LE COMPLIMENT

COMÉDIE.

1889

Adolphe CARCASSONNE.

PARIS C. MARPON et E. FLAMMARION, ÉDITEURS, rue Racine, 26 près de l'Odéon.

ÉMILE COLIN - IMPRIMERIE DE LAGNY.


Texte établi par Paul FIEVRE juin 2021

Publié par Paul FIEVRE juillet 2021.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:48.


PERSONNAGES

RENÉE, ll ans.

GABRIELLE, 10 ans.

ALICE, 10 ans, soeur de Renée.

MARIE, 6 ans, soeur de Renée.

MADAME DE LUCET, leur mère.

BONNE MAMAN.

Extrait de "Nouveau Théâtre d'enfants, Dix pièces en prose, à jouer dans les familles et dans les pensionnats, Paris, Marpon et Flammarion, Le Jay Libraires, 1889. pp. 161-192.


UN COMPLIMENT

Un salon. - À droite, un peu vers le fond, une table avec ce qu'il faut pour écrire. - Un grand fauteuil à gauche. - Porte au fond et portes latérales. Au lever du rideau, Alice et Gabrielle sont en scène. À gauche, Marie va de long en large en portant de temps eu temps la main a son front.

SCÈNE PREMIÈRE.
Alice, Gabrielle, Marie.

GABRIELLE.

À quoi penses-tu, ma chère Alice ? Est-ce un grand secret ?

ALICE.

Je pense à quelque chose, mais ce n'est pas un secret ; je puis te dire ce que c'est, car tu es ma meilleure amie et je n'ai rien de caché pour toi.

GABRIELLE.

Alors, dis.

ALICE.

C'est aujourd'hui la fête de Bonne maman. Renée, Marie et moi allons lui porter les compliments faits pour elle. Mais figure-toi que cette fois Bonne maman a dit qu'elle donnerait une montre en or à celle qui lui fera le plus joli compliment. Je voudrais bien gagner le beau cadeau.

GABRIELLE.

Pourquoi ne le gagnerais-tu pas ?

ALICE.

Marie ne concourt pas, mais ma soeur Renée est bien plus forte que moi.

GABRIELLE.

Elle a un an de plus et l'on en doit tenir compte.

MARIE, en se tournant vers le public.

J'y suis et je le sais maintenant.

ALICE, sans remarquer ce que dit Marie.

On ne l'a pas dit et je ne sais pas si l'on tiendra compte de l'âge, mais ce que je sais bien, c'est...

Elle hésite.

Voilà que maintenant je n'ose pas te le dire.

GABRIELLE.

Pourquoi, ma chère Alice ?

ALICE.

Parce que je vais te paraître mauvaise et jalouse.

GABRIELLE.

Pour cela, non.

ALICE.

Tu ne me connais pas bien.

GABRIELLE.

Va donc jusqu'au bout.

ALICE.

Si je n'avais pas ce beau cadeau...

En entendant ce dernier mot, Marie se tourne du côté des jeunes filles et elle écoute.

ALICE, continuant.

J'en aurais un grand chagrin. C'est mal, n'est-ce pas ? Car, enfin, si on ne me le donne pas, c'est que je ne l'aurai pas mérité.

GABRIELLE.

Un pareil chagrin est naturel et tout le monde le comprendra.

ALICE.

Mais il serait si grand pour moi qu'il me rendrait méchante. Je serais désespérée en voyant Renée gagner la montre. Être jalouse de sa soeur, c'est laid !... Et pourtant, je ne puis changer mon coeur, c'est plus fort que moi...

GABRIELLE.

Mais, je le répète, pourquoi ne gagnerais-tu pas le prix ? Tu as déjà fait de très jolies compositions.

ALICE.

Veux-tu voir mon compliment ?

GABRIELLE.

J'allais te le demander.

ALICE.

Allons dans ma chambre.

Après un silence.

Ma chère Gabrielle, il est bien entendu que tu me diras ce que tu penses, mais rien de plus. Pas un avis, pas un conseil ; ce ne serait pas honnête.

GABRIELLE.

Tu as raison, je ne donnerai que mon opinion.

Elles sortent par la gauche.

SCÈNE II.
Marie, puis Renée.

MARIE.

Je fais mon compliment... J'en sais même deux, un en prose, l'autre en vers... Quel est le plus joli ? Je ne sais pas... Bien sûr, je ne puis pas en dire deux.

