COMÉDIE BOUFFE
EN TROIS ACTES ET EN PROSE
M. DCC. LXVI.
AVEC APPROBATION et PRIVILÈGE DU ROI.
[VOLTAIRE]
Représentée sur le théâtre impérial de l'Odéon le mardi 28 janvier 1862.
Texte établi par Paul FIEVRE, novembre 2019
Publié par Paul FIEVRE, novembre 2019
© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 19:59:47.
PERSONNAGES
LE COMTE DE BOURSOUFLE.
LE CHEVALIER, frère du Comte.
LE BARON DE LA COCHONNIÈRE.
MADEMOISLLE THÉRÈSE, fille du Baron.
MARAUDIN, intrigant.
MADAME BARBE, gouvernante de mademoiselle Thérèse.
LE BAILLI.
PASQUIN, valet du Chevalier.
COLIN, valet du Baron.
VALETS DE LA SUITE DU COMTE.
Texte extrait de "THÉÂTRE DE VOLTAIRE", tome VIII, Paris, Baudouin Frères, éditeurs, rue de Vaugirard, 1821. pp 259-309. La variante n'a pas été retenue.
ACTE PREMIER
SCÈNE I.
Le Chevalier, Pasquin.
LE CHEVALIER.
Pasquin.
PASQUIN.
Monsieur ?
LE CHEVALIER.
Connais-tu dans le monde entier un plus malheureux homme que ton maître ?
PASQUIN.
Oui, monsieur, j'en sais un plus malheureux, sans contredit.
LE CHEVALIER.
Eh ! Qui ?
PASQUIN.
Votre valet, Monsieur, le pauvre Pasquin.
LE CHEVALIER.
En connais-tu un plus fou ?
PASQUIN.
Oui, assurément.
LE CHEVALIER.
Eh, qui ! Bourreau ? Qui ?
PASQUIN.
Ce fou de Pasquin, Monsieur, qui sert un maître qui n'a pas le sou.
LE CHEVALIER.
Il faut que je sorte de cette malheureuse vie.
PASQUIN.
Vivez plutôt pour me payer mes gages.
LE CHEVALIER.
J'ai mangé tout mon bien au service du roi.
PASQUIN.
Dites au service de vos maîtresses, de vos fantaisies, de vos folies. On ne mange jamais son bien en ne faisant que son devoir. Qui dit ruiné dit prodigue ; qui dit malheureux dit imprudent ; et la morale...
LE CHEVALIER.
Ah, coquin ! Tu abuses de ma patience et de ma misère; je te pardonne parce que je suis pauvre, mais si ma fortune change, je t'assommerai.
PASQUIN.
Mourez de faim, Monsieur, mourez de faim.
LE CHEVALIER.
C'est bien à quoi il faut nous résoudre tous deux, si mon maroufle de frère aîné, le comte de Boursoufle, n'arrive pas aujourd'hui dans ce maudit village où je l'attends. Ô ciel ! Faut-il que cet homme-là ait soixante mille livres de rente pour être venu au monde une année avant moi ! Ah ! Ce sont les aînés qui ont fait les lois ; les cadets n'ont pas été consultés, je le vois bien.
PASQUIN.
Eh ! Monsieur, si vous aviez eu les soixante mille livres de rente, vous les auriez déjà mangées, et vous n'auriez plus de ressources ; mais monsieur le comte de Boursoufle aura pitié de vous ; il vient ici pour épouser la fille du Baron, qui aura cinq cent mille francs de biens : vous aurez un petit présent de noces.
LE CHEVALIER.
Épouser encore cinq cent mille francs, et le tout parce que l'on est aîné ; et moi être réduit à attendre ici de ses bontés ce que je devrais ne tenir que de la nature ; et demander quelque chose à son frère aîné, c'est là le comble des disgräces.
PASQUIN.
Je ne connais pas Monsieur le Comte ; mais il me semble que je viens de voir arriver ici monsieur Maraudin, votre ami et le sien, et celui du baron, et celui de tout le monde ; cet homme qui noue plus d'intrigues qu'il n'en peut débrouiller, qui fait des mariages et des divorces, qui prête, qui emprunte, qui donne, qui vole, qui fournit des maîtresses aux jeunes gens, des amants aux jeunes femmes, qui se rend redouté et nécessaire dans toutes les maisons, qui fait tout, qui est partout : il n'est pas encore pendu, profitez du temps, parlez-lui; cet homme-là vous tirera d'affaire.
LE CHEVALIER.
Non, non, Pasquin, ces gens-là ne sont bons que pour les riches ; ce sont les parasites de la société. Ils servent ceux dont ils ont besoin, et non pas ceux qui ont besoin d'eux, et leurs vies ne sont utiles qu'à eux-mêmes.
PASQUIN.
Pardonnez-moi, pardonnez-moi, les fripons sont assez serviables ; Monsieur Maraudin se mêlerait peut-être de vos affaires pour avoir le plaisir de s'en mêler. Un fripon aime à la fin l'intrigue pour l'intrigue même ; il est actif, vigilant ; il rend service vivement avec un très mauvais coeur ; tandis que les honnêtes gens, qui ont le meilleur coeur du monde, vous plaignent avec indolence, vous laissent dans la misère, et vous ferment la porte au nez.
LE CHEVALIER.
Hélas ! Je ne connais guère que ces honnêtes gens-là; et j'ai grand'peur que Monsieur mon frère ne soit un très honnête homme.
PASQUIN.
Voilà monsieur Maraudin qui n'a pas tant de probité peut-être, mais qui pourra vous être utile.
SCÈNE II.
Le Chevalier, Maraudin, Pasquin.
MARAUDIN.
Bonjour, mon très agréable chevalier, embrassez-moi, mon très cher ; par quel heureux hasard vous rencontré-je ici ?
LE CHEVALIER.
Par un hasard très naturel, et très malheureux ; parce que je suis dans la misère, parce que mon frère qui nage dans l'opulence doit passer ici, parce que je l'attends, parce que j'enrage, parce que je suis au désespoir.
MARAUDIN.
Voilà de très mauvaises raisons ; allez, allez, consolez- vous , Dieu a soin des cadets ; il faudra bien que votre frère jette sur vous quelques regards de compassion. C'est moi qui le marie, et je veux qu'il y ait un pot de vin pour vous dans ce marché. Quand quelqu'un épouse la fille du baron de La Cochonnière, il faut que tout le monde y gagne.
LE CHEVALIER.
Eh, scélérat! Que ne me la faisais-tu épouser? J'y aurais gagné bien davantage.
MARAUDIN.
D'accord ; hélas! Je crois que Mademoiselle de La Cochonnière vous aurait épousé tout aussi volontiers que monsieur le comte. Elle ne demande qu'un mari ; elle ne sait pas seulement si elle est riche. C'est une créature élevée dans toute l'ignorance et dans toute la grossière rusticité de son père. Ils sont nés avec peu de bien ; un frère de la baronne, intéressé et imbécile, qui ne savait pas chanter, mais qui savait calculer, a gagné à Paris cinq cent mille francs, dont il n'a jamais joui ; il est mort précisément comme il allait devenir insolent. La baronne est morte de l'ennui de vivre avec le baron ; et la fille, à qui tout ce bien-là appartient, ne peut être mariée par son vilain père qu'à un homme excessivement riche ; jugez s'il vous l'aurait donnée à vous qui venez de manger votre légitime.
