DÉLIE

PASTORALE

REPRÉSENTÉE SUR LE THÉÂTRE DU PALAIS ROYAL

M. DC. LXVIII. Avec Privilège du Roi.

À PARIS, Chez JEAN RIBOU, au Palais, vis-à-vis la Porte de l'Église de la Sainte Chapelle, à l'Image Saint Louis.

Représenté pour la première fois en 1667 à l'Hôtel de Bourgogne.


publié par Paul FIEVRE, novembre 2017

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:17:12.


AU ROI.

Sire,

Je ne présente à VOTRE MAJESTE que des Bergers, ne trouvant point de Grands Hommes dans l'Antiquité, qui approche d'un Monarque qui nous fait voir en sa seule Personne, tout ce qui a rendu leurs Noms Illustres. En vain, je tâcherais d'ébaucher votre Tableau sur le leur, vous n'avez de Modèle que Vous-même. Je sais que si je considère séparément les Fondateurs de l'Empire Romain, je verrai un courage en Romulus, digne d'éterniser son Nom ; une Politique en Numa, qui a fait, par la force des Lois et de la Raison, ce que son Prédécesseur avait commencé par sa Valeur ; et je verrai, enfin, Tullus, mettre par la magnificence de ses Bâtiments, la dernière main à cette Monarchie. Votre Majesté n'a pas fondé celle des Français ; mais par la grandeur de ses Actions, elle l'assure, et en étend les bornes. Elle ne donne pas des Lois à un nouvel État ; mais elle en réforme les abus : et enfin ses Bâtiments surpassent tous ceux de l'Antiquité. Si laissant Rome en son Berceau, je l'examine dans sa plus haute splendeur, pour y trouver des Crayons proportionnés à ceux qui doivent faire la Peinture de V. MAJESTE, je la verrai, toute superbe, me présenter la grandeur des Césars, et ses Victoires ; la Clémence d'Auguste, dans le Pardon de ses Ennemis ; la Sagesse de Justinien, dans l'Établissement des Lois ; et la Piété de Constantin, dans la Défense de la Religion : mais je ne verrai qu'en la seule Personne de V. MAJESTE toutes leurs Vertus ensemble, sans aucun de leurs Défauts. Je trouverai en Elle, un prince Victorieux, comme César, par sa propre Valeur ; Clément, comme Auguste ; Équitable, comme Justinien, dans la Réforme de la Justice ; et Pieux comme Constantin, en domptant l'Hérésie. Tant de Vertus, SIRE, m'imposent le silence ; et si j'ose, encore, parler, ce n'est que pour protester que je suis,

SIRE, DE VOTRE MAJESTÉ,

Le très humble, très obéissant, et très fidèle Serviteur, et Sujet.


AU LECTEUR.

Comme tous les Auteurs se donnent trop de louanges, ou condamnent trop leurs ouvrages, et que je ne veux faire ni l'un, ni l'autre, j'aurais bien voulu ne point donner de Préface. Mais le Libraire qui a cru que cette Comédie aurait plus de débit, si je disais qu'elle a été représentée devant le Roi, a désiré que le Lecteur en fût averti. Je l'ai, donc, satisfait, sans avoir néanmoins la pensée pour cela, que sa Majesté l'ait trouvée belle. Ce grand Monarque n'étant pas moins Galant, que grand Politique et grand Guerrier, connait aussi bien les défauts d'un ouvrage, que ceux d'un Escadron et d'un Bataillon. Tout ce que l'ose dire, est que quelques Endroits ne lui ont pas déplu ; et que si je n'en étais assuré, je ne prendrai pas la liberté de lui en présenter l'Impression.


ACTEURS

DÉLIE, Bergère.

LICIDAS, Berger, Amoureux de Délie.

CÉLIANTE, Berger, Amoureux de Délie.

ORPHISE, Bergère, Amante de Céliante.

PHILÈNE, Berger, Amant de Délie.

FLORICE, Bergère, Amante de Philène.

CÉLIDAN, Berger de l'Île de Smyrne.

PÉRIANDRE, Envoyé du Roi de Thrace, pour le Tribut qu'il tirait tous les ans de l'Île de Scire.

GARDES DE PÉRIANDRE.

La Scène est en l'Île de Scire.


ACTE I

SCÈNE I.

LICIDAS, seul.

Lieux charmants, aimable Séjour,

Que je crus éloignés des chagrins de la vie,

Bois, à qui si souvent, j'ai conté mon amour,

Préparez un triomphe à la belle Délie.

5   Beaux arbres, qui rendez ces Demeures si sombres,

Tilleuls, qu'elle aime tant, hâtez-vous de fleurir :

Et ne songez plus qu'à mourir,

Quand elle quittera vos ombres.

Favoris du printemps, agréables zéphyrs,

10   Pour la mieux recevoir, répandez dans ces plaines,

La douce odeur de vos haleines ;

Et, si vous le pouvez, sans troubler ses plaisirs,

Pour servir mon amour, portez-lui mes soupirs.

Vous la verrez bientôt, puisque cette Bergère

15   Vient, pour se promener, en ces lieux, chaque jour :

Mais las ! Ce qui me désespère,

Elle est insensible à l'amour.

En vain, pour l'aimer moins, je fais tout mon possible,

Mon âme, trop avant, a ressenti ses coups ;

20   Et ses yeux ne sont pas moins doux,

Pour avoir un coeur insensible.

SCÈNE II.
Licidas, Céliante.

CÉLIANTE.

Quoi, donc, cruel Amour... Mais je vois Licidas.

LICIDAS.

Dieux ! Je vois un Rival que j'aime trop, hélas !

CÉLIANTE, à part.

Fuyons... Mais je vois bien qu'il m'a pu reconnaître.

LICIDAS, à part.

25   Tâchons de l'éviter... Mais il m'a vu, peut être.

CÉLIANTE.

Ah ! Vous vouliez me fuir, j'en suis trop éclairci.

LICIDAS.

J'ai cru que vous tâchiez de m'éviter aussi.

CÉLIANTE.

Votre amour, bien plutôt, si j'en crois l'apparence,

Vous faisait, d'un Ami, redouter la présence.

LICIDAS.

30   Nous devons l'un de l'autre, avoir, tous deux, pitié.

CÉLIANTE.

Pourrais-je avoir, encor, part à votre amitié ?

LICIDAS.

Ah ! Plût au Ciel, avoir même part à la vôtre.

CÉLIANTE.

Si nous sommes Amis, pourquoi nous fuir l'un l'autre ?

LICIDAS.

Vous devez me haïr.

CÉLIANTE.

Connaissant mon amour,

35   Ne me devez-vous pas haïr, à votre tour ?

LICIDAS.

Quoique nous soupirions pour la même Bergère,

Comme elle nous paraît également, sévère,

Sans cesser d'être Amis, il faut l'aimer, tous deux,

Et ne nous rendre point, doublement, Malheureux.

CÉLIANTE.

40   Elle n'aime, encor, rien, mais elle peut se rendre

Au violent amour dont brûle Périandre :

Et ce cruel penser fait mon plus grand souci.

LICIDAS.

Ce Rival trop puissant, vient d'arriver ici,

Pour lever le Tribut qu'on doit au Roi de Thrace.

45   Quand ce Roi nous conquis, il crut nous faire grâce,

Et faire à sa colère, un violent effort,

Ne prenant, tous les ans, selon le choix du Sort,

Que deux de nos bergers, et deux de nos bergères.

CÉLIANTE.

Que de telles bontés ne nous obligent guère !

50   De ce Roi, Périandre étant fort estimé,

Je crois que de Délie, il pourrait être aimé.

Lorsqu'il vint l'autre année, il la trouva si belle,

Qu'il ne put s'empêcher de soupirer pour elle ;

Et s'il revient, encor, avec autant d'amour,

55   Peut-elle s'empêcher de l'aimer à son tour ?

L'éclat de sa grandeur éblouira son Âme,

L'Ambition, souvent, fait naître de la flamme,

Elle a trop de pouvoir dessus un jeune coeur,

Et peut aider l'Amour à s'en rendre vainqueur.

LICIDAS.

60   Je voudrais n'aimer plus cette Beauté cruelle,

Mais, hélas ! Je ne puis, en la voyant si belle...

CÉLIANTE.

Je voudrais bien, aussi, la pouvoir moins aimer,

Mais, je sens que ses yeux ont trop su me charmer.

LICIDAS.

C'est, pour l'amour de vous, que je voudrais éteindre...

CÉLIANTE.

65   Non, non, cessez, pour moi, cessez de vous contraindre,

Nous pouvons soupirer, en même temps, tous deux.

Du Monde entier, Délie a mérité les voeux ;

Et ce serait lui faire une offense mortelle,

Si l'un de nous cessait de soupirer pour elle.

LICIDAS.

70   Je vois cette Beauté qui nous tient sous ses Lois.

CÉLIANTE.

On la trouve, souvent, qui rêve dans ce Bois.

SCÈNE III.
Délie, Licidas, Céliante.

Délie veut se retirer dès qu'elle les aperçoit.

LICIDAS.

Hé quoi ! Toujours, me fuir, insensible Bergère !

En vous offrant mon , ai-je pu vous déplaire ?

CÉLIANTE, l'arrêtant aussi de son côté.

Bergère, où courez-vous ? Ah ! De grâce, arrêtez :

75   Et souffrez que je rende hommage à vos beautés.

LICIDAS.

Déjà, depuis longtemps, vous connaissez ma flamme,

CÉLIANTE.

Vous avez su l'ardeur qui règne dans mon äme.

DÉLIE.

Voilà beaucoup d'amour ; mais, vous devez savoir

Que je n'ai pas un coeur propre à le recevoir ;

80   Que sachant les chagrins, et les peines cruelles

Que, souvent, l'Amour cause à la plupart des Belles,

Sous les Lois de ce Dieu, craignent de me ranger,

Je fuis tous les Amants qui pourraient m'engager ;

Et comme, de tous deux, je connais le mérite,

85   Ne vous étonnez pas, Bergers, si je vous quitte.

CÉLIANTE, l'arrêtant.

Mais, dites-nous, du moins, Cruelle, qui des deux,

Vous avez, jusqu'ici, cru le plus amoureux ?

DÉLIE.

Ai-je pu le savoir ?

LICIDAS.

Je vais, donc, vous l'apprendre.

CÉLIANTE.

Vous le saurez bien mieux, si vous voulez m'entendre.

DÉLIE.

90   Mais...

LICIDAS.

Mais, écoutez-nous, du moins.

DÉLIE.

  Hé bien, parlez.

CÉLIANTE.

D'abord que je vous vois, tous mes sens sont troublés,

Je tremble, je vous crains, je brûle, je soupire,

Et prêt à vous parler, je n'ose vous rien dire.

LICIDAS.

Si mon trouble vous peut prouver ma passion,

95   Je ressens, pour le moins, autant d'émotion,

Puisque enfin, sans vous voir, le feu qui me consomme,

Éclate dans mes yeux, au moment qu'on vous nomme.

Je ne songe qu'à vous, j'en parle incessamment,

Je dis même, partout, que je suis votre Amant ;

100   Car lorsqu'un bel Objet nous tient sous son empire,

Souvent, on se soulage, à force de le dire.

CÉLIANTE.

Mon mal est plus cruel, car je crains de parler

Du violent amour dont je me sens brûler.

Je ne le dis qu'à vous, et je ne puis pas même

105   Vous en entretenir, sans une crainte extrême ;

Et si mes actions n'avaient su le montrer,

Mon Rival pourrait bien, encore, l'ignorer.

LICIDAS.

Je suis, toujours, vos pas, et dans toutes nos Fêtes,

Je tâche à me placer près des lieux où vous êtes.

CÉLIANTE.

110   Je sens, auprès de vous, des transports si puissants...

LICIDAS.

Si vous pouviez savoir les peines que je sens...

CÉLIANTE.

Prononcez notre Arrêt, et tirez-nous de peine.

DÉLIE.

Qui m'aimera le plus, s'attirera ma haine :

Mais, loin de me parler, tous deus, de votre amour,

115   Songez que Périandre, ici, depuis un jour,

Vient lever le Tribut qu'on doit au Roi son Maître,

Et qu'on devrait trembler, en le voyant paraître.

CÉLIANTE.

Damon, que vers le Roi, cet Île a député,

Avecque nos Présents, doit avoir racheté

120   Ce tribut rigoureux qui nous tient en alarmes.

DÉLIE.

Il n'est pas, encor, temps de retenir nos larmes ;

Et Périandre étant, ici, devant Damon,

Je pense qu'on en doit augurer rien de bon.

LICIDAS.

Vous devez espérer, sachant que Périandre,

125   De vos charmes puissants, n'ayant pu se défendre...

DÉLIE.

Quoique j'en sois aimée, osez-vous présumer

Que l'éclat de son Rang ait de quoi me charmer ?

Mais il n'est pas, je crois, le seul qui vous alarme,

Et vous croyez, encor, que Philène me charme.

130   Je confesse, il est vrai, que j'en aime l'humeur,

Mais, il perdra ses soins, s'il prétend à mon coeur.

CÉLIANTE.

Il était, autrefois, charmé d'une Bergère

Que l'on croit, à peu près, de même caractère.

LICIDAS.

On le connaît partout.

DÉLIE.

À tort vous l'offensez ;

135   Mais, vous parlez, tous deux, en gens intéressés.

CÉLIANTE.

On ne sait point, encor, qu'il ait place en votre Âme ;

Mais comme, enfin, pour vous, il a beaucoup de flamme,

Et qu'il est Fourbe, autant qu'Amoureux, et Jaloux,

Nous croyons qu'il nous peut desservir près de vous.

DÉLIE.

140   Si je n'aime Personne, à qui pourrait-il nuire ?

Après un tel aveu, que chacun se retire.

Allez, donc.

LICIDAS.

J'obéis, et d'une triste voix

Je vais conter ma peine aux Échos de ces Bois.

CÉLIANTE.

Et moi, prier le Dieu qui peut tout sur nos Âmes,

145   Et qui sait, à son gré, faire naître nos flammes,

De me rendre insensible, ou de faire qu'un jour,

Votre coeur attendri souffre, enfin, mon amour.

SCÈNE IV.
Délie, Orphise.

ORPHISE, au bout du Théâtre.

