L'AVOCAT DUPÉ

COMÉDIE.

M. DC. XXXVII.

AVEC LE PRIVILÈGE DU ROI.

À PARIS, Chez Toussaint Quinet, au Palais, dans la Petite Salle, sous la montée de la Cour de Aides.

Représentée à Paris pour la première fois au mois de 1637.


Édition critique établie par Audrey Maratra dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2010-2011)

publié par Paul FIEVRE, octobre 2014

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2023 à 19:22:23.


À HAUT ET PUISSANT SEIGNEUR, MESSIRE, JEAN VICOMTE DE SCUDAMORE, Ambassadeur en France, pour sa Majesté de la grande Bretagne.

MONSEIGNEUR,

Cet ouvrage me fait rougir, et j'ai raison de présenter avec crainte ce que votre Grandeur ne devrait recevoir qu'avec quelque sorte de dégoût. Mais c'est un avocat qui ne demande pas justice, il se confie en votre bonté, et sachant bien que la France se peut vanter aujourd'hui de vivre des longtemps dans l'Angleterre par votre illustre Maison ; il n'appréhende pas de vous entretenir en sa langue. Il n'est pas étranger dans son pays ; il a su qu'on ne pouvait retrancher de l'histoire les belles actions de vos ancêtres qu'en la privant de ce qui l'embellit, et de ce que nous admirons tous les jours ; il apprend encore de la voix commune qu'on se contente d'envier la mort glorieuse de ses héros, dont on ne peut imiter la vie qu'avec des forces et des efforts dont les hommes du siècle n'ont pas droit de se prévaloir. Je sais bien, Monseigneur, que leur gloire ne fait pas la vôtre, et qu'en ayant assez acquis pour la faire servir d'exemple à ceux qui viendront après nous ; vous ne trouverez pas mauvais qu'on vous donne quelque chose sans leur ravir. Depuis que vous avez cru que le mérite rend les Princes plus recommandables que leur sang, et que leur Couronne, de quelque or qu'elle soit faite, n'est jamais si belle que leur Vertu, vous avez estimé dans vos aïeux l'éclat de leur vie plutôt que celui de leur fortune, et votre générosité a étendu les bornes que la mort leur avait prescrites. Vous avez fait voir que vous connaissez la véritable gloire, non pas comme les Pilotes connaissent les écueils et les précipices pour les éviter ; mais comme un bien héréditaire qui vous touche, et sans lequel vous vous estimeriez pauvre quand même vous auriez de quoi enrichir tous les misérables. Si bien que si on était contraint de faire le portrait d'un homme que les belles qualités élèvent au dessus des autres, il faudrait de nécessité que vous en fussiez l'original. Mais, Monseigneur, je laisse parler la renommée, et je suis bien aise que la multitude de vos Nobles actions fasse la stérilité de mon esprit et de mes pensées ; et s'il s'est trouvé des personnes qui après avoir vu le Soleil ont béni cette belle lumière, qui les avait rendues aveugles, j'ai à me consoler de ce qu'un tel éclat m'éblouit, et dans cet état j'ai de quoi faire des jaloux si vous me permettez l'honneur de me dire,

Monseigneur, de Votre Grandeur, le très humble, et très obéissant serviteur,

Chevreau.


AU LECTEUR.

Mon dessein n'est pas de blâmer ici tous les avocats, je ferais conscience de toucher à ceux qu'Atalante soupçonne de n'en point avoir, et ce ne serait pas faire justice à ceux qui la demandent tous les jours. J'en ai seulement choisi un, dont les images sont un peu troublées, et dont l'esprit n'a pas assez de lumière pour se faire jour aux entreprises d'une fille. Je l'ai voulu rendre capable d'amour, afin de le disposer à des actions qui sont bien souvent de l'intelligence de cette passion, qui d'ordinaire éblouit les sens quand elle ne les peut aveugler. Cet avocat est jeune, et par conséquent les ruses du Palais ne lui ont point encore appris à éviter celles qu'on lui avait préparées, et l'amour est un mal dont on ne trouve pas le remède dans Barthole ni dans Cujas, qui n'enseignent pas le droit qui est si nécessaire pour cet effet. Il est vrai que son entreprise a réussi dans sa fin, qui est le mariage, mais si vous considérez les moyens dont on se sert pour le duper d'un bout à l'autre, les artifices de Flaminie, le consentement d'Atalante, l'intrigue de Mainalte, la feinte générosité de Tharzinte, et les divers mouvement où il est lui-même lors qu'il se propose de l'abandonner ; vous avouerez qu'il s'est fait des pièges que les autres ont tendus pour le prendre, et où il tombe insensiblement. Que si vous trouvez des injures contre les avocats dont les équivoques nécessaires ne changent pas tout à fait la force ; donnez au ressentiment d'Atalante ce que le commencement du sujet en doit exiger. Si c'est une feinte, elle est vraisemblable ; et si c'est une vérité, vous ne devez point passer plus avant. Pour la pièce, je l'ai accommodée à la nature du poème comique, qui rebute en tout des vers et des sujet graves, pour ce que les uns ni les autres ne sont point de la juridiction, et qu'elle se trouverait défectueuse de ce qui embellit la Tragédie. Pour ce qui est des fautes, si vous condamnez à mort tous ceux qui en font, je suis en danger de ne vivre pas longtemps, si je n'obtiens ma grâce de quelque autre qui les excuse, et qui connaissant ma franchise et mon humeur, relâchera peut-être de sa sévérité, à dessein seulement de me donner avantage de me corriger.


ACTEURS.

ATALANTE.

IZIDORE. Soeur d'Atalante.

PHILEMON. Curateur d'Atalante et d'Izidore.

POLYDAS. Avocat, amoureux d'Atalante.

FLAMINIE. Soeur de Polydas.

MAINALTE. Frère d'Atalante et d'Izidore.

SICANDRE. Clerc.

THARZINTE. Amoureux d'Izidore, sous le nom de Sicandre.

CALLIANTE.

La Scène est à Paris.


ACTE I

Atalante avec sa soeur Izidore se plaint de sa misère, que la perte d'un procès leur fait naître en même temps qu'elles se proposaient beaucoup de choses pour leur avancement, et dans ce ressentiment elle ne peut s'empêcher de parler avec un peu de liberté des avocats qu'elle ne pouvait aimer pour beaucoup de considérations légitimes. Izidore néanmoins pour la consoler dans sa nécessité, lui donne avis de l'amour de Polydas Avocat, qui par la seule réputation d'Atalante l'avait tellement aimée qu'il ne pût s'empêcher d'en donner avis à sa soeur Flaminie afin de la rendre confidente d'une passion si forte ; ce qu'Izidore sachant, aidée de Philémon leur curateur, elle prend l'habit d'un Clerc, et va se présenter à Polydas, après avoir été assurée qu'il en cherchait un.

SCÈNE PREMIÈRE.
Atalante, Isidore.

ATALANTE.

Ma Soeur, que la misère est aujourd'hui commune !

Qu'on fait par la beauté rarement sa fortune !

Que le sort est ingrat à celles qui n'ont rien !

Nous voyons que tout manque à qui manque de bien,

5   Et que la pauvreté semble être si funeste,

Que le monde la fuit à l'égal de la peste.

Dans la prospérité, mille petits plaisirs

Succédaient tous les jours à nos jeunes désirs ;

Les uns nous conduisaient le soir aux promenades,

10   Les autres nous donnaient le soir des sérénades,

Et par des instruments capables de charmer,

Tâchaient de nous surprendre, et de se faire aimer :

L'honneur qu'ils en avaient leur servait de salaire,

Et s'ils jouaient du luth, de peur de nous déplaire,

15   Tous ces amants brûlés et transis à la fois

Tremblaient le plus souvent jusques au bout des doigts.

Par tout également leur âme était éprise,

Ce n'était que pour nous qu'ils allaient à l'Église,

Ils nous donnaient le bal, s'exerçaient à louer

20   Tout ce dont la Nature avait pu nous douer,

Nous faisaient en secret savoir leur maladie,

Nous menaient avec eux pour voir la Comédie,

Et si leur feu croissait, pour le mieux apaiser,

Ils inventaient des jeux afin de nous baiser :

25   Bref le plus médisant nous mettait en estime,

Et ne nous pas aimer c'était commettre un crime.

Maintenant qu'un procès a changé notre sort,

Nous sommes sans amants, nous sommes sans support,

Ceux qui nous caressaient nous font mauvaise mine,

30   Et leur esprit est froid comme notre cuisine.

Les juges ont trouvé ce procès odieux,

Pour ce que trop peu d'or éclatait à leurs yeux.

« Hélas ! Notre partie en fit bien son affaire,

Et vit bien que l'argent y serait nécessaire,

35   Que c'est par ce moyen qu'on les doit étonner,

Et qu'on n'en a du bien qu'à force d'en donner :

On ne les repaît plus de tous ces graves termes,

Qui rendaient leurs esprits si justes et si fermes,

C'est en vain jour et nuit visiter leurs maisons,

40   Ils savent mieux peser notre or que nos raisons,

Atalante, ma soeur, sait par expérience

Qu'ils ont beaucoup de mains, mais peu de conscience,

Qu'un écrit sans présent sert à les irriter,

Qu'il faut perdre avec eux afin d'y profiter,

45   Et qu'en tout temps ces gens qui causent notre perte,

Comme les médecins tiennent la main ouverte. »

ISIDORE.

Il se faut consoler, et tâcher désormais

De posséder du moins une éternelle paix

Maintenant notre mal peut avoir son remède,

50   Et si nous le voulons, nous trouverons de l'aide.

Nous n'avons point perdu l'esprit ni la beauté,

Il s'en faudra servir dans une extrémité :

Un certain avocat, comme on m'a fait accroire,

Veut établir chez nous son repos et sa gloire,

55   Il ne vous connaît point ; un récit seulement

De votre bonne humeur l'a rendu votre amant :

Il est riche, il est jeune, et sa flamme naissante

Toucherait doucement votre âme languissante.

ATALANTE.

Est-ce, ma chère soeur, des jeunes avocats

60   Dont ton esprit se pique, et dont tu fais du cas ?

Qu'on a troublé tes sens ! Que ta sottise est grande !

Et qu'à Saint-Mathurin tu dois bien une offrande !  [ 1 Saint-Mathurin : Prêtre et confesseur, vivait dans le Gâtinais au IV et au Vème siècle. Il est fêté le 9novembre. L'ordre des Mathurins a été institué pour racheté les esclaves des mains des infidèles. [B]]

Que tu crois de léger ! Que tu conseilles mal !

Et qu'un jeune avocat est un sot animal :

65   Depuis que j'en vois tant, sache que je me pique

D'entendre aussi bien qu'eux les termes de Pratique.

Ordonnances, édits, vérifications,

Inventaires, défauts, renvois, productions,

Requête, appointements, contredits et sentences,

70   Appel, désertions, demandes, et défenses,

Grâces, remissions, inscriptions à faux,

Arrêts, transactions, griefs, lettres Royaux;

Bref ils s'estiment bien quand des choses pareilles

Pour me rendre savante ont choqué mes oreilles,

75   Et me viennent conter sans aucune raison

Qu'ils entendent Cujas, et Barthole, et Jason.  [ 3 Barthole : Célèbre jurisconsulte enseigna à Pise et à Pérouse. Il abrégea sa vie par sa trop grande assiduité à l'étude et mourut en 1356 à 44 ans. Il est le premier qui ait fait des commentaires suivis sur toutes les parties du texte (Corpus juris).[B]]  [ 2 Cujas : Jurisconsulte français, brillant représentant de l'École historique du droit romain.]

Au reste sans sujet chacun s'en fait accroire,

On ne les peut aimer à cause de leur gloire :

Leur humeur est plaisante ; ils font les courtisans ;

80   Et prends garde, ma soeur, qu'ils sont tous médisants.

Pour leur plaire il faudrait prononcer des oracles,

Et pour les contenter faire quelques miracles ;

L'une sera passable, et l'autre n'aura rien

Qui puisse mériter le plus simple entretien,

85   Ils prendraient celle-ci, mais c'est un corps sans âme,

L'une aura trop de glace, et l'autre trop de flamme,

Celle-ci parle trop, l'autre parle trop peu,

Bref rien n'est suffisant de leur donner du feu.

Ces petits avocats sont d'une humeur étrange !

90   Il faudrait qu'une fille eut la beauté d'un ange,

Et que l'esprit fut tel, que jamais un amant

Ne l'ouït, sans entrer dans un ravissement,

Pour moi.

ISIDORE.

N'en parlez plus, ma soeur, chère Atalante,

Je puis rendre aisément vôtre âme plus contente.

95   Si Polydas vous aime, et qu'on trouve aujourd'hui

Un moyen qui soit prompt à flatter votre ennui,

Sans doute vous croirez que je vous suis fidèle,

Puis que votre fortune en doit être plus belle.

ATALANTE.

Ah ! Ne me réduis point à tant d'extremités,

100   Le plus juste avocat prend de tous les côtés.

Non, non, je n'en veux point.

ISIDORE.

Je plains votre sottise,

Ils prennent quelquefois, mais on les autorise :

Ils demandent en droit ; leurs péchés infinis,

« Quoi qu'ils soient reconnus, ne sont jamais punis.

105   « Ils peuvent exercer beaucoup de violences,

« Puis qu'ils ne prennent point sans avoir leurs licences :

Mais non, ma chère soeur, il vaut mieux raisonner,

Car nôtre pauvreté nous devrait étonner,

Nous avons quantité de collets et de jupes,

110   Mais ce sont seulement des filets pour des dupes,

On nous voit du satin, nous portons du tabis,  [ 4 Tabis : Etoffe de soie unie et ondée, passée à la calendre sous un cylindre qui imprime sur l'étoffe des inégalité onduleuses gravées sur le cylindre même. [L]]

Mais on s'arrête à l'or, et non pas aux habits :

Vôtre faible raison doit céder à la mienne.

L'argent est toujours bon de quelque lieu qu'il vienne :

115   Lorsque nous en aurons nos yeux seront charmants,

Nous recevrons des voeux, nous aurons des amants,

Nôtre sort rigoureux finira sa colère,

Nos plus grands ennemis tâcheront de nous plaire,

Et tous ceux que nos yeux avaient fait endurer

120   Avec mille respects viendront nous adorer.

Croyez-moi, Polydas est d'humeur à se prendre,

S'il vous voit un moment, forcez-le de se rendre,

Jouez de la prunelle, et dans votre entretien

Soyez de bonne humeur, ne lui refusez rien.

ATALANTE.

125   J'en ferai mon amant, un souris, une oeillade

D'un qui sera bien sain en peut faire un malade.

Je fais ce que je veux, un geste seulement

Afflige à mon désir, ou ravit un amant.

Généreuse Isidore, il faut que je t'avoue

130   Que ton esprit me plaît, et qu'en fin je te loue,

Qu'en ce temps la richesse est un puissant motif,

Et qu'un homme pour elle est aisément captif.

Mais quoi ce Polydas m'aime sans me connaître,

Son amour doit finir ainsi qu'on l'a vu naître.

135   En quel lieu bienheureux recevrai-je sa foi ?

Où le pourrai-je voir ? Qui parlera pour moi ?