LE CHEVALIER.
Enfin, tu as procuré ce parti à Monsieur le Comte ; c'est fort bien fait ; que t'en revient-il ?
MARAUDIN.
Ah! Il me traite indignement ; il s'imagine que son mérite tout seul a fait ce mariage ; et, son avarice venant à l'appui de sa vanité, il me paye fort mal pour l'avoir trop bien servi. J'en demande pardon à Monsieur son frère ; mais Monsieur le comte est presque aussi avare que fat ; vous n'êtes ni l'un ni l'autre, et si vous aviez son bien, vous feriez...
LE CHEVALIER.
Oh oui ! Je ferais de très belles choses ; mais n'ayant rien, je ne puis rien faire que me désespérer, et le prier de... Ah! J'entends un bruit extravagant dans cette hôtellerie ; je vois arriver des chevaux, des chaises ; c'est mon frère, sans doute. Quel brillant équipage, et quelle différence la fortune met entre les hommes! Ses valets vont bien me mépriser.
MARAUDIN.
C'est selon que monsieur vous traitera. Les valets ne sont pas d'une autre espèce que les courtisans ; ils sont les singes de leur maître.
SCÈNE III.
Le Comte de Boursoufle, plusieurs valets, Le Chevalier, Maraudin, Pasquin.
LE COMTE.
Ah ! Quel supplice que d'être six heures dans une chaise de poste ! On arrive tout dérangé , tout dépoudré.
LE CHEVALIER.
Mon frère, je suis ravi de vous...
MARAUDIN.
Monsieur, vous allez trouver en ce pays...
LE COMTE.
Holà ! Hé ! Qu'on m'arrange un peu ; foi de seigneur, je ne pourrai jamais me montrer dans l'état où je suis.
LE CHEVALIER.
Mon frère, je vous trouve très bien, et je me flatte...
LE COMTE.
Allons donc un peu! Un miroir, de la poudre d'oeillet, un pouf, un pouf. Hé! Bonjour, Monsieur Maraudin, bonjour. Mademoiselle de La Cochonnière me trouvera horriblement mal en ordre. Monsieur du Toupet! Je vous ai déjà dit mille fois que mes perruques ne fuient point assez en arrière ; vous avez la fureur d'enfoncer mon visage dans une épaisseur de cheveux qui me rend ridicule, sur mon honneur. MonsieurMaraudin, à propos... Oh ! Vous voilà, Chonchon.
LE CHEVALIER.
Oui, et j'attends le moment...
LE COMTE.
Monsieur Maraudin, comment trouvez-vous mon habit de noces ? L'étoffe en a coûté cent écus l'aune. [ 1 Aune : Mesure ancienne de 3 pieds 7 pouces 10 lignes 5/6, équivalant à 1m, 182. [L]]
MARAUDIN.
Mademoiselle de La Cochonnière sera éblouie.
LE CHEVALIER.
La peste soit du fat ! Il ne daigne pas seulement me regarder.
PASQUIN.
Eh ! Pourquoi vous adressez-vous à lui, à sa personne ? Que ne parlez-vous à sa perruque, à sa broderie, à son équipage? Flattez sa vanité au lieu de songer à toucher son coeur.
LE CHEVALIER.
Non, j'aimerais mieux crever que de faire ma cour à ses impertinences.
LE COMTE.
Page, levez un peu ce miroir, haut, plus haut ; vous êtes fort maladroit, page, foi de seigneur.
LE CHEVALIER.
Mais, mon frère, voudrez-vous bien enfin...
LE COMTE.
Charmé de te voir, mon cher Chonchon, sur mon honneur ; tu reviens donc de la campagne, un peu grêlé, à ce que je vois. Eh ! eh ! eh ! Eh bien qu'est devenu ton cousin, qui partit avec toi il y a trois ans ?
LE CHEVALIER.
Je vous ai mandé il y a un an qu'il était mort. C'était un très honnête garçon, et si la fortune...
LE COMTE, toujours à sa toilette.
Ah ! Oui, oui, je l'avais oublié ; je m'en souviens, il est mort, il a bien fait, cela n'était pas riche. Vous venez pour être de la noce, monsieur Chonchon ; cela n'est pas maladroit. Écoutez, monsieur Maraudin, je prétends aller le plus tard que je pourrai chez Mademoiselle de La Cochonnière ; j'ai quelque affaire dans le voisinage ; Mademoiselle Julie n'est qu'à deux cents pas d'ici. Eh ! eh ! je veux un peu y aller avant de tâter du sérieux embarras d'une noce. Qu'on mette un peu mes relais à ma chaise.
LE CHEVALIER.
Pourrai-je, pendant ce temps-là, avoir l'honneur de vous dire un petit mot ?
LE COMTE.
Que cela soit court, au moins : un jour de mariage on a la tête remplie de tant de choses qu'on n'a guère le temps d'écouter.
SCÈNE IV.
Le Comte, Le Chevalier.
LE CHEVALIER.
Mon frère, j'ai d'abord à vous dire...
LE COMTE.
Réellement, Chonchon, croyez-vous que cet habit me siée assez bien ?
LE CHEVALIER.
J'ai donc à vous dire, mon frère, que je n'ai presque, rien eu en partage, que je suis prêt à vous abandonner tout ce qui peut me revenir de mon bien, si vous avez la générosité de me donner dix mille francs une fois payés. Vous y gagneriez encore, et vous me tireriez d'un bien cruel embarras ; je vous aurais la plus sensible obligation.
LE COMTE.
Holà ! Hé, ma chaise est-elle prête ? Chonchon, vous voyez bien que je n'ai pas le temps de parler d'affaires. Julie aura dîné ; il faut que j'arrive.
LE CHEVALIER.
Quoi ! vous n'opposez à des prières dont je rougis, que cette indifférence insultante dontvousm'accablez?
LE COMTE.
Mais, Chonchon, mais en vérité, vous n'y pensez pas. Vous ne savez pas combien un seigneur a de peine à vivre à Paris, combien coûte un berlingot, cela est incroyable ; foi de seigneur, on ne peut pas voir le bout de l'année.
LE CHEVALIER.
Vous m'abandonnez donc ?
LE COMTE.
Vous avez voulu vivre comme moi ; cela ne vous allait pas, il est bon que vous pâtissiez un peu.
LE CHEVALIER.
Vous me mettez au désespoir ; et vous vous repentirez d'avoir si peu écouté la nature.
LE COMTE.
Mais, la nature, la nature, c'est un beau mot, Chonchon, inventé par les pauvres cadets ruinés pour émouvoir la pitié des aînés qui sont sages. La nature vous avait donné une honnête légitime, et elle ne m'ordonne pas d'être un sot, parce que vous avez été dissipateur.
LE CHEVALIER.
