TRAGI-COMÉDIE
M.DC. XXXXII.
AVEC PRIVILÈGE DU ROI.
PAR MONSIEUR DE SALLEBRAY.
Représenté pour la première fois en 1641 à l'Hôtel de Bourgogne.
Texte établi à partir de l'Édition critique établie par M'HAMED Nawal dans le cadre d'un mémoire de Master 1, sous la direction de Georges Forestier (2017-2018).
Publié par Paul Fièvre, décembre 2023.
© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:06:15.
LES PERSONNAGES.
TERSANDRE, héros de la pièce.
MELIARQUE, ami de Tersandre.
CLAIRONDE, ou Floridan, ennemie de Tersandre.
LUCINE, ou Dorimon, confidente de Claironde.
ALCINOR, amant de Claironde, et en suite de Flaviane.
FLAVIANE, soeur de Tersandre, amoureuse de Floridan.
CLYMÈNE, confidente de Flaviane, amoureuse de Dorimon.
DIOMÈDE, domestique de l'Oncle de Claironde.
TROIS VOLEURS.
La scène est dans un château près de Ferare.
ACTE I
CLAIRONDE, LUCINE, TERSANDRE, MELIARQUE.
SCÈNE PREMIÈRE.
Claironde, Lucine, tenant une guiterre, toutes deux en habits d'homme.
CLAIRONDE.
Lucine, c'est ici qu'une juste vengeance
Doit terminer le cours de ma longue souffrance ;
C'est ici que mon bras, d'un généreux effort,
Doit attaquer un tigre, et lui donner la mort.
5 | Oui, Tersandre ; oui cruel, le Ciel sèche mes larmes, |
Puis qu'il a réservé ta défaite à mes armes;
J'apporte au bout d'un fer le trépas qui t'est dû,
Et ton sang à son tour doit être répandu,
Conte ce jour fatal le dernier de ta vie :
10 | Car si l'occasion succède à mon envie, |
Je te sacrifierai, pour finir mes tourments,
Aux mânes de mon père, et de tous mes amants :
Toi qui sais mon dessein, seconde mon courage,
Arme toi contre lui de fureur et de rage ;
15 | Et si preste à ce coup, tu vois trembler ma main, |
Enfonce lui toi même un poignard dans le sein.
LUCINE.
Madame, par ce coup, que l'Enfer même abhorre,
(Je vous l'ai dit cent fois, et vous le dis encore)
Vous mettez votre honneur en extrême danger,
20 | Et peut-être la vie. |
CLAIRONDE.
Est-ce là me venger |
D'un vainqueur insolent qui me brave et m'opprime ?
Vois-tu pas que le Ciel autorise ce crime ?
Ha ! Ne m'en parle plus, il le faut achever,
Mille moyens après s'offrent pour nous sauver.
LUCINE.
25 | Une aveugle fureur, vous gagne et vous transporte, |
Qui vous fait maintenant discourir de la sorte :
Mais si vous résistiez à cette passion,
Qui forme le dessein d'une telle action,
Vous prêteriez l'oreille aux avis qu'on vous donne.
CLAIRONDE.
30 | Que veux-tu dire encore, âme lâche et poltronne ? |
LUCINE.
Ce qu'il faut, ce me semble, un peu considérer,
Avant...
CLAIRONDE.
Quoi, tu voudrais son trépas différer ?
Parle, parle, timide, et conseille une femme,
Qu'une juste fureur excite, anime, enflamme.
LUCINE.
35 | Puisque vous me pressez, par un commandement, |
De déclarer ici quel est mon sentiment,
(Quoi qu'il soit inutile, et que vôtre colère
M'ait déjà fait prévoir qu'il ne saurait vous plaire.)
Je vous dirai, Madame, et c'est la vérité,
40 | Qu'on lui prépare un mal qu'il n'a point mérité. |
CLAIRONDE.
Perfide, que dis-tu ? Le meurtrier de mon frère,
De tant de braves gens, et même de mon père,
N'aura pas mérité que je l'aille égorger :
Justes Dieux, souffrez vous ce tort sans me venger ?
45 | Veux-tu point, après tout, que j'appelle vaillance, |
De son assassinat l'injuste violence ?
Que pour le prix encor de ses exploits guerriers,
J'aille lui présenter moi-même des lauriers ?
Conseille mieux l'esprit d'une fille outragée,
50 | Dont le plus grand bonheur dépend d'être vengée. |
LUCINE.
Madame, il paraît bien que Tersandre a failli :
Mais qui ne se défend quand il est assailli ?
Et si de vos parents la trame fut coupée,
Par le funeste coup de sa fatale épée,
55 | Son père auparavant par un semblable effort |
Reçût-il pas du vôtre une pareille mort ?
Vous le savez, Madame, et l'état déplorable
Où se trouva depuis cet objet misérable,
Qui se sent trop puni de votre inimitié,
60 | Et qui de vos malheurs a beaucoup de pitié. |
CLAIRONDE.
Le sort en est jeté, la raison veut qu'il meure,
Je cache à ce dessein mon sexe et ma demeure ;
Et si tu ne veux pas me prêter ton secours,
Moi seule au pis aller...
LUCINE.
Brisez-là ce discours,
65 | Madame, je suis prête à ce tragique office, |
Pourvu que par sa mort votre peine finisse:
Mais la difficulté que je rencontre ici,
C'est qu'il est fort vaillant.
CLAIRONDE.
Je suis vaillante aussi.
Lucine, ne crains point.
LUCINE.
Une telle entreprise
70 | S'achève par valeur bien moins que par surprise. |
CLAIRONDE.
Soit, pourvu qu'il en meure, il n'importe comment :
Mais pour entrer chez lui, garde cet instrument ;
Quoi qu'il tienne beaucoup des tigres d'Hircanie,
Contre leur naturel il aime l'harmonie.
LUCINE.
75 | Quoi ! Bon Dieu, sont-ce là les armes dont vos mains |
Prétendent vous venger du plus fier des humains ?
Vous frapperez au coeur, mais son âme ravie
Préférera toujours ce trépas à la vie.
CLAIRONDE.
Ma main douce et tremblante en donnant du plaisir,
80 | Deviendra rude et ferme en ce mortel désir, |
Si sa première atteinte enchante son oreille,
Crois que celle du coeur ne sera pas pareille.
Il nous le faut tout seul attirer dans ce bois,
Feignant ce lieu plus propre à faire ouïr ma voix.
85 | Là je m'assure bien, favorable complice, |
Que ce nouvel Ajax ne fera pas l'Ulysse,
Sirène des forêts, je le saurai charmer
Plus agréablement que celles de la mer.
LUCINE, bas.
Dieux ! Détournez de lui cette horrible tempête.
CLAIRONDE.
90 | Que dis-tu ? |
LUCINE.
Qu'à ce coup me voila toute prête. |
CLAIRONDE.
Ta résolution divertit mon souci,
Et tu me fais plaisir de me parler ainsi:
Mais il faut aviser, dans l'état où nous sommes,
Comme des vêtements, à prendre des noms d'hommes,
95 | Le mien, c'est Floridan. |
LUCINE.
Et le mien ? |
CLAIRONDE.
Dorimon, |
Et frère d'amitié.
LUCINE.
J'aime encor mieux ce nom.
CLAIRONDE.
Songe qu'à se méprendre il va de notre vie,
Et que sa rage après se verrait assouvie.
LUCINE.
Je m'en garderai bien : mais quand nous le verrons,
100 | Encor faut-il savoir ce que nous lui dirons. |
CLAIRONDE.
Feignons d'être égarez, et de chercher un gîte,
Aussi bien le soleil descend déjà plus vite,
Et semble nous forcer à prendre celui-ci :
Mais, Lucine, attendant que quelqu'un vienne ici,
105 | Allons nous reposer au bord de la prairie, |
Qui paraît à nos yeux si belle et si fleurie ;
Ces arbres écartés nous donnent le moyen
De voir si quelqu'un sort.
