LE DÉPOSTAIRE

COMÉDIE en vers EN CINQ ACTES

Prix 30 sols.

M. DCC. LXXII.

PAR M. DE VOLAIRE

À GENÈVE, et se trouve, À PARIS, Chez VALADE, Libraire, rue S. Jacques ; vis à vis celle des Mathurins à S. Jacques.


publié par Paul FIEVRE, Juin 2011, novembre 2017.

© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:06:30.


PERSONNAGES

NINON, femme de trente-cinq à quarante ans, très bien mise; grand caractère du haut comique.

GOURVILLE L'AÎNÉ, grand nigaud, habillé de noir, mal boutonné, une mauvaise perruque de travers, l'air très gauche.

GOURVILLE LE JEUNE, petit-maître du bon ton.

MONSIEUR GARANT, marguillier, en manteau noir, large rabat, large perruque, pesant ses paroles, et l'air recueilli.

L'AVOCAT PLACET, en rabat et en robe, l'air empesé, et déclamant tout.

MONSIEUR AGNANT, bon bourgeois, buveur, et non pas ivrogne de comédie.

MADAME AGNANT, habillée et coiffée à l'antique, bourgeoise acariâtre.

LISETTE, valet de comédie dans l'ancien goût.

PICARD, valet de comédie dans l'ancien goût.

La scène est chez Mlle Ninon de Lenclos, au Marais.

Le fond de cette Comédie est tirée des Mémoires du temps. Rien n'est plus commun que L'histoire du dépôt, nié par un homme très grave, et rendu par la célèbre Ninon.


ACTE I

SCÈNE I.
Ninon, Le Jeune Gourville.

NINON.

0   Mon indulgence est grande , et c'est-là mon partage,
0   J'en eus un peu besbin, quand j'étais à votre âge ;
0   Mais, si j'eus des amans, il sont tous mes amis.
0   Malheur aux coeurs mal faits toujours mal assortis;
0   Se prenant Ce quittant par pure fantaisie ,
0   L'un à l'autre étrangers le resse de leur vie ?
0   Eh bien, vous aimez donc cette petite Armantî

GOURVILE.

0   Oui, ma belle Ninon.

NINON.

0   C'est une aimable enfant.
0   Ce n'est point sa beauté, sa grace que je vante ^
0   Mais sa naïveté, sa douceur est charmante ;
0   Et j'ai sçu, que depuis qu'elle a Tes dix-sept ans j
0   Elle n'a demandé pour grace à les parens '
0   Que la permission de pouvoir faire usage
0   De la proximité de notre voisinage ;
0   Elle me vient souvent voir en particulier ;
0   Son esprit me surprend, son ton est singulier *
0   Et ne tient point du tout de sa sotte famille
0   J'aime sincerement cette petite fille :
0   Je voudrais son bonheur, elle me fait pitié 5
0   Et je vous l'avouerai, cette seule amitié
0   M'engage à' recevoir et le père et la mère
0   Je me suis apperçu qu'elle avait sçu vous plaire £
0   Mais est-ce un simple goût, une inclination £
0   G OU R V I LE.
0   Ma foi, je crois avoir beaucoup de passion.
0   Un certain Avocat pour mari se propose
0   >
0   Mais auprès de la sille il a perdu sa cause.

NINON.

0   'Je crois que mieux que lui vous avez fçu plaider.

GOURVILE.

0   Je suis assez heureux pour la persuader.

NINON.

0   Sans doute vous flattez et le père et la mère ^
0   Et jusqu'à l'Avocat, c'est le grand art de plaire;

GOURVILE.

0   J'y mets comme je puis tous mes petits talents:
0   Le père aime le vin.

NINON.

0   C'en un vice du tems
0   La mode el1 passera.

GOURVILE.

0   La mère est bien revêche
0   . ; ; -
0   Sotte. ; ... Un oison bridé devenu plegrieche...
0   «
0   Bonne diablesse au fond.

NINON.

0   Oui, voilà trait pour trait
0   De nos très-chers voisins le sidèle portrait.
0   Mais on doit se plier à souffrir tout le monde,
0   Les plats et lourds bourgeois dont cette ville abonde ;
0   Les grands airs de la Cour , les faux airs de Paris,
0   Et nos bruiants seigneurs, et nos sors beaux-esprits;
0   C'est un mal nécessaire et que souvent j'éssuie.
0   Pour ne pas trop déplaire il faut bien qu'on s'ennuie;

GOURVILE.

0   Mais Sophie est charmanteet ne m'ennuira pas;

NINON.

0   Je vous l'ai déjà dit, elle est pleine d'appas ;
0   Mais elle aura du bien : certaine vieille tante ,
0   Dont je sçais qu'elle hérite , a mille écus de rente î
0   Et, si dans votre amour vous pouviez persister....
0   Nous verrons ; c'est vous seul qu'il faudra consulter ;
0   Aimez-l'a, quittez-l'a ; mon amitié tranquile
0   A vos goûts, quels qu'ils soient, sera toujours facile ;
0   A la droite raison dans le reste soumis,
0   Changez de voluptez, ne changez point d'amis.
0   Soyez homme d'honneur, d'esprit et de courage ^
0   Et livrezrvous sans crainte aux erreurs du bel âge.
0   Quoi qu'en dire l'Astrée ,et Clélie ,et Cirus,
0   L'amour ne fut jamais dans. le rang des vertus.
0   L'amourn'exige point de raiCon, de mérite ( *
0   J'ai vu des sots qu'osi prend, des gens d'esprit qu'on quitte.
0   Je fus ( et tout Paris l'a sôuvent publié}
0   Peu fidèle en amour, sidèle en amitié.
0   Je vous chéris, Gourvile, et pour toute ma vie ;
0   Vôtre père n'eut point de plus consiante amie.
0   Dans des tems malheureux il arrangea mon bien
0   Je * dois tout à ses soins, sans lui je n'aurais rien.
0   Voussaurez à quel point j'avais sâ confiance;
0   Je dois à ses enfans quelque reconnaissance.
0   Nôtre union fut pure t et de si nobles noeux
0   Seront les seuls liens qui nous joindront tout deux.

GOURVILE.

0   Hélas ! je vous dois tout : tant de bonté m'accablei
0   Ninon, dans tous les tems fut un homme estimable.

NINON.

0   Parlons donc, je vous prie, un peu solidement.
0   Vous n'êtes pas, je crois, fort en argent comptantl

GOURVILE.

0   Pas trop;

NINON.

0   Voici le tems où de votre fortune
0   Le noeud très-délicat, l'intrigue peu commune ,
0   Grace à Monsieur Garant, pourra se débrouiller.

GOURVILE.

0   Ce bon Monsieur Garant me fait toujours bâiller;
0   Il efl si compassé, si posé, si sévère !
0   Je rougis devant lui d'être fils de mon père.
0   Il me fait trop Sentir que par un sort fâcheux
0   ? Il manque à mon baptême un paragraphe ou deux.
0   (*) Cefont les propres paroles de Ninon )
0   daus le petit
0   livre de L Abbéde Châteauneuf.

NINON.

0   On obmit, il efl vrai, le mot de légitime.
0   Gourvile votre père eut la publique eslime ;
0   Il eut mille vertus ; mais il eut (entre nous)
0   Pour les beaux noeuds d'hymen de merveilleux dégoûts.1
0   La rigueur de la loi ( mais qui pourtant efl sage )
0   ?A votre frère, à vous, ravit tout héritage.
0   Vous ne possédez rien. Mais ce Monsieur Garant "
0   Son banquier autrefois, et son correspondant,
0   Pour deux cent mille francs étant ton légataire
0   N'en est, vous le savez, que le dépositaire.
0   Il fera son devoir , il l'a dit devant moi.
0   L'honneur efl plus puissant, plus sacré que la loi.

GOURVILE.

0   'Je voudrais que l'honneur fut un peu plus honnête.
0   Cet homme, de fermons me rompt toujours la tête,
0   Direéteur d'hôpitaux, syndic et marguillier
0   il n'a daigné jamais avec moi s'égaier.
0   Il prétend que je fuis une tête légère ,
0   1Jn jeune dissolu
0   , sans moeurs, sans caraâère j
0   'Jouant, courant le bal, les silles, les buveurs.
0   Oui, je fuis libertin ; mais parbleu j'ai des moeurs.
0   'Je ne dois rien, je suis fidèle à mes promesses ;
0   Je n'ai jamais trompé, pas même mes maîtresses.
0   Je bois sans m'enivrer, j'ai tout payé comptant ;
0   Je ne vais point jouer quand je n'ai point d'argent.
0   Tout marguillier qu'il efl, ma foi je le défie
0   De mener dans Paris une meilleure vie.

NINON.

0   Il efl un tems pour tout. GOURVILE.
0   Monsieur môn frère aîné ; Je l'avoue / r a l'espris tout
0   autrement tourné;
0   Il eil sage et dévôt : sa conduite est austère
0   ,
0   Il lit les vieux auteurs, et ne les entend guère ;
0   Il évite le monde : eh bien ! qu'il Coit un jour
0   Pour prix de ses vertus, marguillier à son tour ;
0   Et que Monsieur Garant qui, dans tout, le gouverné
0   Lui donne plus qu'à moi. Ce quiseul me' concerne
0   C'est le plaisir. L'argent, voyez-vous, ne m'est rien;
0   Je suisallez content d'un honnête entretien.
0   L'avarice est un monstre : et pourvu que je puisse
0   Supplanter l'avocat, mon sort est trop propice.
0   \' NINON.
0   Tout réussit aux gens qui sont doux et joieux;
0   Pour Monsieur votre aîné, c'est un fou serieux.
0   Un précepteur maudit maîtrisànt sa jeunesse,
0   chargea d'un joug pesant sa docile faiblesse ,
0   De sombres visions tourmenta ton esprit,
0   Et l'âge a conservé ce que l'enfance y mit;
0   Il s'est fait à lui-mêmeun biea trisse esclavage.
0   Malheur à tout esprit qui veut être trop Cage.
0   J'ai bonne opinion, je vous l'ai déja dit,
0   D'un jeune écervelé, quand il a de l'esprit.
0   Mais un jeune pédant, fut-il très-eflimable.-
0   Deviendra, s'il persiste, un être insuportable.'
0   Je ris, lorsque je vois que votre frère a fait
0   L'extravagant dessein d etre un homme parfait;

GOURVILE.

0   Un pédant chez. Ninon , est un plaisant prodige;

NINON.

0   Le parti qu'il a pris n'est pas ce qui m aflige.
0   J'aime les gens de bien ; mais je hais les cagots,
0   Et je crains les fripons qui gouvernent les lots,

GOURVILE.

0   Voilà le marguillier.
0   SCENE
0   S C E NE I I.
0   NINON , le jeune GOURVILE, M. GARANT.
0   M, GARANT.
0   JE
0   me ruis fait attendre ;
0   Le teins, vous le savez, est difficile à prendre.
0   Mes emplois font bien lourds.

NINON.

0   Je le sais.
0   M. G A R A N T.
0   Bien pesants. NINON.
0   C'est ajcuter beaucoup.
0   M. G A R A N T.
0   Sans mes soins vigilants,
0   Sans mon activité....

NINON.

0   Fort bien.
0   M. GARANT.
0   Sans ma prudence ,
0   Sans mon crédit... ? NINON.
0   Encor !
0   M. G A R A N T.
0   L'oeuvre aurait pu je pense,
0   Souffrir un grand, déchet ; mais j'ai tout réparé.

GOURVILE.

0   Ah ! tout Paris en parle et vous en sait bon gré.
0   M. G A R A N T.
0   Les pauvres sont d'ailleurs si pauvres !... Leurs
0   souffrances
0   Me perçent tant le coeur , que de leurs doléances
0   Je m'aflige toujours. NINON.
0   Il faut les secourir,
0   C'est un devoir sacré.
0   % M. GARANT.
0   Leurs maux me font souffrir.
0   G 0 U R V 1 L E.
0   Vous régissez si bien leur petite finance
0   Que les pauvres bientôt seront dans l'abondance;

NINON.

0   Ç'a, monsieur l'Aumônier, vous savez que céans
0   Il est ainsi qu'ailleurs, de jeunes indigens.
0   Ils sont recommandés à vos nobles largesses ;
0   Vous n'avez pas, sans doute, oublié vos promesses*
0   M. GARANT.
0   Vous sàvez que mon coeur est toujours pénétré
0   Des extrêmes bontés dont je fus honoré,
0   Par ce parfait ami, ce cher monsieur Gourvile l
0   Si bon pour ses amis : qui fut toujours utile
0   ,
0   A tous ceuxqu'ilaima .... qui fut si bon pour ~moi
0   Si généreux !... Je sais tout ce que je lui doi.
0   L'honneur, la probité
0   ,
0   l'équité
0   ,
0   la juflice,
0   Ordonnent qu'un ami sans réserve accomplissè '3
0   Ce qu'un ami voulait. NINON.
0   Ah ! que c'est parler bien ?
0   Et qu'il est éloquent !
0   M. GARANT.
0   Que dites-vous-là?

NINON.

0   Rien.
0   ( En le contrefaisant. )
0   Je me flatte, je crois, je suis persuadée,
0   Je me sens convaincue
0   , et sur-tout j'ai l'idée
0   Que vous rendrez bientôt les deux cent mille francs ^
0   A votre ami si cher, ès mains de Ces enfans.
0   -
0   M. GARANT.
0   Madame, il faut payer ses dettes légitimes ;
0   Et les moindres délais en ce cas sont des crimes.
0   L'honneur, la probité, le sens et la raison,
0   Demandent qu'on s'aplique avec attention
0   A remplir ses devoirs, à ne nuire à perronne
0   A voir quand et comment, à qui, pourquoi l'on donne.
0   A bien considérer si le droit est lèzé,
0   Si tout est bien en ordre.

NINON.

0   Eh rien n'est plus aisé.
0   Des deux cent mille francs n'êtes-vous pas le maître ?
0   M. GARANT.
0   Oh, oui. Son testament le fait assez connaître;
0   Je les dois recevoir en louis trebuchants.
0   NIN0N.
0   Eh bien, à chacun d'eux donnez cent mille francs J
0   Le compte est clair et net.
0   M. G A R A N T.
0   Oui, cette arithmétique
0   Est parfaite en son genre, et n'a point de réplique.
0   Egales portions,

NINON.

0   Par cette égalité
0   Vous assurez la paix de leur société.
0   M. GARANT.
0   Soyez fure que l'un n'aura pas plus que l'autre J
0   Quand j'aurai tout réglé.
0   " NINON.
0   Quelle idée est la vôtre ?
0   Tout est règlé, monsieur.
0   M. GARANT.
0   Il faudra mûrement,
0   Consulter sur ce cas quelque avocat savant.
0   Quelque bon procureur, quelque habile notaire
0   Qui puisse prévenir toute fâcheuse affaire.
0   Il faut fermer la bouche aux malins héritiers
0   Qui pouraient méchamment répèter les deniers.
0   G 0 U R V I L E.
0   Mon père n'en a point.
0   M. GARANT.
0   Hélas ! dès qu'un enterre
0   Un vieillard un peu riche
0   , il sort de dessous terre
0   Mille collatéraux qu'on ne connaissait pas.
0   Voyez, que de chagrins, de peines
0   ,
0   d'embarras
0   Si jamais il fallait que par quelque artifice ,
0   J'éludasse les loix de la sainte justice.
0   L'honneur , vous le lavez, qui doit conduire tout. . . «

NINON.