Vous me poussez à bout. Eh bien ! Puisque la nature se tait dans vous, elle se taira en moi, et j'aurai du moins le plaisir de vous dire que vous êtes le plus grand fat de la terre, le plus indigne de votre fortune, le coeur le plus dur, le plus...
LE COMTE.
Mais fat, que cela est vilain de dire des injures ! Cela sent son homme de garnison. Mon Dieu, vous êtes loin d'avoir les airs de la cour.
LE CHEVALIER.
Le sang-froid de ce barbare-là me désespère ; poltron, rien ne t'émeut ?
LE COMTE.
Tu t'imagines donc que tu es brave parce que tu es en colère ?
LE CHEVALIER.
Je n'y peux plus tenir, et si tu avais du coeur...
LE COMTE.
Ah, ah, ah! Foi de seigneur, cela est plaisant ; tu crois que moi qui ai soixante mille livres de rente et qui suis près d'épouser Mademoiselle de La Cochonnière avec cinq cent mille francs, je serai assez fou pour me battre contre toi qui n'as rien à risquer ! Je vois ton petit dessein ; tu voudrais par quelque bon coup d'épée arriver à la succession de ton frère aîné ; il n'en sera rien, mon cher Chonchon, et je vais remonter dans ma chaise avec le calme d'un courtisan et la constance d'un philosophe. Holà ! Mes gens ! Holà ! Adieu, Chonchon, à ce soir, à ce soir, mons Maraudin. Holà ! Page, un miroir.
SCÈNE V.
Le Chevalier, Maraudin, Pasquin.
PASQUIN.
Eh bien, Monsieur, avez-vous gagné quelque chose sur l'âme de ce courtisan poli ?
LE CHEVALIER.
Oui, j'ai gagné le droit et la liberté de le haïr du meilleur de mon coeur.
PASQUIN.
C'est quelque chose, mais cela ne donne pas de quoi vivre.
MARAUDIN.
Si fait, si fait, cela peut servir.
LE CHEVALIER.
Et à quoi, s'il vous plaît ? Qu'à me rendre encore plus malheureux.
MARAUDIN.
Oh ! Cela peut servir à vous ôter les scrupules que vous auriez de lui faire du mal, et c'est déjà un très grand bien. N'est-il pas vrai que si vous lui aviez obligation, et si vous l'aimiez tendrement, vous ne pourriez jamais vous résoudre à épouser mademoiselle de La Cochonnière au lieu de lui ? Mais à présent que vous voilà débarrassé du poids de la reconnaissance et des liens de l'amitié, vous êtes libre, et je veux vous aider à vous venger en vous rendant heureux.
LE CHEVALIER.
Comment me mettre à la place du Comte de Boursoufle ? Comment puis-je être aussi fat ? Comment épouser sa maîtresse au lieu de lui ? Parle, réponds.
MARAUDIN.
Tout cela est très aisé. Monsieur le baron n'a jamais vu votre frère aîné ; je puis vous annoncer sous son nom, puisque en effet votre nom est le sien ; vous ne mentirez point ; et il est bien doux de pouvoir tromper quelqu'un sans être réduit au chagrin de mentir : il faut que l'honneur conduise toutes nos actions.
PASQUIN.
Sans doute, c'est ce qui m'a réduit à l'état où je me vois.
MARAUDIN.
Votre frère ne me donnait que dix mille francs pour lui procurer ce mariage. Je vous aime au moins une fois plus que lui : faites-moi un billet de vingt mille francs, et je vous fais épouser la fille du baron. Ce que je demande, au reste, n'est que pour l'honneur. Il est de la dignité d'un homme de votre maison d'être libéral quand il peut l'être. L'honneur me poignarde, voyez-vous.
LE CHEVALIER.
Oh, oui ! C'est votre cruel ennemi.
MARAUDIN.
Votre frère aîné est un fat.
LE CHEVALIER.
D'accord.
MARAUDIN.
Un suffisant pétri de cette vanité qui n'est que le partage des sots.
LE CHEVALIER.
J'en conviens.
MARAUDIN.
Un original à berner sur le théâtre.
LE CHEVALIER.
Il est vrai.
MARAUDIN.
Un vilain coeur clans une figure ridicule.
LE CHEVALIER.
C'est ce que je pense.
MARAUDIN.
Un petit-maître suranné, qui n'a pas même le jargon de l'esprit ; enflé de fadaises et de vent, et dont Pasquin ne voudrait pas pour son valet, s'il pouvait en avoir.
PASQUIN.
Assurément, j'aimerais bien mieux son frère le chevalier.
LE CHEVALIER.
Eh !
MARAUDIN.
Un homme enfin dont vous ne tirerez jamais rien, qui dépense cinquante mille francs en chiens et en chevaux, et qui laisserait périr son frère de misère.
LE CHEVALIER.
Cela n'est que trop vrai.
MARAUDIN.
Et vous vous feriez scrupule de supplanter un pareil homme ! Et vous ne goûteriez pas une joie parfaite en lui escroquant légitimement les cinq cent mille livres qu'il croit déjà tenir, mais qu'il mérite si peu ! Et vous ne ririez pas de tout votre coeur en tenant ce soir entre vos bras la fille du Baron, et vous balanceriez à me faire (pour l'honneur) un billet de vingt mille francs par corps à prendre sur les plus clairs deniers de mademoiselle de La Cochonnière ! Allez, vous êtes indigne d'être riche, si vous manquez l'occasion de l'être.
LE CHEVALIER.
Vous avez raison ; mais je sens là quelque chose qui me répugne : étrange chose que le coeur humain ! Je n'avais point de scrupule à me battre tout à l'heure contre mon frère, et j'en ai de le tromper.
MARAUDIN.
C'est que vous étiez en colère quand vous vouliez vous battre, et que vous êtes plus brave qu'habile.
PASQUIN.
Allez, allez, monsieur, laissez-vous conduire par monsieur Maraudin ; il en sait plus que vous ; mettez votre conscience entre ses mains ; j'en réponds sur la mienne ; j'y suis intéressé ; j'ai besoin que vous soyez riche.
LE CHEVALIER.
Eh! Mais, cependant...
MARAUDIN.
Allons, êtes-vous fou ?
PASQUIN.
Allons, mon cher maître, courage ; il n'y a pas grand mal au fond.
MARAUDIN.
Cinq cent mille francs, et une fille jeune et fraîche, enlevée à Monsieur le Comté, et mise en notre possession.
LE CHEVALIER.
Voyons donc ce qu'il faut faire pour le bien de la chose.
ACTE SECOND
SCENE I.
Maraudin, Colin.
MARAUDIN.
Ce vieux fou de baron s'enferme dans son château, et fait faire la garde comme si l'univers voulait lui enlever mademoiselle Thérèse de La Cochonnière, et comme si les ennemis étaient aux portes. Holà! quelqu'un, messieurs : holà !
COLIN.
Qui va là ?
MARAUDIN.
Vive le roi et monsieur le baron! On vient pour marier mademoiselle Thérèse.
COLIN.
Je vais dire ça à monseigneur.
MARAUDIN.
