DIALOGUE ENTRE L'ILLUSTRE DON MARDI-GRAS ET CARÊME L'ABSTINENT
1867. Tous droits réservés.
signé Meste Verdié
Bordeaux. - Imprimerie général d'émile CRUGY, rue et hôtel Saint-Siméon, 16.
Texte établi par Paul FIÈVRE, novembre 2021
Publié par Paul FIEVRE, décembre 2021
© Théâtre classique - Version du texte du 31/08/2023 à 16:11:59.
PERSONNAGES.
MARDI-GRAS.
LORD CARÊME.
DIALOGUE ENTRE L'ILL...
Don Mardi-Gras revenant de faire sa tournée ordinaire, rencontre Lord Carême, un panier sous le bras.
MARDI-GRAS.
Eh ! Bonjour, mon cher Carême, comment vous portez-vous ?
Car vous avez l'air triste comme un amant jaloux.
Je vois que vous venez de faire provision,
Car l'odeur du panier ressent au bon jambon.
LORD CARÊME.
5 | Au jambon?... Fi donc ! Vivent tous les légumes, |
J'en mange avec excès sans trouver d'amertume. .
Ce n'est pas comme toi, gourmand impitoyable.
Qui jamais ne recule à l'aspect d'une table.
Tu vois ce grand panier ? Eh bien ! C'est un beau chou
10 | Que je viens d'acheter pour en faire un ragoût, |
Avec quelques navets, un peu d'huile commune
Que j'ai payée bien cher chez l'épicier l'Adune.
MARDI-GRAS.
Quoi ! Un chou en ragoût ? Tu perds, je crois, la tête.
Imite-moi, Carême, dans mes beaux jours de fête :
15 | Mon teint toujours vermeil, ma mine rubiconde, |
Rajeunis, font plaisir jusqu'au bord de la tombe ;
Crois-moi, ne bois pas d'eau, débouche le Champagne.
Le bordeaux, le médoc, n'oublie pas l'Espagne,
Et tu verras bientôt croître ton embonpoint ;
20 | Méprise la tisane, donne-toi tes besoins. |
LORD CARÊME.
Je m'attendais de toi un pareil compliment.
Glouton, gargantua, exécrable friand,
Père des débauchés, père de tous les vices,
Mangeur démesuré, jusqu'à mille saucisses,
25 | Ogre dénaturé, sans civilisation, |
Fameux anthropophage, sans moeurs, sans religion,
Tu me reproches, à moi, que je vis d'abstinence !
À toi, ton seul plaisir, c'est de tendre la panse.
Boeuf, veau, porc et mouton, voilà ton grand régal,
30 | Et souvent tu répètes : « C'est un repas frugal. » |
Prends garde, Mardi-Gras, que Carême, soumis,
À ton convoi funèbre chante un De Profundis.
MARDI-GRAS.
Je ne crains nul danger, pas même toi, Carême,
Homme efféminé, squelette suprême.
35 | On ne te verra pas parmi la Médecine, |
Car ton corps est hideux et il tombe en ruine.
Tu m'es bien différent... Ils ont mine
De faire de mon corps la sublime utopie !
Ils sortirent de moi, de graisse, cent quintaux
40 | Utiles aux bras, aux jambes, guérissant bien des maux, |
Comme fortes douleurs nommées sciatiques
Rhumatisme goutteux, jusqu'aux paralytiques.
Que je te plains Carême, amateur de fromage !
Grand Dieu ! Quelle maigreur ! quel mauvais présage 1
45 | Si tu t'examinais, tu verrais que ton corps |
Ressemble à un vrai pic, ou à un hareng saur !
LORD CARÊME.
Qui voudrait te répondre, perdrait très mal son temps,
Homme vil, crapuleux, banni des braves gens !
Bientôt tu vas subir un jugement sévère ;
50 | Tu seras la Statue comme au Festin de Pierre. |
Tu ne répliques pas, oh ! j'en suis sûr d'avance,
Goinfre le plus suspect, grand maître de pitance,
Qui ne cesse de dire ; Mon ventre est un grand sac
Où je logeais au moins quinze cents cervelas.
55 | Tiens, crois-moi, finissons, ou je vais commencer |
Ton interrogatoire pour faire un plaidoyer.
Tu crois t'enorgueillir, fier nettoyeur de plats,
Mais au coup qui l'attend, tu ne reculeras pas.
MARDI-GRAS.
Être pusillanime, depuis quand la berlue
60 | T'a choisi pour ton maître celle vieille morue ? |
Du pain trempé dans l'eau fait souvent ton repas ;
Tu as un teint livide, pâle et coetera.
Vas-t-en donc te cacher au fond de ta cellule,
Car ton regard m'effraie, égoïste crédule.
65 | Je te répète encore : imite-moi, ami ; |
Quitte cet air rêveur, sois toujours sans souci ;
Tu auras près de moi un compagnon fidèle
Qui sera ton Mentor, te servant avec zèle.
Vas, tu ne diras plus : Mes beaux jours sont passés !
70 | T'en seras content, Carême, t'en seras satisfait. |
LORD CARÊME.
Gastronome hardi, grand-soudan de la table,
Assouvis-toi de chair dans ta faim satiable
Je te quitte, maudit, et ne m'aborde plus,
Car tu n'es qu'un goujat, qu'un vaurien sans vertu,
75 | Qu'un vautour carnassier, qu'un buveur implacable, |
À qui il faut au moins cinq cents bouteilles à table ;
Haut-Brion, Haut-Barsac, ce sont tes vins choisis ;
Bourgogne, Cendrieu, le Tokay, Malvoisie ; [ 2 Tokay : Vin de Hongrie que l'on place au premier rang parmi les vins doux. [L]] [ 1 Malvoisie : Vin grec qui est fort doux. [L]]
Tes lèvres très souvent en portent les empreintes,
80 | Car l'on dirait d'ici qu'elles en sont bien peintes. |
Tu ne diras pas non... L'on t'a vu, jeudi soir,
À l'issue des bouchers, à gravir l'abattoir ;
Tu est entré fougueux ; dans ton humeur contente,
Tu as glacé d'horreur les moutons d'épouvante,
85 | Et tu n'as pas senti en toi quelques remords |
En les mangeant vorace, en leur donnant la mort !
Adieu, homme vulgaire, sans honneur et sans foi ;
Je te quitte, adieu pour la dernière fois.
Apprends donc désormais à devenir plus sage ;
90 | Lis l'Homme vertueux, et fais en bon usage ; |
Tu te diras alors : Je veux me convertir ;
Je commence à connaître où sont les vrais amis !
Tu seras repentant de tant d'extravagances
Que jadis tu faisais étant dans l'opulence,
95 | Ainsi, promets-moi bien de devenir austère ; |
Que tes jours finiront au pied d'un monastère,
Et alors tu verras, illustre Mardi-Gras,
Que le plaisir n'est rien où la vertu n'est pas,
Et qu'au sein des débauches on finit toujours mal
100 | Le fait est véridique, c'est d'après Juvénal. |
Par Meste VERDIÉ.
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Notes
[1] Malvoisie : Vin grec qui est fort doux. [L]
[2] Tokay : Vin de Hongrie que l'on place au premier rang parmi les vins doux. [L]