******************************************************** DC.Title = LES ÉTOURDIS, OU LE MORT SUPPOSÉ, COMÉDIE DC.Author = ANDRIEUX, François Guillaume DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:43. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ANDRIEUX_ETOURDIS.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9693748x DC.Source.cote = BnF 8-YTH-6270 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES ÉTOURDIS OU LE MORT SUPPOSÉ COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN VERS Représentée, pour la première fois, par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, le Vendredi l4 Décembre 1787. Prix 30 sous. M. DCC. LXXXVIII. . Représentée pour la première fois, au Théâtre Français, par les comédiens ordinaires de l'Empereur, le 6 mars 1816. PERSONNAGES ACTEURS. MONSIEUR DAIGLEMONT, oncle. M. COURCELLES. DAIGLEMONT, son neveu. M. RAYMOND. FOLLEVILLE. M. GRANGER. JULIE, fille de M. Daiglemont. Mlle. CARLINE. L'HÔTESSE. Mme GONTHIER. DESCHAMPS. M. VALLEROY. JOURDAIN. M. PERIGNY. MICHEL. M. THOMASSIN, UN VALET. La Scène est à Paris, dans la salle commune d'un Hôtel garni. ACTE PREMIER Le Theâtre représente un salon. Sur l'un des côtés une porte qui donne dans un cabinet. SCÈNE I. Daiglemont, Folleville. FOLLEVILLE. Il le faut avouer ; depuis huit jours entiersNous vivons sagement, grâce à nos créanciers.Nous ne sortons jamais ; une raison très forteT'empêche de passer le seuil de cette porte : Dans mon hôtel garni tu vins très prudemment Occuper la moitié de mon appartement.Je te tiens, en ami, fidèle compagnie ;Comment te trouves-tu de ce genre de vie ? DAIGLEMONT. Fort mal. FOLLEVILLE. Pourquoi ? Caché sous le nom de Derbain,Les Huissiers, les Records te chercheront en vain ; Leur meute est en défaut ; tu lui donnes le change. DAIGLEMONT. Oui ; mais parbleu, l'ennui qui m'assomme, les venge.Si je pouvais sortir !... FOLLEVILLE. Tu le pourrais, vraiment,Sans ce fripon maudit, ce chicaneur d'Armant,Qui pour quinze cents francs a contre toi sentence ; Tu fis cette méchante affaire en mon absence :Où diantre ton esprit était-il donc alors ?C'est jouer trop gros jeu que risquer le par corps ;Moi, je ne fais jamais cette sottise étrange ;Des billets tant qu'on veut ; point de lettres de change. DAIGLEMONT. N'y pouvant plus tenir, et par l'ennui pressé,À Dortis mon cousin je me suis adressé.Je le prie en deux mots de me prêter la sommeDont j'ai besoin... FOLLEVILLE. Tu vas recourir à cet hommeQue tu ne vois jamais ? Tu n'en tireras rien. DAIGLEMONT. Vraiment, j'en ai grand'peur ; c'est un dernier moyenQue j'ai voulu tenter, faute d'autre ressource. FOLLEVILLE. Tu sais bien qu'un ami peut puiser dans ma bourse. DAIGLEMONT. Ta bourse ? Elle est à sec. FOLLEVILLE. Elle va se remplir ;J'ai fait certain projet, et s'il peut réussir ! L'idée en est hardie, et fortement conçue !Je compte aujourd'hui même en apprendre l'issue. DAIGLEMONT. Dis-moi donc ce que c'est ? FOLLEVILLE, déclamant. [Note : Mithridate, Acte III, Scene 1. [v. 789-790]]Non ; pour être approuvés,De semblables desseins veulent être achevés. SCÈNE II. Folleville, Daiglemont, Deschamps entre, une lettre à la main. DAIGLEMONT. Ah ! Ah ! Sachons un peu ce que Deschamps m'annonce . Cette lettre à la mienne est-elle une réponse ? DESCHAMPS. Non, Monsieur. À Folleville.C'est pour vous. FOLLEVILLE. De Nantes ? Ah ! Ma foi,Peut-être... DAIGLEMONT, à Deschamps. Et mon cousin ne t'a rien dit pour moi ? DESCHAMPS. Il n'était pas chez lui ; j'ai laissé votre lettre:Sitôt qu'il rentrera, l'on doit la lui remettre. FOLLEVILLE, qui a décacheté, dit avec joie : Nous sommes trop heureux, mon pauvre Daiglemont.Embrasse-moi. DAIGLEMONT. Pourquoi ? FOLLEVILLE. Mais embrasse-moi donc.Les effets, avec moi, répondent aux paroles.Vous dites qu'il vous faut deux ou trois cents pistoles,Mon ami, ce n'est rien ; je veux vous obliger. Ne me refusez pas ; ce serait m'affliger.Vous pouvez disposer de cette bagatelle. DAIGLEMONT. Une lettre de change ? Et d'où diantre vient-elle ? FOLLEVILLE. Tu peux voir. DAIGLEMONT. De mon oncle ? FOLLEVILLE. Oui, sans doute, de lui. DAIGLEMONT. Elle est de mille écus, et payable.... FOLLEVILLE. Aujourd'hui, À vue. Oh ! Nous n'aurons point à souffrir d'escompteJ'aime fort les effets dont l'échéance est prompte. DESCHAMPS. Il paraît que mon plan a très bien réussi. DAIGLEMONT. Quoi ! Deschamps est au fait ? FOLLEVILLE. Sans doute ; en tout ceciSes secours m'ont vraiment été très nécessaires. DESCHAMPS. Oui, Monsieur. Connaissant l'état de vos affaires,J'ai déployé mon zèle en ce besoin urgent,Et c'est moi qui procure à Monsieur cet argent. DAIGLEMONT. Mais comment ? DESCHAMPS. Devinez ; je vous le donne en mille. FOLLEVILLE. Je veux bien t'épargner une peine inutile. Tiens, de l'énigme ici tu trouveras le mot.Lis. DAIGLEMONT. Qu'est-ce qui t'écrit ? FOLLEVILLE. C'est Monsieur Guillemot. DAIGLEMONT. Qui ? Le vieux factotum de mon oncle ? FOLLEVILLE. Lui même. DAIGLEMONT, prend la lettre, et lit : Fous n'imaginez pas quelle douleur extrêmeA causée à Monsieur la mort de son neveu, Votre ami... Votre ami ? Mais dis-moi donc un peu ;Parlerait-il de moi par hasard ? FOLLEVILLE. Je le pense. DAIGLEMONT. Est-ce que je suis mort ? FOLLEVILLE. Que sait-on ? Lis ; j'avance. DAIGLEMONT, continue à lire. Vous avez très bien fait, un si grand malheur ?De m'écrire d'abord cette triste nouvelle ; J'ai su de mon cher Maître adoucir la douleurPar les ménagements que m'a dictés mon zèle. FOLLEVILLE. Oh ! Monsieur Guillemot est un garçon prudent. DAIGLEMONT, lit. Monsieur approuve fort que, dans ces circonstances,Vous n'ayez épargné ni les soins ni l'argent ; Il faut vous rembourser de toutes vos avances. FOLLEVILLE. Mais c'est fort juste. DAIGLEMONT, lit. Ici vous trouverez inclusUn bon effet de mille écus ;C'est, suivant votre état général de dépenses,Ce que vous ont coûté Médecin, Chirurgien, Gens qui font très souvent plus de mal que de bien,Et la Garde et l'Apothicaire,Les frais de sépulture et ceux du luminaire.Il en coûte bien cher pour mourir à Paris,Et les enterrements, Monsieur, sont hors de prix. FOLLEVILLE. Oh ! C'est que je t'ai fait un convoi magnifique. DAIGLEMONT. Je te suis obligé ; la ressource est unique. FOLLEVILLE. Lis donc jusqu'à la fin. DAIGLEMONT, lit. Le défunt, dites-vous,Laisse quelques petites dettes :Voyez les créanciers, avertissez-les tous De tenir leurs quittances prêtes ;J'irai, sous peu de jours, à Paris les payer.Adieu, Monsieur : de tous vos soins mon MaîtreMe charge, encore un coup, de vous remercier ;Il vous aime toujours ; et moi, j'ai l'honneur d'être... FOLLEVILLE. Très bien, je suis charmé d'être à temps averti.De ce voyage-là nous tirerons parti ;Nous ferons bien payer tes dettes au bonhomme,Et nous accrocherons encore quelque somme. DAIGLEMONT. Le tour est incroyable, et j'en suis stupéfait. On me croit mort ? FOLLEVILLE. Un peu. DAIGLEMONT. Mais comment as-tu faitPour prouver ?... FOLLEVILLE. J'ai fourni la preuve la plus claire ;Deschamps m'a délivré un extrait mortuaire. DAIGLEMONT. Quoi ! Ce coquin a fait un faux ? FOLLEVILLE. Bien entendu.Eh mais, ne faut-il pas qu'il soit un jour pendu ? Qu'il le soit pour un faux, ou bien pour autre chose... DESCHAMPS. À mes dépens toujours Monsieur s'amuse et glose.Je pense qu'il me fait, en cette occasion,L'honneur d'être jaloux de mon invention.Dans ce tour peu commun éclate mon génie, Et c'est un des beaux traits qu'on lira dans ma vie. DAIGLEMONT, à Folleville. As-tu pu te servir d'un semblable moyen,Tromper ainsi mon oncle ? Oh ! Cela n'est pas bien.Tu sais, pour son neveu, jusqu'où va sa tendresse. FOLLEVILLE. Oui, plains-toi ; j'aime assez cette délicatesse. Imbécile, sens donc ce que l'on fait pour toi.De Nantes à Paris, tu vins, ainsi que moi,Pour nous former dans l'art de Cujas et Barthole :Nos parents comptaient bien qu'en une bonne école,Tous les deux avec fruit nous ferions notre Droit ; Mais comment travailler dans un si bel endroit,Parmi les agréments dont cette ville abonde ?On s'y divertit mieux qu'en aucun lieu du mondeOn y trouve à choisir mille plaisirs divers :Mais tous ces plaisirs là, par malheur, sont fort chers ; Nous le savons trop bien par notre expérience.Nous n'avons nullement épargné la dépense,Et depuis dix-huit mois que nous sommes ici,Nous avons bien mangé de l'argent, Dieu