effroi ;Je risque tout, en le faisant paraître.Éloignons-les de la maison.Secondez, juste Ciel ! Ma bonne intention ; Protégez les vertus que vous avez fait naître. SCÈNE IV. Madame Guillaume, Arlequin, Capitaine de Hussards ; Deux Hussards. ARLEQUIN. C'est un vilain Monsieur, à mon gré, qu'un Héros :Dans le sang il se baigne, et puis s'en désaltère ;J'aime mieux un verre de bière,Et me laver dans les ruisseaux. Que le diable emporte la guerre !J'ai la fesse écorchée et le croupion démis.Sur ce petit fumier, que l'on appelle terre,Ne vivra-t-on jamais sans avoir d'ennemis ?Écoutez ; quand je considère Que les Rois trouvent des soldatsBien poudrés, tirant bien leurs guêtres ;Qui, sans savoir les raisons de leurs Maîtres,Pour quelques sous par jour affrontent le trépas,Je suis touché, mais touché de manière Que je pleurerais trop, si je ne riais pas. UN HUSSARD. C'est l'honneur qui conduit nos pas... ARLEQUIN. Oui ; mais l'honneur est d'être sage.Du véritable honneur la raison est le gage ;Et nous couper jambes et bras, À la raison ce n'est pas rendre hommage.Ne serions-nous donc pas plus heureux mille fois,Si les hommes savaient un peu mieux se connaître ;Si, dédaignant de misérables droits,D'accord toujours ils voulaient être ? Du monde entier devenus citoyens,Ce seraient des amis que le plaisir rassemble ;Le Français et l'Anglais boiraient du punch ensemble,Et nous mériterions alors le nom d'humains,Dont nous avons tout au plus la figure. Mais quelle est cette créature ?Peut-être elle pourra nous faire boire un coup.Écoutez donc, Madame chose...Diable ! C'est un minois et de lys et de rose. MADAME GUILLAUME. Voudriez-vous vous rafraîchir ? ARLEQUIN. Beaucoup. Nous avons parcouru forêt, montagne et plaine :Nous sommes tous diablement desséché.À propos, les chevaux ? UN HUSSARD. N'en soyez point en peine.Je les ai moi-même attachés ;Et j'en réponds, mon Capitaine. ARLEQUIN. Avez-vous du vin ? MADAME GUILLAUME. Non. ARLEQUIN. Et de la bière ? MADAME GUILLAUME. Oui;Mais je crains fort, Monsieur, qu'elle ne soit pas bonne. ARLEQUIN. Enfin, telle qu'elle est, il faut qu'on nous la donne,Et que vous l'apportiez ici. UN HUSSARD. Si vous vouliez vous mettre à table, On entrerait dans la maison. ARLEQUIN. La chose n'est pas proposable :En avons-nous le temps ? Vous savez bien que non.Écoutez-moi, ma bonne femme...Avant d'apporter là notre collation, À part.[Que je convoite dans mon âme,]Il faut pourtant répondre à cette question.Avez-vous vu quelque mine allongée ;Depuis ce matin, je m'entends ?Annonçant un plaideur dont l'affaire est jugée, Et qui la perd avec dépens.Pour rendre la chose plus claire,Je ne sais, parbleu ! Comment faire;Un Roi ! Vous connaissez cela...Avez-vous rencontré quelque homme d'importance, Ayant, avec un Roi, des traits de ressemblance ?Un Roi ! C'est grand, c'est beau, c'est noble. Le voilà. Il se redresse.Entre cent mille on ne peut s'y méprendre. MADAME GUILLAUME, d'un ton ingénu. À tous ces beaux discours je ne puis rien comprendre.C'est bien au Village, oui-dà, Que vous pourrez les faire entendre !Mais tout ce que j'en sais, je m'en vais vous l'apprendre. Avant que vous parussiez là,Une bonne heure, autant qu'il m'en souvienne,J'ai vu deux guerriers qui couraient, Et qui, tout en courant, disaient :Que de malheurs ! Et pour surcroît de peine,Nos chevaux sont rendus. Au Village voisin,[Or, ce Village est là bas, sur la droite,]Il faudra s'arrêter pour les remettre en train, Leur démarche était inquiète...Ils paraissaient avoir bien du chagrin...L'un d'eux, fort gros, n'a point du tout l'air leste :Lorsqu'il parlait, un tourbillon de ventÀ son manteau fit