LA BELLE MÈRE

DRAME EN UN ACTE.

HUITIÈME PROVERBE.

M. DCC. LXXXV.

Par MONSIEUR G***.

À LIÈGE, Chez F.J. DESOER, Imprimeur-Libraire, sur le Pontd'Isle, à la Croix d'Or.


Texte établi par Paul FIEVRE février 2018

Publié par Paul FIEVRE mars 2018

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:19.


PERSONNAGES

MONSIEUR D'ARMANCÉ.

MADAME D'ARMANCÉ.

MADAME DU SAULSOY, soeur de Monsieur d' Armancé.

LUCILE, fille de Monsieur d'Armancé, d'un premier lit.

AGATHE, fille de Monsieur et Madame d'Armancé, âgée de huit à neuf ans.

CLAUDINE, servante.

La scène est chez Monsieur d'Armancé.

Le texte est issu de "Nouveaux proverbes dramatiques ou recueil de comédies de société pour servir de suite aux Théâtres de Société et d'Éducation" par Monsieur G[arnier], 1785. pp. 144-167.


LA BELLE-MÈRE

le Théâtre représente une Salle basse de la maison de Monsieur d'Armancé.

SCENE PREMIERE.

LUCILE, seule.

Elle entre en regardant de tous côtés , et tient un papier.

Je suis seule, Dieu merci... Je ne connais point monsieur de Germont, mais je ferai tout pour sortir du triste esclavage où je suis... D'ailleurs, puisqu'il est du goût de ma tante, c'est sûrement un honnête homme... Il faut que je fasse réponse à ma tante.

Elle approche d'une table, s'assied et écrit.

Ici Agathe paraît entre, doucement sur la pointe du pied, s'approche de la chaise de sa soeur et tâche de lire par dessus son épaule.

En voilà assez ; d'après ce qu'elle m'écrit, elle m'entendra de reste... Il s'agit actuellement de lui faire parvenir ce billet.

Elle se lève.

Claudine...

Agathe à l'instant où sa soeur se lève, se retire précipitamment dans la coulisse ; mais ne pouvant éviter d'être vue, elle feint d'entrer sur la scène.

SCÈNE II.
Lucile, Agathe.

AGATHE.

Bonjour, ma soeur.

LUCILE.

Bonjour.

AGATHE.

As-tu vu maman, ce matin ?

LUCILE.

Pourquoi ?

AGATHE.

C'est que... je l'ai vue, moi.

LUCILE.

Qu'est-ce que cela me fait ?

AGATHE.

Dame, ça doit pourtant te faire quelque chose, car elle est dans une colère épouvantable contre toi.

LUCILE.

C'est assez son ordinaire.

AGATHE.

Oh, oui ; mais c'est qu'elle dit que tu lui as répondu des choses... des choses... qui sont bien vilaines d'abord.

LUCILE.

Et quelles sont-elles ces choses ?...

AGATHE.

Dame, je ne sais pas, moi, c'est à mon papa qu'elle contait tout ça, elle n'a pas voulu les lui dire.

LUCILE.

Je le crois, elle aurait été sûrement bien embarrassée.

AGATHE.

Oh que non ; mais c'est qu'elle craignait de mettre papa dans une colère qui lui ferait mal.

LUCILE, haussant les épaules.

Quelle pitié ! Comment sais-tu cela ?

AGATHE.

Oh, dame ; ils étaient renfermés dans la grande salle, ils Ze croyaient seuls, et parlaient tout haut. Et moi je me suis mise auprès de la porte, d'où j'ai tout entendu.

LUCILE.

Et qu'ont-ils dit encore ?

AGATHE.

Mais c'était presque toujours maman qui parlait toute seule. Elle disait comme ça... bien des choses : que tu es vaine, coquette, orgueilleuse ; que tu lui manques de respect ; qu'elle ne peut plus vivre avec toi ; qu'il faut absolument que tu prennes ton parti, qu'il y a longtemps qu'il aurait dû te mettre dans un couvent.