LUCINE.
Allons, je le veux bien.
CLAIRONDE.
Va pendre auparavant ta guitare au plus proche,
110 | Nous aurons du plaisir si quelqu'un en approche. |
LUCINE.
En effet, cet aspect le rendra curieux
De savoir aussitôt qui l'a mise en ces lieux.
CLAIRONDE.
Ainsi je surprendrai l'objet de ma vengeance.
LUCINE.
Bas.
Ainsi la trahison surprendra l'innocence.
115 | Hé bien, qu'en dites-vous, est-elle bien ainsi ? |
CLAIRONDE.
Elle est le mieux du monde.
LUCINE.
Il me le semble aussi.
SCÈNE II.
Tersandre, Meliarque, Claironde, Lucine.
MELIARQUE.
Enfin, c'est trop long temps me cacher ce mystère,
Qui vous rend d'une humeur si triste et solitaire ;
C'est trop celer le mal qui vous semble affliger,
120 | À qui sait le moyen de vous en soulager. |
TERSANDRE.
Et quel est ce moyen ?
MELIARQUE.
Le dire à Meliarque,
C'est d'un parfait ami la véritable marque ;
Et je serai certain de votre affection,
Si vous me faites part de votre affliction.
TERSANDRE.
125 | Les coups dont la Fortune a mon âme blessée, |
La rendent malheureuse, et non pas insensée,
Au point que d'attrister le meilleur des amis,
Par le récit des maux où mon sort m'a soumis.
MELIARQUE.
S'ils ont part au plaisir qui vient de la Fortune,
130 | La peine également leur doit être commune. |
TERSANDRE.
Oui, mais je souffre assez, en l'état où je suis,
Sans que par mon discours j'augmente mes ennuis.
MELIARQUE.
Si vous cachez toujours le mal qui vous possède,
Vous ôtez les moyens de trouver son remède.
TERSANDRE.
135 | Quel remède, bon Dieu, qui ne soit impuissant, |
Contre le rude effort d'un hydre renaissant ?
MELIARQUE.
Quoi, vous songez encore...
TERSANDRE.
Oui, mon cher Meliarque,
Je songe à cette mer où Claironde m'embarque,
Mer d'horreur et de sang, où des monstres rivaux
140 | Viennent incessamment renouveler mes maux. |
MELIARQUE.
Après que le trépas a suivi leur défaite,
Est-il d'autre bonheur que Tersandre souhaite ?
TERSANDRE.
Crois tu donc que toujours mon bras en soit vainqueur ?
Et que le sort enfin...
MELIARQUE.
Rassurez votre coeur,
145 | Et croyez que le Ciel, ami de l'Innocence, |
Ne quittera jamais votre juste défense.
TERSANDRE.
J'attends cette faveur de vous seuls, Immortels,
Ainsi jamais l'encens ne manque à vos autels.
MELIARQUE.
Mais ne saurai-je point plus au long cette histoire,
150 | Dont le succès m'étonne, et vous comble de gloire. |
TERSANDRE.
Soit, puisque tu le veux, et que notre loisir,
S'accorde maintenant avecque ton désir.
Ha ! Ce triste discours me va coûter la vie.
CLAIRONDE, à l'écart avec Lucine.
C'est lui-même.
LUCINE, bas.
Écoutons.
CLAIRONDE, bas.
Qui retient mon envie ?
TERSANDRE.
155 | Après t'avoir conté que certains différents |
Divisèrent jadis l'esprit de nos parents,
Et que ce médecin des douleurs incurables,
Le Temps avait rendu celles-ci plus durables,
Apprend, (et c'est ici la source de mes pleurs,)
160 | Que nos pères lassez de souffrir les malheurs |
Qui venaient traverser notre commune joie,
Prirent pour les finir une tragique voie ;
Résolus d'arrêter par un sanglant duel,
Le trop funeste cours d'un mal continuel.
165 | Ormin (c'était le nom du père de Claironde) |
Prend son fils pour second.
MELIARQUE.
Ô rage sans seconde !
TERSANDRE.
Mon père en fait de même, et d'un coeur assuré,
Contre nos ennemis se porte sur le pré.
Chacun s'y trouve armé de fer et de courage,
170 | Et chacun prend le sien selon le droit de l'âge. |
D'abord nous combattons avec tant de fureur,
Que le penser encor m'en fait frémir d'horreur :
Mais sitôt que du mien j'eus connu la faiblesse,
Je fis à tant d'ardeur succéder quelque adresse.
MELIARQUE.
175 | Ils perdirent la vie. |
TERSANDRE.
Oui, mais trop soulagés, |
Puisque dans leur désastre ils moururent vengés.
MELIARQUE.
En quoi donc le Destin vous fut-il si nuisible ?
TERSANDRE.
Pleurez, pleurez mes yeux un malheur si sensible.
MELIARQUE.
Votre père...
TERSANDRE.
Ha ! Je meurs à ce ressouvenir,
180 | De son funeste sort, puis-je t'entretenir. |
L'avantage que j'ai dessus mon adversaire,
Me fait jeter souvent les yeux dessus mon père,
Pour voir si son courage a besoin de mon bras :
Mais enfin j'aperçois qu'un coup le porte à bas.
185 | Mon désespoir redouble à ce triste spectacle, |
J'abandonne Philandre, et sans aucun obstacle
Je cours tout furieux sur ce vil meurtrier,
Qui d'un coup de hasard était déjà tout fier ;
En achevant son crime il sentit ma vengeance,
190 | Et dedans un grand mal j'eus un peu d'allégeance. |
Son fils y vint trop tard, qui m'appelant cruel,
S'efforce de m'abattre, et finir ce duel :
Mais sa témérité ranimant ma colère,
Je fais par son trépas ce qu'il désirait faire ;
195 | Mes vainqueurs sont vaincus, et moi percé de coups, |
Tout faible que j'étais je retournai chez nous.
Et si parmi mon sang mon âme n'est sortie,
Ce n'est pas que mon corps en chacune partie
Ne lui fournit assez de passage au besoin :
200 | Mais c'est que de mon sort quelque Dieu prit le soin. |
Étant presque échappé de ce fatal orage,
Où ma vie en mon sang pensa faire naufrage ;
La peur d'une prison me fit sauver ici,
Où ma soeur avec moi voulut venir aussi,
205 | Notre aïeul commandait dedans cette Contrée, |
Et c'est ce qui rendit notre fuite assurée.
Depuis j'ai su qu'Élise était morte de deuil,
Ayant vu son époux, et son fils au cercueil :
Mais, ce qui plus m'étonne, elle a perdu la vie
210 | Sans perdre toutefois sa haine et son envie. |
On dit qu'étant malade, ou cédant à l'effort
De plusieurs maux divers qui causèrent sa mort ;
Les yeux déjà fermés, la chaleur presque éteinte,
Le corps blessé partout d'une mortelle atteinte :
215 | Bref, prête à rendre l'âme, et dont les déplaisirs |
Se connaissaient encor par quelques longs soupirs,
Elle appela sa fille, et presque dans la Terre,
L'obligea de la sorte à me livrer la guerre.
Si vous m'aimez encore en l'état où je suis,
220 | D'une mourante mère allégez les ennuis ; |
Jurez qu'à votre hymen nul ne pourra prétendre
Qu'en vous venant offrir la tête de Tersandre.
Claironde le promit, et sa mère expira.
Elle a gardé depuis ce qu'elle lui jura.
225 | Mais, grâce aux Immortels, sa rigueur obstinée |
N'a pu jusqu'à présent forcer ma destinée ;
Ses amants ont perdu ce titre glorieux,
Par l'effort de mon bras toujours victorieux.
Me dois-je toutefois vanter de ces victoires,
230 | Qui me font retracer nos tragiques histoires ? |
CLAIRONDE, bas.
Je t'empêcherai bien d'en parler désormais,
Cruel.
MELIARQUE.
