LE SUFFISANT

OPÉRA COMIQUE

Représenté pour la première fois sur le Théâtre de l'Opéra comique, le 12 Mars 1753.

M. DCC. LIII.

PAR M. VADÉ.

À Paris, Chez Nicolas-Bonaventure DUSCHENE.

Représenté pour la première fois à Paris en 1758.


Texte établi par Paul FIEVRE, mars 2022

Publié par Paul FIEVRE, avril 2022

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:44.


ACTEURS

ELVIRE.

CLITIE, nièce d'Elvire.

LE CHEVALIER, fils de la Marquise.

LINDOR, amant de Clitie.

MARTON, suivante d'Elvire.

La Scène est dans le salon d'Elvire.


LE SUFFISANT

SCENE PREMIÈRE.
Lindor, Clitie.

LINDOR.

AIR : Aimons-nous, belle Thémire.

Hélas pouvez-vous encore

Douter du feu qui me dévore ?

Qui mieux que moi vous adore ?

Qui plus que moi

5   Sait vous prouver sa foi ?

CLITIE.

AIR : Le langage des soupirs.

Le langage d'un Amant

Contraint un coeur à se rendre,

Quand il peint le sentiment :

Mais souvent pour nous surprendre

10   Le plus volage sait prendre

Le langage d'un amant.

LINDOR.

AIR : Dans nos hameaux la paix et l'innocence.

Quand on vous aime, on vous aime sans cesse :

À ce prix vous m'avez permis l'espoir :

Au doux instant marqué par la tendresse,

15   Vous opposerez le sévère devoir.

N'éloignez plus ce moment où j'aspire ;

Dieux ! En serai-je encor longtemps privé !

CLITIE.

Craindre .... hésiter .... n'est-ce donc pas vous dire

Que cet heureux instant est arrivé ?

LINDOR.

AIR : Constantin buvoit toujours.

20   Ah ! Dans quel ravissement

Me plonge cet aveu charmant !

Le vrai bonheur pour toujours

Va filer mes jours !

CLITIE.

AIR : Pour un amour frivole.

Un apparent hommage

25   Souvent dure bien peu ;

La constance est le gage

D'un véritable feu.

Lorsque le temps nous prouve

Ce qu'un amant nous dit,

30   Le devoir même approuve

Ce qu'amour applaudit.

LINDOR.

AIR : Des Sabotiers Italiens, sous un ombrage épais, etc.

Je cède au charme dont je joui[s] :

Ô ciel : l'ai je bien ouï !

CLITIE.

Oui,

Mon cher Lindor

35   Mon coeur prend l'effort.

Mon amour qui vous en croit croît.

LINDOR.

Que je ressens

Le prix de vos chers accents !

CLITIE.

Quoi, vous m'aimez !

LINDOR.

40   Pour jamais vous m'enflammez.

CLITIE, à part.

Ah, qu'il me plaît !

Oui, je sens qu'il est :

Pour être amant fortuné, né.

LINDOR.

AIR : Ne vla-t-il pas que j'aime.

D'un rival qui vous suit de près,

45   Le soin paraît extrême.

CLITIE.

Bon, c'est un fat et je le hais

Autant que je vous aime.

CLITIE.

AIR : De la neuvaine, ou Quand l'auteur de la nature.

Que craindre d'un petit maître,

Suffisant, enchanté de son être,

50   Qui se vante,

Forge, invente

Billets doux,

Soupers et rendez-vous ?

Affectant la faible vue,

55   Et passant ses bijoux en revue,

Il minaude,

Échafaude

Son jargon,

Sur un singulier ton.

60   Que craindre, etc.

Oui la belle

La plus rebelle,

Cesse de l'être à son aspect.

L'air d'aisance

65   Le dispense

Des égards et du froid respect.

Chargé de poudre et d'essence,

Il exhale un parfum suspect.

Que craindre, etc.

AIR : De s'engager il n'est que trop facile.

70   Un point m'alarme, Elvire est très jolie !

Ses yeux, Lindor, ne vous touchent-ils pas ?

LINDOR.

Dieux ! Quels soupçons ! Ah ma chère Clitie,

Vous offensez l'amour et vos appas !

AIR : L'occasion fait le larron.

Elvire feint pour moi quelque tendresse :

75   Pour ramener son amant singulier,

Enfin son air de petite maîtresse,

Ne peut plaire qu'au Chevalier.

AIR : Non, non Colette n'est point trompeuse.

CLITIE, LINDOR.

Non, non notre amour n'est point volage,

Le sentiment le produit.

80   Non, non notre amour n'est point volage,

Par l'estime il est conduit.

Une ardeur qui se partage

Trompe autant qu'elle séduit ;

Mais du feu qui nous engage,

85   Naît le bonheur qui nous suit.

Non, non notre amour n'est point volage

Le sentiment le produit.

Non, non notre amour n'est point volage,

Par l'estime il est conduit.

Ils sortent.

SCÈNE II.
Elvire, Marton.

ELVIRE, un miroir de poche à la main.

AIR : Le fameux Diogène.

90   Tu m'as fort négligée,

Je suis mal arrangée.

MARTON.

Oh votre miroir ment.

ELVIRE.

Que le Chevalier tarde !

MARTON.

Un tel muguet n'a garde

95   D'être trop prévenant.

ELVIRE.