Est-il possible qu'il y ait encore en France un rustre comme le seigneur de cette gentilhommière? Voilà deux beaux contrastes que Monsieur de Boursoufle et lui.
SCÈNE II.
Le Baron de la Cochonnière, en buffle, a la tête de ses gens, MARAUDIN.
LE BARON.
Ah ! C'est vous, mon bravemonsieur de Maraudin ; pardon, il faut être un peu sur ses gardes quand on a une jeune fille dans sou château ; il y a tant, de gens dans le monde qui enlèvent les filles ! On ne voit que cela dans les romans.
MARAUDIN.
Cela est vrai, et je viens aussi pour enlever mademoiselle Thérèse, et je vous amène un gendre.
LE BARON.
Quand est-ce donc que j'aurai le plaisir de voir dans mon Château de La Cochonnière monsieur le Comte de Boursoufle ?
MARAUDIN.
Dans un moment il va rendre ses respects à son très honoré beau-père.
LE BARON.
Ventre de boulets ! Il sera très bien reçu ; et je lui réponds de Thérèse. Mon gendre est homme de bonne mine, sans doute?
MARAUDIN.
Assurément, et d'une figure très agréable. Pensez-vous que j'irai donner à Mademoiselle Thérèse un petit mari, haut comme ma jambe, comme on en voit tant à la cour ?
LE BARON.
Amène-t-il ici un grand équipage ? Aurons-nous bien de l'embarras ?
MARAUDIN.
Au contraire, Monsieur le Comte hait l'éclat et le faste ; il a voulu venir avec moi incognito ; ne croyez pas qu'il soit venu dans son équipage ni en chaise de poste.
LE BARON.
Tant mieux ; tous ces vains équipages ruinent et sentent la mollesse ; nos pères allaient à cheval, et jamais les seigneurs de La Cochonnière n'ont eu de carrosse.
MARAUDIN.
Ni votre gendre non plus. Ne vous attendez pas à lui voir de ces parures frivoles, de ces étoffes superbes, de ces bijoux à la mode.
LE BARON.
Un buffle, corbleu, un buffle ; voilà ce qu'il faut en temps de guerre ; mon gendre me charme par le récit que vous m'en faites.
MARAUDIN.
Oui, un buffle ; il en trouvera ici ; il sera plus content de vous encore que vous de lui. Le voici, il s'avance.
SCÈNE III.
LE CHEVALIER, LE BARON, MARAUDIN, MME BARBE.
MARAUDIN.
Approchez, Monsieur le Comte, et saluez Monsieur le Baron, votre beau-père.
LE BARON.
Par Henri quatre! Voici un gentilhomme tout-à-fait demi-tête bleue. Monsieur le Comte, Thérèse sera heureuse ; corbleu ! Touchez là, je suis votre beau-père et votre ami. Parbleu, vous avez la physionomie d'un honnête homme.
LE CHEVALIER.
En vérité, Monsieur, vous me faites rougir, et je suis confus de paraître devant vous ; mais monsieur Maraudin qui sait l'état de mes affaires vous aura dit...
MARAUDIN.
Oui, oui, j'ai dit tout ce qu'il fallait dire ; vous aurez un digne beau-père et une digne femme. Réjouissez- vous, madame Barbe, voici un mari pour Thérèse.
MADAME BARBE.
Est-il possible ?
MARAUDIN.
Rien n'est plus certain.
LE BARON.
Allons, faites descendre Thérèse ; faites venir les violons ; donnez la clef de la cave, et que tout le monde soit ivre aujourd'hui dans mon château.
MADAME BARBE.
Ah! Le bel ordre! Ah! La bonne nouvelle! Thérèse, Thérèse, Mademoiselle Thérèse, descendez, venez tôt, venez tôt.
SCÈNE IV.
Mademoiselle Thérèse, Madame Barbe.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Eh bien! Qu'est-ce? Thérèse, Thérèse! Brailleras-tu toujours après moi, éternelle duègne? Et faut-il que je sois pendue à ta ceinture? Je suis lasse d'être traitée en petite fille, et je sauterai les murs au premierjour.
MADAME BARBE.
Eh! La, la, apaisez-vous, je n'ai pas de si méchantes nouvelles à vous apprendre, et on ne voulait pas vous traiter en petite fille ; on voulait vous parler d'un mari ; mais puisque vous êtes toujours bourrue...
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Aga, avec votre mari ; ces contes bleus-là me fatiguent les oreilles, entendez-vous, madame Barbe? Je crois aux maris comme aux sorciers ; j'en entends toujours parler et je n'en vois jamais. Il y a deux ans qu'on se moque de moi, mais je sais bien ce que je ferai, je me marierai bien sans vous, tous tant que vous êtes ; on n'est pas une sotte, quoiqu'on soit élevée loin de Paris, et Jacqueline-Thérèse de La Cochonnière ne sera pas toujours en prison ; c'est moi qui vous le dis, madame Barbe.
MADAME BARBE.
Tudieu, comme vous y allez! Eh bien, puisque je suis si mal reçue, adieu donc ; vous dira qui voudra les nouvelles du logis.
En pleurant.
Cela est bien dénaturé de traiter ainsi madame Barbe qui vous a élevée.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Va, va, ne pleure point ; je te demande pardon. Qu'est-ce que tu me disais d'un mari ?
MADAME BARBE.
Rien ; je suis une duègne, je suis une importune ; vous ne saurez rien.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Ah, ma pauvre petite Barbe ! Je m'en vais pleurer à mon tour.
MADAME BARBE.
Allez, ne pleurez point, Monsieur le Comte de Boursoufle est arrivé, et vous allez être Madame la Comtesse.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Dis-tu vrai? Est-il possible? Ne me trompes-tu point? Ma chère Barbe, il y a ici un mari pour moi? Un mari! Un mari! Qu'on me le montre, où est-il que je le voie? Que je voie monsieur le comte. Me Voilà mariée, me voilà comtesse, me voilà à Paris ; je ne me sens pas de joie. Viens que je t'étouffe de caresses.
MADAME BARBE.
Le bon petit naturel !
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Premièrement, une grande maison magnifique, et des diamants, et six grands laquais, et l'Opéra tous les jours, et toute la nuit à jouer, et tous les jeunes gens amoureux de moi, et toutes les femmes jalouses. La tête me tourne, la tête me tourne de plaisir.
MADAME BARBE.
Contenez-vous donc un peu ; tenez, voilà votre mari qui vient ; voyez s'il n'est pas beau et bien fait.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Ah! Je l'aime déjà de tout mon coeur ; ne dois-je pas courir l'embrasser, Madame Barbe ?
MADAME BARBE.
Non vraiment, gardez-vous-en bien ; il faut au contraire se tenir sur la réserve.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Eh quoi ? Puisqu'il est mon mari, et que je le trouve joli.
MADAME BARBE.
Il vous mépriserait si vous lui témoigniez trop d'affection.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Ah ! Je vais donc bien me retenir.
SCÈNE V.
Le Chevalier, Mademoiselle Thérèse, Madame Barbe.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Je suis votre très humble servante ; je suis enchantée de vous voir ; comment vous portez-vous? Vous venez pour m'épouser, vous me comblez de joie. Je n'en ai pas trop dit, Barbe?