Il faut auprès de lui quelqu'un qui l'entretienne,

Et dont la bonne humeur seconde un peu la sienne.

ISIDORE.

Il ne me connaît point, je veux m'offrir à lui,

140   Ce moyen seulement finira votre ennui,

J'aurai d'autres habits, tout nous sera propice,

Je feindrai d'être clerc, je lui rendrai service,  [ 5 Clerc : En terme de Palais, est une espèce de commis ou de scribe qui sert à écrire chez les gens de justice ou de Pratiques. [F]]

Et tout réussira si bien à mon désir,

Que nous ne devons pas négliger ce plaisir.

145   Laissez faire le reste, et vous serez contrainte

Quand nous aurons tout fait de bannir votre crainte :

Mais il faut de l'argent.

ATALANTE.

Tout nous vient à propos,

Vois notre curateur d'où dépend mon repos.

ISIDORE.

Il faut bien en avoir, nous l'y saurons contraindre,

150   Pour en tirer de lui, nous n'avons qu'à nous plaindre.

SCÈNE II.
Philémon, Atalante, Isidore.

PHILEMON.

Mesdames quel sujet vous servait d'entretien ?

ATALANTE.

Nous plaignions nos malheurs, et notre peu de bien ;

PHILEMON.

Vous pouviez dès longtemps vous choisir un remède

Capable de guérir le mal qui vous possède.

155   Vous cherchez à paraître, et tant de nouveautés

Vous ont mis depuis peu dans ces extrémités.

Par tout également vôtre humeur s'accommode,

Vous changez plus d'habits qu'on ne change de mode,

Vous dépensez en fard, en robes, en galants,

160   Vous ne portez jamais deux fois de mêmes gants,

Vous avez des habits pour paraître plus belles,

Il vous faut des collets, des masques, des dentelles,

Des toiles, de la poudre à sécher vos cheveux,

De qui les doux liens ont tant fait d'amoureux,

165   De riches bracelets, des colliers, des guirlandes ;  [ 6 Guirlande : Ornement de tête fait en forme de couronne. [F]]

Non, non, ce sont pour vous des sottises trop grandes.

Pour si peu de plaisir c'est avoir trop de mal,

Et c'est prendre un chemin qui mène à l'hôpital.

Vous en avez trop fait, il est temps de se rendre,

170   « Ne pouvant plus monter, sachez qu'il faut descendre, »  [ 7 Aucune marque de guillemets fermant, nous les posons à la fin du vers. Ils encadrent des aphorismes insipides ou des tautologies volant montrer en vain un bel esprit.]

Et quitter cet orgueil qui vous a mis au point

De perdre tous les jours et de ne gagner point.

Je sais que maintenant vous m'êtes redevables

De ce dont je vous tiens désormais insolvables,

175   Que les comptes rendus, on vous prouvera bien

Que vous devez beaucoup, et qu'on ne vous doit rien.

Mais comme un bon ami, je vous ferai paraître

Que votre esprit un jour devra me reconnaître,

Et qu'à présent bien loin de vous être importun

180   Je ne possède rien qui ne vous soit commun.

ISIDORE.

Vous savez justement l'art de charmer nos peines,

« Un ami se connaît aux choses incertaines."

Je vois dans cet avis votre esprit ingénu,

« Et connais que l'épargne est un bon revenu,

185   Qu'un bien dure longtemps alors qu'on le ménage,

Et qu'on n'en peut tirer qu'un puissant avantage ; »

Mais hélas ces propos vous semblent superflus,

« Puisque le temps passé ne se recouvre plus. »

Toutefois dans l'état où le destin nous range,

190   Il faudra malgré tout que son caprice change,

Et qu'un trait excellent naguère médité,

Finisse notre vie ou notre pauvreté.

PHILEMON.

S'il choque votre honneur vous serez méprisée,

Vous servirez partout de sujets de risée,

195   Vous scandaliserez vos plus proches parents,

Mille sortes de maux leurs seront apparents,

On les verra passer sans en faire du compte,

Et vous serez perdue ayant perdu la honte ;

Ainsi n'espérez plus d'avoir aucun bonheur,

200   « Tout mal doit arriver à qui n'a plus d'honneur. »

ATALANTE.

Ah ! Monsieur, la raison finirait mon envie,

J'aime bien plus l'honneur que je n'aime la vie ;

Je suivrai le sentier que vous m'avez battu,

« L'or quoi que précieux vaut moins que la vertu. »

205   Mais est-il défendu de chercher dans son âme

De quoi nous enrichir sans mériter du blâme ?

Puisque la pauvreté fait notre mauvais sort

Malgré ce grand orage il faut chercher un port,

Et charmer si l'on peut tellement la fortune

210   Que contre sa coutume aucun ne l'importune,

Cent francs y suffiront.

PHILEMON.

Je vous les veux donner

S'il est vrai que je sème afin de moissonner.

ISIDORE.

Nous vous dirons bientôt l'affaire toute nue,

Vous en pourrez louer et la cause et l'issue,

215   Et vous approuverez un aussi joli tour

Qu'on en ait vu dans l'art de pratiquer l'amour.

PHILEMON.

Pourvu qu'à votre espoir cette ruse réponde

Le succès me rendra le plus content du monde.

ATALANTE.

Notre affaire ira bien, ton esprit est charmant,

220   Si c'est par ce moyen que j'acquiers un amant.

SCÈNE III.
Polydas, Flaminie.

POLYDAS.

Ma soeur vous savez bien que le monde l'estime,

Et confessez par là mon amour légitime ;

Le bruit de ses vertus a déjà tant d'effet

Que je tiens dès longtemps ce chef-d'oeuvre parfait,

225   Même les plus jaloux lui donnent tant de charmes,

Qu'au lieu d'y résister ils lui rendent les armes ;

Et je crois qu'Atalante a des attraits puissants

Puisque ses ennemis les trouvent ravissants.

Pour moi qui sans la voir chéris sa renommée,

230   Et qui vois que ma flamme est assez allumée,

J'appréhende ses yeux, et je crains leur pouvoir

Si je le sens déjà premier que de les voir.

Dans cette occasion cette ardeur violente

Qui me brûle toujours ne devient pas plus lente,

235   Et par un sort secret qui conclut mon trépas

Je suis forcé d'aimer ce que je ne vois pas.

Au moins si le bonheur m'eût fait voir son visage

Je ne me plaindrais pas, j'aurais cet avantage,

Et son teint et son corps à qui rien n'est égal

240   Ne m'auraient pas causé peut-être tant de mal ;

Et dans un tel état.

FLAMINIE.

Cessez, cessez mon frère

Je vous la ferai voir si vous m'en voulez croire.  [ 8 Vers 242, dans l'éditions originale, on lit "crere" qui rime avec père.]

Mais par ce trait d'amour vous devez avouer

Qu'en ceci notre sexe est beaucoup à louer.

245   Un récit seulement touche si bien votre âme,

Qu'aujourd'hui vos soupirs ne sont plus que de flamme ;

L'homme est d'un naturel si sensible à nos coups

Qu'il ne saurait nous voir sans se plaindre de nous.

POLYDAS.

Je la chéris ma soeur d'une amour légitime,

250   Où l'excès est louable et le change est un crime,

Le feu que j'ai pour elle est si doux et si beau

Qu'il doit m'accompagner jusque dans le tombeau.

Mais de quoi désormais m'en servira la vue

Quand je lui ferais voir mon âme toute nue ?

255   Quand je l'élèverais par dessus tous les Cieux,

Que mon esprit confus la suivrait en tous lieux,

Que je l'adorerais, et qu'enfin mes louanges

Feraient voir ses appas à la honte des Anges ;

C'est un faible moyen pour l'attirer à moi,

260   Et peut-être qu'un autre aura déjà sa foi.

O Ciel que ce mal-heur affligerait ma vie !

Le trépas seulement finirait mon envie,

« Je voudrais être seul, car l'amour a ce mal

Que comme il est unique il ne veut point d'égal. »

FLAMINIE.

265   Atalante est bien fort dans votre fantaisie,

Car déjà votre amour tient de la jalousie :

Vous l'aimez sans la voir, et pour vous mieux aider

Vous croyez qu'un chacun vous la doive céder.

POLYDAS.

S'il te fallait aimer, ah tu craindrais de même,

270   Il faut être jaloux de la chose qu'on aime,

N'aimer pas comme moi, c'est n'aimer rien qu'un peu.

C'est par là bien souvent qu'on entretient son feu,

C'est par cette raison qu'un Amant se captive,

Et que sans cette ardeur une flamme est oisive.

275   « Un esprit bien jaloux aime parfaitement,

Et tel qui ne l'est pas aime indifféremment. »

FLAMINIE.

C'est un juste moyen de contraindre une femme,

À montrer chez autrui les excès de sa flamme.

POLYDAS.

Nous sommes dans un temps où les moindres cocus

280   Sont toujours sans honneur, mais non pas sans écus.

Tout leur vient à souhait, et souvent ils soupirent

D'en avoir plus deux fois que leurs coeurs n'en désirent.

Au moins je me résous à souffrir cet affront,

Les cornes rarement incommodent le front.

FLAMINIE.

285   Ha ! Si par une marque on les pouvait connaître,

Sans doute la plupart auraient peur de paraître.

POLYDAS.

Nous sortons d'un sujet que je ne puis quitter,

Tâche ma chère Soeur à me ressusciter.

Cherchons cette Atalante, et puis s'il est possible

290   Faisons-lui voir mon feu qui n'est que trop visible,

Si sa beauté répond à ce qu'on m'en a dit

Mon coeur à son abord doit bien être interdit,

Jamais un pauvre amant n'eût de si grandes peines,

Et jamais un captif n'eût de plus fortes chaînes.

295   N'importe il se faut mettre en hasard de guérir,

Et contenter mes yeux quand j'en devrais mourir.

FLAMINIE.

Votre mal est puissant, il faut que je l'apaise,

Sans doute mon esprit vous doit mettre à votre aise.

POLYDAS.

Si tu me fais ce bien, je dépite le Ciel

300   De me verser jamais une goutte de fiel ;

Si ton invention me doit être propice

Je ne saurais plus choir dans aucun précipice,

Et si je puis l'avoir, je serai plus ravi

Que si tout l'Univers devait m'être asservi.

ACTE II

Polydas ayant reconnu la gentillesse d'Izidore qu'il ne connaissait que sous le nom de Sicandre, sans savoir que ce fut une fille, et ayant appris qu'Atalante répondrait de sa fidélité, va la trouver, ravi d'une occasion si favorable. Flaminie qui ne recevait pas moins de contentement par la vue de Sicandre, faisait déjà mille chimères, et s'assurait d'avoir de lui tout ce qu'un honnête homme ne peut pas refuser à celles de son sexe. Cependant Mainalte frère d'Izidore et d'Atalante revenu des armées, apprend de Philémon l'intrigue de cette amour de laquelle il veut les dés-embarrasser, et fait dessein d'interrompre toute cette entreprise, au même temps qu'Atalante priait Polydas de recevoir Sicandre qui s'y voyait déjà installé par son industrie, par les persuasions d'Atalante, et par la courtoisie de Polydas. Dans ce commerce d'amour Tharzinte et Calliante amoureux également d'Izidore, se disputent et prennent heure pour se battre afin quelle demeure au plus heureux ou au plus adroit.

SCÈNE PREMIERE.
Polydas, Flaminie, Sicandre.

POLYDAS.

305   Tu me soulageras, et tu feras ta gloire

Si tu peux travailler comme tu me fais croire.

FLAMINIE.

Sa mine est assez douce, et je pense à le voir

Qu'il n'a point de malice, et qu'il a du savoir.

SICANDRE.

Je vous sais distinguer en quatre traits de plume

310   Les statuts des arrêts, la loi de la coutume,

Bref vous me trouverez l'esprit si délicat

Que vous m'aimerez mieux qu'un fameux avocat.

POLYDAS.

Ses vanités ma soeur sont tout à fait étranges,

Il s'obstine d'abord à faire ses louanges :

315   Cette gloire m'étonne, et me rend interdit,

J'aime bien ce qu'il sait, mais non pas ce qu'il dit.

FLAMINIE.

Nous connaîtrons bien tôt par quelque exérience

Jusques où peut aller une telle science.

Allez dans vôtre étude, et vous saurez après

320   Sans parler si longtemps, ce qu'il sait à plus près,

Il fera son profit s'il veut être fidèle.

SICANDRE.

La fortune me rit, et moi je me ris d'elle ;

Je suis toujours loyal, mais par fois indigent,

Je sais voler des coeurs, et non pas de l'argent.

POLYDAS.

325   Quand même ce qu'il dit paraîtrait véritable,

Ah cette vanité me semble insupportable,

Vois que malaisément on le peut retenir,

Aussi bien en deux jours faudrait-il le bannir.

Son orgueil est trop grand, il se doit reconnaître,

330   A l'entendre parler il pense être le maître :

Non, de quelque savoir qu'il puisse être doué

Il a fait une faute alors qu'il s'est loué.

Hélas tu ne sais pas le mal que tu te causes !

J'aime l'humilité par dessus toutes choses :

335   Tu dois te corriger d'un visible défaut,

Au lieu de t'abaisser tu t'élèves trop haut,

À t'ouïr, un avis, un conseil t'incommode,

On trouve en ton esprit le Digeste et le Code,  [ 9 Digeste : Compilation faite par l'ordre de Justinien Empereur d'Orient. Il en donna la commission à Tribonien son chancelier, qui choisit seize jurisconsulte pour y travailler. Ils tirèrent les plus belles décisions qu'ils trouvèrent dans les deux mille volumes des anciens jurisconsultes, et les réduisirent en y corps qui fut publié en 533 sous le nom de Digeste. [F]]

Ton moindre sentiment est plus fort qu'une loi,

340   Et tu seras tantôt aussi savant que moi.

Adieu, va mon ami, ta sottise est trop claire,

Malaisément ta peine aura-t-elle un salaire :

Ne tarde plus ici ; n'en parlons plus ma soeur,

Je veux avoir un clerc, et non pas un censeur,

345   Et quand même il serait le plus parfait du monde

Pour sa fidélité, je veux qu'on m'en réponde.

Et bien pour cet effet as-tu quelques parents ?

SICANDRE.

Ouï, j'ai beaucoup d'amis qui seront mes garants,

Et vous pourrez tantôt voir une Damoiselle

350   Qui vous assurera comme je suis fidèle.

POLYDAS.

Son nom.

SICANDRE.

C'est Atalante.

POLYDAS.

Il arrive à propos

Dans cette occasion je trouve mon repos.

D'où la connaissez-vous ? Tout le monde la vante.

SICANDRE.

Je la vois tous les jours, ma soeur est sa servante.

POLYDAS, à sa Soeur.

355   Tirons-nous à l'écart.

SICANDRE.

  Je connais son humeur,

Et je m'en vais le rendre aussi fou qu'un rimeur.

POLYDAS.

Je n'ai point fait de voeux à qui tout ne succède,

Sitôt que j'ai du mal j'y rencontre un remède.