0   Le véritable honneur est très-fort de mon goût.
0   C est à lui d'écarter ces craintes ridicules.
0   Il est de certains cas ou j'ai peu de scrupules.
0   M. G A R A N T.
0   J'en suis persuadé
0   ,
0   madame
0   ,
0   je le crois ,
0   C'est mon opinion Mais la rigueur des loix,'
0   De ces collatéraux, les plaintes, les murmures,
0   Et les prétentions avec les procédures.....

NINON.

0   Ayez des procédés, je réponds du succès ^
0   Ce n'est point-là , du tout, une affaire à procès;
0   M. G A R A N T.
0   Vous ne connaissez pas, madame, les affaires.
0   Leurs détours, leurs dangers, les loix, 8dleurs mystères.
0   NIN0N.
0   Toujours cent mots pour un. Moi, je vais à l'instant
0   Répondre à vos discours en un mot comme en cent.
0   Mon cher petit Gourvile, allez dire à LiCette
0   Qu'elle m'aporte ici cette grande cassette.
0   ' Elle sait ce que c'est. GOURVILE.
0   J'y cours.
0   SCENE III.
0   NINON, M. GARANT,
0   M. G A R A N T.
0   v E c chagrin
0   Je vois que ce jeune homme a pris un mauvais train. ; ; ;
0   De mauvais sentimens....Une allure mauvaise....
0   Je crains que , s'il était un jour trop à son aisè . .. «
0   Il ne se confirmât dans le mal.

NINON.

0   Mais vraiment
0   »
0   .Vous me touchez le coeur par un soin si prudent.
0   M. GARANT.
0   Il est fort libertin.... Une trop grande aisance. ; » Trop
0   d'argent dans les mains, trop d'or, trop
0   d'opulence....
0   Donne aux vices du coeur trop de facilité.

NINON.

0   Hélas ! c est fort bien dit ; mais trop de pauvreté
0   Dans des dangers plus grands peut plonger la jeunesse.
0   Je ne voudrais pdur lui pauvreté m richesse ^
0   Point d'excès, mais son bien lui doit apartenir.
0   M. G A R A N T.
0   D'accord, c'est à cela que je veux parvenir,

NINON.

0   Et son frère ?
0   M. GARANT.
0   Ah ! pour lui ce sont d'autres affaires;
0   Vous avez des bontés qu'il ne mérite guères.
0   ) NINON.
0   Comment donc ?
0   M. GARANT.
0   Vous avez achète sous sonnom
0   Quand son père vivait, votre propre maison.

NINON.

0   Oui.
0   M. GARANT.
0   Vous avez mal fait.
0   N 1 N 0 N.
0   C'était un avantage
0   Que son père lui fit.
0   M. GARANT.
0   Mais cela n'efl pas sage
0   Nous y remédierons; je vous en parlerai,
0   J'ai d'honnêtes desseins que je vous confierai
0   »
0   Vous êtes éclairée, avisée et discrete,
0   NINON,
0   Et sur-tout patiente.
0   N

SCÈNE IV.
Ninon, Monsieur Garant, le jeune Gourvile, Lisette, Picard.

LISETTE.

0   Ah ! la lourde cassette 1
0   Comment vouliez-vous donc que j'aporte cela ?
0   Picard la traîne à peine.NINON.
0   Allons, vîte, ouvrez-là.

LISETTE.

0   C'eil un vrai coffre fort.
0   NIN0N.
0   C'est le très-faible reste
0   De l'argent qu'autrefois dans un péril funefle
0   Etant contraint de fuir, Gourvile me laissa
0   Long-temsà son retour dans ce coffre il puisa.
0   Le compte esl de sa main. Allez tous deux sur l'heure
0   Donner à ces enfans le peu qu'il en demeure.
0   Ce sera pour chacun je crois , deux mille écus... ;
0   Par un partage égal il faut qu'ils soient reçus.
0   Pour leurs menus plaisirs ils en feront usage,
0   Attendant que Monsieur salTe un plus gros partage;
0   ( On remporte le coffre. ) LISETTE.
0   J'y cours, je tais compter. GOURVILE.1
0   L'adorable Ninon 1 NINON, (7 Garant. )
0   Pour remplir son devoir il faut peu de façon \
0   Vous le voyez ,
0   Monsieur.
0   M. G A R A N T.
0   Cela n'est pas dans l'ordre J
0   Dans l'exacte équité ; la justice y peut mordre.
0   Cette caisse au défunt apartint autrefois,
0   Et les collatéraux réclameront leurs droits ;
0   Il faut par préalable en faire un inventaire.
0   Je suis exécuteur qu'on dit teflamentaire.
0   G0URVLE.
0   Eh bien
0   ,
0   exécutez les généreux desseins
0   D'un ami qui remit sa fortune en vos mains;
0   M. G A R A N T.
0   Allez, j'en suis chargNé, In'Nen sOoyeNz p.oint en peiner
0   Quand aporterez-vous cette petite aubaine
0   De deux cent mille francs en contrats bien dressés l.
0   Quand satisferez-vous ces devoirs si pressés ?
0   M. G A R A N T.
0   Bientôt.... l'oeuvre m'attend, et les pauvres gémissent
0   Lorsque je fuis absent tous les secours languissent.
0   ^ ( IIfait deux pas etrevient. )
0   Adiçu. «. Vous devriez employer prudemment
0   Ces quatre mille écus donnés legérement.

NINON.

0   Eh si donc !
0   M. GARANT, ( revenant encor etla tirant à l'écart.)
0   La débauche hélas ! de toute espèce,
0   'A la perdition conduira sa jeunesse ;
0   Ildissipera tout, je vous en avertis. - GOURVILE.
0   Hem ! que dit-il de moi ?

MONSIEUR GARANT.

0   J Pour votre bien, mon fils
0   Avec
0   Avec discrétion Je mexplique à madame.v

Bas à Ninon.

0   Il est très inconstant.

NINON.

0   Ah ! cela perce l'âme.

MONSIEUR GARANT.

0   Il a déja séduit notre voisine Armand ,
0   Cela fera du bruit.

NINON.

0   / Ah ! mon Dieu, le méchant ï
0   Courtier une sille ! ô ciel, est-il possible 1

MONSIEUR GARANT.

0   C'est comme je le dis.
0   Quel crhne irrémissible !

MONSIEUR GARANT, à Ninon.

0   Un mot dans Votre oreille.

GOURVILE.

0   Il lui parle tout bas
0   C'esl mauvais signe.

NINON, à Garant qui sort.

0   Allez, je ne l'oublierai pas.'

SCÈNE V.
Ninon, Le jeune Gourvile.

LE JEUNE GOURVILE.

0   u E vous dirait - il donc ?

NINON.

0   Il voulait ce me semble
0   Par pure probité nous mettre mal ensemble.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Entre nous je commence à penser à la fin
0   Que cet homme ensiuyeux eil un maître gonin;

NINON.

0   Vous pouvez, croyez-moi, le penser sans scrupuleJ
0   On peut être à la fois fripon et ridicule.
0   Avec son verbiage et ses fades propos
0   Ce fat dans le quartier réduit les idiots;
0   Sous un amas confus de paroles oiseuses
0   Il pense déguiser ses trames ténébreuses.
0   J'aime fort la vertu ; mais pour les gens sensés
0   Quiconque en parle trop n'en eut jamais allez.
0   Plus il veut se cacher, plus on lit dans son ame.
0   Et que ceci soit dit et pour homme et pour femme;
0   Enfin, je ne veux point par un zèle imprudent
0   Garantir la vertu de ce monsieur Garante

LE JEUNE GOURVILE.

0   Ma foi ni moi non plus.

SCÈNE VI.
Ninon, le jeune Gourvile, Lisette.

NINON.

0   Eh bien, chère Lisette J
0   Ma petite ambassade a-t-elle été bien faite ? 4
0   Son frère a-t-il de vous reçu son contingent 2

LISETTE.

0   Oui, madame, à la fin il a reçu l'argent.

NINON.

0   Est-il biesi satisfait ? *"

LISETTE.

0   Point du tout, je vous jure.

NINON.

0   Comment ?
0   Oh ! les savans sont d'étrange nature.
0   Quel étonnant jeune homme
0   , et qu'il est triste* et sec J
0   Vous l'eussiez vu courbé sur un vieux livre grec ,
0   Un bonnet sale et gras qui cachait sa figure,
0   De l'encre au bout des doigts composaient sa parure;
0   Dans un tas, de papiers il était enterre
0   Il , se parlait tout bas comme un homme égaré.
0   De lui dire deux mots je me suis hazardée,
0   Madame, il ne m'a pas seulement regardée.

En élevant la voix.

0   J'apporte de l'argent, monsieur , qui vous eji dû %
0   Monsieur, cest de l'argent. n ne m'a rien répondu*
0   Il a continué de feuilleter , d'écrire.
0   J'ai fait avec Picard un grand éclat de rire
0   Ce bruit l'a éveillé. Voilà deux mille écus

Élevant la voix.

0   Monsieur , que ma maîtresse avaitpour votes reçus....I «
0   Hem ! Qui ! quoi! m'a-t-il dit : allez chez les notaires,
0   Je n'ai jamais, ma bonne, entendu les affaires.
0   !Je ne me mêle point de ces pauvretés-là.
0   Monsieur, ils font à vous , prener-les , les voilà«
0   Il a repris soudain papier, plume, écritoire.
0   Picard l'interrompant a demandé pour boire.
0   Pourquoi boire ? a-t-il dit, si ! rien n'est si vilain
0   Que de s'accoutumer à boire si matin.
0   Enfin, il a compris ce qu'il devait entendre.
0   Voilà les sacs, dit-il, et vous pouvez y prendre j
0   Tout ce qu'il vous plaira pour la. commission.
0   Nous avons pris, madame, avec discrétion.
0   Il n'a pas un moment daigné tourner la tête
0   Pour voir de nos cinq doigts la modestie honnête%
0   Et nous sommes partis avec étonnement
0   Sans recevoir pour vous le moindre compliment. "
0   Avez-vous vu jamais un mortel si bizarre l

NINON.

0   Il en faut convenir, ion caractère est rare ;
0   La nature a conçu des desseins différents
0   Alors que ton caprice a formé ces enfants ;
0   Un contraste parfait est dans leurs caractères i
0   Et le jeur et la nuit ne (ont pas plus contraires. ;

GOURVILE.

0   Je l'aime cependant du meilleur de mon coeur. LISETTE.
0   Moi de tout mon pouvoir je l'aime aussi, monsieur.

À Ninon.

0   J'ai toujours remarqué sans trop oIer le dire
0   Que vous aimez allez les gens qui vous font rire;

NINON.

0   Je ne ris point de lui, Lisette, je le plains ;
0   Il a le coeur très-bon, je le fais, mais je crains
0   Que cette aversîon des plaisirs et du monde
0   Des usàges, des moeurs l'ignorance profonde,
0   Ce goût pour la retaite, et cette austérité
0   Ne produisent bientôt quelque calamité.
0   Pour ce monsieur Garant sa pleine confiance
0   Allarme ma tendresse, accroît ma défiance * >
0   Souvent un esprit gauche en sa simplicité
0   Croyant faire le bien fait le mal par bonté;

GOURVILE.

0   Oh ! je vais de ce pas laver sa tête aînée ^
0   De sa rotte raison la mienne efl étonnée ;
0   Je lui parlerai net ; et je veux à la fin
0   Pour le débarbouiller en faire un libertin;

NINON.

0   Puissiez-vous tous les deux être plus raisonnables ;
0   Mais le monde aime mieux les erreurs agréables
0   Et d'un esprit y trop vif la piquante gaieté , Qu'un
0   précore Caton de sàgesse hébété Occupé tristement , de
0   mystiques systêmes ;
0   Inutile aux humains et dupe des sots mêmes.

GOURVILE.

0   Il faut Vous avouer qu'avec discrétion
0   Dans mes amours nouveaux je me sers de sôn nom ^
0   Asin que si la mère a jamais connaissance
0   Des mystères secrets de notre intelligence,
0   Aux mots de sindérèse et,de conipondion
0   La lettre lui paraisse une exhortation
0   Un essai , de morale envoyé par mon frère j
0   Nous écrivons tout deux d'un même caractère.
0   En un mot, fous son nom j'écris tous mes billets ;
0   En son nom prudemment les messages font faits.
0   C est un fort grand plaisir que ce petit mystère.

NINON.

0   v II est un peu scabreux, et je crains cette mère.'
0   Prenez bien garde, au moins, vous vous y méprendrez;
0   Vos discours de vertu seront peu mesurez t
0   Tout fera reconnu.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Le tour ell assez drôle.

NINON.

0   Mais c'est du loup-berger que vous jouez le rôle*

GOURVILE.

0   D'ailleurs, je fuis très-bien déjà dans la maison £
0   A la mère je dis toujours qu'elle a raison.
0   Je bois avec le père et chante avec la fille 5
0   Je deviens nécessaire à toute la famille.
0   Vous ne me blâmez pas l

NINON.

0   Pour ce dernier point ï non.

LISETTE.

0   Ma foi les jeunes gens ont souvent bien du bon.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.
Le jeune Gourvile, Gourvile l'aîné tenant un Livre, en habit noir, la perruque de travers ; l'habit mal boutonné.
ILs arrivent en continuant la conversation.

LE JEUNE GOURVILE.

0   N'es-tu donc pas honteux, en effet à ton âge
0   De vouloir devenir un grave personnage 2
0   Tu forces ton instinct par pure vanité,
0   Pour parvenir un jour à la stupidité.
0   Qui peut donc contre toi t'inspirer tant de haine1
0   Pour être malheureux tu prends bien de la peine.
0   Que dirais-tu d'un fou qui des pieds et des mains
0   Se plairait d'écraser les fleurs de ses jardins
0   De peur d'en savourer le parfum déledable ?
0   ciel a formé l'homme animal sociable.
0   Pourquoi nous fuir ? Pourquoi Ce refuser à tout ?
0   Etre sans amitié, sans plaisir et sans goût
0   C'est être un homme mort. Oh ! la plaisante gloire
0   Que de gâter ton vin de crainte de trop boire ! à
0   Comme te voilà fait ! Le teint jaune et l'oeil creux i
0   Penles-tu plaire au ciel en te rendant hideux ?
0   Au monde, en attendant sois très-sûr de déplaire.
0   La charmante Ninon qui nous tient lieu 4e mère j
0   Voit avec grand chagrin qu'en ta propre niaison
0   Loin d'elle et loin de moi tu languis en prison.
0   Est-ce monsieur Garant qui par son éloquence
0   Nourit de tes travers la lourde extravagance t
0   Allons, imite-moi, ronge à te réjouir ;
0   Je prétends malgré toi te donner du plaisir.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Vos propos Indécens, comme votre conduite
0   Me font pitié, Monsieur ; j'en prévois trop la suite
0   Vous ferez à-coup-sûr une mauvaise fin ,
0   Et je ne peux plus vivre avec un libertin.
0   De cette maison-ci je connais les scandales
0   Il en peut arriver des choses bien fatales.
0   Déja moniteur Garant m'en a trop averti ;
0   Je n'y veux plus relier; et j'ai pris mon parti. v

LE JEUNE GOURVILE.

0   Son accès le reprend.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Monsieur Garant, mon frère J
0   Que vous calomniez, est d'un tel caraftère
0   De probité.... d'honneur.... de vertu.... de.... 2

LE JEUNE GOURVILE.