LE CHEVALIER.
Madame, je faisais mon plus cher désir de l'accueil gracieux dont vous m'honorez ; mais je n'osais en faire mon espérance. Préféré par monsieur votre père, je ne me tiens point heureux si je ne le suis par vous ; c'est de vous seule que je voulais vous obtenir ; vos premiers regards font de moi un amant, et c'est un titre que je veux conserver toute ma vie.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Oh! Comme il parle, comme il parle ! Et que ce langage-là est différent de celui de nos gentilshommes de campagne. Ah! Les sots dadais, en comparaison des seigneurs de la cour ! Mon amant, irons-nous bientôt à la cour ?
LE CHEVALIER.
Dès que vous le souhaiterez, Madame.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
N'y a-t-il pas une reine là ?
LE CHEVALIER.
Oui.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Et qui me recevra parfaitement bien ?
LE CHEVALIER.
Avec beaucoup de bonté, assurément.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Cela fera crever toutes les femmes de dépit ; j'en serai charmée.
LE CHEVALIER.
Si vous avez envie d'aller au plus tôt briller à la cour, mademoiselle, daignez donc hâter le moment de mon bonheur. Monsieur votre père veut retarder le mariage de quelques jours ; je vous avoue que ce retardement me mettrait au désespoir. Je sais que vous avez des amants jaloux de ma félicité, qui songent à vous enlever, et qui voudraient vous enfermer à la campagne pour votre vie.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Ah, les coquins! Pour m'enlever, passe ; mais m'enfermer!
LE CHEVALIER.
Le plus sûr moyen de leur dérober la possession de vos charmes est de vous donner à moi par un prompt hyménée qui vous mettra en liberté, et moi au comble du bonheur ; il faudrait m'épouser plus tôt que plus tard,
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Vous épouser ! Qu'à cela ne tienne, dans le moment, dans l'instant, je ne demande pas mieux, je vous jure ; et je voudrais déjà que cela fût fait.
LE CHEVALIER.
Vous ne vous sentez donc pas de répugnance pour un époux qui vous adore.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Au contraire, je vous aime de tout mon coeur ; Madame Barbe prétend que je ne devais vous en rien dire ; mais c'est une radoteuse, et je ne vois pas, moi, quel grand mal il y a à vous dire que je vous aime, puisque vous êtes mon mari, et que vous m'aimez.
SCÈNE VI.
Le Baron, Le Chevalier, Mademoiselle Thérèse, Maraudin, Madame Barbe.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Papa, quand nous marierez-vous ?
LE CHEVALIER.
Mademoiselle votre fille, Monsieur, daigne recevoir les empressements de mon coeur avec une bonté que vous autorisez.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Hem! Qu'est-ce que vous dites là ?
LE CHEVALIER.
Je vous le répète, monsieur, il y a des gens en campagne pour enlever ce trésor, et si vous n'y prenez garde, mademoiselle de La Cochonnière est perdue aujourd'hui pour vous et pour son mari.
LE BARON.
Par la culasse de mes mousquetons, nous y donnerons bon ordre ; qu'ils s'y jouent les scélérats! je vais commencer par enfermer Thérèse dans le grenier.
MADAME BARBE.
Allons, Mademoiselle, allons.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Miséricorde! J'aime cent fois mieux qu'on m'enlève. Papa, si on m'enferme davantage, je me casse la tête contre les murs.
LE CHEVALIER.
N'y aurait-il point, Monsieur, un petit mezzo termine à cette affaire ?
LE BARON.
Oui, de fendre la cervelle au premier qui viendra frapper à la porte du château.
LE CHEVALIER.
Ce parti est très raisonnable, et l'on ne peut rien de plus juste ; mais si vous commenciez par prendre la précaution de marier tout d'un coup les deux futurs, cela préviendrait merveilleusement tous les méchants desseins. Les ravisseurs auront beau venir après cela, Mademoiselle Thérèse leur dira : Messieurs, vous êtes venus trop tard, la place est prise. Qu'auront-ils à répondre à cela? Rien ; il faudra qu'ils s'en retournent bien honteux.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Oui ; mais s'ils me disent : ça ne fait rien, quand vous seriez mariée cent fois davantage, mademoiselle Thérèse, nous vous aimons, vous êtes belle, et il faut que nous vous enlevions. Qu'est-ce que je dirai, moi?
LE BARON.
Je te tordrai le cou de mes propres mains plutôt que de souffrir qu'on attente à ton honneur ; car vois-tu, je t'aime.
LE CHEVALIER.
Ne voyez-vous rien à travers ces arbres ? N'entendez-vous rien ?
LE BARON.
M'est avis que je vois une chaise de poste et des gens à cheval.
LE CHEVALIER.
Tout juste ; nous y voici, c'est sans contredit un de nos coquins. Ne craignez rien, Mademoiselle Thérèse.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Moi, hélas ! Et qu'ai-je à craindre ?
LE CHEVALIER.
Vous avez un père homme de courage, et votre mari aura l'honneur de le seconder.
LE BARON.
Oui, voici une occasion où il faut avoir du coeur. Renfermons-nous dans le château ; fermons toutes les portes. Colin, Martinet, Jérôme, tirez vos arquebuses par les meurtrières sur les gens qui voudront entrer malgré vous.
LE CHEVALIER.
On ne peut pas mieux se préparer. En vérité, monsieur le baron, c'est dommage que vous ne commandiez pas dans quelque place frontière, et que vous n'ayez pas été gouverneur de Philipsbourg.
LE BARON.
Je ne l'aurais pas rendu en deux jours.
LE CHEVALIER.
Rentrez, monsieur le baron, rentrez, voilà les ennemis qui approchent.
À part.
Tout ceci commence un peu à m'inquiéter. Voici mon frère qui vient épouser Thérèse, et m'arracher ma fortune.
Haut au Baron.
Rentrez donc, et gardez-vous de vous montrer.
SCÈNE VII.
Le Comte, arrivant avec ses gens ; Le Baron, au dessus de la porte.
LE COMTE.
Voilàune assez plaisanteréception ; foi de seigneur, sur mon honneur, on nous ferme la porte au nez. Holà! Hé! Qu'on heurte un peu, qu'on sonne un peu, qu'on sache un peu ce que cela veut dire. Est-ce que ce n'est pas ici la maison du seigneur baron de La Cochonnière ?
LE BARON.
Oui, c'est ici mon château, et c'est moi qui suis Monsieur le Baron. Que lui voulez-vous, monsieur l'aventurier?
LE COMTE.
Vous devriez un peu vous douter qui je suis. Je m'attendais à être reçu d'autre sorte. Écoutez, bon homme, je viens ici avec une lettre de Monsieur Maraudin, et mon dessein était d'épouser Mademoiselle de La Cochonnière ; mais tant que vous me tiendrez à la porte, il n'y a pas d'apparence que nous puissions conclure cette affaire.
LE BARON.
