Préface de NARCISSE ou l'Amant de lui-même

Jean-Jacques Rousseau

J’ai écrit cette comédie à l’âge de dix-huit ans, et je me suis gardé de la montrer, aussi longtemps que j’ai tenu quelque compte de la réputation d’Auteur. Je me suis enfin senti 1e courage de la publier, mais je n’aurai jamais celui d’en rien dire. Ce n’est donc pas de ma pièce, mais de moi-même qu’il s’agit ici.

Il faut, malgré ma répugnance, que je parle de moi ; il faut que je convienne des torts que l’on m’attribue, ou que je m’en justifie. Les armes ne seront pas égales, je le sens bien ; car on l’attaquera avec des plaisanteries, et je ne me défendrai qu’avec des raisons : mais pourvu que je convainque mes adversaires, je me soucie très peu de les persuader ; en travaillant à mériter ma propre estime, j’ai appris à me passer de celle des autres, qui, pour la plupart, se passent biens de la mienne. Mais s’il m’importe guère qu’on pense bien ou mal de moi, il m’importe que personne n’ait droit d’en mal penser, et il importe à la vérité que j’ai soutenue, que son défenseur ne soit point accuse justement de ne lui avoir prête son secours que par caprice ou par vanité. Sans l’aimer et sans la connaître.

Le parti que j’ai pris dans la question que j’examinais il y a quelques années, n’a pas manqué de me susciter une multitude d’adversaires. On m’assure que plusieurs trouvent mauvais que j’appelle mes adversaires, et cela me paraît assez croyable dans un siècle où l’on n’ose plus rien appeler par son nom. J’apprends aussi que chacun de mes adversaires se plaint, quand réponds à d’autres objections que les siennes, que je perds temps à me battre contre des chimères ; ce qui me prouve une chose dont je me doutais déjà bien, savoir qu’ils ne perdent point le leur à s’écouter les uns les autres. Quant à moi, c’est une peine que j’ai cru devoir prendre, et j’ai lu les nombreux écrits qu’ils ont publiés contre moi, depuis la première réponse dont je fus honoré, jusqu’aux quatre sermons Allemands dont l’un commence à peu près de cette manière : Mes frères, si Socrate revenait parmi nous, et qu’il ait l’état florissant ou les sciences sont en Europe ; que dis-je, en Europe ? en Allemagne ; que dis-je, en Allemagne ? en Saxe : que dis-je, en Saxe ? à Leipzig, que dis-je, à Leipzig ? dans cette Université. Alors saisi d’étonnement, et pénétré de respect, Socrate s’assoirait modestement parmi nos écoliers ; et recevant nos leçons avec humilité, il perdrait bientôt avec nous ignorance dont il se plaignait si justement. J’ai lu tout cela et n’y ai fait que peu de réponses ; peut-être en ai-je encore trop fait, mais je suis fort aise que ces Messieurs les aient trouvées assez agréables pour être jaloux de la préférence. Pour les gens qui sont choqués du mot d’adversaires, je consens de bon cœur à le leur abandonner, pourvu qu’ils veuillent bien m’en indiquer un autre par lequel je puisse designer, non seulement tous ceux qui ont combattu mon sentiment, soit par écrit, soit plus prudemment et plus à leur aise dans les cercles de femmes et de beaux esprits, ou ils étaient bien surs que je n’irais pas me défendre, mais encore ceux qui feignant aujourd’hui de croire que je n’ai point d’adversaires, trouvaient d’abord sans réplique les réponses de mes adversaires, puis quand j’ai réplique, m’ont blâmé de l’avoir fait, parce que, selon eux, un ne m’avait point attaqué. En attendant, ils permettront que je continue d’appeler mes adversaires mes adversaires ; car, malgré la politesse de mon siècle, je suis grossier comme les Macédoniens de Philippe, plus attentifs peut-être à l’intérêt des gens de lettres qu’à l’honneur de la littérature. Je l’avais prévu, et je m’étais bien douté que leur conduite en cette occasion prouverait en ma saveur plus que tous mes discours. En effet, ils n’ont déguise ni leur surprise ni leur chagrin de ce qu’une Académie s’était montrée intègre si mal à propos. Ils n’ont épargné contre elle ni les invectives indiscrètes, ni même les faussetés. On peut voir, dans le Mercure d’août 1752, le désaveu de l’Académie de Dijon, au sujet de je ne sais quel écrit attribué faussement par l’Auteur à l’un des membres de cette Académie, pour tâcher d’affaiblir le poids de son jugement. Je n’ai pas non plus été oublié dans leurs déclamations. Plusieurs ont entrepris de me réfuter hautement : les sages ont pu voir avec quelle force, et le public avec quel succès ils l’ont fait. D’autres plus adroits, connaissant le danger de combattre directement des vérités démontrées, ont habilement détourné sur ma personne une attention qu’il ne fallait donner qu’a mes raisons, et l’examen des accusations qu’ils m’ont intentées à fait oublier les accusations plus graves que je leur intentais moi-même. C’est donc à ceux-ci qu’il faut répondre une fois.

