CAMILLE DESMOULINS

MONOLOGUE DRAMATIQUE

Représenté pour la première fois à Paris en 1849

PAR FRÉDÉRIC PÉRIN

PARIS MARCHANT, Boulevard Saint-Martin 14

Paris.- Imprimerie Douday-Dupré, rue Saint-Louis au Marais 46

Représenté pour la première fois à Paris en 1849


Texte établi par Paul FIEVRE, Mai 2020

publié par Paul FIEVRE, juin 2020

© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 20:01:17.


PERSONNAGES

CAMILLE DESMOULINS, (32 ans) Monsieur F. Périn.

UN GUICHETIER.

SOLDATS.

Le théâtre représente l'intérieur d'une prison ; à gauche, une fenêtre donnantau dehors ; à droite, une table sur laquelle brûle une lampe; au fond, une porte.


CAMILLE DESMOULINS

SCÈNE I.

Au lever du rideau, Camille est assis près de la table, la tête dans ses mains. Minuit sonne, il lève la tête et semble compter les heures.

CAMILLE.

Une nuit, une seule encore et puis mourir,

Et puis cesser d'aimer, de vivre et de souffrir !

Oui, ma mort va payer ma dette à ma patrie.

Cependant une voix au fond du coeur me crie :

5   La République meurt ! La France est en danger,

Elle appelle ses fils, il faut la protéger.

Et je suis en prison, et l'aurore première

Qui va dorer ces murs finira ma carrière.

Mourir, quand la bataille appelle le soldat,

10   Mourir sur l'échafaud éloigné du combat !

Est-ce bien Desmoulins qu'ainsi l'on humilie ?

Et je m'y résoudrais ? Allons donc, c'est folie !

Le peuple me connaît, je suis républicain,

Et je ne puis tomber comme tomba Tarquin.

Il va s'asseoir à la table. Musique.

15   Robespierre, Couthon, tigres de sang avides,

Éclairez d'un souris vos visages livides :

Trois têtes vont tomber, que vous faut-il de plus ?

Rien ; vous avez Danton ! Le reste est superflu.

Oui, Danton qui gênait votre sanglante tâche,

20   Morts tous deux, vous pouvez régner de par la hache.

Rassemblez les bourreaux, augmentez la terreur,

Et vous mettrez ta France au comble du malheur.

Le peuple est bientôt las de fournir des victimes,

Il sait faire justice et punir tous les crimes.

25   Son coeur conduit toujours sa générosité.

Car pour devise il a : Justice ! Honneur ! Bonté !

Musique.

Ce n'est point par le sang, moyen trop monarchique,

Que l'on peut conserver, longtemps la République.

Las d'un lègue de mort, on murmure tout bas.

30   L'émeute se prépare à de nouveaux combats ;

Un despote surgit au milieu des alarmes,

Et bientôt la victoire est fidèle à ses armes.

La République tombe aux mains d'un nouveau roi ;

Car la terreur amène et l'horreur et l'effroi !

35   La France vers ce but marche toute sanglante ;

Vous pouvez la sauver, car l'agonie est lente.

Il en est temps encor ; la modération

Seule doit achever la révolution.

Modérés, vous régnez ; vous tombez, terroristes,

40   Vos noms de tant de morts augmenteront les listes.

Avec vous tombera la sainte liberté !

Et l'on verra renaître alors la royauté.

Sans force, sans pudeur, lâchement hypocrite ;

Les abus reviendront se traînant à sa suite.

45   Et pour prix de ses maux, de ses tourments soufferts,

Le peuple se verra charger de nouveaux fers,

Jusqu'au jour où, lassé de sa longue souffrance,

Il lèvera la tête en criant : Délivrance !

Et jamais de sa lutte il ne sera blâmé :

50   La révolte est le droit de tout peuple opprimé !

Il va à la fenêtre. Musique.

Tout repose à cette heure, excepté les victimes

Excepté les bourreaux, les vertus et les crimes !

Pas une étoile au ciel, tout respire le deuil,

Paris se dresse sombre ainsi qu'un noir cercueil,

55   La mort plane sur lui comme un mauvais génie,

Épiant chaque jour sa sanglante agonie.

Quel calme en ce moment ! Quel effrayant désert !

Pas le plus léger bruit dans les plaines de l'air :

On dirait, en voyant cette nuit si profonde,

60   Qu'en un vaste tombeau repose tout le monde.

Triste comparaison, rapprochement du sort,

Ces deux mots sont égaux. Le sommeil et la mort !

Rien ne rappelle, hélas ! Et le monde et ses charmes,

Ici tout est remords, chagrin, prière et larmes.

65   Tout afflige en voyant ce sinistre tableau,

Et vous fait envier de descendre au tombeau...

Pour la dernière fois fermons cette fenêtre.

Est-ce une illusion ? Là-bas, je vois paraître

Une pâle lumière... On dirait un signal !

70   À qui s'adresse-t-il, dans ce séjour fatal ?

Une femme est en pleurs, peut-être est-ce la mienne ?

Qu'on ouvre ma prison, un mot et qu'elle vienne

Confondre avec ses pleurs les pleurs du condamné,

Que ce triste bonheur au moins me soit donné.