Puisqu'à présent elle vous laisse en paix,
Je n'y songerais plus.
CLAIRONDE, bas.
En paix un homicide :
Justes Dieux.
TERSANDRE.
Le Destin du généreux Alcide
235 | Me résout à la mort. |
CLAIRONDE, bas.
Je te la porte aussi. |
Barbare.
MELIARQUE.
Qui pourrait vous causer ce souci ?
TERSANDRE.
Meliarque, une femme à la mort me destine,
Qui pourrait l'empêcher ?
MELIARQUE.
La Puissance divine.
TERSANDRE.
J'en doute ; et puis mon sort n'est pas si cher aux Dieux.
CLAIRONDE, bas.
240 | Non lâche, après les coups de ton bras furieux. |
MELIARQUE.
Bannissez loin de vous cette mélancolie,
Dans laquelle votre âme est presque ensevelie.
TERSANDRE.
Le moyen, tout conspire à croître mon tourment.
MELIARQUE.
Cherchez dans la lecture un divertissement.
TERSANDRE.
245 | Hélas ! Il aiderait à nourrir ma tristesse. |
MELIARQUE.
Chassez donc par le jeu cette fâcheuse hôtesse.
TERSANDRE.
Jouer, et contre qui ? Tant de meurtres commis,
Ne me font visiter que par mes ennemis.
MELIARQUE.
Quelque étrange malheur qui de près vous pourchasse,
250 | Vous ne pouvez haïr le plaisir de la chasse, |
Sachant que le plus juste, et le plus grand des Rois,
Après le Champ de Mars se plaît mieux dans les bois :
Joint qu'à ce passe-temps la saison vous convie.
CLAIRONDE, bas.
Lucine, ce conseil seconde mon envie.
TERSANDRE.
255 | La Chasse, je l'avoue, a de charmants appas, |
Et je hais mon humeur de ne l'y porter pas.
CLAIRONDE, bas.
Démon, qui que tu sois, qui viens de l'en distraire,
Faut-il qu'à mon dessein je t'éprouve contraire.
MELIARQUE.
Certes, si la musique avec ses doux accents
260 | Choque encor votre esprit, et déplaît à vos sens, |
Je vous crois malheureux.
TERSANDRE.
C'est un charme où j'incline
Presque dès le berceau.
CLAIRONDE, bas.
C'est à ce coup, Lucine.
TERSANDRE.
Mais il est malaisé de rencontrer ici
Ces divertissements...
MELIARQUE.
Tersandre, qu'est-ce ci ?
265 | Veillai-je, ou si je dors, d'où vient cette guitare |
Pendue à ce rameau, qui touche presque à terre ?
Approchons nous, de grâce, et voyons de plus prés.
CLAIRONDE, bas.
Feignons de reposer, ils tombent dans nos rets. [ 1 Rets : Filet pour prendre du poisson, du gibier. [L]]
TERSANDRE.
Dieux ! N'est-ce point ici le Palais d'une fée,
270 | Qui par enchantement nous représente Orphée ; |
Vois-tu cet autre objet couché dans ce vallon ?
Sous tant de Majesté, je crois voir Apollon.
MELIARQUE.
Dans le ravissement d'une telle merveille,
Certes, encore un coup je doute si je veille.
275 | Dieux ! De combien d'appas tous deux sont-ils pourvus ? |
TERSANDRE.
Tirons nous à l'écart de crainte d'être vus ;
Peut-être qu'au réveil, une douce harmonie
Interrompra le cours de ma peine infinie.
MELIARQUE.
Confessez qu'à présent le sort vous serait doux,
280 | S'ils voulaient accepter un logement chez vous. |
TERSANDRE.
Il m'offre en ce rencontre un bonheur si visible,
Que pour les arrêter je ferai mon possible.
MELIARQUE.
Il y faut procéder d'une bonne façon,
Pour ne leur point donner ni crainte ni soupçon.
TERSANDRE.
285 | Laisse m'en le souci, mais prête un peu l'oreille, |
Il me semble déjà que l'un d'eux se réveille.
CLAIRONDE, poussant Lucine.
Allons, frère, il est temps de chercher le couvert.
TERSANDRE, bas, et à l'écart.
Acceptez...
MELIARQUE, bas.
Taisez-vous, vous serez découvert,
Et s'il doit exposer l'effet de sa science,
290 | Vous l'en divertirez par votre impatience. |
LUCINE, feignant de se réveiller.
Fait-il jour ?
CLAIRONDE.
Reviens-tu du Royaume des Morts ?
Vraiment, c'est trop dormi, nous coucherons dehors.
LUCINE, feignant de se vouloir lever.
Je songeais au matin, et croyais être au gîte,
Mais...
CLAIRONDE.
Attends toutefois, ou ne va pas trop vite,
295 | Je désire accorder, avant que de partir, |
Cet aimable instrument qui nous peut divertir,
Lorsqu'il nous ennuiera dans notre hôtellerie,
Ta mort sera le prix de ma galanterie.
Elle dit ce dernier Vers bas.
Elle chante ce qui suit.
Prends congé de la vie,
300 | Et ne te promets pas |
D'éviter le trépas,
Puis qu'à ce juste coup la fureur me convie.
TERSANDRE, bas.
Ô Dieux ! Je suis ravi de sa charmante voix.
LUCINE.
Hâtons nous, je vous prie, et passons par ce bois.
CLAIRONDE, bas.
305 | Le voici, faisons voir une mine hardie, |
Qui ne témoigne rien de notre perfidie.
TERSANDRE.
Adorables portraits de deux Divinités,
Qui vous conduit si tard en ces lieux écartés ?
Et quel noble dessein vous meut et vous engage
310 | À vous y rendre seuls avec cet équipage ? |
CLAIRONDE.
Nous étant égarés sur le déclin du jour,
Nous cherchons un logis attendant son retour.
TERSANDRE.
Mon château n'est pas loin de ce lieu favorable,
Serais-je assez heureux qu'il vous fut agréable ?
CLAIRONDE.
315 | Deux pauvres étrangers errants au gré du sort, |
N'osent pas espérer...
TERSANDRE.
Ha, vous craignez à tort.
Sous quelques vêtements qu'on cache sa naissance,
Toujours l'air du visage en donne connaissance ;
Et cette Majesté qu'on voit sur votre front,
320 | Ne vous exposera jamais à cet affront. |
LUCINE.
Ce discours est fort beau, s'il était véritable :
Mais il ne parle point du lit ni de la table,
Nous en avons besoin ; adieu, permettez nous
De faire la retraite autre part que chez vous.
TERSANDRE.
325 | Le bien que me promet votre seule présence |
Me défend de céder à votre résistance :
De grâce, bannissez, la crainte et le souci,
Et me faites l'honneur de séjourner ici.
LUCINE, bas à l'écart.
Hélas ! Si tu savais quel dessein nous amène,
330 | Tu n'aurais pas pour nous ces soins ni cette peine. |
CLAIRONDE.
Mais n'ayant pas l'honneur d'être connus de vous,
Nous ne méritons pas un traitement si doux.
TERSANDRE.
Par votre noble aspect je puis assez connaître
Que dans un rang d'honneur le sort vous a fait naître,
335 | Et pour le traitement il n'est que des communs. |
CLAIRONDE.
C'est vous importuner de vous être importuns.
TERSANDRE.
Enfin dût mon désir passer pour tyrannie,
N'espérez point ce soir une autre compagnie.
CLAIRONDE.
Bien donc, il faut céder à la nécessité
340 | Qui nous force de faire une incivilité. |
ACTE II
FLORIDAN, DORIMON, TROIS VOLEURS, ALCINOR, TERSANDRE, MELIARQUE, FLAVIANE, CLYMÈNE.
SCÈNE PREMIÈRE.
FLORIDAN, seule dans une chambre.