Ils prétendent que je ne pense pas un mot des vérités que j’ai soutenues, et qu’en démontrant une proposition, je ne laissais pas de croire le contraire. C’est-à-dire j’ai prouvé des choses si extravagantes, qu’on peut affirmer que je n’ai pu les soutenir que par jeu. Voilà un bel honneur qu’ils font en cela à la science qui sert de fondement à toutes les autres ; et l’on doit croire que l’art de raisonner sert de beaucoup à la découverte de la vérité, quand on le voit employer avec succès à démontrer des folies !

Ils prétendent que le ne pense pas un mot des vérités que j’ai soutenues ; c’est sans doute de leur part une manière nouvelle et commode de répondre à des arguments sans réponse, de réfuter les démonstrations même d’Euclide, et tout ce qu’il y a de démontré dans l’univers. Il me semble, à moi, que ceux qui m’accusent si témérairement de parler contre ma pensée, ne se sont pas eux-mêmes un grand scrupule de parler contre la leur : car ils n’ont assurément rien trouvé dans mes écrits ni dans ma conduite qui ait du leur inspirer cette idée, comme je le prouverai bientôt ; et il ne leur est pas permis d’ignorer que dès qu’un homme pane sérieusement, on doit penser qu’il croit ce qu’il dit, à moins que ses actions ou ses discours ne le démentent, encore cela même ne suffit-il pas toujours pour s’assurer qu’il n’en croit rien.

Ils peuvent donc crier autant qu’il leur plaira, qu’en me déclarant contre les sciences j’ai parlé contre mon sentiment ; à une assertion aussi téméraire, dénuée également de preuve et de vraisemblance, je ne fais qu’une réponse ; elle est courte et énergique, et je les prie de se la tenir pour faite.

Ils prétendent encore que ma conduite est en contradiction avec mes principes, et il ne faut pas douter qu’ils n’emploient cette seconde instance à établir la première ; car il y a beaucoup de gens qui savent trouver des preuves à ce qui n’est pas. Ils diront donc qu’en faisant de la musique et des vers, on a mauvaise grâce à déprimer les beaux-arts, et qu’il y a dans les belles-lettres que j’affecte de mépriser mille occupations plus louables que d’écrire des Comédies. Il faut répondre aussi à cette accusation.

Premièrement, quand même on l’admettrait dans toute sa rigueur, je dis qu’elle prouverait que je me conduis mal, mais non que je ne parle pas de bonne-foi. S’il était permis de tirer des actions des hommes la preuve de leurs sentiments, il faudrait dire que l’amour de la justice est banni de tous les coeurs et qu’il n’y a pas un seul chrétien sur la terre. Qu’on me montre des hommes qui agissent toujours conséquemment à leurs maximes, et je passe condamnation sur les miennes. Tel est le sort de l’humanité, la raison nous montre le but et les passions nous en écartent. Quand il serait, vrai que je n’agis pas selon mes principes, on n’aurait donc pas raison de m’accuser pour cela seul de parler contre mon sentiment, ni d’accuser mes principes de fausseté.

Mais si je voulais passer condamnation sur ce point, il me suffirait de comparer les temps pour concilier les choses. Je n’ai pas toujours eu le bonheur de penser comme je sais. Longtemps séduit par les préjuges de mon siècle, je prenais l’étude pour la seule occupation digne d’un sage, je ne regardais les sciences qu’avec respect, et les savants qu’avec admiration1. Je ne comprenais pas qu’on put s’égarer en démontrant toujours, ni mal faire en parlant toujours de sagesse. Ce n’est qu’après avoir vu les choses de près que j’ai appris à les estimer cc qu’elles valent ; et quoique dans mes recherches j’aie toujours trouvé, satis loquentiae, sapientiae parum, il m’a fallu bien des réflexions, bien des observations et bien du temps pour détruire en moi l’illusion de toute cette, vaine pompe scientifique. Il n’est pas étonnant que durant ces temps de préjuges et d’erreurs ou j’estimais tant la qualité d’Auteur j’aie quelquefois aspiré à l’obtenir moi-même. C’est alors que furent composes les Vers et la plupart des autres Écrits qui sont sortis de ma plume, et entr’autres cette petite Comédie. Il y aurait peut-être de la dureté à me reprocher aujourd’hui ces amusements de ma jeunesse, et on aurait tort au moins de m’accuser d’avoir contredit en cela des principes qui n’étaient pas encore les miens. Il y a longtemps que je ne mets plus à toutes ces choses aucune espèce de prétention ; et hasarder de les donner au Public dans ces circonstances, après avoir eu la prudence de les garder si longtemps, c’est dire assez que je dédaigne également la louange et le blâme qui peuvent leur être dus ; car je ne pense plus comme l’Auteur dont ils sont l’ouvrage. Ce sont des enfants illégitimes que l’on caresse encore avec plaisir en rougissant d’en être le père, à qui l’on fait ses derniers adieux, et qu’on envoie chercher fortune, sans beaucoup s’embarrasser de ce qu’ils deviendront.