0   Je voj
0   Que deja son beau style a passé jusqu'à toi.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Il met de tous côtés' la paix dans les familles
0   Et garde la vertu des garçons et des filles.
0   Respectez-le, Monsieur, ne pouvant l'imiter;
0   Allez, dans le beau monde, allez vous y jetter ?
0   Plongez-vous à loisir dans la sphere brillante
0   De ce monde effréné dont l'éclat vous enchante;
0   Moquez Moquez- vous plaiiàmment des hommes vertueux ;.
0   Nagez dans les plaisirs, dans ces plaisirs honteux
0   'Qui nous laissent dans Famé un vide épouvantable.. ..
0   Un vide.... un repentir.... un repentir durable.
0   Oui, je renonce au monde après cet entretien ,
0   Et je ne vivrai plus qu'avec des gens de bien ;
0   Où je vivrai tout seul, tout seul avec mes livres,
0   Loin de ces passions dont tant de coeurs sont ivres,
0   'Comme je vous l'ai dit. Et je préfère un trou,
0   3Un hermitage, un antre.

LE JEUNE GOURVILE, l'embrassant.

0   Adieu , mon pauvre fou.

Il sort.

SCÈNE II.

GOURVILE L'AÎNÉ, seul.

0   Je pleure sur fôn sort ; etje vois avèc peine
0   Que sa mauvaise tête à sa perte l'entraîne.

Il s'assied et ouvre un livre.

0   Qu'Epitèete a raison ! qu'il peint bien à mon sens
0   Les travers odieux de tous nos jeunes gens !
0   Qu'il enflamme mon coeur et qu'il le fortisie
0   Contre les passions qui tourmentent la vie !

Il lit.

0   C'efl bien dit ; oui, voilà le plan que je suivrai ;
0   Du sentier'des méchans je me retirerai ; J'éviterai le
0   jeu, la.table, les querelles,
0   Les vains amusemens, les spectacles, les belles.

Il se lève.

0   Quel plaisir noble et doux de haïr les plaisirs.
0   De se dire en secret me voilà sans desirs ! #
0   Je suis maître de moi, je suis bon, juste rage £
0   Et mon ame esl un roc au milieu de l'orage.
0   Je rougis quand je vois dans ce maudit logis
0   Ces conversàtions, ces soupers, ces amis.
0   Je souris de pitié de voir qu'on me préfère ;
0   Saris nul ménagement, mon étourdi de frère.
0   JI plaît à tout le monde, il est tout fait pour lui.
0   C'en est trop , pour jamais j'y renonce aujourd'hui.
0   Je conserve à Ninon de la reconnaissance ;
0   Elle eut soin de nous deux au sortir de l'enfance;
0   Et malgré les écarts elle a des sentimens
0   Qu'on eut pris pour vertu peut-être en d'autres tems.
0   Mais. ,.

Il se mord le doigt et fait une grimace effroyable.

SCÈNE III.
Gourvile l'aîné, Monsieur Garant.

MONSIEUR GARANT.

0   Eh bien,mon très-cher,mon très-prudent Gourvile
0   De tant d'iniquités allez-vous fuir l'asyle ?

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   J'y fuis très-résolu.

MONSIEUR GARANT.

0   Ce logis infecté
0   N'était point convenable à votre probité.
0   Sortez-en promptement.... Mais que voulez-vous sa.irg
0   De ces deux nulle écusde monsieur votre père *

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Tout ce qu'il vous plaira ; vous en disposerez.

MONSIEUR GARANT.

0   L'argent est inutile aux coeurs bien pénétrez
0   D'un vrai détachement des vanités du monde. i
0   Et votre indifférence en ce point est profonde ;
0   Je veux bien m'en charger ; je les ferai valoir,
0   Pour les pauvres s'entend.... Vous aurez le pouvoir
0   D'en répèter chez moi le tout ou bien partie,
0   Dès que vous en aurez la plus légère envie.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Ah ! que vous m'obligez. ! Je ne pourai jamais
0   Vous payer dignement le prix de vos bienfaits;

MONSIEUR GARANT.

0   Je peux avoir à vous d'autres sbmmes en caiffe
0   Eh eh !

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   L'on me l'a dit.... Mon Dieu, je vous les laissê
0   Vous voulez bien encor en être embarassé.

MONSIEUR GARANT.

0   Je mettrai tout ensemble.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Oui, c'est fort bien pensé

MONSIEUR GARANT.

0   Or ça ; Votre dessein de chercher domicile
0   est très-juste, et très-bon : mais il est inutile.
0   La maison est à vous ; gardez-vous d'en sortir ;
0   Et priez seulement Ninon d'en déguerpir.
0   Par mille éclats fâcheux la maison profanée
0   Quand vous y vivrez seul, sera purifiée, '-
0   Et je pourais bien même ^ y loger avec vous..

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Cet honneur me ferait bien utile et bien doux;
0   Mais je ne me sens pas Pame encor allez forte
0   Pour chasser une femme et la mettre à la porte;
0   C'est un acte pieux : mais l'honneur a ses droits
0   Et vous sâvez, monsieur, tout ce que je lui dois..
0   Pourai-je sans rougir dire à ma bienfaiftrice ,
0   Sortez de la maison, et rendez-vous justice.
0   Cela n'est-il pas dur ?

MONSIEUR GARANT.

0   Un tel ménagement '
0   Et bien louable en vous , et m'émeut puissamment
0   Ce scrupule d'abord a barré" mes idées;
0   Mais j'ai confidéré qu'elles sont bien sondées
0   Le désordre est trop grand. Votre propre danger
0   Ale faire sortir a dû vous engager.
0   Déjà plus d'une fois ici ma conscience
0   Sur elle et votre frère eût rompu le silence %.
0   Mais j'ai cru vous devoir quelque ménagement;
0   Je n'en puis plus garder sur ce déréglement.,

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Voilà donc la raison de cette préférence
0   Qu'on lui donnait sût moi.

MONSIEUR GARANT.

0   Sentez la conséquence.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Je n'aurais 'pu jamais la deviner sans vous.
0   Les vilains !... Grace au ciel je n'en suis point jaloux;
0   Je n'imaginais pas qu'un si grand fou dût plaire;

MONSIEUR GARANT.

0   Les fous plaisent par fois.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Ah ! j'çrt suis en colère
0   Pour la philosophie;

MONSIEUR GARANT.

0   Il faut premièrement
0   Détourner de nous tous ce scandale impudent ;
0   Mais avec l'air honnête, avec toute décence
0   Avec tous les déhors que veut la bienséance...
0   Pour bien faire... Écoutez... vendez-moi la maison
0   Ou bien passez-moi... là.... quelque donnation,
0   Un acte bien secret que je pourrai vous rendre.
0   Armé de cet écrit je puis tout entreprendre.
0   Je ne m'emparerai que de votre logis ,
0   Et Vous aurez vos droits sans être compromis;

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Cette idée est profonde. .. Il a rai (on. Les rages
0   Sur le reste du monde ont de grands avantages.
0   Je signerai demain.

MONSIEUR GARANT.

  Ce soir votre cadet
0   Reviendra Vous braver comme il a toujours fait.
0   Tout se moque de vous, laquais, cocher, servante i
0   Ils traitent la vertu de chose impertinente.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Que faut - il faire donc ?

MONSIEUR GARANT.

0   Toujours un Marguillier
0   A soin d'avoir en poche encre, plume et papier.
0   Pour la donnation deux lignes d'écriture
0   Suffiront ; il n'y faut que votre signature.
0   Voulez-vous mon genou ?

Il LeveIon genou.

0   G 0. U R VIL E (en écrivant. )
0   Je signe aveuglément
0   Et crois > n avoir jamais rien sait de si prudent..

MONSIEUR GARANT.

0   Je rédigerai tout dès ce soir par notaire.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Vous êtes, je le vois, très-aetifen affaire.

MONSIEUR GARANT.

0   Vous pouvez du logis sortir dès-à-présent

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Oui !

MONSIEUR GARANT.

0   Donnez-moi la clef de votre apartementi

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   La voilà;

MONSIEUR GARANT.

0   Sortez donc, allez chez ma cousine;

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Où, chez madame Aubert, notre chère voisine î

MONSIEUR GARANT.

0   Oui, nous ferons ensemble un dîner familier.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Très-Volontiers.

MONSIEUR GARANT.

0   Elle est la perle du quartier
0   Il est dans sa maison de doctes assemblées
0   Des conversations utiles et réglées.
0   Il y doit aujourd'hui venir quelques docteurs,
0   Des savants pleins de grec, de brillants orateurs,
0   Avec quelques abbés, gens de l'académie J
0   Tout pétris d'éloquence et de philosophie.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Et c'efl-là justement tout ce qu'il me fallait ;
0   Vous m'avez, découvert ce que mon coeur voulait.
0   Vous me faites pensèr ; vous êtes mon socrate,
0   Votre amitié, vos soins, vos conseils, tout me flatte ;
0   Me voilà dans mon centre.

MONSIEUR GARANT.

0   - On n'est jamais heureux
0   Qu'avec des gens sàvants, et sur-tout vertueux-
0   Chez ma couine Aubert, mon fils, allez vous rendre.
0   Je ne me ferai pas, je crois, longtems attendre,

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   J'y vais.

SCÈNE IV.
Ninon, Monsieur Garant, Gourvile l'aîné.

NINON, à Gourvile.

0   AH ah ! monsîeur, vous sortez donc enfin J
0   Vous vous humanisèz ! et votre noir chagrin
0   Cède au besoin qu'on a de vivre en compagnie.
0   Le plaisir sied très-bien à la philosophie.
0   La sôlitude accable et cause trop d'ennui.
0   Eh bien 1 où comptez-vous de dîner aujourd'hui 1

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Avec des gens de bien
0   Madame.

NINON.

0   Eh mais....j'espère.
0   Que ce n'est pas avec des fripons,

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Au contraire,

NINON.

0   Et vos convives sont ?

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Des docteurs très-savants.

NINON.

0   On en trouve, en effet, de fort honnêtes gens ;
0   Et chez qui la vertu n'offre rien que d'aimable.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   L'heure preste ; avec eux je vais me mettre à table;

NINON.

0   'Allez, c'est fort bien fait.

SCÈNE V.
Ninon, Monsieur Garant.

NINON.

0   Quelle mauvaise humeur
0   Il Lemble, en me parlant , qu'il foit rempli d'aigreur.
0   En savez-vous la cause ?

MONSIEUR GARANT.

0   , Eh oui, je suis sincère
0   La cause esi en effet.. ;. son méchant caractère,

NINON.

0   Je savais qu'il était et bizarre et pédant ;
0   Mais je ne croyais gas qu'g eut le coeur méchant.
0   M. GARANT.

MONSIEUR GARANT.

0   Allez je m'y connais : vous pouvez être sûre
0   Qu'il n'est point d'ame au fond plus ingrate, et plus dure

NINON.

0   Il est vrai qu'en effet, de mon petit présent
0   Il n'a pas daigné faire un seul remercîment.
0   Mais c'efl distraction, manque de savoir vivrez
0   Et pour l'instruire mieux, le monde esi un grand livrer

MONSIEUR GARANT.

0   Je vous dis que ton coeur est pour jamais gâté,
0   Endurci, gangrené, méchant.... au mal porté ,
0   Faux.... avec fausseté. Ses allures secrettes
0   Sombres..... ^ NINON riant.
0   Vous prodiguez assez les épithètes.

MONSIEUR GARANT.

0   il ne peut vous souffrir. Il vient de s'engage*
0   A vendre sa maisbn pour vous en déloger.

NINON.

0   La chosè est elle bien certaine et yous en riez.

MONSIEUR GARANT.

0   J'en suistémoin : j'ai vu cet effet de sa haine ;
0   J'en ai vu l'acte en forme au notaire porté.
0   C'estl'usage qu'il fait de sa majorité.
0   Quel homme 1

NINON.

0   Ce n'est rien : n'en soyez point en peine,
0   Cela s'ajuflera

MONSIEUR GARANT.

0   Craignez tout de sa haine.

NINON.

0   Ce mauvais procédé ne lui peut réussir.

MONSIEUR GARANT.

0   Pe cette ingratitude il faut le bien punir ;
0   Qu'il sorte de chez vous,

NINON.

0   Peut-être il le mérite;

MONSIEUR GARANT.

0   Pour moi je l'abandonne, et je le déshérite.
0   De les cent mille francs, il n'aura, ma foi, rienï *

NINON.

0   S'ils dépendent de vous, mon{ieur, je le cuis bien,

MONSIEUR GARANT.

0   Que nous sommes à plaindre ! un bon ami nous laisse
0   De ses deux chers enfans à guider la jeunesse ;
0   L'un esi un garnement, turbulant, effronté ,
0   Désespéré, perdu, dans le vice empâté.
0   L'autre est fourbe , perfide, ingrat, atrabilaire;
0   Dur ? Méchant, de tous deux il faudra nous défaire

NINON.

0   Me le conseillez-vous ?

MONSIEUR GARANT.

0   Ce doit être l'avis
0   De ,tous les gens d'honneur, $c de vos vrais amis.
0   Prenez un- parti sage... Écoutez. cette caissç
0   Dont vous avez tantôt fait si prompte largesse \
0   Etait-elle bien pleine autrefois l

NINON.

0   Jusqu'au bord
0   De notre ami défunt c'était le coffre fort.,
0   Vous le savez afïez.

MONSIEUR GARANT.

0   Selon que je calcule ?
0   Vous avez amasséjuflement, sans scrupules
0   Un bien considérable j une fortune (

NINON.

0   Non;
0   Mais mon bien mè suffit pour tenir ma maison:

MONSIEUR GARANT.

0   Des gens considétés, même en place importante ,
0   Sont liés avec vous d'une amitié consiante ;
0   Et si vous le vouliez vous pouriez quelque jour
0   Faire beaucoup dé bien vous produisant en cour.

NINON.

0   A la cour ! moi ? monsîëur, que le ciel m'en préserve*
0   Sij'ai quelques amis il faut avec réserve
0   Ménager leurs bontés, craindre d'importunier
0   Ne les point avertir de nous abandonner.
0   Pour garder ton crédit, monsieur, n'enusons guères.

MONSIEUR GARANT.

0   ïl le faut réserver pour les grandes affaires ;
0   l'our les grands coups, madame. Oui, vous avez raison
0   Et votre sentiment efl: ici nia leçon.
0   Je voudrais.... Je me sens embarasse, peut-être
0   Assez malà propos, plus que je ne dois l'être 5
0   Je voudrais revenir sur un certain discours
0   ^ Que vous avez eu l'air d'interrompretoujours %
0   Souffrez qu'enfin ici j'en fasse l'ouverture , 1
0   Pleine de confiance , et d'une amitié pure
0   Je vis honnêtement; mais avec plus d'argent
0   Je ferais plus de bien.

NINON.

0   Je le crois bonnement*

MONSIEUR GARANT.

0   Il nous faut un état. Vous êtes de mon âge
0   y Je fuis aussi du votre.

NINON.

0   Oui ; mais le mariage
0   Ne convient point du tout à mon humeur; je croi
0   Par cent bonnes raisons qu'il n'est pas fait pour moi
0   Pour changer, il faudrait qu'une très-grande aisance
0   Parûtà ma vieillesse assurer l'opulence.

MONSIEUR GARANT.

0   Eh je viens vous l'offrir ; de nos biens rassemblés
0   Loin de ces deux marmots du logis exilés,
0   Les deux cent mille francs croissant notre fortune
0   Entreraient de plein saut dans la malle commune.
0   Vous pouriez employer votre art persuasif
0   nous faire obtenir un polie lucratif.
0   Vous seriez dans le monde avec plus d'Ímportance-;
0   11 faut que le crédit augmente votre airance.
0   Et si vous le vouliez, j'aurais par ce canal
0   Un fortuné brevet de fermier général.
0   Nous ferions en secret mille bonnes affaires
0   Qui produiraient beaucoup en ne nous coutant guères;
0   Et votre rare esprit tout bas Ce moquerait
0   De tout le genre humain qui vous respecterait. . ï}
0   yous ne répondez rien.