C'est Délie, et tous deux lui contaient leur martyre,

Elle les suit des yeux, et même elle soupire.

En l'abordant.

150   Je venais vous chercher.

DÉLIE.

  Hélas ! Orphise, hélas !

ORPHISE.

Qu'avez-vous ?

DÉLIE.

Céliante, avecque Licidas...

ORPHISE.

Et qu'ont fait ces Bergers ?

DÉLIE.

Ma fierté, toute entière,

S'est fait paraître.

ORPHISE.

On sait que vous êtes fort fière.

DÉLIE.

Qu'ils m'ont semblé bien faits ! Et qu'aisément, mon coeur

155   A cru qu'ils ressentaient une pressante ardeur !

ORPHISE.

Il se peut.

DÉLIE.

Tu le crois.

ORPHISE.

Ils le font trop paraître.

Mais les aimeriez-vous ? Répondez, donc.

DÉLIE.

Peut-être.

ORPHISE.

Et quoi...

DÉLIE.

Non, non, mon coeur conserve sa fierté.

Mais, si tu veux, enfin, savoir la vérité,

160   Je crains de les aimer, leur mérite en est cause.

ORPHISE.

Craindre, et sentir l'Amour, est, presque, même chose.

DÉLIE.

Ah ! Par ce que je sens, je connais qu'en ce jour,

J'aurai bien de la peine à combattre l'Amour.

Je crains de le vouloir, et loin de se défendre,

165   Ma raison cherche, aussi, des raisons pour se rendre.

ORPHISE.

Elle en a su trouver, et je connais assez,

Que vous aimez, déjà, plus que vous ne pensez.

DÉLIE.

Je n'aime pas encor, mais, dis-moi, si leur Âme

Pour d'autres que pour moi, n'a point conçu de flamme ?

170   Je crois, qu'ayant tous deux, autrefois, voyagé,

Leur coeur pourrait bien être, autre part, engagé.

Je voudrais le savoir.

ORPHISE.

Je ne puis vous le dire ;

Mais, je sais bien, qu'ici, pour l'un deux, on soupire.

Hélas !

DÉLIE.

C'est toi, sans doute.

ORPHISE.

Épargnez ma pudeur,

175   Et ne m'obligez point, d'avouer mon Vainqueur.

DÉLIE.

Mais, dis-moi, t'aime-t-il ? Réponds-moi, chère Orphise,

Son coeur...

ORPHISE.

De mon amour, vous paraissez surprise,

Et vous n'attendiez pas, peut-être, cet aveu :

Mais, comme ce Berger ignore, encor, mon feu,

180   Et qu'il ne m'a, jamais, témoigné de tendresse,

Je veux, si je le puis, lui cacher ma faiblesse.

Puisque j'ai ce dessein, vous devez trouver bon,

Qu'en lui cachant mon feu, je vous cache son nom.

DÉLIE.

Son nom peut n'être pas ce que je veux apprendre.

ORPHISE.

185   Je vous entends. Celui que vos yeux ont su prendre,

N'avait pas commencé de vous offrir ses voeux,

Quand je le crus de moi quelque temps amoureux ;

Et quoiqu'il n'osât pas, encore, me le dire,

Ses regards me parlaient de son secret martyre.

DÉLIE.

190   Hélas !

ORPHISE.

  Quand on soupire, et qu'on parle d'Amour,

Souvent, sans y penser, on met sa flamme au jour,

Un soupir la fait voir.

DÉLIE.

Je ne sais que te dire ;

J'ignore comme on aime, et sais comme on soupire ;

Et mon coeur, jusqu'ici, n'ayant jamais, aimé,

195   À connaître l'Amour, n'est pas accoutumé.

Je sais bien que je sens un trouble qui me gêne,

Et me cause un plaisir qui surpasse ma peine ;

Et pour te dire, enfin, la chose comme elle est,

Si ce mal vient d'Amour, c'est un mal qui me plaît.

ORPHISE.

200   Ce trouble plein d'appas, ces agréables peines,

Font connaître aisément, que vous portez ses chaînes.

DÉLIE.

De grâce, laisse-moi rêver, seule, un moment.

ORPHISE.

Qui commence d'aimer, rêve agréablement ;

À ce chagrin, l'Amour se fait assez connaître,

205   Il fait, toujours, rêver, quand il commence à naître,

Mais ne craignez-vous point, qu'étant seule...

DÉLIE.

En ce jour,

Je sens que je ne puis rien craindre que l'Amour.

ORPHISE.

Je vous laisse, et je vais, mais sans verser de larmes,

Regretter un Amant que m'enlèvent vos charmes.

SCÈNE V.

DÉLIE, seule.

210   Vous, qui nous faites vivre avec tranquillité,

Qui ne régnez, jamais, dans un coeur agité,

Qui n'avez ni pitié, ni haine, ni tendresse,

Qui paraissez, toujours, exempte de faiblesse,

Vous, à qui le bonheur, et le malheur d'autrui,

215   N'a, jamais, pu causer de plaisir, ni d'ennui,

Qui ne poussez, jamais, de soupirs, ni de plaintes,

Et qu'on ne voit, jamais, flotter dedans les craintes ;

Vous, dis-je, qui trouvez, en vous, tous vos plaisirs,

Maîtresse de vous-même, exempte de désirs,

220   Et qui savez, d'Amour, mépriser la puissance,

Pourquoi me quittiez-vous, tranquille Indifférence ?

Deviez-vous, lâchement, céder à mon ardeur,

Après avoir régné, si longtemps, dans mon coeur ?

Mais ce n'est pas assez, d'aimer, et d'être aimée,

225   Puisque lorsque je sens que mon Âme est charmée,

Deux aimables Bergers suivent partout mes pas.

Lequel dois-je choisir ? Prendrai-je Licidas ?

Mais quoi ! Dois-je, pour lui, rebuter Céliante

Lorsque mon ardeur croît, mon embarras augmente,

230   Et... Mais, Philène vient.

SCÈNE VI.
Délie, Philène.

DÉLIE.

  Ou courrez-vous, Berger ?

PHILÈNE.

Ma foi, l'Amour commence à me faire enrager.

Pour moi, je ne puis plus vivre sous son Empire,

Il me fait soupirer, lorsque je voudrais rire,

S'approchant de son sein.

Et je sens, en voyant ce qui me fait brûler...

DÉLIE.

235   Sans approcher si près, vous pourriez me parler.

PHILÈNE.

Ah ! Ce n'est pas ma faute ; et, si je ne m'abuse,

L'Amour, de ce qu'il fait, est lui-même, l'excuse.

Mais, pour connaître mieux l'excès de mon ardeur,

Approchez votre main, mettez-la sur mon coeur ;

240   Là, c'est justement là, sentez comme il remue,

Et connaissez le mal que lui fait votre vue.

Ah ! Que si vous saviez quels sont mes sentiments,

Si vous pouviez savoir quels doux saisissements...

DÉLIE.

Suivez moins ces transports.

PHILÈNE.

Mais, Dieux ! Je vois Florice,

245   Cette Bergère vient pour croître mon supplice.

DÉLIE.

Elle vous aime...

SCÈNE VII.
Délie, Florice, Philène.

FLORICE.

Quoi ! Te verrai-je, toujours,

Perfide, entretenir tes nouvelles Amours ?

Souviens-toi, qu'autrefois, je possédais ton âme,

Que nos parents étaient d'accord de notre flamme.

PHILÈNE.

250   Il est vrai ; mais, enfin, chaque chose a son tour,

Je t'aimais bien alors, mais je n'ai plus d'amour.

FLORICE.

Pourquoi, donc, m'en causer ?

PHILÈNE.

Tu n'en devais pas prendre.

FLORICE.

Ce fut bien malgré moi, je ne m'en pus défendre.

PHILÈNE.

En dois-je être blâmé ?

DÉLIE, à part.

Le plaisant entretien !

FLORICE.

255   Mais, vous, qui souriez, en me volant mon Bien,

Qui deviez, pour l'Amour, conserver tant de haine,

Vous haïssez ce Dieu, mais vous aimez Philène :

Et vous ne croyez pas rompre votre serment,

Lorsqu'au lieu de l'Amour, vous n'aimez que l'Amant.

PHILÈNE, à Florice.

260   Taisez-vous.

DÉLIE, à Florice.

  Loin d'aimer ce Berger qui vous quitte,

Je lui parlais de vous, et de votre mérite.

Et lui disais, qu'il doit adorer vos Appas.

FLORICE.

Il m'avait tant promis...

PHILÈNE.

Ne vous tairez-vous pas ?

DÉLIE.

Si...

PHILÈNE, à Délie.

Ne l'écoutez point.

DÉLIE.

Mais...

PHILÈNE.

Mais, laissez-la dire.

FLORICE.

265   Quoi, donc ?

PHILÈNE.

  Retirez-vous.

FLORICE.

  Moi, que je me retire,

Et que je laisse, ici, ma Rivale avec toi ?

DÉLIE, à part.

Perdons-nous dans ce bois.

PHILÈNE, à Florice.

Va, Bergère, crois-moi,

Je t'adore, toujours, avec même constance :

Mais, elle me veut dire un Secret d'importance.

En se détournant.

270   Mais, Délie.

SCÈNE VIII.
Florice, Philène.

FLORICE.

  Elle fuit, tes soins sont superflus ;

Elle est, déjà, bien loin.

PHILÈNE.

Va, je ne t'aime plus,

C'est toi qui l'as fait fuir, importune Bergère.

FLORICE.

Moi ?

PHILÈNE.

Ta présence, ici, redouble ma colère,

Je n'aime que Délie ; et, malgré tes discours,

275   Et tes soupçons jaloux, je l'aimerai toujours.

FLORICE.

Perfide !

PHILÈNE.

Je veux bien entendre ce langage,

Un peu d'emportement, quelquefois, nous soulage.

Mais, je veux, en faisant cet accord entre nous,

Que ton amour s'exhale avecque ton courroux.

FLORICE.

280   Je fus de ton amour, trop tôt, préoccupée,

Et ne prévoyais pas que je serais trompée,

Fourbe.

PHILÈNE.

Tu n'as pas lieu de te plaindre de moi,

Et je suis, en Amour, Berger de bonne foi.

Quand je cesse d'aimer, je dis, avec franchise,

285   Que d'une autre Beauté je sens mon âme éprise ;

On ne saurait avoir plus de sincérité,

Et, loin de te tromper, je dis la vérité.

FLORICE.

Voyez qu'il est sincère, il ne voudrait pas feindre ;

Mais, de son procédé, je vais, partout, me plaindre.

SCÈNE IX.

PHILÈNE, seul.

290   Que je suis malheureux ! Et que, mal à propos,

Le plus brouillon des Dieux, vient troubler mon repos !

Il me fait, pour Délie, abandonner Florice,

Et veut que, malgré moi, je suive son caprice.

Mais, l'Objet qui me fuit, et qui cause mes maux,

295   N'aurait-il point d'amour pour l'un de mes Rivaux ?

Comme, dans son Esprit, ils veulent me détruire,

Je vais, de mon côté, travailler pour leur nuire ;

Célidan est de Smyrne, il est, d'hier, ici,

Et m'étant obligé, je crois... Mais, le voici.

SCÈNE X.
Philène, Célidan.

PHILÈNE.

300   Quoi ! Vous êtes ici, sans me rendre visite ?

CÉLIDAN.

Je n'y suis que d'hier, et demain, je vous quitte :

Et je venais, exprès, vous chercher en ce Lieu,

Et pour vous saluer, et pour vous dire adieu.

PHILÈNE.

Voulez-vous bien me rendre un important service,

305   Avant que de partir ?

CÉLIDAN.

  Vous me ferez justice,

Si vous n'en doutez point.

PHILÈNE, mettant le doigt sur sa bouche.

Allons, donc, mais au moins...

CÉLIDAN.

Soyez sûr du Secret, ainsi que de mes soins.

ACTE II

SCÈNE I.
Délie, Orphise.

DÉLIE.

Non, jamais, on ne vit de Bête plus horrible ;

Des Sangliers de ce Bois, c'était le plus terrible.

ORPHISE.

310   Vous vouliez être seule ; et disiez, qu'en ce jour,

Vous ne croyez avoir à craindre que l'Amour.

DÉLIE.

Aussi, l'ai-je trouvé dans mes Amants fidèles,

Qui, pour me secourir, ont emprunté ses ailes.

C'est pourquoi je prétends leur dire, dès ce jour,

315   Ce que sens pour eux, et d'estime, et d'amour.

Je puis parler ainsi ; car, enfin, chère Orphise,

Ce n'est pas d'aujourd'hui que mon Âme est éprise.

J'aimais depuis longtemps, et voulais l'ignorer,

Ce n'était qu'en secret, que j'osais soupirer ;

320   Je prétendais, par là, de me tromper moi-même ;

Mais, on peut rarement ce qu'on veut, quand on aime.

L'Amour, de sa victoire, a trop su m'avertir,

Et s'est fait remarquer, aussitôt que sentir.

ORPHISE.

Ce coeur, qui paraissait à l'Amour si contraire,

325   Peut-il, peut-il en deux Amants, trouver de quoi lui plaire ?

DÉLIE.

Ce Dieu, pour me punir d'avoir bravé ses Lois,

Veut que, pour deux Amants, mon coeur brûle à la fois.

C'est ainsi qu'il punit la longue indifférence

De ceux qu'on voit, longtemps, mépriser sa Puissance ;

330   Et qu'entrant dans un coeur qui s'est trop défendu,

L'Amour sait regagner le temps qu'il a perdu.

ORPHISE.

Mais, vous devez choisir.

DÉLIE.

Je sais que leur mérite,

Qui me paraît égal, pour eux me sollicite,

Que leurs feux sont pareils ; et je sens, en ce jour,

335   Que ma reconnaissance agit avec l'Amour.

Peut-être que l'orgueil, à mon Sexe, ordinaire,

M'inspire même, encor, certain désir de plaire ;

Et que je m'applaudis, en voyant, à la fois,

Ces deux Bergers soumis, reconnaître mes Lois.

340   Car, enfin, à choisir, à regret je m'apprête,

Quand je songe qu'il faut quitter une conquête ;

Et qu'ayant choisit l'un, l'autre, après mes refus,

Peut vaincre son amour, ou ne m'en parler plus.