Mais c’est trop raisonner d’après des suppositions chimériques. Si l’on m’accuse sans raison de cultiver les Lettres que je méprise, je m’en défends sans nécessité ; car quand le fait serait vrai, il n’y aurait en cela aucune inconséquence : c’est ce qui me reste à prouver.

Je suivrai pour cela, selon ma coutume, la méthode simple et facile qui convient à la vérité. J’établirai de nouveau l’état de la question, j’exposerai de nouveau mon sentiment ; et j’attendrai que sur cet exposé on veuille me montrer en quoi mes actions démentent mes discours. Mes adversaires de leur côté n’auront garde de demeurer sans réponse, eux qui possèdent l’art merveilleux de disputer pour et contre sur toutes sortes de sujets. Ils commenceront, selon leur coutume, par établir une autre question à leur fantaisie ; ils me la seront résoudre comme il leur conviendra : pour m’attaquer plus commodément, ils me feront raisonner, non à ma manière, mais à la leur : ils détourneront habilement les yeux Lecteur de l’objet essentiel pour les fixer à droite à gauche ; ils combattront un fantôme et prétendront m’avoir vaincu : mais j’aurai fait. Ce que je dois faire, et je commence.

« La science n’est bonne à rien, et ne fait jamais, que du mal, car elle est mauvaise par sa nature. Elle n’est pas moins inséparable du vice que l’ignorance de la vertu. Tous les peuples lettrés ont toujours été corrompus ; tous les peuples ignorants ont été vertueux : en un mot, il n’y a de vices que parmi les savants, ni d’homme vertueux que celui qui ne fait rien Il y a donc un moyen pour nous de redevenir honnêtes gens ; c’est de nous hâter de proscrire la science et les savants, de brûler nos bibliothèques, fermer nos Académies, nos Collèges, nos Universités, et de nous replonger dans toute la barbarie des premiers siècles. »

Voilà ce que mes adversaires ont très-bien réfute : mais aussi jamais n’ai-je dit ni pensé un seul mot de tout cela, et l’on ne saurait rien imaginer de plus opposé à mon système que cette absurde doctrine qu’ils ont la bonté de m’attribuer. Mais voici ce que j’ai dit et qu’on n’a point réfuté.

Il s’agissait de savoir si le rétablissement des sciences et des arts à contribué à épurer nos moeurs.

En montrant, comme je l’ai fait, que nos moeurs ne se sont point épurées 2, la question était à-peu-près résolue.

Mais elle en renfermait implicitement une autre plus générale et plus importante, sur l’influence que la culture des sciences doit avoir en toute occasion sur les moeurs des peuples. C’est celle-ci, dont la première n’est qu’une conséquence, que je me proposai d’examiner avec soin.

Je commençai par les faits, et je montrai que les moeurs ont dégénéré chez tous les peuples du monde, à mesure que le goût de l’étude et des Lettres s’est étendu parmi eux.

Ce n’était pas assez ; car sans pouvoir nier que ces choses eussent toujours marché ensemble, on pouvait nier que l’une eut amené l’autre : je m’appliquai donc à montrer cette liaison nécessaire. Je fis voir que la source de nos erreurs sur ce point vient de ce que nous confondons nos vaines et trompeuses connaissances avec la souveraine Intelligence qui voit d’un coup-d’oeil la vérité de toutes choses. La science, prise d’une manière abstraite mérite toutes notre admiration. La folle science des hommes n’est digne de risée et de mépris.

Le goût des Lettres annonce toujours chez un peuple un commencement de corruption qu’il accéléré très-promptement. Car ce goût ne peut naître ainsi dans toute une nation que de deux mauvaises sources que l’étude entretient et grossit à son tour ; savoir, l’oisiveté et le désir de se distinguer. Dans un État bien constitué, chaque citoyen à ses devoirs à remplir : et ces soins importants lui sont trop chers pour lui laisser le loisir de vaque à de frivoles spéculations. Dans un État bien constitué tous les citoyens sont si égaux, que nul ne peut être préféré aux autres comme le plus savant ni même comme le plus habile, mais tout plus comme le meilleur : encore cette dernière distinction est-elle souvent dangereuse ; car elle fait des fourbes et des hypocrites.

Le goût des Lettres, qui naît du désir de se distinguer, produit nécessairement des maux infiniment plus dangereux que tout le bien qu’elles sont n’est utile ; c’est de rendre à la fin ceux qui s’y livrent très-peu scrupuleux sur les moyens réussir. Les premiers Philosophes se firent une grande réputation en enseignant aux hommes la pratique de leurs devoirs et principes de la vertu. Mais bientôt ces préceptes étant devenus communs, il fallut se distinguer en frayant des routes contraires. Telle est l’origine des systèmes absurdes des Leucippe, des Diogène, des Pyrrhon, des Protagore, des Lucrèce. Les Hobbes, les Mandeville et mille autres ont affecté de se distinguer même parmi nous ; et leur dangereuse doctrine a tellement fructifié, que quoiqu’il nous reste de vrais Philosophes, ardents à rappeler dans nos coeurs les lois de l’humanité et de la vertu, on est épouvanté de voir jusqu’à quel point notre siècle raisonneur à poussé dans les maximes le mépris de l’homme et du citoyen.