Renée entre en scène

MARIE, venant auprès d'elle

Grande soeur, qu'est-ce qui est plus joli, la prose ou les vers ?

RENÉE.

Tous les deux peuvent être très jolis.

MARIE.

Mais pour un compliment ?

RENÉE.

Pour cela, les vers sont souvent préférables.

MARIE.

Alors, je dirai les vers.

Après un silence et se rapprochant de Renée.

Mais grande soeur, les vers sont-ils propres ?

RENÉE.

S'ils sont propres ! Pourquoi demandes-tu cela, chérie?

MARIE.

Parce que j'ai entendu dire qu'on tirait les vers du nez.

RENÉE.

Tais-toi, petite soeur, et ne te sers plus d'une expression que lu ne peux comprendre et qui est très laide.

MARIE.

Je ne le savais pas, je ne le dirai plus... Je réciterai le compliment en vers.

RENÉE.

Chacune récitera le sien.

MARIE.

Toi aussi, grande soeur ?

RENÉE.

Moi, aussi, ma chérie.

MARIE.

Et Alice aussi ?

RENÉE.

Certainement.

MARIE.

Est-ce que tu gagneras la montre en or ?

RENÉE.

Peut-être.

MARIE.

Alice alors ne la gagnera pas ?

RENÉE.

Non, si je la gagne.

MARIE.

Pauvre Alice !

RENÉE.

Que dis-tu ? Je ne te comprends pas, petite soeur. Pourquoi pauvre Alice ?

MARIE.

Tout à l'heure, je l'ai entendue parler avec Gabrielle.

RENÉE.

Eh bien ?

MARIE.

Elle disait que si elle ne gagnait pas le prix, elle serait bien malheureuse.

RENÉE.

Bien malheureuse !

MARIE.

Elle disait aussi que c'est très laid d'être jalouse de sa soeur, mais que c était plus fort qu'elle et qu'elle serait désespérée si elle n'avait pas la montre.

RENÉE.

Elle a dit cela ?

MARIE.

Oui, grande soeur, je l'ai entendue.

MADAME DE LUCET, paraissant à la porte de droite et

Marie ?

MARIE.

Me voilà, Maman.

MADAME DE LUCET

Viens donc, ma chérie.

MARIE.

Oui, Maman.

Elle sort par la droite avec sa mère.

SCÈNE III.

RENÉE.

Pauvre Alice ! Pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ?...

Après un silence.

Je tiens aussi à cette montre et je serais charmée de l'avoir, car elle est bien belle... Mais Alice en serait malheureuse et je veux lui éviter le moindre chagrin.

Elle sort un écrit de sa poche.

Mon devoir est donc tout tracé...

Elle va vers la table à droite et elle s'assied.

Chère Alice ! Elle aurait de la peine par moi !... Non, jamais !...

Elle efface une ligne.

Je suis contente du hasard qui m'a fait connaître la vérité.

Elle efface encore.

MADAME DE LUCET, à la porte de droite et à part.

Que m'a dit Marie ?

Elle s'avance un peu sur la pointe des pieds et elle observe un instant Renée qui continue à effacer sur le papier.

Ah ! Je comprends ! Chère, chère enfant !

Elle regagne la porte, elle envoie un baiser à Renée et elle sort sans que celle-ci l'ait vue.

RENÉE.

Allons, voilà qui est fait...

Elle se lève.

Je n'ai même plus besoin de repasser cet écrit.

Regardant vers le fond.

Je n'aurai pas le cadeau, mais Alice n'aura pas de chagrin... C'est une compensation.

Elle met l'écrit dans sa poche.

Ah ! Voici Bonne Maman.

Bonne Maman entre ; elle est suivie d'Alice et de Marie ; madame de Lucet vient ensuite. Bonne maman s'assied dans le grand fauteuil. Madame de Lucet se met à sa gauche.

SCÈNE IV.
Renée, Bonne Maman, Madame de Lucet, Alice, Marie.

BONNE MAMAN.

Bonjour, mes chères enfants.

MADAME DE LUCET.

Allons, mes fillettes.

RENÉE, s'approchant de Bonne maman.

Chère Bonne maman, je te souhaite, une bonne fête et je t'embrasse de tout mon coeur.

BONNE MAMAN, après avoir réprimé un mouvement de surprise.

Merci, ma chère Renée.