NINON.

0   C'est que je considére
0   Avec maturité cette sublime affaire,...
0   Vous voulez m'épouser ?

MONSIEUR GARANT.

0   Sans doute : je voudrais
0   Payer de tout mon bien tant d'aimables attraits.
0   C'està quoi j'ai pensé des que mon fort prospère
0   De deux cent mille francs me nommalégataire.

NINON.

0   Vous m'aimez donc un peu ?

MONSIEUR GARANT.

0   , J'ai combattu longtems
0   Les inspirationsde ces desirs puissants.
0   Mais en les combinant avec justesse extrême J
0   En m'examinant bien , comptant avec moi-même ^
0   Calculant, rabatant, j'ai vu pour résultat
0   Qu'il est teins, tn effet, que vous changiez d'état.
0   Que nous nous convenons, et qu'un amour sincere J
0   Soutenu par le bien ne doit pas vous déplaire.

NINON.

0   Je ne m'attendaispas à cet excès d'honneur;
0   Peut-être on vous a dit qu'elle était mon humeur.
0   J'eus longtems pour l'hymen un peu de répugnance.,
0   Son joug effarouchait ma libre indépendance;
0   C'est un frein respectable : et si je l'avais pris
0   Croyez, que ses devoirs auraient été remplis.
0   Je fus dans ma jeunesseun tant soit peu légère.
0   Je n'avais pas alors le bonheur de vous plaire,

MONSIEUR GARANT.

0   Madame, croyez-moi, tout ce qui s'est passé
0   Fait peu d'impressionsur un esprit sensé ;
0   Ces bagatelles-là n'ont rien qui m'intimide J
0   Je vais droit à mon but, et je pense au solide.

NINON.

0   Eh bien, j'y pensè aussi ; vos offres à mes yeux
0   Présentent des objets qui font bien spécieux.
0   Il est vrai qu'on pourait m'imputer par envie
0   Je ne sais quoi d'injuste, et quelque hypocrisie.

MONSIEUR GARANT.

0   Eh mon Dieu, c'est par-là qu'on réussit souvent ;
0   Cette monnaie est fausTe ; elle a du cours pourtant:
0   Que me sont après tout les enfans de Gourvile
0   Rien que des étrangers à qui je fus utile*
0   Il faut l'être à nous seuls : et songer en effet
0   Que pour ces étrangers vous en avez trop fait,1

NINON.

0   J'admire vos rations, et j'en suis pénétrée

MONSIEUR GARANT.

0   Ah ! je me doutais bien que votre ame éclairée £
0   En sentirait la force et le vrai fondement
0   Lepoids

NINON.

0   Oui, tout cela me pèse infiniment;

MONSIEUR GARANT.

0   Vous vous rendez î

NINON.

0   Ce foir vous aurez ma réponse
0   Et devant toutle monde il faut que je l'annonce,

MONSIEUR GARANT.

0   Ah ! vbus me ravlssez. Je n'ai parlé d'abord
0   Que de vos intérêts qui me touchent si fort.
0   Mais si Vous connaissiez quel effet font vos charmes '
0   Vos beaux yeux , votre esprit ! quelles puissantes armesj
0   M'ont ôté pour jamais ma chère liberté ,
0   : De quel excès d'amour je me sens tourmenté *

NINON.

0   t
0   Mon Dieu, sinissez donc, vous me tournez la tëtei
0   Sortez.. «. n'abusez point de ma faible conquêtes
0   Mais revenez bientôt..... ?

MONSIEUR GARANT.

0   Vous n'en pouvez douter

NINON.

0   J'y compter.

MONSIEUR GARANT.

0   Sur mon coeur daignez toujourscompter..
0   Ne trouvez-vous pas bon que j'amene un notaire
0   Pour terminer plutôt cette divine affaire ?

NINON.

0   Un notaire ?... mais... i oui.... Vos desseins concertés;
0   Ne sauraient, à mon sens, être trop constates,

MONSIEUR GARANT.

0   Nos faits sont convenus l

NINON.

0   Oui-da.

MONSIEUR GARANT.

0   Notre fortune
0   Sera
0   j pajr la coutume, à tous les deux commune

NINON.

0   Plus Vous parlez, et plus mon coeur se sent lier

MONSIEUR GARANT.

0   x
0   belle. Ninon,
0   .

NINON.

0   Adieu, cher Marguillier

SCÈNE VI.

NINON, seule.

0   QUEL homme méprisable ! et quelle ame de boue^
0   Il ne s'aperçoit pas seulement qu'on le joue.
0   Enleveli qu'il est dans les desseins honteux
0   Il n'en peut discerner le ridicule affreuK.
0   J'ai vu de ces gens-là qui se croyaient habiles
0   Pour avoir quelque tems trompé des imbéciles 5
0   Dans leurs propres filets bientôt envelopés
0   Le monde avec plaiGr voit les.dupeurs dupés.
0   On peint l'amour aveugle : il peut l'être sans doute
0   Mais l'intérêt l'est plus, Couvent il ne voit goûte.
0   Vouloir toujours tromper efl un malheureux lot,
0   Qui, quoiqu'on puisse dire , un fripon n'est qu'un soi

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE.
Lisette, Picard.

LISETTE.

0   Eh bien, Picard, fais-tu la plaisante nouvelle ?

PICARD.

0   Je n'ai jamais rien (çu le premier. Quelle est-elle ?

LISETTE.

0   Notre maîtresse, enfin, s'en va prendre un mari

PICARD.

0   Oui-da ! j'en ai le coeur tout-à-fait réjoui.
0   'Ah ! c'est donc pour cela que madame est sortie !
0   C'est pour se marier ?... J'ai souvent même envie 5
0   Tu le sais : et je trois que nous devons tous deux
0   Suivre un si digne exemple. LISETTE.
0   Ah ! Picard, ces beaux noeuds
0   Sont faits pout les messieurs qui font dans l'opulence;
0   Peu de chose avec rien ne fait pas de l'ai fonce ;
0   Et nous tommes trop gueux, Picard, pour être unis.
0   Le mari de madame aujourd'hui m'a promis
0   De faire ma fortune. PICARD.
0   Est-il bien vrai Lisette ?

LISETTE.

0   gt je t'épouserai, dès qu'elle sera faite.

PICARD.

0   Bon ! attendons-nous y ? ... Quand le bien te viendra ^
0   D'autres amans viendront : tu me planteras-là.
0   Des filles de Paris je connais trop l'allure ;
0   Elles n'épousent point, Picard.

LISETTE.

0   Vas, je te jure
0   Que les honneurs chez moi ne changent point les nioeursj
0   Je t'aime, et je ne puis être contente ailleurs.

PICARD.

0   Allons ; il faudra donc se résoudre d'attendre.
0   Et quel est ce monsieur que madame va prendre ?

LISETTE.

0   La pesle ! c'est un homme extrêmement puissant
0   * Marguillier, receveur, ayant beaucoup d'argent
0   Sur Ion large visage on voit tout son mérite ;
0   Homme de bon conseil, et qui Couvent hérite
0   De gens qui ne font pas seulement ses parens.
0   Il a toujours , dit-on; vécu de ses talents ;
0   On le voit consulté dans toutes les familles.
0   Il peut faire aisément beaucoup de bien aux filles.
0   C'est ce moniteur Garant qui vient dans la maison.

PICARD.

0   Bon l'on m'a dit à moi qu'il est gueux et fripon^

LISETTE.

0   Mais quand cela serait ? Cétte friponnerie
0   N'empêche pas, je crois, qu'un homme se marie.
0   Il m'a promis beaucoup.

PICARD.

0   Plus qu'il ne te tiendra. 773
0   Quoi ! c'est lui qu'aujourd'hui madameéfoufera S

LISETTE.

0   Rien n'est plus vrai, Picard.

PICARD.

0   C'est lui que madame aime J .

LISETTE.

0   Je n'en saurais-douter.

PICARD.

0   Qui te l'a dit ? .

LISETTE.

0   Lui-même.
0   J'ai, de plus, entendu des mots de leurs discours ;
0   Picard, ils se juraient d'éternelles amôurs.
0   Poùr revenir bientôt ce monsieur l'a quittée ;
0   Et madame aussitôt en carosse est montée.

PICARD.

0   Mon Dieu ! comme en amour on va vite à présent *
0   Je ne l'aurais pas cru ; raport que j'ai souvent
0   Entendu ma maîtresse avec un beau langage
0   Se moquer en riant des loix du mariage.

LISETTE.

0   Tout change a^ec le tems; on ne rit pas toujours}
0   On devient sérieux au déclin des beaux jours.
0   La femme est un roseau que le moindre vent plie
0   Et bientôt il lui saut un soutien qui l'apuie.

PICARD.

0   A quand donc notre nôce ?

LISETTE.

0   Oh; nous attendrons bien
0   Que madame ait choisi Garant pour son soutien.

PICARD.

0   Mais que va devenir Gourvile avec son frère 5 LISETTE.
0   'Je pense que l'aîné va dans un monastère ;
0   L'autre sera, je crois, cornette ou lieutenant.
0   Chacun suit ton instinct ; tout s'arrange aisément

PICARD.

0   'Je ne sais ; mon instinct me dit que ces afaires
0   Ne s'arrangeront point ainsî que tu l'espères. LISETTE.
0   Pourquoi ? Pour en douter quelles raisons as-tu l PICARD.
0   Je n'ai point de raisons, moi : j'ai des yeux; j'ai vu
0   Que lorsqu'on veut aux gens assurer quelque chose,
0   On se trompe toujours ; je n'en sais point la cause.
0   'J'ai vu tant de messieurs qui , pour tes doux apas
0   Disaient qu'ils.reviendraient, et ne revenaient pas.

LISETTE.

0   Quoi f maroufle, insolent !

PICARD.

0   A ton tour , ma mignone
0   Jamais en promettant n'as-tu trompé personne l

LISETTE.

0   Hem ?

PICARD.

0   Ne te fâche point ; allons faire le lit
0   DeGourvile l'aîné tandis qu'il est sorti ;
0   Tenons la chambre propre ; allons, la nuit approcher

LISETTE.

0   Bon ! ce monsieur Garant a la clef dans sa poche,,

PICARD.

0   Diable ! il efl donc déja maître de la maisôn;,
0   Et ce grand mariage esi donc fait tout de bon ?, LISETTE.
0   Ne te l'ai-je pas dit! Madame avecmystère
0   A dit à son cocher..., cocher, chez. le notaires
0   Ils sont allez ligner.

PICARD.

0   Oui, je comprends très-bien
0   Que l'affaire en conclue ; et je n'en croyais rien.

LISETTE.

0   Un excellent souper, qu'un grand traiteur aprête;
0   Ce soir, de ces beaux noeuds doit célèbrer la fête j
0   Les amis du logis y seront invités.

PICARD.

0   Tant mieux; nous d'anferons. Plaisirs de tous côtés;
0   Mais que va devenir notre aîné de Gourvile?
0   Il était si pasé, si sage si tranquille ,
0   Lui-même se servant, n'exigeait rien de nous
0   Fort dévot, cependant d'un naturel très-doux;
0   Où donc est-il allé ?

LISETTE.

0   C'est chez notre voisine
0   Comme lui très-austère et de Garant cousine
0   On m'a dit qu'il y dine avec quelque docteurs

PICARD.

0   Oh c'efl un grand savant, il lit tous les auteurs;

SCÈNE II.
Lisette, Picard, Gourvile L'aîné.

LISETTE.

0   Gourvile vient ici.

PICARD.

0   Pour la noce peut-être.

LISETTE.

0   Ah ! comme il a l'air triste !

PICARD.

0   Oui, je crois reconnaître
0   Qu'il est bien affligé.

LISETTE.

0   Quelles contorsions ?

GOURVILE, dans le fond.

PICARD.

0   O ciel ! ô juste ciel !
0   C'efl des convulsions

GOURVILE.

0   Je voudrais être mort.

LISETTE.

0   V Il a des yeux funestes

PICARD.

0   C'esi d'un vrai possédé les regards et les gestes

Gourvile s'avance.

GOURVILE, s'assied.

0   Je ne puis me tenir. Ah ! Lisètte, écoutés
0   Mes fautes, mes malheurs et mes indignités.

Ils se mettent àses c6tés en allongeant le cou, en faisant des mines comiques.

PICARD.

0   Écoutons bien; LISETTE.

LISETTE.

0   Mon Dieu ? que ce début m'étonne ï

GOURVILE.

0   Voulant rester chez moi, monsieur Garant me donnes
0   Chez la discrete Aubert, rendez-vous à dîner
0   'Avec lui, me dit-il, il y doit amener
0   Bientôt quelques docteurs tous savans personnages J
0   Parfaits chez les parfaits, sàges entre les sages.
0   J'yxvais. Madame Aubert était encor au lit.
0   Monsieur Aubert tout seul près de moi s'établit ^
0   Me propese un tric-trac, en attendant la table.
0   J'avais pour tous les jeux une haine effroyable J J
0   Et cependant je joue.

LISETTE.

0   Eh bien , jusqu'à présent
0   3La chore efl très-commune, et le mal n'efl pas grand.

GOURVILE.

0   Je gagne, j'y prends goût. De partie en partie
0   > Je ne vois point venir la doete compagnie ;
0   La chance tourne alors. Enfin le sort fait tant
0   Qu'ayant perdu bientôt tout mon argent comptant > Je
0   redois mille écus encor sur ma parole.

LISETTE.

0   De ces petits chagrins un (âge le console.

GOURVILE.

0   Ah ! ce n'est rien encor.... Garant à son cousîn
0   Ecrit que les dodeurs ne viendront que demain
0   Et qu'il l'attend chez lui pour affaire pressante ;
0   Aubert me fait excuse, Aubert me complimenter
0   Il fort; je resle seul : je n'osais demeurer;
0   Et dans notre maison j'étais prêt à rentrer.
0   Madame Aubert paraît avec un air modeste J
0   Bien coëssée en cheveux, un déshabillé lesse ,
0   Un négligé brillant, mais qui paraît sans art.
0   On a dîné par-tout, me dit-elle, il est tard ;
0   'Je vous proposerais de dîner tête-à-tête ;
0   Mais je vous ennuierais. J'accepte cette fête.
0   Le repas était propre et très-bien ordonné
0   Elle avait d'un vin grec dont je me suis donnée

LISETTE.

0   Vous avez oublié votre philosbphie ?

GOURVILE.

0   Hélas ! oui. Ce vin grec l'a rendait plus jolie;
0   Madame Aubert tenait des propos enchanteurs
0   Que je n'ai jamais lus dans tous mes vieux auteufs;
0   Je l'écoutais parler, je l'a voyais sourire , ' '
0   Avec un agrément que l'on ne peut décrire.
0   Le poiton le plus doux dans mes veines glissait £
0   J'étais hors de moi-même ; elle s'attendrissait.
0   Nous nous attendrissons. Monsieur Aubert arrive.
0   Madame Aubert s'enfuit, a l'air d'être craintive,
0   Comme une femme enfin prise avec un amant :
0   Mo.i, neufen pareil cas, que faire en ce moment ?
0   Aubert efl un brutal; et craignant quelqu'esclandrej
0   J'ai pris, sans dire un mot, le patti de descendre
0   > Je sors, en maudissant les Auberts, les Garants
0   > Et donnant de bon coeur au diable les savants.
0   Ah ! Lisette, ah ! Picard, le, £ge esi peu d, chose

PICARD.

0   Qui, je le croirais bien;

LISETTE.

0   Quelle métamorphose

GOURVILE.