LUCILE.

Oh, je ne doute pas que ce ne soit là le but de ses persécutions. Et que lui répondait mon père ?

AGATHE.

Mais, il ne disait pas grand'chofe, lui ; il tâchait d'apaiser maman, en lui disant qu'il te parlerait, et puis c'est tout.

SCÈNE III.
Lucile, Agathe, Claudine.

CLAUDINE, à Lucile.

M'avez-vous appelée, Mademoiselle ?

LUCILE.

Dans l'instant.

AGATHE.

Oui, je t'ai entendu appeler, Claudine.

LUCILE, à Claudine.

Vous reviendrez quand je vous avertirai, je n'ai rien à vous dire à cette heure.

CLAUDINE.

Ça Suffit, Mademoiselle.

LUCILE.

Ne vous éloignez pas ; entendez-vous ?

CLAUDINE.

Non, Mademoiselle.

SCèNE IV.
Lucile, Agathe.

AGATHE.

Pourquoi ne parles-tu donc pas à Claudine actuellement ?

LUCILE.

Cela n'est point pressé.

AGATHE.

Elle n'a pourtant rien à faire à présent.

LUCILE.

Cela se peut.

AGATHE.

Tu as à l'envoyer dans quelqu'endroit, peut-être ?

LUCILE.

Qu'est-ce que ça te fait ?

AGATHE.

C'est qu'elle sera peut-être occupée quand tu voudras l'envoyer.

LUCILE.

Ne t'inquiète pas.

Agathe, tourne autour de la table, regarde d'un oeil curieux les papiers qui sont dessus, et dit après un instant de silence.

Qu'est-ce que tu faisais donc là ?

LUCILE, d'un air indifférent.

Rien, comme tu vois.

AGATHE.

Si fait, si fait ; voilà l'écritoire de mon papa ; tu écrivais à quelqu'un, je gage... À qui écrivais-tu donc ?

LUCILE.

Mais... mais.... En vérité, voici qui est singulier, tu es bien curieuse.

AGATHE.

Oh, mon Dieu ! Comme tu fais la mystérieuse, c'est qu'il y a là-dessous quelque chose contre maman qui n'est pas bien, j'en suis sûre.

LUCILE.

Eh bien, voyez donc, cette petite peste, ce qu'elle va imaginer.

AGATHE.

Je sais bien ce que je dis, va. Je parie que tu ne voudras pas me montrer ce que tu écrivais.

LUCILE.

Non, sûrement. Il convient bien à une petite fille d'avoir tant de curiosité.

AGATHE.

Si tu ne risquais rien, tu ne te cacherais pas tant de moi.

LUCILE.

Allez, vous êtes un enfant, je ne suis pas comptable de mes actions envers âne morveuse de votre espèce.

AGATHE.

Oui ; eh bien, puisque c'est comme ça, je m'en vas tout de suite dire à maman que tu écris à quelqu'un en cachette... là.

LUCILE.

Agathe, ne vous avisez pas de me jouer ce tour-là.

AGATHE.

Pour cela si ; je t'apprendrai à être si secrète avec moi.

LUCILE.

Agathe, si vous tenez vos propos ordinaires, prenez garde à vous, vous verrez ce qui vous en arrivera.

AGATHE.

Brrr. Comme je te crains, tu ne veux donc pas me montrer ce que tu écrivais ?

LUCILE.

Non, je ne le veux pas, et pour te prouver combien peu je t'appréhende, je te permets d'aller dire tout ce que tu voudras.

AGATHE.

Tu ne le veux pas ; une fois, deux fois.

LUCILE.

Non, je te conseille même de me laisser tranquille.

AGATHE.

Tu t'en repentiras.

Elle sort en la menaçant.

SCÈNE V.
Lucile, Claudine, qui survient.

LUCILE.

Le mauvais sujet ! Je l'ai toujours sur les talons. Est-ce toi, Claudine ?

CLAUDINE.

Oui, Mademoiselle.

