IDYLLE MILITAIRE EN UN ACTE
1870
Par EUGÈNE EUGÈNE VERCONSIN
PARIS E. DENTU, LIBRAIRE-ÉDITEUR 17, 19, GALERIE D'ORLÉANS
PARIS.? J. CLAYE, IMPRIMEUR, RUE SAINT-BENOÎT, 7.? [730]
Texte établi par Paul FIEVRE, août 2021.
publié par Paul FIEVRE, septembre 2021.
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:35.
PERSONNAGES
VERMOUTH, voltigeur SAINT-GERMAIN.
ADÉLAÏDE, bonne d'enfant DAMAIN.
MONSIEUR LE COMTE, bébé au maillot.
La scène se passe à Paris, dans le jardin des Plantes.
1. Le rôle d'Adélaïde peut être joué, au gré de l'actrice, avec la prononciation alsacienne.
ADÉLAÏDE ET VERMOUTH
SCÈNE PREMIÈRE.
ADÉLAÏDE.
Au lever du rideau, Adélaïde, assise sur un banc, tient sur ses genoux un enfant au maillot. Elle jette un cerceau à une petite fille qu'on ne voit pas.
Voici votre cerceau, Mademoiselle Camille, mais ne vous éloignez pas trop.
Bêlant son bébé.
Dodo, l'enfant do, l'enfant dormira tantôt.
Elle chante et sa voix s'adoucit et s'éteint à mesure que l'enfant s'endort.
Enfin, voilà Monsieur le Comte endormi ! Achevons le roman que j'ai pris ce matin dans le boudoir de madame.
Elle rit.
Est-il Dieu possible qu'il y ait des créatures adorées comme ça ! Trois duels pour une seule femme. Quand je pense qu'il n'y a pas encore eu un homme, sous la calotte des cieux, qui se soit seulement asphyxié pour moi... Je sais bien que tout ce qu'il y a là dedans n'est pas arrivé, que c'est des menteries, des frictions, comme dit Madame ; mais c'est égal, c'est bien gentil tout de même... Ah ! Si jamais je deviens riche, moi... je sais bien ce que je ferai : Le matin, je prendrai mon café dans mon lit, en lisant des romans ; le jour, j'irai voir manoeuvrer les troupes au Champ de Mars, et le soir... Le soir, j'irai tous les jours au spectacle...
Vermouth parait.
Un militaire ! Lisons !
SCÈNE II.
Vermouth, Adélaïde.
VERMOUTH, a la cantonade.
Que c'est convenu, sargent, et que nous nous retrouverons devant les singes.
Au public.
Je préfère le Jardin des Plantes aux Tuileries, à cause des animaux... les singes, surtout... Ils m'amusent, ces animaux-là.
Apercevant Adélaïde.
Crédié ! La jolie femme !... C'est particulier, ça, mais je ne peux pas voir une jolie femme sans penser que je suis du sexe galant.
Il passe devant Adélaïde en toussant et en frisant sa moustache.
ADÉLAÏDE, il part.
Comme il me regarde !... Il me dévore, quoi !
VERMOUTH, à part.
Différemment, avant de partir pour l'Afrique, il ne me serait pas inférieur d'emporter une mèche de cheveux de cette jeunesse-là.
Il retousse.
J'ai beau tousser, elle ne lève pas l'oeil de dessus son bouquin ! Ça n'est pas naturel... Quand une jeunesse a un livre ouvert devant les yeux et qu'un militaire passe dans les environs, ça n'est pas son livre qu'elle regarde... Chacun sait ça !... Nous vons bien voir !...
Il passe derrière Adélaïde et jette un coup d'oeil par-dessus son épaule.
Qu'est-ce que je disais ? Son livre est à l'enverse.
Il s'assoit à l'extrémité du banc. Haut.
Vous prremettez que je me repose un brin, Mademoiselle ?
ADÉLAÏDE, minaudant.
Le banc est à tout le monde.
VERMOUTH.
Il est juste. Toutefois néanmoinsse que ma présence vous désobligerait, que l'on est Français avant tout et que l'on irait planter sa tente ailleurs.