Insolents ennemis de ma nouvelle flamme,
Fureurs, rages, transports,
Abandonnez mon âme :
Et contre mon vainqueur cessez tous vos efforts ;
345 | Oui, ne m'inspirez plus le sang et le carnage ; |
J'ai des sentiments plus humains,
Et je sens tomber de mes mains
Le fer que contre lui préparait mon courage.
On ne peut l'offenser puis qu'un Dieu le défend,
350 | Et l'Amour est plus fort, bien qu'il ne soit qu'enfant. |
En vain pour m'irriter vous le chargez de crimes,
Mon Amour les croit faux,
Ou les croit légitimes,
Et c'est l'allègement que je trouve à mes maux.
355 | Je cesse d'accuser le bonheur de ses armes, |
Mon destin me porte à l'aimer,
Et si ma voix l'a su charmer,
Mon coeur cède à son tour au pouvoir de ses charmes ;
Ne l'attaquez donc plus puis qu'un Dieu le défend,
360 | Je sens l'Amour plus fort bien qu'il ne soit qu'enfant. |
Mais suivant le dessein d'une âme généreuse,
Dois-je pas étouffer
Qui me rend malheureuse,
Et donner le trépas à ce monstre d'Enfer ?
365 | Ha ! Revenez, Fureurs, pour perdre ce vipère. |
Revenez, rage, désespoir,
Et faites par votre pouvoir
Que je venge sur lui le meurtre de mon père.
Toutefois demeurez, un Dieu me le défend,
370 | Et l'Amour est plus fort bien qu'il ne soit qu'enfant. |
Quoi donc, je fausserai pour moins qu'une chimère
Le solennel serment
Que je fis à ma mère,
De le persécuter jusques au monument ?
375 | Ha ! Revenez, Fureurs, pour perdre ce Barbare ; |
Revenez à moi mes transports,
Et renouvelez vos efforts,
Pour me résoudre au coup que mon bras lui prépare :
Toutefois demeurez, un Dieu me le défend,
380 | Et l'Amour est plus fort bien qu'il ne soit qu'Enfant. |
Dieux ! Quand tout s'offre à moi je manque de courage
Et ne me souviens plus
Que ce meurtrier nage
Dans des fleuves de sang par son bras répandus :
385 | Ha ! Revenez à moi pour perdre cet Infâme ; |
Haine, transports, rage, fureurs,
Et par un trépas plein d'horreurs
De son perfide corps allons arracher l'âme :
Toutefois demeurez, un Dieu me le défend,
390 | Et l'Amour est plus fort bien qu'il ne soit qu'Enfant. |
Pourrais-je assassiner un homme que j'adore :
Mais puis-je conserver celui qui saigne encore.
Arrête ma fureur, oui, Tersandre me plaît,
Tout fier, tout criminel, et tout sanglant qu'il est :
395 | Oui, Tersandre me plaît, et la perfide lame |
Qui percerait son corps, irait jusqu'à mon âme ;
Oui, Tersandre me plaît, et par le même effort
Qui le ferait mourir je recevrais la mort.
SCÈNE II.
Dorimon, Floridan.
DORIMON.
Madame, désormais cessez d'être affligée,
400 | Tersandre ne vit plus, ma main vous a vengée. |
FLORIDAN.
Ô Dieux ! Que me dis-tu ?
DORIMON.
C'en est fait, il est mort,
Avisons maintenant à nous sauver au port.
FLORIDAN.
Tersandre ne vit plus, et mon âme ravie
Croit commencer ma joie en finissant sa vie.
405 | Tersandre ne vit plus, et tant de bon accueil |
Ne t'a donc obligé qu'à le mettre au cercueil.
Tersandre ne vit plus, et ta main meurtrière
Profanant ses appas l'a privé de lumière.
Ô rage ! Ô désespoir !
DORIMON.
Il fallait obéir.
FLORIDAN.
410 | Cruelle, dis plutôt qu'il fallait me trahir, |
Puisque dans les transports de mon âme agitée,
La Raison défendait que je fusse écoutée.
Tersandre par ta main vient d'être assassiné ;
Est-ce là ce plaisir que tu m'as destiné ?
415 | Encor pour ajouter à cette félonie, |
Je lis dessus ton front une joie infinie.
Ô crime détestable ! Ô sensible douleur !
Ô de tous mes malheurs le plus cruel malheur !
Belle ombre qui des bords de l'Achéron t'approches,
420 | Je te suis infidèle, et j'entends tes reproches : |
Il est vrai, j'ai promis que par le même effort
Qui te ferait mourir, je recevrais la mort,
Mais attends un moment, cette main criminelle
Qui saigne encor du coup me va rendre fidèle.
425 | Sus donc, que tardes-tu, de m'entamer le sein ? |
Obéis derechef, puisque c'est mon dessein.
DORIMON.
La Raison, dites vous, étant si transportée,
Défend qu'en cet état sous soyez écoutée.
FLORIDAN.
Ô rigueur de mon sort ! ô contraires avis !
430 | Et trop tôt, et trop tard pour mon malheur suivis. |
DORIMON.
C'est encore assez tôt, puisque ce cher Tersandre,
Si vous ne parlez bas vous pourrait bien entendre.
FLORIDAN.
Cruelle, tu veux rire, et mon coeur ne vit plus.
DORIMON.
Madame, terminez ces regrets superflus ;
435 | Tersandre vit encore, j'ai respecté ses charmes, |
Et je n'ai répandu pour son sang que des larmes.
FLORIDAN.
Ô doux ravissement ! Ô favorable erreur !
Ô bienheureux effet d'une extrême fureur !
Mais dans les mouvements de mon âme confuse,
440 | Je crains, avec raison, que ce soit une ruse. |
DORIMON.
Non, non, rendez l'usage à vos sens interdis,
Et pour ne point douter de ce que je vous dis
Apprenez en trois mots le dessein de ma feinte ;
Repassant sur l'ennui dont votre âme est atteinte,
445 | Et voyant que Tersandre en était le sujet, |
J'allais exécuter ce damnable projet,
Pour finir vos douleurs par mon obéissance ;
Lorsque par un effet de la haute puissance,
Doutant que vous eussiez le même sentiment,
450 | J'ai voulu m'éclaircir de votre changement. |
Que par mon faux rapport j'ai connu véritable,
Pardon de cette peur.
FLORIDAN.
Il est trop équitable.
DORIMON.
Mais, Madame, après tout, par quel enchantement
Passez-vous d'un extrême à l'autre en un moment ?
455 | Et qu'est donc devenu ce furieux courage, |
Qui ne s'entretenait que d'espoir de carnage ?
Auriez vous bien laissé hors de cette maison,
La vengeance, la rage, avec la trahison ?
Sont-ce là les effets dont cette compagnie
460 | Promettait d'alléger votre peine infinie ? |
FLORIDAN.
Lucine, tu le vois, le charmeur est charmé,
Et le plus résolu se trouve désarmé :
Mais, dis la vérité, pouvais-je me défendre
De ces traits glorieux que décoche Tersandre ?
465 | Ses yeux dont les regards peuvent tout enflammer, |
N'auraient-ils pas contraint Diane à les aimer ?
DORIMON.
Ainsi que sa beauté, son mérite est extrême.
FLORIDAN.
C'est donc avec raison, Lucine, que je l'aime.
DORIMON.
Il est vrai : mais sortons de ces lieux enchantez,
470 | Où notre oeil ébloui ne voit que raretés ; |
Ce sont des tableaux.
Et quoi que ces amants aient le don de se taire,
Cherchons dedans ce parc quelque lieu solitaire ;
C'est là que sans témoins nous pourrons librement
Discourir des appas d'un objet si charmant.
SCÈNE III.
Trois voleurs, Alcinor, Floridan, Dorimon.
UN VOLEUR.
475 | Rends la bourse et l'argent, ou tu perdras la vie. |
ALCINOR.
Traîtres, si mon sort veut qu'elle me soit ravie,
Ce fer auparavant, que vous allez sentir,
Ira dans votre coeur porter le repentir.
FLORIDAN.