Ce penser m'inquiète, et fait naître en mon Âme

345   Un chagrin qui me trouble un peu plus que leur flamme ;

Et mon coeur, en secret, en ce moment, me dit,

Qu'on ne peut, jamais, perdre un Amant sans dépit.

ORPHISE.

De peur d'en perdre l'un, votre amour se partage.

DÉLIE.

Quand je vois Licidas, il m'émeut davantage,

350   Le coeur me bat un peu.

ORPHISE.

  Je crois, assurément,

Que vous l'aimez le plus, n'en doutez nullement ;

Vous me direz, bientôt, si votre amour s'augmente.

DÉLIE.

S'il me trouble, un peu plus, que ne fait Céliante,

Ce peu ne lui doit pas donner un plein espoir,

355   Puisque j'ai de la peine à m'en apercevoir.

ORPHISE.

Croyez qu'en votre coeur, il a la préférence,

Et que, pour lui, ce peu fait pencher la Balance ;

Et puisque vous l'aimez, pour moi, peut-être, un jour,

Céliante...

DÉLIE.

Ah ! De grâce, étouffez votre amour.

ORPHISE.

360   Elle l'aime. Feignons. Je puis vous satisfaire,

Si ce Berger n'est pas celui qui m'a su plaire.

Mais, souffrez, donc, au moins, que j'aime Licidas.

DÉLIE.

Ah ! Pourrai-je le voir adorer vos Appas,

Et songer que je l'aime, et qu'il m'aima de même ?

ORPHISE.

365   Encor que, pour tous deux, votre amour soit extrême,

Vous devez faire un choix.

DÉLIE.

J'y songe, mais en vain.

Me devant à tous deux, à qui donner ma main ?

Ou plutôt, si tous deux savent l'air de me plaire,

À qui des deux, mon coeur doit-il être contraire ?

370   Je ne puis faire un choix que selon mes désirs,

Et, cependant, il doit me coûter des soupirs.

Quand d'une même ardeur leur Âme est enflammée,

Je les plains de m'aimer, et me plains d'être aimée,

Et lorsque, pour tous deux, je soupire à la fois,

375   Sans cesse je choisis, et ne fait point de choix.

ORPHISE.

Dites que vous avez, pour eux, tant de tendresse,

Que vous n'en voulez perdre aucun...

DÉLIE.

Je le confesse,

Je les aime tous deux, et d'une forte amour ;

Si ce n'est pas ensemble, au moins c'est tour à tour.

380   Quand je songe à l'un d'eux, c'est celui-là que j'aime,

Lorsque je pense à l'autre, il me touche de même ;

Et chacun, dans le temps qu'il est devant mes yeux,

Est celui que mon coeur croit qu'il aime le mieux.

ORPHISE, voyant venir Céliante.

Voici le plus aimé, puisqu'il vient seul.

SCÈNE II.
Délie, Céliante, Orphise.

CÉLIANTE.

Bergère...

ORPHISE, l'interrompant.

385   Vous venez de trouver le secret de lui plaire.

Mais, comme elle n'a pu, dans son étonnement,

Conter votre combat qu'assez confusément,

Faites m'en, je vous prie, un récit plus fidèle.

CÉLIANTE.

Sachez, donc, qu'un Sanglier s'était jeté sur elle,

390   Et qu'étant des plus grands de toute la Forêt,

À lui donner la mort, il était, déjà, prêt,

Et l'allait attaquer avec tant de furie,

Qu'elle désespérait, tout à fait, de sa vie.

Elle croyait, alors, être seule en ce Bois,

395   Mais j'ai paru, soudain, attiré par sa voix ;

Les longs cris que j'ai faits, ont détourné la Bête,

Qui se voyant ravir l'espoir de sa conquête,

La rage dans le coeur, et le feu dans les yeux,

A tourné, contre moi, ses efforts furieux.

400   En vain, plus de trois fois, pour détourner sa rage,

Mon fer, dedans son corps, s'est ouvert un passage,

La perte de son sang semblant la redoubler,

Peut-être, sous ses coups, m'allait-il accabler :

Et de l'incomparable et craintive Délie,

405   Trancher, en même temps, la précieuse vie,

Lorsque, par un effet du bonheur qui la suit,

Le Berger Licidas, attiré par le bruit,

Nous est venu tirer du péril, et de crainte,

En donnant au Sanglier, une mortelle atteinte.

ORPHISE.

410   Ces généreux Bergers ont conservé vos jours.

Et vous ne deviez pas avoir moins de secours ;

Car si l'un a, d'abord, détourné sa furie,

Le second l'a tué.

DÉLIE.

Dites-moi, je vous prie,

Comment vous êtes-vous rencontrés dans ce Lieu ?

CÉLIANTE.

415   Vous savez que, tantôt, en vous disant adieu,

Licidas vous a dit, qu'il s'en allait instruire

Les Échos de ces Bois, de son cruel martyre.

Pour moi, je revenais du Temple de l'Amour,

Pour obtenir de lui, qu'il vous rendît un jour,

420   Plus sensible à mes voeux. La serez-vous, Bergère ?

DÉLIE.

Qui craint de dire trop, doit, bien souvent, se taire ;

Et, pour cette raison, je ne vous réponds rien.

CÉLIANTE.

Ce silence obligeant, m'annoncerait-il bien,

Que je dois espérer qu'une flamme si belle...

DÉLIE.

425   Vous puis-je ôter l'espoir, sans être trop cruelle ?

ORPHISE, à part, à Délie.

Vous oubliez celui pour qui le coeur vous bat.

DÉLIE.

Il vient, et je vais rendre un rigoureux Combat.

SCÈNE III.
Délie, Orphise, Céliante, Licidas.

LICIDAS.

S'il faut, pour vous servir, faire voir son courage,

Mon rival, le premier, a ce grand avantage :

430   Et quand je viens, exprès, pour vous entretenir,

J'apprends, en le voyant, qu'il m'a su prévenir.

Dieux ! Que je suis à plaindre, adorable Bergère,

S'il a su, le premier, le secret de vous plaire.

DÉLIE.

Si j'entends ses soupirs, j'écoute aussi vos voeux.

ORPHISE.

435   Je pense, qu'à présent, vous les aimez tous deux.

DÉLIE.

Mon coeur, dessus ce choix, est, encor, en balance,

Je ne vois pas, entre eux, assez de différence ;

Et quand je veux choisir, je sens, en ce moment,

Que j'ai trop peu d'un coeur, ou bien trop d'un Amant.

LICIDAS.

440   Faites-vous, pour choisir, un peu de violence.

CÉLIANTE.

Mais, vous m'avez permis d'avoir de l'espérance,

Vous devez y songer.

DÉLIE.

Je le sais : mais, hélas !

Se tournant vers Licidas.

Quand je vous l'ai permis, je ne le voyais pas.

CÉLIANTE.

Ne me permettiez-vous une espérance vaine,

445   Qu'afin qu'elle servît à redoubler ma peine ?

DÉLIE.

Que cet amour doit être, à mon repos, fatal !

Ah ! Pourquoi, pour vous nuire, avez-vous un Rival ?

LICIDAS.

Vous prenez, donc, enfin, pitié de mon martyre ?

DÉLIE, se tournant vers Céliante.

Comme vous lui nuisez, il peut, aussi, vous nuire.

ORPHISE.

450   Peut-être, que je nuis, plus qu'eux, à votre choix ;

C'est pourquoi je vais faire un tour dedans ce Bois.

DÉLIE.

Je sais ce qui te chasse, et je vois, à ton trouble...

ORPHISE.

Plus je demeure ici, plus je sens qu'il redouble.

Elle entre.

SCÈNE IV.
Délie, Céliante, Licidas.

DÉLIE.

Si vous vouliez, aussi, quelque temps, me laisser,

455   Je rêverais au choix qui me fait balancer ;

Et, peut-être, dans peu, que mon coeur qui soupire,

De tous ses sentiments, pourrait mieux vous instruire.

LICIDAS.

Je dois vous obéir, pour prouver mon amour.

CÉLIANTE.

Pour vous montrer le mien, j'obéis à mon tour.

LICIDAS.

460   À mon ardente amour, nulle n'est comparable,

Et je vous aime autant, que vous êtes aimable.

CÉLIANTE.

Mon amour est si grand qu'on ne peut l'exprimer,

Et je vous aime autant que vous savez charmer.

SCÈNE V.

DÉLIE, seule.

Fallait-il, juste Ciel ! Que de pareilles flammes,

465   Pour augmenter leurs maux, embrasassent leurs Âmes ?

Ou plutôt, fallait-il, pour croître mon tourment,

Qu'ils se fissent, tous deux, aimer également ?

Je sens que je ne puis choisir celui que j'aime,

Sans faire à ce que j'aime, une injustice extrême.

470   Quel cruel embarras ! Mais, que veut ce Berger ?

Il cherche, ici, quelqu'un, et paraît Étranger.

SCÈNE VI.
Délie, Célidan.

CÉLIDAN.

Feignons. Ils n'y sont point, ma peine est inutile.

DÉLIE.

Berger, que cherchez-vous ?

CÉLIDAN.

Deux Bergers de cette Île,

L'un a nom Céliante, et l'autre Licidas.

475   Mais, malgré tous mes soins, je ne les trouve pas ;

Ces Bergers que je cherche, ici, depuis une heure,

Ont, dans Smyrne, avec moi, longtemps, fait leur demeure,

Où l'on connût si bien leurs belles qualités,

Que chaque jour, encor, ils y sont regrettés.

DÉLIE.

480   Si l'on connût si bien leur mérite en votre Île,

La conquête des Coeurs leur dût être facile :

À leur Esprit galant, rien n'aura résisté,

Et les Belles n'auront pu garder leur fierté.

CÉLIDAN.

Cela pourrait bien être.

DÉLIE.

En causant de la flamme,

485   On en sent naître aussi, quelquefois, dans son Âme.

CÉLIDAN.

Il est vrai.

DÉLIE.

C'est pourquoi je pense, qu'à leur tour,

Ils n'ont pu s'empêcher de prendre de l'amour.

CÉLIDAN.

Ils ont aussi, chacun, dans Smyrne, une Maîtresse ;

Licidas, pour Aminte, eut beaucoup de tendresse.

DÉLIE.

490   Qu'entends-je ?

CÉLIDAN.

  Et Céliante a su prendre, à son tour,

Pour Clidamire, aussi, tant d'estime, et d'amour...

DÉLIE.

Ce n'est pas ce que d'eux, dans Scire, chacun pense.

CÉLIDAN.

On en pourrait juger sur la seule apparence.

Je suis même chargé de dire à ces Amants,

495   Que, pour eux, elles ont les mêmes sentiments.

Elles m'ont pu prier, sans mériter de blâme,

De parler du beau feu qui règne dans leur Âme,

Puisque toute notre Île aimant ces deux Pasteurs,

Avec beaucoup de joie, approuve leurs ardeurs.

500   Pour moi, je n'ai, jamais, avec plus d'adresse,

Vu d'Amants s'acquérir le coeur de leur Maîtresse,

Ni témoigner, après, plus de contentements,

Qu'en firent éclater ces deux parfaits Amants.

DÉLIE.

C'est assez, je saurai, moi-même, les instruire

505   De ce que vous avez d'obligeant à leur dire :

Mais, si vous me vouliez apprendre votre nom,

J'exécuterais mieux votre Commission.

CÉLIDAN.

Mon nom est Célidan ; mais j'aurai soin, moi-même,

De faire, à ces Bergers, savoir comme on les aime,

510   Je vais par toute l'Île, encore, les chercher.

DÉLIE.

Allez.

CÉLIDAN.

Ce que j'ai dit, la doit autant toucher,

Qu'il doit, dans son amour, rendre content Philène.

SCÈNE VII.

DÉLIE, seule.

Enfin, mes deux Amants ont mérité ma haine,

Et le Hasard m'apprend, quand j'y pense le moins,

515   Que d'autres, avec moi, partagent tous leurs soins.

Loin de penser au choix que mon coeur allait faire,

Tout mon amour se doit convertir en colère :

Mais, je crains bien, hélas ! Que toute ma fureur,

Ne serve qu'à montrer l'excès de mon ardeur.

520   Quoi ! Je conserverais une indigne tendresse

Pour ceux qui, dedans Smyrne, ont chacun leur Maîtresse ?

Non, je dois étouffer tout mon feu, mais, hélas !

Je m'emporterais moins, s'ils ne me touchaient pas.

Je prétends, toutefois, faire finir ma peine.

525   Pour eux, je veux avoir, désormais, de la haine :

Mais, ce que je ressens, doit m'apprendre, en ce jour,

Qu'un coeur qui veut haïr, sent, encor, de l'amour.

Que de tendresse ayant, encore, l'Âme pleine,

Je n'ai qu'en mes désirs, seulement, de la haine :

530   Et que, pour en avoir, mes soins sont superflus,

Puisqu'on aime souvent, quand on croit n'aimer plus.

Mais, je vois ces Amants, et malgré ma tendresse,

Je vais, de mon amour, paraître la Maîtresse.

SCÈNE VIII.
Délie, Licidas, Céliante.

LICIDAS.

L'impatient désir d'apprendre votre choix...

DÉLIE.

535   N'avez-vous point, tous deux, rencontré, dans ce Bois,

Un berger étranger ?

CÉLIANTE.

Nous n'avons vu personne.

DÉLIE.

Son nom est Célidan. Quoi ! Ce nom vous étonne ?

LICIDAS.

C'est un Berger de Smyrne, et que j'ai fort connu ;

Mais, j'ignorais, qu'ici, ce Berger fut venu.

CÉLIANTE.

540   Il me tarde, déjà, que je ne le revoie.

LICIDAS.

À l'embrasser, tantôt, j'aurai bien de la joie.

DÉLIE.

Puisqu'il vous est connu, de grâce, dites-moi,

Puis-je, à tous ses discours, ajouter quelque foi ?

Il me vient de conter un secret qui m'importe,

545   Et dont, je crois, qu'il faut, qu'à lui, je me rapporte.

LICIDAS.

Vous le pouvez, il a beaucoup de probité.

DÉLIE.

Puisque cet Étranger m'a dit la vérité,

Vous devez, pour jamais, éviter ma présence.

CÉLIANTE.

Ô Dieux !

LICIDAS.

Faites-moi, donc, connaître mon offense :

550   Mais, c'est, peut-être, un tour qu'il voudrait me jouer.

DÉLIE.