Le goût des lettres, de la philosophie et des beaux-arts, anéantit l’amour de nos premiers devoirs et de la véritable gloire. Quand une fois les talents ont envahi les honneurs dus à la vertu, chacun veut être un homme agréable, et nul ne se soucie d’être homme de bien. De-là naît encore cette autre inconséquence qu’on ne récompense dans les hommes que les qualités qui ne dépendent pas d’eux : car nos talents naissent avec nous, nos vertus seules nous appartiennent.

Les premiers et presque les uniques soins qu’on donne à notre éducation, sont les fruits et les semences de ces ridicules préjugés. C’est pour nous enseigner les Lettres qu’on tourmente notre misérable jeunesse : nous savons toutes les règles de la grammaire avant que d’avoir oui parler des devoirs de l’homme : nous savons tout ce qui s’est fait jusqu’à présent avant qu’on nous ait dit un mot de ce que nous devons faire ; et pourvu qu’on exerce notre babil, personne se soucie que nous sachions agir ni penser. En un mot, il n’est prescrit d’être savant que dans les choses qui ne peuvent nous servir de rien ; et nos enfants sont précisément élevés comme les anciens athlètes des jeux publics, qui, destinant leurs membres robustes à un exercice inutile et superflu, se gardaient de les employer jamais à aucun travail profitable.

Le goût des Lettres, de la philosophie et des beaux-arts, amollit les corps et les âmes. Le travail du cabinet rend les hommes délicats, affaiblit leur tempérament, et l’âme garde difficilement sa vigueur quand le corps a perdu la sienne. L’étude use la machine, épuise les esprits, détruit la force, énerve le courage, et cela seul montre assez qu’elle n’est pas faite pour nous : c’est ainsi qu’on devient lâche et pusillanime, incapable de résister également à la peine et aux passions. Chacun fait combien les habitants des villes sont peu propres à soutenir les travaux de la guerre, et l’on n’ignore pas quelle est la réputation des gens de lettres en fait de bravoure3.

Or rien n’est plus justement suspect que l’honneur d’un poltron.

Tant de réflexions sur la faiblesse de notre nature ne servent souvent qu’à nous détourner des entreprises généreuses. À force de méditer sur les misères de l’humanité, notre imagination nous accable de leur poids, et trop de prévoyance nous ôte le courage en nous ôtant la sécurité. C’est bien en vain crue nous prétendons nous munir contre les accidents imprévus : « Si la science essayant de nous armer de nouvelles défenses contre les inconvénients naturels, nous a plus imprimé en la fantaisie leur grandeur et poids, qu’elle n’a ses raisons et vaines subtilités à nous en couvrir. »

Le goût de la philosophie relâche tous les liens d’estime et de bienveillance qui attachent les hommes à la société, et c’est peut-être le plus dangereux des maux qu’elle engendre. Le charme de l’étude rend bientôt insipide tout autre attachement. De plus, à force de réfléchir sur l’humanité, à force d’observer les hommes, le Philosophe apprend à les apprécier selon leur valeur, et il est difficile d’avoir bien de l’affection pour ce qu’on méprise. Bientôt il réunit en sa personne tout l’intérêt que les hommes vertueux partagent avec leurs semblables : son mépris pour les autres tourne au profit de son orgueil ; son amour-propre augmente en même proportion que son indifférence pour le reste de l’univers. La famille, la patrie deviennent pour lui des mots vides de sens : il n’est ni parent, ni citoyen, ni homme ; il est Philosophe.

En même temps que la culture des sciences retire en quelque sorte de la presse le coeur du Philosophie, elle y engage en un autre sens celui de l’homme de Lettres et toujours avec un égal préjudice pour la vertu. Tout homme qui s’occupe des talents agréables veut plaire, être admiré, et il veut être admiré plus qu’un autre. Les applaudissements publics appartiennent à lui seul : je dirais qu’il fait tout pour les obtenir, s’il ne faisait encore plus pour en priver ses concurrents. De-là naissent d’un côté les raffinements du goût et de la politesse ; vile et basse flatterie, soins séducteurs, insidieux, puériles, qui, à la longue, rapetissent l’âme et corrompent le coeur ; et de l’autre, les jalousies, les rivalités, les haines d’Artistes si renommées, la perfide calomnie, la fourberie, la trahison, et tout ce que le vice à de plus lâche ; de plus odieux. Si le Philosophe méprise les hommes, l’Artiste s’en fait bientôt mépriser, et tous deux concourent enfin à les rendre méprisables.