merci.Aussi pour en avoir, que de ruses ourdies ! Combien n'avons-nous pas compté de maladies,Tandis que nous étions en parfaite santé,Et des Cours où jamais nous n'avons assisté,Et le Maître d'Anglais, les mois d'Académie,Et de ce Droit surtout la dépense infinie ! Notre rare savoir devrait être envié,Si nous avions appris tout ce qu'on a payé. DAIGLEMONT. Nos ressources enfin se sont bien affaiblies.Si nos parents encore ignorent nos folies,Au moins nous ont-ils fait sentir, par vingt refus, Que nos dépenses..... FOLLEVILLE. Oui, l'argent ne venait plus ;Nous étions mal : Deschamps m'a fourni cette idéeDe supposer ta mort ; moi, je l'ai hasardée :Le tour nous réussit, et je trouve plaisantQue tu touches les frais de ton enterrement. DAIGLEMONT. Cet argent vient très bien pour me tirer de gêne ;Mais je songe à mon oncle, à sa cruelle peine... FOLLEVILLE. Bon ! Bon ! Songe plutôt au plaisir qu'il aura,Quand son neveu défunt à ses yeux reviendra :Quelle douce surprise ! DAIGLEMONT. Et ma pauvre cousine, Que j'adore, qui m'aime, est encor plus chagrine !Comme elle va pleurer ! FOLLEVILLE. Mais en revanche aussiComme d'autres riront ! Tiens, je crois voir d'iciPlusieurs de tes parents, qui, pensant qu'ils héritent,D'une si prompte mort tout bas se félicitent : Ils vont prendre ton deuil, se partager ton bien ;Mais ils te le rendront. DAIGLEMONT. Ma foi, je n'en sais rien.Enfin, l'extrait fait foi contre mon existence;Ils me chicaneront ; tu verras. FOLLEVILLE. Oui ; sentencePar laquelle, vu l'a été, on doit te déclarer Mort, et te condamner à te faire enterrer. DAIGLEMONT. Si mon cousin pouvait, contre toute espérance,De mes quinze cents francs me faire encor l'avance ! FOLLEVILLE. Oh ! Tu n'en serais pas longtemps embarrassé ;Ce serait, je t'assure, un fonds bientôt placé. DAIGLEMONT. C'est assez discourir ; permets que je te diseD'aller au plus pressé ; va toucher sans remiseLes mille écus. FOLLEVILLE. J'y vais : toi, tandis que je sors,Et que je réglerai les choses au dehors,Travaille ici ; revois l'état de tes affaires ; Fais pour tes créanciers des billets circulaires ;Mande-leur de venir, et qu'ils sont trop heureux,Puisqu'on va les payer et finir avec eux ;Bien entendu pourtant qu'ils seront raisonnables,Et, feront sur leur dû des remises passables. DAIGLEMONT. Ma foi, tu sais fort bien qu'en leur donnant moitié,Il n'en est pas un seul qui ne fût trop payé. FOLLEVILLE. Allons, tout ira bien, sois sans inquiétude ;Je suis plus las que toi de notre solitude ;Il est temps d'en sortir, et de nous dissiper. Ce soir, en certain lieu, je te donne à souper.Je t'ai fait, par besoin, mourir de mort subite ;L'argent comptant revient, et je te ressuscite.Adieu, je vais courir : dans deux heures au plusJe reviens te chercher. DAIGLEMONT. Je compte là-dessus. Bonjour, dépêche-toi. SCÈNE III. Daiglemont, Deschamps. DAIGLEMONT. Jusqu'à ce qu'il arrive,À mes chers créanciers il faut donc que j'écrive... DESCHAMPS. Écoutez donc, Monsieur ; mon esprit attentifObserve ici qu'il faut un petit correctif. DAIGLEMONT. Pourquoi donc ? DESCHAMPS. Vous allez très fort vous contredire ; Quand on est mort, je crois qu'on ne peut pas écrire. DAIGLEMONT. As-tu trouvé cela sans faire un grand effort ?Je compte bien aussi dater d'avant ma mort. DESCHAMPS. Bon. DAIGLEMONT. À mes créanciers je m'en vais faire entendre.... DESCHAMPS. Quoi ? DAIGLEMONT. Que dans l'autre monde étant près de me rendre Moi, je n'ai pas voulu, débiteur scrupuleux,Partir, pour si longtemps, sans prendre congé d'eux.Il faut des procédés. DESCHAMPS. Ma foi, c'est très honnête ;Ils en seront touchés. DAIGLEMONT. J'ai mon dessein en tête.Laisse faire ; mon style énergique et concis Amollira leurs coeurs dans l'usure endurcis ;Je veux que, tout contrits de leurs fraudes notoires,Eux-mêmes de moitié réduisent leurs mémoires.Parbleu, si j'en allais faire d'honnêtes gens, Cela serait bien beau ! Ne perdons point de temps ; Va chercher là-dedans mes papiers, je te prie,Tout de suite... DESCHAMPS. Allons ; c'est une plaisanterie,Monsieur ; vous n'avez point de papiers, entre nous,À moins que ce ne soit quelques vieux billets doux. DAIGLEMONT. Tu verras que tu sais mieux que moi mes affaires ? Je n'ai pas des papiers importants, nécessaires ;Griffonnés presque tous de la main des Huissiers,Et dont m'ont fait prêtent Messieurs mes créanciers ?Des assignations, des comptes, des mémoires ?... DESCHAMPS. Ah ! J'y suis. Je m'en vais vous chercher ces grimoires ; Cela doit faire un beau recueil. SCÈNE IV. DAIGLEMONT, seule. Nous allons voirSi j'aurai le talent d'attendrir, d'émouvoir !C'est par le vieux Jourdain qu'il faut que je commence ;Le drôle à tout propos vante sa conscience ;Même dans son quartier il passe pour dévot. SCÈNE IV. Daiglemont, Deschamps. DESCHAMPS. Voilà, je crois, Monsieur,les papiers qu'il vous faut ;Vous aurez à les lire une peine effroyable,Et je les tiens écrits de la griffe du Diable. DAIGLEMONT. C'est bon. DESCHAMPS. Monsieur a-t-il encor besoin de moi ? DAIGLEMONT. Non, pas pour le moment ; j'écrirai bien sans toi. DESCHAMPS. Je vais donc là-dedans voir l'objet de ma flamme. DAIGLEMONT. Tu t'es fait l'amoureux de cette vieille femme,De l'Hôtesse ? DESCHAMPS. Ma foi, Monsieur, n'en riez pas ;Elle en vaut bien la peine ; et quoique ses appasAient au moins quarante ans, ils ont fait ma conquête. DAIGLEMONT. Là, sérieusement ? DESCHAMPS. D'honneur, j'en perds la tête.La bonne dame est veuve, et je lui sais du bien ;Et moi je suis garçon, Monsieur, et je n'ai rien. DAIGLEMONT. Ah ! Tu dois l'adorer ; je n'en suis plus en peine. DESCHAMPS. Que voulez-vous ? Je suis un cadet du bas Maine ; J'ai du ciel, en naissant, reçu, pour tout avoir,Un grand fonds de mérite, et je le fais valoir.J'épouserai ; j'en ai par devers moi des preuves,Et les jolis garçons ont des droits sur les veuves. SCÈNE VI. DAIGLEMONT, seul. Faisons notre travail. Justement, c'est Jourdain Dont le compte d'abord me tombe sous la main.Voyons-le. « Dix coupons de belle mousseline;« Trente aunes de basin, cent-vingt de toile fine. »Je n'en ai pas levé de quoi faire un mouchoir ;J'achetais le matin pour revendre le soir... « Total, six mille francs », Juif, comme tu me voles !C'est beaucoup si j'en ai tiré deux cents pistoles...Allons ; mettons-nous bien en situation ;Prêchons à mon voleur la restitution. Il se met à écrire.- Bon ! Superbe début ! C'est un trait de génie ! - Écrivons gravement ; je suis à l'agonie.- L'écriture tremblée. - Il n'aura nul soupçon.- Mon épître vaudra celles de Cicéron.- Cela va bien. - Oui. - C'est ainsi qu'il faut s'y prendre.- Quel ton persuasif ! - Monsieur Jourdain doit s'y rendre. Relisons. « Vieux coquin, dans une heure au plus tard,Je serai mort ; adieu. Toute rancune à part,Je veux bien te donner des avis salutaires.Amende-toi, renonce à tes gains usuraires ;Songe qu'en l'autre monde, où je vais aujourd'hui On est fort mal reçu, chargé du bien d'autrui.Je crois pouvoir, sans qu'on me blâme,De ton mémoire au moins retrancher la moitié :Ce que j'en fais, mon cher, c'est par pure amitié,Et pour le salut de ton âme. De ton mémoire ainsi réduit,Mon oncle recevra copie ;Il te paiera sans scandale et sans bruit :Mais si, pour ton malheur, il te prend fantaisieDe vouloir contester, tu peux compter, vieux fou. Qu'exprès je reviendrai pour te tordre le cou ». SCÈNE VII. Daiglemont, Deschamps. DESCHAMPS. Dans cet hôtel garni, Monsieur, un homme arrive,Qui porte une figure assez rébarbative :Il demande Monsieur Folleville. DAIGLEMONT. Et sais-tuQui c'est ? DESCHAMPS. Non ! Il est vieux, passablement vêtu. DAIGLEMONT. Ah ! Puisque te voilà sers-moi de secrétaire.Tiens, fais de cette lettre un second exemplaire ;Puis tu porteras l'un au bonhomme Jourdain,Et l'autre au Bijoutier, à Monsieur Valentin.Dis-leur bien qu'elle était depuis longtemps écrite. DESCHAMPS. Oui, Monsieur. Allez-vous recevoir la visiteDu quidam ? DAIGLEMONT. Non ; il vient demander de l'argent :C'est quelque créancier, si ce n'est un Sergent.Parbleu ! Tu devais bien tâcher de le connaître. DESCHAMPS. Mais vous-même à l'instant saurez qui ce peut être : Je crois qu'il vient ; passez dans ce cabinet-ci,D'où l'on entend très bien ce qui se dit ici. MONSIEUR DAIGLEMONT, oncle, derrière le Théâtre. Entrons dans la maison. DAIGLEMONT. Eh ! mais... je crois