Je n'estimerai plus mon destin rigoureux,

360   La fin de son discours m'a rendu trop heureux.

Ma soeur, si nous usons d'une grande conduite,

J'aurai dorénavant la fortune à ma suite ;

Outre que ce plaisir me doit être si doux

Que le moins envieux en doit être jaloux.

365   Mais l'irons-nous trouver ? Faut-il point qu'elle vienne ?

Parle, car ton amour doit soulager la mienne.

FLAMINIE.

Vous devez l'aller voir, et la civilité

Vous y semble contraindre autant que sa beauté.

POLYDAS.

O Ciel ! Que ton conseil m'est en tout nécessaire !

370   Tout mon bonheur sans toi serait imaginaire.

Il est vrai je le dois, son logis n'est pas loin,

Et puis le clerc fera mon excuse au besoin.

Il dit ceci à Sicandre :

Venez donc me conduire au logis d'Atalante,

C'est d'elle maintenant que dépend votre attente.

FLAMINIE.

375   Si le Clerc est d'humeur à bien faire l'amour,

Nous aurons le moyen de rire à notre tour.

SCÈNE II.

MAINALTE.

Enfin je suis rendu, j'ai fini mes traverses,  [ 10 Traverse : Se dit figurément en morale, et signifie, obstacle, empêchement, opposition, malheur, accident, affliction. [F]]

J'ai couru trop longtemps des fortunes diverses :

On m'a vu dans la guerre où mes exploits guerriers

380   M'ont quasi fait mourir sous le faix des lauriers,

Ré, la Rochelle, Alaix, Privas, Cazal, et Suse,

Pignerol, Mommeillan, Nancy, tous ceux d'Anduse,

Corbie et Landreci, bref la plus part des forts

N'ont que trop éprouvé mes importants efforts.

385   J'ai paru dans la Cour et des Rois et des Princes,

J'ai vogué sur la mer, j'ai couru des Provinces,

Où sans difficulté j'ai franchi des hasards

Capables désormais d'arrêter des Césars.

Le Poitou, le Piémont, la Hollande, l'Espagne,

390   La Suède, la Lorraine, et toute l'Allemagne,

En un mot les pays où l'on a combattu

Prouveront à jamais ce que vaut ma vertu ;

Et je crois sans mentir que là bas ces lieux sombres

Doivent à ma valeur la plus-part de leurs ombres.

395   « Mais un pauvre soldat quoi qu'il soit généreux

Ne se peut voir ôté du rang des malheureux,

On donne au désespoir ce qu'on doit à sa gloire,

Quand il fait quelquefois ce qu'on a peine à croire.

Les charges maintenant dans ce commun malheur

400   S'achètent par l'argent, et non par la valeur,

Et l'on voit tous les jours tirer aux Capitaines,

Et l'honneur de ses faits, et le fruit de ses peines. »

J'ai fait ce qu'un démon n'eût peut-être pas fait,

Je n'ai rien entrepris que l'on juge imparfait,

405   J'ai cherché mille morts sans en trouver aucune,

Et j'ai gagné sur tout, sinon sur la fortune.

J'ai quitté mon pays, et non pas ma douleur,

J'ai changé de climat sans changer mon malheur,

Et cette pauvreté qui toujours me travaille

410   Est l'ombre de mon corps en quelque lieu que j'aille.

Elle est à mes côtés, je ne la puis bannir,

Et c'est avecque moi qu'elle voudrait finir.

Souvent pour la chasser j'ai hasardé ma vie,

J'ai souhaité cent fois qu'elle me fût ravie,

415   Mais dans l'état fâcheux où le Ciel me réduit

J'ai beau la détester, toujours elle me suit,

« Mon Dieu que la valeur est un faible avantage !

La vertu maintenant est un sot héritage ;

Un chacun qui connaît ce que vaut un trésor,

420   Comme aux siècles passez adore les veaux d'or.

En effet ce métal où notre espoir se fonde

Est le bien de la vie, et l'idole du monde.

Alors qu'un homme est riche il est aimé de tous,

Et sa brutalité fait même des jaloux. »

425   Mais un autre bien né qui par expérience,

Pourrait de cent façons signaler sa science,

S'il est pauvre, on le met dans le nombre des sots,

Quoi qu'il soit ravissant au moindre de ses mots.

Pour moi je connais bien que ces choses sont vraies,

430   Quand je découvrirais ou ma race, ou mes plaies,

Que je mettrais au jour mes plus fameux combats,

Et que je nommerais ceux que j'ai mis à bas.

Mais voila Philémon, si je suis misérable

Il me rendra bientôt le sort plus favorable.

SCÈNE III.
Philémon, Mainalte.

PHILEMON.

435   Quelle surprise, ô Ciel ! Vous êtes revenu,

La guerre vous avait bien longtemps retenu.

Au moins je reconnais ici votre avantage,

Si notre esprit s'en doit rapporter au visage.

Un semblable embonpoint montre votre santé,

440   Mais dedans ces habits je vois la pauvreté,

Et j'oserai gager que dans toutes vos courses

« L'argent n'a point crevé vos poches ni vos bourses. »

MAINALTE.

Vous avez de la peine à vous l'imaginer,

Mais c'est ce qu'aisément vous devez deviner.

445   L'argent qu'ont les soldats ne trouble point leur joie,

« Et ce n'est pas pour eux que l'on bat la monnaie.

Tant de jours ont passé que je n'en ai pas vu

Que je crois bien souvent n'en avoir jamais eu.

Rien ne m'a réussi, tout m'a semblé funeste,

450   Mais tout mon réconfort gît au bien qui me reste.

PHILEMON.

N'en espérez plus rien, on a consumé tout,

Un procès et vos soeurs en ont trouvé le bout.

MAINALTE.

Et les biens que j'avais ?

PHILEMON.

Ne parlez plus des vôtres,

Vous en avez autant dépensé que les autres.

MAINALTE.

455   Je ne me prends qu'à vous ; deviez-vous pas juger

Que ce qui me restait se devait ménager ?

PHILEMON.

Nous le verrons bientôt sans aucune surprise,

Mais changeons cependant d'habit et de chemise,

Et je vous apprendrai par divertissement

460   Tout ce que font vos soeurs pour avoir un amant.

MAINALTE.

Son nom.

PHILEMON.

C'est Polydas.

MAINALTE.

Je ne le puis connaître,

Mais dans cet entretient je ne vois rien paraître.

Ne crois pas m'abuser d'une fausse douceur,

Je veux un compte d'or, et non pas de ma soeur.

SCÈNE IV.
Atalante, Polydas, Sicandre.

Ils sortent de la maison d'Atalante.

ATALANTE.

465   Il est vrai qu'il est vain, qu'il se plaît d'ordinaire

À louer sa vertu qui n'est qu'imaginaire,

Qu'il s'estime beaucoup pour un peu de beauté,

Et qu'on rit bien souvent de cette lâcheté,

Il conserve son teint comme une Damoiselle,

470   Il se prise partout autant que la plus belle,

Il me veut imiter, il fait ce que je fais,

Il croit être honnête homme, et ne le fût jamais.

En un mot je l'ai vu d'une humeur si fantasque,

Qu'il essayait mes gants, qu'il s'ajustait un masque.

475   Il craignait le serein, le Soleil et le feu,

Et de peur de rougir, il ne marchait qu'un peu.

Je l'aime toutefois sachant bien sa naissance,

Et vous en tirerez beaucoup d'obéissance,

Je sais qu'il est fidèle, et qu'à cause de moi

480   Il fera son devoir, et me tiendra sa foi,

Et s'il vous peut servir dans ce qu'il peut entendre,

Vous m'obligerez bien si vous le daignez prendre.

POLYDAS.

L'ayant de votre main, je le veux estimer,

Et puisque vous l'aimez, il me pourra charmer.

485   Sa fortune chez moi ne sera pas trop grande,

Toutefois en entrant je veux qu'il y commande,

Qu'il y soit respecté, qu'il sorte à son désir,

Et qu'enfin nuit et jour il cherche son plaisir.

ATALANTE.

Il n'aurait pas besoin d'une telle licence.

POLYDAS.

490   Qu'il n'appréhende point aucune violence.

Il a ses volontés, il en peut disposer,

Étant chez moi, Madame, il pourra tout oser.

ATALANTE.

Ne sois plus glorieux, prends le soin de lui plaire,

Autrement sois certain d'éprouver ma colère :

495   Si tu ne te résous désormais à changer,

Adieu, n'arrête plus, tâche à me soulager.

SICANDRE.

Ma soeur.

ATALANTE.

Parle autrement.

SICANDRE.

Madame je vous jure

Que vous n'en recevrez jamais aucune injure,

Et que puisque Monsieur me fait un tel honneur,

500   S'il en a du plaisir, j'en aurai du bonheur.

ATALANTE.

Tantôt je t'irai voir.

POLYDAS.

Il dit ceci bas.

Sa fortune est extrême,

Je voudrais être clerc pour être aimé de même.

ATALANTE.

Monsieur je n'eûs jamais d'assez doux compliment,

Qui suffise assez bien à ce remerciement,

505   Mais dans l'occasion je me rendrai capable

De vous faire trouver mon service agréable.

POLYDAS.

Je ne croirai jamais que le sort me soit doux

Que quand j'aurai l'honneur d'être employé de vous.

Que ta condition Sicandre est belle et rare !

510   Elle pourrait toucher les esprits d'un barbare,

Et pour un tel bonheur à qui rien n'est égal ;

Un rocher deviendrait ou jaloux, ou rival.

Être aimé d'Atalante, ô quelle grande joie !

Il paraît que tes jours sont tous filés de soie,

515   Et tu te peux vanter de goûter un plaisir,

Qui bornant ta fortune a borné mon désir.

Ce miracle en beauté quelquefois te regarde,

Un homme est trop heureux d'en avoir une oeillade,

Et si j'osais attendre un tel contentement,

520   Je craindrais de mourir par un ravissement.

SICANDRE.

Monsieur il est bien vrai ; quand je me considère

Je me dois consoler dans ma triste misère,

Et de quelque disgrâce, ou de quelque douleur,

Que le Ciel désormais augmente ce malheur,

525   Je m'estimerai trop pourvu que je la voie

Dans un durable état de conserver ma joie.

POLYDAS.

D'abord qu'on m'en parla, je me vis curieux

D'éprouver de plus près le pouvoir de ses yeux,

Je l'aimai sans la voir, mais après l'avoir vue,

530   Mon âme n'usa plus d'aucune retenu,

Et par mes actions j'ai fait voir que mon coeur

S'est rendu son esclave et son adorateur.

Dans un bien si puissant j'aurais tout l'avantage,

Si ma flamme parfois était sur mon visage,

535   Mais peut-être elle croit quand je rougis un peu,

Que je rougis de honte, et non pas de mon feu

Il est vrai, je le dois, car sachant son mérite

Je me veux élever, et je me précipite,

Cet ange à qui mon coeur sert aujourd'hui d'autel

540   Doit avoir pour amant un autre qu'un mortel.

Mais pour un tel soleil il faut que je m'égare,

Et pour lui désormais je veux vivre en Icare.

Que si j'ai son trépas comme j'ai son défaut,

Je me pourrai vanter d'avoir volé plus haut.

SICANDRE.

545   Offrez avec respect votre amour légitime,

Aimer ce qu'on voit beau ne tient pas lieu de crime :

Cherchez par ce moyen à soulager vos maux,

Vous ferez en cela ce que font vos rivaux.

POLYDAS.

Mais toi qui la connais, penses-tu que son âme

550   À preuve ma recherche, et brûle de ma flamme ?

SICANDRE.

C'est de quoi mon esprit ne vous peut assurer,

Mais découvrez le mal, que sert de l'endurer ?

En tout cas un refus.

POLYDAS.

Tu l'as trouvé Sicandre,

Et tu me serviras si j'ose l'entreprendre.

555   Allons cela suffit, ce jour m'est trop heureux,

Sois donc autant ami que je suis amoureux.

SCÈNE V.
Tharzinte, Calliante.

THARZINTE.

Je ne te puis celer cher ami Calliante

Un mal assez puissant, et contre ton attente,

Nous n'aimons qu'en un lieu, je crains que cette ardeur

560   Fasse naître en nos coeurs une extrême froideur.

Je sais bien que tu veux...

CALLIANTE.

Ce discours m'importune,

Un chacun doit souffrir qu'on cherche sa fortune.

Je vais chez Atalante, et tu ne penses pas

Qu'il me faille adorer de si puissants appas ?

565   Ô que pour un ami ton humeur est étrange !

Quoi veux-tu que ton feu m'oblige à quelque change ?

Que mon esprit crédule à tes faibles propos

Fasse mon déplaisir, en faisant ton repos ?

Tu veux qu'à son égard ma passion soit morte

570   A dessein que la tienne en devienne plus forte ?

C'est agir en amant, et non pas en ami,

Et chercher seulement mon bonheur à demi.

THARZINTE.

Accuse-moi d'erreur ou bien d'ingratitude,

Par là je vois la fin de mon inquiétude.

575   Tu vois mon Atalante, et moi je ne sais pas

Qui te peut obliger d'y faire tant de pas.

Si la même beauté règne en nôtre pensée,

Ton amour violent rend mon âme insensée ;

Et par un Dieu jaloux et plus puissant que moi

580   Je me verrai contraint de te rompre la foi.

CALLIANTE.

Ah Tharzinte ! L'objet que mon esprit adore

À la beauté d'un Ange, et le nom d'Isidore.

THARZINTE.

Non je ne le crois pas, c'est elle que je veux,

C'est d'elle cher ami que je suis amoureux.

585   A quelle extrémité veux-tu donc me réduire ?

Ton coeur par cette ardeur entreprend de me nuire,

Le mien mal aisément rendra-t-il cet amour,

Si je ne perds aussi la lumière du jour.

Que fais-tu Calliante ? As-tu quelque parole

590   Qui finisse mon deuil, ou bien qui me console ?

Isidore est l'objet qui surprend ton esprit,

Pourquoi m'affliges-tu ? Pourquoi me l'as-tu dit ?

De grâce parle mieux, mon âme est combattue,

Et si tu me dis vrai la vérité me tue ;

595   Je l'aime comme toi.

CALLIANTE.

  Je te dis mon secret,

Et si c'est t'offenser, je t'offense à regret.

THARZINTE.

Tu viens de prononcer ta sentence funeste,

Ton malheur ou le mien est ici manifeste.

Elle ne peut d'un coup épouser qu'un mari,

600   Crois-tu si je le fais être son favori ?

À quoi la cajoler, si c'est pour son mérite

Que parfois je lui parle, et que je la visite.

Ah que si je pouvais te découvrir mon coeur !

Mais quoi je ne le puis, car il mourrait de peur

605   Vite sans plus tarder, c'est ce que je demande,

Sa mort doit faire après ma fortune assez grande.

CALLIANTE.

Qu'as-tu donc à rêver ?

THARZINTE.

C'est qu'il faut aujourd'hui,

Ou croître tout d'un coup, ou finir notre ennui.

Et si par ton amour tu prétends cette belle,

610   Ce prix vaut-il pas bien qu'on fasse une querelle ?

Quand cette trahison mériterait l'enfer,

Il y faut employer, et la flamme, et le fer.

