UNE FACTION DE NUIT

ESQUISSE, MÊLÉE DE COMPLETS

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 30 avril 1842.

1842

PAR M. SIRAUDIN

PARIS, LIBRAIRIE NOUVELLE BOULEVARD DES ITALIENS, 15 A. BOURDILLIAT ET cie, ÉDITEURS.

IMPRIMERIE DE LA LIBRAIRIE NOUVELLE. - Imp. A. BORUDILLAT, 15 rue Breda.


Texte établi par Paul FIÈVRE, juin 2024

Publié par Paul FIEVRE, juillet 2024

© Théâtre classique - Version du texte du 30/08/2024 à 07:21:00.


DISTRIBUTION.

BLAIREAU M RAVEL.

UN JEUNE HOMME.

UNE JEUNE FILLE.

UN CHARCUTIER.

SA FEMME.

UN VIEILLARD.

PREMIER CAPORAL (garde nationale.)

DEUXIÈME CAPORAL.

VOLTIGEURS.


UNE FACTION DE NUIT.

Le théâtre représente une place publique. Au fond, une maison , avec une large fenêtre ouvrant sur un balcon en saillie. À droite, autre maison, avec fenêtre, sans balcon. À gauche, au premier plan, une guérite, près de laquelle se trouve une balai de crin. Le théâtre est éclairé à demi par une lanterne.

SCÈNE I.

Au lever du rideau, un garde national est en faction devant la guérite et porte la capote grise par dessus son uniforme. Le factionnaire consulte sa montre avec impatience. Minuit sonne. On entend l'ai delaRetraite,exécuté en sourdine. Un CAPORAL entre par la gauche, suivi de BLAIREAU, en bizet, et d'un autre garde national. Blaireau se place à côté du factionnaire, en grelottant.

LE CAPORAL.

Portez armes ! Présentez armes !... La consigne.

Le factionnaire parle bas à Blaireau.

Le mot de ralliement.

Même jeu.

Portez armes ! Armes bras !... En avant,  arche !

Le caporal et les gardes s'éloignent.

BLAIREAU, criant.

Eh ! Camarade !... Eh ! Dites donc, Monsieur Baluchon !... Vous emportez la capote !... La capote revient au factionnaire... Ôtez-vous de là, que je m'y mette.

Le premier factionnaire revient sur ses pas et lui rend sa capote en grelottant à son tour.

LE CAPORAL.

En avant,  arche !

Ils sortent.

SCÈNE II.

BLAIREAU, seul, endossant la capote.

Il est charmant, le père Baluchon !... Il croit que je vais me livrer, sans capote, à la faction de minuit a deux heures !... La faction la plus grelottante et la plus morfondante... du moins à Sainte-Menehould, ma patrie... ville célèbre par sa charcuterie, et qui renferme une population de... dix mille pieds... ou, si vous voulez, cinq mille âmes... en admettant deux pieds pour une âme, ce qui est le compte ordinaire... car je laisse de côté les jambes de bois... Et dire que c'est moi qui, en ma qualité de chirurgien pédicure, soigne tous les pieds de Sainte-Menehould... à raison de deux francs par tête... ou cinquante centimes par cor... au choix des consommateurs...

Avec satisfaction.

Pédicure !.. C'est pourtant à cette spécialité chirurgicale que je dois la connaissance de Blanche, ma fiancée, et de Monsieur Batignol, mon futur beau-père... à qui j'ai eu le bonheur d'arracher un oeil... de perdrix !.. Et qui m'a offert la main de sa fille en récompense de celle extirpation...

Se tournant vers la fenêtre à droite.

Ô Blanche ! Tu es là, derrière ces rideaux... ponceaux... tu rêves de Blaireau...

Se désignant.

Blaireau, c'est ceci...

Continuant.

Quelle bonne idée j'ai eue ce matin de me faufiler dans les rangs de la garde nationale, dont je ne suis pas encore susceptible, vue prise de ma minorité !... J'ai emprunté le billet de garde d'un ami, qui me l'a cédé avec reconnaissance... car j'avais mes raisons pour factionner sous la fenêtre de ta chambre, ô Blanche, pour passer une nuit, également blanche, à veiller sur toi... Oh ! Si elle pouvait m'entendre !... Justement, son père est sourd comme une lanterne...