entendre....Oui, c'est lui... c'est sa voix... Ô ciel ! Quel parti prendre ?C'est mon oncle.... DESCHAMPS. Votre oncle ? DAIGLEMONT. Eh ! Vite, cachons-nous. Ils emportent les papiers, et se sauvent dans le cabinet. SCÈNE VIII. Monsieur Daiglemont, Julie, L'Hôtesse. MONSIEUR DAIGLEMONT. Monsieur de Folleville est sorti, dites-vous ? L'HÔTESSE. Oui, Monsieur ; mais il doit revenir tout à l'heure. MONSIEUR DAIGLEMONT. Puisque dans cet hôtel ce jeune homme demeure,J'y veux loger aussi. Vous aurez sûrement,Pour ma fille et pour moi, chez vous un logement ? L'HÔTESSE. Certainement, Monsieur, et j'ose vous répondreQue vous serez content. Je tiens l'Hôtel de Londres.Sans vouloir me flatter, je puis dire qu'ici,Il ne vient que des gens comme il faut, Dieu merci. MONSIEUR DAIGLEMONT. J'en suis persuadé. Le jeune Folleville, Que fait-il, dites-moi, dans cette grande ville ? L'HÔTESSE. Mais, Monsieur, ce qu'y font beaucoup de jeunes gens,Il ne demeure ici que depuis peu de temps.Rarement je l'ai vu. Puis de mes locatairesJe ne dois ni savoir ni conter les affaires. Les gens de notre état sont bavards, curieux ;Grâce au ciel, je n'ai point ces défauts là. MONSIEUR DAIGLEMONT. Tant mieux. L'HÔTESSE. Sur tout ce que je sais j'ai grand soin de me taire,Et ne veux point savoir ce dont je n'ai que faire :Je ne peux pas souffrir les indiscrétions De ces gens qui toujours vous font des questions.Monsieur vient à Paris pour affaires, je pense ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Oui ; par voir Folleville il faut que je commence. L'HÔTESSE. C'est monsieur votre fils ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Non. L'HÔTESSE. Ou votre neveu ? JULIE. Hélas ! non. L'HÔTESSE. Je trouvais... Il vous ressemble un peu... Il vous connaît du moins ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Oh ! beaucoup, et je l'aimeDe tout mon coeur. L'HÔTESSE. Ici chacun en fait de même,Et c'est qu'il le mérite. Entre nous, je crois bienQu'il s'amuse à Paris ; est-on jeune pour rien ?Le plaisir à cet âge est l'importante affaire ; Depuis huit jours au reste il est fort sédentaire ;Un de ses bons amis avec lui s'est logé ;Celui-là, par exemple, est un garçon rangé ;Il s'appelle Derbain ; il aime les sciences,Et surtout la physique et les expériences : Enfermé dans sa chambre, il travaille toujours,Et n'a pas mis le pied dehors tous ces huit jours, MONSIEUR DAIGLEMONT. Ne puis-je pas le voir ? L'HÔTESSE. Vous en êtes le maître ;Il est là. MONSIEUR DAIGLEMONT. Je serais charmé de le connaître ;Je vais le saluer, et lui dire bonjour. De Folleville ainsi j'attendrai le retour. Il s'approche avec l'Hôtesse de la porte du cabinet. L'HÔTESSE. La clef est à la porte. MONSIEUR DAIGLEMONT, tourne la clef et ne peut pas ouvrir. Eh bien donc. L'HÔTESSE. Poussez ferme. MONSIEUR DAIGLEMONT. Mais je crois qu'on retient la porte. On met un verrou en dedans.Ah ! L'on s'enferme, L'HÔTESSE. C'est qu'il est occupé : je vous l'avais bien dit.Vous le dérangeriez. MONSIEUR DAIGLEMONT. Allons ; cela suffit. Il crie à travers la porte. Ne vous dérangez pas, Monsieur, je vous supplie ;J'en serais désolé ; j'aime qu'on étudie.Je ne sais pas pourquoi nos gens ne viennent pas ;Je vais, pour les chercher, retourner sur mes pas. À Julie.Toi, reste avec Madame. Allons, ma bonne amie, Tâche ici d'oublier ton chagrin ; je t'en prie.Adieu. Il l'embrasse. SCÈNE IX. L'Hotesse, Julie. L'HÔTESSE. Mademoiselle, à ce que je conçois ,Voit Paris aujourd'hui pour la première fois ? JULIE. Oui, Madame. L'HÔTESSE. Et sans doute elle en est bien joyeuse ? JULIE. Pas beaucoup. L'HÔTESSE. Quoi ! Si jeune, et si peu curieuse ! Savez-vous bien qu'il n'est au monde qu'un Paris ?Chaque étranger qui vient est enchanté, surpris ;Rien n'est si beau !... Partout c'est un bruit ! Une foule !Sans des plaisirs nouveaux aucun jour ne s'écoule.Il faut aller tout voir, Comédie, Opéra. JULIE. Qui ? Moi ? J'irai partout où mon père voudra. L'HÔTESSE. Comment donc ? Aux plaisirs êtes-vous insensible ? JULIE. Les goûter à présent me serait impossible. L'HÔTESSE. Pauvre enfant ! Quelle est donc sa situation ?Aurions-nous par hasard quelque inclination, Quelque tendre, penchant qu'un père désapprouve ?Ah ! je sais bien alors quel chagrin on éprouve,Moi, j'ai passé par-là. Pour vous mieux désoler,D'un vieux mari, peut-être, on veut vous affubler.Car voilà comme on fait... Les malheureuses filles ! Toujours on les marie au gré de leurs familles,Jamais au leur... Je vois... Vous venez à ParisAcheter des bijoux, des étoffes de prix,Enfin tout ce qu'il faut quand on entre en ménage,Le trousseau ?... N'est-ce pas ?... À quand le mariage ? JULIE. Mon père n'est pas homme à me sacrifier,Et c'est moi qui ne veux jamais me marier. L'HÔTESSE. Ah ! Jamais ; ne jurons de rien, Mademoiselle ;Mais enfin, d'où vous vient cette peine cruelle ?Je crois le deviner ; soyez de bonne foi ; Je m'y connais un peu ; vous aimez, je le vois ? JULIE. Ah ! Dieu ! L'HÔTESSE. Là, faites-moi la confidence entière.Je suis fort indulgente en pareille matière.Au fait, est-ce pour rien que nous avons un coeur ?Puis, si vous aimez, c'est en tout bien, tout honneur. Dites-moi, votre amant est-il jeune, sincère.Vous écrit-il ? A-t-il l'aveu de votre père ?Viendra-t-il à Paris ? Est-il un peu jaloux ? JULIE. Hélas ! Il pouvait bien être connu de vous. L'HÔTESSE. Bon ! Comment ? Il a donc habité cette ville ? JULIE. C'était l'intime ami de Monsieur Folleville.Plus d'une fois sans doute il est ici venu. L'HÔTESSE. Comment le nommait-on ? JULIE. Daiglemont. L'HÔTESSE. Je n'ai vuPersonne de ce nom. Si bien donc qu'il demeureÀ Paris ? JULIE. Il n'est plus ; c'est sa mort que je pleure. Je le regretterai toujours comme aujourd'hui ;Je l'aimai le premier ; je n'aimerai que lui. L'HÔTESSE. Quoi ! Votre amant est mort ! Quel malheur effroyable !D'honneur, cela me fait une peine incroyable. JULIE. Ensemble dès l'enfance élevés tous les deux, Nous avions mêmes goûts, mêmes soins, mêmes jeux :Je le voyais sans peine adoré de mon père ;Ce n'était qu'un cousin, je l'aimais plus qu'un frère...Je n'ai plus rien au monde, et n'y veux point rester. L'HÔTESSE. Mademoiselle, aussi c'est trop vous attrister ; L'usage de Paris est différent du vôtre :Quand on perd un amant, on se pourvoit d'un autre. JULIE. Ma douleur est réelle, et durera toujours. L'HÔTESSE. Bon ! Bon ! Soyez ici seulement quinze jours... JULIE. J'ai besoin de repos ; je me sens un peu lasse ; Faites que l'on me donne une chambre, de grâce, L'HÔTESSE. Dans votre appartement je vais vous installer. SCÈNE X. L'Hotesse, Julie, Deschamps fort du cabinet. L'HÔTESSE. Pardon, je vois quelqu'un qui voudrait me parler.Je m'en vais dire... Holà !... Viendra-t-on quand j'appelle ? Un valet paraît.Au grand appartement menez Mademoiselle. Excusez-moi ; bientôt j'irai vous retrouver. JULIE. Restez ; seule chez moi je vais lire ou rêver. SCÈNE XI. L'Hotesse, Dëschamps. DESCHAMPS. Ah ! Vous voilà, ma Reine. À la fin on vous trouve.Lisez-vous dans mes yeux le transport que j'éprouve ?De joie, en vous voyant, mon coeur est chatouillé. L'HÔTESSE. Le plaisir près de vous, tient le mien éveillé. DESCHAMPS. Ça, quand épousons-nous ? Car chez moi cela presse. L'HÔTESSE. Et moi, je crains ; je vais n'être plus ma maîtresse. DESCHAMPS. Pourquoi donc ? Nous ferons un ménage si doux,Que dans votre maison... La maison est à vous, N'est-ce pas ? L'HÔTESSE. Oui, vraiment. DESCHAMPS. Ah ! Vous êtes charmante.Je crois qu'elle vaut bien vingt mille francs ? L'HÔTESSE. Oh! trenteTout au moins. DESCHAMPS. Les beaux yeux ! Qu'ils sont vifs et perçants ! L'HÔTESSE. Vous me flattez. DESCHAMPS. Qui ? moi ? Je dis ce que je sens.Votre mobilier paraît considérable ? L'HÔTESSE. Il vaut dix mille francs. DESCHAMPS. Vous êtes adorable. L'HÔTESSE. J'ai beaucoup travaillé ; Dieu merci, j'ai du bien. DESCHAMPS. Parle-t-on de cela ? Fi donc ! N'eussiez-vous rien,Je vous préférerais, belle comme vous êtes,Aux plus riches partis... Vous n'avez point de dettes ? L'HÔTESSE. Très peu ; d'ailleurs bientôt je compte rembourser.J'ai de l'argent comptant. DESCHAMPS, en l'embrassant. Je veux vous embrasser.Je ne puis résister au désir qui me brûle. L'HÔTESSE. Finissez donc, Monsieur. DESCHAMPS. D'où vous vient ce scrupule ? L'HÔTESSE. Eh ! mais... ; DESCHAMPS. Ne suis-je pas votre futur époux ? L'HÔTESSE. Vous