AIR : L'honneur dans un jeune tendron.

Pour punir un homme si vain,

J'aimerai Lindor.

MARTON.

Mais enfin

Êtes-vous sûre de sa flamme ?

ELVIRE.

Va, j'ai lu dans l'air de Lindor

100   Le goût qu'il a pour moi....

MARTON.

  Madame,

Son air pourrait bien avoir tort.

ELVIRE, piquée.

AIR : Sans le savoir.

En vérité je vous admire ?

Qu'est-ce que ce doute veut dire !

Mes attraits sont-ils sans pouvoir !

MARTON, malicieusement.

105   Malgré qu'ils n'épargnent personne ;

Lindor les voit sans s'émouvoir....

Il en tient... si le coeur se donne

Sans le savoir.

ELVIRE.

AIR : Nous sommes précepteurs d'amour.

Allez, je saurai l'enflammer :

110   Jugez mieux, ou sachez vous taire.

Quand je prends la peine d'aimer,

Apprenez que je prétends plaire.

MARTON, riant.

AIR : Du Prévôt des Marchands.

Ah ! Puisque vous le prétendez.

ELVIRE.

Mais, mais, Marton, vous m'excédez.

MARTON.

115   Tout au contraire, je respecte

Beaucoup votre prétention :

Mais la réussite est suspecte

Sans une déclaration.

ELVIRE.

AIR : Chantez petit Colin.

C'est raisonner au mieux,

120   Voyez quelle impudence !...

MARTON.

Ah ! Quel air sérieux,

Madame !

ELVIRE.

Ôtez-vous de mes yeux.

MARTON, à part.

Elle aime qu'on l'encense,

Réparons l'imprudence.

Haut.

125   Ah ! point de courroux.

Des attraits si doux

Sont faits.

ELVIRE.

Taisez-vous.

MARTON, d'un ton flatteur.

AIR : Gentille Pèlerine.

Oui, vous êtes charmante,

Votre voix est touchante,

130   Votre regard enchante.

ELVIRE, se radoucissant.

Que ne dis-tu cela...

Ma nièce me tracasse...

MARTON.

Votre beauté l'efface,

M'accordez-vous ma grâce ?

ELVIRE.

135   Oui-dà, Marton, oui-dà.

MARTON, au Public.

Flattez amants, on nous prend toutes par-là.

ELVIRE.

AIR : Du haut en bas.

D'un pis aller

On n'a point encor l'air, je pense,

D'un pis aller.

MARTON.

140   De qui donc voulez-vous parler ?

ELVIRE.

C'est d'un parjure qui m'offense :

Mon mépris serait la vengeance

D'un pis-aller.

AIR : Ah qu'il est beau l'oiseau !

Tu sais bien que le Chevalier

145   A mon sort devait se lier :

Le traître !

Le traître !

MARTON.

Ah ! De vous oublier

Est-il le maître ?

ELVIRE.

AIR : De tous les Capucins du monde.

150   Apprends donc qu'il me sacrifie.

MARTON.

Bon !... À qui, Madame ?

ELVIRE.

À Clitie.

L'insolent en est ébloui.

MARTON.

C'est manquer à la bienséance.

ELVIRE.

Marton, le trait est inouï;

155   C'est une perfidie .... immense.

AIR : Des vapeurs.

L'espoir de lui rendre le change

Me venge

De sa noirceur.

Et pour que l'ingrat me respecte,

160   J'affecte

L'air de douceur ;

Mais en secret mon coeur succombe.

MARTON.

Le coup est frappant.

ELVIRE.

Assommant !

165   Ma chère soutiens-moi, je tombe,

J'ai des vapeurs.

Elle tombe dans un fauteuil.

Je me meurs.

MARTON.

AIR : Une nuit dormant à merveille.

Mais comment ? Ses yeux, sont humides :

Au public.

Voyez pourtant, petits perfides;

170   Quelles transes vous nous donnez.

Par ma foi nous sommes bien folles

D'en croire vos belles paroles.

À Elvire, lentement.

Allons, Madame, revenez.

ELVIRE.

Mes sens sont encore étonnés.

MARTON, lui présentant un flacon.

175   Respirez cette eau, je vous prie.

ELVIRE.

Donne... Je suis anéantie !

MARTON.

Essayez de marcher.

ELVIRE.

Hélas !

C'est à périr !... On n'y tient pas !

MARTON.

AIR : Quoi vous partez, etc.

S'il paraissait ne faites point d'avance.

ELVIRE, se levant brusquement.

180   Fi, donc Marton, l'affront serait sanglant :

Il doit venir, compte qu'avec décence

Je saurai soutenir son changement ;

Il sait déjà qu'à Lindor mon coeur pense.

MARTON, à part.

Ah ! Qu'une veuve entend l'arrangement !

SCENE III.
Le Chevalier, Elvire, Marton.

LE CHEVALIER, chante dès le fonds du Théatre.

185   Que ce beau jour promet d'heureux instants.

Qu'avec plaisir sur ces bords on s'arrête !

ELVIRE.

AIR : Du cotillon couleur de rose.

Ah ! Chevalier, arrivez donc,

Vous vous faites toujours attendre.

LE CHEVALIER.

Vous me grondez hors de saison.