Non, non, il n'est plus temps de le désavouer,

Vous avez fait pour lui, paraître trop d'estime ;

Et mon courroux, enfin, n'est que trop légitime.

CÉLIANTE, l'arrêtant, comme elle veut sortir.

Alors que mon Rival a perdu tout espoir,

555   Me serait-il permis, Bergère, d'en avoir ?

DÉLIE.

Après avoir commis une pareille offense,

Je pourrais vous souffrir, encor, quelque espérance !

Ah ! Bien loin d'en garder, sachez que je vous hais,

Et que je vous défends de me revoir jamais.

SCÈNE IX.
Licidas, Céliante.

CÉLIANTE.

560   Quel mépris éclatant !

LICIDAS.

  Son dépit est extrême.

CÉLIANTE.

Qu'avez-vous fait, Berger ?

LICIDAS.

Qu'avez-vous fait, vous-même ?

CÉLIANTE.

Je ne puis deviner.

LICIDAS.

Ni moi.

CÉLIANTE.

Quelle fierté !

Je ne puis plus tenir contre sa cruauté,

Je suis las de souffrir de si cruelles peines :

565   Et je prétends, enfin, briser, bientôt, mes chaînes.

Je ne veux plus souffrir de sa bizarre humeur,

Je veux, de son amour, dégager tout mon coeur ;

Et n'être plus sujet à l'outrageant caprice

D'un Objet qui me traite avec trop d'injustice.

LICIDAS.

570   Moi, je veux d'un autre oeil, regarder son courroux,

Elle croit avoir lieu d'éclater contre nous ;

Et son ardent dépit me plaît bien davantage,

Que si je la voyais se rire d'un outrage.

Alors son procédé marquerait du mépris,

575   Mais son dépit fait voir que son coeur est épris.

CÉLIANTE.

Vous avez une ardeur obligeante, et civile,

Pour moi, je n'aime plus d'une amour si tranquille,

Et ne saurait souffrir qu'elle ait fait, contre nous,

Sans nous vouloir entendre, éclater son courroux :

580   Et qu'elle n'ait, enfin, voulu nous rien apprendre,

De peur qu'il ne nous fût aisé de nous défendre.

Ah ! C'est trop en souffrir, je prétends, dès ce jour,

À ses yeux, triompher de toute mon amour.

Je connais, dans ces Lieux, des Objets adorables,

585   Qui ne me feront pas des traitements semblables :

Avant que d'éclater, je veux savoir, pourtant,

Du Berger Célidan, ce qui l'anime tant.

LICIDAS.

Je prétends bien, aussi, qu'il me tire de peine.

Et je vais le chercher... Mais, j'aperçois Philène.

SCÈNE X.
Céliante, Licidas, Philène.

PHILÈNE.

590   Qu'ils sont embarrassés ! Tout succède à vos voeux,

Philène, désormais, sera le malheureux ;

Car, tous deux, vous venez de montrer à Délie,

L'ardeur de votre amour, en lui sauvant la vie.

CÉLIANTE, sans l'écouter.

Quelle étrange disgrâce !

LICIDAS.

Ah ! Quel cruel malheur !

PHILÈNE.

595   Vous soupirez tous deux, d'où vient votre douleur ?

Reconnaît-elle mal, cet important service ?

Mais, cela ne se peut, elle vous rend justice,

Et n'eût-elle, jamais, senti, pour vous, d'amour,

Elle vous en devrait témoigner, en ce jour,

600   Et ne vous pas traiter avec un air si rude,

Qu'il la fît soupçonner de trop d'ingratitude.

CÉLIANTE.

Laisse-nous.

LICIDAS.

Dites-moi, voulez m'obliger ?

N'avez-vous point trouvé de Pasteur étranger ?

PHILÈNE.

J'en viens de trouver un, qu'on dit être de l'Île...

605   De l'Île de...

LICIDAS.

De Smyrne ?

PHILÈNE.

Oui.

CÉLIANTE.

  Ce nom est facile,

Et, sans beaucoup de peine, on peut le retenir.

Mais, cherchons ce berger.

LICIDAS.

Je veux l'entretenir.

CÉLIANTE.

Allons, sans perdre temps, même désir me presse.

SCÈNE XI.

PHILÈNE, seul.

Enfin, ils sont brouillés avecque leur Maîtresse :

610   Et quoi qu'elle entreprenne, afin de s'éclaircir,

Elle ne pourra pas, aisément, réussir.

Pour se rendre sitôt, je sais qu'elle est trop fière,

Et c'est pourquoi ma joie est d'autant plus entière.

Mais je vais retrouver l'obligeant Étranger

615   Qui trouble mes Rivaux, afin de m'obliger ;

Et je vais, si je puis, surprendre la tendresse

Que, pour ces deux bergers, conservait ma maîtresse.

Comme son coeur est vide, et qu'il n'a plus d'amour,

Je suis assez bien fait, pour le remplir un jour.

ACTE III

SCÈNE I.
Orphise, Céliante.

ORPHISE.

620   Oui, l'on doit l'accuser d'un peu d'ingratitude,

Vous ne méritiez pas un traitement si rude ;

Et quoi qu'elle vous pût, justement, soupçonner,

Elle ne devait pas, encor, vous condamner.

CÉLIANTE.

Elle a quelque raison, malgré notre innocence,

625   Nous serons condamnés, si l'on croit l'apparence ;

Et quoique Célidan dise une fausseté,

Tout ce qu'il nous soutient, n'est pas mal concerté ;

Et nous voyions à Smyrne, Aminte, et Clidamire,

Pour lesquelles il dit que notre coeur soupire.

630   Je ne sais pas, encor, d'où vient que ce Berger

Travaille, avec ardeur, à nous désobliger,

Ni pourquoi, près Délie, il s'obstine à nous nuire :

Comme sur son Esprit vous avez quelque empire,

Dites-lui qu'elle doute à tort de mon ardeur.

ORPHISE.

635   Vous n'obtiendrai, jamais, ni sa Main, ni son coeur.

CÉLIANTE.

Ma Raison, à mon feu, ne consent qu'avec peine,

Et de mon Ascendant, la force souveraine,

Excitant, malgré moi, la révolte en mes sens,

Fait obéir mon coeur à ses charmes puissants ;

640   Et je crois que l'Amour s'affermit dans une Âme,

Quand la Raison s'efforce à combattre sa flamme,

Et qu'un Amant chagrin d'avoir trop pris d'ardeur,

Veut, avec son secours, l'arracher de son coeur,

Puisque tout ce qu'il fait, sert à son feu d'amorce,

645   Et que, voulant l'éteindre, il augmente sa force.

ORPHISE.

Les fortes Passions causent de grands ennuis.

CÉLIANTE.

On devrait bien me plaindre, en l'état où je suis.

Déjà, depuis longtemps, ma Raison me conseille

D'aimer une Beauté que je crois sans pareille ;

650   Et mon coeur qui résiste à de si doux appas,

Écoute ses conseils, mais il ne les suit pas.

ORPHISE.

Ne saurait-on savoir quelle est cette Bergère ?

CÉLIANTE.

Si j'osais la nommer, je pourrais vous déplaire.

ORPHISE.

La Raison, sans l'Amour, peut bien faire estimer ;

655   Mais il faut un peu plus, quand il s'agit d'aimer.

J'apprends, donc, votre estime, et pour la reconnaître,

Je crains bien que mon coeur n'en fasse trop paraître,

Et n'ose, malgré moi, vous souhaiter un jour,

Un peu moins de Raison, mais un peu plus d'Amour.

CÉLIANTE.

660   Ah ! Puisqu'elle a pour nous une injustice extrême,

La Cruelle, aujourd'hui, saura que je vous aime :

Avant que la servir, mon coeur, assez longtemps,

Avait, entre vous deux, été trop en suspens,

Et je ne sais comment, sans oublier vos charmes,

665   Mon coeur, à ses appas, rendit, enfin, les armes.

ORPHISE.

L'Amour, dont votre coeur croit se sentir brûler,

Moins que votre dépit, vous fait ainsi parler.

Lorsque vous m'aimerez, peut-être, que Délie

Aura, de cet Amour, un peu de jalousie,

670   Et saura vous traiter avec plus de douceur :

Sa gloire l'obligeant à ravoir votre coeur,

Vous le reporterez, d'abord, à cette belle,

Et ne serez, ainsi, qu'à moi seule infidèle.

C'est pourquoi je ne veux nourrir aucun espoir,

675   Que son choix ne vous ait ôté lieu d'en avoir :

Jusques là, je saurai cacher, à tous, la flamme

Que mes faibles appas ont fait naître en votre âme ;

Car le feu dont, pour moi, votre coeur peut brûler,

Ne vaut, que je crois, la peine d'en parler.

Elle s'en va.

SCÈNE II.

CÉLIANTE, seul.

680   Tu ne te trompes pas, puisque mon coeur l'oublie :

Sitôt que j'aperçois l'adorable Délie,

Quand je vois ses Appas, ces aimables Tyrans,

À leur douce fierté, malgré moi, je me rends,

Et quoi que j'entreprenne, afin de m'en défendre,

685   L'éclat de ses beaux yeux a trop bien su me prendre.

Aimons-les, donc, ces yeux qui savent tout charmer,

Ne leur résistons point, laissons-nous enflammer,

Donnons un libre cours à cette ardeur pressante :

Puisque, pour l'arrêter, elle est trop violente,

690   Souffrons à notre coeur, de former des désirs,

Ne nous obstinons point à vaincre nos soupirs,

Nous cesserons d'aimer, cessant de les contraindre,

Et d'eux-mêmes, nos feux, alors, pourront s'éteindre.

Apercevant Délie.

Commençons...

SCÈNE III.
Délie, Céliante.

CÉLIANTE.

Si je puis vous prouver, quelque jour,

695   Que vous seule avez pu me donner de l'amour,

Votre coeur...

DÉLIE.

Vous seriez charmé de dix Bergères,

Que toute cette ardeur ne me soucierait guères.

CÉLIANTE.

J'avais lieu d'espérer d'être, autrement, traité,

Et cette indifférence a trop de cruauté.

DÉLIE.

700   Mais, plus d'emportement, marquerait de la flamme,

Et j'ai su, tout à fait, la chasser de mon âme.

CÉLIANTE.

Quoi ! L'ardeur que je sens...

DÉLIE.

Ne parlons point d'ardeur.

CÉLIANTE.

L'Amour...

DÉLIE.

Parlez, donc, seul.

CÉLIANTE.

Hé quoi ! Votre rigueur...

DÉLIE, levant la tête.

Mais, que le jour est beau !

CÉLIANTE.

Beaucoup moins que Délie,

705   Dont les cruels mépris me vont coûter la vie.

DÉLIE, tournant la tête.

L'agréable fontaine !

CÉLIANTE.

Ah ! Loin de l'admirer,

Tournez, plutôt, les yeux, pour me voir expirer.

DÉLIE.

Qu'elle fait de Ruisseaux !

CÉLIANTE.

Moins, encor, que mes larmes.

DÉLIE, tournant la tête d'un autre côté.

Ne remarquez-vous point que ce Bois a de charmes ?

CÉLIANTE.

710   Trop injuste Beauté, dont je ressens les coups,

Je ne remarque rien, quand je suis avec vous.

DÉLIE.

Les oiseaux...

CÉLIANTE.

Ah ! C'est trop se rire de ma peine,

Et faire vanité de paraître Inhumaine.

DÉLIE.

Je vous l'ai, déjà, dit, étouffez votre espoir,

715   Laissez-moi vivre en paix, et cessez de me voir.

Elle aperçoit Licidas qui vient d'un côté, pendant que Florice vient de l'autre.

Licidas doit, de même, éviter ma présence.

SCÈNE IV.
Délie, Céliante, Licidas, Florice.

LICIDAS.

Vous pourrez, quelque jour, savoir mon innocence.

FLORICE.

Bergère, j'ai sujet de me plaindre de vous,

Et de faire éclater tous mes soupçons jaloux.

720   Je sais que vous avez de l'amour pour Philène,

Et je viens d'en avoir une preuve certaine.

DÉLIE.

Je crois que vous rêvez.

FLORICE.

Ne me déguisez rien,

Je sais trop, qu'avec lui, vous vous entendez bien,

Et que, de ces Bergers, cherchant à vous défaire,

725   Tantôt, par son intrigue, il a su si bien faire,

Étant fortifié d'un si puissant aveu,

Que de vous plaindre d'eux, il vous a donné lieu :

Car vous ayant rendu, tous deux, un grand service,

Vous n'osiez, sans sujet, faire cette injustice.

Aux Bergers.

730   Célidan, qui, je crois, vous est assez connu,

Étant, pour quelque affaire, en cette Île venu,

Philène, que l'Amour obligeait à vous nuire,

Par lui, près de Délie, a voulu vous détruire :

Et l'ayant, dans cette Île, autrefois, obligé,

735   Ce fourbe, à le servir, l'a, bientôt, engagé.

Comme, depuis longtemps, la forte jalousie

Dont mon âme inquiète est, justement, saisie,

Me fait avoir des Gens qui, fort soigneusement,

M'apprennent ce que fait mon infidèle Amant.

740   On m'a dit que le Traître ayant bien su l'instruire,

Ils avaient inventé qu'Aminte et Clidamire

Vous avaient fait, tous deux, à Smyrne, soupirer ;

C'est pourquoi Célidan vient de vous l'assurer.

LICIDAS.

Il me l'a soutenu, même avec impudence.

CÉLIANTE.

745   Quoi, donc, qu'avec Philène, il est d'intelligence ?

FLORICE.

Oui.

LICIDAS.

Nous nous doutions bien, qu'étant fourbe et jaloux,

Il pourrait, à la fin, nous nuire auprès de vous.

CÉLIANTE, voyant venir Philène.

Mais, il faut, quelque temps, ouïr parler Philène,

Sans lui dire qu'on vient nous tirer de peine.

SCÈNE V.
Délie, Licidas, Céliante, Florice, Philène.

PHILÈNE.

750   À la fin, ces bergers vous feront-ils pitié ?

Pour moi, de leur douleur, je ressens la moitié :

Mais, ce n'est pas ma faute, et je n'y puis que faire.

LICIDAS.