ADÉLAÏDE.
Votre tante ?
VERMOUTH.
C'est une expression qui se dit à l'armée de la guerre : autrement dit, que je ficherais mon camp... Que ça me contrarierait souverainement, et même davantage, mais que je le ficherais.
ADÉLAÏDE, touchée.
Je ne vous renvoie pas, monsieur le militaire.
VERMOUTH.
Ah ! Que vous êtes bonne !
ADÉLAÏDE.
Depuis deux ans, chez un Comte.
VERMOUTH, à part.
Hein ? Elle fait des calembours... Nous vons rire tout à l'heure.
Il se rapproche d'Adélaïde.
ADÉLAÏDE.
Vous n'êtes pas bien ?
VERMOUTH.
Pardonnerez. Mais présentement que je suis mieux, l'approximation d'une jolie femme étant faite pour réjouir le coeur de tout soldat français.
ADÉLAÏDE.
Flatteur !
VERMOUTH.
Pour ça, non.
ADÉLAÏDE.
Pour ça, si.
VERMOUTH.
Pour ça non. Que c'est la nature qui parle en moi, Mademoiselle... Comment qu'on vous appelle ?
ADÉLAÏDE.
Adélaïde.
VERMOUTH.
Tiens ! Votre nom rime avec ophicléide, le plus bel instrument de notre musique à nous autres militaires. Aimez-vous la musique militaire ? [ 1 Ophicléide : Instrument de cuivre de la famille des bugles. Il y a deux sortes d'ophicléides : l'ophicléide alto, en mi bémol, et l'ophicléide basse, en ut et en si bémol. [L]]
ADÉLAÏDE.
Je l'adore. Elle porte au coeur.
VERMOUTH.
Que c'est vrai tout de même qu'elle porte au sentiment, à preuve que, pas plus tard que ce matin, nous ons été à la parade, musique en tête, et que depuis ce matin je suis amoureux comme je ne sais pas quoi... Peut-être plus...
Il se rapproche encore d'Adélaïde.
Quel âge que vous avez ?
ADÉLAÏDE.
Vingt ans.
VERMOUTH, soupirant.
La belle âge pour aimer, quoi !... Et d'où que vous êtes ?
ADÉLAÏDE.
De Bischwiller, en Alsace. [ 2 Bischwiller : comme d'Alsace située à 10 km au nord de Strasbourg et au sud-est d'Hagueneau.]
VERMOUTH.
Différemment que vous êtes Alsacienne. Moi je suis Tourangeau, par ainsi que nous sommes quasi pays, et touchez là, sans vous commander.
ADÉLAÏDE.
Je ne sais si je dois.
VERMOUTH.
Bah ! Devez.
Il lui prend la main et la garde.
ADÉLAÏDE.
Et vous, comment qu'on vous appelle ?
VERMOUTH.
Moi, z'on m'appelle Vermouth.
ADÉLAÏDE.
Plaît-il?
VERMOUTH.
Vermouth, que je vous dis. C'est le nom que mon capitaine m'avait donné en Afrique, à cause que, tous les matins, je lui portais le sien : Flageolot Vermouth, vingt-neuf ans, trois campagnes, et médaillé. Deux blessures, reçues, l'une à la jambe, et l'autre... à Solférino ; mais toutes deux subsidiarement guéries, comme je pourrais vous le faire voir... Si les lois de la pudeur ne s'y opposaient. En ce moment, garnisonné au Mont-Valérien ; bon enfant, et surtout agréable avec le sexe, comme vous pourrez vous en convaincre, si vous promettez que je cultive votre connaissance. [ 4 Bataille de Solférino : Bataille entre les troupes françaises et sardes et contre les troupes autrichiennes le 24 juin 1859. ]
ADÉLAÏDE.
Gageons que vous en dites autant à toutes les femmes.
VERMOUTH.
Que je suis voltigeur, mais pas volage, Mademoiselle Victoire.
ADÉLAÏDE.
Vous dites ?