faire un mouvement; Un ruban bleu croisait là sur sa veste :Je n'ai rien vu de plus. ARLEQUIN. Oh ! C'est assez, vraiment ;Allez-nous chercher la bouteille. Elle sort un instant. UN HUSSARD. Notre affaire tourne à merveille,Nous le tenons ; c'est lui certainement. ARLEQUIN. J'en suis presque fâché ; car il est si bon homme. UN HUSSARD. Mais dix mille ducats, faisant cent mille francs...Maugrebleu ! Pour pareille somme,Je livrerais tous mes parents. MADAME GUILLAUME. Tenez, Messieurs, voilà des verres blancs. ARLEQUIN. Un suffisait ; nous buvons dans le même :Nous sommes tous de braves gens,Qui nous aimons d'une tendresse extrême. Il boit.Elle est bonne, sans compliments. MADAME GUILLAUME. Voudriez-vous un peu de crème ?... De n'avoir rien de mieux je suis au désespoir,C'est du pain de notre ménage,Vous le trouverez dur et noir...Et puis un reste de fromage. ARLEQUIN. Grand-merci ; c'est un vrai régal : Pour des hussards un repas de chanoines.Hors l'amour, qui chez tous est ardent et brutal, Voyez combien nous différons des moines !Nous fatiguons beaucoup, et nous vivons fort mal. Ils achèvent la bouteille, et Arlequin dit :Allons, mes chers amis, remontons à cheval. UN HUSSARD. Adieu donc, la charmante hôtesse.Si j'étais moins pressé, je vous dirais deux mots.Heureux l'époux dont la vive tendresseVous fera quinze ou vingt marmots ! UN HUSSARD. La bière est forte et nous monte aux cerveaux. ARLEQUIN. Bonsoir, beaux yeux : bonsoir, gentille bouche,Dont la moindre douceur calmerait tous mes maux.Chè d'gioïa de partager la coucheDe ce petit bec amoureux !Comme un sachet elle sent l'ambre. MADAME GUILLAUME. Monsieur, je vous salue, et fais pour vous des voeux. ARLEQUIN. Je voulais vous payer, mais mon valet-de-chambre; (C'est bien le plus distrait coquin;Il mérite deux cents taloches;)Il oublie encor ce matin De mettre de l'or dans mes poches.Dans quelques jours, ou plutôt, ou plus tard,Nous vous paierons, foi de hussard :Vous n'y perdrez rien pour attendre...Chez notre banquier nous allons, tout courant; Nous aurons de l'argent comptant :Vous n'aurez qu'à, mon coeur, vous baisser pour en prendre. SCÈNE V. MADAME GUILLAUME, seule. J'ai bien donné le change ; aussi l'ont-ils bien pris...Déjà l'obscurité m'empêche de les suivre ;Comme le coeur me bat ! Elle ouvre sa porte.Seigneur, ils sont partis. Sortez de la prison où l'amour vous a mis ;Il est temps que je vous délivre. SCÈNE DERNIÈRE. Le Roi, en habit de Paysan, Guillaume, Sa Femme. Il fait bon avoir des amis partout. LE ROI. Vous avez eu plus peur que moi. MADAME GUILLAUME. Vous n'en aviez que pour vous-même,Et moi j'en avais pour mon Roi : À ce degré, ce que l'on aimeIntéresse bien plus que soi. LE ROI. Les bonnes Gens ! Mon coeur leur voueLes plus vrais sentiments, les plus tendres égards ;Tandis que l'une se dévoue Pour mon service à de fâcheux hasards,De notre niche entendant les hussards,L'autre, pour moi, tremblait. GUILLAUME. Oui, je l'avoue.Le désir de voir, par mes soins, Venir à bien votre aventure, De ma crainte était la mesure,Et l'on pourrait trembler à moins.Éloignons-nous, Seigneur ; différer davantage,C'est à d'autres périls nous voir encor livrés. LE ROI. Nous partirons, quand vous voudrez : J'ai mis mon habit de voyage.Comment me trouvez-vous, avec cet équipage ? MADAME GUILLAUME. Ah ! Seigneur, bien ou mal vêtu,Vous occupez le rang suprême ;Votre coeur est toujours le même, Et c'est à lui, surtout, que notre hommage est dûEn avant, mon mari fera la sentinelle ;Vous le suivrez, Seigneur, et moi, de ce côté.Si la force égalait le zèle,Vous seriez bien en sûreté. ==================================================