Ah ! Ah ! Vous veniez pour épouser ma fille : fort bien. Ah ! Comment vous nommez - vous, s'il vous plaît ?
LE COMTE.
Vous faites le mauvais plaisant, Baron.
LE BARON.
Non, non, je voudrais savoir comment vous vous nommez.
LE COMTE.
Mais il y a quelque apparence que je me nomme le Comte de Boursoufle : nous sommes un peu plus connus à la Cour qu'ici.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Papa, voilà un impudent maroufle qui prend le nom de mon mari. [ 2 Maroufle : Terme de mépris qui se dit d'un homme grossier. [L]]
LE BARON.
Écoute : vois-tu ces arbres qui ornent le dehors de mon château ; si tu ne te retires, voilà où je te ferai pendre avant qu'il soit une heure.
LE COMTE.
Foi de seigneur, c'est pousser un peu loin la raillerie. Allons, ouvrez, et ne faites plus le mauvais plaisant.
II heurte.
LE BARON.
Il fait violence ; tirez, Jérôme.
On tire.
LE PAGE.
Jarni, on n'a jamais reçu de cette façon des gens de qualité. Sauvons-nous.
LE COMTE.
Mais ceci devient sérieux, ceci est abominable, ceci est une véritable guerre ; assurément on en parlera à la cour.
LE BARON, à ses gens.
Enfants, voici le moment de signaler votre intrépidité. Il est seul ; saisissez-moi ce bohême-là, et liez-le moi comme un sac.
Le Baron, Mademoiselle Thérèse et ses gens descendent ; on se saisit du Comte.
LE COMTE.
Mais qu'est-ce que c'est que çà ? Qu'est-ce que c'est que çà? Ah! Vous me liez trop fort ; vous allez gâter toute ma broderie. Baron, vous me paraissez un fou un peu violent : n'avez-vous jamais de bons intervalles ?
LE BARON.
Je n'ai jamais vu un drôle si impudent.
LE COMTE.
Pour peu qu'il vous reste un grain de raison, ne sauriez-vous me dire comment la tête vous a tourné, et pourquoi vous faites ainsi garrotter le comte votre gendre ?
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Que je voie donc comment sont faits les gens qui veulent m'enlever. Ah! Papa, il m'empuantit d'odeur de fleur d'orange ; j'en aurai des vapeurs pour quinze jours. Ah, le vilain homme !
LE COMTE.
Beau-père, au goût que cette personne me témoigne, il y a apparence que c'est là ma femme. Me tiendrez-vous long-temps dans cette posture? Expliquez- vous, s'il vous plaît ; n'attendiez-vous pas le comte de Boursoufle? Ne devait-il pas venir avec une lettre de votre ami Monsieur Maraudin ?
LE BARON.
Oui, coquin, oui.
LE COMTE.
Ne m'insultez donc point, s'il vous plaît ; je vous ai déjà dit que j'ai l'honneur d'être ce comte de Boursoufle, et que j'ai la lettre du sieur Maraudin dans ma poche ; fouillez plutôt.
LE BARON.
Je reconnais mes fripons ; ils ne sont jamais sans lettres en poche. Prenons toujours la lettre ; il sera pendu comme ravisseur et comme faussaire.
LE COMTE.
Ce baron est une espèce de beau-père bien étrange.
LE BARON.
Mon ami, je suis bien aise, pour te réjouir, de t'apprendre que tes visées étaient mal prises, et que Monsieur le Comte et Monsieur Maraudin sont ici.
LE COMTE.
Le comte est ici, beau-père! Vous me dites des choses incroyables, sur mon honneur.
LE BARON.
Monsieur le Comte, Monsieur Maraudin, venez, venez, montrez à ce coquin qui vous êtes. Holà ! Mon gendre ; monsieurMaraudin. Personne ne me répond ; il faut que je les aille chercher moi-même.
SCÈNE VIII.
Le Comte de Boursoufle, garrotté par les gens du baron ; Mademoiselle Thérèse.
LE COMTE.
J'ai beau me servir de tout mon esprit, et assurément j'en ai beaucoup, je ne comprends rien à cette aventure. Ma belle demoiselle, vous me paraissez naïve. Pourrait-on savoir de vous ce que veut dire toute cette incartade? Est-ce ainsi que vous recevez tous les gens qui viennent pour avoir l'honneur de vous donner la main?
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Pardi, plus je regarde ce drôle-là, et plus il me paraît, malgré tout çà, avoir la mine assez revenante. Il est bien mieux mis que mon mari : ma foi, il est au moins tout aussi joli. Oh! Vivent les gens de Paris! Je le dirai toujours. Mais de quoi t'avisais-tu de prendre si mal ton temps pour m'enlever? Écoute, je te pardonne de tout mon coeur ; puisque tu voulais m'avoir, c'est que tu me trouvais belle ; j'en suis assez charmée, et je te promets de pleurer quand on te pendra.
LE COMTE.
Je vois bien que la fille n'a pas plus de raison que le père.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Hem ! ne dis-tu pas que je t'ai ôté la raison ? Pauvre garçon, tu étais donc bien amoureux de moi? Ah! Que je ferai de passions ! Qu'on m'aimera !
LE COMTE.
Les jolies dispositions ! Le beau petit naturel de femme !
SCÈNE IX.
Le Baron, Le Comte, Mademoiselle Thérèse.
LE BARON.
Merci de mon honneur : que faites-vous là, Thérèse ? Vous osez parler à ce fripon ! Dénichez, ou vous ne serez mariée de dix ans.
MADEMOISELLE THÉRÈSE, en se retournant.
Ah! Je m'enfuis ; ce pauvre garçon, c'est dommage!
LE COMTE.
Eh bien! Monsieur le baron, puis-je enfin avoir l'honneur de parler à votre gendre, et voir un peu avec lui qui de nous deux est le comte de Boursoufle? Franchement, je commence à me lasser, et je suis fort mal à mon aise.
LE BARON.
Va, va, pendard, monsieur le comte et Monsieur Maraudin ne veulent te parler qu'en présence de la justice. Ils ont raison : elle va venir, nous verrons beau jeu. Çà, qu'on me mène ce drôle-là dans l'écurie, et qu'on l'attache à la mangeoire, en attendant que son procès lui soit fait et parfait.
LE COMTE.
Je ne crois pas que seigneur de ma sorte ait jamais été traité ainsi. Nous verrons ce que la cour en dira.
ACTE TROISIÈME
SCENE I.
Mademoiselle Thérèse, Le Chevalier, Maraudin, Madame Barbe.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Je baille un soufflet au premier qui m'appellera encore mademoiselle Thérèse. Vertuchoux ! Je suis madame la comtesse, afin que vous le sachiez. Ne partez vous pas tout à l'heure pour Paris, monsieur le comte? je m'ennuie ici épouvantablement.
MADAME BARBE.
Irai-je itou à Paris, Monsieur le Comte ?
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Toi, non, tu m'as trop enfermée dans ma chambre toutes les fois qu'il venait ici des jeunes gens ; je ne te mènerai point à Paris.
MADAME BARBE.
Ah ! Que deviendra donc Madame Barbe ?