Appelant, à mi-voix.

Blanche !.... Blanchette !... Rien... Elle dort... Ah ! Que n'ai je un luth ou un sistre !... Je lui chanterais un lai... un petit lai... à l instar de nos vieux trouvères... mais je n'ai pour tout instrument qu'une clarinette de cinq pieds...

Il montre son fusil.

dont j'ignore le doigté... Il faut donc lui chanter sans accompagnement....

AIR de Monsieur Eugène Déjazet.

Ô ma fiancée ! ô Blanche!

Je suis Heureux, le dimanche,

Comme l'oiseau sur la branche,

Lorsque nous mêlons, aux champs,

5   Nos chants.

     

Tu dois m'aimer aussi, sois franche :

Car, tandis que mon coeur s'épanche,

Sur mou bras ton beau corps se penche,

Aussi souple que les roseaux

10   Des eaux.

     

Vierge ! De ta robe blanche,

Qui se drape sur ta hanche.

Que j'aime froisser la manche

Sur ma manche en drap d 'Elbeuf,

15   Tout neuf !

     

D'avance, du mari je tranche...

Tu te défends... mais, ô revanche!

L'hymen donnera carte blanche

A ton amant si tendre et si

20   Transi.

     

Ce bonheur, qu'on me retranche,

Sera mon pain sur la planche ;

Ma soif d'amour, que j'étanche,

Changera mon coeur presqu'en

25   Volcan !

     

Ô ma fiancée ! ô Blanche!

Je suis Heureux, le dimanche,

Comme l'oiseau sur la branche,

Lorsque nous mêlons, aux champs,

30   Nos chants.

     

Que ne peux-tu m'ouïr, ô toi... qui reposes sous celui de cette maison !... Tu ne penserais plus à cet intrigant de commis-voyageur en soierie...

À lui-même.

Le sieur Rodillard... ce jeune Antony du commerce, qui essaya l'an dernier de l'enlever à mon nez et à la barbe de son père...

À lui-même.

Je ne sais pourquoi, mais j'ai des inquiétudes au sujet de ce colporteur de gros de Naples... Hier au soir, j'ai cru le reconnaître au café, entre un grand journal et un petit verre, derrière lequel il se cachait...

Vivement.

derrière le journal !... Il serait donc de retour à Sainte-Menehould ?...

Se rassurant.

Bah.. pure vision... Et puis, d'ailleurs, pourquoi le crains-je ? Ne le vaux-je pas ?

AIR Vaudeville, le Frère de lait.

J'ai les yeux fendus en amande,

Mon teint est pur comme la fleur...

Je l'avouerai, ma bouche est assez grande,

35   Et mes cheveux ont, par malheur,

De la carotte un peu trop la couleur.

Ma joue est fraîch' comme la pomme,

J'embaume comme un oranger...

Enfin, je joins aux qualités d'un homme

40   Les agréments d'un jardin potager.

Avec fatuité.

Les regards de la beauté me l'ont dit assez souvent... Quand ce ne serait que la femme du gros charcutier qui loge en face, au numéro 15... la cousine à Rodillard...

Il indique le balcon du fond.

Une brune très pittoresque, d'une vingt-cinquaine d 'années... qui m'a fait venir une fois chez elle, sous le prétexte invraisemblable de visiter ses jolis petits pieds d'amour... et, sans son gros charcutier de mari, par la sambleu !...

En ce moment, un jeune homme arrive et semble examiner la maison à droite, comme s'il cherchait à y pénétrer.

BLAIREAU.

Hein ? Quel est ce monsieur, qui se promène entre minuit et deux heures ?...

Criant.

Au large !...

Le jeune homme s'approche, regarde Blaireau attentivement et fait un geste de surprise.

BLAIREAU.

Au large, fichtre !...