190   De grâce avant daignez m'entendre.

Mais mais, comment

Quel air galant !

Sans balancer, Lindor doit se rendre

Cet air vainqueur

195   Va dans son coeur.

ELVIRE.

Vous me trouvez donc bien ,

LE CHEVALIER.

D'honneur ?

AIR : Ah ! c'est une merveille.

Oui, d'honneur, je serais trompé,

Si de vous il n'était frappé ;

Tenez, votre rouge est coupé !

200   Ah, c'est une merveille !

C'est aux feux.

De vos yeux

Qu'amour se réveille.

AIR : Comme vla qu'est fait.

ELVIRE.

Vous raillez...

LE CHEVALIER.

Non, sur ma parole,

205   Cette coiffure est au parfait,

Et ce brillant de girandole  [ 1 Girandole : Groupe de pierres précieuses que les dames portent aux oreilles. [L]]

Produit un merveilleux effet,

Ces noeuds sont d'un goût adorable,

Que cet ajustement me plaît !

ELVIRE.

210   Mon chignon est mal ?

LE CHEVALIER.

  Admirable.

Cet habit vous va tout-à-fait,

C'est fort bien fait !

Mais très bien fait !

Il la regarde du haut en bas.

ELVIRE.

AIR : Le Seigneur Turc a raison.

Le compliment est joli !

MARTON, à part.

215   Ou plutôt risible.

ELVIRE.

Vous joignez au ton poli

Une finesse indicible.

LE CHEVALIER.

Oh, je vous en doit l'éclat !

ELVIRE.

Votre goût est délicat...

220   Délicat... au possible.

LE CHEVALIER.

AIR : Paris est au Roi, mon coeur est à moi.

Ce que vous pensez

Me ressemble assez

Je me pique surtout

D'avoir quelque goût,

225   J'occupe un brodeur ....

Moi, c'est ma fureur.

MARTON, le montrant.

À part.

C'est quelqu'original

Du palais Royal.

LE CHEVALIER.

Ces dentelles.

ELVIRE.

230   Sont fort belles.

LE CHEVALIER.

Examinez-en les points....

Ma berline  [ 2 Berline : Carrosse suspendu et fermé, à deux fonds et à quatre roues. [L]]

Est divine.

ELVIRE.

On sait qu'en tout point

235   Vous n'épargnez point.

LE CHEVALIER.

Ce que vous pensez,

Me ressemble assez

Je me pique surtout

D'avoir quelque goût.

240   C'est qu'il faut être mis

Car ma foi les commis

Ont laissé le drap à la Province.

Le plus mince

Joue au Prince;

245   On prête à l'erreur.

ELVIRE.

Ah ! C'est une horreur !

LE CHEVALIER.

Ce que vous pensez

Me ressemble assez

Je me pique surtout

250   D'avoir quelque goût.

ELVIRE.

AIR : Le joli jeu d'amour.

À parler franchement,

On doit être charmant,

Lorsque l'on est l'amant

De Clitie.

LE CHEVALIER.

255   Ah, c'est un bijoux,

Ma foi sans elle, entre nous,

J'aurai d'être à vous

Grande envie.

ELVIRE, piquée.

Après un tel aveu,

260   En vérité j'ai lieu

D'être fidèle au noeud

Qui nous lie.

LE CHEVALIER.

AIR : Est-ce que ça se demande.

Accusez la fatalité.

ELVIRE.

Bien peu je m'en chagrine.

LE CHEVALIER.

265   Malgré ma bonne volonté

Ma tendresse décline.

Je vous respecte avec raison.

ELVIRE.

La faveur est fort grande !

Clitie est donc sensible.

LE CHEVALIER.

Bon !

270   Est-ce que cela se demande.

SCÈNE IV.
ELVIRE, LE CHEVALIER, CLITIE MARTON.

ELVIRE.

AIR : Le demon malicieux et fin.

À part.

Le perfide !...

[Haut.]

Ah, ma nièce approchez,

C'est le Chevalier que vous cherchez ?

CLITIE.

Moi, Madame !

ELVIRE.

Au moins je le soupçonne.

LE CHEVALIER.

Elle rougit....

ELVIRE.

Allons, rassurez-vous,

275   La démarche est simple, on la pardonne ;

Pour un motif si flatteur et si doux.

CLITIE.

AIR : Bouchez Naïades vos fontaines.

Que veut dire ce badinage !

ELVIRE.

Sans m'en demander davantage,

Expliquez-vous avec Monsieur.

Au Chevalier.

280   Lindor chez moi pourrait se rendre,

Et s'il veut mériter mon coeur,

Vous n'aurez plus droit d'y prétendre.

SCÈNE V.
Clitie, Le Chevalier.

LE CHEVALIER.

AIR : Attendez-moi sous l'orme.

Elle a beau s'en défendre,

Je la tiens toujours-là.

CLITIE.

285   Monsieur, daignez m'apprendre

Le noeud de tout cela ?

LE CHEVALIER.

J'aime trop le mystère.

CLITIE.

Ah, de grâce, parlez !

LE CHEVALIER.

On peut fort bien se taire,

290   Quand vous dissimulez.

CLITIE.

AIR : Mariez-moi.

J'ignore....

LE CHEVALIER.

Oh, vous ignorez ?

Pourquoi jouer l'ignorance ?