Il y a plus ; et de toutes les vérités que j’ai proposées à la considération des sages, voici la plus étonnante et la plus cruelle. Nos écrivains regardent tous comme le chef-d’oeuvre de la politique de notre siècle les sciences, les arts, le luxe, le commerce, les lois, et les autres liens qui resserrant entre les hommes les noeuds de la société4 par l’intérêt personnel, les mettent tous dans une dépendance mutuelle, leur donnent des besoins réciproques, et des intérêts communs, et obligent chacun d’eux de concourir au bonheur des autres pour pouvoir faire le sien. Ces idées sont belles, sans doute, et présentées sous un jour favorable : mais en les examinant avec attention et sans partialité, on trouve beaucoup à rabattre des avantages qu’elles semblent présenter d’abord.

C’est donc une chose bien merveilleuse que d’avoir mis les hommes dans l’impossibilité de vivre entr’eux sans se prévenir, se supplanter, se tromper, se trahir, se détruire mutuellement ! II faut désormais se garder de nous laisser jamais voir tels que nous sommes : car pour deux hommes dont les intérêts s’accordent, cent mille peut-être leur sont opposés, et il n’y a d’autre moyen pour réussir que de tromper ou perdre tous ces gens-là. Voilà la source funeste des violences, des trahisons, des perfidies, de toutes les horreurs qu’exige nécessairement un état de choses ou chacun feignant de travailler à la fortune ou à la réputation des autres, ne cherche qu’a élever la sienne au-dessus d’eux et à leurs dépens.

Qu’avons-nous gagné à cela ? Beaucoup de babil, des riches et des raisonneurs, c’est-a-dire, des ennemis de la vertu et du sens-commun. En revanche, nous avons perdu l’innocence et les moeurs. La foule rampe dans la misère ; tous sont les esclaves du vice. Les crimes non commis sont déjà dans le fond des coeurs, et il ne manque à leur exécution que l’assurance de l’impunité.

Étrange et funeste constitution ou les richesses accumulées facilitent toujours les moyens d’en accumuler de plus grandes, et ou il est impossible à celui qui n’a rien d’acquérir quelque chose ; ou l’homme de bien n’a nul moyen de sortir de la misère ; ou les plus fripons sont les plus honorés et qu’il faut nécessairement renoncer à la vertu pour devenir un honnête homme ! Je sais que les déclamateurs ont dit cent fois tout cela ; mais ils le disaient en déclamant, et moi je le dis sur des raisons ; ils ont aperçu le mal, et moi j’en découvre les causes, et je fais voir surtout une chose très-consolante et très-utile en montrant que tous ces vices n’appartiennent pas tant à l’homme, qu’a l’homme mal gouverné5.

Telles sont les vérités que j’ai développées et que j’ai tâche de prouver dans les divers écrits que j’a publies sur cette matière. Voici maintenant les conclusions que j’en ai tirées.

La science n’est point faite pour l’homme en général. Il s’égare sans cesse dans sa recherche ; et s’il l’obtient quelquefois, ce n’est presque jamais qu’à son préjudice. Il est ne pour agir et penser, et non pour réfléchir. La réflexion ne sert qu’à le rendre malheureux sans le rendre meilleur ni plus sage : elle lui fait regretter les biens passés et l’empêche de jouir du présent : elle lui présente l’avenir heureux pour le séduire par l’imagination et le tourmenter par les désirs, et l’avenir malheureux pour le lui faire sentir d’avance. L’étude corrompt ses moeurs, altère sa santé, détruit son tempérament, et gâte souvent sa raison ; si elle lui apprenait quelque chose, je le trouverais encore fort mal dédommagé.

J’avoue qu’il y a quelques génies sublimes qui savent pénétrer à travers les voiles dont la vérité s’enveloppe ; quelques âmes privilégiées, capables des résister à la bêtise de la vanité, à la basse jalousie, et aux autres passions qu’engendre le goût des Lettres. Le petit nombre de ceux qui ont le bonheur de réunir ces qualités, est la lumière et l’honneur du genre-humain ; c’est à eux seuls qu’il convient pour le bien de tous de s’exercer à l’étude, et cette exception même confirme la règle ; car si tous les hommes étaient des Socrates, la science alors ne leur serait pas nuisible, mais ils n’auraient aucun besoin d’elle.

Tout peuple qui a des moeurs, et qui par conséquent respect ses lois et ne veut point raffiner sur ses anciens usages, doit le garantir avec soin des sciences, et surtout des savants, dont les maximes sentencieuses et dogmatiques lui apprendraient bientôt à mépriser ses usages et ses lois ; ce qu’une nation ne peut jamais faire sans se corrompre. Le moindre changement dans les coutumes, fut-il même avantageux à certains égards, tourne toujours au préjudice des moeurs. Car les coutumes sont la morale du peuple ; et des qu’il cesse de les respecter, il n’a plus de règle que ses passions ni de frein que les lois, qui peuvent quelquefois contenir les méchants, mais jamais les rendre bons. D’ailleurs, quand la philosophe à une fois appris au peuple à mépriser ses coutumes, il trouve bientôt le secret d’éluder ses lois. Je dis donc qu’il en est des moeurs d’un peuple comme de l’honneur d’un homme ; c’est un trésor qu’il faut conserver, mais qu’on ne recouvre plus quand on l’a perdu.