Le jeune homme fait un mouvement, comme s'il avait reconnu Blaireau et s'éloigne.

BLAIREAU.

Ah ! Mon Dieu ! Mais c'est la tournure de Rodillard !.. Et ce geste qu'il a fait comme pour dire : « C'est mon imbécile de Blaireau qui est en faction !... »

Pendant ce temps, le jeune homme a frappé doucement à la porte du numéro 15, au fond, et s'est glissé dans la maison.

BLAIREAU.

Monsieur ! Monsieur !... Eh bien ?... Où est-il donc passé ?... Monsieur !... Ah ! Ah ! Il s'est sauvé... Il venait roucouler sous les persiennes de Blanche... Il m'a reconnu, et il a eu peur... Brocanteur de pont de soie, va !...

Grelottant.

Brrrr !... J'aurais bien besoin d'une chaufferette... Ah ! Que j'aimerais mieux être devant un bon feu, assis à côté d'une jeune et jolie Sainte-Menehouldienne !... Car c'est une chose unique, je ne sais pas si c'est parce que je suis en faction, il me vient une masse de pensées d'amour.

Le jeune homme sort de la maison, accompagné d'une jeune femme, à qui. il indique Blaireau, puis il s'éloigne à gauche.

BLAIREAU.

Je me figure qu'une belle mystérieuse va venir en catimini me frapper sur l'épaule... ette... et me dire :

Prenant l'accent anglais.

« Jeune Blaireau, toi avoir charmé moi... »

Je suppose toujours une espagnole...

« Moi désire bien fort... »

La jeune femme, qui s'est approchée, lui touche l'épaule.

BLAIREAU, poussant un cri.

Ah !... Au large !... Au 1...

Se retournant.

Tiens! Tiens ! Tiens !... C'est une femme !... Serait-ce l'espagnole demandée ?

À la femme.

Donnez-vous donc la peine de...

La femme lui remet un papier.

BLAIREAU.

Un billet !...

La femme pose un doigt sur sa bouche en faisant Chut !... et fait un pas en arrière.

BLAIREAU.

Un billet... d'où ?

Même jeu de la femme, qui s'éloigne et rentre au numéro 15.

BLAIREAU, la reconnaissant.

C'est la brune ! C'est la charcut... Qu'est-ce que ça veut dire ?...

Il se met sous la lanterne et lit.

« Mon mari est absent jusqu'à demain... » Mystère et silence !... Venez vite!.. »

Avec transport.

Un rendez-vous à moi, à moi !.. Une charcutière d'un si beau port ! Qui vient me trouver la nuit, en douillette !.. J'y vole !...

II court vers la maison. S'arrêtant.

Ah ! Fichtre ! Et ma faction ?... Comment faire ?...

Se décidant.

Bah ! Tout le poste dort... On ne viendra me relever que dans une heure... Mais s'il passe du monde ?...

Avec explosion.

Oh ! Une idée !... Une ressource quinolante !.. Je vas confectionner une sentinelle !

Prenant le balai qui est près de la guérite.

En faction, toi !...

I1 le plante eu terre en chantant.

La belle nuit, la belle fête !

II ôte la capote grise, qu'il pose sur le balai.

Ah ! Quel plaisir d'être soldat !...

Il pose son bonnet à poil sur le tout.

Aux armes ! Citoyens !... Formez vos bataillons !... En lui disant, adieu ! À la grâce de Dieu !...

Il appuie le fusil sur le mannequin.

Tiens !... Ça me ressemble... Maintenant... En avant, marchons ! Contre les...

Par réminiscence.

Ah !... Et le mot de ralliement ?...

Il parle bas au mannequin, puis il entre précipitamment au n° 15, en chantant :

Amis, amis, secondez ma vaillance !...

Musique à l'orchestre. ? La jeune femme paraît au balcon et fait signe au jeune homme, qui a reparu à gauche, et qui répond, par gestes, qu'il va revenir. Pendant cette pantomime, on entend un chien aboyer, et Blaireau lui répondre à demi-voix : A bas! à bas ! à c'te niche !... Le jeune homme s'éloigne ; Blaireau parait au balcon, et se jette aux genoux de la dame.