On sait que vous espérez...

CLITIE, le quittant.

Éviter votre présence ....

LE CHEVALIER, l'arrêtant.

295   Écoutez, écoutez, écoutez donc :

M'échapper ! Quelle apparence !

Écoutez, écoutez, écoutez donc :

Mais, voilà le mauvais ton.

AIR : Dans le fond d'une écurie.

Est-ce ainsi que l'on en use;

300   Rien n'est plus inconséquent.

Aurais-je un air excédent ?

CLITIE, à part.

Il faut que je m'en amuse.

Haut.

Monsieur pardonnez un peu.

LE CHEVALIER.

Ah ! Sans peine on vous excuse ;

305   Quand la pudeur entre en jeu,

Elle orne bien un aveu.

CLITIE.

AIR : A quoi s'occupe Madelon.

MonSieur je ne mérite pas.

LE CHEVALIER.

Sa modestie est à peindre !

CLITIE.

Et d'ailleurs j'ai si peu d'appas !

LE CHEVALIER.

310   J'aime à voir son embarras.

AIR : Par ma foi Monsieur le Curé.

Dites-moi pourquoi vous tremblez?

Rougir est une misère.

CLITIE.

Moi ! Point du tout.

LE CHEVALIER.

Tenez, vous vous troublez.

À part.

315   Ah qu'il sait bien me déplaire !

AIR : Raisonnez. ma musette.

Haut.

Ayez moins d'assurance,

Car ma gloire s'offense

De cet air triomphant ....

LE CHEVALIER.

Oh, vous faites l'enfant.

Air Ca n'vous va brin.

320   Pour une fille presque faite,

Vous donnez encor dans le faux :

Je veux pour vous rendre parfaite

Corriger ces légers défauts.

Un feu d'une certaine espèce,

325   En votre faveur m'intéresse,

Sans cela votre air bien ou mal

Me serait égal....

Il prend du tabac.

Mais fort égal.

CLITIE.

AIR : Que chacun de nous se livre.

Je suis ce que je dois être,

330   Vous ne serez rien de moi.

LE CHEVALIER.

Ah, l'amour est un grand maître ;

Vous le suivez, je le vois.

CLITIE, ironiquement.

Mon coeur facile à connaître,

Peut-être est fort amoureux.

LE CHEVALIER.

335   Oh, j'aime beaucoup peut-être,

Et peut-être est merveilleux.

AIR : L'occasion fait le larron.

Vous soupirez ....

CLITIE.

Vous faites l'agréable :

Mais vous n'en êtes pas mieux écouté :

Près d'un galant qui se croit trop aimable,

340   Notre coeur est en sûreté.

LE CHEVALIER.

AIR : Ma chère mère que je révère.

Ah ma petite,

Le tien palpite,

Et dans tes yeux

L'amour s'annonce au mieux.

CLITIE.

345   Cela me pique !

LE CHEVALIER.

Elle est unique,

Ah, point d'aigreur;

Auriez-vous de l'humeur ?

Cet air méchant

350   Qui succède,

Cède

Au doux penchant

D'un regard louchant.

MENUET D'EXAUDET, ou bien Point de bruit, ce réduit solitaire.

Vous boudez,

355   Vous gardez

Le silence ;

Mais loin d'en être accablé,

Parbleu je suis comblé

De votre résistance.

360   À vous voir,

Le devoir

Vous occupe.

De ce manège usité,

Je n'ai jamais été

365   La dupe.

Cependant cet air bizarre,

À parler net, vous dépare.

Vos attraits

Sont moins vrais.

370   Ah de grâce

Abandonnez ce ton là.

En vérité cela

Me passe !

Entre nous,

375   C'est pour vous

Qu'on vous gronde !

Car vous avez un maintien

Qui ne ressemble à rien

Ce n'est pas là le monde.

380   Ayez donc

Du bon ton,

Quelqu'ébauche.

Je suis trop franc .... pardonnez ;

Mais ma foi vous donnez  [ 3 Donner à gauche : se tromper, et aussi se mal conduire. [L]]

385   À gauche.

CLITIE.

AIR : Vous qui feigniez d'aimer.

Vos airs, votre leçon,

Vos petits mots, votre faste,

De la saine raison

Forment bien le contraste.

390   L'esprit a peu de part

À cette bigarrure,  [ 4 Bigarrure : Bigarrure de style, mélange de styles disparates. [L]]

Plaire est un grand hasard,

Lorsque l'Art

Choque la nature.

LE CHEVALIER.

AIR : Comme un coucou.

395   Je vous trouve délicieuse !

Ma foi vive les arguments :

Savez-vous qu'on est précieuse

Avec de tels raisonnements.

AIR : Tout roule aujourd'hui dans le monde.

Mais comme vous êtes bien née,

400   Si vous voulez vous appliquer,

Je veux après notre hyménée

Ma chère enfant, vous éduquer.

L'hymen de Lindor et d'Elvire

Va se terminer en ce jour.

CLITIE.

405   Ô juste ciel ! ...

LE CHEVALIER.

Je vais l'instruire

Du plein succès de mon amour.

CLITIE.

AIR : Plus inconstant que l'onde et leur nuage.

Que dites-vous.

LE CHEVALIER.

Vous mordez à la grappe.