Mais quand un peuple est une fois corrompu à un certain point, soit que les sciences y aient contribué ou non, faut-il les bannir ou l’en préserver pour le rendre meilleur ou pour l’empêcher de devenir pire ? C’est une autre question dans laquelle je me suis positivement déclaré pour la négative. Car premièrement, puisqu’un peuple vicieux ne revient jamais à la vertu, il ne s’agit pas de rendre bons ceux qui ne le sont plus, mais de conserver tels ceux qui ont le bonheur de l’être. En second lieu, les mêmes causes qui ont corrompu les peuples servent quelquefois à prévenir une plus grande corruption ; c’est ainsi que celui qui s’est gâté le tempérament par un usage indiscret de la médecine, est forcé de recourir encore aux médecins pour se conserver en vie ; c’est ainsi que les arts et les sciences après avoir fait éclore les vices, sont nécessaires pour les empêcher de se tourner en crimes ; elles les couvrent au moins d’un vernis qui ne permet pas au poison de s’exhaler aussi librement. Elles détruisent la vertu, mais elles en laissent le simulacre public6 qui est toujours une belle chose. Elles introduisent à sa place la politesse et les bienséances, et à la crainte de paraître méchant, elles substituent celle de paraître ridicule.

Mon avis est donc, et je l’ai déjà dit plus d’une fois, de laisser subsister et même d’entretenir avec soin les l’Académies, les Collèges, les Universités, les Bibliothèques, les Spectacles, et tous les autres amusements qui peuvent faire quelque diversion à la méchanceté des hommes, et les empêcher d’occuper leur oisiveté à des choses plus dangereuses. Car dans une contrée ou il ne serait plus question d’honnêtes gens ni de bonnes moeurs, il vaudrait encore mieux vivre avec des fripons qu’avec des brigands.

Je demande maintenant ou est la contradiction de cultiver moi-même des goûts dont j’approuve le progrès ? Il ne s’agit plus de porter les peuples à bien faire, il faut seulement les distraire de faire le mal ; il faut les occuper à des niaiseries pour les détourner des mauvaises actions ; il faut les amuser au lieu de les prêcher. Si mes Écrits ont édifié le petit nombre des bons, je leur ai fait tout le bien qui dépendait de moi, et c’est peut-être les servir utilement encore que d’offrir aux autres des objets de distraction qui les empêchent de songer à eux. Je m’estimerais trop heureux d’avoir tous les jours une Pièce à faire siffler, si je pouvais à ce prix contenir pendant deux heures les mauvais desseins d’un seul des Spectateurs, et sauver l’honneur de la fille ou de la femme de son ami, le secret de son confident, ou la fortune de son créancier. Lorsqu’il n’y a plus de moeurs, il ne faut songer qu’a la police ; et l’on fait assez que la Musique et les Spectacles en sont un des plus importants objets.

S’il reste quelque difficulté à ma justification, j’ose le dire hardiment, ce n’est vis-a-vis ni du public ni de mes adversaires ; c’est vis-a-vis de moi seul : car ce n’est qu’en m’observant moi-même que je puis juger si je dois me compter dans le petit nombre, et si mon âme est en état de soutenir le faix des exercices littéraires. J’en ai senti plus d’une fois le danger ; plus d’une fois je les ai abandonnés dans le dessein de ne les plus reprendre, et renonçant à leur charme séducteur, j’ai sacrifié à la paix de mon coeur les seuls plaisirs qui pouvaient encore le flatter. Si dans les langueurs qui m’accablent, si sur la fin d’une carrière pénible et douloureuse, j’ai osé les reprendre encore quelques moments pour charmer mes maux, je crois au moins n’y avoir mis ni allez d’intérêt ni assez de prétention, pour mériter à cet égard les justes reproches que j’a faits aux gens de Lettres.

Il me fallait une épreuve pour achever la connaissance de moi-même, et je l’ai faite sans balancer. Après avoir reconnu la situation de mon âme dans les succès littéraires, il me redoit à l’examiner dans les revers. Je sais maintenant qu’en penser, et je puis mettre le public au pire. Ma pièce à eu le fort qu’elle méritait et que j’avais prévu ; mais, à l’ennui près qu’elle m’a causé, je suis sorti de la représentation bien plus content de moi et à plus juste titre que si elle eut réussi.