VERMOUTH.
Je dis que je suis voltigeur, mais point volage, Mademoiselle Victoire.
ADÉLAÏDE, furieuse.
Mais je m'appelle Adélaïde.
VERMOUTH, à part.
Bigre ! J'ai dit z'une bêtise !
ADÉLAÏDE.
Vous voyez bien que vous me trompez déjà.
L'enfant pleure. Adélaïde le berce pour le rendormir.
VERMOUTH.
Prremettez qu'on s'explique... J'ai dit : Mademoiselle Victoire...
Cherchant une idée.
J'ai dit : Mademoiselle Victoire parce que... parce que c'en serait une un peu flatteuse que de faire votre conquête, Mademoiselle Ophicléide...
Se reprenant.
Adélaïde.
ADÉLAÏDE, apaisée.
Vous me faites l'effet d'un fier enjôleur, vous !
VERMOUTH, à part.
Le fait est que c'est assez bien trouvé.
Haut.
Voyons ! Que l'on ne rend pas sa menotte à ce pauvre Vermouth ?
ADÉLAÏDE.
Ah ! Ces hommes, c'est comme des mendiants, ça demande toujours quelque chose.
L'enfant repleure.
Mais taisez-vous donc, Monsieur le Comte.
VERMOUTH.
Le fait est qu'il est embêtant, votre mioche. C'est même une question que je me suis faite bien souvent. Pourquoi donc que ces gredins d'enfants pleurent toujours ?
ADÉLAÏDE.
Hein ! Vous en voyez donc souvent !
VERMOUTH.
Oh ! Quelquefois, dans le monde.
À part.
Elle sera jalouse.
Haut.
Je disais : Pourquoi qu'ils pleurent toute la sainte journée, sauf l'heure des repas, s'entend ? Qu'est-ce qu'on leur fait, je vous le demande? Est-ce que nous pleurons, nous autres ?
ADÉLAÏDE.
Vous ne faites pas vos dents, vous autres. Monsieur le Comte a la dentition difficile. Ça lui donne des petites coliques, ça...
VERMOUTH.
Suffit, je comprends.
ADÉLAÏDE, regardant autour d'elle.
Allons ! Voilà sa soeur Camille encore partie.
Appelant.
Mademoiselle Camille !
VERMOUTH.
Ah ! Vous en avez encore une autre.
ADÉLAÏDE.
Une plus grande ; elle a déjà...
VERMOUTH.
J'entends bien; elle n'a plus de coliques.
ADÉLAÏDE.
Je crains toujours qu'elle n'aille du côté des animaux.
VERMOUTH.
Il n'y a pas de danger, puisqu'on ne les laisse pas communiquer avec le public... Différemment, Mademoiselle Ophi... Adélaïde, que vous sortez le dimanche... pour aller voir madame votre tante ?
ADÉLAÏDE.
Mais je n'ai pas de tante.
VERMOUTH.
Eh bien, et moi donc. Que je serai votre tante et que je vous aimerai comme ma nièce, et même plus, si c'est votre idée, et que je vous attends demain devant la fosse à l'ours.
ADÉLAÏDE.
Je ne sais si je dois.
VERMOUTH.
Bah ! Devez... Je connais, dans les environs du voisinage, un restaurant de premier choix...
ADÉLAÏDE.
Je ne suis pas portée de dessus ma bouche, Monsieur Vermouth, et si je consentais à venir, ça ne serait que pour le sentiment, et parce que je me fierais à la délicatesse d'un militaire qui ne voudrait pas subtiliser une jeunesse comme moi.
VERMOUTH.
Vous subtiliser, Mademoiselle Vict... mademoiselle Adélaïde ! Mais j'aimerais mieux subtiliser toutes les femmes que d'en subtiliser une seule.
ADÉLAÏDE, reconnaissante.
Merci.
VERMOUTH.
Et, le soir, nous irons au spectacle. Aimez-vous le spectacle ?
ADÉLAÏDE.
Je l'adore. Surtout les ceux où l'on pleure. Je ne m'amuse jamais tant que quand je pleure.