avez ma parole. DESCHAMPS. Eh bien, que craignez-vous ?Au point où nous voilà, vos refus sont bizarres ;Et pour qu'un marché tienne, il faut donner des arrhes. L'HÔTESSE. Non. Femme qui les donne, assez souvent les perd .Et je ne suis déjà que trop à découvert. DESCHAMPS. Quoique cette pudeur à mes voeux soit contraire,Je l'aime. Adieu, cher coeur. J'ai des courses à faire ;L'amour cède au devoir ; mais bientôt de retour,Je reviens à vos pieds du devoir à l'amour. ACTE II. SCÈNE I. FOLLEVILLE entre gaîment, une bourse à la main. J'ai touché notre argent !... Ménageons cette bourse... On n'use pas deux fois d'une telle ressource...Mille écus !... À présent, attendons Guillemot.Pour nous mieux mettre en fonds il doit venir bientôt...On nous l'envoie exprès... Ce cher oncle !.. Je l'aime...Il nous eût fort gênés, s'il fût venu lui-même ; Heureusement pour nous, il est très loin d'ici... Il appelle du côté du cabinet.Tout va bien... Daiglemont... Daiglemont... SCÈNE II. Folleville, Monsieur Daiglemont. MONSIEUR DAIGLEMONT, entrant tout d'un coup par un autre côté. Me voici.. FOLLEVILLE. Comment, Monsieur, c'est vous ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Vous le voyez ; moi-même. FOLLEVILLE. Est-il bien vrai ? MONSIEUR DAIGLEMONT. D'où vient cette surprise extrême ?Vous me saviez ici ? Vous m'appeliez ? FOLLEVILLE. Moi ? Non. MONSIEUR DAIGLEMONT. Mais très distinctement vous avez dit mon nom. FOLLEVILLE. Vous croyez ? MONSIEUR DAIGLEMONT. J'en suis sûr. FOLLEVILLE. Cela se peut, sans doute ;C'est l'effet des regrets que mon ami me coûte ;Bien souvent je le nomme, et malgré son trépas,Insensé ! Je l'appelle ; il ne me répond pas. MONSIEUR DAIGLEMONT. D'une vive amitié c'est la marque certaine.Sa mort m'a fait aussi la plus affreuse peine !...Vous ne m'attendiez pas, je pense ? FOLLEVILLE. Pas beaucoup. MONSIEUR DAIGLEMONT. Je me suis à venir décidé tout d'un coup.Et j'arrive un peu las, mais bien portant du reste, Je loge en cet hôtel. FOLLEVILLE. Je fuis, je vous proteste,Enchanté de vous voir. Cependant, entre nous,J'aimerais tout autant que vous fussiez chez vous.Risquer votre santé ! Voyager à votre âge ! MONSIEUR DAIGLEMONT. J'avais chargé d'abord Guillemot du voyage. FOLLEVILLE. Il fallait qu'il le fît, et je suis affligéPar intérêt pour vous.... MONSIEUR DAIGLEMONT. Je vous suis obligé. FOLLEVILLE. [Note : Mesquin : Qui est de pauvre et chétive apparence. [L]]Vous serez mal ici ; la maison est mesquine. MONSIEUR DAIGLEMONT. Je ferai près de vous ; cela me détermine. FOLLEVILLE. Vous êtes trop honnête. MONSIEUR DAIGLEMONT. Ah !... Vous avez reçu Une lettre un effet ? FOLLEVILLE. Oui, tout m'est parvenu.Par exemple, pourquoi vous presser de me rendreCette misère-là ? Je pouvais bien attendre ;Pour un peu de retard, rien n'eût été perdu :Cela ne valait pas... MONSIEUR DAIGLEMONT. Cela vous était dû ; C'étaient des déboursés, et qui, par leur nature... FOLLEVILLE. Ne m'ont pas un instant gêné, je vous assure. MONSIEUR DAIGLEMONT. Oh ! Ça, je vais un peu voir mon appartement ;Tantôt nous parlerons d'affaires amplement. FOLLEVILLE. Je vais, en attendant, vous tenir compagnie. MONSIEUR DAIGLEMONT. Non, non ; restez, mon cher ; point de cérémonie. SCÈNE III. FOLLEVILLE, seul. Ah ! parbleu, nous voilà dans un bel embarras !Comment sortirons-nous d'un aussi mauvais pas ?Si le bon homme va découvrir le mystère,Il sera contre nous d'une horrible colère ; Mais de mon plan toujours assurons le succès ;Que d'abord l'oncle paye, et qu'il se fâche après. SCÈNE IV. Folleville, Daiglemont, Deschamps. FOLLEVILLE, va à la porte du cabinet. Hé, notre ami, sais-tu que ton oncle lui-même... DAIGLEMONT. Est ici. Tu nous mets dans une peine extrême,Et qu'y gagnerons-nous ? FOLLEVILLE. Mais d'abord mille écus, Qu'en fort beaux louis d'or à l'instant j'ai reçus.Hé, Deschamps, veille un peu, que l'on ne nous surprenne. DESCHAMPS. J'ai l'oeil bon, Dieu merci ; ne soyez point en peine.Si quelqu'un vient, j'aurai soin de vous avertir. DAIGLEMONT. Où ton adresse enfin pourra-t-elle aboutir ? Là, dis-moi maintenant ce que nous allons faire ? FOLLEVILLE. Il n'est pas trop aisé de nous tirer d'affaire. DAIGLEMONT. Je le crois. FOLLEVILLE. Je ne vois qu'un moyen d'en sortir. DAIGLEMONT. Quel est-il ? FOLLEVILLE. Ma foi, c'est de te laisser mourir.Toi défunt, il n'est plus nécessaire de feindre ; Tu n'auras de ton oncle aucun reproche à craindre,Ni moi non plus ; cela nous met tous en repos.Tiens, tu ne peux jamais mourir plus à propos. DAIGLEMONT. Ris ; dis-nous des bons mots d'un air plaisant et leste.Sais-tu qu'il faut avoir bien de l'esprit de reste, Pour en vouloir fourrer partout comme tu fais ?Je vais tout avouer à mon oncle ; je vaisMe jeter à ses pieds. FOLLEVILLE. Oui, je te le conseille ;Prends-moi le ton pleureur ; il te sied à merveille ;Va faire le nigaud : tu n'as donc pas de coeur ? Je te demande où sont les sentiments, l'honneur ? DAIGLEMONT. Mais, encore une fois, que faut-il que je fasse ? FOLLEVILLE. Je vais te l'indiquer ; car un rien t'embarrasse,Notre projet enfin, jusqu'ici bien conduit,Pour être dérangé, n'est pas encor détruit. Ton oncle ne sait pas le fin de notre histoire ;Il te croit toujours mort : eh bien, laissons-le croire.Toi, dans ce cabinet, renferme-toi sans bruit ;N'en sors pas un instant ; sitôt qu'il fera nuit,Tu partiras, muni d'une bourse assez ronde ; Et dans quelque retraite agréable et profonde,Tandis que ton trépas causera nos soupirs,Tu vivras à ton aise au milieu des plaisirs. DAIGLEMONT. Et tu feras payer mes dettes ? FOLLEVILLE. Je l'espère. DAIGLEMONT. C'est que c'est là le point important de l'affaire. FOLLEVILLE. En as-tu fait l'état ? Peux-tu me le donner ? DAIGLEMONT. Pas encore. FOLLEVILLE. Avant tout, il faut le terminer.Tes créanciers, voyons, que leur as-tu fait dire ? DAIGLEMONT. Tantôt à quelques-uns j'ai pris le soin d'écrireQu'on leur payerait moitié. FOLLEVILLE. Fort bien. Mon cher Deschamps, Il faut nous seconder. DESCHAMPS. Volontiers ; j'y consens. FOLLEVILLE. Fais autour de notre oncle exacte sentinelle ;Entends, observe tout ; sois prêt, si je t'appelle. À Daiglemont.De ton état passif allons nous occuper ;Viens ; le succès en vain semble nous échapper ; J'en réponds ; tu verras, en affaire pareille,Que j'exécute encor mieux que je ne conseille. Folleville et Daiglemont rentrent dans le cabinet. SCÈNE V. DESCHAMPS, seul. Laissez-moi faire, allez ; je ne suis pas un sot,Et je prétends ici vous aider comme il faut.Quelqu'un vient... C'est notre oncle... Il a tort. Comment diantre ? Là dedans à présent il ne faut pas qu'il entre ;Cherchons quelque moyen de l'arrêter ici...Il s'agit de mentir... c'est aisé... m'y voici. SCÈNE VI. Monsieur Daiglemont, Deschamps. MONSIEUR DAIGLEMONT. Folleville est chez lui ? Sans doute il est visible,N'est-ce pas, mon ami ? DESCHAMPS. Que vois-je ? Est-il possible ? Ah ! Monsieur, je me jette à vos pieds. MONSIEUR DAIGLEMONT. Que veux-tu ?D'où nous connaissons-nous ? Tu ne m'as jamais vu. DESCHAMPS. Oh ! Cela ne fait rien. Je fais vous reconnaître.Vous ressemblez si fort à feu mon pauvre maître !Il faut que vous soyez son oncle Daiglemont : Oui, Moniteur, c'est vous-même, et mon coeur m'en répond. MONSIEUR DAIGLEMONT. Tu servais mon neveu ? DESCHAMPS. Jugez de ma disgrâce ;Vous sentez que sa mort m'a fait perdre ma place:Il n'a pu me garder. Ah ! Quel événement !Je l'ai donc vu mourir ce jeune homme charmant, Qui menait à son âge une vie exemplaire,Qui, dès qu'il se montrait, était certain de plaire ;Beau comme un ange.... Enfin, c'était votre portrait. MONSIEUR DAIGLEMONT. Il me ressemblait fort, oui, chacun le disait.Mais adieu ; je vais voir Folleville. DESCHAMPS, le retenant. Ah ! J'espère Que vous compatirez, Monsieur, à ma misère.Hélas ! J'ai sur les bras ma femme et quatre enfants. MONSIEUR DAIGLEMONT. Je te plains. Mais il faut que j'entre là-dedans. DESCHAMPS, le retenant encore. Monsieur, les malheureux aiment qu'on les écoute,Qu'on les plaigne c'est là le service sans doute Qu'on rend plus volontiers ; car il ne coûte rien. MONSIEUR DAIGLEMONT. Va, va, je tâcherai de te faire du bien. DESCHAMPS. Monsieur, pour un moment si je vous intéresse,Je suis content... Me voir si fort dans la détresse !...Feu Monsieur me disait : Deschamps, reste avec moi ; Tu ne manqueras pas, je prendrai soin de toi ;Si je viens à mourir, je prétends et j'ordonneQue jamais après moi tu ne serves personne,Et je n'oublierai pas de faire un testament,Afin de te laisser de quoi vivre aisément. Mais il est brusquement parti pour l'autre monde...En pleurs, lorsque j'y pense, il faut bien que je fonde...