410   L'amant vous frappe

Par le nom d'époux.

Déjà votre joie éclate,

J'aime à voir ce sentiment !

Cela me flatte

415   Infiniment !

Je m'en étais douté,

Moi, tout mon art est de séduire,

On peut le dire

Sans fatuité.

Il sort en fredonnant un air du nouvel Opéra.

SCÈNE VI.
Clitie, Marton, dans le fond du théâtre.

CLITIE.

AIR : Paresseuse Aurore.

420   Que viens-je d'apprendre !

Quel revers pour un coeur tendre.

Hélas devais-je m'attendre

À ce contretemps affreux !

Trompeuse apparence,

425   Frivole espérance,

Vous m'annonciez les jours les plus heureux.

Dieux, Dieux !

Quel outrage ;

Quel partage !

430   On m'engage.

Au gré d'un vain éclat,

Au plus grand fat !

Que viens-je d'apprendre.

Ai-je pu l'entendre !

435   Quoi donc,Elvire va prendre

Celui que j'adore, hélas :

Hymen étrange !

Fatal échange !

Non, non, je ne le crois pas ;

440   Lindor ma rassure,

Il n'est point parjure,

La plus constante ardeur

Règne en son coeur.

Oui, oui, l'on m'abuse,

445   Et la ruse

Dont on use,

Fait que j'aime plus encore

Mon cher Lindor.

SCÈNE VII.
Clitie, Marton.

MARTON, en la surprenant.

Vous avez raison, Clitie,

450   Il est bon sur ce ton là.

CLITIE, étonnée.

Te voilà ?

MARTON.

AIR : Nous venons de Barcelonette.

Diantre ! Comme le coeur s'en donne,

Quand l'amour le fait soupirer

Il pense, il projette, il raisonne,

455   Et finit par délibérer.

CLITIE.

Air De la Confession.

Puisque tu sais tout, que dois je faire ?

Réponds-moi, ma chère !

Au plus noir soupçon

Ai-je raison

460   De me soustraire :

Ou dois-je bannir

Mon amant de mon souvenir ?

MARTON.

AIR : Margot sur la brune.

Votre chère tante.

CLITIE.

Hé bien ?

MARTON.

Beaucoup le tente.

465   Votre chère tante

Veut usurper vos droits.

CLITIE.

Ô Ciel je tremble !

MARTON.

Ils sont ensemble !

Cela ressemble...

CLITIE.

470   Hélas tu vois

Comme tout m'accable à la fois.

SCÈNE VIII.
Elvire, Lindor, Clitie, Marton.

MARTON.

AIR : Ce qui me chagrine, hélas ! c'est que Claudine.

Elvire s'avance.

Paix....

ELVIRE, à Lindor.

Oui, Monsieur, je pense

Qu'un homme désoeuvré

475   Aux ennuis est livré.

Votre coeur timide,

Que le respect guide,

Peut sans me manquer,

Franchement s'expliquer;

480   J'excuserai même...

LINDOR.

Le Chevalier vous aime,

J'ai peu mérité

Cet excès de bonté.

ELVIRE.

AIR : Quel mystère.

Le scrupule,

485   Lindor, dans un homme élégant,

Est ridicule.

Le scrupule

À la fin devient fatigant.

L'adroit amant

490   Sait d'un heureux moment

Apercevoir le crépuscule.

Une femme....décemment.

Se prête à l'événement.

Le scrupule, etc.

495   Pour un mot qu'on vous dit

Vous voilà tout interdit.

Parlez en liberté...

Mais quel air déconcerté !

Je vous trouve excellent !

500   Le trait est galant !

Enfin j'ai Lindor

Tort.

Je conçois le scrupule,

Pour plus d'une montrant du goût,

505   Votre coeur brûle,

Il circule,

On ne peut pas parer à tout.

LINDOR.

AIR : L'autre jour étant assis.

Le détour ne me sied pas,

Oui, je l'avouerai, Madame,

510   Que malgré tous vos appas

Une autre règne en mon âme.

ELVIRE.

Le propos est flatteur.

LINDOR.

L'amour me justifie.

ELVIRE.

Quel est votre vainqueur ?

LINDOR.

515   Interrogez Clitie.

ELVIRE, avec emportement.

AIR : De la Colombe.

À sa nièce.

J'ai deux amants, vous me les enlevés.

Quel attentat ! Ah j'en suis furieuse !

J'ai deux amants, vous me les enlevez.

CLITIE.

AIR : On n'entend plus dessous l'ormeau.

De ce courroux injurieux

520   Connaissez l'injustice ;

Le Chevalier m'est odieux

Je hais son artifice.

Oui, mon coeur se décide aujourd'hui,

C'est pour Lindor qu'il prononce,

525   Je renonce

À tout autre qu'à lui.

MARTON.

AIR : Je n'en veux pas davantage.

Vous avez l'âme si belle,

Faites, Madame un effort.

ELVIRE.

Ciel l'agréable nouvelle !

À Clitie.

530   Quoi vous n'aimez que Lindor !

CLITIE.

Pour le fat qui vous outrage

J'ai la plus grande aversion.

ELVIRE.

Et non, non, non,

Je n'en veux pas davantage.

AIR : Printemps dans nos bocages.

535   Ma nièce, ma chère nièce,

Vous me tranquillisez.