CALLIANTE.

En ce cas cher ami ton malheur est à plaindre,

Et ton aveuglement devrait te faire craindre.

615   On te prise partout, je te crois généreux,

Mais tu le fais moins voir étant plus amoureux ;

Où sont mes intérêts ? Où va donc ta pensée ?

Tharzinte, ton ardeur paraît bien insensée.

Me quereller d'abord pour un sujet d'amour,

620   Sans doute la raison t'en fera plainte un jour,

Et je serai fâché si tu veux l'entreprendre

De te causer la mort en pensant me défendre.

THARZINTE.

Non, non, si j'ai manqué ce n'est que pour mon bien,

Ma devise en amour est d'être tout, ou rien.

CALLIANTE.

625   Oui puisque tu le veux, il faut que je le fasse,

L'amour et le devoir en obtiendront ma grâce,

Mais du moins souviens-toi que si je suis vainqueur,

Tu cherches le poignard dont tu t'ouvres le coeur.

ACTE III

Polydas d'avocat devient poète, et est rencontré par sa Soeur Flaminie, où il composait certains vers à la louange d'Atalante, dont il était extrêmement amoureux. Lorsque Flaminie eut vu les vers, et qu'elle les eut lus, Sicandre avertit Polydas qu'Atalante était à la porte. Flaminie trouvant l'heure à propos parle secrètement à Sicandre, et par mille traits d'esprit lui déclare à la fin sa passion. Ils prennent l'assignation sur le soir dans le jardin, Mainalte venant au logis de Polydas trouve Isidore en habit de garçon, et pensant la gourmander d'abord, il se voit contraint d'approuver son invention, surtout quand il sut le lieu où Flaminie se devait trouver, et qu'il pouvait prendre sa place. En lui disant adieu il rencontre Calliante et Tharzinte qui se voulaient battre, et ayant appris le sujet de leur querelle, il promet Isidore à Tharzinte, voyant que l'autre manquait de coeur. Lorsqu'il lui donne connaissance de son secret, Atalante par importunité promet à Polydas de l'aller trouver le soir au jardin, ne sachant pas que Sicandre y dût aller, et ne s'imaginant pas qu'il y eut grande fortune à risquer, puis qu'elle était si proche de sa soeur, dans laquelle elle avait toujours mis la meilleure de ses espérances.

SCÈNE PREMIÈRE.

POLYDAS, dans son cabinet, où il lit sur sa table ces vers qu'il a fait pour Atalante.

Astre qui conservez ma vie,

630   Ange à qui mes sens font la Cour,

Objet digne de mon envie,

Miracle de grâce et d'amour :

Prodige incroyable de charmes,

Adorable ennemi, doux et juste vainqueur,

635   Puisqu'il est temps que je rende les armes,

Gardez ces vers aussi bien que mon coeur.

     

Tout est contraire à mon attente,

Je croyais sortir de prison ;

Mais vos beautés chère Atalante

640   Sont plus fortes que ma raison :

C'en est fait, vôtre oeil me consume,

Et si vous en doutez considérez un peu

Que désormais loin de prendre la plume,

Mon propre sang vous signera mon feu.

     

645   Divin sujet de mon martyre

Qui savez si bien triompher,

Si la flamme pouvait s'écrire

Ces vers vous pourraient échauffer :

Ah faux espoir qui me contentes,

650   C'est trop t'entretenir, je crains pour mon malheur,

Qu'elle ne semble à ces glaces ardentes

Qui brûlent tout, et n'ont point de chaleur.

     

Mais je sens que ma mort s'approche,

Mon destin ne se peut gauchir ;

655   Comme elle porte un coeur de roche,

Rien ne la peut jamais fléchir :

L'ingrate qui retient mon âme

Me voyant soupirer et pleurer si souvent,

Pourra juger qu'au lieu d'être de flamme

660   Je ne suis plus que de l'onde et du vent.

     

Mais pour en faire une autre épreuve,

Et rendre mon destin plus beau,

Je veux que tout le monde trouve

Ces quatre vers sur mon tombeau :

665   Passant la mort m'a voulu prendre,

Je l'en voulu prier, elle agréa mon voeu ;

Puisqu'aujourd'hui je ne suis plus que cendre

Crois qu'autrefois j'avais été feu.

     

Comme je fais des vers sans y joindre la peine,

670   Quand j'y pense le moins j'en tire de ma veine ;

Ils ne sont pas mauvais, ils expriment assez

Mes tourments avenir, et ceux qui sont passés,

Mille poètes nouveaux que le vulgaire estime

Pourraient-ils bien trouver si doucement la rime ?

675   Quand je la veux chercher m'éloignai-je du sens ?

Ces vers quoi qu'ils soient doux font des effets puissants.

J'y mets des nouveautés, les grâces y sont jointes,

J'y fais plutôt entrer la raison que les pointes,  [ 11 Pointe : Est aussi un bon mot, un trait d'esprit, une pensée vraie ou fausse : un jeu de mots brillant. [F]]

Je poursuis mon sujet, et crois sans vanité

680   Qu'en disant qu'ils sont bons, je dis la vérité.

Mais une stance y manque, il faudra ce me semble  [ 12 Stance : C'est un certain nombre réglé, de vers graves et sérieux, qui contiennent un sens, au bout duquel il se fait un repos. Il y a des stances 4, 6, 8, 10 vers. On fait aussi des stances de nombres impairs de 5,7, 9 t de 13 vers.]

Lui faire consentir que l'hymen nous assemble.

Toutefois c'est bientôt, je crois qu'il vaudrait mieux

Pour flatter son esprit lui parler de ses yeux ;

685   Lui dire que son teint a seul ce privilège

De brûler un chacun, combien qu'il soit de neige,

Mais que me servira de vanter sa beauté,

Si je ne l'entretiens de ma fidélité.

Huit vers y suffiront ; que ma pensée est forte :

690   Mais non ; je ne dois pas commencer de la sorte.

SCÈNE II.
Flaminie, Polydas, Sicandre.

FLAMINIE.

Rêverez-vous toujours à ce que vous aimez ?

Cieux que faites-vous là ? Mon frère vous rimez,

C'est bien pour en tenir : votre esprit s'imagine

Qu'on entreprend ce jeu sans faire d'autre mine ?

695   Ha que vous deviendrez d'une jolie humeur ;

Il faut être un peu fou pour être bon rimeur ;

Effacer ce qu'on fait quand on ne peut rien faire,

Jurer, frapper du pied, ce n'est que l'ordinaire,

Courir dans une chambre après deux ou trois mots,

700   S'arrêter sans dessein, ruiner son repos,

Ceux-là sont malheureux que ce métier dévore,

Et ces gens devraient faire enchérir l'ellébore.  [ 13 Ellébore : Plante médicinale.]

Mon frère c'est assez, ne vous y perdez plus,

Ces divertissements vous seront superflus,

705   Vous en aime-t-on mieux.

Elle lit ceci sur une feuille de papier.

  Sonnet pour Atalante,

Je l'avais toujours dit, que l'amour vous tourmente.

Mais voyons le Sonnet.

POLYDAS.

Premier que de le voir

En sais-tu le sujet ?

FLAMINIE.

Non.

POLYDAS.

Tu le vas savoir.

Sache qu'en l'abordant, j'aperçus devant elle

710   Un miroir qui montrait combien elle était belle,

Cieux que je fus ravi, lors que ses yeux ardents

Jetaient d'un seul regard tant de feux là dedans !

Hélas ! Ma chère soeur son visage et sa grâce

Sans fondre aucune chose échauffaient cette glace.

715   Si je la regardais pour soulager mon mal,

L'image me brûlait comme l'original,

Et mon esprit confus dedans cette aventure

Ne savait que choisir d'elle, ou de sa peinture.

Abordant son miroir je la voulais baiser ;

720   Croyant qu'ainsi mon mal se pourrait apaiser ;

Mais l'ingrate fuyait dans mon amour extrême,

Et la pensant baiser je me baisais moi-même.

Je voyais mon visage où j'avais vu le sien,

Je voulais prendre tout, et je ne trouvais rien,

725   Je la cherchais assez pour lui rendre un hommage,

Mais quoi ce faux miroir me cachait son visage,

Et quand j'en approchais j'étais transi de peur,

Car je voyais ma teste où j'avais vu mon coeur.

Voici donc le sonnet.

FLAMINIE.

Montrez je le veux lire.

POLYDAS.

730   Ma Soeur ne le lis pas, car tu me ferais rire.

SUR LE MIROIR D'ATALANTE. SONNET.

Ne cherche point de glace où tu te puisses voir,

Sache que tout Paris admire tes merveilles,

Ceux à qui tes beautés ont appris leur pouvoir

Te vont faire l'objet de leurs plus douces veilles.

     

735   Que cette glace, ô Cieux, me fait bien décevoir !

Et qu'elle exprime bien ses grâces non pareilles !

Ha si ton coeur ainsi me voulait recevoir,

Qu'un doux remerciement flatterait tes oreilles.

     

Mais rêveur que je suis, où serait mon plaisir ?

740   Quand même elle voudrait accomplir mon désir,

Jamais cette faveur ne ferait ma fortune.

     

Car comme son miroir a cela de commun

Qu'il reçoit cent beautés, et n'en retient pas une,

Elle reçoit cent coeurs, et n'en retient pas un.

     

745   Et bien sais-je piper ? Il faut que tu confesses  [ 14 Piper : Signifie figurément, tromper, séduire. [F]]

Que ces vers me devraient acquérir des maîtresses ;

Et pour un avocat je décris nettement

Tout ce que les meilleurs font si confusément.

FLAMINIE.

Il est vrai, mais brisons ; je n'ai point vu Sicandre,

750   Que fait-il maintenant.

POLYDAS.

  Je n'ose te l'apprendre.

Vraiment il n'agit pas comme il promit d'agir,

S'il se reconnaissait il en devrait rougir ;

C'est un clerc glorieux qui ne sait pas écrire,

Il se masque la nuit d'une toile de cire,

755   Il a des gants au lit pour conserver ses mains,

Ceci peut-il entrer en des cerveaux bien sains.

N'importe, il peut aider à flatter mon attente,

Il faut le caresser en faveur d'Atalante,

Et tâcher : le voila, faisons-lui bon accueil,

760   Sa présence ma soeur vient d'accroître mon deuil.

SICANDRE, arrive.

Quelqu'un vient maintenant de frapper à la porte.

POLYDAS.

On me vient en tout temps affliger de la sorte.

SICANDRE.

Monsieur c'est Atalante.

POLYDAS.

Ô l'agréable jour,

Demeure, j'ouvrirai ; j'ai trop d'aise en amour !

FLAMINIE.

765   Sicandre sauvons-nous, sa joie est infinie,

Sortons, l'amour se plaît d'être sans compagnie.

Ha ! Si mes yeux pouvaient témoigner mon ardeur ?

Mais il faut malgré tout montrer de la froideur.

Obstacle injurieux, respect, loi tyrannique,

770   Cacherez-vous toujours le dessein qui me pique ?

Du moins inspirez-moi quelque doux compliment,

Qui sans difficulté le fasse mon amant.

Elle parle à Sicandre.

Mon frère est trop heureux de parler bouche à bouche

À l'adorable objet, dont la beauté le touche.

775   Qu'en juges-tu Sicandre ? A-t-on pas du plaisir

D'entretenir ainsi son amoureux désir ?

De parler de soupirs ? De faire voir sa flamme,

Qui sans brûler le corps consume une pauvre âme ?

D'essayer cent moyens pour détacher ses fers ?

780   Et de trouver la fin de ses tourments soufferts ?

Pour moi si quelque amant. Ô Ciel l'osai-je dire ?

Quand il saura mes maux, il n'en fera que rire.

SICANDRE.

Quoi vous n'achevez point ?

FLAMINIE.

Mille pensers divers  [ 15 Penser : nom masculin au XVIIème pour « pensée ».]

Ont surpris mon esprit, et l'ont mis de travers.

SICANDRE.

785   Mais que disiez-vous donc ?

FLAMINIE.

  Qu'une fille est heureuse

Alors qu'on l'aime autant qu'on la trouve amoureuse.

Qu'aimer sans être aimé c'est rencontrer un sort

Pire que les poisons, et pire que la mort.

Ah ! Que si tu pouvais connaître ma pensée,

790   Tu te croirais heureux me croyant insensée !

Mais quoi c'est te jeter de trop faibles appas.

SICANDRE.

Madame par ma foi, je ne vous entends pas.

FLAMINIE.

Je connais ma faiblesse, et ta gloire Sicandre,

Tu m'entends, mais ton heur ne gît pas à m'entendre.

795   Tu te ferais du tort, tes desseins sont trop hauts,

Tu vois mon démérite, et tu sais mes défauts :

Toutefois malgré tout mon bon-heur est extrême,

Si tu ne veux m'aimer, soufre au moins que je t'aime.

Naguère ton esprit me devait prévenir,

800   Mais l'amour est un feu qu'on ne peut retenir.

Combien qu'un tel secret choque la bienséance,

A ton occasion j'en prendrai la créance,

Et je m'estimerai pourvu que mon amour

Oblige ton esprit à me faire la cour.

SICANDRE.

Sicandre dit ceci bas.

805   Ô Ciel je n'en puis plus ! Je me vois découverte !

Qui peut de cette sorte entreprendre ma perte ?

Quoi voulez-vous tenter dans cette extrémité

Si je m'entretiens bien dans ma fidélité ?

Ah ! J'entends mon devoir, et je sais votre feinte,

810   Votre coeur à dessein me forme cette plainte,

Et je suis assuré qu'il ne m'aimerait pas

S'il savait que mon âme adorât vos appas.

Je me suis vu toujours prodigue de caresses,

J'ai fait des serviteurs, et non pas des maîtresses,

815   Je ne saurais aimer les filles qu'à demi,

Je prise moins leurs coeurs que celui d'un ami.

Si je soufre par fois qu'une fille me baise,

Ce n'est pas que par là je commence mon aise

Bien souvent le devoir et la nécessité

820   Malgré mes sentiments forcent ma liberté,

Et de quelque faveur que leur sexe m'oblige,

Me vantant son amour, il connaît qu'il m'afflige.

Mais quand j'aime quelqu'un je l'aime infiniment,

Je l'appelle mon coeur, je le crois mon amant,

825   Le serrant de mes bras je lui prête la bouche,

Son entretien me plaît, sa passion me touche ;

J'augmente son ardeur lui présentant mes voeux,

Quelquefois de mes doigts je peigne ses cheveux,

Je dors sur ses genoux, je parle de ma flamme,

830   Et lui prenant la main, je lui donne mon âme ;

En un mot il m'estime, il me promet sa foi,

Et se tient trop heureux s'il est aimé de moi.

FLAMINIE.

Quoi j'aime un insensé !

SICANDRE.

Il dit ceci bas.

Quelle étrange aventure ?

Mon impuissance a droit d'accuser la nature.

835   En cette occasion que n'ai-je ce qu'il faut

Pour courir sans danger à cet aimable assaut !