Être emporté si vite !... Ah ! j'en perdrai l'esprit. MONSIEUR DAIGLEMONT. Le pauvre malheureux ! Vraiment, il m'attendrit.Va, je te placerai comme il faut ; sois tranquille. Mais, encore une fois, je veux voir Folleville,Adieu. DESCHAMPS. Pardon, si j'ose encor vous arrêter.C'est que réellement je ne puis vous quitter. SCÈNE VII. Monsieur Daiglemont, Deschamps, Folleville sort du cabinet. MONSIEUR DAIGLEMONT. Ah ! vous voilà, mon cher ? chez vous j'allais me rendre, FOLLEVILLE. Comment! Est-ce qu'ici l'on vous a fait attendre ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Il n'importe le temps ne m'a pas semblé long,Et je causais avec cet honnête garçon. DESCHAMPS. Oui ; j'amusais Monsieur. DAIGLEMONT. C'est un bon domestique,À ce qu'il paraît ? FOLLEVILLE. Lui ? c'est un sujet unique. MONSIEUR DAIGLEMONT. Et Daiglemont devait en être bien content ? FOLLEVILLE. Daiglemont ?... En faisait l'éloge à chaque instant. MONSIEUR DAIGLEMONT. Puisque vous m'en rendez un si bon témoignage,Je veux de mes bontés lui donner quelque gage.Prends ce double louis à compte. DESCHAMPS. En vérité, Monsieur, c'est déjà plus que je n'ai mérité. MONSIEUR DAIGLEMONT. Non, non, tous tes discours montrent une belle âme ;Va, va-t'en retrouver tes enfants et ta femme ;Console-les, dis-leur qu'à partir d'aujourd'huiJe prétends devenir leur père, et ton appui. DESCHAMPS. Je n'avais pas compté recevoir ce salaire ; Mais on gagne toujours quelque chose à bien faire. SCÈNE VIII. Monsieur Daiglemont, Folleville. MONSIEUR DAIGLEMONT. Ça, parlons des motifs qui m'amènent ici.Vous nous avez mandé que dans ce pays ci,Mon neveu, que je plains, a laissé quelques dettes ;Moi-même je verrai comment elles sont faites ; Je suis assez surpris qu'il ait pu s'endetter.Puis de l'occasion j'ai voulu profiterPour faire voir Paris à ma pauvre Julie,Et la distraire un peu de sa mélancolie.Cet enfant se désole ; elle aimait son cousin ; Je cherche les moyens d'adoucir son chagrin,Et c'est pour elle aussi que j'ai fait le voyage. FOLLEVILLE. Tout cela me paraît on ne peut pas plus sage. MONSIEUR DAIGLEMONT. Savez-vous à peu près combien doit mon neveu ? FOLLEVILLE. Mais, Monsieur, c'est selon ; il doit beaucoup et peu. MONSIEUR DAIGLEMONT. Comment l'entendez-vous ? FOLLEVILLE. Cela peut vous surprendre ;Mais dans l'instant, je crois, vous allez me comprendre :Envers ses créanciers il a bien reconnuQu'il leur devait beaucoup ; mais il a peu reçu. MONSIEUR DAIGLEMONT. Mais vous me parlez là de mauvaises affaires ; Il a donc contrarié des dettes usuraires ? FOLLEVILLE. Un jeune homme peut-il emprunter autrement ?Il faut qu'au poids de l'or il achète l'argent. MONSIEUR DAIGLEMONT. De voir les créanciers il faut que je m'occupe. FOLLEVILLE. Je pourrai vous aider à n'être pas leur dupe. MONSIEUR DAIGLEMONT. Oui ? Comment ? FOLLEVILLE. J'ai sur eux de bons renseignements .Et Daiglemont lui-même, à ses derniers moments,A fait l'état au vrai de ses dettes passives,[Note : Apostiller : Mettre une apostille, des apostilles [Annotation en marge ou au bas d'un écrit.] [L]]Dûment apostillé de notes instructives. MONSIEUR DAIGLEMONT. Vous me le remettrez ? FOLLEVILLE. Très volontiers. MONSIEUR DAIGLEMONT. C'est bon. FOLLEVILLE. Ces Messieurs aisément n'entendront pas raison ;Mais pour mieux parvenir à la leur faire entendre,Offrez de les payer comptant, et sans attendre ;Ils se décideront ; ils sont gens à savoirTrès bien ce que par heure un écu peut valoir. Plus tard on leur rendrait, plus il faudrait leur rendre. MONSIEUR DAIGLEMONT. Très grand merci des soins que vous voulez bien prendre. FOLLEVILLE. Bon ! C'est avec plaisir, et par pure amitié :Je voudrais que déjà vous eussiez tout payé. MONSIEUR DAIGLEMONT. Nous verrons tout cela... Mais que nous veut ma fille ? SCÈNE IX. Les mêmes, Julie. JULIE. L'Hôtesse me fait fuir ; sans cesse elle babille ;Son caquet à la fin me lasse et m'étourdit. MONSIEUR DAIGLEMONT. Mais sans trop prendre garde à tout ce qu'elle dit?Cela te distrairait ; tu serais plus tranquille.Ma chère enfant, tu vois Monsieur de Folleville ; C'était le bon ami du pauvre Daiglemont. FOLLEVILLE, saluant Julie. Puis-je vous assurer de mon respect profond ? JULIE. Monsieur.... MONSIEUR DAIGLEMONT. Tu te plais mieux toute seule ? JULIE. Mon pèreJe vous fais de la peine ; excusez. MONSIEUR DAIGLEMONT. Va, ma chère, À Folleville.Je ne puis t'en vouloir. Encor de nouveaux pleurs. FOLLEVILLE, à Julie. Je suis loin de blâmer vos regrets, vos douleurs.De mon ami pour vous j'ai connu la tendresse ;Mais on peut vaincre enfin la plus juste tristesse.Nous nous empresserons tous de vous consoler. MONSIEUR DAIGLEMONT. Il a grande raison ; on ne peut mieux parler. À Folleville.Allons voir nos Messieurs. Ma fille, je vais faireEn sorte de finir promptement toute affaire ;Puis à tes moindres voeux, tout prêt a consentir?Tu n'auras qu'à vouloir, pour te bien divertir. Ils sortent tous, excepté Julie. SCÈNE X. JULIE, seule. Ah ! Dieu ! Dans le chagrin dont je suis tourmentée, De quels amusements pourrais-je être flattée ?Il n'en est plus pour moi... Cher cousin !... Non, jamais...Je sens bien à présent à quel point je l'aimais...Je le perds... pour toujours... Cette idée est affreuse.Je ne le verrai plus. Ah ! Pleure malheureuse, Pleure... Oh ! Si je pouvais, une fois seulement,Le revoir, lui parler. Ne fût-ce qu'un moment !...Pour un moment si doux, je donnerais ma vie... SCENE XIII. Julie, DAIGLEMONT fort du cabinet. JULIE. Ah ! Grand Dieu ! Me trompé-je ? DAIGLEMONT. Ô ma chère Julie ! JULIE. Il me parle !... Est il vrai ?... Daiglemont, est-ce toi ? DAIGLEMONT. Ma charmante cousine, ah ! N'aie aucun effroi ! JULIE. Je ne t'ai point perdu ? DAIGLEMONT. Revois celui qui t'aime.Oui, je vis, et pour toi je suis toujours le même ;Sur un récit trompeur, cesse de me pleurer. JULIE. Mais explique-moi donc ?... DAIGLEMONT. Il faut te déclarer La vérité ; j'étais... Ciel ! on vient ; prenons garde;C'est l'Hôtesse ; feignons ; car c'est une bavarde. SCÈNE XIV. Julie, Daiglemont, L'Hôtesse. L'HÔTESSE. Ah ! Ah ! Monsieur Derbain, je vous rencontre ici ? JULIE. Monsieur Derbain ?... Mais... DAIGLEMONT. Oui ; c'est moi qu'on nomme ainsi,Mademoiselle. L'HÔTESSE, à Julie. Et vous, pourquoi donc, je vous prie ; Nous fuir ? Pour vous livrer à votre rêverie ?Mais Monsieur votre père, en sortant, m'a prescritDe chercher les moyens d'égayer votre esprit.Je ne vous quitte plus. JULIE. C'est avoir trop de zèle. DAIGLEMONT. Moi, j'arrive, et j'ai fait peur à Mademoiselle ; En entrant tout d'un coup ; j'ai mal pris mon moment. JULIE. Oui, vous m'avez causé beaucoup d'étonnement ;Mais je ne m'en plains pas. L'HÔTESSE. Ah ! Vous êtes si bonne ! À Daiglemont.Je cherche à consoler cette jeune personne ;Aidez-moi, s'il vous plaît ; causons un peu tous deux ; Cela l'amusera. DAIGLEMONT. De bon coeur ; je le veux.Eh ! Tenez, je m'en vais vous conter une histoireQui vient fort à propos s'offrir à ma mémoire. L'HÔTESSE. Voyons donc. DAIGLEMONT. Vous savez comme les jeunes gens,Pour dépenser ici, rançonnent leurs parents ; Ils ont, pour les tromper, des ruses incroyables. L'HÔTESSE. C'est que tous ne sont pas, comme vous, raisonnables. DAIGLEMONT. Or écoutez le tour qu'ont fait deux étourdis,Dont l'un, je vous l'avoue, est fort de mes amis.L'autre suppose un jour que ton cher camarade Est mort, après avoir été longtemps malade ;À l'oncle du défunt il écrit tristement,Lui conte avec détails la mort, l'enterrement,En réclame les frais ; l'oncle, honnête et brave homme.S'empresse d'envoyer une assez forte somme... L'HÔTESSE. S'il n'est pas vrai, le conte au moins est bien trouvé. DAIGLEMONT. Un conte ?... Point du tout ; le fait est arrivé. JULIE. Tant pis ; je blâme fort un pareil artifice. DAIGLEMONT. Permettez ; mon ami n'en était point complice ;Il n'a même à la ruse en rien contribué ; C'est sans le prévenir que l'autre l'a tué. JULIE. Ces deux Messieurs menaient une belle conduite ! DAIGLEMONT. Enfin, de mon récit écoutez donc la suite.L'oncle arrive ; jugez quel embarras