VERMOUTH.
Moi, dans les moments pleurards, je ne pleure pas ; mais, pour être secoué en dedans, je suis secoué en dedans.
VOIX D'UNE MARCHANDE DE PLAISIRS, chantant.
Voilà l'plaisir, mesdames, voilà l'plaisir !
VERMOUTH, à Adélaïde.
Voulez-vous me faire celui d'en accepter un ?
ADÉLAÏDE.
Je ne voudrais pas vous enduire en dépense.
VERMOUTH.
M'enduire ! Mais pour vous être agréable, je me ruinerais avec volupté ... Ohé la marchande !
ADÉLAÏDE.
Non, Monsieur Vermouth.
VERMOUTH.
Que vous ne l'aimez donc pas le plaisir ?
ADÉLAÏDE.
Ah ! Si ! Ah ! Si !
VERMOUTH.
Alors, laissez-moi faire des folies pour vous... Ohé la marchande !
En sortant, il tire sa bourse de sa poche et laisse tomber un paquet de lettres.
SCÈNE III.
ADÉLAÏDE, seule.
Il a laissé tomber quelque chose... Une lettre !... Deux lettres !... Trois lettres !... Des lettres de femmes, peut-être ? Si je les lisais...? Ça serait indiscret, mais c'est la seule manière de savoir ce qu'il y a dedans.
Elle ouvre une lettre. Lisant.
« Femme adorable ! »
Parlé.
Là ! Qu'est-ce que je disais ? Le monstre me trompe déjà !
Lisant.
« Femme adorable, hier, à la promenade, je ne vous ai aperçue que dix minutes, mais ça m'a suffi. Depuis ce moment, j'en perds le boire et le manger. »
Parlé.
Et il m'offrait d'aller au restaurant, l'effronté !
Lisant.
« Si c'est un effet de votre bonté, vous obtempérerez à mon amour et vous vous trouverez demain, sur le coup de midi, aux Tuileries, devant le sanglier. »
Parlé.
Ô les hommes ! Les hommes !... Voyons la seconde !
Lisant la seconde lettre.
« Femme adorable, hier, à la promenade, je ne vous ai aperçue que cinq minutes... »
parlé.
Mais c'est la même lettre, moins cinq minutes... Quel gredin ! Voyons la troisième !
Lisant ia troisième lettre.
« Femme adorable... »
Parlé.
Encore ! Le brigand ! Trois femmes ! Il me trompait pour trois femmes !... Le voilà, je vas le retourner, moi !
SCÈNE IV.
Adélaïde, Vermouth.
VERMOUTH, avec des plaisirs.
Voilà les plaisirs demandés, ma payse.
ADÉLAÏDE, renversant le paquet de plaisirs.
Et voilà le cas que j'en fais.
VERMOUTH.
De quoi ! Voilà comme on émiette son plaisir.
ADÉLAÏDE, lui lisant ses propres lettres.
« Femme adorable, hier, à la promenade, je ne vous ai aperçue que dix minutes... »
Prenant la seconde.
« Femme adorable, hier, à la promenade, je ne vous ai aperçue que cinq minutes... »
Prenant la troisième.
« Femme adorable, hier, à la promenade... »
VERMOUTH, à part.
Bigre de bigre ! Elle a mis la main sur mon arsenal !
ADÉLAÏDE, lisant toujours.
« Je vous attends, demain, devant le sanglier... »
Parlé.
Allez-y donc, devant votre sanglier, retrouver vos femmes adorables ! Mais ne me reparlez ni de ma vie, ni de mes jours.
VERMOUTH.
Voulez-vous tant seulement m'écouter un brin?
ADÉLAÏDE.
Laissez-moi !
VERMOUTH.
Mais il n'y a de femme adorable que vous, Adélaïde.
ADÉLAÏDE.
Il ose encore après ce que j'ai lu...
VERMOUTH.
Mais, petite bêtasse que vous êtes, toutes ces lettres-là, c'est pour rire, c'est des inventions ; ces lettres-là ne sont jamais arrivées... à leur adresse. Et la preuve, c'est que je les avais dans ma poche ; voyez plutôt la marque de la pliure.