Vos voeux, votre tendresse

Seront favorisés.

AIR : Ici je fonde une Abbaye.

LINDOR, CLITIE.

Vous nous comblez....

ELVIRE.

540   Je vous dispense

De transports dont j'ai peu besoin,

Votre bonheur et ma vengeance

Vous tiennent quittes de ce soin.

AIR : Du Prevôt des Marchands.

Ah ! ah ! Mon petit Chevalier !

545   Clitie ? il faut l'humilier.

CLITIE.

Volontiers.

ELVIRE.

Et comme il se pique

D'avoir subjugué votre coeur,

Par une tendresse ironique

550   Prolongez encor son erreur.

AIR : Sur le pont d'Avignon.

Je vais vous l'envoyer, contentez mon envie.

CLITIE.

Mon intérêts m'y porte, et vous serez servie.

SCÈNE IX.
Lindor, Clitie, Marton.

LINDOR.

AIR : Quand on sait aimer et plaire.

Pour nos veux quel doux présage !

Soupirons en sûreté.

CLITIE.

555   Le prix d'un tendre esclavage

Est d'aimer en liberté.

LINDOR.

MENUET. Air. Meurs, cruelle infidèle.

Ah ! Clitie

Que la vie

Quand on peut vous plaire

560   Devient chère

Hélas je préfère

Ce regard charmant

à tout l'éclat brillant

Du plus haut rang :

565   Oui sans cesse

Il me blesse ;

L'amour tient ses armes

De vos charmes;

Sans crainte en ce jour

570   Vous le fixez par le retour ;

Son pouvoir

Triomphe et sait prévoir

Tous les dangers d'un apparent naufrage ;

Sa douceur calme bientôt l'orage,

575   Son flambeau dissipe le nuage

Il conduit les pas

Des amants vrais et délicats.

Ah Clitie, et c.

CLITIE.

Second MENUET.

Oui pour jamais la crainte expire,

580   En notre faveur tout conspire

De l'amour suivons l'empire,

Livrons-nous aux tendres feux

Qu'il nous inspire.

C'est pour aimer que l'on respire.

585   Un coeur jouit dès qu'il soupire.

C'est par ses noeuds

Qu'il aspire

Au destin plus heureux.

Ce Dieu, sur un amant trompeur

590   Exerce avec fureur

Sa rigueur

C'est aux perfides qu'il sait nuire,

C'est pour eux qu'est fait son martyre,

Un trait vengeur

595   Les déchire.

Ils forment des voeux sans pouvoir dire

Oui, pour jamais la crainte expire, etc.

MARTON, les regardant.

AIR : De l'anonyme.

Par ma foi l'eau me vient à la bouche,

Tant l'exemple a sur moi de pouvoir.

600   À présent si quelque amant me touche

Je saurai couronner son espoir ;

Il sied fort mal d'être farouche,

Quand on n'a qu'un temPs pour se pourvoir.

Par ma foi l'eau me vient à la bouche,

605   Tant l'exemple a sur moi de pouvoir !

CLITIE.

AIR : Je serai mon devoir.

Mais voici notre suffisant,

Il se croit ravissant,

Exécutons notre projet.

LINDOR.

Qu'il a l'air satisfait ?

SCÈNE X.
Clitie, Le Chevalier, Lindor, Marton.

LE CHEVALIER.

AIR : De la Troteuse, Contredanse.

610   Quand on est Sûr de plaire,

Ma foi voltiger est amusant ?

À Clitie.

N'est-il pas vrai, ma chère,

Que l'amour est plaisant ?

CLITIE.

Oui, Monsieur et j'espère

615   De l'hymen allumer le flambeau,

Puisque l'amour m'éclaire

Sur un choix aussi beau.

LE CHEVALIER.

Vous vouliez me le taire,

Et cela me paraissait nouveau.

MARTON.

620   Mais l'amour nous éclaire

Sur un choix aussi beau.

LE CHEVALIER.

AIR : Hé comment pourrait-on soupirer tristement.

En honneur, vous me faites plaisir ;

Voilà parler à ravir,

À mon gré,

625   Votre air est un peu plus maniéré.

Quand je donne

Certains conseils aux gens...

Tenez, Lindor s'étonne

De vos progrès frappants...

À Lindor.

630   Sais-tu que la friponne

A de belles dents !

MARTON.

AIR : L'amour sait plus d'un tour.

Ah ! Que Monsieur est honnête !

CLITIE.

Que j'aime cet encens !

MARTON.

Il ferait ma conquête,

635   Si j'en croyais mes sens ;

Mais ma pudeur surmonte

Un téméraire amour.

LE CHEVALIER.

Comment ! Marton, je crois, m'en conte ?

MARTON.

Non ce n'est pas mon tour,

640   Non ce n'est pas mon tour.

LINDOR, ironiquement.

AIR : Quand le péril est agréable.

Qui peur résister à tes charmes !

Chevalier, ton air est divin ;

Mais toi-même à Clitie enfin

Tu va rendre les armes.

LE CHEVALIER.

AIR : De l'amour tout subit les lois.

645   Un Minois

Peut bien quelquefois

Nous toucher,

Sans nous attacher ;

Un éclair

650   Est assez l'image

Des feux d'un homme de bel air ;

On le craint,

Et même on se plaint

D'un tourment

655   Qu'il cause aisément.

LINDOR.