Je conseille donc à ceux qui sont si ardents à chercher des reproches à me faire, de vouloir mieux étudier mes principes et mieux observer ma conduite, avent que de m’y taxer de contradiction et d’inconséquence. S’ils s’aperçoivent jamais que je commence à briguer les suffrages du public, ou que je tire vante d’avoir fait de jolies chansons, ou que je rougisse d’avoir écrit de mauvaises Comédies, ou que je cherche à nuire à la gloire de mes concurrents, ou que j’affecte de mal parler des grands hommes de mon siècle pour tâcher de m’élever à leur niveau en les rabaissant au mien, ou que j’aspire à des places d’Académie, ou que j’aille faire ma cour aux femmes qui donnent le ton, ou que j’encense la sottise des grands, ou que cessant de vouloir vivre du travail de mes mains, je tienne à ignominie le métier que je me suis choisi et fasse des pas vers la fortune, s’ils remarquent en un mot que l’amour de la réputation me fasse oublier celui de la vertu, je les prie de m’en avertir et même publiquement, et je leur promets de jeter à l’instant au feu mes écrits et mes Livres, et de convenir de toutes les erreurs qu’il leur plaira de me reprocher.

En attendant, j’écrirai des Livres, je ferai des Vers et de la Musique, si j’en ai le talent, le temps, la force et la volonté, je continuerai à dire très-franchement tout le mal que je pense des Lettres et de ceux qui les cultivent,7 et croirai n’en valoir pas moins pour cela. Il est vrai qu’on pourra dire quelque jour : Cet ennemi si déclaré des sciences et des arts, fit pourtant et publia des pièces de Théâtre ; et ce discours sera, je l’avoue, une satire très-amère, non de moi, mais de mon siècle.

Notes

[1] Toutes les fois que je songe à mon ancienne simplicité, je ne puis n’empêcher d’en rire. Je ne lisais pas un livre de morale ou de philosophie, que je ne crusse y voir l’âme et les principes de l’auteur. Je regardais tous ces graves écrivains comme des hommes modestes, sages, vertueux, irréprochables. Je me formais de leur commerce des idées angéliques, et je n’aurais approché de la maison de l’un d’eux que comme d’un sanctuaire. Enfin je les ai vus ; ce préjugé puérile, s’est dissipé, et c’est la seule erreur dont ils m’aient guéri.

[2] Quand j’ai dit que nos moeurs s’étaient corrompues, je n’ai pas prétendu dire pour cela que celles de nos aïeux fussent bonnes, mais seulement que les nôtres étaient encore pires. Il y a parmi les hommes mille sources de corruption ; et quoique les sciences soient peut-être la plus abondante et la plus rapide, il s’en faut bien que ce soit la seule. La ruine de l’Empire Romain, les invasions d’une multitude de Barbares, ont fait un mélange de tous les peuples, qui a du nécessairement détruire les moeurs et les coutumes de chacun d’eux. Les croisades, le commerce, la découverte de Indes, la navigation, les voyages de long cours, et d’autres causes encore que je ne veux pas dire, ont entretenu et augmenté le désordre. Tout ce qui facilite la communication entre les diverses nations porte aux unes, non les vertus des autres, mais leurs crimes et altère chez toutes. Les moeurs qui sont propres à leur climat et à la constitution de leur gouvernement. Les sciences n’ont donc pas fait tout le mal, elles y ont seulement leur bonne part ; et celui surtout qui leur appartient en propre, c’est d’avoir donné à nos vices une couleur agréable, un certain air honnête qui nous empêche d’en avoir horreur. Quand on joua, pour la première fois, la Comédie du Méchant, je me souviens qu’on ne trouvait pas que le rôle principal répondit au titre. Cléon ne parut qu’un homme ordinaire ; il était, disait-on, comme tout le monde. Ce scélérat abominable, dont le caractère si bien exposé aurait du faire frémir sur eux-mêmes tous ceux qui ont le malheur de lui ressembler, parut un caractère tout-a-fait manqué, et ses noirceurs passèrent pour des gentillesses, parce que tel qui se croyait un fort honnête-homme, s’y reconnaissait trait pour trait.

[3] Voici un exemple moderne pour ceux qui me reprochent de n’en citer que d’anciens. La République de Gênes, cherchant à subjuguer plus aisément les Cortes, n’a pas trouve de moyen plus sur que d’établir chez eux une Académie. Il ne me serait pas difficile d’allonger cette Note ; mais ce serait faire tort à l’intelligence des seuls Lecteurs dont je me soucie.

[4] Je me plains de ce que la Philosophie relâche les liens de la société qui sont formés par estime et 1a bienveillance mutuelle, et je me plains de ce que les sciences, les arts et tous les autres objets de commerce resserrent les liens de la société par l’intérêt personnel. C’est qu’en effet on ne peut resserrer un de ces liens que l’autre ne se relâche d’autant. I1 n’y a donc point en ceci de contradiction.