ADÉLAÏDE.
Qu'est-ce qu'il manigance encore ?
VERMOUTH.
Je ne manigance point. Tenez, voulez-vous que je vous dise? Eh bien, tout ce qui arrive là, c'est la faute à mon lieutenant. (Un beau garçon? nous sommes tous comme ça au régiment?sans ça on ne nous recevrait pas !)
ADÉLAÏDE.
Le fat !
VERMOUTH.
Et qui a toujours une pacotille de lettres faites d'avance, pour quand ça se trouve. Différemment, il m'a donné sa recette.
ADÉLAÏDE.
Mais c'est abominable !
VERMOUTH.
Je n'ai pas trouvé ça abominable, et j'ai suivi l'exemple de mon chef, comme ça se doit dans le militaire. Mais aujourd'hui que je vous ai rencontrée, Ophi...non, Adélaïde,- il n'y a plus de femme adorable que vous !
ADÉLAÏDE.
La vraie vérité ?
VERMOUTH.
La vraie ! Tenez, je vas vous dire un mot, que quand on l'a dit, ça engage...
ADÉLAÏDE.
Dites voir.
VERMOUTH.
Eh bien, croyez-moi hermétiquement !
ADÉLAÏDE.
Hermétiquement... Qu'est-ce que ça veut dire ?
VERMOUTH.
Innocente que vous êtes... Vous ne savez pas... Ça veut dire : hermétiquement. C'est un mot... Ne le dites à personne au moins, ça pourrait me compromettre.
Confidentiellement.
Que c'est un mot du gouvernement !
ADÉLAÏDE.
Allons. Je vous pardonne !
VERMOUTH.
Et moi, je déchire mes lettres et je vas les donner en pâture aux animaux.
ADÉLAÏDE.
À propos d'animaux, Camille ne revient pas et je commence à être inquiète. Si c'était un effet de votre bonté de garder Monsieur le Comte un instant.
VERMOUTH.
Passez-moi le mioche. Ce n'est pas la première fois qu'on aura vu Vermouth...
ADÉLAÏDE.
Vous dites ?
VERMOUTH.
Qu'on aura vu un soldat français garder l'innocence.
Adélaïde sort.
SCÈNE V.
VERMOUTH, tenant l'enfant sur ses genoux.
Décidément, elle sera jalouse.
Examinant Le Comte.
C'est un assez bel enfant ; mais j'ai vu mieux que ça aux Tuileries.
L'enfant pleure.
Bon ! Voilà la musique qui recommence. Différemment, que je suis de l'avis de ce caporal que j'ai vu dans une pièce de comédie : j'aime bien les enfants, mais je trouve qu'ils naissent trop jeunes...
S'adressant au bébé.
Je sais bien ce que tu voudrais, mon gaillard, mais tu perds ton temps, mon garçon ; je ne suis pas la nourrice, moi... Je ne peux pas... Ça n'est pourtant pas le laid qui me manque !... Il ne comprend pas. C'est même des bêtises de dire des mots spirituels aux enfants : ils ne comprennent pas.
L'enfant pleure.
Allons ! Un peu de patience, que diable, faut se faire une raison...
L'enfant crie.
Je t'en fiche... Je vas le mettre sur le ventre... On dit que c'est souverain pour calmer les enfants !
Il retourne l'enfant, qui cesse de pleurer.
Il se calme ! Il se calme !
Il le fait sautiller tout doucement. Tout a coup, sa physionomie, de souriante qu'elle était, devient sérieuse, inquiète. Il jette des regards de détresse sur les spectateurs. Enfin il soulève l'enfant avec précaution et dit avec résignation.
Ça y est ! Ah ! Ça y est !... Je disais aussi : qu'est-ce donc qui est chaud comme ça ?... Si seulement j'avais eu le tablier d'un de nos sapeurs !... On devrait toujours prendre un tablier de sapeur quand on est exposé comme nous autres...