Je vais, de tour ceci, découvrir le mystère,

Célidan va m'aider.

SCÈNE VI.
Délie, Licidas, Céliante, Florice, Philène, Célidan.

CÉLIDAN.

Malgré votre courroux,

755   Je viens, près de partir, prendre congé de vous.

LICIDAS.

Confesse, auparavant, toute ta fourberie,

Et ne crois pas tourner la chose en raillerie.

CÉLIANTE.

Nous ignorions, tantôt, qui t'avait suborné,

En vain, de ce discours, tu parais étonné,

760   Nous avons tout appris, tu dois parler sans feinte.

CÉLIDAN.

Vous prétendez, par là, me donner de la crainte ?

Entre vous deux, ce jeu semble bien concerté,

Mais, par malheur pour vous, j'ai dit la vérité.

CÉLIANTE.

C'est trop perdre de temps, avoue à cette belle,

765   Que nous n'avons, jamais, adoré d'autres qu'elle.

FLORICE.

Tu dois, aussi, nommer ceux qui t'ont fait agir.

DÉLIE.

Philène, qu'avez-vous, que je vous vois rougir ?

PHILÈNE.

Je ne saurais souffrir ce Fourbe, davantage,

Quand je le vois, le sang monte sur mon visage ;

770   Et comme je le hais, et qu'il blesse mes yeux,

Je veux que, maintenant, il sorte de ces Lieux.

À Célidan.

Défendez-vous.

DÉLIE.

Il doit, même, en votre présence,

Dire, avec quel Berger, il est d'intelligence.

PHILÈNE.

Il faut l'aller chercher ; qu'on nous laisse ce soin,

775   J'y vais avecque lui.

LICIDAS.

  Vous n'iriez pas bien loin.

PHILÈNE.

Mais, dites-moi son nom, il ne veut pas répondre ;

S'il est Fourbe, je veux, moi-même, le confondre.

Est-il quelqu'un à qui l'on puisse se fier ?

Aux Bergers.

Mais, encor, s'il pouvait se bien justifier ?

Bas à Célidan.

780   N'avouez rien, au moins.

CÉLIANTE.

  Je lui ferai tout dire.

Il doit, même, avouer, qu'avant qu'il se retire,

Que l'un de nos Bergers, de Délie, amoureux,

Est d'accord avec lui, de ruiner nos feux.

CÉLIDAN.

Ah ! C'est un peu, trop loin, pousser la raillerie.

PHILÈNE.

Bas à Célidan.

785   Tenez bon. Qui l'eût cru ! Voyez la fourberie :

Mais, il n'avouera rien, il est trop obstiné.

FLORICE.

Mais, n'avoueras-tu rien, toi qui l'as suborné ?

CÉLIDAN.

Lui ?

DÉLIE.

Ne le niez point, la chose est avérée ;

Vous n'avez pas dit vrai, j'en suis fort assurée,

790   Vous cherchez à leur nuire, avouez tout, parlez.

CÉLIDAN.

Comme je ne veux rien que ce que vous voulez,

Et vous dire autrement, ce serait vous déplaire,

Je ne tâcherai point de prouver le contraire,

Et je ne prétends plus vous rien dire, qu'adieu.

LICIDAS.

795   Nous ne te quittons pas, encor, pour cet aveu.

CÉLIDAN.

Quoi ! Bergers, n'ai-je pas, assez, de complaisance ?

Je me fais criminel, malgré mon innocence ;

Et je vous laisse, encor, pour vous mieux obliger,

Avec une Beauté qui sait vous engager.

SCÈNE VII.
Délie, Céliante, Licidas, Florice, Philène, Célidan.

PHILÈNE.

800   Ce Berger, aujourd'hui, sentira ma furie,

S'il ne confesse pas toute la fourberie ;

Afin de l'y forcer, je vais suivre ses pas.

FLORICE.

Voyons ce qu'il veut faire, et ne le quittons pas.

SCÈNE VIII.
Délie, Céliante, Licidas.

DÉLIE.

Encor qu'avec adresse, ils soient sortis d'affaire,

805   Les détours du premier, font voir tout le mystère.

LICIDAS.

Devant vous, j'ai voulu retenir ma fureur,

Mais, mon Bras saura bien punir cet Imposteur.

DÉLIE.

Tantôt, adroitement, j'espère de Philène,

Tirer la vérité.

CÉLIANTE.

Pour finir notre peine,

810   N'ayant plus de sujet de vous plaindre de nous,

Entre vos deux Amants, choisissez un Époux.

DÉLIE.

Quoique de votre perte, on me vît affligée,

J'avais quelque douceur à me croire outragée ;

Et je me consolais, dans un tel déplaisir,

815   De ce que vous m'ôtiez la peine de choisir ;

Car, enfin, si tous deux vous m'avez bien servie,

Si vous m'avez, tous deux, su conserver la vie,

Puis-je, sans être injuste, en rendre un malheureux,

Donnant à l'autre, un prix, que je dois à tous deux ?

LICIDAS.

820   Quelque soit votre choix, il doit être équitable,

Faisant, entre nous deux, voir moins d'un Misérable.

DÉLIE.

Hé ! Vous ne craignez point d'être ce Malheureux ?

LICIDAS.

Pour ne le craindre pas, je suis trop amoureux.

DÉLIE.

Tous deux, également, vous m'avez obligée,

825   Et, par là, je me sens, à tous deux, engagée.

CÉLIANTE.

N'importe, finissez ces obligeants refus.

DÉLIE.

Montrez-moi, donc, celui que je dois n'aimer plus.

LICIDAS.

Consultez votre coeur.

DÉLIE.

Sa tendresse l'accable,

Et je dois, plus que vous, m'estimer misérable ;

830   Un seul Objet vous plaît, et fait naître vos feux,

Mais, on souffre bien plus, quand on en aime deux.

Si je ne puis, pourtant, en aimer deux, sans crime,

Je puis, au moins, changer mon amour, en estime :

Et pour rendre, entre nous, un tel malheur, commun,

835   Ne pouvant être à deux, je veux n'être à pas un.

Le tort que je vous fais, me va punir moi-même,

Car, vous perdant tous deux, je perds tout ce que j'aime :

Mais, dans cette infortune, il vous doit être doux,

Que nul n'ait part au Bien qui n'était dû qu'à vous.

SCÈNE IX.
Délie, Céliante, Licidas, Orphise.

ORPHISE.

840   Je viens, en vous cherchant, de rencontrer Philène,

Avecque Célidan, qui m'ont bien mise en peine.

Ce dernier se défend avecque tant d'esprit :

Et de tant de raisons il soutient ce qu'il dit,

Que je ne doute plus, qu'Aminte, et Clidamire,

845   De ces adroits Bergers, ne causent le martyre.

CÉLIANTE.

Prenez-vous, à présent, son Parti contre nous ?

ORPHISE.

Avant de l'avoir vu, j'étais, tantôt, pour vous :

Mais, je crois, qu'il n'est pas si Fourbe que l'on pense,

Puisqu'il veut, par Témoins, prouver ce qu'il avance.

DÉLIE.

850   J'ai cru leur innocence, un peu, légèrement,

Mais, on se rend, bientôt, aux raisons d'un Amant :

Et notre Sexe, enfin, est facile à surprendre,

Quand nous croyons trouver du plaisir à nous rendre.

Ce n'est pas que je doive, encor, les condamner,

855   Mais, je crois que je dois, encor, les soupçonner.

Florice peut, donnant trop à sa jalousie,

Croire tout ce qui vient dedans sa fantaisie,

Et croître, en se trompant, sa peine, et mon souci :

Mais, ces discours pourraient se trouver vrais, aussi.

860   Songez, donc, à prouver, tous deux, votre innocence,

Et, jusques à ce temps, évitez ma présence.

LICIDAS.

Mais...

DÉLIE.

Laissez-nous.

LICIDAS, s'en allant.

Je vais expirer de douleur.

CÉLIANTE.

Je saurai vous aimer, malgré votre rigueur.

SCÈNE X.
Délie, Orphise.

DÉLIE.

Mon embarras est grand, et le tien n'est pas moindre.

865   Cherche, donc, Célidan, tâche de le rejoindre,

Et fais tant, qu'il te dise, avec sincérité,

Si ce qu'il nous soutient, est une vérité.

ORPHISE.

J'y cours.

Elle sort d'un côté, et Périandre vient de l'autre.

Mais, devers moi, Périandre s'avance.

SCÈNE XI.
Délie, Périandre, Gardes.

PÉRIANDRE.

Quoiqu'avec tant de soin vous fuyez ma présence,

870   Que vous ayez, toujours, pour moi, même rigueur,

Malgré vos cruautés, je ressens plus d'ardeur.

Vous me montrez, en vain, un visage sévère,

Je revois, d'un même oeil, ces yeux qui m'ont su plaire :

Et mon coeur se rendant à vos charmes divers,

875   Reconnais ses Vainqueurs, et rentre dans ses fers.

DÉLIE.

Ce discours doit, Seigneur, surprendre une Bergère.

PÉRIANDRE.

Vos yeux font plus de mal qu'ils ne croient en faire.

Par l'ordre de mon Roi, quand je vins dans ces Lieux,

Je me rendis, moi-même, à l'éclat de ces yeux :

880   Mon coeur, contre leurs coups, se trouva sans défense,

Mais vous n'eûtes, pour moi, que de l'indifférence.

Cependant, qui l'eût cru ? J'apprends à mon retour,

Que deux Bergers ont pu vous donner de l'amour.

Mais, quel que soit le feu qui règne dans votre Âme,

885   Pouvez-vous, à la fois, en aimer deux, sans blâme ?

DÉLIE.

L'un des deux pourrait bien me toucher, un peu, plus,

Quoique l'autre n'ait pas mérité de refus :

Mais, mon coeur s'en devant rendre compte à soi-même,

Il se consulte, seul, pour savoir ce qu'il aime.

PÉRIANDRE.

890   Lorsque mon feu vous offre un Triomphe plus doux,

Préférez-moi, Bergère, en prenant un Époux :

Le Rang que vous tiendrez, donnera de l'envie ;

Au milieu des Plaisirs, vous passerez la vie ;

Car, si pour les goûter, il est quelque Séjour,

895   On n'en saurait trouver un autre que la Cour.

Là, les Jeux, et les Ris, ont choisi leur Demeure,

Les Divertissements y changent à toute heure.

Là, se fait admirer ce jeune, et puissant Roi,

De qui le Monde entier, doit recevoir la Loi :

900   Ce Roi charmant en paix, et redoutable en Guerre,

Dont le Nom, aujourd'hui, fait, seul, trembler la Terre,

Et pour qui vous voyez les Bergers, diligents,

Courir, avec ardeur, lorsqu'il passe en vos Champs,

Et ravis de le voir, oublier leur tristesse,

905   Jeter des cris de joie, et des pleurs d'allégresse,

Et dans l'empressement qu'ils font paraître tous,

Laisser leurs Troupeaux même, à la merci des Loups,

Pour ne voir, qu'un instant, ce Monarque adorable,

Qu'on ne voit qu'à travers d'une Foule innombrable

910   De Héros, sur lesquels il paraît, en tous Lieux,

Tel qu'on voit Jupiter entre les autres Dieux.

Venez, donc, admirer ce plus grand des Monarques,

Le voir, de ses bontés, donner à tous des marques,

Connaître le Mérite, et le récompenser,

915   Ces plaisirs sont plus grands qu'on ne saurait penser,

Et quels que soient, enfin, ceux que je vais décrire,

Le plaisir de le voir, vaut tout ce qu'on peut dire.

Mais, pour vous montrer mieux, jusqu'où vont ses bontés,

Il divertit la Cour par mille nouveautés :

920   Et lui fait admirer d'étonnantes Merveilles,

Qui, des plus beaux Esprits, sont les savantes veilles,

Les Arts y montrent, tous, ce qu'ils ont de plus beau,

De Prodiges sans nombre, on y voit un Tableau,

Et rien n'est comparable aux beautés, sans égales,

925   Des Spectacles pompeux de ses Fêtes Royales.

Ce grand Roi prend, encor, un utile repos,

À voir, dessus la Scène, éclater, des Héros,

Par les Portraits parlant de tout ce qu'en leur vie,

Ces Demi-Dieux ont fait de plus digne d'envie.

930   Rendez-vous, donc, Bergère, aux charmes de la Cour

D'un Monarque si digne, et d'estime, et d'amour,

Qui, dans tous vos plaisirs, daignera bien descendre,

À dessein, seulement, de vous les faire prendre ;

Car, quoi que de ces Jeux, on le voie ordonner,

935   Il ne prend ces plaisirs, qu'afin de les donner.

DÉLIE.

J'admire ses bontés, mais j'aime trop cette Île,

La vie est, dans nos Champs, plus douce et plus tranquille,

De nos Bois, les Chagrins sont bannis pour jamais,

C'est là qu'un mol gazon offre un lit doux et frais,

940   Et que le Jour paraît régner avec les Ombres,

Pour éclairer la nuit qu'on trouve en ces Lieux sombres.

Là, souvent, les Zéphyrs apportent les odeurs

Des larcins qu'ils ont faits, en caressant les Fleurs.

Nous entendons, aussi, des prochaines Montagnes,

945   L'eau qui, par gros bouillons, tombant dans nos Campagnes,

Semble nous inviter à nous rendre au Sommeil ;

Puis cent divers Oiseaux causent notre réveil,

Autour de nous, soudain, nous les voyons paraître,

Qui, formant un Concert aussi doux que champêtre,

950   Voltigent, en chantant, de rameaux en rameaux.

Les Bergers, à ce bruit, mêlent leurs Chalumeaux,

Les Bergères leurs voix, les Ruisseaux leur murmure ;

Et, pour nous faire voir ce que peut la Nature,

L'Écho même y répond, surpris d'étonnement,

955   Et sert d'un second Choeur, à ce Concert charmant.

PÉRIANDRE.

On aime ces plaisirs, quand on n'en a point d'autres :

Mais, si vous songiez bien à la douceur des nôtres,

Si vous examiniez quels sont ceux de la Cour,

Peut-être, pourriez-vous les aimer à leur tour.

DÉLIE.