0   Après ce que je viens de faire et d'essuyer
0   Comment revoir jamais monsieur le Marguillier 1
0   Comment revoir madame ?

PICARD.

0   - Oh ! madame est très-bonne

LISETTE.

0   ^Toujours aux jeunes gens, monsîeur, elle pardonne

GOURVILE.

0   Comment revoir mon frère, après l'avoir traité
0   Avec tant de hauteur et de sévèrité ?

SCÈNE III.
Gourvile l'aîné, Gourvile le jeune ; Lisette, Picard.

LE JEUNE GOURVIL.

0   AH ! mon frère ah Lisette !

LISETTE.

0   Eh bien ?

LE JEUNE GOURVlLE, à Lisette.

0   Ma chère amie
0   Dans ce danger terrible aide-moi, je te prie.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Mon frère, je rougis, et je pleure à vos yeux.

LE JEUNE GOURVILE.

0   -Mon frère , pardonnez ce petit tour joyeux.

À Lisette, à part.

0   Lisette, écoute-moi ; la petite Sophie
0   Vient de fuir chez Madame, et je te la confie ;
0   Sous sa protection elle vient se placer,
0   Pour éviter l'hymen, où l'on veut la forcer ;
0   Mais surtout prends bien garde au moins qu'on ne la voie
0   Pour la faire sortir nous aurons une voie.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Ô ciel ! Madame Aubert serait dans la maison !
0   Elle a donc pris pour moi bien de la passionJ
0   Ah ! de grâce, oubliés ma sotise éfroyable.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Ah ! passez-moi ma faute, elle est très-excusable.
0   Lisette, à mon secours.

PICARD.

0   Eh, mon Diep ces gens-ci
0   Sont tous devenus fous, Qu'a-t-on dojic fait ici î

Lisette s'entretient avec Gourvile le jeune.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Est-ce une illusion ? est-ce un tour qu'on me joue 5
0   Quels docteurs j'ai trouvés je me tâte, et j'avoue
0   Que je fuis confondu, que je n'y comprends rien.
0   Lejeune GOURVILE (à Lisette, il luiparle à l'oreille
0   Picard garde la porte.... et toi.... tu m'entends bien.

LISETTE.

0   J'y vais ; comptez sur moi.

LE JEUNE GOURVILE, à Lisette.

0   Par ton seus savoir faire
0   Tu sauras amuser et le père et la mère.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Quoi J ses parens encor ont l'obflination
0   De me poursuivre ici pour réparation ?

LE JEUNE GOURVILE.

0   Hélas / j'en fuis honteux.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   C'est moi qui meurs de honte.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Mais elle échappera par une fuite prompte,
0   Et Lisette saura la mettre en sureté.
0   De grace, mon cher frère, ayez tant de bonté
0   Que de lui pardonner ce petit artifice.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Quel galimatias ?

LE JEUNE GOURVILE.

0   Ce n'était pas malice ,
0   C'est un trait de jeunesse au fond très-innocent;

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Vous êtes pour Madame Aubert bien indulgent !

LE JEUNE GOURVILE.

0   Quelle Madame Aubert ! Mon frère, je vous jures
0   Que nul dans ce quartier n'a su mon aventure.
0   Que dîteS-Vous ? je vois le contraire : comment ?
0   Lejeune GOURVILE.
0   II ne s'est rien passe qui ne fut très décent.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Ah ! vous êtes trop bon.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Toujours tendre et fidèle
0   Je cours la consoler, et je répondrai d'elle.

Il sort.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Mon frère est un bon coeur ; il oublie aisément ;
0   Mais de ce qu'il m'a dit pas un mot ne s'entend....
0   Quel est cet homme en robe ?

SCÈNE IV.
Gourvile l'aîné, l'Avocat Placet, en robe.

L'AVOCAT PLACET, toujours d'un ton empesé et se rengorgeant.

0   On m'a dit par la Ville
0   Que je dois m'adresser à Monsieur de Gourvile.
0   Des Gourviles l'aîné.

GOURVILE.

0   Très humble serviteurs

L'AVOCAT PLACET.

0   Tout prêt à vous servir.

GOURVILE.

0   C'est sans doute un docteur,
0   Que pour me consoler Monsieur Garant m'envoie.

L'AVOCAT PLACET.

0   Je suis doâeur en droit.

GOURVILE.

0   J'en ai bien de la joie.
0   Je les révère tous.

L'AVOCAT PLACET.

0   Au barreau du palais
0   Depuis deux ans je plaide avec quelque succès.

GOURVILE.

0   Contre le traître Aubert plaides donc, je vous prie ;*
0   Et vengez-moi, monsieur, de sa friponnerie.

L'AVOCAT PLACET.

0   Je ferai tout pour vous. Vous pouvez au parquet
0   Vous informer du nom de l'Avocat Placet.

GOURVILE.

0   Si vous voulez;, monsieur, vous charger de ma cause...

L'AVOCAT PLACET.

0   Vous devez être instruit.... GOURVILE.
0   En deux mots je l'expose,.. i

L'AVOCAT PLACET.

0   J'ai dès-Iongtems, en vue un établissement
0   Et j'avais demandé mademoiselle Armant.
0   Pour elle vous savez monsieur, quelle est ma flamme»

GOURVILE.

0   Non ; mais un Avocat fait bien de prendre femme '
0   Pour se désennuyer, quand il a travaillé;

L'AVOCAT PLACET.

0   Vous me privés d'icelle ; et vous m'avez baillé
0   Par vos productions bien de la tablature.

GOURVILE.

0   Qui ! moi, monsieur?

L'AVOCAT PLACET.

0   Vous même ;et votre procédure
0   Par madame sâ mère efl remisè en mes mains.
0   On a surpris, monsieur, vos papiers clandestins,
0   Vos missives d'amour et tous vos beaux mystères;
0   Colorés d'un vernis de maximes auflères,
0   'A nos yeux clair-voyans le poison s'est montre.

GOURVILE.

0   Je Tfux être pendu, je Veux être enterré'
0   Si j'ai jamais écrit à cette demoiCelle ;
0   Et si j'ai jamais eu le moindre goût pour elle;

L'AVOCAT PLACET.

0   On renia toujours,monsieur, les vilains cas;
0   Mademoiselle Armand ne vous ressemble pas 5,
0   Elle a tout avoué.

GOURVILE.

0   Quoi ?

L'AVOCAT PLACET.

0   Que votre éloquent
0   Avait voulu tromper sâ timide innocence.

GOURVILE.

0   Ah 1 c'est une coquine ; et je ferai serment
0   Que nul n'ell plus menteur que cette fille Armand.

L'AVOCAT PLACET.

0   Les sermons coutent peu, monsieur, aux hypocrites;
0   Et chez madame Aubert vos décrétés visites ,
0   dont pGar-OtouUt voRusVêteIsLacEcu.sé. .. .
0   Moi !

L'AVOCAT PLACET.

0   Vous T tout le quartier en est scandalisé.
0   On connaît les dangers de votre caractère. GOURVILE.
0   Juste ciel !

L'AVOCAT PLACET.

0   Poursuivons....Vous connaissez la mère?

GOURVILLE.

0   Qui donc ?

L'AVOCAT PLACET.

0   Madame Armand.

GOURVILLE.

0   Je rais qu'en ce logis
0   Elle vient quelquefois ; mais je vous avertis
0   Que je n'ai jamais eu la plus légère envie
0   D'elle, ni de sa sille ; et très-peu me soucie.
0   De la famille Armand.

L'AVOCAT PLACET.

0   Vous savez sur l'honneur
0   Combien elle est terrible, et quelle est ton humeur.

GOURVILLE.

0   'Je n'en sais rien du tout.

L'AVOCAT PLACET.

0   Au choix de ma personne
0   Juilement résôlue, à sa fille elle ordonne
0   De rompre tout commerce avec vous, et demain
0   D'être prête à l'autel pour recevoir ma main ;
0   Cet ordre positif l'a soudain décidée ;
0   Du logis maternel elle s'est évadée.
0   On dit qu'elle est chez vous; et je m'en doute bien;
0   Mon1ieur, il faut la rendre ; et ma femme est mon blen
0   Je vous rapporte ici vos lettres ridicules,
0   Où vous parlez toujours de vertus, de scrupules.
0   Rendez-moi sur le champ Ces petits billets doux.
0   Que tout ceci Ce passe en secret entre nous ;
0   Et ne me forcés point d'aller à l'audience
0   Faire rougir Messieurs de votre extravagance^

GOURVILLE.

0   Le diable vous emporte et vous et vos billets ;
0   Vous me feriez jurer.... Non, je ne vis jamais
0   Une si détestable et si lourde impofture.

L'AVOCAT PLACET, d'un ton ridicule de déclamation.

0   Vous êtes donc , monsieur, ravisseur et parjure ?

GOURVILLE.

0   Allez, vous êtes fou.

L'AVOCAT PLACET.

0   J'avais l'attention '
0   De ménager céans la réputation
0   De l'objet qùe mon coeur devinait à ma couche.
0   Mais, puisque vous niez, puisque rien ne vous touche 5
0   Que dans le crime enfin vous êtes endurci,
0   Adieu, monsieur ; bientôt vous me verrez ici ;
0   Je viendrai yous y prendre en bonne compagnie;
0   Les loix fayent punir ces excès d'infamie ;
0   vous verrez s'il est un plus énorme cas
0   Que d'oser se jouer aux femmes d'Avocats.

Il sort.

SCÈNE V.

GOURVILE, seul.

0   Qq E voilà pour m'inflruire une bonne journée !
0   J'étais charmé de moi. Ma sagesse obstinée
0   Se complaisait en elle ; et j'admirais mon voeu
0   \ De fuir l'amour, le vin, les querelles, le jeu.
0   {J'ai fort bien réussi ? je crois que mes betises
0   Des plus grands libertins égaleront les sottises ;
0   Je suis, sans avoir tort, de tout point confondu |
0   C'est-là payer l'amende, ayant été battu.
0   Un bavard d'Avocat dans cette conjoncture
0   Veut me persuader que j'ai pris sa future ;
0   Et me vient menacer d'un procès-criminel,
0   Garant peut me tirer de cet état cruel ;
0   Garant ne paraît point ; il me laisse, il emporte
0   'Jusqu'aux clefs de ma chambre , et j e reste à la porte;
0   N'osant, dans mes terreurs, ni fuir, ni demeurer.
0   0 sagesse ! à quel sort as-tu pu me livrer !
0   Voilà donc le beau fruit d'une étude profondel
0   Ah ! si j'avais appris à connaître le monde,
0   Je ne me verrais pas au point ou je me voi.
0   Mon libertin de frère est plus sage que moi.

SCÈNE VI.
Gourvile l'aîné, Picard.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   U i frape à coups pressés ? Quel bruit, quel tintarmare
0   fait-on donc la bas ? Est-ce un nouveau bagarç £
0   Ell-ce ce traître Aubert qui me vient harceler
0   Pour mille écus comptant qu'on m'a fait stipuler ?

PICARD, accourant.

0   Ah ! cachez-vous.

GOURVILE.

0   Quoi donc ?

PICARD.

0   Une mère afligée
0   Qui vient redemander une fille outragée.

GOURVILE.

0   La mère encor ? 0 ciel !...

PICARD.

0   Un mari pris de viii
0   Qui prétend boire ici du foir jusqu'au matin,
0   Et qui dit qu'il boira ju[qu'à ce qu'on lui rende ] '[
0   Sa belle et chère enfanc que sa femme demande.
0   Tout reteatit des cris de la dame en fureur ;
0   Ses regards seulement m'ont fait trembler de peur*
0   Et pour son premier mot elle m'a fait entendre
0   Qu'elle venait céans pour nous faire tous pendre*

GOURVILE.

0   Ah ! cela me manquait.

PICARD.

0   Quelques bonnets quarréç
0   Pour y mieux parvenir font avec elle entres..
0   Déjà l'on verbalise.

GOURVILE.

0   Eh bien, que faut-il faire £
0   Où fuir ? où me fourer ?

PICARD.

0   Venez, j'ai votre affaire ;
0   le m'en vais vous tapir au fond du galetas. GOURVILE.
0   Ah 1 j'y cours me jetter de la fenêtre en bas,

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE.
Le jeune Gourvile, Lisette.

LE JEUNE GOURVILE.

0   J'Y songe, j'y resonge, et tout cela, Lisette,
0   Me paraît impossible.

LISETTE.

0   Oui, mais la chose est faite;

LE JEUNE GOURVILE.

0   N'importe, mon enfant, qu'elle soit faite ou non ,
0   Ta maîtresse à ce point ne perd pas la raison.

LISETTE.

0   Bon ! et je la perds bien moi, monsieur, moi qui raiïonne
0   Pour ce petit Picard.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Picard pasle , ma bonne; ?
0   Mais pour Garant, l'objet de son aversion, "
0   Un fat, un plat bourgeois, un ennuyeux fripon.

LISETTE.

0   Ah ! la femme est si faible !

LE JEUNE GOURVILE.

0   Il est très-vrai, ma reine,
0   Vous passez volontiers de l'amour à la haine:
0   Des exemples frapans le montrent chaque jour, .
0   Mais vous ne passez point du mépris à l'amour.

LISETTE.

0   Tout ce qu'il vous plaira; mais j'ai quelques lumières;
0   J'en sais autant que vous sur ces grandes matières.
0   Un Auteur,grand ami de Madame Ninon,
0   Qui dans mon jeune tems fréquentait la maison ,
0   Et qui, même entre nous, eut du goût pour Lisette ^
0   , Me disait que la femme est comme la girouette :
0   ' Quand elle est neuve encor ,
0   à toute heure on l'entende
0   Elle brille aux regards,, elle tourne à tout vent,
0   Elle. se fixe enfin quand le tems l'a rouillée. ' '

LE JEUNE GOURVILE.

0   De sa comparaison j'ai l'ame émerveillée,
0   Fixe-toi point Picard, rouille-toi, mon enfant:
0   Ninon n'en fera rien pour notre ami Garant.

LISETTE.

0   La chose est pourtant sure.

LE JEUNE GOURVILE.

0   v
0   Ouais! Ninon marguillière!

LISETTE.

0   Croyez-le. .. , v

LE JEUNE GOURVILE.

0   Je le crois, et je ne le crois guères:,
0   f Mais on voit des marchés non moins extravagans
0   Et Paris est rempli de ces événemens.
0   Aujourd'hui l'on en rit, demain on les oublie , -
0   Tout passe et tout renaît j chaque jour sa folie.,,
0   Mais quel train , quel fracas, quel trouble elle verra
0   ( / Dans sa propre maison, lorsqu'elle y retiendra i
0   Comment sauver Armand, cette.fille.si chère ?
0   Que ferons-nous ici -de mon benet de frère ?
0   Et du Jurisconsulte, et ,de madame Armand?

LISETTE.

0   Ils ont déjà cherché dans chaque apartement
0   Ils n'ont pu déterrer la petite Sophie.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Au fond je suis fâché ,que mon espiéglerie
0   Ait à mon frère aîné causé tant de tourment Î
0   Mais il faut bien un peu décrasser unpédant
0   Ce sont ià desleçons pour un grand philosophe

LISETTE.

0   Oui, mais madame Armand paraît d'une autre:étofe.
0   Elle est à craindre ici.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Non tout s'apaisera;
0   Car ensin tout s'apaise * un cartaut susira
0   Pour faire oublier.tout au bon homme de père.
0   Et plus en ce moment (a femme est en colère,
0   Plus nous verrons bientôt s'adoucir son humeur.

SCÈNE II.
GOURVILE l'aîné poursuivi par Madame Armand, Monsieur Armand, l'Avocat Placet, le jeune Gourvile, Lisette, Picard.