cruel !Pour mon ami surtout un chagrin bien réel Vint de ce qu'il aimait, et de toute son âme,Une jeune beauté bien digne de sa flamme ;Dès l'âge le plus tendre il en était épris... JULIE. Et peut-être il l'avait oubliée à Paris ? DAIGLEMONT. Oh ! Non ; elle n'est pas de celles qu'on oublie. Comptez qu'il l'aime encore, et pour toute sa vie :Aussi, sans désespoir, il ne pouvait songerQu'elle allait de sa mort peut-être s'affliger ;Et quoiqu'il n'eût pas eu de part au stratagème,Il se le reprochait, s'en voulait à lui-même Du chagrin qu'elle avoir senti... Mais, par bonheur,Il trouva le moyen de la tirer d'erreur,Lui peignit son amour, son repentir sincère :Pendez-vous qu'elle fut bien longtemps en colère ?Que fit-elle? Voyons ; daignez le deviner. JULIE. Elle fut assez bonne encor pour pardonner. L'HÔTESSE. Oh ! Je le gagerais. Voila comme nous sommes !On ne nous parte rien ; nous partions tout aux hommes. DAIGLEMONT. Elle fit plus encore. JULIE. Eh ! Quoi donc ? Pour le coup... DAIGLEMONT. Sur l'oncle du jeune homme elle pouvait beaucoup, Elle avait de l'esprit, une grâce adorable ;Elle en obtint l'oubli d'une faute excusable ;Même on dit que l'hymen d'elle et de son amant,De cette intrigue enfin fut l'heureux dénouement. JULIE. Ah ! vous brodez, Monsieur. L'HÔTESSE. J'aime fort cette histoire. JULIE. Oui, mais au dénouement je n'ose guère croire...Jugez, en apprenant comme tout s'est passé,À quel point l'oncle doit se trouver offensé.La paix, après cela, n'est pas aisée à faire. DAIGLEMONT. Ah ! Vous arrangeriez une pareille affaire, Si vous vous en mêliez. JULIE. Je n'ose m'en flatter.J'y ferais mes efforts, vous pouvez y compter. DAIGLEMONT. Pardon, Mademoiselle ; il faut que je vous quitte. L'HÔTESSE. Vous êtes bien pressé ; pourquoi partir si vite ? DAIGLEMONT. Oh ! c'est bien à regret. Bas à Julie.Mon oncle peut venir. JULIE. Monsieur, je ne veux point ici vous retenir.Pourtant à vos récits je prêterais l'oreilleAvec bien du plaisir. Vous contez à merveille. DAIGLEMONT. Ah ! Si le dénouement n'en était plus douteux,L'histoire que j'ai dite en vaudrait beaucoup mieux. SCÈNE XV. L'Hotêsse, Julie. L'HÔTESSE. Il vous a divertie ; oui, la chose est certaine. JULIE. Son entretien m'a plu, j'en conviendrai sans peine. L'HÔTESSE. Je m'en suis aperçue ; de ce Monsieur Derbain,Pour être aimable, vaut, je crois, votre cousin. JULIE, souriant. Mais je le crois aussi. L'HÔTESSE. Bon ! Cela vous fait rire ? Vous serez consolée ; ai-je eu tort de le dire ?Je mettais quinze jours ; mais je vois maintenant ;Grâce à Monsieur Derbain, qu'il n'en faudra pas tant. ACTE III SCÈNE I. JULIE, seule. Je reviens en ces lieux, et mon coeur m'y ramené :Quel bonheur ! quelle joie incroyable et soudaine ! Cher cousin ! Je voudrais le revoir, lui parler !...Si cela se pouvait sans qu'on vînt nous troubler !Déjà quelqu'un ? Combien cela me contrarie ! SCÈNE II. Monsieur Daiglemont, Folleville, Monsieur Jourdain, Monsieur Michel, Julie. DAIGLEMONT. Entrez, Messieurs, entrez ; sans façons, je voue prie.Vous veniez pour me voir, et je sors de chez vous. Ainsi fort à propos nous nous rencontrons tous. Apercevant Julie.Ah ! Ma fille, c'est toi ? JOURDAIN. Charmante demoiselle f MICHEL. On est heureux d'avoir une fille si belle ! MONSIEUR DAIGLEMONT. Eh ! Que faisais-tu là ? JULIE. Qui ? Moi ? Je vous attends ;Avec ces Messieurs-là serez-vous bien longtemps ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Je ne fais ; nous avons des affaires ensemble ;Daiglemont s'est beaucoup endetté, ce me semble.Ce sont des créanciers qu'il me laisse a payer, JULIE. Il faut finir cela sans vous faire prier.Ces Messieurs font des gens honnêtes, j'en suis sûre ; L'exacte probité se peint sur leur figure :Demandez-leur ; ils ont trop d'honneur, de vertu,Pour venir réclamer plus qu'il ne leur est dû. JOURDAIN. Je dis... Mademoiselle... Oh ! Vous êtes bien bonne. MICHEL. Voilà ce qui s'appelle une aimable personne. JULIE. Terminez promptement ; ensuite dans ParisNous nous promènerons ; vous me l'avez promisVous me ferez tout voir, les jardins, les spectacles :On dit que c'est ici le pays des miracles ;Quant à moi, je conviens que je n'aurais pas cru, En arrivant, y voir ce que j'ai déjà vu. MONSIEUR DAIGLEMONT. Eh ! Mais ! Comme elle est gaie ! Et comme elle babille !Est-il rien si léger que l'esprit d'une fille ?Vous avez vu tantôt les pleurs qu'elle a versés. JULIE. Oh ! Mes plus grands chagrins à présent sont passés, Et même le moment n'est pas bien loin, j'espère,Où je n'en aurai plus du tout. Adieu, mon père.Bonjour, Meilleurs. MONSIEUR DAIGLEMONT. Bonjour. SCÈNE III. Les précédents, excepté Julie. MONSIEUR DAIGLEMONT. Je serais enchantéQue cette chère enfant retrouvât sa gaîté.Oh ! Ça, Meilleurs, je suis à vous. Mais le jour baisse ; Holà, de la lumière. Un Valet apporte des bougies, qu'il pose sur la table.Il suffit ; qu'on nous laisse.Pour nous entendre mieux, d'abord asseyons-nous. MICHEL. Bien vu. MONSIEUR DAIGLEMONT. Monsieur Jourdain, ça, commençons par vous. JOURDAIN. Volontiers ; mon objet n'est pas considérable.Puis, je crois que Monsieur est juste et raisonnable, Et qu'il ne voudrait pas qu'on perdît avec lui.Le commerce est vraiment périlleux aujourd'hui.Regardez... du défunt voilà bien l'écriture,Et sa reconnaissance au bas de ma facture. MONSIEUR DAIGLEMONT. Voyons... Six mille francs. Vous vous moquez, je crois ? Quoi ! Pour deux mille écus de toile en dix-huit mois ?Je vous demande un peu ce qu'il en a pu faire. JOURDAIN. Je n'en sais rien, Monsieur ; ce n'est pas mon affaire.J'ai vendu, j'ai livré, je ne sais que cela ;Il faut que l'on me paye. FOLLEVILLE. Ah ! Doucement ; j'ai là Certains renseignements qui doivent nous apprendreComment Monsieur Jourdain a le talent de vendre. JOURDAIN. Monsieur, je suis Syndic de ma Communauté,Et je n'ai rien à craindre en fait de probité.Je suis connu ; depuis quarante ans que j'exerce... FOLLEVILLE. Oh ! Monsieur le Syndic sait le fin du commerce.Ça, ne nous fâchons pas, mon cher Monsieur Jourdain.De Daiglemont aussi vous connaissez la main.Voici... JOURDAIN. D'ailleurs, Monsieur, l'article est sur mes livres. FOLLEVILLE. Il est encore ici ; tenez : « Six mille livres. Il est vrai que Jourdain m'a vendu sur ce pied ;Mais Durand, son voisin et son associé,M'a racheté le tout avec deux tiers de perte ;Par ce moyen, pour moi leur bourse s'est ouverte ;[Note : Basin : Étoffe croisée, dont la chaîne est de fil et la trame de coton. {L]]J'ai reçu l'argent ; mais la toile et le basin N'ont fait qu'aller de l'un dans l'autre magasin ». JOURDAIN. Monsieur, à tout cela je ne dois rien entendre ;Quand on se fait Marchand, je crois que c'est pour vendre.Les temps sont durs, Monsieur, et tout n'est pas profit :On vit comme l'on peut.. FOLLEVILLE. Eh ! Oui ; c'est fort bien dit. Monsieur Jourdain raisonne en père de famille ;Aussi dit-on qu'il vient de marier sa filleAvec un Procureur : il a donné comptantVingt mille écus de dot. JOURDAIN. Et je n'ai plus d'argent. FOLLEVILLE. On vous en donnera ; mais rendez-vous traitable. MONSIEUR DAIGLEMONT. Et vous, Monsieur Michel, serez-vous raisonnable ?Voyons, que vous faut-il ? MICHEL. Vous l'allez voir bientôt.Mon affaire est très simple ; et cela n'a qu'un mot.C'est de l'argent prêté ; j'ai le billet en poche.Le voici. J'ai longtemps attendu, sans reproche. Il est de cent louis, que vous m'allez compter. FOLLEVILLE. Ah ! Vous nous permettrez d'abord de consulterNos notes ; le défunt tout exprès les a faites. MICHEL. Monsieur... FOLLEVILLE. Tenez... « Michel... c'est l'article où vous êtes.Cent Louis, par billet, que j'ai dans peu de temps Trois fois renouvelé : j'ai reçu neuf cents francs. » MONSIEUR DAIGLEMONT. Oh ! C'est trop fort ; vit-on jamais pareille usure ? MICHEL. Monsieur, je ne crois pas mériter cette injure,Pour avoir obligé Monsieur votre neveu ;Je l'aimais tendrement.... MONSIEUR DAIGLEMONT. Il y paraît, parbleu ! Quel métier faites-vous ? MICHEL. Monsieur, je fais la banque,Et j'avance au public des fonds, quand il en manque.Vous entendez fort bien, lorsque l'on fait un prêt,Qu'il faut en retirer un certain intérêt.N'est ce pas que l'argent qu'en mon coffre je serre, Je pourrais l'employer en de bons fonds de terre,En maisons, en contrats ? J'en recevrais des fruits.Qu'importe la façon dont ils me sont produits ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Vous savez employer au mieux votre fortune,Et vous faites, mon cher, trois récoltes pour une. MICHEL. Oui ; mais les non-valeurs, les risques que je cours... MONSIEUR DAIGLEMONT. Oh ! Ça, Messieurs, tranchons d'inutiles discours ;Je vous offre à chacun moitié de vos créances ;Voyez ; l'argent est prêt ; faites-moi vos quittances. JOURDAIN. Cela ne se peut pas. MICHEL. Moi, je veux tout ou rien. MONSIEUR DAIGLEMONT. Décidément ? JOURDAIN. Très fort. MONSIEUR DAIGLEMONT. Quittons cet entretien,Meilleurs, vous finiriez par m'échauffer la bile ;Je vous laisse. Venez ; suivez-moi, Folleville. MICHEL. Ce n'est pas avec moi qu'on devrait marchander. MONSIEUR DAIGLEMONT. Songez qu'avant ce soir il faut vous décider. Adieu ; retenez bien ma dernière parole.Aujourd'hui, la moitié ; demain, pas une obole. SCÈNE IV. Jourdain, Michel. JOURDAIN. Quel parti prendrez-vous ? MICHEL. Eh ! Mais, il est tout pris ;À ces manières-là nous sommes aguerris.Vous verrez qu'on doit faire une avance très forte, Sans que l'argent vous rentre, et sans qu'il vous rapporte. JOURDAIN. Et s'ils vont nous plaider ? MICHEL. Quoi ! Cela vous sait peur,Tandis que vous avez un gendre Procureur? JOURDAIN. J'entends mal les procès. MICHEL. Oh ! Qu'à cela ne tienne ,Mon ami ; je suivrai votre affaire et la mienne ; En nous réunissant, il en coûtera moins.Vous en ferez les frais ; j'y donnerai mes soins. JOURDAIN. Mais l'écrit du défunt qu'ils viennent de nous lire,En justice ils auront grand soin de le produire ? MICHEL. Eh ! Que fait cet écrit ? On ne le croira pas. Pensez-vous que le mort revienne de là-bas,Tout exprès pour plaider contre nous, pour se plaindre ? JOURDAIN. Mais non ; je ne crois pas que cela soit à craindre.Il m'en avait pourtant menacé... MICHEL. Bon ! Comment ? JOURDAIN. Par ce billet ; lisez ; à la fin seulement. MICHEL, lit. Tu peux compter qu'exprès je reviendrai... Folie !Vous tentez bien que c'est une plaisanterie ;On n'est point effrayé d'un mot comme cela,Quand on a de l'esprit.. JOURDAIN. Oh ! oui, quand on en a... MICHEL. Est-ce que vous croyez aux revenants ? JOURDAIN. Moi ? Guère. MICHEL. Un peu ? JOURDAIN. Mais. MICHEL. Bon ! Ce sont des contes de grand-mère ;Chez les honnêtes gens, personne n'y croit plus. JOURDAIN. Ne badinez donc pas, de grâce, là-dessus. MICHEL. On fait sur ce sujet bien des récits bizarres ;Il faut s'en défier ; les esprits sont très rares... DAIGLEMONT dans le cabinet, sans montrer, et grossissant sa voix. Vous êtes un fripon. MICHEL. Plaît-il, Monsieur Jourdain ? JOURDAIN. Moi, je n'ai point parlé. DAIGLEMONT, de même. Vous êtes un coquin. JOURDAIN. Vous dites ? MICHEL. Pas un mot. DAIGLEMONT, de même. Vous apprendrez, canaille,Si c'est impunément que d'un mort on se raille. MICHEL. Nous ne sommes pas seuls. DAIGLEMONT, de même. Craignez d'être traités Aussi sévèrement que vous le méritez. JOURDAIN. Juste ciel ! C'est sa voix ! MICHEL. Mais je crois reconnaîtreEn effet... JOURDAIN. De ma peur je ne suis pas le maître. SCÈNE V. Jourdain, Michel, Daiglemont sort du cabinet, souffle les bougies ; on baisse les lampes; le théâtre est dans l'obscurité. DAIGLEMONT. Scélérats ! Jourdain et Michel tombent par terre de frayeur. JOURDAIN. Ah ! Mon Dieu ! MICHEL. Pardon, mille pardons. JOURDAIN. Oui, vous disiez bien vrai ; nous sommes des fripons. MICHEL. Qu'exigez-vous de nous ? Car je suis dans des transes.... DAIGLEMONT. Si vous n'abandonnez moitié de vos créances... MICHEL. Oh ! Je vous le promets. JOURDAIN. Et moi j'en fais le voeu. MICHEL. Nous vous obéirons. DAIGLEMONT. N'y manquez pas. Adieu. SCÈNE VI. Jourdain, Michel. MICHEL. Est-il parti ? JOURDAIN. Vraiment, tâchez d'y voir vous-même. MICHEL. Je ne puis revenir de ma frayeur extrême ;Car c'était lui, bien lui. JOURDAIN. Vous faisiez l'esprit fortPourtant; vous prétendiez.... MICHEL. Je vois que j'avais tort. JOURDAIN. Sûrement vous l'aviez ; et voilà bien qui prouveQu'il faut croire... . SCÈNE VII. Les mêmes, Monsieur Daiglemont. Un Valet l'éclaire ; on relève les lampes. MONSIEUR DAIGLEMONT. Ah ! Messieurs, ici je vous retrouve ?.... Vous étiez sans lumière ? MICHEL. On nous en a défaits. MONSIEUR DAIGLEMONT. J'ai cru ma fille ici. JOURDAIN. Monsieur, sans nuls délais.Nous voulons avec vous finir, coûte qui coûte. MONSIEUR DAIGLEMONT. J'offre toujours moitié ; l'acceptez-vous ? MICHEL. Sans doute. MONSIEUR DAIGLEMONT. J'ai vos sommes en or ; je vais vous les payer. JOURDAIN. Faites-nous le plaisir de nous expédier. MICHEL. Je vous rends le billet. JOURDAIN. Moi, la reconnaissance ;Tenez, j'avais au bas mis mon acquit d'avance.Nous avons fait ; partons. S'il revenait ! MONSIEUR DAIGLEMONT. Eh ! Qui ? MICHEL. Votre neveu. MONSIEUR DAIGLEMONT. Comment ? JOURDAIN. Son âme en ce lieu-ci Revient ; nous l'avons vue ; elle était furibonde ! MICHEL. Pour nous faire du tort, venir de l'autre monde ! MONSIEUR DAIGLEMONT. Mais comptez donc votre or. MICHEL. Il n'en est pas besoin.Adieu. JOURDAIN. Nous voudrions être déjà bien loin. MONSIEUR DAIGLEMONT. Adieu, Messieurs. SCÈNE VIII. MONSIEUR DAIGLEMONT, seul. Eh ! Mais, qu'est-ce qu'ils veulent dire ? Que mon neveu revient ? Sont-ils dans le délire ?Si je n'étais bien sûr de son trépas !... Mais quoi ?Le remords peut chez eux avoir produit l'effroi ;Ou bien ils font exprès un conte... J'en profiteEn tout cas... Et de deux toujours dont je suis quitte. SCÈNE IX. Monsieur Daiglemont, L'Hôtesse. L'HÔTESSE. Monsieur, c'est une lettre ; elle est pour vous, je crois. MONSIEUR DAIGLEMONT. À Monsieur Daiglemont. C'est mon nom ; c'est pour moi.Oui. L'HÔTESSE. Monsieur est toujours satisfait de son gîte ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Très satisfait. L'HÔTESSE. Pardon ; je me sauve bien vite.Il m'arrive du monde, et notre état prescrit... Adieu, Monsieur. MONSIEUR DAIGLEMONT. Adieu. SCÈNE X. MONSIEUR DAIGLEMONT, seul. Qu'est-ce donc qui m'écrit?Et qui diantre déjà me sait dans cette ville ? Il lit la lettre.« Pour moi c'est un plaisir, cousinDe trouver à vous être utile ; Votre lettre de ce matin M'apprend qu'en ce moment, pour ranger vos affaires,Quinze cents francs vous seraient nécessaires. »Se moque-t-on de moi ? Je n'ai besoin de rien.« On vous voit rarement, et cela n'est pas bien.Ne négligez donc plus un parent qui vous aime. Votre argent est tout prêt ; vous voulez l'avoir,Vous viendrez le chercher vous-même ;C'est ma condition. Venez louper ce soir.Votre cousin Dortis »... Eh ! Mais... Est-il possible ?Oui ; c'est pour mon neveu ; la chose est très visible... Mon neveu ?... Ce matin ?... Il ne serait pas mort ?J'en serais bien content : mais le tour serait fort ;Je saurais l'en punir d'une façon sévère.Ces Messieurs qui l'ont vu ne m'étonnent plus guère.Voici fort à propos le fripon de valet ; Le drôle est, à coup sûr, confident du secret. SCÈNE XI. Monsieur Daiglemont, Deschamps. MONSIEUR DAIGLEMONT. Viens ! Maraud ; tu m'as fait une friponnerie. DESCHAMPS. Moi, Monsieur ? Vous croyez ? MONSIEUR DAIGLEMONT. La chose est éclaircie ;Mon neveu n'est pas mort. DESCHAMPS. Il n'est pas mort, Monsieur ?En êtes-vous bien sûr ? Se peut-il ? Quel bonheur ! MONSIEUR DAIGLEMONT. Tu le sais mieux que moi, coquin, qu'il vit encore. DESCHAMPS. Si l'on vous a trompé, comptez que je l'ignore. MONSIEUR DAIGLEMONT. Maître fourbe, à l'instant tu vas tout déclarer,Ou bien sous le bâton je te fais expirer. DESCHAMPS. Puisque vous vous fâchez, Monsieur, je me retire. MONSIEUR DAIGLEMONT. Non non, pendard, il faut demeurer, et tout dire.Je pénètre à présent votre complot caché.Parle, ou tu n'en seras pas quitte à bon marché. DESCHAMPS. Monsieur, à deux genoux je vous demande grâce. MONSIEUR DAIGLEMONT. De tes mauvais discours à la fin je me lasse. DESCHAMPS, parle alternativement très bas et très haut. Bas.Monsieur, écoutez-moi. Haut.Monsieur, en vérité.Je ne sais rien du tout. Bas.Venez de ce côté. Haut.- Mon Maître est bien défunt. - Il se porte à merveille.- Rien n'est plus vrai. - J'ai peur qu'il ne prête l'oreille.- Je dois bien le savoir ; j'ai suivi son convoi. - S'il entendait un mot, ce serait fait de moi.