960   Je sais qu'ils sont mêlés de trop cruelles peines,

Nous en goûtons, souvent, de plus doux dans nos Plaines,

Jamais l'Ambition ne les y vient troubler :

Et si quelque Berger, d'amour, se sent brûler,

Il fait, dans ses discours, régner tant de justesse,

965   Et sais si bien toucher le coeur d'une Maîtresse,

Que l'on croirait, de l'air dont il sait l'engager,

Qu'un Héros fait l'amour sous l'habit d'un Berger.

PÉRIANDRE.

Ah ! Je saurai, bientôt, trop ingrate Bergère,

À qui, de ces Héros, le Sort sera contraire :

970   Mais, comme toute l'Île est soumise à ses coups,

Je crains pour vos Amants, et plus, encor, pour vous.

DÉLIE.

Croyez que, si le Sort me rend votre Captive,

Je vous suivrai, seigneur, sans que mon coeur vous suive.

ACTE IV

SCÈNE I.
Délie, Philène.

DÉLIE.

Quand vous m'avoueriez tout, pourrais-je vous blâmer ?

975   On peut faire, encor, plus, quand on sait bien aimer.

PHILÈNE.

Qu'on se doit défier de l'Esprit d'une Femme,

Quand elle veut savoir ce qui touche sa flamme !

Oui, je vais, contre moi, prononcer un Arrêt.

DÉLIE.

Je ne veux que savoir la chose comme elle est.

PHILÈNE.

980   Ah ! Célidan m'a dit des choses qu'il a vues,

Que je ne voudrais pas qui vous fussent connues,

Puisque, pour ces Amants, vous avez trop d'amour,

Pour n'en pas expirer avant la fin du jour.

DÉLIE.

Quoi ! Loin de m'éclaircir, vous augmentez mon trouble ?

PHILÈNE.

985   Ayez pitié du mien, car je sens qu'il redouble ;

Et quand je vois vos yeux, qui peuvent tout charmer,

Je ne me connais plus, et ne sais plus qu'aimer.

Oui, je brûle, pour vous, d'une ardeur incroyable,

Car je vous aime autant que vous êtes aimable :

990   Et ces yeux, cette bouche, et ce port si charmant,

N'excitent pas, en moi, ces transports, seulement ;

Mais, dans vos actions les plus indifférentes,

Je trouve un certain air qui me les rend charmantes,

Car, pour prendre nos Coeurs, l'amour se sert de tout,

995   Et n'en attaque point dont il ne vienne à bout.

On ne saurait souffrir de plus sensibles gênes ;

Aimez-moi, donc, Bergère, et finissez mes peines.

DÉLIE.

Vous m'aimez, aujourd'hui, trop sérieusement,

Et je ne croyais pas que sous votre enjouement...

PHILÈNE.

1000   Quoiqu'avec des soupirs, on découvre qu'on aime,

Avec un air plus gai, l'on peut faire de même ;

Et j'ai voulu, d'abord, en vous divertissant,

Vous découvrir un feu qui s'est rendu puissant.

À mes Rivaux, par là, je donnais moins d'ombrage ;

1005   Mais, ignorant mon but, ils ne m'ont pas cru sage.

DÉLIE.

Et, par là, je vous crois bien capable du tour...

PHILÈNE.

Croyez que je ne suis capable que d'amour.

DÉLIE.

Confessez tout.

PHILÈNE.

Pour vous, mon amour est extrême.

DÉLIE.

Si...

PHILÈNE.

Peut-on aimer plus que Philène vous aime ?

DÉLIE.

1010   Vous avez résolu de ne pas avouer...

PHILÈNE.

Que, de vous, mes rivaux ont lieu de se louer.

Vous aimez l'un des deux ; mais, si je puis éteindre...

DÉLIE.

Et quoi ?

PHILÈNE.

Rien.

DÉLIE.

Vous pouvez parler sans vous contraindre.

PHILÈNE.

C'en est fait, je veux...

DÉLIE.

Hay ?

PHILÈNE.

Sans cesse soupirer,

1015   Faire, pour vous, des voeux, toujours, vous adorer.

DÉLIE.

Vous m'obligeriez plus, de vaincre votre flamme.

PHILÈNE.

Oui, Cruelle, je vais la chasser de mon âme,

Je vous hais à présent, et je veux... Non, mon coeur,

Je ne pourrai, jamais, éteindre mon ardeur.

1020   Mais, que dis-je ? Il le faut, n'en croyez rien, Bergère,

Je ressens trop d'amour, pour m'en pouvoir défaire.

DÉLIE.

Je le crois ; mais, enfin, laissez-moi dans ce bois,

Jusqu'à ce que du Sort, on m'apprenne le choix.

PHILÈNE.

Je ne puis, mon Amour m'ordonne le contraire ;

1025   C'est un Dieu tout puissant, et je dois, pour lui plaire...

DÉLIE.

Mais, je le veux, enfin.

PHILÈNE.

Qui sait trop obéir,

Sait mal comme l'on aime, et cherche à se trahir.

DÉLIE.

Vous êtes fou, vraiment.

PHILÈNE.

D'accord, un amant sage

Ne peut, jamais, jouer, qu'un méchant personnage.

DÉLIE.

1030   Mais, je me fâcherai.

PHILÈNE.

  Condamnez tous mes soins,

Je suis bien résolu de n'en aimer pas moins.

DÉLIE.

C'est tout de bon, enfin.

PHILÈNE.

Je le crois ; mais, de même,

Croyez, donc, tout de bon, que Philène vous aime.

DÉLIE.

D'accord, mais...

PHILÈNE.

Vous devez aussi, ne douter pas

1035   Du pouvoir absolu qu'ont, sur moi, vos appas.

DÉLIE.

Je ne sais plus que faire, et ne sait plus que dire.

PHILÈNE.

Ni moi.

DÉLIE.

Me fâcherai-je ? Ou dois-je, enfin, en rire ?

Berger, si vous m'aimez, il faut, sans balancer,

Pour me plaire, une fois, à l'instant, me laisser.

PHILÈNE.

1040   Hé bien, puisqu'autrement, je ne saurais vous plaire.

Dussé-je en enrager, il faut vous satisfaire.

DÉLIE, seule.

Enfin, je me vois seule, et je crois que je puis...

SCÈNE II.
Délie, Orphise.

ORPHISE.

Vous verrai-je, toujours, rêver à vos ennuis ?

Si pour un seul Berger, vous sentiez de la flamme,

1045   Je crois que vous auriez moins de trouble dans l'Âme.

DÉLIE.

Je vous crois.

ORPHISE.

Pourquoi, donc, ne choisissez-vous pas ?

DÉLIE.

Je ne puis.

ORPHISE.

Pour sortir d'un si grand embarras,

Et connaître celui qui vous plaît davantage,

Songez, s'il était sûr que l'un deux fut volage,

1050   Lequel vous perdriez avec plus de douleur,

Et croyez qu'il a plus de part à votre coeur,

C'est pourquoi vous devez le choisir.

DÉLIE.

Ah ! Bergère,

Je crois, de ce conseil, pénétrer le mystère ;

Et, comme votre coeur brûle pour l'un des deux,

1055   Vous voulez découvrir le secret de mes feux.

Mais quoi ! N'avez-vous point quelque secrète alarme ?

Car je pourrais choisir le Berger qui vous charme.

ORPHISE.

Si vous sentez, pour eux, une pareille ardeur,

Ne le choisissez pas.

DÉLIE.

Nommez votre Vainqueur,

1060   Pour empêcher mon choix d'être à vos veux contraire.

ORPHISE.

Vous pouvez, sans cela, je crois, me satisfaire.

DÉLIE.

Je ne puis deviner.

ORPHISE.

Je vois, qu'absolument,

Je dois... Vous les aimez, au moins, également.

DÉLIE.

Également, hélas !

ORPHISE.

Cet hélas fait connaître

1065   Que, de tout votre coeur, l'un d'eux, s'est rendu Maître.

Voilà votre Secret, à demi, découvert

Vous devez, à présent, parler à coeur ouvert,

Et dire pour lequel...

DÉLIE.

Que vous êtes pressante !

Ils me plaisent tous deux ; mais, enfin, Céliante...

ORPHISE.

1070   Ah ! Que m'apprenez-vous, par ce cruel aveu !

Que ne me cachiez-vous, à jamais, votre feu !

Que fais-je ? Ce transport apprend celui que j'aime.

Mais, peut-on rien cacher, quand l'amour est extrême ?

DÉLIE.

J'apprends celui des deux, qui règne en votre coeur,

1075   Et veux vous obliger, en vous tirant d'erreur.

Céliante, à mon coeur, doit cesser de prétendre,

Et, quand je l'ai nommé, c'était pour vous l'apprendre.

ORPHISE.

Dieux ! Que me dites-vous, et pourquoi ce détour ?

DÉLIE.

On en cherche, toujours, pour montrer son amour.

1080   En disant que, pour l'un, je ne sens point de flamme,

Je découvre que l'autre a su toucher mon Âme :

Et je m'épargne, ainsi, le trouble, et la rougeur

Que je ferais paraître, en nommant mon Vainqueur.

ORPHISE.

Céliante est le mien, et j'ai bien su connaître

1085   Que s'il ne vous aimait, il m'aimerait, peut-être.

DÉLIE.

Ah ! Puisqu'il a, pour vous, des sentiments si doux,

Ce Berger, quelque jour, sera, peut-être, à vous,

Puisque sentant, pour l'autre, un peu plus de tendresse,

Je crois que, quelque jour, il saura ma faiblesse.

1090   Les voici.

SCÈNE III.
Délie, Orphise, Licidas, Céliante.

ORPHISE.

  L'un de vous doit, en cet heureux jour...

DÉLIE.

Ah ! Ne découvrez pas, encore, mon amour.

ORPHISE.

Mais...

DÉLIE.

Cachez mon secret.

ORPHISE.

Mais, je cherche à vous plaire,

Vous ne m'avez pas dit ce Secret, pour le taire ;

Et lorsque votre coeur a choisi Licidas.

Ici, Délie lui jette un regard de dépit.

1095   Vous... Je ne dirai rien, si vous ne voulez pas.

CÉLIANTE, à Orphise.

Que diriez-vous, encor ?

LICIDAS, à Délie.

Quoi ! Serait-il possible...

DÉLIE.

Vous avez trouvé l'art de me rendre sensible :

C'est un Secret, qu'à tous, j'avais voulu cacher,

Mais l'adresse d'Orphise a su me l'arracher.

À Céliante.

1100   Je ne l'aurais pas dit ; et, malgré ma tendresse,

Tant que vous le voudrez, je tiendrai ma promesse ;

Et quand, pour lui, j'aurais une plus forte ardeur,

Il n'aurait pas ma Main, encor qu'il ait mon coeur.

En se tournant vers Licidas.

1105   En vous le préférant, contre moi, je m'irrite ;

En se tournant vers l'un et l'autre.

Car je vous trouve égaux, en amour, en mérite.

À Licidas.

Je suis d'accord qu'il m'aime,

À Céliante.

Et j'approuve vos soins ;

Je vous estime autant, mais vous me touchez moins.

Montrant Licidas.

1110   Pour lui, d'un sentiment que l'Amour me fait prendre,

J'ai longtemps, vainement, tâché de me défendre.

Ne me demandez pas, lorsqu'il m'a su charmer,

Ce qu'il a, plus que vous, qui m'oblige à l'aimer ?

Je sens que cet amour, c'est mon coeur qui m'engage,

1115   Mais, je ne puis, encor, en savoir davantage,

Ni pourquoi mes désirs penchent plus d'un côté,

Quand je croyais aimer avec égalité.

Je cherche le sujet de cette préférence ;

Mais n'en pouvant avoir l'entière connaissance,

1120   Je pense que l'Amour, par une douce Loi,

Nous fait aimer avant que nous sachions pourquoi :

Et lorsque sur ce point, je consulte mon âme,

Elle me fait moins voir de raison que de flamme ;

Et, par ce que je sens, je connais, en ce jour,

1125   Qu'on doit peu demander des raisons à l'Amour.

LICIDAS.

Quelles grâces vous tendre, adorable Bergère ?

CÉLIANTE, à Délie.

Si je n'ai rien en moi qui vous puisse déplaire,

Je dois me consoler, et connaître, à mon tour,

Qu'on doit peu demander de raisons à l'Amour.

DÉLIE, à Céliante.

1130   Orphise, qui pour vous...

ORPHISE.

  Cachez-lui ma tendresse,

Et ne découvrez point, encore, ma faiblesse.

DÉLIE.

Mais...

ORPHISE.

Ne lui dites point que mon coeur, en secret...

DÉLIE.

Vous verriez, que je crois, mon silence, à regret,

Et je vais, à mon tour...

ORPHISE.

Ô Dieux ! Qu'allez-vous faire ?

DÉLIE.

1135   Vous ne m'avez pas dit ce Secret, pour le taire ;

Et je dois, pour vous rendre un service, à mon tour,

Dire que Céliante a causé votre amour.

Je crois, qu'à ce dessein, vous avez fait connaître

Que, du mien, Licidas s'était rendu le Maître.

CÉLIANTE.

1140   J'ai su les sentiments d'Orphise, et je vois bien

Que vous ne voudriez pas que je n'en susse rien :

Mais, pour vous dire plus, aujourd'hui, cette Belle

A su l'estime, aussi, que j'eus, toujours, pour elle,

Et que, sans vous, ses yeux auraient pu me charmer.

1145   Ainsi, je pourrais bien, avec raison, l'aimer,

Quand je puis vous quitter, sans montrer d'inconstance,

Puisque ne m'estimant que par reconnaissance,

Et qu'aimant Licidas par inclination,

Si mon coeur s'obstinait dedans sa passion,

1150   Je ne vous rendrais point à mes voeux favorable,

En rendant, par dépit, mon Rival misérable.

Je ferais peu pour moi, l'empêchant d'être heureux,

Ne pouvant pas jouir du malheur de ses feux :

Et comme vous pourriez me haïr dans votre âme,

1155   Si je troublais, longtemps, une si belle flamme,

Et qu'enfin, vous avez nommé votre Vainqueur,

Je ne dois plus m'attendre à toucher votre coeur.

À Orphise.

Mon procédé serait blâmable, et sans excuse,

Si j'osais vous offrir un coeur que l'on refuse.

ORPHISE.

1160   Vous n'avez pas, je crois, sujet de craindre tant,

J'aime mieux un amant méprisé, qu'inconstant :

Et s'il est glorieux d'adorer le Mérite,

On peut, sans blâme, aussi, quitter ce qui nous quitte.