Quelqu'un qui serait homme en ferait sa fortune,

Mais ici vainement mon sexe m'importune,

Nos désirs sont égaux comme notre pouvoir,

840   Hélas ! J'ai seulement ce qu'elle peut avoir !

C'est pour un même bien que notre esprit soupire,

Et ce qu'elle prétend c'est moi qui le désire.

FLAMINIE.

Ah Sicandre aveuglé ! Tu refuses mes voeux,

Dis-moi donc ce qu'il faut pour te rendre amoureux ?

845   Te faut-il des soupirs ? As-tu besoin de larmes ?

Est-ce par ce moyen que tu rendras les armes ?

SICANDRE.

Que ne m'est-il permis de lui confesser tout :

Mais j'aurais mes desseins sans en venir à bout.

FLAMINIE.

Je me saurai venger de ton ingratitude ;

850   Et trouverai la fin de mon inquiétude.

J'assurerai bientôt pour te voir condamner

Que ton crédule esprit m'a voulu suborner.

J'emploie à cet effet l'excès d'une malice

Capable désormais de faire ton supplice.

855   Mon frère le saura qui pourra t'en punir,

Et sans avoir pêché tu te verras bannir.

SICANDRE.

Nos desseins sont rompus si ce mal-heur m'arrive.

Ah, Madame croyez que mon âme est captive,

Je vous aimerais bien, mais la discrétion

860   Veut donner une borne à mon affection,

C'est en vain que je cache un feu qui me dévore ;

Je feins de vous haïr lorsque je vous adore,

Et malgré le respect qui me défend l'amour,

Le feu qui me consume est plus clair que le jour.

FLAMINIE.

865   Je t'aime d'avantage, et s'il était possible

Je te rendrais bientôt mon ardeur plus visible.

Le temps n'y suffit pas ; mais pour t'en assurer

Alors que le Soleil cessera d'éclairer,

Rends-toi dans ce jardin, tu sentiras ma flamme,

870   Et malgré cette nuit tu pourras voir mon âme.

Je vais à Polydas ; ne sois plus rigoureux,

Adieu rends-moi contente, et tu seras heureux.

SICANDRE.

Ha ! Vraiment à la voir son humeur est gentille ?

Ciel ! Destins ennemis, suis-je encore une fille !

875   Je parois un garçon dans ce dérèglement,

Et je n'en puis avoir que l'habit seulement ;

Toutefois.

SCÈNE III.
Mainalte, Sicandre.

MAINALTE.

C'est trop fait, c'est trop être à la gêne,

Il est temps de finir leur amour et ma peine.

Ma soeur de la façon ruine son bonheur,

880   Et croit faire son bien faisant son déshonneur.

Je suis prêt du logis, mais je la vois paraître,

Ou bien malaisément la puis-je reconnaître.

Quoi ma soeur est-ce vous ?

SICANDRE.

Quel reste de plaisir

Semble si doucement terminer mon désir !

885   Mon frère c'est donc vous ? Quel bon sort vous envoie

Pour ravir mes esprits d'une parfaite joie ?

MAINALTE.

Cessez de me surprendre, et de me caresser,

Je vous étoufferais pensant vous embrasser.

Quels habits avez-vous ? Et quel ordre de vivre ?

890   Est-ce le vrai chemin que la gloire doit suivre ?

Ah ma soeur !

SICANDRE.

Écoutez.

MAINALTE.

Je sais bien le dessein

Dont un feu déshonnête embrase votre sein.

SICANDRE.

Vous ne m'entendez pas ; sachez que Flaminie

Conçoit pour mon visage une ardeur infinie,

895   Regardez ce jardin, ce sera sur le soir

Qu'elle m'y doit attendre, et que je l'y dois voir,

Polydas est son frère, elle est riche, elle est belle,

Et crois que la voyant vous lui serez fidèle.

Mettez-vous dans ma place, et fiez-vous sur moi,

900   Qu'elle ne peut manquer de vous donner sa foi.

MAINALTE.

Ma soeur si tu dis vrai, maintenant je t'avoue

Que malgré ma colère il faut que je te loue.

Mais est-il assuré ?

SICANDRE.

Sitôt que le Soleil...

MAINALTE.

Tu me l'as déjà dit ; ô bonheur non pareil !

SICANDRE.

905   Ne lui répondez point, autrement vos paroles

Rendraient en un moment vos attentes frivoles

Elle connaît ma voix, mais on peut l'abuser

Si vous usez du temps comme il en faut user.

Je vous y conduirai, ménagez cette affaire,

910   Ici le jugement vous sera necessaire.

J'y vais donner bon ordre.

MAINALTE.

Et cependant ma soeur...

SICANDRE.

Promenez-vous toujours attendant ce bonheur.

MAINALTE.

Si je fais réussir ceci comme j'espère,

Je suis riche à ce coup, tout me sera prospère :

915   Je me vengerai bien de mes travaux soufferts,

Et j'irai dans le Ciel au sortir des Enfers.

SCÈNE IV.
Calliante, Mainalte, Tharzinte.

CALLIANTE.

Si tu dois succomber, quelle proche retraite

Pourra sauver ma tête après cette défaite ?

C'est un mal nécessaire, il y faut consentir,

920   En te donnant la mort, j'en ai du repentir.

Nous durons trop longtemps, finissant notre envie

Achetons cet objet au prix de notre vie.

Ils se veulent battre.

MAINALTE.

Que je suis à propos ! Vous.

CALLIANTE.

Il faut qu'un duel

Termine maintenant un mal continuel.

925   Non, non c'est trop souffrir, Isidore est trop belle.

MAINALTE.

Serait-ce pour ma soeur que vous auriez querelle ?

THARZINTE.

Mainalte cher ami.

MAINALTE.

Tharzinte, mon support,

Est-ce donc pour ma soeur que tu cherches la mort ?

THARZINTE.

Ma main pour cet effet n'est pas mal occupée,

930   C'est pour me l'acquérir que je porte l'épée.

CALLIANTE.

Tu l'aimes, je le sais, mais ta fidélité

Qu'on estimait jadis, cède à ta lâcheté.

THARZINTE.

Ah ! c'est trop m'offenser, si j'étais insensible

Je pourrais endurer un affront si visible.

MAINALTE.

935   C'est trop dit ; j'y consens, aujourd'hui le vainqueur

Doit gagner Isidore, et posséder son coeur.

THARZINTE.

Et bien c'est à ce coup.

CALLIANTE.

Je veux mal à ta rage,

Ce serait dans ton sang que tu ferais naufrage,

Écoute, faisons mieux, de quoi m'accuses-tu ?

940   Je sais que nous avons une égale vertu.

Cessons notre querelle, et si tu m'en veux croire

Nous trouverons ailleurs des matières de gloire.

THARZINTE.

Cela ne suffit pas.

CALLIANTE.

Crois que cela suffit,

Et que par ce moyen je cherche ton profit.

945   J'aime plus un ami que toutes les richesses,

Et pour en avoir un je perdrais cent maîtresses.

MAINALTE, à Tharzinte.

Je te donne Isidore, et je perdrai le jour

Si je ne la contrains d'approuver ton amour.

CALLIANTE.

Tharzinte je te l'offre, et combien que je l'aime,

950   Je veux pour t'assurer me combattre moi-même,

J'ai du courage assez, mais j'ai trop d'amitié

Pour te considérer sans en avoir pitié.

Adieu je te la quitte à dessin que l'on sache

Qu'une telle amitié ne reçoit point de tache.

MAINALTE.

955   Si tu le vois jamais punis sa lâcheté,

Médite son trépas qu'il a trop mérité !

Oublions cet infâme, il aurait trop de gloire

Si son nom seulement restait dans ta mémoire.

Pour toi que j'ai toujours dedans mon souvenir,

960   J'approuve ton amour, mon coeur le doit bénir :

Et pour t'en assurer il faut que je t'instruise

D'un secret qui m'importe, et de mon entreprise

Tirons-nous à l'écart, je te promets la foi

D'obliger Isidore à n'aimer plus que toi.

965   Quelqu'un nous surprendrait, ta querelle est connue

Et tu ne devais pas te battre en pleine rue.

SCÈNE V.
Polydas, Atalante, Flaminie, Sicandre.

POLYDAS, dans une chambre.

Enfin si vous m'aimez, faites-moi ce plaisir,

Ne me refusez pas, prenez votre loisir,

Ce soir vous le pouvez.

ATALANTE.

Mais que pourrait-on dire ?

970   Ceci donnerait bien des matières de rire.

POLYDAS.

La Lune a retardé, tout fuira de ces lieux,

Et le Ciel n'aura point l'usage de ses yeux.

FLAMINIE, arrive à la porte.

Y devons-nous entrer, parle.

SICANDRE.

Non, ce me semble.

FLAMINIE.

Je me résoudrai donc à les laisser ensemble.

ATALANTE.

975   Ouï je vous le promets ; si la discrétion

Entretient votre crainte, et votre affection.

POLYDAS.

J'en jure par vos yeux, et je perdrai la vie

Si tout ne réussit au gré de votre envie.

Tenez voici la clef ; venez par le dehors,

980   Vous y pourrez entrer avecque moins d'efforts.

ATALANTE.

Adieu ne sortez point.

POLYDAS, la conduisant.

J'aurais l'âme brutale,

Si vous m'êtes Procris je vous serai Céphale.  [ 16 Procris : Amante de Céphale, qui la tua involontairement.]

Il s'en va.

ATALANTE.

Toutefois c'est bien tôt pour parler de se voir,

Et surtout sans conduite, et se servir du soir.

985   Il faut le contenter ; en tout cas j'ai Sicandre

Qui me fait assister, et qui me peut défendre,

Je hasarde beaucoup, mais n'ayant plus de bien

Excepté mon honneur, je ne hasarde rien.

ACTE IV

Polydas après avoir longtemps attendu, entend du bruit et s'imaginant tenir Atalante, prend Mainalte sans le connaître, qui croit être trompé par sa soeur. Mainalte en sortant entend venir Flaminie, qui d'abord est prise par Polydas, lequel se voyant duppé si souvent, proteste d'avoir à l'avenir moins d'amour. Lors qu'il est encore à faire ses plaintes, Flaminie est surprise par Mainalte, qui l'emmène dans la chambre sans la voir, et Atalante arrive au lieu de l'assignation ; mais Polydas prenant Atalante pour Flaminie, la rebute par des termes assez injurieux : ce qui oblige Atalante de sortir : Polydas ayant reconnu se faute, s'en va au logis, où il treuve sa soeur avec un homme inconnu, et Sicandre avec Tharzinte. Flaminie se voyant abusée, et croyant posséder Sicandre, apprend la cause de ce changement, et trouvant Tharzinte aussi bien fait du moins que Sicandre, après avoir renvoié Polydas au jardin, où elle disait qu'Atalante l'attendait encore pour jouer la pièce entière, donne jour aux uns et aux autres de duper son frère, et s'y porte dés l'heure avec une industrie tout à fait étrange.

SCÈNE PREMIERE.

POLYDAS, dans le jardin.

Toutes sortes d'objets sont maintenant funèbres,

990   Et la terre et le Ciel sont couverts de ténèbres.

Un chacun dort au lit comme dans un tombeau,

L'amour à mon sujet a quitté son flambeau,

Les zéphyrs les plus doux nous donnent du silence,

Et le bruit ne nous fait aucune violence ;

995   Quand bien mon Atalante avancerait ses pas,

Éclairé de ses yeux je ne la verrais pas.

Ô nuit quoi qu'à présent ta noirceur soit extrême,

Je connaîtrais toujours la moitié de moi-même !

Toute l'obscurité ne m'en peut empêcher,

1000   Je verrai ce soleil, il ne se peut cacher ;

Il porte assez de jour dans les lieux les plus sombres,

Et si tôt qu'il arrive il dissipe les ombres.

Mais le temps qui jadis allait si promptement

S'écoule à mon avis un peu trop lentement.

1005   Dieu que je parais triste en cette destinée !

Il semble qu'un moment soit plus long qu'une année.

Où cet astre est-il bien ? Que peut-il différer ?

Pourquoi ne vient-il pas afin de m'éclairer ?

Atalante mon coeur, de qui dépend ma vie,

1010   Approche, que fais-tu, seconde mon envie,

Conserve-toi ce bien que ta beauté me prit,

Sois présente à mes yeux ainsi qu'à mon esprit,

Entre dans ce jardin, n'appréhende aucun blâme,

Fais-t-y voir souveraine aussi bien qu'en mon âme,

1015   Et proche de cette eau par tes soupirs ardents

Console-moi d'un feu qui me brûle au-dedans

Surtout si ton dessein est de finir ma peine,

Ne te regarde point dedans cette fontaine ;

Si Narcisse en est mort, juge que ta beauté

1020   Te réduirait bientôt à cette extrémité.

Si tu veux un miroir qui te montre sans feinte,

Considère mes yeux, tu t'y verras dépeinte :

Ou si tu te veux voir comme un objet vainqueur,

Regarde ta conquête, en regardant mon coeur :

1025   Tu pourras y trouver ton image gravée,

Qui malgré tout mon feu s'est toujours conservée,

Et remarquant de près cet aimable tableau,

Tu te pourras vanter comme il y paraît beau.

Alors, certes, alors. Mais que veux-je entreprendre,

1030   Que sert de lui parler ? Elle ne peut m'entendre,

C'est en vain que j'appelle ; un semblable discours

Ne saurait de longtemps m'apporter du secours.

Viens donc chère Atalante, et pour me faire vivre

Approuve le dessein qu'on me force de suivre :

1035   Je n'y puis résister, c'est un arrêt du sort,

Autrement mon amour me causera la mort.

Mais je l'entends venir ; c'est à tort que j'en doute,

« On dit injustement que l'amour ne voit goûte,

Ou si ce Dieu puissant n'a jamais eu des yeux,

1040   Nous devons avouer qu'Argus ne voit pas mieux. »  [ 17 Argus : personnage de la mythologie gréco-romaine, c'était un géant qui avait cent yeux dont cinquante ouverts pendant que cinquante étaient fermé et dormaient.]

SCÈNE II.
Sicandre, Mainalte, Tharzinte.

SICANDRE, en lui ouvrant la porte du jardin.

Allez, elle m'attend, montrez votre prudence,

Et mettez votre amour en pareille évidence.

MAINALTE.

Vite, retire-toi, j'en serai possesseur,

Le frère fera tout au défaut de la soeur.

THARZINTE.

1045   Retirons-nous, Madame, et s'il vous est possible

Témoignez moins d'ardeur, paraissez moins sensible ;

Ou si cela vous fâche ayez du sentiment

Pour soulager le mal d'un malheureux amant.

SICANDRE.

Pourvu qu'en un moment il trouve sa fortune,

1050   Mon esprit est content si rien ne l'importune.

Allons dedans ma chambre, attendant son retour,

Mais soyons plus discrets, et faisons mieux l'amour.

SCÈNE III.
Polydas, Mainallte.

POLYDAS.

À la fin je vous tiens, adorable Atalante,

Vous rendrez à ce coup mon âme plus contente.

1055   Et sans vous y forcer, je veux que vos plaisirs

Soient égaux pour le moins à vos plus grands désirs.

Vous ne me parlez point ; quoi rien ne me console !