GOURVILE L'AÎNÉ, courant.

0   Au secours!

MADAME ARMAND, courant après lui.

0   Au méchant!

MONSIEUR ARMAND, courant après madame Armand.

0   Qu'on l'arrête.

L'AVOCAT PLACET, courant après Monsieur Armand.

0   Au voleur.

Ils sont le tour du théâtre en poursuivant Gourvile l'aîné.

0   Ah ! j'ai le nez cassé t

MADAME ARMAND.

0   Je suis morte 5

MONSIEUR ARMAND.

0   Ah ! ma femme !
0   Es-tu morte en éfet ? *

MADAME ARMAND.

0   Non.... Séducteur infame
0   ^ Tu m'enlèves ma fille, impudent, loup-garou,
0   Et de la mère encoi tu viens casser le cou.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Eh madame, pardon !

MADAME ARMAND.

0   Détestable hipocrite.

L'AVOCAT PLACET.

0   Race de débauché. 4

MADAME ARMAND.

0   Coeur faux! plume maudite!
0   Tu me rendras ma fille, ou je t'étranglerai.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Kélas ! je la rendrai sitôt que je l'aurai.

MADAME ARMAND, au jeune Gourvile.

0   Tu m'insultes encor! ...Et toi qui fus si fage,
0   Parle, as-tu pu spufrir un pareil brigandage î

LE JEUNE GOURVILE.

0   Madame, calmez-vous.... Monsieur, écoutez-moi

MONSIEUR ARMAND.

0   Volontiers: tu parais un très-bon vivant toi?
0   Je t'ai toujours aimé.
0   Le jeune GOURVILE (en riant. )
0   Rassurez-vous, mon frère
0   Vous, monsieur l'Avocat, éclaircissons l'afaire;
0   Entendons-nous.

MONSIEUR ARMAND.

0   Parbleu, l'on ne peut mieux parler?
0   Il faut toujours s'entendre
0   ,
0   et non se quereller.
0   Le jeune GOURVILE.
0   Picard
0   , aportez-nous ici sur cette table
0   De ce bon vin muscat.

MONSIEUR ARMAND.

0   Il est fort agréable;
0   J'en boirai volontiers, en ayant bu déjà
0   Asseyons-nous, ma femme, et pesons tout cela.

Il s'assied auprès de la table.

MADAME ARMAND.

0   Je n'ai rien à peser : il faut que l'on commence
0   Par me rendre ma fille.

L'AVOCAT PLACET.

0   Oui, c'est la conséquence.

Ils se rangent autour de Monsieur Armand, qui reste assis.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Reprenez-la par-tout où vous la trouverez ;
0   Et que d'elle et de vous nous soyons délivrés.

MADAME ARMAND.

0   Eh bien, vous le voyez , encore il m'injurie,
0   L'éfronré dissolu!

LE JEUNE GOURVILE, à part à son frère.

0   Mon frère, je vous prie
0   Gardons-nous de heurter ses préjugés de front.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Non, je n'y puis tenir, tout ceci me confond.

LE JEUNE GOURVILE, prenant Madame Armand à part.

0   Madame, vous savez combien je suis sincère.

MONSIEUR ARMAND.

0   Il n'est point frelaté.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Je ne saurais vous taire,
0   Que depuis quelque temps mon cher frère en éfet
0   Eut avec votre fille un commerce secret.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Ça n'est pas vrai.

LE JEUNE GOURVILE, à son frère.

0   Paix donc; c'est un commerce honnête,
0   Pur, moral, instructif pour bien régler sa tête,
0   Pour éloigner son coeur d'un monde décevant,
0   Et pour la disposer a se mettre en couvent.

MONSIEUR ARMAND.

0   Mettre en couvent ma fille! oh le plaisant visages!

MADAME ARMAND.

0   C'est un impertinent.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Je vous dis...

LE JEUNE GOURVILE, faisant signe à son frère.

0   Chut !

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   J'enrage !

L'AVOCAT PLACET.

0   Cette excuse louable est d'un coeur fraternel ;
0   Mais, monteur, votre aîné n'est pas moins criminel.
0   Tenez, Monsieur, voilà ses missives infâmes,
0   Et ses instructions pour diriger les âmes.

Il tire des lettres de dessous sa robe.

LE JEUNE GOURVILE, prenant les lettres.

0   Prêtez-moi.

L'AVOCAT PLACET.

0   Les voilà.

LE JEUNE GOURVILE.

0   D'un esprit attentif
0   J'en veux voir la teneur et le dispositif.

L'AVOCAT PLACET.

0   Mais il faut me les rendre,

LE JEUNE GOURVILE.

0   Oui, mais je dois vous dire
0   Qu'avant de vous les rendre il me faudra les lire.

Il met les lettres dans sa poche , Madame Armand si jette dessus et en prend une.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Allez, ces lettres font d'un faussaire.

MADAME ARMAND, à Gourvile l'aîné.

0   Fripon,
0   Nieras-tu tes écrits ? tiens, voici tout du long
0   Tes beaux enseignemens dont ma fille se coefe ,
0   Les voici.

L'AVOCAT PLACET.

0   Nous devons les déposer au grèfe.

MADAME ARMAND, prenant des lunettes.

0   Écoute... La vertu que je veux vous montrer
0   Doit flaire à votre coeur, l'échauffer, l'éclairer.
0   Votre vertu m enchante et la mienne me guide..
0   Ah ! je te donnerai de la vertu ; perfide.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Je n'ai jamais écrit ces sotises.

LE JEUNE GOURVILE, versant à boire à Monsieur Armand.

0   Voisin..

MONSIEUR ARMAND.

0   De la vertu!

LE JEUNE GOURVILE.

0   Voyons celle de ce bon vin.

À Madame Armand.

0   Madame, goûtez-en.

MADAME ARMAND, ayant bu.

0   Peste ! il est admirable ! :

LE JEUNE GOURVILE, à Monsieur Armand.

0   Vous en aurez ce soir, mon cher, sur votre table.
0   On y porte un cartaut dont vous serez content.

MONSIEUR ARMAND.

0   Non, je n'ai jamais vu de plus honnête enfant.

LE JEUNE GOURVILE, à l'Avocat Placet.

0   Et vous î ; T

L'AVOCAT PLACET, boit un coup.

0   Il est fort bon ; mais vous ne pouvez croire
0   Qu'en l'état où je suis, je vienne ici pour boire.

LE JEUNE GOURVILE, en présente à son frère.

0   Vous, mon frère.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Ah ! Cessez vos ébats ennuyeux,
0   Plus vous paraissez gai, plus je suis sérieux.
0   Après tant de chagrins et de tracasserie ,
0   C'est une cruauté que la plaisanterie :
0   Dans ce jour de malheur, tout le quartier, je croi,
0   S'était donné le mot pour se moquer de moi.

À Madame Armand.

0   Ma voisine, à la fin, vous voilà bien instruite
0   Que si votre Sophie est par malheur en fuite ,
0   Ce n'était pas pour moi qu'elle a fait ce beau tour,
0   Ni vos yeux, ni les siens, ne m'ont donné d'amour.

MADAME ARMAND.

0   Mes yeux , méchant !

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Vos yeux. C'est une calomnie
0   Un mensonge effroyable inventé par l'envie.
0   Vous en raportez-vous au bon monsieur Garant?
0   Nous l'attendons ici de moment en moment.
0   Il connaît assez bien quelle est mon écriture
0   Et dans sa poche même il a ma signature.
0   Il a jusqu'à la clef de mon apartement,
0   Où lui-même a laissé tout mon argent comptant.
0   Il me rendra justice.

MADAME ARMAND.

0   Oh ! c'est un honnête homme l

L'AVOCAT PLACET.

0   Un grand homme de bien. ? -* 1

LE JEUNE GOURVILE.

0   Chacun ainsi le nommer

MADAME ARMAND.

0   Un homme franc, tout rond.

MONSIEUR ARMAND.

0   L'oracle du quartiers

LE JEUNE GOURVILE.

0   Madame, entre nous tous, je veux vous confier
0   Quelle est à ce sujet ma pensée.

MONSIEUR ARMAND, en buvant et le regardant ensuite fixement.

0   Oui, confie.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Je crois que c'est chez lui que la belle Sophie
0   A couru se cacher pour fuir votre courroux,
0   Et pour qu il 'la remit en grâce auprès de vous.
0   Dans tout le voisinage il prend foin des afaires
0   Très-charitablement des filles et des mères.

MADAME ARMAND.

0   Vraiment, l'avis est bon.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Mademoiselle Armand
0   A du coeur ; elle pense, et n'est plus un enfant ï
0   Vous l'avez soufletée, elle s'en est sentie
0   Un peu trop vivement, et puis elle est partie.

MONSIEUR ARMAND, toujours assis et le verre à la main.

0   C'est votre faute aussi, ma femme; et franchement,
0   Vous deviez avec elle agir moins durement,
0   Vous avez la main prompte, et vous êtes la cause
0   De tout notre malheur.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Mon Dieu, c'est peu de chose.
0   'Allez, tout ira bien,... J'entends Monsieur Garant,
0   Il revient, parlez-lui, mon frère, et promptement.
0   Sur tous les marguilliers on sait votre influence,
0   Déployez avec lui votre rare éloquence.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Que lui dire ?

LE JEUNE GOURVILE.

0   Vous seul pouvez persuader.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Persuader! eh quoi?

LE JEUNE GOURVILE.

0   Tout va s'accomoder.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Comment !

LE JEUNE GOURVILE.

0   Vous seul pouvez manier cette affaire;
0   Vous seul rendrez Sophie et sa charmante mère.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Moi !

MADAME ARMAND.

0   Va, si tu la rends, je te pardonne tout,

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Je n'entends rien...

LE JEUNE GOURVILE.

0   D'un mot vous en viendrez à bout.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Allons donc.

Il sort.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Vous mettrez la paix dans le ménage.

MONSIEUR ARMAND, en montrant le jeune Gourvile.

0   Ma femme, ce jeune homme est un esprit bien sage.

SCÈNE III.
Les acteurs précédents, Le Jeune Gourvile, prenant par la main Monsieur et Madame ARMAND et se mettant entreux.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Puisqu'il n'est plus ici, je puis avec candeur,
0   Madame, en liberté vous ouvrir tout mon coeur.
0   J'ai traité devant lui cette importante afaire
0   Comme peu dangereuse; et j'excusais mon frère.
0   Mais je dois avec vous faire réflexion
0   Que nous hasardons tous la réputation *.
0   D'une fille nubile, et sous vos yeux instruite,
0   Aa chemin de l'honneur par vos leçons conduite î
0   Ce chemin de l'honneur est tout-à-fait glissant t
0   Ceci fera du bruit, le monde est médisant.

MADAME ARMAND.

0   Et c'est ce que je crains.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Une fille enlevée,
0   Avec procès-verbal chez un homme trouvée f
0   Vous sentez bien, madame, et vous comprenez bien
0   Que de' tout le quartier ce fera l'entretien
0   Qu'il en faut prévenir la triste conséquence.

MONSIEUR ARMAND.

0   Par ma.foi ce jeune homme est rempli de prudence.

LE JEUNE GOURVILE.

0   J'ai fort à coeur aussi, dans ce fâcheux éclata
0   Le propre honneur lésé de monsieur l'avocat.
0   Que pensera tout l'ordre en voyant un confiera
0   Qui prend, sans respecter son grave caractère,
0   Une fille à ses yeux enlevée aujourd'hui,
0   Dont un autre est aimé ; si ! j'en rougis pour lut.

L'AVOCAT PLACET.

0   Mais, Monsieur, c'est moi seul que cette affaire touche.
0   On me donne une dot qui doit fermer la bouche
0   Aux malins envieux prêts à tour censurer.
0   Dix mille écus comptant font k considérer.

MONSIEUR ARMAND, toujours bien fixe, et l'air un peu hébété d'un buveur honnête, mais non pas d'un vilain ivrogne de comédie à hoquets.

0   Vous avez de gros biens ?

L'AVOCAT PLACET.

0   Oui, j'ai mon éloquence
0   Mon étude, ma voix, les plaideurs, l'audience.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Madame, je vous plains; j'avoue ingénument
0   Qu'on devait respecter un tel engagement.
0   Mon frère a fait sans doute une grande sotise
0   D'enlever la future à ce futur promise.
0   Il n'en peut résulter qu'une triste union,
0   Pleine de jalousie et de dissension.
0   Les deux futurs ensemble à peine pourraient vivre.

MADAME ARMAND.

0   J'en ai peur en éfet.

MONSIEUR ARMAND.

0   Il parle... comme un livre,
0   Il a toujours raison.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Par un destin fatal,
0   Vous voyez que mon frère a seul fait tout le mal.
0   C'est votre propre sang, c'est l'honneur qu'il vous ôte-
0   Madame, c'est à moi de réparer sa faute.
0   Pouf Sophie, il est vrai je n'eus aucun désir,
0   Mais je l'épouserai pour vous faire plaisir*

MONSIEUR ARMAND.

0   Parbleu, je le voudrais.

L'AVOCAT PLACET.

0   Moi, non.

MADAME ARMAND.

0   Quelle folie e
0   Tu n-as rien. Un cadet de basse Normandie
0   Est plus riche que toi.

LE JEUNE GOURVILE.

0   D'aujourd'hui seulement
0   Notre belle Ninon m'a fait voir clairement
0   Que j'ai cent mille francs que m'a laisses mon père
0   Monsieur Garant lui-même en est déposttaire.

MADAME ARMAND.

0   Cent mille francs ! grand Dieu !

MONSIEUR ARMAND.

0   Ma foi, j'en suis charmer

LE JEUNE GOURVILE.

0   De Sophie, il est vrai, je ne suis point aimé ?
0   Mais je suis à sa mère attaché pour ma vie,
0   Et ce n'est que pour vous que je me sacrifie.

MADAME ARMAND.

0   Et la Tomme, mon fils, est chez monsieur Garant ?

LE JEUNE GOURVILE.

0   Sans doute. Il en convient.

L'AVOCAT PLACET.

0   J'en doute fortement;

MADAME ARMAND, à Monsieur Armand.

0   Cent mille francs, mon cher !

MONSIEUR ARMAND.

0   Cent mille francs, ma femmeî
0   Bon! bon!

MADAME ARMAND.

0   Ce bonheur va jusqu'au fond de mon ame.
0   Cent mille francs, mon fils !

LE JEUNE GOURVILE.

0   J'ai quelque chose avec.

MONSIEUR ARMAND.

0   Il est plein de mérite, et d'ailleurs il boit sec.

L'AVOCAT PLACET.

0   Mais songez s'il vous plaît.

MONSIEUR ARMAND.

0   Tais-toi; je vais le prendre
0   Dès ce même moment à ton nez pour mon gendre.

L'AVOCAT PLACET.

0   Comment, Madame, après des articles conclus !
0   Stipulés par vous-même !

MADAME ARMAND.

0   Ils ne le seront plus.

Elle le pousse.

0   Cent mille francs.... Allez.

MONSIEUR ARMAND, le poussant d'un autre côté.

0   Dénichez au plus vite.

MADAME ARMAND, lui faisant faire la pirouette à droite.

0   Allez plaider ailleurs.

MONSIEUR ARMAND, lui faisant faire la pirouette à gauche.

0   Cherchez un autre gîte.
0   Cent mille francs !

L'AVOCAT PLACET.

0   Je vais vous faire assigner tous.

LE JEUNE GOURVILE, en le retournant.

0   N'y manquez pas.

MONSIEUR ARMAND.

0   Bonsoir.

MADAME ARMAND.