LUCILE.

Va chez madame du Saulfoy, tu lui remettras ce billet de ma part.

CLAUDINE.

Oui, Mademoiselle.

LUCILE.

Tu la prieras de passer ici ce soir.

CLAUDINE.

Oui, Mademoiselle.

LUCILE.

Tâche de faire cela si secrètement que personne de la maison ne s'en aperçoive.

CLAUDINE.

Allez, ma bonne demoiselle, soyez tranquille.

LUCILE.

Prends garde surtout à Agathe ; c'est une fine mouche.

CLAUDINE.

Oh, la mauvaise enfant ! Elle est encore pire que sa mère.

Revenant.

Ah ça, mais est-ce que vous nous quittez ?

LUCILE.

Peut-être bien, Claudine... Va donc vite.

CLAUDINE, s'en allant.

Tant pis.

Revenant.

Est-ce bientôt ?

LUCILE.

Je n'en sais rien... Dépêche-toi donc.

CLAUDINE, s'en allant.

Si vous partez, je demande mon congé, car je ne suis restée qu'à cause de vous.

C revenant.

M'avertirez-vous quand ça sera décidé ?

LUCILE.

Oui, oui... Va donc, je tremble qu'on ne nous surprenne.

Claudine sort.

SCÈNE VI.

LUCILE, seule.

Que je suis à plaindre ! Depuis dix ans je ne vis plus ; ma bonne humeur et ma vivacité m'ont abandonnée pour jamais... Les mauvais procédés de madame d'Armancé deviennent tous les jours plus violents, elle instruit sa fille à m'épier, et Dieu sait comment mes actions les plus innocentes font interprétées... Hélas ! Elle est tout ici, et moi je ne suis plus rien : étrangère dans la maison de mon père, il me semble que ce soit par grâce que l'on m'y souffre, et cette grâce !... que je la paye cher !... Ah, ma pauvre mère ! Je ne puis arroser votre tombeau de trop de larmes. En vous perdant, j'ai perdu le bonheur de ma vie ; il ne me reste plus de votre tendresse qu'un souvenir cruel... Ah Dieu !...

Elle va s'asseoir auprès de la table, appuie sa tête sur ses mains et pleure.

SCÈNE VII.
Madame d'Armancé, Lucile.

MADAME D'ARMANCÉ.

Qu'est-ce que c'est, mademoiselle ? Vous me donnerez donc à chaque instant de nouveaux chagrins ; qu'avez-vous fait à ma fille ?

LUCILE, qui s'est levée sitôt qu'elle a aperçu Madame d'Armand.

À votre fille, Madame ?

MADAME D'ARMANCÉ.

Oui, Mademoiselle, elle se plaint beaucoup de vous ; je vois bien que vous ne pouvez la souffrir.

LUCILE.

Vous vous trompez, Madame ; je vous proteste qu'elle m'est très indifférence.

MADAME D'ARMANCÉ.

Elle vous est très indifférente ; oh bien, pour moi, vos façons ne me le sont point, indifférentes, et je vous proteste que vous en changerez ; car je ne prétends pas que vous preniez des tons aussi singuliers avec ma fille. Entendez-vous ?

LUCILE.

Ne faudra-t-il pas aussi que je la respecte, Madame ?

MADAME D'ARMANCÉ, avec colère.

Il faudra... il faudra... Vous êtes bien insolente aujourd'hui.

LUCILE.

Le terme est un peu fort, madame.

MADAME D'ARMANCÉ, durement.

Il vous convient, et je crois que je le puis employer avec une petite personne comme vous.

LUCILE, avec un souris amer.

Ah ! Mon Dieu, Madame, il y a longtemps que je m'aperçois que tout vous est permis.

MADAME D'ARMANCÉ.

Je m'aperçois, moi, que vous vous permettez depuis quelque temps des choses... auxquelles je mettrai bon ordre.

LUCILE.

Moi , madame ?

MADAME D'ARMANCÉ.