Lorsque je perds le coeur, perdez-vous la parole ?

MAINALTE.

Ma soeur m'en a donné.

POLYDAS.

Quel refroidissement ?

1060   Est-ce ainsi comme il faut soulager mon tourment ?

Du moins comme un écho répondez à ma plainte,

Vous troublez mon esprit, et d'amour, et de crainte,

Dites si vous aimez, ou si vous n'aimez pas,

Donnez-moi d'un seul coup la vie ou le trépas.

MAINALTE.

1065   Ô Ciel qu'ai-je entrepris ! Ici tout m'est contraire,

Il croit tenir la soeur, et ne tient que le frère.

Le devrais-je souffrir plus longtemps en erreur,

Que différai-je plus à montrer ma fureur.

Mainalte sort.

POLYDAS.

À ce coup je suis pris, est-ce ainsi qu'on m'abuse ?

1070   Je ne voudrais qu'un bien, le Ciel me le refuse,

Et le pensant avoir, la rigueur de mon sort

S'obstine seulement à me donner la mort.

Mais je ne tiens plus rien, ma prise est échappée,

Que n'ai-je ci-devant à porté mon épée,

1075   Je m'en serais servi contre ces ennemis,

Qui troublent le repos que l'amour m'a promis.

N'importe, achevons tout, et par expérience

Témoignons notre flamme et notre patience.

SCÈNE IV.

MAINALTE, étant sorti.

Endurer cet affront ; j'aimerais mieux mourir,

1080   La vengeance est le bien qui me peut secourir.

Elle s'attaque mal, sa folie est extrême,

Croire ainsi me tromper, c'est se tromper soi-même.

Sa ruse est découverte, et je ne pense pas

Qu'elle ait à l'avenir de si puissants appas.

1085   Mon esprit abusé commence à la connaître,

Et par là son amour se fait assez paraître.

Il faut que Polydas la caresse en secret,

Mais pour les bien punir je veux être discret.

Elle ne peut tarder, l'entretien de Tharzinte

1090   Ne l'empêchera point d'exécuter sa feinte.

Rentrons dans le jardin ; par leurs moindres discours

Nous saurons leur amour, et nous verrons son cours.

SCÈNE V.
Flaminie, Polydas.

FLAMINIE, entrant dans le jardin.

Il ne peut m'échapper ; malgré toute sa gloire

Il faut que j'en espère une heureuse victoire.

1095   Il m'attend, je le suis, je crois que ses désirs

Sont bornés seulement par mes plus grands plaisirs.

Ce vainqueur est vaincu, mes soupirs et mes larmes

Ont réduit son courage à me rendre les armes :

Et malgré sa rigueur qui n'avait rien d'égal,

1100   J'ai trouvé mon secours quand j'ai senti le mal.

Je le vois, je le tiens ; enfin rare Sicandre

Je t'attaque trop bien, tu ne te peux défendre ;

Ne me résiste plus, car te voila surpris,

Je n'ai que trop longtemps supporté ce mépris.

1105   As-tu des compliments dont la force t'excuse

De prendre mes baisers, et de louer ma ruse :

Non, tu ne le saurais, ton esprit est trop sain

Pour ne pas approuver mon amoureux dessein.

Mais d'où vient ta froideur ? Quelle peur te recule,

1110   Crains-tu de soulager la flamme qui me brûle ?

Ah ! C'est trop consulter ; mon coeur approche-toi,

D'où viens que tu me fuis ? Doutes-tu de ma foi ?

Es-tu trop indulgent ? Suis-je trop amoureuse ?

Et crois-tu que ton feu me rende trop heureuse ?

1115   Il est vrai que j'ai tort, mais confesse du moins

Que pour te mériter je prends assez de soins,

Et qu'on ne peut jamais éttoufer mon envie,

Quand même elle ferait la perte de ma vie.

POLYDAS.

Ma soeur.

FLAMINIE.

C'est Polydas : faut-il que mon amour

1120   Lui soit dans cette nuit plus claire que le jour ?

De quoi puis-je couvrir ma flamme illégitime,

Mon indiscrétion passera pour un crime.

POLYDAS.

Et bien que voulez-vous ? Suis-je point votre amant ?

Espérez-vous de moi quelque contentement ?

1125   Non, je ne le crois pas ; un autre que Sicandre

Si vous ne le soufrez n'oserait l'entreprendre.

Croyez-moi je vous prie, une fille a trop d'heur  [ 18 Heur : rencontre avantageuse. (...) [F] [antonyme de malheur]]

De régler ses désirs aux termes de l'honneur.

Vous recherchez Sicandre ; et qui pensez-vous être ?

1130   Voulez-vous d'un valet en faire votre maître ?

Épouser un parti que vous devez haïr,

Et caresser celui qui vous doit obéir.

Que pour vous ramener à vôtre humeur première,

Vous auriez grand besoin d'avoir quelque lumière.

1135   Mais la raison suffit, un peu de jugement

Portera votre amour dedans le changement.

FLAMINIE.

Si dois-je m'excuser dans l'état qu'il me trouve,

Et pour y parvenir mettre tout à l'épreuve.

Mon frère je sais bien que vous croirez d'abord,

1140   Qu'on ne peut m'en louer, et qu'en un mot j'ai tort.

Quelque chose pourtant que vous en puissiez croire,

Ceci n'altère point ma vertu ni ma gloire.

Toutefois il est vrai que je veux trop agir :

Mais quoi si j'ai pêché, vous en devez rougir.

1145   Mon âme à votre avis est vivement atteinte.

Non, non, le temps me presse, il faut bannir la feinte.

Songez, songez à vous ; tant de nouveaux soupirs

Ne m'ont que trop fait voir le but de vos désirs.

Vous attendez ici la moitié de votre âme,

1150   Vous y voulez bientôt partager votre flamme,

Sachez qu'il n'est plus temps de le dissimuler,

Et que pour le savoir je feignais de brûler.

Tous ces regrets formés, et ces larmes versées

Ne nous montrent que trop où vont tant de pensées.

1155   Vivre dans la maison comme dans quelque bois,

Rimer, parler tout seul, et rêver quelque fois,

N'entretenir aucun, fuir la compagnie,

Tout cela nous fait voir votre amour infinie,

Et pour n'en douter plus, je m'en viens d'assurer.

POLYDAS.

1160   Que tu prends de plaisir à me voir endurer !

Laisse-moi quelque temps songer sur ma folie,

Car il faut que je cède à ma mélancolie.

Il faut croire à ce coup que mon projet est vain,

Je tombe, et si pas un ne me prête la main.

Flaminie le quitte.

SCÈNE VI.
Mainlate, Flaminie.

MAINALTE.

1165   C'est elle, il faut parler ; elle quitte son frère,

Le sort dorénavant ne peut m'être contraire,

Je la dois prévenir, et lui parler si peu,

Que sans me connaître elle approuve mon feu.

Qu'as-tu fait si longtemps ? Que tu me fais attendre ?

1170   As-tu perdu le soin de soulager Sicandre ?

FLAMINIE.

Ne parlez pas si haut, mon frère.

MAINALTE.

Je sais tout.

Mais avoir un dessein sans en venir à bout.

FLAMINIE.

Suis-moi dedans ma chambre, et quoi qu'on nous soupçonne,

Nous nous entretiendrons sans crainte de personne.

1175   Mes yeux ont obligé mon esprit à t'aimer,

Le brasier que je sens ne se peut exprimer,

Et malgré Polydas, les destins, et les Parques,  [ 19 Parques : divinités des Enfers chargées de filer la vie des hommes, étaient au nombre de trois, Clotho, Lachésis, Atropos : Chlotho préside à la naissance et tient le fuseau, Lachésis le tourne et file, Atropos coupe le fil. [B]]

Je t'en rendrai bientôt d'assez visibles marques.

SCÈNE VII.

POLYDAS.

Non, non c'est trop souffrir ; si je suis amoureux

1180   Faut-il que j'en paraisse un peu moins généreux ?

Attendre tout le soir, ne trouver que des feintes,

Perdre le jugement, être affligé de craintes,

Quitter son intérêt pour son contentement,

Se plaire de la sorte à croître son tourment,

1185   Rendre par des effets son amour si connue,

Et comme un Ixion n'embrasser que la nue.

Ô Ciel je n'en puis plus ! Je me rends à mon tour,

Il faut être bien sot pour faire ainsi l'amour.

SCÈNE VIII.
Atalante, Polydas.

ATALANTE.

Est-ce vous Polydas ?

POLYDAS.

Il n'est plus temps de feindre,

1190   Accordez-moi du moins le plaisir de me plaindre.

Que vous sert de venir ? Vos tours sont superflus,

Et c'est trop m'éprouver, ne m'importunez plus.

Je rabats maintenant de vos cajoleries,

Ne me troublez jamais dedans mes reêveries.

1195   Quel dessein malheureux conduit ici vos pas ?

Pourquoi me cherchez vous ? Je ne vous cherche pas.

Dans un si triste état, vous m'êtes importune,

Troubler mon entretien c'est troubler ma fortune ;

Adieu donc laissez-moi dans l'humeur où je suis,

1200   Tant plus vous demeurez, et tant plus j'ai d'ennuis.

ATALANTE.

Quoi me traiter ainsi ! Ta fourbe est découverte,

Mais si j'ai des amis tu dois craindre ta perte.

Ne m'oppose plus rien afin de me changer,

Puis que j'ai trop de coeur pour ne me pas venger.

POLYDAS.

1205   Ah ! C'est mon Atalante ; adorable merveille

Sachez qu'un bruit confus a trompé mon oreille,

Qu'une soeur infidèle a causé ma fureur,

Et qu'un prompt repentir doit suivre mon erreur.

ATALANTE.

Sachez que votre gloire avait été trop haute,

1210   Et qu'un prompt repentir doit suivre aussi ma faute.

POLYDAS.

Je n'ai rien que deux mots ; arbitre de mon sort,

Lorsque vous reculez vous avancez ma mort.

Attendez un moment ; c'est en vain que je crie,

L'incrédule qu'elle est veut mal à ma furie ;

1215   Elle n'approuve plus mes amoureux desseins,

Tant plus je la veux suivre ; hélas ! Moins je l'atteins.

Ô Ciel, Amour, Destins, finissez donc ma vie !

S'il faut que son mépris finisse mon envie.

Sicandre que fais-tu, viens donc me consoler,

1220   Tu la pourras fléchir ; c'est trop longtemps parler.

Il faut tout découvrir, j'en espère de l'aide,

Quand il saura mon mal, je suis sûr de remède.

La plainte en cet état est bien hors de saison,

Au défaut du mérite, ayons tout par raison.

SCÈNE IX.
Tharzinte, et Sicandre dans une chambre.

THARZINTE.

1225   Isidore mon coeur, que vous paraissez belle !

Et que j'ai bien raison de vous être fidèle !

Vous êtes admirable en habit de garçon,

Adonis autrefois était de la façon.  [ 20 Adonis : jeune homme d'une beauté remarquable, était, suivant les Grecs,le fruit du commerce incestueux de Cinyras avec sa fille Myrrha. Il fut changé en anémone. [B]]

Pour aimer un objet, dont la grâce est extrême,

1230   Vous n'avez maintenant qu'à vous aimer vous-même.

Si les hommes avaient d'aussi puissants appas,

Les filles désormais ne nous charmeraient pas.

SICANDRE.

Mais parlons de Mainalte à qui ma Flaminie

Croira devoir la fin de sa peine infinie,

1235   Ils sont à méditer des propos amoureux,

Chacun cherche son bien, chacun reçoit des voeux,

Ils parlent sans se voir, et sans se reconnaître,

Ils bénissent des voeux qui commencent à naître :

Disent également qu'ils seront éternels,

1240   Et font pour cet effet des serments solennels.

Mais la nuit retirant quelques-uns de ses voiles,

Et le Ciel faisant voir l'éclat de ses étoiles,

Ils seront étonnés, et s'ils peuvent parler,

Ce ne sera jamais que pour se quereller.

1245   Mais voici Polydas.

THARZINTE, en se tirant à l'écart.

  Inventez quelque ruse,

Ou quelque compliment qui fasse mon excuse.

SCÈNE X.
Polydas, Sicandre, Flaminie, Mainalte, Tharzinte.

POLYDAS, entrant dans la chambre.

J'ai pensé succomber à ces nouveaux malheurs,

Quelqu'un moins généreux en eut versé des pleurs.

Aimable confident quelque chose qu'on fasse,

1250   Il est bien malaisé de me remettre en grâce.

SICANDRE.

Il dit ceci bas.

Tout est-il découvert ?

POLYDAS.

Mon esprit ingénu

M'a sans doute causé. Quel est cet inconnu ?

SICANDRE, lui dit ceci bas.

Ne parlez pas si haut ; c'est l'ami d'Atalante,

Et c'est aussi de lui que dépend votre attente :

1255   Elle aime ses conseils, il revient de la voir,

Et venait de sa part m'enseigner mon devoir.

Mais feignez seulement de ne le pas connaître,

Et sachez qu'en ceci votre esprit doit paraître.

Il me parlait d'amour, laissez-nous un moment,

1260   Nous en pourrons avoir quelque contentement.

On tire la toile pour cacher la chambre.

POLYDAS, prend un flambeau sur la table.

Je crois ce que tu veux, adieu je me retire,

Et si tu ne me sers il faut que je soupire.

J'entends ici du bruit.

Polydas rencontre sans lumière sa soeur, que Mainalte baisait.

Ô Ciel qu'ai-je aperçu !

C'est vraiment à propos que je me vois déçu.

1265   Que songez-vous ma soeur.

FLAMINIE, regardant Mainalte se retire.

Elle dit ceci bas.

  Quoi ce n'est pas Sicandre.

Où suis-je ! Qu'ai-je fait ! Quel sort m'a pu surprendre !

POLYDAS.

Mais quel homme avez-vous ? Ah c'est pour tant de feu

Avoir trop d'assurance, et c'est rougir trop peu !

FLAMINIE, lui dit ceci bas.

Il est vrai que j'ai tort d'en faire tant de conte,

1270   Mais c'est de votre amour que procède ma honte.

L'homme que vous voyez arrive encore ici,

Et c'est pour votre bien que j'ai tant de souci.

Il suivait Atalante, et tâchait de la prendre

Dans le même jardin qu'elle est à vous attendre,

1275   Il y voulait entrer, et faire son effort

Pour lui montrer sa haine ; et vous causer la mort !

Et moi qui n'eus jamais une plus digne envie

Que celle qui me porte à vous sauver la vie,

Je l'ai pris sans le voir, et je l'ai diverti

1280   De vous faire chez nous un si mauvais parti,

Par mon humilité j'ai gagné son courage,

J'ai souffert des baisers pour apaiser sa rage,

Et s'il eût plus longtemps cherché votre trépas :

Peut-être eussai-je fait ce que je ne dis pas.

POLYDAS.

1285   Entretiens-le ma soeur ; mais sais-tu qu'Atalante.

FLAMINIE.

Elle est dans le jardin.

POLYDAS.

Non je n'ai plus d'attente,

Elle en vient de sortir.

FLAMINIE.

Elle y retourne encor.

POLYDAS, en s'en allant.