75   La lumière s'éteint ; dans cette nuit si sombre

L'ange s'évanouit et tout rentre dans l'ombre.

Non, ce n'est point Lucile. Ah ! Que dis-je, insensé !

Sans la voir sous ces murs, un jour s'est-il passé ?

Faible, n'a-t-elle pas su trouver du courage

80   Pour braver des bourreaux la colère et la rage ?

C'est un ange pour moi, qui, descendu du ciel,

Dans ma coupe d'absinthe a mélangé le miel.

Et quand las de veiller, étendu sur la pierre,

Le sommeil malgré moi vient clore ma paupière,

85   Je la retrouve encore assise à mon côté,

Fraîche de ses vingt ans, riche de sa beauté.

De ses bras amoureux me faisant une chaîne,

Chassant par ses baisers mes chagrins et ma peine.

Je me lève avec elle, et tous deux triomphants

90   Nous partageons les jeux de nos pauvres enfants !

Mon rêve me rend tout : amour, plaisir, ivresse,

Et je reprends alors ma joyeuse paresse.

Mais, hélas ! Le réveil, de l'idéalité

Me ramène bientôt à la réalité.

95   Pour moi plus de baisers d'une épouse chérie !

Nous n'irons plus fouler les fleurs de la prairie :

Mon pied ne doit fouler que l'échafaud sanglant !

Je n'y monterai pas comme un lâche, en tremblant.

Puis, sans aucune crainte et malgré Robespierre,

100   Un doux ange viendra se courber sur ma pierre.

Sans crainte de la mort, j'y marche avec émoi,

Puisque je laisse ici mon épouse après moi.

Et si sur le chemin de la sombre charrette,

Je la revois encor, j'acquitterai ma dette:

105   Les bras tendus vers elle et tout prêt à mourir,

J'aurai la force encor de pouvoir la bénir !

Il s'assied en pleurant. Musique. Le jour est venu pendant la tirade précédente.

Mais essuyons nos pleurs, l'échafaud me réclame,

Que mon visage soit calme autant que mon âme

Pour la France jamais je ne fus mauvais fils :

110   Je meurs ayant voulu le bien de mon pays,

Et la postérité relisant notre histoire.

Réhabilitera mon nom et ma mémoire.

Je marche à l'échafaud pour trop de vérité :

L'échafaud ! Piédestal de l'immortalité !

Rumeurs au dehors. Musique.

115   Quelles sont ces rumeurs ? Déjà la populace

Pour nous voir expirer s'assemble sur la place.

Le lion populaire, alléché par le sang,

Vient pour insulter ceux qu'il mit au premier rang.

Voilà quels sont les fruits de la guerre intestine !

120   Aujourd'hui la grandeur ! Demain la guillotine !

Quels hommes après nous resteront triomphants ?

La République, hélas ! Dévore ses enfants !

Nul ne peut dire encor : Je régnerai peut-être.

Ivre de liberté, le peuple est notre maître ;

125   En vain les rois voudront arrêter son essor,

Ils seront tous vaincus ! Ainsi le veut le sort.

Le volcan est en feu, sorti de son cratère,

L'arbre de liberté va féconder la terre,

Et dans le monde entier ses immenses rameaux

130   Des peuples opprimés vont terminer les maux.

Esclaves, répétez ce cri de notre France :

Guerre à mort aux tyrans ! Liberté ! Délivrance !

SCÈNE II.
Camille, Un guichetier, Soldats.

CAMILLE.

Ah ! Rentrez dans mon coeur, rêves de liberté.

Rendez-lui pour mourir toute sa fermeté.

Au Guichetier.

135   Je vous suis à l'instant ; mais à l'heure dernière,

L'homme doit adresser au ciel une prièr e:

Trémolo jusqu'à la fin.

« Mon Dieu, toi qui bientôt vas pouvoir me juger,

Je laisse des enfants sur terre à protéger,

Je les laisse en mourant sous ton aile divine ;

140   Je ne puis les presser encor sur ma poitrine,

Recevoir leurs baisers et leurs derniers adieux ;

Je ne puis essuyer les larmes de leurs yeux.

Daigne donner la force à leur mère chérie,

Doux ange qui pour moi dans ce jour pleure et prie !

Rumeurs au dehors.

145   Ces cris sont de ma mort le lugubre signal,

Et je marché sans peur à ton saint tribunal ! »

Aux soldats.

Je suis prêt à marcher. Pour voir tomber ma tête,

Beaucoup vont se presser comme en un jour de fête ;

Plus ils seront nombreux et plus diront demain

150   Comment reçoit la mort un vrai républicain.

Mourir avec Danton c'est mourir avec gloire,

Et mon nom près du sien restera dans l'histoire.

Dans la postérité nous aurons des vengeurs ;

De notre sang naîtront de saints libérateurs !

155   La République en France a jeté ses racines,

Et nos enfants suivront en tous temps ses doctrines ;

Pour le bonheur du monde et le leur, il le faut :

En défendant ce droit je marche à l'échafaud.

Mon dernier cri sera, sur la place publique,

Vive la liberté ! Vive la République ! ! !

Il sort. Le rideau tombe.

 



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