- Faut-il, si jeune encor, que la mort nous l'arrache ?Ah ! - Dans ce cabinet, il est là qui se cache. - Vous m'interrogeriez ainsi jusqu'à demain. - Parlez à votre tour. - Non, Monsieur, c'est en vain ; Je ne sais pas tromper. - Grondez-moi, je vous prie. MONSIEUR DAIGLEMONT. Fourbe ! DESCHAMPS, bas. Plus haut. MONSIEUR DAIGLEMONT. Coquin ! DESCHAMPS. Bien : entrez en furie. MONSIEUR DAIGLEMONT. Haut.Je m'en vais t'assommer. Bas.Pour mieux cacher ton jeu,N'est-il pas à propos que je te rosse un peu ? DESCHAMPS, bas. Eh ! non ; je ne crois pas ce point-là nécessaire, MONSIEUR DAIGLEMONT. Bas.Si ; cela fera bien. Haut, en le rossant.Tiens ; voilà ton salaire. DESCHAMPS. Aïe ! aïe ! MONSIEUR DAIGLEMONT. Mais je saurai ce que tu veux cacher. DESCHAMPS. Je ne vous cache rien. MONSIEUR DAIGLEMONT. Paix ; va-t-en me chercherMonsieur de Folleville ; ici je vais l'attendre :Dis-lui que je le prie au plutôt de s'y rendre. DESCHAMPS, bas. Oui, Monsieur.? N'allez pas, trahissant mon secret,Déclarer que c'est moi qui vous ai mis au fait. MONSIEUR DAIGLEMONT. Non. DESCHAMPS. Chassez-moi bien haut. MONSIEUR DAIGLEMONT. Sors vite, ou je t'assomme ! DESCHAMPS. Mon Dieu ! Peut-on traiter si mal un honnête homme ? SCÈNE XII. Monsieur Daiglemont, Julie. MONSIEUR DAIGLEMONT. Le drôle n'est pas sot. Mais qui vient en ces lieux ? C'est ma fille. Tantôt elle avait l'air joyeux ! Elle riait. Peut-être elle est d'intelligence : Elle m'aurait trompé !... J'en veux tirer vengeance La tourmenter un peu... Te voilà, mon enfant ? JULIE, à part. Mon père est toujours là. MONSIEUR DAIGLEMONT. Je te fais compliment ; Ta gaîté me paraît tout à fait revenue. JULIE. Pas encor ; mais au moins mon chagrin diminue. MONSIEUR DAIGLEMONT. Et je sais le moyen de le faire finir.Il faut te dire un fait qui doit te réjouir.Je vais te marier à Paris. JULIE. Moi, mon père ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Oui, toi même, et dans peu ; j'ai trouvé ton affaire.Ton cousin Daiglemont est mort ; il a bien fait.Veux-tu que je t'en fasse en deux mots le portrait ?C'était un étourdi, sans règle, sans conduite ;Le drôle à la misère enfin t'aurait réduite ; C'est un très grand bonheur pour toi qu'il ne soit plus.Je te trouve un parti de trente mille écus,Garçon prudent, rangé ; d'ailleurs tout jeune, aimable.Qu'en dis-tu ? Ce plan doit te sembler agréable ? JULIE. Mais, mon père... MONSIEUR DAIGLEMONT. Hein ! Cela paraît t'embarrasser. Moi, j'ai cru que d'abord tu viendrais m'embrasser.Est-ce que j'ai mal fait ? JULIE. Ces offres sont fort belles ;Je sens, comme je dois, vos bontés paternelles ;Mais mon cousin et moi nous devions être unis ;Je m'en flattais déjà ; vous me l'aviez promis. MONSIEUR DAIGLEMONT. Fort bien ; mais il est mort, et ce serait folie... JULIE. Non, non, ne pensez pas qu'un instant je l'oublie.Mon coeur, toujours constant, lui jure devant vous,Que jamais, non jamais, je n'aurai d'autre époux. MONSIEUR DAIGLEMONT. Ce serment-là, vraiment, est pathétique et tendre ; On dirait qu'elle croit que ce mort peut l'entendre.Ma pauvre fille est folle ; elle l'est tout à fait. JULIE. Mais s'il n'était pas mort ? MONSIEUR DAIGLEMONT, à part. La friponne est au fait. Haut.Quoi ! S'il n'était pas mort ? Saurais-tu quelque choseQui te fît soupçonner ?... JULIE. Mais enfin je suppose... MONSIEUR DAIGLEMONT. Tu supposes très mal. Eh ! Mais, j'aimerais fortQu'il se donnât les airs de ne pas être mort,Quand nous l'avons pleuré, quand sa perte assuréeM'a causé des regrets, et t'a désespérée !Et son enterrement que j'ai payé, parbleu, Et fort cher, selon toi, ce serait donc un jeu ?Mon neveu m'aurait pu donner ce ridicule,Me traiter en Géronte imbécile et crédule ?Suis-je fait, s'il vous plaît, pour être bafoué ?Malheur à qui m'aurait de la sorte joué ! SCÈNE XIII. Monsieur Daiglemont, Julie, Folleville. MONSIEUR DAIGLEMONT, à Folleville. Ah ! Ah ! c'est vous, Monsieur ? À Julie.Tu sors ? JULIE. Je me retire. MONSIEUR DAIGLEMONT. Non, reste. À Folleville.-Il faut vous apprendre d'abordQue Michel et Jourdain ont fait, de bon accord ,Ce que je voulais. FOLLEVILLE. Oui ? MONSIEUR DAIGLEMONT. Je ne sais comment diableS'est opéré soudain ce prodige incroyable ; Mais en rentrant ici, j'ai trouvé mes friponsConvertis tout à fait, et doux comme moutons.Ils ont reçu moitié ; c'est affaire finie. FOLLEVILLE. Tant mieux donc, et pour vous j'en ai l'âme ravie,De mon côté, j'ai vu les autres créanciers ; Ce sont, pour la plupart, des gens durs, tracassiers.... MONSIEUR DAIGLEMONT. Comment ? Ils ont grand tort d'être si difficiles !La mort de mon neveu doit les rendre dociles ;Car le pauvre garçon est bien mort dans vos bras ;Vous m'avez en détail raconté son trépas ; Vous m'avez envoyé son extrait mortuaire,Et ce n'est pas à faux que vous l'avez fait faire ;Vous êtes trop honnête et trop franc pour cela. FOLLEVILLE. À part.Sommes-nous découverts ? Haut.- À ce langage-là... MONSIEUR DAIGLEMONT. Vous ne l'entendez pas, je le crois ; mais peut-être, Mon cher, vous entendrez un peu mieux cette lettre,Et vous m'expliquerez (car vous êtes très fin)Comment mon neveu mort, écrivait ce matin.Cette explication sera facile à croire,Et tournera surtout beaucoup à votre gloire. Eh bien, qu'en dites-vous ? Ce matin, Daiglemont,Écrivait à Dortis, et Dortis lui répond.Par hasard en mes mains cette lettre est venue. FOLLEVILLE. Monsieur !... MONSIEUR DAIGLEMONT. Vous le voyez ; la fraude est reconnue ;Il n'est plus temps ici de rien dissimuler ; Je vous en veux beaucoup, je ne puis le celer ;Et vous m'avouerez bien que cette espièglerie,A parler franchement, passe la raillerie.Comment avez-vous pu vous faire un jeu cruelDe me plonger ainsi dans un chagrin mortel ? De supposer la mort de mon neveu que j'aime ?Mais il est mille fois plus blâmable lui-même... FOLLEVILLE, avec vivacité. Lui, Monsieur ? MONSIEUR DAIGLEMONT, l'interrompant. À Paris il s'endette, se perd :C'est peu ; pour m'affliger, avec vous de concert,Mon étourdi se prête à votre affreuse ruse ; Sa conduite envers moi ne peut avoir d'excuse :Quand j'ai tout fait pour lui, ce trait peu délicatM'apprend trop qu'en l'aimant,je n'aimais qu'un ingrat. JULIE. Mon père, cette idée est injuste et l'offense. MONSIEUR DAIGLEMONT. Eh ! Ma fille, est-ce à vous de prendre sa défense ? Songez donc quel chagrin ceci vous a donné.Songez... JULIE. Quand je l'ai vu, moi, j'ai tout pardonné. MONSIEUR DAIGLEMONT. Tant pis pour vous ; mais moi, je suis inexorable. FOLLEVILLE. Monsieur, écoutez-moi. MONSIEUR DAIGLEMONT. Non, il est trop coupable ;À pallier ses torts il ne faut point songer. Un jeune homme peut bien être étourdi, léger ;Aux travers de l'esprit aisément on fait grâce ;Mais les fautes du coeur, jamais on ne les passe. JULIE. Mon père, voulez-vous faire aussi mon malheur ? FOLLEVILLE. Monsieur, vous m'accablez de honte et de douleur. Je dois justifier mon ami ; c'est moi-mêmeQui fus, sans son aveu, l'auteur du stratagème ;Il le sait d'aujourd'hui : ses plaintes m'ont appris,Que s'il l'eût su d'avance, il ne l'eût pas permis. JULIE. Oui ; lui-même tantôt il me l'a dit, mon père. FOLLEVILLE. Ah ! Monsieur, mon pardon n'est pas ce que j'espère ;Je vous ai, je le sens, vivement offensé ;Je dois en convenir, je suis un insensé,Qui n'ai pas de ce trait considéré la suite.Malheureux que je suis ! Déjà, par ma conduite, Mes parents contre moi doivent être irrités ;Vous m'allez faire perdre à jamais leurs bontés :Oui, que je sois puni ; c'est moi qui vous en presse ;Mais à votre neveu rendez votre tendresse.Si je puis avec vous le réconcilier, Je me soumets à tout. JULIE. Daignez tout oublier.Vous aimez mon cousin, et votre âme est si bonne ! MONSIEUR DAIGLEMONT. Mais qu'on le voie au moins, s'il veut qu'on lui pardonne. SCÈNE XIV et DERNIÈRE. Les mêmes, Daiglemont sort ducabinet ,et se présente à son oncle d'un air humilié. DAIGLEMONT. Ah ! Mon oncle à vos yeux je craignais de m'offrir ;Si vous saviez combien ceci m'a fait souffrir ! Vous pouvez me punir d'un tort qui m'humilie ;Vengez-vous ; mais du moins ne m'ôtez pas Julie. JULIE. Au futur de Paris vous donnerez congé ;Mon cousin, comme lui, sera sage et rangé. MONSIEUR DAIGLEMONT. À Julie.Je me moquais de toi. Aux deux jeunes gens.Qu'aucun de vous n'oublie, Meilleurs, que je vous passe une insigne folie.Avec les créanciers nous allons terminer ;Mais tous deux de Paris je veux vous emmener. À Folleville.Je vous remettrai bien avec votre famille ;Daiglemont, j'y consens, épousera ma fille. ==================================================