BLAIREAU.

Ah ! Madame... Laissez-moi me jeter à vos pieds...

Elle veut le relever.

Non, j'y suis habitué... Laissez-moi vous dire...

Elle veut lui parler.

Ne m'interrompez pas... Laissez-moi vous dire que je vous aime.... Ne m'interrompez pas... que je vous aime comme un aliéné !... Comme un... Ne m'interrompez pas...

On entend jouer l'air de la Fiancée en sourdine.

Qu'est-ce que c'est que ça?.. Chut!.. écoutez...

Regardant.

La patrouille !... Je suis frit !...

La patrouille parait à droite : le chef de patrouille s'arrête, et apprête son arme, comme s'il attendait le qui-vive de la sentinelle.

BLAIREAU.

Eh bien ! Mais il s'arrête !... Il apprête arme !... Il attend le qui-vive !... Il l'attendra quelque temps, le malheureux !...

Le caporal tousse, comme pour avertir la sentinelle.

BLAIREAU.

Tousse, tousse, va...

Toute la patrouille se met à tousser.

BLAIREAU, frappé d'une idée.

Oh !...

11 met sa main devant sa bouche, de façon à diriger sa voix du côté de la sentinelle.

Qui vive ?...

LE CHEF DE PATROUILLE.

Trouille !...

BLAIREAU, même geste.

Chef de trouille, avancez au mot de ralliement !

Le chef de patrouille se détache, s'approche du mannequin et lui donne tout bas le mot de ralliement ; puis, il témoigne, par un geste, qu'il n'est pas dupe de la mystification. Il rejoint ses hommes, commande marche, et la patrouille s'éloigne.

BLAIREAU.

Enlevé !...

À part.

C'est à recommencer, comme s'il n'y avait rien de fait.

Haut.

Ah ! Madame...

La femme pousse un cri, à la vue d'un homme ivre qui entre en fredonnant, à gauche.

BLAIREAU.

Hein ?...

La femme s'élance hors du balcon, et referme la croisée.

BLAIREAU.

Quoi donc ?... Quoi donc ?... Quoi donc ?...

Il frappe aux carreaux. L'homme s'achemine vers la maison n°15.

BLAIREAU, se retournant.

Qui va là ?... Sac à papier ! C'est le mari !...

L'homme a ouvert et entre.

BLAIREAU.

C'est le charcutier !... Je suis farci !... Enjambons... vite, enjambons le balcon... Impossible !...

La chambre s'illumine tout-à-coup, et l'on voit se dessiner sur les rideaux blancs les ombres du mari et de la femme.

BLAIREAU, qui s'est blotti tout tremblant dans un angle du balcon.

Autre genre de faction !... Qu'est-ce qui va se passer dans cet intérieur ?...

Scène fantasmagorique.

Le mari, en entrant dans la chambre, dépose son chapeau, met un bonnet de coton sur sa tête, prend ensuite une bouteille, et un verre qu'il remplit et vide deux fois; puis Il boit à même la bouteille. Il trouve alors un sabre sur une chaise, et le montre, en gesticulant, à sa femme, qui vient de paraître.

BLAIREAU.

Ciel ! C'est mon sabre, que j'ai déposé en entrant !...

La femme pose la main sur son coeur, pour protester de son innocence.

BLAIREAU.

Elle proteste ! Elle proteste !

Le mari tire le sabre, et le lève sur elle.

BLAIREAU.

Il va la poignarder !... Il va lui percer le flanc !

La femme se jette à genoux, en posant sa tête sur ses mains et en sanglotant.

BLAIREAU.

Voilà qu'elle sanglote, pour l'entortiller !...

Le mari laisse tomber ses bras, le sabre lui échappe, puis il tend les bras à sa femme.

BLAIREAU.

Le charcutier caponne !

La femme se relève et se précipite sur le sein de son mari ; ils s'embrassent à plusieurs reprises.- La iumière s'éteint.

BLAIREAU.