Ô Dieux ! Ne vois-je pas quelqu'un qu'on assassine ?
DORIMON.
480 | Ils sont trois contre lui. |
FLORIDAN.
Courons sur eux, Lucine. |
DORIMON.
C'est trop pour nous.
LE VOLEUR, fuyant.
Rentrons, il lui vient du secours.
FLORIDAN.
Assassins, c'est ici le dernier vos jours.
Mais déjà ces marauds ont gagné leur retraite.
ALCINOR.
Et votre seul aspect a causé leur défaite.
485 | Jeune Mars, dont le coeur égale la beauté, |
Après ce noble effet de générosité ;
Je serais plus qu'ingrat si je n'avais envie
D'apprendre pour le moins de qui je tiens la vie.
FLORIDAN.
Je crois, mon Cavalier, qu'en ce pressant malheur,
490 | Vous la tenez du Ciel, et de votre valeur. |
ALCINOR.
Dites sans me flatter d'une fausse vaillance,
Que je la tiens du Ciel, et de votre assistance.
FLORIDAN.
Pour me gratifier d'un titre avantageux,
Ne vous dérobez pas celui de courageux.
ALCINOR.
495 | Mais plutôt... |
FLORIDAN.
Laissons là ce discours de louange, |
Quel dessein vous amène en ce pays étrange ?
Est-ce un désir de voir ? Ma curiosité
Peut-être passera pour incivilité.
ALCINOR.
Ôtez de votre esprit ce soupçon qui m'offense,
500 | Et puisque je dois tout à qui prend ma défense, |
Je vous dirai, Monsieur, que deux monstres sans yeux,
La vengeance et l'Amour m'ont conduit en ces lieux.
Claironde est la Beauté par qui la Renommée,
M'apprenant son mérite a mon âme charmée ;
505 | D'où vient qu'à ce discours vous changez de couleur ? |
FLORIDAN, se retirant à l'écart.
Ce n'est pas ce discours qui cause ma douleur.
Bas.
Soutiens moi Dorimon. Il en veut à Tersandre.
Et ce cruel m'attaque en venant me défendre.
ALCINOR, à part.
Si le même dessein les amenait ici :
510 | Mais ces jeunes Cadets n'ont pas un tel souci. |
FLORIDAN.
Puisque dans ma douleur je sens quelque allégeance,
Nous ayant dit l'Amour, dites nous la vengeance.
ALCINOR.
J'appris en même temps que la belle s'offrait
Pour prix de la victoire, à celui qui vaincrait
515 | Son mortel ennemi qu'elle nomme Tersandre. |
Voyant que par sa mort j'oserais y prétendre,
Je viens en ce pays, où j'ai su qu'il était,
Insolent du secours qu'un démon lui prêtait :
Mais si dessus le pré je puis voir ce superbe,
520 | Nous saurons rabaisser son orgueil dessous l'herbe. |
FLORIDAN.
Je m'offre pour second.
ALCINOR.
Je n'en puis accepter.
FLORIDAN.
Pourquoi ?
ALCINOR.
Je veux tout seul mourir ou surmonter.
FLORIDAN.
Si je suis inutile à vider la querelle,
Au moins de votre part souffrez que je l'appelle.
ALCINOR, à part.
525 | Puisque j'ai le malheur d'avoir perdu mes gens, |
Souffrons mettre en effet ces discours obligeants.
Dans un doute incertain dont mon âme est saisie,
J'aurais peur d'abuser de votre courtoisie.
FLORIDAN.
Entre nous Cavaliers, trêve de compliment,
530 | Montrez moi le cartel et le lieu seulement. |
ALCINOR.
Puisque de vos faveurs je ne puis me défendre,
Sachez qu'en ce château demeure ce Tersandre,
Et lisant ce papier, il connaîtra soudain
Que j'ai l'amour au coeur, et l'épée à la main.
535 | Pardon si je me sers de la franchise offerte. |
FLORIDAN.
Nous allons de ce pas travailler à sa perte.
Heureux d'être chargez d'une Commission,
Qui prépare le prix à votre affection :
Cependant donnez ordre à l'apprêt nécessaire.
ALCINOR.
540 | Je vais prendre à la ville une armure ordinaire. |
FLORIDAN.
Dans une heure au plus tard serez vous par ici ?
ALCINOR, sortant.
Je n'y manquerai pas.
SCÈNE IV.
Floridan, Dorimon.
FLORIDAN, bas.
Tu m'y verras aussi.
Mais cachons en ce lieu le dessein qui m'excite,
A perdre un Inconnu dont le zèle m'irrite.
545 | Lucine, que dis-tu de ce nouveau malheur ? |
DORIMON.
Madame, espérez mieux de sa rare valeur.
FLORIDAN.
C'est par là que le Sort prétend m'ôter la vie :
Mais de peur qu'à Tersandre elle ne soit ravie,
Sans nous entretenir de ses charmants appas,
550 | Empêchons bien plutôt qu'il ne se batte pas. |
SCÈNE V.
Tersandre, Meliarque.
TERSANDRE.
Quel bonheur, Meliarque, est au mien comparable ?
Pouvais-je désirer un Sort plus favorable ?
Que ce jeune Inconnu des accents de sa voix
Charme agréablement les soucis que j'avais,
555 | La gloire d'Amphion, et du fameux Orphée, |
Est par ses doux accords justement étouffée.
MELIARQUE.
Je confesse avec vous qu'il a des qualités
Qu'on ne peut trop louer.
TERSANDRE.
Douces fatalités
Qui venez mettre fin à mes peines diverses.
560 | Que ce bien m'est aimable après tant de traverses ! |
Je bénis, juste Ciel, les maux que j'ai souffert,
Si cette Compagnie est le prix de mes fers.
MELIARQUE.
La Nature épuisa ses plus rares merveilles,
Logeant par tout son corps des grâces sans pareilles.
TERSANDRE.
565 | Et le Ciel prodigua ses plus riches trésors, |
Pour lui faire un esprit digne d'un si beau corps.
MELIARQUE.
N'aurions-nous pas raison de blâmer l'un et l'autre,
D'avoir mis en tous deux un sexe égal au nôtre :
Car enfin cette douce et charmante façon,
570 | Est le droit d'une fille, et non pas d'un garçon. |
TERSANDRE.
Que je serais content, si celle qu'hyménée
Doit ranger avec moi sous même Destinée,
Était toute semblable, ou bien par accident
Avait à tout le moins quelque air de Floridan.
MELIARQUE.
575 | Pour moi, de la plus belle on me verrait distraire |
Pour une où je verrais un seul trait de son frère.
TERSANDRE.
Hélas ! Il me souvient quand je le vois de prés,
Du frère de Claironde, il en a tous les traits ;
Et si par cette main il ne cessait de vivre,
580 | Je pourrais croire encor qu'il viendrait me poursuivre. |
Mais déjà le Soleil d'un visage riant
Commence à s'éloigner des portes d'Orient ;
Allons voir si Morphée, exauçant ma prière,
A de ses trois pavots délivré sa paupière.
585 | Dieux ! Un démon m'arrête, et je me sens surpris ; |
Quel sujet de frayeur vient troubler mes esprits ?
D'où vient qu'à chaque pas je demeure et je tremble ?
Quoi ! Je ne vois personne.
MELIARQUE.
Ils sont ailleurs ensemble,
Et ce matin si beau les aura fait sortir
590 | Pour faire un tour de parc. |
TERSANDRE.
Ou plutôt pour partir. |
Ha ! C'est là de leur suite une preuve assurée :
Que mes félicités sont de peu de durée !
Aimables étrangers, pourquoi me fuyez-vous ?
Qui vous fait mépriser un traitement si doux ?
595 | Est-ce un arrêt du Sort qui de moi vous sépare ? |
Est-ce un nouveau tourment que le Ciel me prépare ?