Oui ; vous, Mademoiselle. On m'a fait certains rapports qui doivent fixer mon attention sur vous plus particulièrement que jamais.

LUCILE.

Pour cela, Madame ; vos menaces m'intimident peu ; je sais combien je serais à plaindre si vous pouviez avoir sur moi quelque prise, mais heureusement ma conduite eu irréprochable.

MADAME D'ARMANCÉ.

À qui parlez-vous donc, s'il vous plait ? Qu'est-ce que c'est que tout ceci ? Vous me querelleriez, je crois, si on vous laissait faire... Apprenez, Mademoiselle, que personne ici n'est fait pour souffrir de vos caprices ; vous vous égayerez à répandre certains petits propos dans lesquels vous osez me compromettre et qui me font revenus... Depuis quelque temps votre humeur s'est aigrie au point d'être devenue insupportable à tout le monde... Je voudrais bien savoir, par exemple, quelle figure vous faisiez à l'instant, ce qu'elle signifie, et ce qu'en penseraient des étrangers s'il s'en rencontrait ici... Vous vous plaisez à afficher une désolation dont personne n'est la dupe.

LUCILE.

Ce reproche est bien injuste, Madame ; si mon triste sort m'arrache des larmes, c'est dans le secret que je les laisse couler.

MADAME D'ARMANCÉ, la contrefaisant.

Votre triste fort.

Durement.

Il est plus heureux que vous ne méritez. D'ailleurs, si vous vous déplaisez ici, que ne prenez-vous votre parti. N'est-il pas honteux qu'une fille de votre âge soit encore à charge à votre père ?

LUCILE.

Effectivement, Madame, si vous ne preniez soin de congédier tous les partis qui se présentent...

MADAME D'ARMANCÉ, vivement.

Moi ? Je rebute les partis qui fe présentent pour vous, je vous empêche de vous marier ? Voilà ce qui s'appelle une imposture monstrueuse. Voudriez-vous me rendre responsable de ce que vos défauts de caractère, de figure et de fortune sautent aux yeux de tout le monde ? Cela ferait assez plaisant ; suis-je cause si vous êtes disgraciée de la nature ?

D'un ton de mépris.

Allez, ma pauvre chère demoiselle, un couvent edt la deule retraite qui vous convienne ; il y a longtemps que je vous le dis, et je suis plus votre amie que vous ne pensez lorsque je vous donne ce conseil. Mais, vous marier ? Vivre avec un homme ? Vous ? Eh, où en trouverez-vous d'assez imbéciles pour se soumettre à votre humeur altière, et d'assez hardi pour ne pas tout craindre de votre coquetterie ?

LUCILE.

Vous me peignez avec de beaux traits, Madame ; quand je serais la dernière des créatures, vous ne me traiteriez pas plus mal... Je suis coquette, dites-vous ? Personne, à me voir, ne se douterait qu'on put me faire un pareil reproche.

MADAME D'ARMANCÉ.

C'est que personne ne vous connaît aussi parfaitement que moi.

LUCILE.

Mon entretien ne vous coûte rien, c'est à mon travail seul que je le dois. Je fais l'impossible pour pouvoir être mise honnêtement.

MADAME D'ARMANCÉ.

Cela vous autorise-t-il à être mise comme une fille d'Opéra ? Vous avez la fureur de vous coiffer en cheveux ; cela n'est-il pas de la dernière indécence ?

LUCILE.

Cependant, votre fille n'est jamais coiffée autrement.

MADAME D'ARMANCÉ.

La belle différence !

LUCILE.

Mais, dites-moi, s'il vous plait, où elle est cette différence ?

MADAME D'ARMANCÉ.

Mais... Taisez-vous, je vous prie, je n'ai aucun compte à vous rendre, je dis et je fais ce qu'il me plait.

SCÈNE VIII.
Monsieur et Madame d'Armancé, Madame du Saulsoy, Lucile, Agathe.

Monsieur d'Armancé paraît au fond du théâtre avec madame du Saulsoy ; ils conversent quelque temps sans voir Madame d'Armante.