C'est assez l'y trouvant, j'y trouve un grand trésor.

FLAMINIE.

Il ne se doute point d'une si prompte ruse,

1290   Mais abusant autrui, moi-même je m'abuse.

Qui vous mène en ce lieu ?

MAINALTE.

Rien que vous et l'amour.

Mais Sicandre, Madame, est cause de ce tour,

Elle lève la tapisserie, qui fait voir la chambre.

Vous l'aimez, c'est ma soeur, qu'on appelle Isidore,

Tharzinte est là dedans qui l'entretient encore.

FLAMINIE.

1295   Allons voir, ce mensonge est plus prompt que le mien,

Si je le dois savoir, c'est par leur entretien.

Vous nous avez été trop longtemps inconnue,

Madame montrez-nous votre âme toute nue,

Et malgré cette ruse avouez franchement

1300   Que nous ne différons qu'en habit seulement.

MAINALTE.

Ma soeur j'en ai trop dit.

FLAMINIE.

Dieu que vous êtes rare,

Me prodiguer ainsi, ce n'est pas être avare.

SICANDRE.

Ce Mainalte est mon frère, et sa discrétion

Doit mériter le prix de votre affection.

MAINALTE.

1305   Madame vôtre estime établira ma gloire,

Et ce bien doit durer autant que ma mémoire.

Si jamais un Hymen succédait à mes voeux,

Je n'attendrais plus rien, je serais trop heureux.

FLAMINIE.

Vous ne pouviez Madame être mieux occupée,

1310   Et c'est heureusement que je me vois trompée.

Pour vous, je vous estime, espérant désormais

De trouver avec vous une éternelle paix.

SICANDRE.

Considérez Tharzinte à qui j'offre ma vie,

C'est pour lui que je vois ma liberté ravie.

1315   Il faut que Polydas qui recherche ma soeur,

Et que nous abusons, s'en rende possesseur.

Voila le point qui manque, autrement il faut dire

Que nous n'aurons jamais aucun sujet de rire.

FLAMINIE.

Il suffit, suivez-moi, secondez mes désirs,

1320   Ma ruse va bientôt assurer vos plaisirs.

Dupons-le en son amour.

MAINALTE.

Mon âme en est contente,

Mais comment le duper, puisqu'il veut Atalante.

SICANDRE.

Il est assez dupé, croyant quelle a du bien,

Et nous savons pourtant qu'elle n'a du tout rien

1325   Il est encor dupé par ces légères feintes,

Dont il vient de tirer tant de sujets de craintes ;

Bref nous le duperons par cet aimable tour,

Dont nous nous servirons pour croître son amour.

ACTE V

ATALANTE fâchée de ce dernier affront qu'elle devait à l'imprudence de Polydas, promet à Philemon de ne songer plus à cette amour ; et lors qu'elle va quérir Isidore, elle apprend la ruse dans laquelle elle commence à jouer le premier personnage. Car Polydas revenant du jardin, où il s'était endormi, et protestant de nouveau de n'aimer plus Atalante eut avis de Flaminie que Tharzinte qui avait déjà parole d'Isidore, et Mainalte qui avait reçu la foi de Flaminie en secret, se voulaient battre pour sa maîtresse. Si bien que prenant son épée entre les mains de Sicandre, et pensant défendre Atalante, il la blessa légèrement, pour ce qu'elle s'était avancée. Tharzinte voyant la fourbe bien commencée, pour l'achever feint de vouloir tuer Polydas avec Mianalte, qui se joint à cette entreprise. Atalante bien instruite demande sa vie qu'elle obtient et fait donner Flaminie à Mainalte, à qui Polydas croyait devoir la vie, Tharzinte qui ne voulait qu'Isidore feignait cependant de disputer Atalante, mais s'en étant remis au choix de cette Dame ; elle dit d'abord qu'elle estime Sicandre pour sa fidélité. Polydas se désespère en effet, et Tharzinte en apparence ; mais ce qui remet l'esprit de Polydas, et ce qui l'étonne pourtant, c'est que Sicandre se découvre ; et qu'on lui donne le choix, elle prend Tharzinte, ce qui pensa faire mourir Polydas ; enfin il épouse Atalante, dont il espérait de grands biens, donne sa soeur, qui était riche à Mainalte qui était pauvre, voit le mariage d'Isidore et de Tharzinte, et est dupé dans le déguisement de Sicandre, dans les assignations du jardin, dans les feintes de la querelle, et dans la plupart de ses inventions amoureuses.

SCÈNE PREMIERE.
Atalante, Philémon.

ATALANTE.

Monsieur j'en ai trop fait ; je ne puis plus attendre,

1330   Polydas nous résiste, on ne peut l'entreprendre,

Sachez que nos filets sont trop faibles pour lui,

Qu'ils peuvent seulement nous donner de l'ennui,

Que nous perdons le temps, et que tant de chimères

En augmentant sa gloire augmente nos misères.

PHILEMON.

1335   J'ai crû qu'il n'était pas d'un si facile accès,

Et que votre dessein n'aurait point de succès.

Qui pourrait-on duper dans le siècle où nous sommes ?

Les filles valent moins en esprit que les hommes !

De plus ces avocats sont tellement rusés,

1340   Que les autres par eux sont toujours abusés.

Quand vous aurez du bien, vous serez assurée

D'avoir mille plaisirs d'une longue durée,

De recevoir ses voeux, d'ouïr ses compliments,

Et de faire partout toutes sortes d'amants.

1345   Mais quoi ce point nous manque, et ce qui m'est sensible,

C'est que votre misère est un peu trop visible,

Et que ces courtisans qui nous faisaient la cour

Vous trouvant sans moyens se trouvent sans amour.

Où vous pouvait porter vôtre mélancolie ?

1350   Et de qui tenez-vous une telle folie ?

Sachez que votre esprit n'est point si délicat

Qu'il puisse par ses tours surprendre un avocat.

Croire tromper ces gens, dont l'âme n'est féconde

Qu'à trouver des moyens pour tromper tout le monde.

1355   Vôtre dernier procès vous a fait assez voir

Où consiste aujourd'hui leur gloire et leur savoir :

Surprendre c'est leur but, gagner c'est leur envie,

Pour leur seul intérêt ils estiment la vie ;

En un mot s'il se peut pour notre propre bien,

1360   Ne les recherchez plus, n'entreprenez plus rien.

Vous pouvez témoigner.

ATALANTE.

L'entreprise en est faite,

Ma franchise est le bien que mon âme souhaite.

Je me rendais esclave, et je vois clairement

Qu'il vaut mieux être libre, et n'avoir point d'amant.

1365   J'en veux tirer ma soeur.

PHILEMON.

  Sans tarder d'avantage

Allez-y promptement, et revenez plus sage.

Rabattez toutes deux de votre vanité,

Et vous m'apporterez moins d'incommodité.

ATALANTE.

J'y vais sans différer, et je suis assez prompte

1370   Pour trouver aujourd'hui de quoi couvrir ma honte.

SCÈNE II.
Flaminie, Sicandre, Tharzinte, Mainalte, Atalante.

FLAMINIE.

Confessez pour le moins que c'est bien méditer.

SICANDRE.

La ruse est excellente, il ne peut l'éviter.

En ceci votre esprit a témoigné sa force,

Il faudra qu'il se prenne à cette douce amorce,

1375   Ce piège est trop bien fait, sans doute il y doit choir,

Un autre plus rusé s'y pourrait décevoir.

THARZINTE.

Quelque bon-heur parfait que le sort leur envoie ;

Je rêve à tous moments sur l'excès de ma joie.

Je ne regarde point ni leur bien, ni leur mal,

1380   Pourvu que mon plaisir soit désormais égal.

Le Ciel me favorise, et j'en ai tant de marques

Que je suis plus heureux que les plus grands monarques.

Le bon accueil d'un Roi, tous les contentements,

Les perles, les rubis, l'azur, les diamants,

1385   Les grandeurs, la santé, l'honneur et l'or encore,

Me touchent moins l'esprit que vous belle Isidore.

Aussi dans cet état me tiens-je glorieux,

Je sens que ce bonheur m'élève dans les Cieux,

Que ma fortune est grande, et que ma gloire est telle,

1390   Que ceux qui jugent bien la jugent immortelle.

MAINALTE.

Ma soeur a fait aussi des efforts pour mon bien,

Je me tiens satisfait, je ne demande rien.

Je n'importune plus les astres de mes plaintes,

J'ai banni mon soupçon, mon coeur n'a plus de craintes,

1395   Mes maux sont étouffés, et mes biens sont trop doux,

Combien que leur grandeur me fasse des jaloux

Une feinte a produit un bon-heur véritable,

À qui jamais pas un n'a semblé comparable.

Et je me puis vanter d'avoir plus de plaisirs,

1400   Qu'on n'en peut souhaiter par les plus grands désirs.

SICANDRE.

Mais quoi le temps nous presse, il faudrait qu'Atalante.

Elle vient à propos, nous la rendrons contente.

MAINALTE.

Ma soeur tout ira bien si Polydas vous plaît,

Maintenant vos amis plaidaient vôtre intérêt,

1405   Il est presque achevé, je crois qu'une journée

Suffit pour nos desseins, et pour nôtre hyménée.

Flaminie est à moi, Tharzinte est à ma soeur,

Montrez à Polydas une même douceur ;

Vous devez l'estimer sachant qu'il vous adore.

ATALANTE.

1410   Ne m'en parlez jamais, je ne veux qu'Isidore,

Je ne viens en ce lieu qu'afin de l'en tirer.

FLAMINIE.

Nous voulez-vous ainsi contraindre à soupirer.

SICANDRE.

Tout ira bien pour vous, ma soeur soyez plus sage,

Et suivez mon conseil sans parler d'avantage.

ATALANTE.

1415   De quoi me servira de suivre vos avis,

S'ils ne servaient de rien, quand ils étaient suivis ?

FLAMINIE.

Entrons, ne craignez rien, tout nous sera prospère,

Et sachez que la soeur vous assure du frère.

ATALANTE.

Sentons encore un coup, et voyons si le sort

1420   Nous doit faire aujourd'hui rencontrer quelque port.

SCÈNE III.

POLYDAS, sortant du jardin.

Comment je vois déjà le départ de l'Aurore,

Et ce nouveau soleil ne revient point encore ?

Lorsque je l'attendais le sommeil m'a surpris

Et sa lente froideur a troublé mes esprits.

1425   Sans cet empêchement peut-être qu'Atalante

Eut bien entretenu notre commune attente.

Ah ! S'il était certain d'un légitime effort

Après un tel sommeil, je chercherais la mort,

Et quand même le Ciel devrait m'être contraire

1430   La soeur me semblerait plus douce que le frère.

Mais c'est parler en vain, l'ingrate ne vient pas,

Je crois qu'elle a dessein d'avancer mon trépas.

Je me trouve abusé, je sens que la perfide

Veut prendre en mon endroit le titre d'homicide !

1435   J'ai beau te rechercher, au lieu de me guérir,

Je m'obstine moi-même à me faire mourir.

Mais il faut l'éviter, car ma flamme allumée

Malgré tout son pouvoir se réduit en fumée,

Mon coeur cesse de craindre en cessant de l'aimer,

1440   Et ses yeux n'ont plus rien qui puisse me charmer.

SCÈNE IV.
Flaminie, Polydas.

FLAMINIE.

Et bien que songez-vous ?

POLYDAS.

Que l'amour m'est contraire,

Mais qu'aussi la raison m'en va bien tôt distraire :

S'en est fait ; Atalante a des attraits puissants,

Mais juge ma raison plus forte que mes sens.

1445   Le sort en est jeté, la force de ses charmes

Ne me réduira plus à lui rendre les armes.

Elle sait acquérir, et non pas conserver,

Et moi je me sais perdre, et je sais me sauver.

Tu pourras témoigner que j'ai fait mon possible,

1450   Et que j'ai tout cherché pour la rendre sensible,

Je l'ai vu préparée à soulager mes maux,

Mais je crois que depuis elle a craint mes rivaux,

Et que sa passion que je trouvais si forte,

Aussi bien que la mienne est déjà toute morte.

FLAMINIE.

1455   Atalante est chez nous, croyez-moi seulement

Que si vous la voyez vous serez son Amant.

Il est bien malaisé de paraître infidèle,

Alors qu'on l'entretient, ou qu'on la voit fidèle,

Mais combien de malheurs vont causer ses appas,

1460   Pour elle deux amis recherchent le trépas,

Vous les avez pu voir.

POLYDAS.

Ô Ciel que tu m'étonnes !

Fais-moi donc par le nom connaître ces personnes.

SCÈNE V ET DERNIÈRE.
Mainalt, Tharzinte, Flaminie, Atalante, Polydas, Sicandre.

MAINALTE, voyant Polydas dit ceci à Tharzinte.

L'Amour à mes dépens te veut faire espérer

Un bien qu'autre que moi ne pouvait désirer.

1465   Dis ce que tu voudras, je découvre tes ruses,

En vain pour m'adoucir tu cherches des excuses.

THARZINTE.

Que tu me connais mal ! Sache que ma valeur

A toujours été ferme au milieu du malheur.

Le bruit qu'on t'a donné n'est rien qu'une fumée,

1470   Car je vois que l'effet cède à la renommée.

FLAMINIE.

Mon frère empêchons les.

POLYDAS.

Vous ne vous battrez pas,

Pourquoi de la façon vous causer le trépas ?

ATALANTE, en arrivant.

Ô Ciel qui vit jamais une telle entreprise !

Quoi suis-je pour celui que le sort favorise ?

1475   J'aurais en cet état le destin rigoureux.

Non, non, soyez vaillants, ou soyez amoureux,

Si vous le désirez terminez vôtre vie,

Et malgré votre mort conservez votre envie,

Vous cherchez seulement à me désobliger,

1480   Mon intérêt se doit autrement ménager.

SICANDRE, à Polydas lui présentant une épée.

Voici pour les tromper, soyez de la querelle,

Et s'il vous faut mourir, mourez pour cette belle.

POLYDAS.

Je la voulais haïr, mais lorsque je la vois

Je pers ma liberté, je ne suis plus à moi.

SICANDRE.

1485   Donnez donc seulement.

POLYDAS.

  Mais si je leur résiste

Le succès pour moi seul en doit être plus triste.

SICANDRE.

Vous craignez le danger.

POLYDAS.

Et ne le crains-tu pas ?

SICANDRE.

Pour un si beau sujet j'aimerais le trépas.

THARZINTE, à Mainalte.

Ton coeur a donc manqué ?

MAINALTE.

Son humeur est trop prompte,

1490   Mais il faut qu'il rougisse, et de sang et de honte.

POLYDAS, tirant son épée en touche Atalante, qui se met devant lui pour continuer la feinte.

Sicandre qu'ai-je fait ?

ATALANTE, feint d'être blessée.

Ô Ciel quelle rigueur !

THARZINTE.

Mourons, car Polydas a blessé notre coeur.

MAINALTE.

Faisons plutôt qu'il meure, il nous en reste encore

Pour punir ce cruel.

FLAMINIE, dit ceci bas.

Tout va bien Isidore.

ATALANTE, voyant Polydas poursuivi.