Hélas ! Oui c'en est un de tous le plus cruel,
Et qui jusqu'à ma mort sera continuel :
Ô Destins rigoureux ! Ennemis de ma joie,
600 | Qui me privez d'un bien sitôt qu'on me l'envoie ; |
N'est-ce point à dessein que me l'ayant ôté,
Je souffre plus de mal après l'avoir goûté ?
Ha ! Je n'en doute plus, la chose est trop certaine,
Je connais vos rigueurs, et votre vieille haine ;
605 | Aussi quelque bonheur qui me vienne à présent, |
Je ne l'estimerai qu'un funeste présent.
Mais que servent ces cris, et ces plaintes frivoles,
Les puis-je retrouver avecque des paroles ?
Non, non, il est besoin de marcher, de courir,
610 | C'est là le seul moyen qui me peut secourir ; |
Leur aimable entretien flatte trop mes supplices,
Pour ne pas rechercher ces innocents délices.
Ami, dans ce besoin ne m'abandonne pas,
Tâche à finir ma peine, et seconde mes pas :
615 | Je vais voir dans le parc, va battre la campagne. |
MELIARQUE.
Ainsi fasse le Ciel que l'heur nous accompagne.
SCÈNE VI.
Flaviane, Clymène.
FLAVIANE.
Clymène, que dis-tu de mon nouvel Amant ?
Est-il sous le Soleil un objet plus charmant ?
Et dans le sentiment de mon âme amoureuse,
620 | S'il répond à mes voeux... |
CLYMÈNE.
Que vous serez heureuse : |
Tous deux riches d'appas, et vos coeurs bien unis,
On vous croira Vénus, qui charmez Adonis.
FLAVIANE.
Crois-tu, sans me flatter, que ce bonheur m'arrive ?
CLYMÈNE.
Est-il quelque mortel que votre oeil ne captive ?
625 | Et voyant tant de coeurs que vous avez conquis, |
Quelqu'un vous plairait-il qui ne vous fut acquis ?
Non, Madame, croyez que Floridan est vôtre.
FLAVIANE.
J'aimerais ce discours de lui mieux que d'un autre.
CLYMÈNE.
Si vous lui témoignez que sa discrétion
630 | L'honore d'une place en votre affection, |
Espérant de sa part une telle assurance,
Croyez que les effets suivront votre espérance.
FLAVIANE.
Mais de quelle façon lui ferai-je savoir
Le triomphe qu'Amour sur moi lui fait avoir.
CLYMÈNE.
635 | Éloquente des yeux, ainsi que de la bouche, |
Laissez leur découvrir la douleur qui vous touche ;
Et si votre Vainqueur n'entend point ce discours,
La voix, au pis aller, sera votre recours.
FLAVIANE.
Qu'à tes jeunes Conseils je me sens obligée ;
640 | Déjà de mon tourment, je suis toute allégée, |
Et j'espère bientôt de tes inventions.
CLYMÈNE.
Madame, espérez tout de vos perfections ;
À vos charmants appas il n'est rien d'impossible,
Et ce coeur est à vous pour peu qu'il soit sensible :
645 | Mais la crainte me reste en vous donnant l'espoir. |
FLAVIANE.
Tu n'en as point sujet, à ce que je puis voir.
CLYMÈNE.
Hélas ! L'osai-je dire ?
FLAVIANE.
Oui, parle sans contrainte.
CLYMÈNE.
D'un même mal que vous je sens mon âme atteinte.
FLAVIANE.
Quoi, tu te laisses prendre à de mêmes appas ?
CLYMÈNE.
650 | Ce m'est beaucoup d'honneur de marcher sur vos pas. |
FLAVIANE, à part.
M'est-elle confidente, ou si c'est ma rivale ?
CLYMÈNE.
Qu'un poison amoureux est doux quand on l'avale !
FLAVIANE, à part.
Ces mots à double sens réveillent mon souci,
Il faut m'en éclaircir tandis qu'elle est ici.
655 | De sorte que ton coeur en un âge si tendre, |
Déjà du feu d'amour se voit réduire en cendre :
Mais de ce beau charmeur ne sais-je point le nom ?
CLYMÈNE.
Le dirai-je, Madame : hé bien, c'est Dorimon,
C'est lui...
FLAVIANE, bas.
Ne craignons plus.
CLYMÈNE.
Mais je vois ce me semble
660 | Monsieur et Floridan qui discourent ensemble. |
FLAVIANE.
Oui, j'aperçois l'objet de mon plus doux souci.
CLYMÈNE.
Amour en soit loué, le mien paraît aussi.
SCÈNE VII.
Floridan, Tersandre, Dorimon, Flaviane, Clymène.
FLORIDAN.
Nous ne méritons pas un soin si favorable.
TERSANDRE.
Oui, si je n'eusse fait ce rencontre agréable :
665 | J'allais porter mes pas, par des chemins divers, |
Aux lieux plus écartés de ce grand Univers ;
Et sans me reposer sur la Terre ou sur l'onde,
Je vous aurais cherchés aux quatre coins du Monde.
FLORIDAN.
Et si dans tous ces lieux vous n'eussiez rien trouvé ?
TERSANDRE.
670 | C'est lors que j'eusse pris un vol plus élevé, |
Et que vous estimant les vrais fils de Cythère
J'eusse été vous chercher au Ciel de votre mère.
FLAVIANE, les surprenant.
Quoi que ce beau séjour soit assez éloigné,
Sa soeur pour ce sujet l'aurait accompagné.
FLORIDAN.
675 | Madame, je rougis de tant de complaisance, |
Me voyant sans mérite, et même sans naissance ;
Quel service assez grand pourra bien m'acquitter,
Avant que le Destin me force à vous quitter.
FLAVIANE.
Nous quitter. Ha ! ce mot sensiblement me touche ;
680 | Qu'il ne parte jamais de votre belle bouche : |
Mais afin d'obliger un coeur qui vous chérit,
Que ce dessein plutôt sorte de votre esprit.
TERSANDRE.
Oui, de grâce, éloignez un dessein si funeste,
Et ne nous privez pas du seul bien qui nous reste.
FLORIDAN.
685 | Endurer si longtemps nos importunités, |
Ce sont les doux effets de vos civilités :
Mais pour nous revancher d'un si louable office,
Au moins employez nous à vous rendre service.
Nous sommes tout à vous.
FLAVIANE, à part.
Dieux ! Que d'humilité,
690 | Et que de complaisance avec tant de beauté ; |
De moment en moment je me sens enflammée,
Par le feu de ses yeux dont mon âme est charmée.
TERSANDRE, à Floridan.
Que vous nous obligez par ce consentement !
Ma soeur, je vous procure un divertissement.
FLAVIANE.
695 | Et quel ? |
TERSANDRE.
Celui d'ouïr l'harmonie excellente |
D'une douce guitare, et d'une voix charmante.
FLAVIANE.
Vraiment vous m'obligez.
FLORIDAN.
Ha ! N'en croyez pas tant.
TERSANDRE, à Clymène.
Elle est auprès du lit.
CLYMÈNE, sortant.
Je l'apporte à l'instant.
FLAVIANE.
Je n'espère pas moins que de rares merveilles.
TERSANDRE.
700 | Il sait l'art de ravir le coeur par les oreilles. |
FLAVIANE, à part.
Ses yeux mieux que sa voix me l'ont déjà ravi,
Et dessous leur pouvoir il se trouve asservi :
Elle voit Clymène qui rentre avec la guitare.
Mais, comme si ce coeur refusait de se rendre,
Voici d'autres moyens pour l'achever de prendre.
Elle offre la guitare à Floridan.
705 | Vous pouvez maintenant contenter nos désirs, |
Et par ce doux concert nous combler de plaisirs.
FLORIDAN, la prenant.
Je serais vain, Madame, autant que téméraire,
Si j'osais aspirer à l'honneur de vous plaire :
Mais je serai content, et plus que satisfait,
710 | Si mon obéissance obtient le même effet. |
FLAVIANE.
Ce que vous obtenez passe votre espérance.