Volontiers,

Ton humeur volage

S'endort sur ses lauriers.

LE CHEVALIER.

Oh ! parbleu, s'il fallait aimer

660   Toutes celles qu'on sait charmer,

Le rôle serait assommant ;

J'y renoncerais assurément ;

Car enfin,

Moi, si j'étais vain,

665   Je pourrais,

Tant que je voudrais,

Me flatter

Que plus de cent femmes

Respirent pour me regretter ;

670   Elles sont

Du bruit, elles ont

Beau crier

Sans cesse prier

Soins perdus !

675   Je ris de leur flammes ;

À Clitie.

Mes soupirs vous sont dus.

CLITIE, ironiquement.

AIR : Le seul flageolet de Colin.

Je touche donc à cet instant.

Que si fort je désire.

LE CHEVALIER.

Croyez-vous qu'au sort qui m'attend

680   Je puisse bien suffire?

CLITIE.

Oh, vous êtes très suffisant !

On ne peut trop vous le dire.

LE CHEVALIER, à Lindor.

AIR : Que j'estime mon cher voisin.

Hé bien, comment gouvernes-tu

La respectable Elvire ?

LINDOR.

685   Tu vois à mon air abattu,

Qu'en vain mon coeur soupire.

CLITIE.

AIR : Ah le bel oiseau, Maman.

Ah, Monsieur le Chevalier,

Vous, que l'on prend pour modèle.

LINDOR.

Dont le talent singulier

690   Est de vaincre chaque belle.

CLITIE.

Apprenez donc à Lindor

À fléchir une cruelle.

MARTON.

Enseignez donc à Lindor,

L'art de plaire sans effort.

LE CHEVALIER.

AIR : Des Insulaires.

695   Je le veux de toute mon âme,

Écoute donc et retiens bien :

Le piège où l'on prend une femme,

Est pour nous autres moins que rien.

Un air leste, un propos libre,

700   Moitié hardi, moitié saillant,

Le plus souvent

Tout en riant,

Piquer l'esprit en le contrariant...

La raison perd bientôt l'équilibre,

705   Quand on l'attaque avec tant de brillant !

LINDOR.

AIR : De Catinat.

Le beau sexe par moi fut toujours respecté.

LE CHEVALIER.

Ah ! Défais-toi, mon cher, de cette qualité ;

Tiens, la soumission qu'on a pour son vainqueur.

Nourrit sa vanité, sans émouvoir son coeur.

AIR : Non je ne serai pas.

710   Plus le sexe a de droit, et plus il en abuse ;

Qui l'encense est esclave, est aimé qui l'amuse.

CLITIE.

Ainsi, Monsieur Lindor, avant de m'enflammer,

Profitez ; à ce prix on pourra vous aimer.

AIR : Tu croyais en aimant Colette.

Votre maladresse est extrême,

715   Vous porteriez trop mal vos fers.

LE CHEVALIER.

Quoi ! Le pauvre diable vous aime.

CLITIE.

Vraiment il s'en donne les airs.

LE CHEVALIER, s'extasiant.

AIR : Un Cordelier d'une riche encolure.

Il sait nos voeux, et d'en former il ose !

Oh ! La bonne chose !

À Lindor.

720   Tiens, je t'avertis

Que tu me divertis.

À Clitie.

Le parallèle est, je vous le déclare,

D'un singulier rare.

Il l'embrasse.

Baise moi Lindor,

725   Car le trait vaut de l'or.

SCÈNE XI.
Clitie, Elvire, Le Chevalier, Lindor, Marton.

LE CHEVALIER.

AIR : Des Billets doux.

Ah, vous arrivez à propos,

Elvire, adieu votre repos.

ELVIRE.

Pourquoi donc, je vous prie !

LE CHEVALIER.

Lindor vous quitte avec éclat.

Il rit.

730   Et même le petit ingrat

Va m'enlever Clitie.

ELVIRE.

AIR : Des étonnements.

Que prévenu pour de jeunes appas,

Lindor néglige mon empire,

Et vole à l'objet qui l'attire,

735   Cela ne me surprend pas:

Mais qu'un galant que le myrte couronne,

Persuasif, flatteur, charmant,

Par crainte ou par ménagement,

Cède ces droits à quelque amant,

740   Voilà ce qui m'étonne.

LE CHEVALIER, riant.

AIR : Vous voulez me faire chanter.

À Clitie et à Lindor.

Elle donne dans le panneau.

CLITIE, LINDOR.

L'aventure est comique.

LE CHEVALIER.

À Elvire.

Nous sommes au même niveau ;

Mais rien n'est plus physique[.]

ELVIRE.

745   Ainsi sur vous je compte fort.

LE CHEVALIER.

Je n'ai pas l'avantage,

De savoir réparer le tort

De deux ans de veuvage.

ELVIRE.

AIR : Du Menuet des Francs-Maçons.

Je préfère à votre tendresse

750   Cet heureux refus.

LE CHEVALIER, raillant.>

De ce trait de délicatesse

Je reste confus.

À Lindor.

Toi, tu crois que la bonne Dame

Va cesser de m'aimer ; erreur.

755   À travers de sa grandeur d'âme,

Je vois le faible de son coeur.

