Contre L'ABBE DES FONTAINES

Alexis Piron

I.

Un écrivain fameux par cent libelles

Croit que sa plume est la lance d'Argail :

Au haut de Pinde, entre les neuf pucelles,

Il est planté comme un épouvantail.

Qui fait le bouc en si joli bercail ?

S'y plairait-il ? Penserait-il y plaire ?

Non. C'est l'eunuque au milieu du sérail :

Il n'y fait rien, et nuit à qui veut faire.

II.

Je ferai peindre un satyre bien gras,

Nez aplati, front sans pudeur aucune,

Queue au derrière, oreilles de Midas,

De Cerberus les trois gueules en une,

Mordant partout, aboyant à la lune.

Bref, en carré deux morceaux de linon

Je ferai pendre au col du compagnon,

L'ourlet bien blanc, et la toile bien bleue :

De prime abord, à ce portrait mignon,

Je gage, abbé, que ton chien battra queue.

III.

Nymphes des bois, s'il vous rencontre un jour,

Ce beau sylvain, que je veux faire peindre,

Ne fuyez point. Contre vous son amour

N'entreprend rien : vous n'avez rien à craindre.

Par courtoisie, il pourrait pourtant feindre

Une algarade ; alors doublez le pas,

Pour feindre aussi : mais laissez-vous atteindre

Vous le verrez dans un bel embarras !

La Forge des furies

Monsieur l'abbé, lorsque l'Envie

A vidé tous ses arsenaux,

Chez vous elle se réfugie.

Vos yeux lui servent de fourneaux,

Pour y forger des traits nouveaux.

Le bonheur d'autrui les allume.

Votre lourde et bruyante plume

Se change en marteau dans sa main :

Votre front devient son enclume,

Et votre coeur son magasin.

 Textes théoriques