Pendant ce temps, Agathe entre de l'autre côté du théâtre et aborde Madame d'Armancé, ce qui forme deux scènes simultanées.

MADAME D'ARMANCÉ.

Ce que vous m'apprenez me fait plaisir, ma soeur ; je vous ai obligation de vos soins ; la maison de monsieur de Germont m'est connue. Il est bon Gentilhomme.

MADAME DU SAULSOY.

Je vous en réponds, mon frère, voudrais je vous mésallier ?

MADAME D'ARMANCÉ.

Je ne vous en crois pas capable. Mais ce n'est pas tout ; êtes-vous sûre qu'il soit du goût de Lucile ?

MADAME DU SAULSOY.

Soyez tranquille.

MONSIEUR D'ARMANCÉ.

C'est que le futur est un peu vieux, et, entre nous, je crains que Lucile...

MADAME DU SAULSOY.

N'ayez point d'inquiétude, vous dis-je.

MADAME D'ARMANCÉ.

Je m'en repose sur vous. D'ailleurs, sans son consentement, il n'y a rien de fait.

MADAME DU SAULSOY.

C'est tout simple. Jamais Monsieur de Germont n'a pensé autrement.

MADAME D'ARMANCÉ, à Agathe, qui entre d'un air boudeur.

Hé bien, mon petit ange, ton chagrin est-il passé ?

AGATHE.

Pas encore tout à fait, ma bonne maman.

Elle pleure.

MADAME D'ARMANCÉ.

Allons donc, est-ce qu'il faut faire l'enfant comme cela. Ou'est-ce qu'on t'a donc fait ?

AGATHE.

Dame, ce n'est pas tant moi que vous que cela regarde, ma bonne maman.

MADAME D'ARMANCÉ.

Comment donc ?

À Lucile, qui veut s'en aller.

Restez, s'il vous plait, Mademoiselle, votre présence est ici nécessaire.

À Agathe.

Qu'est-ce que cela veut dire, Agathe ?

AGATHE.

C'est une lettre que ma soeur écrivait, Maman ; demandez-lui ce qu'il y avait dedans, car pour moi je n'en sais rien.

MADAME D'ARMANCÉ.

Une lettre ! C'est à quelqu'amoureux, sans doute : voilà donc cette conduite irréprochable.

À Lucile.

Faites-nous la grâce de nous éclaircir ce mystère, Mademoiselle. J'aperçois votre père fort à propos.

MONSIEUR D'ARMANCÉ, les abordant.

Je suis bien aise de vous rencontrer ici tous. Je te marie, Lucile, si cela te fait plaisir.

MADAME D'ARMANCÉ, vivement.

Comment, qui, quoi ? Vous mariez ?

MONSIEUR D'ARMANCÉ.

Lucile, ma fille. Faut-il tant s'étonner ?

MADAME D'ARMANCÉ.

Pardonnez-moi, Monsieur, mais cela ne se fera point.

MADAME DU SAULSOY.

Vous m'étonnez à mon tour, Madame, et pourquoi, je vous prie ?

MADAME D'ARMANCÉ, à Monsieur d'Armancé.

Qui lui donne-t-on ?

MONSIEUR D'ARMANCÉ.

Monsieur de Germont.

MADAME D'ARMANCÉ.

Monsieur de Germont n'en voudra point ; ainsi croyez-moi, pour votre honneur et pour le sien, ne poussez pas les choses plus avant.

MADAME DU SAULSOY.

Tout le monde connaît vos bonnes intentions pour Mademoiselle, madame ; mais vous pardonnerez à Monsieur de Germont de ne pas voir par vos yeux.

MADAME D'ARMANCÉ.

Personne n'a droit de régler ni de censurer ma conduite, madame; j'ai de bonnes raisons de ce que je fais, et de ce que je dis.

À Monsieur d'Armancé.

Monsieur de Germont s'accommodera-t-il d'une petite personne qui j'exerce à écrire des billets doux.