AIR : Que je regrette mon amant.

Morbleu, voilà comme on s'y prend,

Tu vois que cela n'est point fade.

LINDOR.

J'agissais tout différemment.

LE CHEVALIER.

760   Mon ami, rien n'est plus maussade.

MARTON, à Lindor.

Oui, soyez, Monsieur,

Beau diseur,

Grand menteur,

Cajoleur,

765   Persifleur,

Mauvais railleur,

Et vous serez notre vainqueur.

CLITIE.

AIR : Babin que t'es gentille.

Lindor, vous entendez

Cet avis salutaire.

770   En vain vous prétendez

En aimant pouvoir plaire.

Une vive ardeur

Va souvent au coeur.

Mais l'art fait plus encore,

775   Acquerrez ce joli talent.

LINDOR, contrefaisant le fat.

Oui, mon cher coeur.

LE CHEVALIER.

Bravo !

LINDOR.

Vraiment,

Je serai même impertinent.

CLITIE, donnant sa main à Lindor qui la baise.

Hé bien ! Je vous adore,

Hé bien ! Je vous adore.

LE CHEVALIER, interdit.

AIR : Quand on parle de Lucifer.

780   Ma foi celui-là n'est pas mal...

Mais quelle plaisanterie !

MARTON, montrant Lindor.

Oui, Monsieur est votre rival.

ELVIRE.

Rival aimé de Clitie.

MARTON.

Jugez du pouvoir de l'original,

785   Puisqu'on se rend à la copie.

AIR : De nécessité nécessitante.

N'est pas maladroit qui vous attrape.

LE CHEVALIER.

À part.

Voilà la première qui m'échappe.

ELVIRE.

Chevalier la rencontre est piquante.

LE CHEVALIER.

À part.

Si je perds la nièce, ayons la tante.

AIR : C'est au désir que je l'attends.

790   J'y réussirai sans effort.

Haut.

Pour me piquer de jalousie,

On feint de préférer Lindor

Et par cette adresse infinie,

Qui, je l'avouerai, me plaît fort,

795   Je vous jure qu'elle est ma foi,

Folle de moi,

bis.

Oui, Clitie est folle de moi.

CLITIE, à Lindor.

AIR : Du Prévôt des marchands.

Ah, qu'il perd bien son étalage !

ELVIRE.

Si vous avez cet avantage,

800   Monsieur, que ne l'épousez-vous ?

LE CHEVALIER.

On voudrait bien que je le fisse ;

À Elvire.

Mais, Madame, il m'est bien plus doux

De vous en faire un sacrifice.

ELVIRE.

AIR : Que j'aime mon cher Arlequin.

C'est agir trop modestement,

TOUS.

805   Ah, qu'il est drôle !

ELVIRE.

Mille vous aiment tendrement ;

Mais pour grossir un tel roman,

Je ne suis pas si folle.

LE CHEVALIER.

Votre fierté gratuitement

810   Donne dans l'hyperbole.

ELVIRE.

AIR : Un mouvement de curiosité.

Il n'est plus temps de songer à me plaire

Oui, Chevalier, votre règne est passé ;

Et ma raison, grâce à votre caractère,

Sait dédaigner un sacrifice forcé.

LE CHEVALIER.

815   Quand le dépit s'arme d'un commentaire,

On fait bien voir que le coeur est blessé.

AIR : De la Fanfare de Saint-Cloud.

Ceci fort peu m'embarrasse,

Et même j'en suis charmé ;

L'amour propre qui menace

820   Par l'amour est désarmé :

Avant que le jour se passe

Vous voudrez combler mes voeux,

Lorsque je quitte une place,

Je la reprends quand je veux.

AIR : Nous sommes précepteurs d'amour.

À part.

825   Je suis pourtant pétrifié.

ELVIRE.

Votre orgueil guérit ma faiblesse.

CLITIE.

Ah qu'il a l'air humilié ?

LE CHEVALIER, tirant sa montre.

Un autre m'attend, je vous laisse.

AIR : Pour la Baronre.

Oui je vous laisse,

830   Je pars.

ELVIRE.

  Allez, Monsieur, allez,

Et de m'oublier je vous presse.

LE CHEVALIER, revenant.

Je crois que vous me rappelez.

ELVIRE.

Non.

LE CHEVALIER.

Je vous laisse.

Il sort en chantant.

Témoins de ma gloire, aimables oiseaux.

SCÈNE DERNIERE.
Elvire, Clitie, Lindor, Marton.

MARTON.

AIR : Du Vaudeville d'Epicure.

835   S'Il chante, il n'en a pas envie.

LINDOR et CLITIE.

Vous avez bien su le punir.

ELVIRE.

Dès ce jour, ma chère Clitie,

J'aurai le soin de vous unir.

Si son départ un peu m'afflige,

840   J'y gagne, car je me souviens

Qu'un petit malheur qui corrige,

Est le plus grand de tous les biens.

 



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Notes

[1] Girandole : Groupe de pierres précieuses que les dames portent aux oreilles. [L]

[2] Berline : Carrosse suspendu et fermé, à deux fonds et à quatre roues. [L]

[3] Donner à gauche : se tromper, et aussi se mal conduire. [L]

[4] Bigarrure : Bigarrure de style, mélange de styles disparates. [L]

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