Nicolas BOILEAU
© Théâtre classique - Version du texte du 11/10/2015 à 15:03:07.
ODE.
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Quelle docte et sainte ivresse
Aujourd'hui me fait la loi ?
Chastes nymphes du Parnasse,
N'est-ce pas vous que je vois ?
5 | Accourez, troupe savante, |
Des sons que ma lyre enfante
Ces arbres sont réjouis.
Marquez-en bien la cadence ;
Et vous, vents, faites silence :
10 | Je vais parler de Louis. |
Dans ses chansons immortelles,
Comme un aigle audacieux,
Pindare étendant ses ailes,
Fuit loin des vulgaires yeux.
15 | Mais, ô ma fidèle lyre, |
Si, dans l'ardeur qui m'inspire,
Tu peux suivre mes transports ;
Les chênes des monts de Thrace
N'ont rien ouï que n'efface
20 | La douceur de tes accords. |
Est-ce Apollon, et Neptune
Qui sur ces rocs sourcilleux
Ont, compagnons de fortune,
Bâti ces murs orgueilleux ?
25 | De leur enceinte fameuse |
La Sambre unie à la Meuse
Défend le fatal abord,
Et par cent bouches horribles
L'airain sur ces monts terribles
30 | Vomit le fer, et la mort. |
Dix mille vaillants Alcides
Les bordant de toutes parts,
D'éclairs au loin homicides
Font pétiller leurs remparts :
35 | Et dans son sein infidèle |
Par tout la terre y recèle
Un feu prêt à s'élancer,
Qui soudain perçant son gouffre,
Ouvre un sépulcre de soufre
40 | À quiconque ose avancer. |
Namur, devant tes murailles,
Jadis la Grèce eut vingt ans,
Sans fruit vu les funérailles
De ses plus fiers combattants.
45 | Quelle effroyable puissance |
Aujourd'hui pourtant s'avance
Prête à foudroyer tes monts !
Quel bruit, quel feu l'environne ?
C'est Jupiter en personne,
50 | Ou c'est le vainqueur de Mons. |
N'en doute point, c'est lui-même.
Tout brille en lui, tout est roi.
Dans Bruxelles Nassau blême
Commence à trembler pour toi.
55 | En vain il voit le batave |
Désormais docile esclave
Rangé sous ses étendards :
En vain au lion Belgique
Il voit l'aigle germanique
60 | Uni sous les léopards. |
Plein de la frayeur nouvelle
Dont ses sens sont agités,
A son secours il appelle
Les peuples les plus vantés.
65 | Ceux-là viennent du rivage |
Où s'enorgueillit le Tage
De l'or qui roule en ses eaux ;
Ceux-ci des champs où la neige
Des marais de la Norvège
70 | Neuf mois couvre les roseaux. |
Mais qui fait enfler la Sambre ?
Sous les jumeaux effrayés,
Des froids torrents de décembre
Les champs partout sont noyés.
75 | Cérès s'enfuit éplorée |
De voir en proie à Borée
Ses guérets d'épics chargés,
Et sous les urnes fangeuses
Des hyades orageuses
80 | Tous ses trésors submergés. |
Déployez toutes vos rages,
Princes, vents, peuples, frimas,
Ramassez tous vos nuages,
Rassemblez tous vos soldats.
85 | Malgré vous Namur en poudre |
S'en va tomber sous la foudre
Qui dompta l'Isle, Courtrai,
Gand la superbe espagnole,
Saint Omer, Besançon, Dole,
90 | Ypres, Maastricht, et Cambrai. |
Mes présages s'accomplissent :
Il commence à chanceler.
Sous les coups qui retentissent
Ses murs s'en vont s'écrouler.
95 | Mars en feu qui les domine |
Souffle à grand bruit leur ruine,
Et les bombes dans les airs
Allant chercher le tonnerre,
Semblent, tombant sur la terre,
100 | Vouloir s'ouvrir les enfers. |
Accourez, Nassau, Bavière,
De ces murs l'unique espoir :
À couvert d'une rivière
Venez, vous pouvez tout voir.
105 | Considérez ces approches : |
Voyez grimper sur ces roches
Ces athlètes belliqueux ;
Et dans les eaux, dans la flamme,
Louis à tout donnant l'âme,
110 | Marcher, courir avec eux. |
Contemplez dans la tempête
Qui sort de ces boulevards,
La plume qui sur sa tête
Attire tous les regards.
115 | À cet astre redoutable |
Toujours un sort favorable
S'attache dans les combats :
Et toujours avec la gloire,
Mars amenant la victoire,
120 | Vole, et le suit à grands pas. |
Grands défenseurs de l'Espagne,
Montrez-vous, il en est temps.
Courage, vers la Mehagne
Voilà vos drapeaux flottants
125 | Jamais ses ondes craintives |
N'ont vu sur leurs faibles rives
Tant de guerriers s'amasser.
Courez donc. Qui vous retarde ?
Tout l'univers vous regarde.
130 | N'osez-vous la traverser ? |
Loin de fermer le passage
À vos nombreux bataillons,
Luxembourg a du rivage
Reculé ses pavillons.
135 | Quoi ? Leur seul aspect vous glace ? |
Où sont ces chefs pleins d'audace
Jadis si prompts à marcher,
Qui devaient de la Tamise,
Et de la Drâve soumise,
140 | Jusqu'à Paris nous chercher ? |
Cependant l'effroi redouble
Sur les remparts de Namur.
Son gouverneur qui se trouble
S'enfuit sous son dernier mur.
145 | Déjà jusques à ses portes |
Je vois monter nos cohortes
La flamme et le fer en main :
Et sur les monceaux de piques,
De corps morts, de rocs, de briques,
150 | S'ouvrir un large chemin. |
C'en est fait. Je viens d'entendre
Sur ces rochers éperdus
Battre un signal pour se rendre :
Le feu cesse. Ils sont rendus.
155 | Dépouillez votre arrogance, |
Fiers ennemis de la France,
Et désormais gracieux,
Allez à Liège, à Bruxelles,
Porter les humbles nouvelles
160 | De Namur pris à vos yeux. |
Pour moi, que Phébus anime
De ses transports les plus doux,
Rempli de ce dieu sublime,
Je vais, plus hardi que vous,
165 | Montrer que sur le Parnasse, |
Des bois fréquentés d'Horace
Ma muse dans son déclin,
Sait encor les avenues,
Et des sources inconnues
170 | À l'auteur du Saint Paulin. |
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