MONSIEUR D'ARMANCÉ.

Comment donc ?

MADAME D'ARMANCÉ.

Demandez à Agathe, qui a surpris ce matin votre fille envoyant par Claudine un message de cette espèce.

LUCILE.

Je n'aurai pas honte de le faire voir devant tout le monde, ce billet doux. Ma chère tante, montrez, je vous prie, la lettre que je vous ai envoyée ce matin.

MADAME DU SAULSOY.

La voilà ! Qu'est-ce que cela signifie donc ?

LUCILE, prend le billet et le donne à son père.

Voyez, mon cher père, si je mérite d'être traitée aussi indignement.

MONSIEUR D'ARMANCÉ.

Mais on parle d'un billet doux que vous avez écrit, je ne sais à qui ; et ceci ne ressemble en aucune manière...

LUCILE.

Je vous proteste que je n'ai écrit rien autre chose que ce que vous voyez. Demandez à Claudine qui l'a portée, et elle indiquera la personne à qui je l'ai chargée de la remettre.

MADAME D'ARMANCÉ, brusquement et d'un ton impérieux.

Sans tant d'explications, Mademoiselle ; vous vous mariez, c'est fort bien fait. L'époux que vous aurez, fait une excellente affaire, et je l'en félicite. Cependant, comme je n'apprends que d'aujourd'hui un mariage qui me paraît se tramer depuis longtemps, et que j'imagine qu'on devait me prévenir plutôt, vous voudrez bien m'excuser si je ne prends aucune part aux réjouissances qui accompagneront nécessairement une aussi belle fête.

À Monsieur d'Armancé.

Il me paraît, Monsieur, que l'on n'a pas eu plus d'égards dans cette occasion-ci pour vous que pour moi.

MONSIEUR D'ARMANCÉ.

Ma chère amie, vous vous formalisez à tort. Je ne suis instruit à la vérité qu'à l'instant ; mais je me plais à croire que si Lucile l'eut été depuis longtemps comme vous paraissez le penser, elle nous en aurait fait part. En tout cas, tout me fait espérer qu'elle sera heureuse, en faut-il davantage pour me rendre l'esprit satisfait ?

MADAME D'ARMANCÉ.

Cela est à merveille, Monsieur. Mademoiselle a toujours été fort à son aise sur le respect qu'elle nous doit. Votre prédilection pour elle m'est connue ; comptez pourtant que je veillerai, particulièrement dans la circonstance, à ce qu'elle ne soit pas nuisible aux miens, cette prédilection... Vous m'entendez, Monsieur... Suivez-moi, Agathe.

Elle sort avec sa fille, qui fait la grimace à Lucile.

SCÈNE IX.
Monsieur d'Armancé, Madame du Saulsoy, Lucile.

MONSIEUR D'ARMANCÉ.

Quelle femme ! Ma soeur, je vous quitte : il faut que je tâche de la calmer.

MADAME DU SAULSOY.

Allez, mais souvenez-vous que Lucile est votre fille et qu'elle a besoin que vous preniez en main ses intérêts.

Monsieur d'Armancé sort.

SCÈNE X ET DERNIÈRE.
Madame du Saulsoy, Lucile,

MADAME DU SAULSOY.

Elle est singulièrement déchaînée contre toi, cette femme ; que lui as-tu donc fait ?

LUCILE.

Rien autre chose, sinon que je n'ai pas voulu me sacrifier au bien de fa fille... Je vois une conspiration formée contre ma fortune...

MADAME DU SAULSOY.

Il faut espérer que ton père aura plus de fermeté qu'à son ordinaire. Enfin, mon enfant, tu dois être contente d'être délivrée d'un joug aussi dur. La terrible femme ! Que la colère est à craindre ! Je ne puis revenir de l'histoire du billet doux. Comment la haine peut-elle porter à de semblables excès ! Et qu'une pareille haine est cruelle lorsqu'elle succède aux sentiments les plus doux de la nature.

 



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