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Pour vivre à Paris, il faut être jeune, brillante, extrêmement jolie, avoir lu les romans, et savoir le monde ; c'est affaire à moi à vivre à Paris.
LE CHEVALIER.
Plût au ciel, madame, que je pusse vous y conduire tout à l'heure, et que monsieur votre père daignât le permettre !
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Il faudra bien que papa La Cochonnière le veuille ; et, veuille ou non, je ne veux pas rester ici plus d'un jour.
MARAUDIN.
Quoi! Vous voudriez quitter sitôt un si brave homme de père !
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Oh ! Brave homme, tant qu'il vous plaira : j'aime bien papa, mais il m'ennuie à crever, et je veux partir.
LE CHEVALIER.
Hélas ! Je le voudrais aussi de tout mon coeur.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Votre équipage arrive sans doute ce soir ; faisons remettre les chevaux dès qu'ils seront arrivés, et partons.
LE CHEVALIER, à part.
Ô ciel ! Que je sens de toute façon le poids de ma misère!
Haut.
Madame, l'excès de mon amour...
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
L'excès de votre amour me fait grand plaisir ; mais je ne vois arriver ni cheval, ni mule, et je veux aller à Paris.
LE CHEVALIER.
Madame, mon équipage...
MARAUDIN.
Son équipage, Madame, est en fort mauvais ordre ; ses chevaux sont estropiés, son carrosse est brisé.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Il n'importe, il faut que je parte.
SCÈNE II.
Le Baron, Le Chevalier, Mademoiselle Thérèse, Maraudin.
LE BARON.
Vous me voyez fort embarrassé.
MARAUDIN.
Et nous aussi, Monsieur le Baron.
LE BARON.
Ce diable d'homme, tout fripon qu'il est, a je ne sais quoi d'un honnête homme.
LE CHEVALIER.
Oui, tous les fripons ont cet air-là.
LE BARON.
Il jure toujours qu'il est le Comte de Boursoufle.
MARAUDIN.
Il faut bien lui passer de jurer un peu dans le triste état où il est.
LE BARON.
Il a cent lettres sur lui, toutes à l'adresse du Comte.
LE CHEVALIER.
C'est lui qui les a écrites.
LE BARON.
En voici une qu'il prétend que vous lui avez donnée pour moi.
LE CHEVALIER.
Elle est contrefaite.
LE BARON.
Il est tout cousu d'or et de bijoux.
LE CHEVALIER.
Il les a volés.
LE BARON.
Ses domestiques sont tous autour du château, et protestent qu'ils vengeront leur maître.
LE CHEVALIER.
Ne voyez-vous pas qu'il est le chef d'une troupe de voleurs ?
LE BARON.
Oui, vous avez raison, il sera pendu ; c'est sans difficulté ; je me suis d'abord aperçu que Ce n'était point un homme de qualité, car il n'avait rien de mon air et de mes façons.
LE CHEVALIER.
Il est vrai.
LE BARON.
Je suis bien aise de confronter ce scélérat devant vous ; j'ai donné ordre qu'on nous l'amène, pour être jugé selon les lois du royaume par monsieur le bailli que j'attends.
LE CHEVALIER.
Vous voulez absolument que je parle à cet homme-là.
LE BARON.
Assurément.
LE CHEVALIER.
Je ne veux point me commettre avec un homme comme lui.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Vous avez raison, Monsieur le Comte ; qu'avons nous à dire à cet animal-là ? allons-nous-en dans ma chambre, cela vaudra bien mieux.
MARAUDIN.
Ma foi, je ne me soucie pas trop non plus de lui parler, et vous permettrez...
Ils veulent tous s'en aller.
SCÈNE III.
Le Comte, Le Chevalier, Le Baron, Mademoiselle Thérèse, Maraudin.
MARAUDIN, bas.
Ah ! C'est lui-même, je suis confondu.
LE CHEVALIER, bas.
Je n'ai jamais été si embarrassé.
LE COMTE.
J'aurai furieusement besoin d'aller chez le baigneur en sortant de ce maudit château ; qu'est-ce que je vois ! mon Dieu ! Eh ! c'est monsieur Maraudin.
LE BARON.
D'où peut-il savoir votre nom ?
MARAUDIN.
Ces gens-là connaissent tout le monde.
LE COMTE.
Monsieur Maraudin, tout ceci est un peu singulier ; foi de seigneur, vous êtes un fripon.
MARAUDIN.
Je vous avais bien dit qu'il connaît tout le monde ; je me souviens même de l'avoir vu quelque part.
LE COMTE.
Est-ce vous qui me jouez ce tour ? Ah, Chonchon !
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Monsieur le Comte, avec quelle insolence il vous parle !
LE COMTE.
Qui l'eût cru, Chonchon, que tu pusses jamais parvenir à cet excès ?
LE CHEVALIER, au baron.
Monsieur, je vous l'ai déjà dit, je ne veux pas me commettre avec cet homme-là, il me fait rougir.
LE BARON.
Si tu perds encore le respect à Monsieur le Comte, je te casserai bras et jambes... Je vois bien que nous n'en tirerons point raison. Qu'on le remène en prison dans l'écurie.
LE COMTE.
Cela est effroyable, cela est épouvantable, j'aurai beau dire qu'il est mon frère, ce coquin de chevalier assurera qu'il n'en est rien. Ces gens-ci n'entendent point raillerie. Dans les affaires épineuses, il faut toujours prendre le parti de la modération.
LE BARON.
Que marmottes-tu là entre les dents, ravisseur effronté ?
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Je crois qu'il me trouve fort jolie.
LE COMTE.
Monsieur le Baron, je commence à croire que tout ceci n'est qu'un malentendu, et qu'il est aisé de nous éclaircir ; laissez-moi seulement parler deux minutes tête à tête à ce jeune et honnête gentilhomme. [ 3 C'est ici que commence le changement fait dans l'édition de 1761. On le trouvera après la pièce, sous forme de variante. (R.)]
LE BARON.
Ah ! Il commence enfin à avouer, et la peur de la justice le presse. Rentrons. Monsieur le comte, écoutez sa déposition, je l'abandonne à votre miséricorde.
SCÈNE IV.
Le Comte, Le Chevalier.
LE CHEVALIER.
Tout fâché que je suis contre lui, il me paraît si bien puni que je commence à sentir quelques remords.
LE COMTE.
Regarde-moi un peu en face, Chonchon.
LE CHEVALIER.
Cela est difficile ; vous m'avez traité indignement, et je vous ai fait du mal. Il n'y a pas moyen après cela de se regarder. Que me voulez-vous ?
LE COMTE.
Je conviens que je n'ai pas eu avec toi toute la condescendance qu'un aîné devait à son cadet. Tu t'en es bien vengé ; tu es venu ici à ma place avec ce fripon de Maraudin. Tu vois le bel état où l'on m'a mis, et le ridicule dont je vais être chargé ; faisons la paix : tu me demandais ce matin dix mille francs pour le reste de ta légitime ; je t'en donne vingt, et laisse-moi épouser mademoiselle de La Cochonnière.
LE CHEVALIER.