L'affaire est arrangée... Mais, comment vais-je sortir d'ici, à présent ?... Je ne puis pas passer à travers ce ménage...

Marchant sur le balcon de long en long.

Sauter ?... Le pavé n'est pas rembourré... Si au moins il passait... un passant... en lui sautant adroitement sur les épaules... Ça lui ferait beaucoup de mal... Ça le tuerait, probablement... mais ça m'obligerait, et... Hein ?.. Qu'est-ce que je vois ?

La fenêtre de la maison à droite s'ouvre ; une jeune fille s'y montre, tandis que le jeune homme reparaît à gauche.

BLAIREAU.

C'est ma future !... Ô jalousie !... Elle lève la sienne !... Elle fait signe à quelqu'un !...

Il regarde à sa gauche.

C'est mon Rodillard !

La jeune personne disparaît.

BLAIREAU, au jeune homme.

Eh ! Monsieur !... Monsieur Rodillard !... Je vous vois, je suis là...

Le jeune homme lui fait de grandes salutations.

Je vous dis que je suis las de vos assiduités le long de cette maison... et je vous somme de passer au large !

Le jeune homme continue à le saluer. La porte de la maison à droite s'ouvre, et Blanche en sort.

BLAIREAU.

Que vois-je !... Blanche !... Ma future !... Qui sort à pareille heure !...

Criant.

La bienséance a des barrières, et vous passez la barrière, Blanche !

La jeune fille va planter un billet sur la baïonnette du factionnaire.

BLAIREAU.

Qu'est-ce qu'elle fait donc ?.. Elle empale un papier sur ma baïonnette !

La jeune fille prend le bras du jeune homme, et ils sortent en courant.

BLAIREAU.

Eh bien ! Mais, ils s'en vont, bras dessus, bras dessous !... C'est un enlèvement ! C'est un rapt !... Au voleur !... À la garde !... Aux armes !...

Dans son trouble, il frappe à la croisée en continuant de crier. Le charcutier arrive en pet-en l'air et en bonnet de coton. Il saisit Blaireau au collet.

BLAIREAU.

Oh ! le mari !...

Le charcutier le roue de coups. Dans la lutte, ils disparaissent un instant dans la chambre. On entend les coups et les cris. Le charcutier reparaît sur le balcon, tenant, par le collet et par les basques, Blaireau, qu'il lance dans la rue. Resté seul, le charcutier prend une prise de tabac, éternue et rentre tranquillement chez lui.

BLAIREAU, revenant tout éclopé et se tenant les reins. Il avance, sans rien dire, jusqu'au bord de la rampe.

Je suis tombé dessus !.. En plein !.. À la hauteur de la giberne !...   [ 1 Giberne : Anciennement, nom d'une espèce de sac, dans lequel les grenadiers portaient des grenades. Aujourd'hui (XIXème), boîte recouverte de cuir où les soldats mettent leurs cartouches. [L]]

Il montre sa giberne toute aplatie.

Je l'avais bien dit, que le pavé n'était pas rembourré... Ah ! Et cette lettre ! Que veut dire ce poulet qu'elle a embroché ?... Voyons...

Il lit.

« Monsieur, je vous déteste... » À qui écrit-elle ?... « Vous êtes laid et bête... » C'est à moi qu'elle écrit !... « La cousine de Monsieur Rodillard vous a attiré dans un piège... » Ah ! C'était un piège !... « Où votre sot amour-propre est tombé... »

Furieux.

Ce n'est pas mon amour-propre qui est tombé !...

Se tournant vers le balcon.

Affreux saucissonnier !... Tu me le paieras... Je te réserve un pied de... ta façon !...

II lit.

« Votre rival me conduit chez sa tante, où nous attendrons le consentement de mon père pour vieille marmotte !..

Criant.

Eh ! Monsieur Batignol !... On nous enlève notre fiancée !... Vite !... Dépêchons, courons après eux... Il ronfle, le vieux !... Attends... Attends...

I1 lance des pierres dans les carreaux, qu'il casse. On ouvre la fenêtre.

Ah ! Il m'a entendu.