0   Allons, arrangeons-nous.

L'avocat Placet sort.

SCÈNE IV.
Le Jeune Gourvile, Monsieur Armand, Madame Armand.

MONSIEUR ARMAND.

0   Mais, que n'as-tu plutôt expliqué ton afaire î
0   Pouquoi de ta fortune as-tu fait un mistère ??

LE JEUNE GOURVILE.

0   Ce n'est que d'aujourd'hui que je suis assuré,
0   Monsieur Garant m'a dit que ce dépôt sacré
0   Était entre ses mains.

MONSIEUR ARMAND.

0   C'est comme dans les tiennes.

MADAME ARMAND.

0   Tout de même, et ma fille ! asin que tu la tiennes,
0   Il faut que je la trouve.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Oh ! L'on vous la rendra.

MONSIEUR ARMAND.

0   Elle ne revient point, donc elle reviendra.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Ne la menacez plus, madame, je vous prie
0   Cela cabre un esprit.

MONSIEUR ARMAND.

0   Ça peut l'avoir aigrie.

MADAME ARMAND.

0   Ça n'arrivera plus, c'est chez l'ami Garant
0   Que tu la crois cachée ?

LE JEUNE GOURVILE.

0   Oui, très-certainement.
0   Et je vais de ce pas tout préparer, ma mère
0   Pour remettre en vos bras une fille si chère.

Il fait un pas pour sortir.

MADAME ARMAND, l'embrassant.

0   Il faut que je t'embrasse.

MONSIEUR ARMAND.

0   Oui, j'en veux faire autant.

MADAME ARMAND.

0   Reviens bien vîte au moins.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Je revole à l'instant.

MADAME ARMAND, l'arrêtant encore.

0   Écoute encor un peu, mon cher ami, mon gendre»
0   En famille avec toi quels plaisirs je vais prendre !
0   Je ne puis te quitter... va mon fils... fois certain
0   Que ma fille est ta femme.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Oui, tel fut mon dessein,

MADAME ARMAND.

0   Tu réponds d'elle?

LE JEUNE GOURVILE, en s'en allant.

0   Oh oui. tout comme de moi-même.

MADAME ARMAND.

0   Quel bon ami j'ai là ! Mon Dieu, comme je l'aime i

SCÈNE V.
Monsieur Armand, Madame Armand.

MONSIEUR ARMAND.

0   Par ma foi notre gendre est un charmant garçon.

MADAME ARMAND.

0   Oh ! C'est bien élevé. La voisine Ninon
0   Vous a formé cela! c'est une dégourdie
0   Qui sait bien mieux que nous ce que c'est que la vie,
0   Un grand esprit.

MONSIEUR ARMAND.

0   Ah ! ah !

MADAME ARMAND.

0   Je voudrais l'égaler,
0   Mais sitôt qu'elle parle, on n'ose plus parler.

MONSIEUR ARMAND.

0   On dit qu'elle entend tout, et même les afaires.
0   Une bonne caboche l '

MADAME ARMAND.

0   On dit que les deux frères
0   Lui doivent ce qu'ils sont : comment cent mille francs 1
0   L'avocat n'aurait pu les gagner en trente ans,
0   Ce n'est rien qu'un bavard.

MONSIEUR ARMAND.

0   Un pédant imbécile,
0   Fait pour rincer au plus les verres de Gourvile.

SCÈNE VI.
Monsieur Armand, Madame Armand, Monsieur Garant.

MADAME ARMAND.

0   He bien, monsîeur Garant, enfin tout est conclu.

MONSIEUR GARAND.

0   Oui, ma chère voisine, et le ciel l'a voulu.

MONSIEUR ARMAND.

0   Quel bonheur !

MONSIEUR GARAND.

0   Il est vrai qu'on a sur si conduite
0   Glose bien fortement ; mais l'hymen par la suite
0   Vous passe un beau vernis sur ces péchés mignons.

MADAME ARMAND.

0   L'escapade , Monsieur, que nous lui reprochons,
0   Ne peut se mettre au rang des fautes criminelles;

MONSIEUR GARAND.

0   La réputation revient d'ailleurs aux belles,
0   Ainu que les cheveux : et puis considérons
0   Qu'elle a bien du crédit, des amis, des patrons ;
0   Et qu'outre sa richesse à tous les deux commune 4
0   Elle pourra me faire une grande fortune.

MADAME ARMAND.

0   Une fortune, à vous !

MONSIEUR GARAND.

0   Je suis tout interdit,
0   Ma fille, de grands biens ! des patrons, du crédit î
0   Quels discours !

MADAME ARMAND.

0   Il est vrai qu'elle est allez gentille ;
0   Mais du crédit !

MONSIEUR GARAND.

0   ' Qui parle ici de votre fille t

MADAME ARMAND.

0   De qui donc parlez-vous ï

MONSIEUR GARAND.

0   De la belle Ninon
0   Que j'épouse ce soir, ici, dans sa maison j
0   Je vous prie de la nôce, et vous devez en être.

MADAME ARMAND.

0   Comment ! vous épousez notre Ninon ?

MONSIEUR GARAND.

0   Mon maître,
0   Est-il bien vrai?.

MONSIEUR GARAND.

0   Très vrai.

MONSIEUR ARMAND.

0   J'en suis parbleu touché.
0   Vcus ne pouriez jamais faire un meilleur marché.

MADAME ARMAND.

0   Et moi je vous disais que je donne Sophie
0   1 A mon petit Gourvile, et qu'elle s'est blotie"
0   Chez vous, en votre absence, et qu'elle en va sortir
0   Pour serrer ces doux noeuds que je viens d'assortir,
0   Et qu'il nous faut donner, pour aider leur tendresse,
0   Cent mille francs comptant que vous avez en caisse.

MONSIEUR ARMAND.

0   Oui, tant qu'il vous plaira, mariez-vous ici;
0   Mais parbleu, permettez qu'on se marie aussi,

MONSIEUR GARAND.

0   Rêvez-vous,mes voisins? et ce petit délire
0   Vous prend-il quelquefois? qui diable a pu vous dire
0   Que Sophie est chez moi, que Gourvile aujourd'hui J
0   Aura cent mille francs, qui sont tout prêts pour lui?

MADAME ARMAND.

0   Je le tiens de bouche.

MONSIEUR ARMAND.

0   Il nous l'a dit lui-même.

MONSIEUR GARAND.

0   De ce jeune étourdi la felie est extrême. " -
0   Il séduit tour-à-tour les .filles du Marais. - £
0   Il leur fait des serments d'épouser leurs attraits.
0   Et, pour les mieux tromper, il fait accroire aux mères
0   Qu'il a cent mille francs placés dans mes affaires.
0   Il n'en est pas un mot, et je ne lui dois rien.
0   Monsieur son frère et. lui sont tous les deux sans bien
0   Et tous deux au logis cesseront de paraître ;
0   Dès le premier moment que j'en serai le maître.

MADAME ARMAND.

0   Vous n'avez pas à lui le moindre argent comptant J

MONSIEUR GARAND.

0   Pas un denier.

MADAME ARMAND.

0   Mon Dieu, le méchant garnement?

MONSIEUR ARMAND, en buvant un coup.

0   C'est dommage.

MADAME ARMAND.

0   Ma fille, à mes bras enlevée ,
0   Après dîné chez vous ne s'était pas sauvée î

MONSIEUR GARAND.

0   Il n'en est pas un mot.

MADAME ARMAND.

0   Les deux frères, je voir
0   D'acord pour m'outrager, s'entendent contre moi.
0   M. ARMAND.
0   Les fripons que voilà !

MONSIEUR GARAND.

0   Toujours de ces deux frères
0   J'ai craint, je l'avouerai, les méchants caractères.

MADAME ARMAND.

0   Tous deux m'ont pris ma fille ! Ah ! ! j'en aurai raison;
0   Et je mettrai plutôt le feu dans la maison.

MONSIEUR GARAND.

0   La maison m'appartient, gardez-vous-en, ma bonne.

MADAME ARMAND.

0   Quoi donc, pour épouser nous n'aurons plus personnes
0   Allons, courons bien vite après notre avocat,
0   Il vaudra mieux que rien.

MONSIEUR ARMAND, avec le geste d'un homme.

0   Ma femme, il est bien plat.

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE.
Ninon, Lisette.

LISETTE.

0   Ah madame, quel train, quel bruit en votre absence !
0   Quel tumulte effroyable et quelle extravagance !

NINON.

0   Je sais ce qu'on a fait ; je prétends calmer tout;
0   Et j'ai pris les devants pour en venir à bout.

LISETTE.

0   Madame, contre moi ne soyez point fâchée
0   Que la petite Armand se toit ici cachée :
0   Hélas! j'en aurais fait de bon coeur tout autant,
0   Si j'avais eu pour mère une madame Armand.
0   Comment ! Battre la fille ! Ah ! c'est une infamie.

NINON.

0   Oui, ce trait ne sent pas la bonne compagnie.
0   Notre pauvre Gourvile en est encor ému.

LISETTE.

0   Il l'adore en effet.

NINON.

0   Lisette, que veux-tu ?
0   Il faut pour la jeunesse être un peu complaisante.
0   Ninon aurait grand tort de faire la méchante.
0   La jeune Armand me touche.

LISETTE.

0   À peine je conçois
0   Comment nos plats voisins, avec leur air bourgeois,
0   Ont trouvé le secret de nous faire une fille
0   Si pleine d'agréments, si douce, si gentille.

NINON.

0   Dès la première fois son maintien me surprit.
0   Sa grâce me charma, j'aimai son tour d'esprit.
0   Des femmes quelquefois assez extravagantes,
0   Ayant de sots maris, font des filles charmantes.
0   11 salut bien soufrir de ses très-sots parens
0   La visite importune et les plats complimens.
0   Sa mère m'excéda par droit de voisinage ;
0   Sa sille était toute autre, elle obtint mon sufrage.
0   Elle aura quelque bien : Gourvile, en l'épousant,
0   N'est point forcé de vivre avec madame Armand.
0   On respecte beaucoup sa chère belle-mère
0   , On la voit rarement, encor moins le beau-père.
0   Je me trompe, ou Sophie est bonne par le coeur.
0   Point de coquéterie, elle aime avec candeur.
0   Je veux aux deux amans faire des avantages. LISETTE.
0   Vous allez donc ce soir bâcler trois mariages,
0   Celui de ces enfans, le vôtre et puis le mien.
0   Madame-, en un seul jour c'est faire assez de bien ;
0   Il faudrait tout d'un tems, dans votre zèle extrême,
0   Pour notre aîné Gourvile en faire un quatrième.
0   Le mariage forme et dégourdit les gens. NINON.
0   Il en a grand besoin : tout vient avec le tems.
0   Dans la rage qu'il eut d'être trop raisonnable
0   , Il ne lui manqua rien que d'être suportable :
0   Mais les fortes leçons qu'il vient de recevoir
0   Sur cet esprit flexible ont eu quelque pouvoir :
0   Pour toi ton tour aproche, et ton afaire est prête.
0   Mon cher ami Garant s'était mis dans la tête
0   De t'engager, Lisette, à me parler pour lui.
0   Il t'a promis beaucoLupI,SestE-ilTvraTi ? E.- v
0   Madame, oui.

NINON.

0   Un peu de diférence est entre sa personne
0   Et la mienne peut-être; il promet et je donne,
0   Prens cinquante louis, pour subvenir aux frais
0   De ton nouveau ménage.

SCÈNE II.
Ninon, Lisette, Picard.

[NINON].

0   AH ! Picard, quels bienfaits!

En montrant la bourse.

0   Vois-tu cela ?

PICARD.

0   Madame, il faut d'abord vous dire
0   Que mon bonheur est grand... et que je ne désire
0   Rien plus... sinon qu'il dure... et que Lisette et moi
0   Nous sommes obligés... mais, aide-moi donc, toi,
0   Je ne sais point parler.

NINON.

0   J'aime ton éloquence ,
0   Picard, et je me plais à ta reconnaissance.

PICARD.

0   Ah ! Madame, à vos pieds ici nous devons tous...

NINON.

0   Nous devons rendre, heureux quiconque est près de nous,
0   Pour ceux qui sont trop loin , ce n'est pas notre affaire.
0   Ça, notre ami Picard, il faut ne me rien taire
0   De ce qu'on fait chez moi, tandis qu'en liberté
0   J'ai choisi loin du bruit cet endroit écarté.

PICARD.

0   D'abord un homme noir raisonne et gesticule
0   Avec monsieur Garant ; et les mots de scrupule ,
0   De probité, d'honneur, de raisons, de devoirs,
0   M'ont saisi de respect pour ces deux manteaux noirs.
0   L'un dicte, l'autre écrit, disant qu'il instrumente
0   Pour le faire bien riche, et vous rendre contente i
0   Et qu'il fait un contrat.

NINON.

0   Oui, c'est l'intention
0   De ce monsieur Garant si plein d'afettion.

PICARD.

0   C'est un digne homme !

[NINON].

0   Oh oui... mais dis-moi, je te prie ï
0   Que fait madame Armand ?

PICARD.

0   Mais madame, elle crie,
0   Elle gronde vos gens, meilleurs Gourvile et moi,
0   Son mari, tout le monde, et dit qu'on est sans foi :
0   Et dit qu'on l'a trompée et que sa fille est prise :
0   Et dit qu'il faudra bien que quelqu'un l'indemnise.
0   Et puis elle s'apaise et convient qu'elle a tort.
0   Puis dit qu'elle a raison, et crie encore plus fort.

NINON.

0   Et monsieur sôn époux ?

PICARD.

0   En véritable sage,
0   Il voit sans sourciller tout ce remu-ménage ;
0   Et pour fuir les chagrins qui pouraient l'occupet
0   » Il s'amusait à boire atendant le souper.

NINON.

0   Que fait notre Gourvile ?

PICARD.

0   En son humeur plaisante
0   J1 les amuse tous, et boit, et rit, et chante. NINON.
0   Et l'autre frère ?

PICARD.

0   Il pleure.

NINON.

0   Ah! j'aime à voir les gens,
0   Dans leur vrai caractère à nos yeux sc montrant,
0   Monsieur le marguillier est bien le seul peut-être
0   Qui voudrait dans le fond qu'on put le méconnaître.
0   Malgré sa modestie on le découvre assez : ... Ah! voici
0   notre aîné qui vient les yeux baissés.

SCÈNE III.
Ninon, Gourvile l'aîné, Lisette, Picard.

GOURVILE L'AÎNÉ, vêtu plus régulièrement, mieux coiffé, et l'air plus honnête.

0   Vous me voyez, madame, après d'étranges crises ;
0   Bien sot et bien confus de toutes mes bêtises;
0   Je ne mérite pas votre excès de bonté,
0   Dont tout en plaisantant mon frère m'a flâté.
0   Hélas! j'avois voulu dans ma mélancolie,
0   Et dans les visions de ma sombre folie
0   Me réparer de vous, et donner la maison
0   Que vos propres bienfaits ont mise sous mon nom. NINON.
0   Tout est racomodé. J'avois pris mes mesures, t
0   Tout va bien. 1

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Vous pourriez pardonner tant d'injures !
0   J'étais coupable et sot.

NINON.

0   Ah ! vos yeux sont ouverts.
0   Vous démêlez enfin ces esprits de travers,
0   Ces cagots insolents, ces sombres rigoristes
0   Qui pensent être bons quand ils ne sont que trilles ;
0   Allez, les gens du monde ont cent fois plus 4e sens.
0   D'honneur et de vertu , comme plus d'agrémens.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Vous en êtes la preuve.

NINON.