Il n'est plus temps, vous m'avez appris à entendre mes intérêts ; il n'y a pas d'apparence que je vous cède une fille de cinq cent mille francs pour une légitime de vingt mille.
LE COMTE.
Chonchon !
LE CHEVALIER.
J'ai eu de la peine à me résoudre à ce que j'ai fait ; mais la chose est sans remède.
LE COMTE.
Comment ! Aurais-tu déjà épousé ? Il faut que tu aies l'ame bien noire.
LE CHEVALIER.
Point, car j'ai eu quelque scrupule en épousant Thérèse, et vous n'en aviez point eu en me faisant mourir de faim.
LE COMTE.
Tu prétends donc, scélérat, pousser jusqu'au bout l'effronterie de ton procédé, et me rendre le jouet de cette maison-ci?
LE CHEVALIER.
Je ne prétends que cinq cent mille francs ; tout ce que je puis faire pour votre service, c'est de partager le différend par la moitié.
LE COMTE.
C'est un accommodement, du moins.
LE CHEVALIER.
Je prendrai la dot, et je vous laisserai la femme.
LE COMTE.
Ah, Chonchon ! Tu commences à faire le plaisant ; on voit bien que ta fortune est faite.
SCÈNE V.
Le Baron, Le Bailli, Mademoiselle Thérèse, Le Comte, Le Chevalier, Madame Barbe.
LE BAILLI.
Oui, je suis venu en toute diligence, et je ne puis trop vous remercier de l'heureuse occasion que vous me donnez de faire pendre quelqu'un ; je n'ai point encore eu cet honneur depuis que je suis en charge ; je vous devrai toute ma réputation.
LE BARON.
Corbleu ! Vous êtes plus heureux que vous ne pensez ; notre homme a des complices, et vous avez sept ou huit personnes pour le moins à qui il faudra donner la question.
LE BAILLI.
Dieu soit loué! Je ne me sens pas d'aise ; instrumentons au plus tôt. Où est le corps du délit ? Où est l'accusé ?
LE BARON.
Le voici, c'est ce coquin-là. Condamnez-lecomme voleur de grand chemin, faussaire, et ravisseur de filles.
LE BAILLI.
Çà, dépêchons-nous : votre nom, votre âge, vos qualités... Ah, Dieu paternel ! Qu'est-ce que je vois là ? C'est monsieur le comte de Boursoufle, le fils de monsieur le marquis mon parrain. Ah ! Monseigneur, mon bon patron ! Par quelle aventure étrange vous vois-je traité de la sorte ?
LE BARON.
Ah! Qu'est-ce que j'entends là?
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
En voici bien d'une autre !
MADAME BARBE.
Miséricorde !
LE COMTE.
Bailli, ce vieux fou de baron s'est mis dans la tête que je n'ai pas l'honneur d'être monsieur le comte de Boursoufle ; il me prend pour un aventurier, et il est tout résolu de me faire pendre au lieu de me donner sa fille. Le procédé est barbare, sur mon honneur.
LE BARON.
Quoi ! Ce serait en effet là monsieur le comte ?
LE BAILLI.
Rien n'est si certain.
LE COMTE.
Il faut que ce baron soit un campagnard bien grossier pour s'y être mépris, foi de seigneur.
LE BARON.
Ah! Monsieur le comte, je me jette à vos genoux : j'ai été trompé par ce scélérat de Maraudin et par cet autre coquin-ci ; mais je vais les faire brûler tout à l'heure pour vous satisfaire. Ô ciel! Qu'est-ce que j'ai fait ? Délions vite Monsieur le Comte. Je mets ma vie entre vos mains, monsieur le comte ; ordonnez du supplice des fripons qui m'ont abusé. Ah ! Que je suis un malheureux baron !
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Et moi, que deviendrai-je? À qui suis-je? À qui suis-je donc ?
LE COMTE.
Je suis enfin un peu plus libre dans ma taille. Qu'on appelle un peu mes gens, qu'on me donne de la poudre de senteur, car je pue furieusement l'écurie. Holà! Eh ! Un pouf, un pouf.
LE BARON.
Monsieur le bailli, vous voyez que vous n'y perdrez rien ; voilà toujours un criminel à expédier. Saisissez-vous de celui-ci, qui a pris insolemment le nom d'un autre pour ravir ma fille.
LE BAILLI.
C'est monsieur le Chevalier de Boursoufle, c'est aussi le fils de mon parrain ; je ne serai pas assez osé que d'instrumenter contre monsieur le chevalier.
LE COMTE.
Vieux fou de baron, écoutez ; j'ai l'honneur, comme je vous l'ai dit, d'être ce comte de Boursoufle avec soixante mille livres de rente. Il est vrai que ce pauvre diable-ci est mon frère ; mais c'est un cadet qui n'a pas le sou. Il voulait faire fortune en me jouant d'un tour ; il sera assez puni quand il me verra épouser à ses yeux Jacqueline Thérèse, et emporter la dot.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Moi, de tout mon coeur ; j'épouserai tous ceux que papa La Cochonnière voudra. Ça ne me fait rien, pourvu que j'aille à Paris, et que je sois grande dame.
LE BARON.
Hélas ! Monsieur le comte, je suis le plus malheureux des hommes, le contrat est signé ; monsieur Maraudin a pressé la chose, et même...
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Tout ça ne fait rien, papa ; j'épouserai encore Monsieur le comte ; vous n'avez qu'à dire.
LE CHEVALIER.
Mademoiselle, je vous supplie de vous souvenir...
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
J'ai tout oublié ; vous êtes un cadet qui n'avez rien, et je serai grande dame avec Monsieur le Comte.
LE COMTE.
Mais quoi, beau-père, le contrat serait signé !
LE CHEVALIER.
Oui, mon frère, et Jacqueline Thérèse a l'honneur d'être votre belle-soeur. Il est vrai, Monsieur le Baron, que je ne suis pas riche ; mais je vous promets de faire une grande fortune à la guerre. Et vous, Madame, je me flatte que vous me pardonnerez la petite supercherie que monsieur Maraudin vous a faite, et qui me vaut l'honneur de vous posséder.
MADEMOISELLE THÉRÈSE.
Je n'entends rien à tout cela ; et pourvu que j'aille à Paris dès ce soir, je pardonne tout. Voyez-vous deux quel est celui dont je suis la femme.
LE BARON.
Monsieur le bailli, par charité, faites pendre au moins Monsieur Maraudin, qui a fait toute la friponnerie.
LE BAILLI.
Très volontiers ; il n'y a rien que je ne fasse pour mes amis.
LE COMTE.
On pourrait bien de tout ceci me tourner en ridicule à la cour ; mais quand on est fait comme je suis, on est au dessus de tout, foi de seigneur.
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Notes
[1] Aune : Mesure ancienne de 3 pieds 7 pouces 10 lignes 5/6, équivalant à 1m, 182. [L]
[2] Maroufle : Terme de mépris qui se dit d'un homme grossier. [L]
[3] C'est ici que commence le changement fait dans l'édition de 1761. On le trouvera après la pièce, sous forme de variante. (R.)