Elle l'embrasse ; Renée passe à droite, Alice vient à son tour devant Bonne maman.

ALICE.

C'est aujourd'hui ta fête, chère Bonne Maman. Aussi, je suis descendue ce matin au jardin. J'ai dit aux arbres de te prêter encore longtemps leur ombrage ; j'ai dit aux fleurs de t'offrir encore longtemps leurs parfums ; j'ai dit aux oiseaux de chanter encore longtemps pour toi leurs plus jolies chansons. Puis, comme le soleil paraissait, je lui ai dit de se lever encore longtemps sur tes pas. Les arbres, les fleurs, les oiseaux et le soleil m'ont promis de faire ce que je leur ai demandé, chacun me l'a dit à sa façon, et moi, je viens te le dire à la mienne et en te faisant deux gros baisers.

BONNE MAMAN.

Merci, ma chérie, de ton joli compliment.

Elle embrasse Alice qui passe a droite. - Marie s'approche.

MARIE.

Bonne maman, voici mes souhaits pour ta fête.

Joie à ton coeur, santé parfaite,

Horizon jamais obscurci,

Et pouvoir l'embrasser pendant vingt ans ainsi.

BONNE MAMAN.

Merci, mon cher trésor.

Marie l'embrasse et elle rejoint ses soeurs à droite.

BONNE MAMAN.

Maintenant, approchez-vous, mes enfants. Vous savez que j'ai promis une montre à celle qui m'aura dit le plus joli compliment.

Elle prend dans sa poche un écrin qu'elle ouvre.

Chère Alice, c'est toi qui as mérité ce prix, le voilà.

ALICE, prenant la montre.

Oh ! Quel bonheur ! Merci, Bonne Maman, merci !

À madame de Lucet.

Mère, me permets-tu d'aller le dire à Gabrielle ?

MARIE.

Me permets-tu d'accompagner Alice ?

MADAME DE LUCET.

Allez, mes enfants, et revenez bientôt.

Alice et Marie sortent par le fond. Renée se dirige vers la droite.

BONNE MAMAN.

Ma chère Renée, j'ai à causer un instant avec toi.

RENÉE.

Bien, grand-mère.

MADAME DE LUCET.

Causez toutes les deux.

Elle va vers la droite et elle dit à part.

Que va-t-il se passer et que va faire Renée ?

Elle sort.

SCÈNE V.
Renée, Bonne_Maman.

BONNE MAMAN.

Tu as, sans doute, compris pourquoi j'ai voulu te parler, mon enfant.

RENÉE.

Quelle qu'en soit la raison, j'en suis heureuse, car tu sais que mes meilleurs moments sont ceux que je passe auprès de toi.

BONNE MAMAN.

As-tu remarqué le mouvement de surprise que je n'ai pu réprimer en entendant ton compliment.

RENÉE.

Oui, grand-mère.

BONNE MAMAN.

Eh bien ! Qu'en as-tu pensé?

RENÉE.

Que tu n'en étais pas contente.

BONNE MAMAN.

Et c'est vrai. Ce que tu as dit est presque une banalité et n'a rien de comparable avec ton gentil compliment de l'année dernière.

RENÉE.

L'esprit n'est pas toujours disposé...

BONNE MAMAN.

L'esprit, peut-être, mais non le coeur.

RENÉE.

Le coeur lui-même ne peut pas toujours dire ce qu'il sent.

BONNE MAMAN.

Mais de là à la phrase dont tu t'es servie, il y a loin.

RENÉE.

Alors, pardonne-la moi, grand-mère.

BONNE MAMAN.

Écoute, mon enfant : un pareil fait ne se produit pas sans raison et je ne puis admettre celle que tu m'as donnée.

RENÉE.

Pourtant...

BONNE MAMAN.

Tu connaissais la date de ma fête, tu pouvais donc t'y prendre en temps. L'inspiration, en tel cas surtout, ne fait pas défaut quinze jours de suite. Il y a une autre cause, ma chère Renée.

RENÉE.

Je ne puis rien ajouter à ce que tu sais déjà.

BONNE MAMAN.

Il y a une autre cause, te dis-je, et je désire la connaître.

RENÉE.

Mais, grand-mère...

BONNE MAMAN.

Je vois, à tes hésitations, que tu me caches quelque chose ; tu ne sais pas mentir, mon enfant.

RENÉE.

Je ne puis dire plus que je n'ai dit.

 



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