PRINTEMPS PARISIEN

FANTAISIE EN VERS

dite par HENRY MAYER, de la Comédie-Française

Prix : 1 FRANC

1901

CHARLES SAMSON

PARIS, BARBRÉ, ÉDITEUR, 12, BOULEVARD SAINT-MARTIN, 12

IMP. F. JOURDAN, 36-38, ru de la GOUTTE-D'OR. - PARIS


Texte établi par Paul FIEVRE, juillet 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:55:21.


PERSONNAGES.

LE NARRATEUR, HENRY MAYER


PRINTEMPS PARISIEN

À ma petite amie MANETTE JOURDAN.

Qui donc a dit que les printemps

N'étaient jolis qu'à la campagne ?

Ceux de Paris sont éclatants,

Capiteux comme du Champagne.

     

5   Si tôt qu'avril est commencé,

Que les frileuses hirondelles

Dans notre ciel débarrassé

Ont risqué leurs premiers coups d'ailes ;

     

Que le soleil, convalescent,

10   Dont le désir est de renaître,

A mis son nez incandescent

Aux carreaux bleus de sa fenêtre ;

     

Elle se transforme soudain,

La grand'ville toujours première,

15   En un magnifique jardin...

Il y pousse de la lumière !

     

Ses pavés en sont inondés,

Ses murailles en sont couvertes ;

Ses grands platanes dénudés

20   S'illuminent de feuilles vertes.

     

Les maisons grises, les murs noirs,

Tout s'irradie et tout flamboie ;

Il se dégage des trottoirs

Une vapeur rose de joie.

     

25   La rue a des airs de gala.

Dans des paniers, dans des brouettes,

On voit partout, de-ci, de-là,

S'épanouir les violettes ;

     

Dans l'atmosphère et dans le vent.

30   Où semble flotter de l'ivresse,

Leur parfum monte, captivant

Comme une amoureuse caresse.

     

Les Parisiens, fatigués

Du temps des frimas et des glaces.

35   Envahissent, follement gais,

Leurs promenades et leurs places.

     

Les hommes vont, le torse droit

Sous le veston ou la jaquette.

Le plus malhabile se croit

40   Fort capable d'une conquête ;

     

Les femmes, fraîches, bien en chair,

Marchent en longues ribambelles,

Leurs cheveux voltigent dans l'air...

Elles sont belles, belles, belles !...

     

45   À leur passage, les bons vieux,

Qui sur les bancs font la causette,

Se redressent, et, dans leurs yeux,

Flambe une égrillarde risette.

     

Les boulevards sont enchanteurs.

50   On marche parmi les féeries.

Des milliers de consommateurs

Se prélassent aux brasseries.

     

Sur la chaussée, on voit passer,

Dans des voitures découvertes,

55   Des couples prêts à s'embrasser...

Ils se disent des choses... vertes !

     

Les sergents de ville, touchés,

Regardent ça, pleins d'indulgence ;

D'aucuns même font aux cochers

60   Des sourires d'intelligence.

     

Sur les trottoirs, essaim joyeux,

Petits garçons, petites filles,

Se livrent ensemble à des jeux

Impossibles dans les familles,

     

65   Tandis que leurs jeunes mamans,

Les yeux luisants comme des braises,

Dévorent les nouveaux romans,

Assises en rond sur des chaises,

     

Et que leurs bonnes font de l'oeil,

70   De façon joliment maligne,

Aux tourlourous, bouffis d'orgueil,  [ 1 Tourlourou : Populairement. Jeune soldat d'infanterie. [L]]

Des beaux régiments de la ligne.

     

Qui donc a dit que les printemps

N'étaient jolis qu'à la campagne ?

75   Ceux de Paris sont éclatants,

Capiteux comme du Champagne.

     

 



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Notes

[1] Tourlourou : Populairement. Jeune soldat d'infanterie. [L]

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