Tenant l'enfant entre ses jambes.
Laissons-le égoutter...
L'enfant pleure.
Oui, pleure, petit malheureux ! Tu as bien raison, après ce que tu as fait... Ils n'ont pas le moindre empire sur eux-mêmes, ces moutards-là... Et c'est un comte qui se conduit pareillement !... Comme la noblesse dégénère, mon Dieu !... Allons ! Voilà que c'est froid, à présent !... C'était chaud, tout à l'heure ; maintenant, c'est froid. Et mademoiselle sa bonne qui ne revient pas !... Si je le fourrais sous le banc, pour le punir... Quelle faction, mon Dieu !
SCÈNE VI.
Vermouth, Adélaïde.
ADÉLAÏDE, accourant éperdue.
Monsieur Vermouth ! Monsieur Vermouth!
VERMOUTH.
Ah ! Reprenez votre mioche.
ADÉLAÏDE.
Camille qui vient, de tomber dans la fosse à l'ours !
VERMOUTH.
Qu'est-ce qu'elle dit ?
ADÉLAÏDE.
Regardez, là-bas, la foule, près de la fosse... C'est un enfant qu'est tombé dans la fosse ! C'est Camille, bien sûr !
VERMOUTH, sortant.
Voyons voir que je voie !
Il sort.
SCÈNE VII.
ADÉLAÏDE, seule.
Quel malheur ! Seigneur mon Dieu ! Quel malheur ! Que va dire madame, s'il faut que je rentre sans la petite ? Non, j'aime mieux ne pas rentrer. J'aime mieux aller me noyer avec l'autre !
Au bébé.
N'est-ce pas, mon trésor, qu'il vaut mieux aller nous noyer ensemble... Et Monsieur Vermouth qui ne revient pas...
Vermouth parait.
Le voilà !... Seul !... Camille est dévorée !
SCÈNE VIII.
Adélaïde, Vermouth.
VERMOUTH, grave.
Elle vit. L'enfant qui est tombé dans la fosse à l'ours, et que celui-ci dévore avec la gloutonnerie naturelle à cet animal, est en carton... C'est une poupée !
ADÉLAÏDE.
Merci, mon Dieu !
Dans sa joie elle lève les bras au ciel et laisse tomber l'enfant que Vermouth rattrape au passage.
VERMOUTH.
Quant à votre petite Camille, que vous pouvez l'entr'apercevoir d'ici, qui cause familièrement avec un sapeur de sa connaissance... Et de la vôtre aussi, Adélaïde, puisqu'il lui demandait de vos nouvelles, et que c'est de cette manière que j'ai reconnu l'enfant.
ADÉLAÏDE, troublée.
Fectivement, Monsieur Vermouth, fectivement : c'est un de mes cousins.
VERMOUTH.
Différemment, je n'aime pas que les jeunesses comme vous aient des cousins dans les sapeurs... Je les connais, les sapeurs... Rien n'est sacré pour un sapeur !...
ADÉLAÏDE.
Jaloux !
VERMOUTH.
Non ; mais promettez-moi de vous brouiller avec ce cousin-là.
ADÉLAÏDE.
Allons ! Je vous le promets ! Êtes-vous content ?
VERMOUTH, avec enthousiasme.
Que vous êtes une divinité, et que demain je vous attends sur le coup de midi, devant les singes.
ADÉLAÏDE.
J'y serai. Vive la ligne !
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Notes
[1] Ophicléide : Instrument de cuivre de la famille des bugles. Il y a deux sortes d'ophicléides : l'ophicléide alto, en mi bémol, et l'ophicléide basse, en ut et en si bémol. [L]
[2] Bischwiller : comme d'Alsace située à 10 km au nord de Strasbourg et au sud-est d'Hagueneau.
[3] La Mont-Valérien est un fort militaire à l'ouest de Paris, à la fois sur les communes de Nanterre, Suresnes et Rueil-Malmaison.
[4] Bataille de Solférino : Bataille entre les troupes françaises et sardes et contre les troupes autrichiennes le 24 juin 1859.