0   Ainu la politesse
0   Déjà dans votre esprit succède à la rudesse.
0   Je vous vois dans le train de la conversion.
0   Vous deviendrez aimable, et j'en fuis caution.'
0   Mais comment trouvez-vous ce grave personnage
0   Que mon bizare sort me donne en mariage l

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Il ne m'apartient plus d'avoir un sentiment.
0   Tout ce que vous ferez sera fait prudemment;

NINON.

0   Blâmeriez-vous tout bas une union si chère ?

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Je n'ose plus blâmer ; mais quand je considère
0   Que pour vous séparer, pour m'entraîner ailleurs,
0   Il vous a peinte à moi des plus noires couleurs,
0   Qu'il voulait vous chasser de votre maison même.....

NINON.

0   Oh ! c'était par vertu : dans le fond Garant m'aime ,
0   Il ne veut que mon bien : c'est un homme excellent;
0   Mais ne lui donnez plus la clef de votre argent.
0   Et sur-tout gardez-vous un peu de ses cousines.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   'Ah! que ces prudes-là font de grandes coquinesl
0   ... Quel antre de voleurs ! et cependant enfin
0   Vous allez donc, madame, épouser le cousin !

NINON.

0   Reposez-vous sur moi de ce que je vais faire;
0   Allez, croyez sur-tout qu'il était nécessaire
0   Que j'en agisse ainsi pour sauver votre bien ;
0   Un seul moment plus tard vous n'aviez jamais rien.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Comment ?

NINON.

0   Vous aprendrez par des faits admirables
0   De quoi les marguilliers font quelquefois capables.
0   Vous ferez convaincu, bientôt, comme je croi,
0   Que ces hommes de bien font: diférens de moi-
0   Vous y renoncerez pour toute votre vie,
0   Et vous préférerez la bonne compagnie.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Je ne replique point. Honteux, désespéré
0   Des sauvages erreurs dont j'étais enivre,
0   Je vous fais de mon fort la souveraine arbitre.
0   Et dépendant de vous, je veux vivre a ce titre.

SCÈNE IV.
Ninon, Gourvile l'aîné, Gourvile le jeune, amenant Monsieur et Madame Armand, Lisette, Picard.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Adorable Ninon, daignez tranquiliser
0   Notre madame Armand qu'on ne peut apaiser;

MONSIEUR ARMAND.

0   Eile a tort.

MADAME ARMAND.

0   Oui, j'ai tort quand ma fille est perdue ;
0   Qu'on ne me la rend point !

LE JEUNE GOURVILE.

0   Eh mon Dieu, je me tue
0   De vous dire cent fois qu'elle est en fûreté.

MADAME ARMAND.

0   Est-ce donc ce benêt, ou toi jeune éventé,
0   Qui ma pris ma Sophie ?

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Hélas ! Soyez très sûre
0   Que je n'y prétends rien.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Eh bien moi, je vous j^ure
0   Que j'y prétends beaucoup.

MADAME ARMAND.

0   Va, tu n'es qu'un vaurien;
0   Un fort mauvais plaisent, sans un écu de bien.
0   J'avais un avocat dont j'étais fort contente,
0   Je prétens qu'il revienne et veux qu'il instrumente
0   Contre toi pour ma fille, et tes cent mille francs
0   Ne me tromperont pas, mon ami, plus longtemps.
0   Ni vous non plus, madame.

NINON.

0   Écou ez-moi, de grace
0   Soufrez sans vous fâcher que je vous satisfasse.

MADAME ARMAND.

0   Ali ! roufrez que je crie ; et quand j'aurai crié,
0   Je veux crier encor.

MONSIEUR ARMAND.

0   Eh, tais-toi, ma moitié.
0   Madame Ninon parle ; écoutons sans rien dire.

NINON.

0   Mes bons, mes chers voisins, daignez d'abord m'instruire,
0   Si c'est votre intérêt et votre volonté
0   De donner votre fille et la propriété
0   A mon jeune Gouryile, en cas que par mon compte
0   A cent bons mille francs sa fortune sa monte ?

MONSIEUR ARMAND.

0   Oui parbleu ma voisine.

NINON.

0   Eh bien , je vous promets
0   Qu'il aura cettè somme.

MADAME ARMAND.

0   Ah ! cela va bien.... Mais
0   Pour finir ce marché que de grand coeur j'aprouve ,
0   Pour marier Sophie il faut qu'on la retïouve,
0   On ne peut rien sans elle.

NINON.

0   Eh bien, je veux encoç
0   M'engager avec vous à rendre ce trésor.

MONSIEUR ET MADAME ARMAND.

0   Ah !

NINON.

0   Mais auparavant, je me flate, j'espère
0   Que vous me laisserez finir ma grande afaire
0   Avec le vertueux, le bon monsieur Garant.

MADAME ARMAND.

0   Oui, passe, et puis la mienne ira pareillement.

PICARD.

0   Et puis la mienne aussi.

MONSIEUR ARMAND.

0   C'est une comédie,
0   Personne ne s'entend et chacun se marie.

À Gourvile l'aîné.

0   Soupera-t-on bientôt? allons mon grand flandrin;
0   Il faut que je t'apprenne à te connaître en vin.

GOURVILE L'AÎNÉ.

À Ninon.

0   J'y fuis bien neuf encor; ... à tout ce grand mystère
0   Ma présence, Madame, est-elle nécessaire ?

NINON.

0   Vraiment oui, demeurez; vous verrez avec nous
0   Ce que monsieur Garant veut bien faire pour vous
0   Et nous aurons besoin de votre signature.

LISETTE.

0   Je sais signer aussi.

NINON.

0   Nous allons tout conclure;

MONSIEUR ARMAND.

0   Eh bien tu vois, ma femme ; et je l'avais bien dit
0   Que madame Ninon avec son grand esprit
0   Saurait arRanger tout.

MADAME ARMAND.

0   Je ne vois rien paraître.

NINON.

0   Voilà monsieur Garant, vous allez tout connaître;

SCÈNE V.
Les personnages précédents, Monsieur Garant, après avoir salué la compagnie, qui se range d'un coté, tandis que M.
Garant et Ninonse mettent de l'autre, les domestiques derrière.

MONSIEUR GARANT, en serrant la main de Ninon.

0   La raison, l'intérêt, le bonheur vous attend.
0   Voici notre acte en forme et dressé congrûment,
0   Avec mesure et poids, d'une manière sage,
0   Selon toutes les lois, la coutume et l'usage.

À Madame Armand.

0   Madame, permettez...

À Monsieur Armand.

0   Un moment, mon voisin.

NINON.

0   De mon côté je tiens un charmant parchemin,

MONSIEUR GARANT.

0   Le ciel le bénira ; mais avant d'y souscrire,
0   A l'écart,s'il vous plaît, mettons-nous pour le lire.

NINON.

0   Non, mon coeur est si plein de tous vos tendres soins
0   Que je n'en puis avoir ici trop de témoins.
0   Et même j'ai mandé des amis, gens d'élite,
0   Qui publiront mon choix et tout votre mérite.
0   Nous sonperons ensemble : ils feront enchantés
0   De votre prud'hommie et de vos loyautés.
0   Sans doute ce contrat porte en gros caractères
0   Les deux cent mille francs qui sont pour les deux frères.

MONSIEUR GARANT.

0   J'ignore ce qu'on peut leur devoir en éfet.
0   Et cela n'entre point dans l'état mis au net
0   Des stipulations entre nous énoncées.
0   Ce sont, vous le savez, des afaires passées.
0   Et nous étions d'acord qu'on n'ea parlerait plus.

MONSIEUR ARMAND.

0   Comment !

MADAME ARMAND.

0   A tout moment. cent mille francs perdus î
0   Ma fille aussi ! sortons de ce franc coupe-gorge.

Montrant le jeune Gourvile.

0   Ou chacun me trompoit, ou ce traître m'égorge.

À Gourvile l'aîné.

0   Et c'est vous, grand nigaud, dont les séductions
0   M'ont valu mes chagrins, m'ont causé tant d'afronts g
0   Ma fille payera cher son énorme sotise. GOURVILE l'aîné.
0   Vous vous trompez.

LISETTE.

0   Voici le moment de la crise.
0   Le jeune GOURVILE ( arrêtant monsieur et madame
0   Armand, et les ramenant tous deux par la main.)
0   Mon Dieu, ne sortez point, restez, mon cher Armand ,
0   Quoiqu'il puisse ariver tout finira gayement.

NINON, à monsieur Garant dans un coin du théâtre tandis que le presse des aéleurs est de l'autre.

0   Il faut les adoucir par de bonnes paroles.

MONSIEUR GARANT.

0   Oui, qui ne disent rien, là... des raisons frivoles ,
0   Qu'on croit valoir beaucoup.

NINON.

0   Laissez-moi m'expliquer.
0   Et si dans mes propos un mot peut vous choquer,
0   N'en faites pas semblant.

MONSIEUR GARANT.

0   Ah vraiment, je n'ai garde.

MADAME ARMAND, à Armand.

0   Que disent-ils de nous ?

NINON, à Monsieur Garant.

0   Et si je me hasarde
0   De vous interroger, alors vous répondrez.
0   Madame, et vous Gourvile, enfin vous aprendrez
0   Quels sont mes sentimens, et quelles font mes vues.

MONSIEUR ARMAND.

0   Ma foi, jusqu'à présent elles sont peu connues.

NINON, à Madame Armand.

0   Vous voulez votre fille et de l'argent comptant 3

MADAME ARMAND.

0   Oui, mais rien ne nous vient.

NINON.

0   Il faut premièrement
0   Vous mettre tous au fait, .. feu monsieur de Gourvile
0   Me consia ses fils, et je leur fus utile :
0   Il ne put leur laisser rien par son testament;
0   Vous en savez la cause.

MADAME ARMAND.

0   Oui.

NINON.

0   Mais par suplément ï
0   Il vouiut faire choix d'un fameux personnage
0   Justement honoré dans tout le voisinage ,
0   Et bien recommandé par des gens vertueux
0   Et ses amis secrets, tous bien d'acord entr'eux :
0   Et cet homme de bien nommé son légataire,
0   Cet homme honnête et franc, c'est monsieur.

MONSIEUR GARANT, faisant la révérence à la compagnie.

0   C'est me faire
0   Mille fois trop d'honneur.

NINON.

0   C'est à lui qu'on légua
0   Les deux cent mille francs qu'en hâte il s'appliqua ;
0   Des esprics prévenus eurent la sausse idée,
0   Qu'une somme si forte et par lui possédée,
0   N'était rien qu'un dépôt qu'entre les mains il tient,
0   pour le rendre aux enfants auxquels il appartient.
0   Mais il n'est pas permis, dit-on, qu'ils en jouirent i
0   C'est un crime effroyable et que les lois punirent.

À Monsieur Garant.

0   N'est-ce pas ?

MONSIEUR GARANT.

0   Oui, Madame.

NINON.

0   ' Et ces braves délits,
0   Comment les nomme-t-on ?

MONSIEUR GARANT.

0   Des fidéicommis. NINON.
0   Et pour se mettre en règle il faut qu'un honnête homme
0   Jure qu'à (on profit il gardera la somme?

MONSIEUR GARANT.

0   Oui, Madame.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Ah ! fort bien.

MONSIEUR ARMAND.

0   Et monsieur a juré
0   Qu'il gardera le tout ?

MONSIEUR GARANT.

0   Oui, je le garderai.

MADAME ARMAND, au jeune Gourvile.

0   De ta femme, ma foi, voilà la dot payée.
0   J'enrage. Ah! c'en est trop.

NINON.

0   Soyez moins éfrayée,
0   Et daignez, s'il vous plaît, m'écouter jusqu'au bout.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Pour moi de cet argent je n'atens rien du tout.
0   Et je me sens, madame, indigne d'y prétendre.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Pour moi je le prendrais au moins pour le répandre.'

NINON.

0   Poursuivons... Toujours prêt de me favoriser,
0   Monsieur, me croyant riche, a voulu m'épouser,
0   Afin que nous puissions dans des emplois utiles
0   Nous enrichir encor du bien des deux pupilles.

MONSIEUR GARANT.

0   Mais il ne falait pas dire cela.

NINON.

0   Si fait.
0   Rien ne saurait ici faire un meilleur effet.

Aux autres personnages.

0   Il faut vous. dire enfin qu'aussi-tôt que Gourville
0   Eut fait son testament, un ami dificile,
0   Un esprit de travers eut l'injuste soupçon
0   que votre marguillier pourrait être un fripon

MONSIEUR GARANT.

0   Mais vous perdez la tête I

NINON.

0   Eh mon Dieu non, vous dis-je,
0   Gourvile épouvanté dans l'instant se corrige ;
0   Et peut-être trompé; mais fain d'entendements
0   Il fait, sans en rien dire, un second testament s
0   Il m'a salu courir longtemps chez les Notaires
0   Pour y faire aposer les formes nécessaires,
0   Payer de certains droits qui m'étaient inconnus t
0   Et si j'avais tardé, les miens étaient perdus.
0   Monsieur gardait l'argent pour son beau mariage,
0   Tenez : voilà, je pense, un testament fort sage.
0   Il est en ma faveur. C'est pour moi tout le bien,
0   J'en ai le coeur percé; monsieur Garant n'a rien.

MONSIEUR ARMAND.

0   Quel tour!

MADAME ARMAND.

0   La brave femme !

NINON, en montrant les deux Gourvile.

0   Entre eux deux je partage, "
0   Ainsi que je le dois, le petit héritage.
0   Je souhaite à monsieur d'autres engagemens,.
0   tJn, plus digne épouse
0   , et d'autres testamens.

MONSIEUR GARANT.

0   Il faudra voit cela.

NINON.

0   . Lisez, vous savez lire.

LE JEUNE GOURVILE.

0   Il médite beaucoup , car il ne peut rien dire.

NINON, à Madame Armand.

0   La dot de votre fille enfin va se payer.

MONSIEUR GARANT, en s'en allant.

0   Serviteur.

LE JEUNE GOURVILE, lui serrant la main.

0   Tout à vous.

NINON.

0   Adieu, cher marguillier.

MADAME ARMAND.

0   Adieu, vilain mâtin, qui m'en fis tant à croire.

MONSIEUR ARMAND, le saisissant par le bras.

0   Et pourquoi t'en aller, reste avec nous pour boire.

MONSIEUR GARANT, se débarrassant d'eux.

0   L'oeuvre m'attend, j'ai hâte.

LISETTE, lui faisant la révérence, et lui montrant la bourse des cinquante louis.

0   Acceptez ce dépôt.
0   Vous les gardez si bien.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Laissons-la ce maraut.

LE JEUNE GOURVILE, à Ninon.

0   Ah ! je suis à vos pieds.

MADAME ARMAND.

0   Nous y devons tous être.

GOURVILE L'AÎNÉ.

0   Comme elle a démasqué , vilipendé le traître t

MADAME ARMAND.

0   Et ma fille.

NINON.

0   Ah croyez que dès' qu'elle slura
0   Qu'on va la marier, elle reparaîtra.

LISETTE, à Picard.

0   Ne t'avais-je pas dit, Picard, que ma maîtresse
0   A plus d'esprit qu'eux tous, d'honneur et de sagesse.

 



Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /htdocs/pages/programmes/edition.php on line 603

 [PDF]  [TXT]  [XML] 

 

 Edition

 Répliques par acte

 Caractères par acte

 Présence par scène

 Caractères par acte

 Taille des scènes

 Répliques par scène

 Vers par acte

 Vers par scène

 Primo-locuteur

 

 Vocabulaire par acte

 Vocabulaire par perso.

 Long. mots par acte

 Long. mots par perso.

 

 Didascalies


Licence Creative Commons