FLORIDAN.
Je vais donc obéir avec plus d'assurance.
Elle chante ce qui suit.
Tiens toi sûr de la vie,
Et n'appréhende pas
715 | D'encourir le trépas, |
Puis qu'à te conserver mon amour me convie.
CLYMÈNE.
Ô Dieux ! Je suis charmée.
FLAVIANE.
Autant que votre voix,
L'instrument me ravit, animé sous vos doigts.
FLORIDAN.
Il me restait encore à publier moi-même
720 | Ces défauts inconnus. |
FLAVIANE.
Tels qu'ils sont je les aime. |
FLORIDAN.
Je suis bien redevable à l'extrême bonté
Que vous me témoignez sans l'avoir mérité.
TERSANDRE.
Mais je ne songe pas que levé dès l'Aurore,
Il vous serait besoin de reposer encore,
725 | Vous plaît-il faire un somme attendant le repas ? |
FLORIDAN.
Vous avez trop de soin pour qui ne le vaut pas.
ACTE III
FLORIDAN, ALCINOR, TERSANDRE, DORIMON.
SCÈNE PREMIÈRE.
FLORIDAN, seule dans une chambre, sortant de dessus un lit.
Puissant Dieu du Sommeil, en vain tu veux m'abattre,
Je ne saurais dormir lors que je dois combattre ;
Mars me donne un emploi meilleur que ton repos,
730 | Et j'estime un laurier plus que tous mes pavots ; |
Il faut vaincre ou mourir où ce Dieu nous appelle,
Notre mort en ce lieu ne peut être que belle ;
Et si mon bras terrasse un barbare amoureux,
On parlera par tout de ce coup généreux.
735 | Oui, les neveux diront, apprenant mon histoire, |
Elle était de son sexe, et l'honneur et la gloire.
Mais, lâches sentiments d'un amour aveuglé,
Où portez vous mon coeur que vous avez troublé ;
Perdre un jeune héros dont je me vois aimée
740 | Seulement par le bruit que fait ma renommée, |
Qui s'expose au combat pour mes seuls différents,
Et qui vient pour venger la mort de mes parents.
Amour, pardonne moi si je n'y puis entendre :
Mais il s'est déclaré l'ennemi de Tersandre.
745 | Allons sans plus tarder acquérir du renom, |
Il faut dans ce combat signaler notre nom ;
Et sans considérer qu'il vient pour ma défense,
Le faire repentir d'un dessein qui m'offense.
Comme tout à propos, dans cet appartement,
750 | Je trouve ce qu'il faut pour mon déguisement, |
Avec ce casque en tête, et sous cette casaque,
Je semblerai Tersandre, à celui qui l'attaque,
Et mon cruel amant croira voir son vainqueur,
Il n'en sera pas loin puisqu'il est dans mon coeur ;
755 | C'est lui qui conduira cette main vengeresse ; |
Lui qui me donnera la force avec l'adresse
D'achever le destin de cet hydre puissant,
Moi par qui tant de fois on l'a vu renaissant :
Mais, puis qu'en cet état je suis méconnaissable,
760 | Hâtons nous d'occuper une place honorable ; |
Exécute, mon bras, mon coeur te l'a permis,
Ce que trois assassins auraient sans toi commis.
Qu'il meure, ce Barbare, ennemi de ma joie,
Il faut que dans son sang mon déplaisir se noie ;
765 | Tu sais depuis long temps ce métier généreux, |
Et que tes moindres coups sont toujours dangereux.
Mais j'aperçois déjà ce superbe adversaire,
En faveur de l'enfant dont tu chéris la mère.
Prête moi ton secours, puissant Dieu des combats,
770 | Et fais qu'au premier coup ce monstre tombe à bas. |
SCÈNE II.
Floridan, Alcinor.
FLORIDAN.
Est-ce toi, criminel ? Est-ce toi, téméraire ?
ALCINOR.
Est-ce toi, meurtrier ? Est-ce toi, sanguinaire ?
FLORIDAN.
Ces compliments à part, voyons à qui le sort
Dans ce duel égal a préparé la mort.
Alcinor tombe par hasard au premier coup qu'il porte, et Floridan le désarme.
775 | Hé bien, mon Cavalier, en l'état où vous êtes, |
Approuvez-vous encor le combat que vous faites ?
Soutenez vous Claironde, et son mauvais parti ?
ALCINOR.
De l'erreur où j'étais je me trouve sorti ;
Je la soutiens, pourtant, non comme vengeresse,
780 | Le Ciel me le défend, mais comme ma maîtresse ; |
Et quoique le hasard, plutôt que votre effort,
Ait mis tout mon espoir à deux doigts de la mort ;
Je serai trop heureux, si vous m'ôtez la vie,
Que pour un tel sujet elle me soit ravie.
FLORIDAN.
785 | Amant trop généreux, votre insigne vertu |
Relève hautement votre corps abattu ;
Et je voudrais plutôt, d'une belle espérance,
Pouvoir favoriser cette persévérance.
ALCINOR.
Si j'ai quelque vertu, j'ai bien plus de bonheur,
790 | C'est par lui seulement que j'obtiens tant d'honneur : |
Mais avant mon départ de ce lieu si propice,
Je prétends vous offrir mon très humble service,
Dedans votre château, si vous le permettez.
FLORIDAN.
Vous y serez reçu comme vous méritez,
795 | Et c'est une faveur dont mon coeur vous conjure. |
ALCINOR, sortant.
Oui, j'irai réparer une si lâche injure.
FLORIDAN, seule.
De quelle fermeté ne me puis-je vanter,
Si l'extrême péril n'a su m'épouvanter ?
Aussi l'heureux succès. Mais, vois-je pas Lucine ?
Elle se retire, à l'écart.
800 | Abaissons la visière, et tenons bonne mine. |
SCÈNE III.
Dorimon, Floridan.
DORIMON.
D'un secret sentiment mon esprit agité,
Me fait croire le coup dont il s'était douté.
Ce n'est pas sans dessein que Claironde est sortie,
De l'humeur dont elle est, sans m'avoir avertie.
805 | Tout cela m'est suspect, et j'attends de ma peur |
Un effet que le Ciel veuille rendre trompeur.
Mais que fait ce guerrier dans cette solitude,
Serait-ce point l'auteur de mon inquiétude,
Et de qui le cartel me cause tant d'ennui ? [ 2 Cartel : Autrefois, dans les tournois, défi de chevalier à chevalier. [L]]
810 | Approchons hardiment, et sachons si c'est lui. |
Mon brave.
FLORIDAN, levant la visière.
Que veux-tu ?
DORIMON.
Dieux ! Je parle à Claironde :
Ô courage incroyable ! Ô Fille sans seconde !
Madame, hé quel dessein par ce déguisement ?
FLORIDAN.
Vaincre, comme j'ai fait, ce téméraire Amant,
815 | Après une si belle, et si noble conquête, |
As-tu là des lauriers pour couronner ma tête !
DORIMON.
Pour bien récompenser cet acte généreux,
Il faut joindre aux lauriers les myrtes amoureux ;
Et que deux déités secondent vôtre attente,
820 | Par le prix d'un vainqueur, et celui d'une amante. |
FLORIDAN.
Tersandre mon espoir, je ne veux que ton coeur,
Qu'il soit le prix d'Amante, et celui de vainqueur ;
Je crois que c'est un bien auquel je puis prétendre :
Est-il mieux dû qu'à moi qui viens de le défendre ?
DORIMON.
825 | Mais comment, et de qui le pourra-t'il savoir ? |
FLORIDAN.
De son propre ennemi qui doit le venir voir,
Croyant que ce soit lu... Dieux ! Je le vois paraître.
DORIMON.
Ne vous éloignez pas, il ne vous peut connaître ;
Et pour lui faire un tour dont il sera déçu,
830 | Donnez moi le cartel que vous avez reçu, |
Aussi bien est-ce à lui que ce papier s'adresse.