1495   Vous l'approchez en vain, puisque je vous retiens,

C'est avancer mes jours que d'avancer les siens.

En cessant de souffrir, je cesse aussi ma plainte,

Je n'ai point eu de mal que celui de la crainte,

Je demande sa vie.

MAINALTE.

Il faut lui pardonner,

1500   Il nous plaît de servir s'il vous plaît d'ordonner.

ATALANTE.

Je ne croirai jamais cette faveur petite.

MAINALTE.

Madame espérez tout, ayant tant de mérite.

POLYDAS.

Quels doux remerciements peut-on joindre à ce bien,

Hé prenez tout de nous, et ne demandez rien.

ATALANTE.

1505   Puisque ce cavalier vous a donné la vie,

Qui possible sans moi vous eut été ravie,

Pourvu que Flaminie approuve son amour,

Je crois qu'il doit bénir Polydas, et le jour.

FLAMINIE.

J'aime ce qui vous plaît, que mon frère commande,

1510   Lors il pourra sans peine obtenir sa demande.

POLYDAS.

Pour moi j'en suis ravi, je me tiens trop heureux

Que ma soeur ait réduit un coeur si généreux.

MAINALTE.

Ce plaisir est trop doux, mon âme est trop contente,

Je ne pouvais mieux choir en perdant Atalante.

POLYDAS, à Atalante.

1515   Il est vrai, tout va bien, mais consentez aussi

Que je trouve comme eux la fin de mon souci.

Quel dessein feriez-vous de me voir misérable ?

Faites que le destin me soit plus favorable.

Vous me pouvez donner, ou la vie, ou la mort,

1520   Vous pouvez m'irriter, ou m'adoucir le sort.

Un seul mot suffira.

THARZINTE.

C'est beaucoup entreprendre,

Ah ! Si vous m'attaquez, je me saurai défendre

Atalante me reste, et pour la posséder

Il faut que le trépas me force à la céder.

1525   Depuis que j'en ai fait l'objet de mon envie,

On ne peut me l'ôter qu'on ne m'ôte la vie.

Tel qui cherche son lit doit trouver un tombeau,

Un autre doit brûler auprès de ce flambeau,

Il faut m'anéantir pour éteindre ma flamme,

1530   Croire me l'arracher, c'est arracher mon âme ;

Je ne m'y puis résoudre, et quand même le Ciel

Verserait dessus moi tout ce qu'il a de fiel,

Que l'air, les éléments, les enfers et la terre

Me livreraient par tout une éternelle guerre,

1535   Que tout serait contraire à mes justes désirs.

Que je perdais bien tôt l'usage des plaisirs,

Que la Parque en un mot ferait voir sa colère,

Je ne perdrai jamais le souci de vous plaire,

Et ceux qui sont jaloux de mon contentement,

1540   En cherchant mon malheur cherchent leur monument.

MAINALTE.

Chacun verra bientôt ses attentes frivoles,

Pourvu que les effets répondent aux paroles.

Mais vôtre humeur est douce, et si vous faites bien

Vous quitterez sans doute un semblable entretien.

1545   « Ceux qui parlent beaucoup n'en font pas davantage,

Les seules actions font preuve du courage. »

Ce que vous avez dit ne nous étonne pas,

Et je sais que la mort est pour vous sans appas.

« Un homme généreux n'use point de harangue,

1550   Il agit de ses mains, et non pas de sa langue ; »

Et si vous nous voulez montrer votre vigueur,

Ce moyen fera voir que vous avez du coeur.

Je suis pour Polydas, et je n'ai point de vie

Qui dans l'extrémité ne lui soit asservie.

1555   Si je fais son bonheur je crois faire le mien,

Disputant cet objet je dispute son bien,

Et lorsque cette loi vous semblera trop dure,

Il vous sera permis de venger cette injure.

Mais quoi que Polydas ait eu déjà ma voix,

1560   Concluons qu'Atalante en doit faire le choix.

THARZINTE.

Pour moi je m'y résous.

POLYDAS.

Je m'y résous de même,

Puis qu'elle connaît bien que ma flamme est extrême.

SICANDRE.

Jurez à tout le moins que vous serez d'acxord,

Quand bien elle voudrait prononcer votre mort.

MAINALTE.

1565   Il n'en faut plus douter, qu'elle agisse pour elle,

Car son choix seulement finira la querelle.

ATALANTE.

Puis qu'on veut m'imposer cette nécessité.

Sicandre me ravit pour sa fidélité.

POLYDAS.

Sicandre vous ravit ! que mon âme est confuse !

1570   Juste Ciel est-ce ainsi qu'il faut qu'on me refuse !

THARZINTE.

Serait-il véritable ? où me vois-je réduit,

Et que puis-je espérer ! Mon propre bien me fuit.

POLYDAS.

Mais quel degré si haut eut contenu ma gloire,

Si par quelque bonheur j'en eusse eu la victoire.

1575   Je n'y dois plus songer, j'aurais trop peu de coeur

Pour imposer des lois à ce puissant vainqueur.

SICANDRE.

Mon habit vous abuse, et dessous cette feinte

J'afflige également Polydas et Tharzinte,

Ma soeur choisissez mieux, je ne vous puis servir

1580   Dans le contentement, dont on nous croit ravir.

POLYDAS.

Sicandre est une fille ! Où portais-je la vue !

Hé quoi m'a-t-elle été si long-temps inconnue ?

Que je procède mal en matières de droit !

Mon oeil malaisément croira-t-il ce qu'il voit.

1585   Mais nous sommes toujours dans la même querelle,

Qui comme notre amour me semble être immortelle.

ATALANTE.

Que Sicandre se donne un moment de loisir,

Qu'il parle, mon esprit approuve son désir.

POLYDAS.

C'est agir comme il faut, je suis sûr que Sicandre

1590   A trop d'amour pour moi pour ne me pas défendre.

SICANDRE.

Tharzinte me plaît fort ; j'estime sa vertu.

MAINALTE, à Flaminie.

C'est bien mal ordonner, mon coeur qu'en juges-tu.

POLYDAS.

Mépriser Polydas, m'inventer ce supplice,

Quel jugement de Clerc ! Quel arrêt d'injustice

1595   Tharzinte vous plaît donc ? Songez-vous à ma foi ?

SICANDRE.

Oui, vous plaidez pour vous, et je plaide pour moi,

J'estime son amour, où j'ai mis mon attente,

Et lorsque je le prends, je vous laisse Atalante.

POLYDAS.

Combien m'avez-vous fait mériter de bonheur !

1600   Ô Ciel que je vous dois, vous devant cet honneur !

Doux objet de mon coeur que ce plaisir me touche !

Pour vous le figurer il faut plus d'une bouche,

Mais je vous trouve triste, et mon contentement

À vous voir tant rêver cause votre tourment.

THARZINTE.

1605   Madame il faut bannir cette mélancolie,

Il dit ce vers bas.

Ne vouloir pas son bien, c'est un trait de folie.

ATALANTE.

C'est assez, je le veux, mon esprit combattu

D'une légère peur, a repris sa vertu.

Nos parents avertis, il faut bien que je croie

1610   Que rien ne peut troubler une semblable joie.

POLYDAS.

N'appréhendons plus rien, nous serons trop contents,

Et nos plaisirs iront par delà tous les temps.

SICANDRE.

Tout nous a réussi, notre fortune est belle,

Flaminie à propos a fait cette querelle,

1615   Polydas la cajole, elle est selon son voeu,

Mais faut-il s'étonner de lui voir tant de feu ?

Atalante est aimable, outre que la justice,

Afin de s'échauffer ne vit rien que d'épice.

Ces jeunes avocats sont trompés bien souvent

1620   Ce n'est que leur orgueil qui les va décevant :

Nous voyons que partout leur humeur se découvre,

Font des civilités qu'on ne fait point au Louvre  [ 21 En 1637, le Louvre est le Palais du Roi et où se tient sa Cour.]

Ils ont pour contenter cent mouvements divers,

Ils s'ajustent le poil, ils font parfois des vers,

1625   Ils courent au miroir pour consulter leur grâce,

Pour voir comment leur feu paraît dans cette glace,

Pour pratiquer un air qui les fasse estimer,

Et par où leur maintien se puisse faire aimer.

Pour gagner nos esprits ils souhaitent des charmes,

1630   Ils jettent des soupirs, ils répandent des larmes,

Pour montrer leur savoir expliquent des rébus,

Pour paraître savants ils nous parlent Phoebus,

Moralisent parfois, nous répètent des fables,

Et leur donnent un sens qui les rend véritables.

1635   Ils font des compliments qui n'ont point de pareils,

Nos yeux à leur avis sont autant de Soleils :

Notre froideur les brûle, et ne sauraient comprendre

Comment ils sont vivants étant réduits en cendre,

Ils parlent, quoi que morts, et si nous les traitons

1640   Avec quelque douceur, nous les ressuscitons :

Ils sont dedans le Ciel, quoi qu'ils soient sur la terre ;

Mais un de nos regards est pire qu'un tonnerre,

On croit par un mépris les maux qu'ils ont soufferts,

Nous les faisons tomber du Ciel dans les enfers,

1645   Veulent malgré leur sort bénir leurs entreprises ;

Et nous content toujours de semblables sottises.

Au reste on ne voit point de petit avocat

Qui ne tranche du grand, de l'esprit délicat,

Il méprisera tout pour se mettre en estime,

1650   La vertu chez autrui lui tiendra lieu de crime,

Les autres n'auront rien, il sera sans défaut,

Il met bas un chacun pour s'élever plus haut ;

Je crois pour les souffrir qu'il faut être un peu bête,

Et pour les caresser être fort déshonnête :

1655   Je me trouve aujourd'hui du parti de ma soeur,

Combien que Polydas en soit le possesseur.

Mais suivons ces amants, dont les communes âmes

Respirent maintenant de mutuelles flammes,

Mon esprit ne s'est pas vainement occupé,

1660   Car on ne vit jamais AVOCAT mieux DUPÉ.

 


Privilège du Roi.

Louis par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre. À nos amés et féaux les gens tenants nos Cours de Parlements, Baillifs, Sénéchaux, Prévôts, Juges, ou leurs Lieutenants, et à chacun d'eux en droit soi, Salut. Notre cher et bien aimé Toussaint Quinet Marchand Libraire, nous a fait remontrer qu'il désirerait faire imprimer et mettre en lumière une Comédie, Intitulée L'Avocat dupé, mais crainte que l'impression ne lui soit dommageable, si d'autres que lui s'ingéraient de le faire imprimer, il nous a sur ce requis nos Lettres nécessaires. À ces causes nous avons permis et octroyé, permettons et octroyons au dit Quinet d'imprimer, ou faire imprimer ladite Comédie par tels Imprimeurs que bon lui semblera, icelle vendre et exposer durant le temps de sept ans, pendant lequel temps nous avons fait et faisons très expresses inhibitions et défenses à tous autres Libraires et Imprimeurs de la faire imprimer, vendre, ni débiter sur peine de perte des exemplaires, et de trois mil livres d'amende, applicable un tiers à nous, et un tiers à l'Hostel Dieu de Paris, et l'autre tiers à l'exposant, dépens dommages et intérêts, et afin qu'ils n'en prétendent cause d'ignorance. Nous voulons que mettant en fin des exemplaires autant des présentes, elles soient tenues pour certifiées, à la charge toutefois de mettre deux exemplaires de ladite Comédie dans notre bibliothèque des Cordeliers à Paris, et un exemplaire ès d'icelle ès mains de notre amé et féal Chevalier, Chancelier de France le Sieur Séguier. Car tel est notre plaisir. Donne à Paris le vingt-unième jour d'Aoust, l'an de grâce mil six cent trente-sept, et notre règne le 28. Par le Roi en son Conseil. De Saint André, et scellé du grand seau de cire jaune.

Achevé d'imprimer le dernier Septembre 1637. Lesdits exemplaires ont été fournis.


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Notes

[1] Saint-Mathurin : Prêtre et confesseur, vivait dans le Gâtinais au IV et au Vème siècle. Il est fêté le 9novembre. L'ordre des Mathurins a été institué pour racheté les esclaves des mains des infidèles. [B]

[2] Cujas : Jurisconsulte français, brillant représentant de l'École historique du droit romain.

[3] Barthole : Célèbre jurisconsulte enseigna à Pise et à Pérouse. Il abrégea sa vie par sa trop grande assiduité à l'étude et mourut en 1356 à 44 ans. Il est le premier qui ait fait des commentaires suivis sur toutes les parties du texte (Corpus juris).[B]

[4] Tabis : Etoffe de soie unie et ondée, passée à la calendre sous un cylindre qui imprime sur l'étoffe des inégalité onduleuses gravées sur le cylindre même. [L]

[5] Clerc : En terme de Palais, est une espèce de commis ou de scribe qui sert à écrire chez les gens de justice ou de Pratiques. [F]

[6] Guirlande : Ornement de tête fait en forme de couronne. [F]

[7] Aucune marque de guillemets fermant, nous les posons à la fin du vers. Ils encadrent des aphorismes insipides ou des tautologies volant montrer en vain un bel esprit.

[8] Vers 242, dans l'éditions originale, on lit "crere" qui rime avec père.

[9] Digeste : Compilation faite par l'ordre de Justinien Empereur d'Orient. Il en donna la commission à Tribonien son chancelier, qui choisit seize jurisconsulte pour y travailler. Ils tirèrent les plus belles décisions qu'ils trouvèrent dans les deux mille volumes des anciens jurisconsultes, et les réduisirent en y corps qui fut publié en 533 sous le nom de Digeste. [F]

[10] Traverse : Se dit figurément en morale, et signifie, obstacle, empêchement, opposition, malheur, accident, affliction. [F]

[11] Pointe : Est aussi un bon mot, un trait d'esprit, une pensée vraie ou fausse : un jeu de mots brillant. [F]

[12] Stance : C'est un certain nombre réglé, de vers graves et sérieux, qui contiennent un sens, au bout duquel il se fait un repos. Il y a des stances 4, 6, 8, 10 vers. On fait aussi des stances de nombres impairs de 5,7, 9 t de 13 vers.

[13] Ellébore : Plante médicinale.

[14] Piper : Signifie figurément, tromper, séduire. [F]

[15] Penser : nom masculin au XVIIème pour « pensée ».

[16] Procris : Amante de Céphale, qui la tua involontairement.

[17] Argus : personnage de la mythologie gréco-romaine, c'était un géant qui avait cent yeux dont cinquante ouverts pendant que cinquante étaient fermé et dormaient.

[18] Heur : rencontre avantageuse. (...) [F] [antonyme de malheur]

[19] Parques : divinités des Enfers chargées de filer la vie des hommes, étaient au nombre de trois, Clotho, Lachésis, Atropos : Chlotho préside à la naissance et tient le fuseau, Lachésis le tourne et file, Atropos coupe le fil. [B]

[20] Adonis : jeune homme d'une beauté remarquable, était, suivant les Grecs,le fruit du commerce incestueux de Cinyras avec sa fille Myrrha. Il fut changé en anémone. [B]

[21] En 1637, le Louvre est le Palais du Roi et où se tient sa Cour.

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