DÉLIE.

Encor qu'ils soient d'accord, n'espérez pas ma foi,

1165   Que vous n'ayez fait voir que vous n'aimez que moi.

LICIDAS.

Nous venions vous chercher, afin de vous instruire

De ce que Célidan vient, enfin, de nous dire.

Il se défend si mal...

DÉLIE.

Vous serez, donc, heureux.

SCÈNE IV.
Délie, Orphise, Licidas, Céliante, Florice.

FLORICE.

Ah ! Sachez que le Sort est contraire à vos feux.

1170   Il a, d'abord, fait choix de la belle Céphise,

Ensuite, il est tombé, las !

DÉLIE.

Sur qui ?

FLORICE.

Sur Orphise.

ORPHISE.

Sur moi ?

DÉLIE.

Dieux ! Quel malheur !

CÉLIANTE.

Que nous apprenez-vous ?

DÉLIE.

Mais, quels sont les Bergers qu'a choisis son courroux ?

FLORICE.

Damète, et Licidas.

LICIDAS.

Quoi ! Le sort nous accable,

1175   Au moment que l'Amour nous devient favorable ?

Ou, l'Amour, bien plutôt, n'est propice à nos feux,

Qu'au moment où le Sort nous rend tous malheureux ?

Mais, Périandre vient.

SCÈNE V.
Périandre, Délie, Céliante, Licidas, Florice.

PÉRIANDRE, à tous, à la réserve de Délie.

Que chacun se retire ;

Vous, demeurez, car j'ai quelque chose à vous dire.

1180   Quoique le Sort cruel éloigne de ces lieux,

L'un des heureux Bergers que vous aimez le mieux,

Je veux, de son Destin, vous rendre Souveraine ;

Il ne tiendra qu'à vous, adorable Inhumaine,

Qu'il ne parte jamais : et pour vous faire voir

1185   Combien, sur mon Esprit, vous avez de pouvoir,

Et que, pour vous servir, rien ne m'est difficile,

Du Tribut, désormais, j'affranchirai cette Île.

J'espère, de mon Roi, cette insigne faveur,

Et ne veux, pour cela, de vous, que votre coeur.

DÉLIE.

1190   Je n'ai point, là-dessus, de réponse à vous faire ;

Mon coeur étant donné, vous ne sauriez me plaire.

PÉRIANDRE.

Si je n'ai rien en moi, qui vous puisse charmer,

L'offre que je vous fais, me devrait faire aimer,

Et vous ne songez pas, combien l'on a de gloire,

1195   D'affranchir son pays...

DÉLIE.

  J'ai de la peine à croire,

Qu'à ce prix, vous vouliez acheter mon amour :

Puis j'espère en Damon, qui n'est pas de retour.

Mais, adieu.

PÉRIANDRE.

Demeurez ; encore un mot, Bergère ;

Par cette complaisance, au moins, daignez me plaire.

DÉLIE.

1200   Ah ! Sachez qu'un Amant que l'on ne peut aimer,

Et qui, troublant nos feux, tâche de nous charmer,

Attire nos mépris, quand il pense nous plaire,

Et, loin de nous gagner, fait, souvent, le contraire.

PÉRIANDRE.

Il faut, pour me contraindre à ne vous plus aimer,

1205   Faire voir des Vertus qui sachent moins charmer.

Mais, j'aime vos froideurs, et votre résistance,

Et, pour vos deux Amants, j'aime votre constance ;

Car, bien que votre coeur penche pour l'un des deux,

Vous craignez, toutefois, d'en rendre un malheureux,

1210   D'outrager un Amant qui vous a bien servie,

Et de qui vous croyez, même, tenir la vie.

Tout cela, malgré moi, m'oblige à vous aimer ;

Et votre seul mérite ayant pu m'enflammer,

Souvent, dans les transports de mon amour extrême,

1215   Lorsque je pense à vous, je me dis à moi-même,

Que je serais heureux, si je pouvais, un jour,

Rendre cette Beauté sensible à mon amour !

Et qu'on a de plaisir, de goûter la tendresse

D'un Objet dont le coeur est exempt de faiblesse,

1220   Que l'éclat des grandeurs ne sauraient émouvoir,

Et sur qui la Raison a, seule, du pouvoir !

DÉLIE.

Bien qu'elle soit, encor, Maîtresse de mon âme,

Je viens, à mon Vainqueur, de découvrir ma flamme.

Cependant, de mes feux, quoi qu'il ait pu savoir,

1225   Il ne doit pas, encor, nourrir un plein espoir.

Mais, pour moi, votre estime étant considérable,

Pourquoi faut-il, Seigneur, que votre amour m'accable,

Et que m'offrant des Biens qui passent mes désirs,

Elle vienne troubler jusques à mes soupirs ?

PÉRIANDRE.

1230   Quand de vos deux Amants, je regarde l'offense,

Mon amour croit devoir nourrir quelque espérance :

Mais, s'ils n'aimaient que vous, je pourrais bien, alors,

Pour éteindre mon feu, faire tous mes efforts.

DÉLIE.

Je voudrais bien pouvoir découvrir ce mystère.

PÉRIANDRE.

1235   J'en puis venir à bout, adorable Bergère :

Et je me servirai de mon autorité,

Pour faire, à Célidan, dire la vérité.

DÉLIE.

Si vous lui commandez de parler, pour vous plaire,

Je n'en dois pas attendre un aveu bien sincère.

PÉRIANDRE.

1240   Ah ! N'appréhendez rien, je ferai mon devoir :

Mais, lequel aimez-vous, ne le puis-je savoir ?

DÉLIE.

Vous le saurez, adieu, mais, tâchez de me croire,

Et de ne me voir plus, pour sauver votre gloire.

PÉRIANDRE.

Et vous, si vous voulez me croire, à votre tour,

1245   Paraissez moins aimable, ou donnez moins d'amour.

SCÈNE VI.

PÉRIANDRE, seul.

Ah ! Quand je vois ces yeux qui savent trop me plaire,

Je ne me souviens plus qu'elle n'est que Bergère :

Et que Zélinde, enfin, qu'on admire à la Cour,

Sut, avant mon départ, me donner de l'amour.

1250   Qu'elle écoute ma flamme, et que le Roi mon Maître

Semble approuver, aussi, le feu qu'elle a fait naître :

Qu'il estime, et de plus, qu'elle tient un haut Rang.

Autant par sa beauté, que par l'éclat du Sang,

Et Délie, après tout, à mes voeux si contraire,

1255   N'est, malgré mon amour, qu'une simple Bergère :

Mais, Zélinde est Princesse, et mon ambition

Doit, enfin, l'emporter dessus ma passion.

Mais, qu'importe du Rang, quand ma flamme est extrême ?

Je puis, jusqu'à Zélinde, élever ce que j'aime,

1260   Et je m'applaudirai, l'ayant mise en son Rang,

De voir que mon Pouvoir peut autant que le Sang,

Puisque, si l'une tient son Rang de sa Naissance,

L'autre ne peut devoir le sien qu'à ma Puissance.

Je crois que ce qu'on fait pour un Objet aimé,

1265   Donne un plaisir bien grand, quand on est bien charmé :

Et mon amour m'apprend, que la joie est extrême,

Quand on peut, en aimant, élever ce qu'on aime.

Mais, je ne songe pas, dans mon aveuglement,

Que je veux m'abuser, et raisonne en Amant,

1270   Qui, rempli de l'Objet qui règne dans son Âme,

Tâche d'accommoder la Raison à sa Flamme :

Et qui ne songe pas, fuyant sa guérison,

Qu'il faut accommoder sa Flamme, à la Raison.

Mais, comment faire, hélas ! Puisque lorsque l'on aime,

1275   On cherche les moyens de se tromper soi-même ?

Ah ! Loin d'agir ainsi, travaillons, dès ce jour,

En fuyant de ces Lieux, à vaincre notre amour.

ACTE V

SCÈNE I.

DÉLIE, seule.

Que le Sort est cruel ! Qui m'ôte ce que j'aime,

Quand, par une rigueur extrême,

1280   L'Amour, victorieux, veut me voir soupirer :

Et, pour avoir à sa puissance,

Opposé les froideurs de mon indifférence,

Veut que j'aime, sans espérer !

Mais, quoique nul espoir, à présent, ne me flatte,

1285   Je veux que mon amour éclate,

Et qu'on me voie aimer, à mon tour, Licidas.

Je n'en puis mériter de blâme :

Et puisque son mérite autorise ma flamme,

La Raison ne la défend pas.

1290   Je l'aime, je l'avoue, et ne m'en puis défendre,

Et l'on croit que mon coeur, peu tendre,

Ne donne des soupirs qu'au malheur d'un Berger.

Mais, mon trouble fera connaître

Que la seule pitié ne les peut faire naître,

1295   Puisqu'Amour veut les partager.

Je ne le cache plus, il règne dans mon Âme,

Licidas sait, déjà, ma flamme,

Et je veux avouer qu'il a su me charmer.

C'est un Secret que je dois dire,

1300   Puisque, sur son amour, conserver trop d'empire,

C'est ne savoir pas bien aimer.

Selon l'occasion, nous pouvons, sans faiblesse,

Faire voir beaucoup de tendresse,

Surtout, lorsque l'Amour est devenu puissant.

1305   La plus Fière ferait de même ;

Et lorsqu'un coeur est près de perdre ce qu'il aime,

Il découvre tout ce qu'il sent.

Oui, j'aime Licidas ; pour lui, mon coeur soupire,

Je veux me soulager, à force de le dire.

SCÈNE II.
Délie, Florice.

FLORICE.

1310   Hé bien, qu'avez-vous su, Bergère ? Vos Amants,

À Smyrne, ont-ils trouvé des Objets si charmants,

Que de les adorer, ils n'aient pu se défendre ?

DÉLIE.

En ce que Célidan a dit à Périandre,

Il a justifié ces Bergers, pleinement :

1315   Et ce grand Homme agit si généreusement,

Qu'il a, par des bontés, à chacun, favorables,

Fait, pour les Innocents, pardonner aux Coupables,

Et voulu, les ayant rendu tous satisfaits,

Que du tour de Philène, on ne parlât, jamais.

FLORICE.

1320   Cet éclaircissement flatte, un peu, ma tristesse,

Et mon coeur, pour Philène, ayant trop de faiblesse,

Ose espérer, encor, qu'il verra, quelque jour,

De son espoir mourant, renaître son amour.

DÉLIE.

À ce que vous croyez, je vois quelque apparence.

FLORICE.

1325   Mais, de vos deux Amants, ayant su l'innocence,

Vous devez...

DÉLIE.

Je ne dois, en l'état où je suis,

Qu'abandonner mon coeur aux plus cruels ennuis.

Le Sort, l'injuste Sort, m'enlève une Bergère

Qui m'aima tendrement, et me fut, toujours, chère ;

1330   Il me prend Licidas. Mais, Orphise, en ce Lieu,

Me cherche, pour me dire un éternel adieu.

FLORICE.

Comme elle fut, toujours, de votre Confidence,

Votre Entretien n'a pas besoin de ma présence,

Je vous laisse avec elle.

SCÈNE III.
Délie, Orphise.

DÉLIE.

Hé bien, Bergère, hé bien.

ORPHISE.

1335   Que mon malheur est grand !

DÉLIE.

  Que je me plains du mien,

Puisqu'il faut que le Sort, pour jamais, nous sépare !

ORPHISE.

Je lui dois obéir.

DÉLIE.

Mais, il est trop barbare.

ORPHISE.

Périandre vous plaint ; et Licidas, dans peu,

Doit, par son ordre, aussi, vous venir dire adieu.

DÉLIE.

1340   Licidas va venir !

ORPHISE.

  Vous l'allez voir, Bergère.

DÉLIE.

Ah ! Que le Sort se montre, à mes désirs, contraire :

Il doit partir après.

ORPHISE.

Nous partirons tous deux.

DÉLIE.

Quoi ! Ce charmant Berger, pour qui j'ai fait des voeux,

Ce généreux amant qui m'a sauvé la vie,

1345   S'en va, donc !

ORPHISE.

  Avec lui, je quitte ma Patrie.

DÉLIE.

Licidas !

ORPHISE.

Ah ! Bergère, avouez, franchement,

Que vous me plaignez moins que ce fidèle Amant :

Mais, pour vous consoler, Céliante vous aime,

Et vous devez aimer Céliante de même.

1350   Céliante vous reste, et pourra bien...

DÉLIE.

  Hélas !

Quand je songe au départ du berger Licidas...

ORPHISE.

Quoi ! Toujours, Licidas !

DÉLIE.

Quoi ! Toujours, Céliante !

ORPHISE.

Vous savez que, pour lui, ma flamme est trop puissante.

DÉLIE.

Ne vous ai-je pas dit que Licidas, aussi...

ORPHISE.

1355   Je sais que ce Berger fait tout votre souci.

DÉLIE.

Peut-être, qu'il pourra, puisqu'il vous suit en Thrace,

Un jour, dans votre coeur, surprendre quelque place.

ORPHISE.

Celui qui reste ici, sera, peut-être, heureux,

Et, seul, aura le coeur que l'on croyait à deux.

DÉLIE.

1360   Vous le craignez, je crois.

ORPHISE.

  Vous le craignez de même.

DÉLIE.

Ainsi, donc, chacun craint, de perdre ce qu'il aime.

ORPHISE.

Vos yeux accoutumés à charmer ce Berger.

Une seconde fois, pourront bien l'engager :

Vous le verrez souvent, et je crois qu'en votre Âme,

1365   Ses soins réveilleront, peut-être, votre flamme.

DÉLIE.

En dois-je craindre moins, du Berger Licidas ?

S'il ne vous aime point, il verra vos appas,

Et s'accoutumant trop, à voir de si doux charmes,

Vos yeux le forceront à leur rendre les armes.

ORPHISE.

1370   Mais, il vous aime trop.

DÉLIE.

  Il est vrai ; mais, hélas !

On oublie, aisément, ce que l'on ne voit pas.

ORPHISE.

Vous le craignez en vain ; croyez, chère Délie,

Qu'Amour n'est pas un mal, qu'aisément, on oublie.