Une main s'avance et verse une cuvette sur Blaireau.

BLAIREAU.

Bon !...

On entend crier : Gare l'eau !

BLAIREAU, indigné.

Gare l'eau!... C'est une manière de parler...

Au comble de la fureur.

Corbleu ! Ventrebleu ! Sacrebleu ! Morbleu ! Jarnibleu ! Têtebleu !.. Nom d'un petit bonhomme !... Comment ! On m'attire dans des pièges, on m'enlève ma fiancée, on me fiche par la fenêtre, et on appelle ça une faction !... Et personne n'est venu à mon secours !...

S'adressant au mannequin.

Mais, vous, Monsieur, qui me regardez là, planté comme un imbécile !...

Il lui donne des coups : le mannequin tombe.

Bon !...

On entend sonner deux heures et l'orchestre exécute l'air de la Retraite, comme plus haut.

On vient me relever... Vite, relevons le factionnaire...

Il ramasse le balai et se rajuste à la hâte.

Mon chapeau... Ma giberne... Mon sabre...

Il le cherche.

Ah ! Je sais où il est.

Le caporal entre, suivi de deux hommes, dont l'un vient se placer à côté de Blaireau.

LE CAPORAL commande.

Portez armes !... Présentez armes !.. La consigne.

BLAIREAU, avec une rage concentrée.

Ah ! Je vais vous la donner, la consigne... et avec quelques détails... « Faire passer au large toutes les charcutières et autres commis-voyageurs... Ne pas laisser enlever les jeunes filles de la maison ci-contre, et, surtout, ne souffrir sous aucun prétexte qu'on fiche le factionnaire par la fenêtre. » Voilà la consigne, la voilà !... Je remarque votre étonnement, mais ça ne m'étonne pas... Et maintenant, permettez... Je vais courir après les ravisseurs.

Il veut remettre son fusil au caporal, qui refuse de le prendre. Il le pose près de la guérite et va pour s'en aller.

LE CAPORAL, l'arrêtant.

Ah !

II lui remet un papier.

BLAIREAU.

Quoi donc... Le rapport ?...

Il lit.

« Le sieur Blaireau est condamné à six heures de violon, a pour avoir déserté sa faction. » Ah bien !..

Il va pour sortir, le caporal l'arrête et lui fait signe de continuer.

«Il est condamné encore à six autres heures, pour avoir fait une faction à laquelle il n'avait aucun droit » Ah ! Très bien !... Comment ! On me condamne pour l'avoir montée, et on me condamne pour l'avoir quittée !... Mais c'est injuste... car, enfin, si j'ai eu tort de la monter, j'ai eu raison de la quitter... et au contraire, si j'ai eu raison de la quitter, je n'avais donc pas tort de la monter... Non, je veux dire, si j'ai eu tort de la monter... Ah ! Ma foi ! Allez au diable ! Dès demain, je quitte Sainte-Menehould, et si jamais j'y remets les pieds, je veux bien être traité de...

LE CAPORAL.

 Arche !

BLAIREAU.

Je vous sais gré de m'avoir coupé le mot.

L'orchestre reprend l'air de la Retraite. Le caporal et ses hommes défilent. En passant devant le public ; Blaireau s'arrête et chante le couplet suivant.

Air de Préville et Taconnet.

Après chaqu' pièce Il est un prix flatteur

Que la salle entièr' nous décerne :

Loges, balcon...

Se reprenant.

Non !... Cett' place à mon coeur

Rappell' les maux cuisants qu'endura... ma giberne.

Désignant le parterre.

45   Mais vous, Messieurs, que j'vois à l'horizon,

Vous devez tendr' les bras à ma misère:

Car, je l' soutiens, l'homm' qui tomb' du balcon

Est, de plein droit, reçu par le parterre...

Je suis, d'plein droit, reçu par le parterre.

 



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Notes

[1] Giberne : Anciennement, nom d'une espèce de sac, dans lequel les grenadiers portaient des grenades. Aujourd'hui (XIXème), boîte recouverte de cuir où les soldats mettent leurs cartouches. [L]

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