[5] Je remarque qu’il règne actuellement dans le monde une multitude de petites maximes qui séduisent les simples par un faux air de philosophie, et qui, outre cela, sont très commodes pour terminer les disputes d’un ton important et décisif, sans avoir besoin d’examiner la question. Telle est celle-ci : « Les hommes ont partout les mêmes passions ; partout l’amour-propre et l’intérêt les conduisent ; donc ils sont partout les mêmes. » Quand les Géométries ont fait une supposition qui, de raisonnement en raisonnement, les conduit à une absurdité, ils reviennent sur leurs pas et démontrent ainsi la supposition fausse. La même méthode appliquée à la maxime en question en montrerait aisément l’absurdité : mais raisonnons autrement. Un Sauvage est un homme, et un Européen est un homme. Le demi-philosophe conclut aussitôt que l’un ne vaut pas mieux que l’autre ; mais le philosophe dit : en Europe, le gouvernement, les lois, les coutumes, l’intérêt, tout met les particuliers dans la nécessité de se tromper mutuellement et sans cesse ; tout leur fait un devoir du vice ; il faut qu’ils soient méchants pour être sages, car il n’y a point de plus grande folie que de faire le bonheur des fripons aux dépens du sien. Parmi les Sauvages, l’intérêt personnel parle aussi sottement que parmi nous, mais il ne dit pas les mêmes choses : l’amour de la société et le soin de leur commune défense sont les seuls liens qui les unissent : ce mot de propreté qui coûte tant de crimes à nos honnêtes gens, n’a presque aucun sens parmi eux ; ils n’ont entre eux nulle discussion d’intérêt qui les divise ; rien ne les porte à se tromper l’un l’autre ; l’estime publique est le seul bien auquel chacun aspire, et qu’ils méritent tous. Il est très-possible qu’un Sauvage fasse une mauvaise action, mais il n’est pas possible qu’il prenne l’habitude de mal faire, car cela ne lui serait bon à rien. Je crois qu’on peut faire une très-juste estimation des moeurs des hommes sur la multitude des affaires qu’ils ont entre eux : plus ils commercent ensemble, plus ils admirent leurs talons et leur industrie, plus ils se friponnent décemment et adroitement, et plus ils sont dignes de mépris. Je le dis à regret ; l’homme de bien est celui qui n’a besoin de tromper personne, et le Sauvage est cet homme-là.

Illum non populi fasces, non purpura Regum

Flexit, et infidos agitans discordia fratres ;

Non res Romans, perituraque regna. Neque

Aut doluit miserans inopem, aut invidit habenti.

Je trouve dans l’histoire un exemple unique, mais frappant, qui semble contredire cette maxime : c’est celui de la fondation de Rome faite par une troupe de bandits, dont les descendants devinrent en peu de générations le plus vertueux peuple qui ait jamais existe. Je ne serais pas en peine d’expliquer ce fait, si c’en était ici le lieu : mais je me contenterai de remarquer que les fondateurs de Rome étaient moins des hommes dont les moeurs fussent corrompues, que des hommes dont les moeurs n’étaient point formées : ils ne méprisaient pas la vertu, mais ils ne la connaissaient pas encore ; car ces mots vertus et vices sont des notions collectives qui ne naissent que de la fréquentation des hommes. Au surplus, on tirerait un mauvais parti de cette objection en faveur des sciences ; car des deux premiers Rois de Rome qui donneront une forme à la République et instituèrent ses coutumes et ses moeurs, l’un ne s’occupait que de guerres, l’autre que de rites sacres ; les deux choses du monde les plus éloignées de la Philosophie.

[6] Ce simulacre est une certaine douceur de moeurs qui supplée quelquefois à leur pureté, une certaine apparence d’ordre qui prévient l’horrible confusion, une certaine admiration des belles choses qui empêche les bonnes de tomber tout-a-fait dans l’oubli. C’est le vice qui prend le masque de la vertu, non comme l’hypocrisie pour tromper et trahir, mais pour s’ôter sous cette aimable et sacrée effigie l’horreur qu’il a de lui-même quand il se voit à découvert.

[7] J’admire combien la plupart des gens de Lettres ont pris le change dans cette affaire-ci. Quand ils ont vu les sciences et les arts attaqués, ils ont cru qu’on en voulait personnellement à eux, tandis que sans se contredire eux-mêmes, ils pourraient tous penser comme moi, que, quoique ces choses aient fait beaucoup de mal à la société, il est très-essentiel de s’en servir aujourd’hui comme d’une médecine au mal qu’elles ont causé, ou comme de ces animaux malfaisants qu’il faut écraser sur la morsure. En un mot, il n’y pas un homme de Lettres qui, s’il peut soutenir dans sa conduite l’examen de l’article précédent, ne puisse dire en l’article précédent, ne puisse dire en sa faveur ce que je dis en la mienne ; et cette manière de raisonner me parait leur convenir d’autant mieux, qu’entre nous, ils se soucient fort peu des sciences, pourvu qu’elles continuent de mettre les savants en honneur. C’est comme les prêtres du paganisme, qui ne tenaient à la religion qu’autant qu’elle les faisait respecter.

 

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