Je ne le sens que trop, et j'avoue, aujourd'hui,

1375   Que Céliante fait mon plus cruel ennui :

Et quand je songe, enfin, qu'il faut que je le quitte,

Contre le choix du Sort, tout mon amour s'irrite,

Et, dedans ma douleur, ne se fait que trop voir.

Même, depuis le temps que je n'ai plus d'espoir,

1380   Il me semble que tout veut partager mes peines,

Que je ne vois plus rien de charmant dans ces Plaines,

Que l'Eau, même, en murmure, et que tous les Oiseaux

Chantent d'un ton lugubre, et parlent de nos maux ;

Que les plus belles Fleurs sont, aujourd'hui, fanées,

1385   Que Scire n'aura plus d'agréables journées,

Et que c'est à regret, que la Clarté nous luit.

Enfin, dedans l'état où le Sort nous réduit,

Tout se montre à mes yeux, avec des couleurs sombres,

Les rayons du Soleil me paraissent des ombres :

1390   Et songeant au sujet qui cause nos malheurs,

Je crois que tout le Monde a les mêmes douleurs ;

Et quelquefois, aussi, dans ma peine profonde,

Je crois, seule, souffrir autant que tout le Monde.

DÉLIE.

Mais, voici nos Amants.

SCÈNE IV.
Délie, Orphise, Licidas, Céliante.

LICIDAS, à Céliante, au bout du Théâtre.

Oui, je quitte ces Lieux,

1395   Et je vais vous laisser ce que j'aime le mieux.

CÉLIANTE, à Licidas.

Croyez que j'en ressens un déplaisir extrême,

Et, quoique mon Rival, croyez que je vous aime.

LICIDAS.

Vous ne m'avez, jamais, donné lieu d'en douter.

Mais, je vois la Beauté que je m'en vais quitter,

À Délie.

1400   Je viens vous dire adieu.

DÉLIE.

  Vous venez me le dire,

Quand, de votre innocence, on vient de nous instruire :

Et comme je l'apprends alors que je vous perds,

Jugez de ma douleur, quand je songe à vos Fers.

LICIDAS.

Vous devez bien penser que la mienne est extrême,

1405   Quand, tout près de partir, on m'apprend que l'on m'aime.

ORPHISE, en montrant Céliante.

Et nous n'avons point sujet de soupirer,

Puisque le Sort, aussi, s'en va nous séparer.

CÉLIANTE.

Je ne me puis lasser d'admirer son caprice,

Et je ne puis assez songer à sa malice.

1410   De nous quatre, le Sort n'en a choisi que deux,

Mais, il nous a rendus, tous quatre, malheureux.

DÉLIE.

Espérons tout, malgré le Sort qui nous menace,

Damon, à tous moments, peut revenir de Thrace.

SCÈNE V.
Délie, Orphise, Licidas, Céliante, Philène.

PHILÈNE.

Sachez que ce Berger est, enfin, de retour.

LICIDAS.

1415   Qu'a-t-il fait ?

ORPHISE.

Que dit-il ?

DÉLIE.

  Je crois que c'est l'Amour,

Qui nous voyant d'accord, aujourd'hui, nous l'envoie.

CÉLIANTE.

Je crains, en espérant, et ma timide joie...

PHILÈNE.

Si votre amour vous fait concevoir quelque espoir,

Vous devez, à Présent, cesser, tous, d'en avoir.

1420   Damon, que nous avions fait partir pour la Thrace,

Espérant que le Roi nous ferait quelque grâce,

Avec tous nos Présents, n'en a rien obtenu,

Et, depuis un moment, est, ici, revenu.

Mais, ce qui me surprend, c'est que je viens d'apprendre

1425   Que, presque en même temps, le triste Périandre,

En soupirant, a lu des Lettres de son Roi,

Ce qui, dans tous les Coeurs, jette un mortel effroi,

Et cause une nouvelle, et profonde tristesse ;

Car, chacun croit que c'est, dans l'ennui qui me presse,

1430   Un ordre, de ne rien accorder à nos voeux.

ORPHISE.

Hélas !

CÉLIANTE.

Quelle disgrâce !

LICIDAS.

Ah ! Tout nuit à nos feux.

DÉLIE.

Quoi ! Tout nous est contraire !

LICIDAS.

Ah ! Délie.

PHILÈNE.

Il me semble

Que je vous vois, tous quatre, assez unis ensemble.

DÉLIE.

Céliante aime Orphise, et j'aime Licidas,

1435   L'Amour en est d'accord, mais le Sort ne l'est pas.

PHILÈNE.

Ce n'est pas sans raison, qu'on a cru que d'Orphise,

Autrefois, ce Berger sentait son Âme éprise :

Et je m'étonne peu, qu'il vive sous ses Lois,

Lorsque de Licidas, votre coeur a fait choix.

1440   Je connais bien, par là, que je vous ai perdue.

Puisqu'aux voeux d'un Amant, votre Âme s'est rendue.

Cela me causera quelques mauvaises nuits ;

Mais, le Temps qui fait tout, calmera mes ennuis,

Et, pour les oublier, je vais voir si Florice,

1445   À mes désirs, encor, veut se montrer propice.

Elle est Femme, elle m'aime, elle est faible, et je crois

Qu'elle est, encore, prête à recevoir ma foi.

Adieu, car je vois bien que trop d'amour vous lie,

Vous aurez Céliante et Licidas, Délie ;

1450   Et, sans doute, l'Amour n'en aurait pas tant fait,

S'il prétendait laisser son Ouvrage imparfait.

SCÈNE VI.
Délie, Licidas, Orphise, Céliante.

CÉLIANTE.

Peut-on, à ses discours, donner quelque créance ?

DÉLIE.

Non, nous ne devons plus concevoir d'espérance.

ORPHISE.

Et, pour quelle raison, pourrions-nous en avoir ?

1455   Le retour de Damon détruit tout notre espoir.

On ne doit croire rien de ce que dit Philène ;

Voyant qu'on le méprise, il rit de notre peine.

LICIDAS.

Quoi ! C'est, donc, tout de bon, qu'il faut nous séparer ?

Ah ! Plutôt à vos pieds, je devrais expirer,

1460   L'Amour l'ordonne ainsi.

CÉLIANTE.

  Quel malheur est le nôtre !

Ah ! Berger, si le Sort eût choisi l'un pour l'autre,

Chacun verrait l'Objet qu'il aime.

LICIDAS.

Et, pour le voir,

L'esclave malheureux, aurait-il plus d'espoir ?

CÉLIANTE.

Quand l'Amour s'est rendu le Maître de notre Âme,

1465   Il est bien doux de voir l'Objet qui nous enflamme.

LICIDAS, montrant Délie.

Si vous vouliez, de moi, la faire souvenir.

CÉLIANTE, montrant Orphise.

Si vous vouliez, aussi, de moi, l'entretenir.

LICIDAS.

Mais, ne vous laissez pas surprendre par ses Charmes.

CÉLIANTE.

À ses appas, aussi, ne rendez pas les armes.

LICIDAS.

1470   En la voyant souvent, vous la pourrez aimer.

CÉLIANTE.

Elle pourra, peut-être, à la fin vous charmer.

LICIDAS.

La Mort me paraîtrait, à présent, moins barbare,

Que le cruel Arrêt du Sort qui nous sépare.

ORPHISE.

Souvenez-vous de moi.

CÉLIANTE.

Que ferons-nous, hélas !

DÉLIE.

1475   Vous m'aller, donc, quitter, ô trop cher Licidas !

LICIDAS.

C'est le Sort qui le veut, ô très chère Délie,

Pour qui je vais traîner une mourante vie !

Chacun regarde sa Bergère, qui répond par un regard languissant. Ensuite les deux Bergers se regardent, et se montrent leurs Bergères en soupirant ; ce qui fait un jeu muet quelque espace de temps.

ORPHISE.

Quoi ! Je vais perdre, donc, ce que j'aime le mieux !

LICIDAS.

Quoi ! Je vais, donc, laisser ma Délie en ces Lieux !

CÉLIANTE, prenant Orphise, et la donnant à Licidas.

1480   Ah ! Puisque c'est, enfin, un mal inévitable,

Je mets entre vos mains, cet Objet adorable,

Ayez-en soin : et vous, gardez-moi votre foi,

Et daignez, quelquefois, vous souvenir de moi.

Le ferez-vous ?

Il lui baise la main.

ORPHISE.

Allez.

LICIDAS, donnant Délie à Céliante.

J'en dois faire de même,

1485   Et remettre en vos mains, aussi, tout ce que j'aime.

Tenez, ayez bien soin de cet Objet charmant ;

Mais, je vais expirer, en ce triste moment.

Il tombe aux genoux de Délie.

Je n'en puis plus, et sens que toute ma tendresse,

Combattant contre moi, craint que je ne vous laisse.

1490   Mais, il le faut, enfin ; adieu, Bergère.

DÉLIE, après avoir été un temps, immobile, dit, en regardant Licidas.

  Hélas !

LICIDAS.

Que l'Amour, à nos Coeurs, livre de grands combats !

CÉLIANTE, à Orphise, et à Licidas.

Après un tel effort, ôtez-vous de ma vue.

LICIDAS.

Délie lui jette un regard passionné.

Je ne puis... Mais, que vois-je ? Ah ! Ce regard me tue.

CÉLIANTE.

Vous augmentez nos maux, Bergères ; et vos pleurs,

1495   Loin de nous soulager, font croître nos douleurs.

SCÈNE VII.
Périandre, Délie, Orphise, Céliante, Gardes.

LE GARDE.

Nous ne pouvons, ici, vous laissez, davantage.

LICIDAS.

Cruel Sort !

DÉLIE.

Dessus nous, il déploye sa rage.

ORPHISE.

Quoi ! Donc, il faut partir !

CÉLIANTE.

Dures extrémités !

LICIDAS.

Partons, puisqu'il le faut.

ORPHISE, embrassant Délie.

Adieu donc.

Comme ils sont tous tournés pour s'en aller, Périandre paraît, ce qui les oblige de s'en revenir.

SCÈNE VIII.
Périandre, Délie, Orphise, Céliante, Licidas, Gardes.

PÉRIANDRE.

Arrêtez,

1500   Je viens vous annoncer d'agréables nouvelles ;

Mais, on m'en vient, pour moi, d'apporter de mortelles.

Quel cruel déplaisir !

DÉLIE.

Hé quoi ! Notre bonheur

Vous fait-il soupirer ?

PÉRIANDRE.

Ah ! Toute ma douleur

Vient de ce que mon Roi, dont la bonté m'accable,

1505   Croit que je suis charmé d'un Objet adorable :

Et que croyant son coeur atteint d'un même amour,

Pour conclure l'Hymen ; il attend mon retour.

Il est vrai que Zélinde a pu toucher mon Âme,

Mais vous avez fait naître une plus forte flamme :

1510   Et s'il m'était permis de pouvoir faire un choix,

Je l'oublierais, bientôt, pour vivre sous vos Lois :

Et, cependant, malgré l'ardeur qui me possède,

À ces heureux Bergers, il faut que je vous cède.

C'est, donc, à l'un de vous, Amants trop fortunés,

1515   Que ses divins Appas sont, enfin, destinés.

Aimez, donc, j'y consens, aimez, aimez Délie,

À la voir, seulement, ma joie est infinie,

Je ressens des plaisirs, qu'on ne peut exprimer ;

Mais, peut-on voir ces yeux, et ne les point aimer ?

1520   Voyez-la, donc, Bergers, regardez qu'elle est belle,

Et ne cessez, jamais, de soupirer pour elle,

Vous n'en sauriez trouver qui le mérite mieux,

Et sa vertu répond à l'éclat de ses yeux.

ORPHISE.

Vous oubliez, Seigneur, à dire la Nouvelle,

1525   Qui nous est favorable, et qui vous est cruelle.

PÉRIANDRE.

J'en ai dit la moitié.

CÉLIANTE.

Notre esprit en suspens,

Craint...

PÉRIANDRE.

Ce qui reste, va vous rendre, tous, contents.

LICIDAS.

Des esclaves, Seigneur, pourraient-ils, jamais, l'être ?

PÉRIANDRE.

Ah ! Vous ne l'êtes plus, puisque le Roi mon Maître

1530   Ne veut plus de Tribut, et vient de me mander

Qu'il n'avait à Damon voulu rien accorder,

Pour ce qu'il prétendait que ce Bonheur suprême

Fût, à toute cette Île, annoncé par moi-même.

Adieu, c'en est assez, vivez, toujours, en paix,

1535   Sans craindre que le Sort vous trouble, désormais.

LICIDAS.

De votre Roi, Seigneur, les bontés sans exemples,

Lui doivent, dans ces Lieux, faire dresser des Temples.

SCÈNE IX.
Délie, Licidas, Orphise, Céliante.

DÉLIE, à Licidas.

Ah ! Berger.

CÉLIANTE, à Orphise.

Qui l'eut cru !

LICIDAS.

Quel surprenant Bonheur !

DÉLIE, à Licidas.

Rien ne troublera plus, désormais, notre ardeur.

LICIDAS.

1540   Se peut-il, qu'à la fin, mon amour vous obtienne ?

CÉLIANTE, à Orphise.

Donnez-moi votre main.

LICIDAS, à Délie.

Vous, recevez la mienne.

Ici, chaque Berger passe du côté de sa Bergère.

CÉLIANTE.

Allons, à toute l'Île, apprendre ce Bonheur,

1545   Et faire succéder la Joie, à la Douleur.

 


EXTRAIT DU PRIVILÈGE DU ROI.

Par Grâce et Privilège du Roi, donné à Paris le 28. jour de Décembre 1667. Signé, par le Roi en son Conseil, TRUCHOT : il est permis à JEAN RIBOUD, Marchand Libraire à Paris, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre et débiter, une Pièce de Théâtre, intitulée, DÉLIE, Pastorale, pendant le temps et espace de cinq ans entiers et accomplis, à commencer du jour que la dite Pièce sera achevée d'imprimer pour la première fois ; et défenses sont faites à tous autres Libraires et Imprimeurs, et autres Personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de l'imprimer, ou faire imprimer, sans le consentement de l'Exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine aux contrevenants de quinze cents livres d'amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages et intérêts, ainsi que plus au long il est porté par lesdites Lettres de Privilège.

Achevé d'imprimer pour la première fois le 10. Janvier 1668.


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