Elle lui donne ce Cartel, et se tire à l'écart.
FLORIDAN.
Conduis donc cette affaire avec beaucoup d'adresse.
SCÈNE IV.
Dorimon, Tersandre, Floridan.
DORIMON.
Je vous y prends, Monsieur, que faites-vous ici ?
TERSANDRE.
J'y cherche Floridan.
DORIMON.
Je le cherchais aussi.
835 | Mais il faut qu'il ait pris une route inconnue. |
TERSANDRE.
Quel sort injurieux le cache à notre vue ?
DORIMON.
Solitaire qu'il est, et d'humeur à rêver,
Je crois que dans ce parc nous le pourrions trouver,
TERSANDRE.
J'approuve cet avis, allons-y donc ensemble.
DORIMON.
Elle dit ce premier mot bas.
840 | Bon, qu'apercevez-vous ? |
TERSANDRE.
Un guerrier, ce me semble. |
DORIMON.
Ô sinistre malheur ! Ô fâcheux accident !
TERSANDRE.
Quel malheur ? N'est-ce point un nouveau prétendant ?
Un de ces aveuglés, que l'amour enveloppe
Dans le parti fatal de notre Pénélope,
845 | Et qui vient pour donner ou recevoir la mort ? |
DORIMON.
Je ne saurais juger qui de vous deux a tort,
Par ce discours obscur que je ne puis comprendre.
TERSANDRE.
En vain vous me celez ce que je puis apprendre ;
Ou dites-moi qui c'est, ou je le vais trouver.
DORIMON, l'arrêtant.
850 | Vous jugez à peu prés ce qui doit arriver, |
Et puis qu'il faut ici vous déclarer le reste ;
Vous le pourrez savoir de ce papier funeste,
Que je me suis chargé de vous faire tenir.
TERSANDRE, lit ce Cartel qui suit.
Après avoir détruit une illustre famille,
855 | Tu ne mérites pas de respirer le jour ; |
Je viens te le ravir, pour venger une fille
Qui sera par ta mort le prix de mon amour.
TERSANDRE, sortant.
Qu'il attende un moment, je m'en vais revenir.
FLORIDAN, à Dorimon.
Cours vite l'arrêter, et fais si bien en sorte
860 | Que je puisse avant lui rentrer par l'autre porte ; |
Ce harnois, dont sans doute il se sert aux combats,
Me pourrait découvrir s'il ne le trouvait pas.
SCÈNE V.
ALCINOR, seul.
Vous qui de l'Innocent embrassez la défense,
Justes Dieux, je connais maintenant mon offense ;
865 | Et pour avoir permis ce qui m'est arrivé, |
Je recouvre le sens duquel j'étais privé.
Tersandre est généreux, et Claironde est cruelle,
Devais-je soutenir son injuste querelle ?
Devais-je lui prêter mes armes et ma main ?
870 | Non, non, comme son coeur, cet acte est inhumain. |
J'avais tort d'attaquer un si noble courage ;
J'avais tort de servir l'insatiable rage
D'une fille insolente, et dont la cruauté
Devait m'être un obstacle à chérir sa beauté.
875 | Donques de mon esprit effaçons son image, |
A qui mal à propos mon coeur rendait hommage ;
Et dans le repentir d'un injuste duel,
Choisissons pour ami son ennemi mortel ;
Aussi bien j'ai promis de lui rendre visite,
880 | C'est le moins que je doive à son rare mérite. |
Dieux, qu'est-ce que je vois ! Si mon oeil n'est charmé,
C'est lui même ; d'où vient qu'il est encore armé ?
Sans doute un autre Amant l'oblige à se défendre.
Offrons lui notre bras.
SCÈNE VI.
Alcinor, Tersandre, armé comme l'était Floridan, et la visiere abaissée.
ALCINOR.
Hé quoi, brave Tersandre,
885 | Aurez-vous donc toujours les armes à la main, |
Pour repousser l'effort de cet Hydre inhumain ?
TERSANDRE, croyant parler à Meliarque.
Ami, c'est à ce coup qu'éclatera ma rage,
Et que ma cruauté passera mon courage,
Afin que désormais ces amants refroidis,
890 | À venir m'attaquer ne soient plus si hardis ; |
J'assure mon repos par ce coup nécessaire.
ALCINOR.
Pour moi de son amant je deviens adversaire ;
Et pour vous témoigner que je dis vérité,
Je m'offre pour second contre cette beauté.
TERSANDRE, levant la visière.
895 | Quel étrange discours a frappé mes oreilles ? |
N'est-ce point le sommeil qui produit ces merveilles ?
Vous, l'amant de Claironde ; est-ce vous que l'amour
Avait conduit ici pour me ravir le jour ?
Qui vous êtes servi pour faire ce message,
900 | D'un jeune gentilhomme assez beau de visage ? |
ALCINOR.
Moi-même contre qui vous vous êtes battu,
Et que le juste sort a sous vous abattu.
TERSANDRE.
Moi, je me suis battu ? C'est trop m'en faire accroire.
ALCINOR.
L'un de nous est privé de sens ou de mémoire.
905 | Ne vous souvient-il plus que prêt à vous quitter, |
Je promis qu'au château j'irais vous visiter ?
TERSANDRE.
J'ignore ce mystère, et je ne puis comprendre
Comment l'un de nous deux se peut ainsi méprendre.
Je ne vous vis jamais, et vous m'avez promis
910 | De venir au château. Quoi, serions-nous amis, |
Même sans nous connaître ?
ALCINOR.
Ha, quelqu'un nous abuse :
Mais je sais le moyen de découvrir sa ruse.
Voyons si le cartel est écrit de ma main.
TERSANDRE, lui donne a lire.
L'auteur avait l'amour et la vengeance au sein ;
915 | Voyez si je me trompe, et si ces caractères |
À vos sens ébahis passeront pour chimères.
ALCINOR.
Certes c'est maintenant que j'ai perdu l'esprit,
Où je lis un discours que j'ai moi-même écrit.
TERSANDRE.
Ce qui devait servir à dissiper l'ombrage,
920 | Nous cache plus la chose, et brouille davantage ; |
Pourtant, il n'en faut pas demeurer à ce point.
Nous sommes trop avant pour ne poursuivre point
Celui qui dit de vous avoir pris cette Lettre,
Croyez vous que vos yeux le pussent reconnaître ?
ALCINOR.
925 | J'oserais bien jurer que sans m'être montré, |
Aussitôt l'avoir vu je le reconnaître.
TERSANDRE.
Pour nous tirer tous deux de cette incertitude,
Qui nous pourrait causer beaucoup d'inquiétude ;
Faites moi la faveur de venir avec moi,
930 | Nous serons éclaircis à ce que je prévois. |
ACTE IV
DORIMON, FLORIDAN, FLAVIANE, CLYMÈNE, TERSANDRE, ALCINOR, MELIARQUE.
SCÈNE PREMIÈRE.
Dorimon, Floridan.
DORIMON.
Hé bien, de notre tour aurons-nous bonne issue ?
FLORIDAN.
J'ai remis tout mon fait sans qu'il m'ait aperçue ;
Après, d'un cabinet à propos rencontré
Par quelques ais mal joints j'ai vu qu'il est entré ;
935 | Et comme il s'est vêtu de la même casaque. |
DORIMON.
Quand il serait plus fin que le Prince d 'Ithaque,
Je crois que de l'auteur il ne se peut douter.
FLORIDAN.
Mais quel bon artifice, afin de l'arrêter
Dans un temps si pressant, as-tu mis en usage ?
DORIMON.
940 | Je commence mon jeu par un triste visage ; |
Après, pour feindre mieux, d'un esprit irrité
J'accuse vôtre humeur d'extrême cruauté ;
Et voulant contre vous témoigner plus de rage,
J'offris pour le servir mon bras et mon courage.
FLORIDAN.
945 | Et s'il t'eut prise au mot ? |
DORIMON.
Mon esprit combattu, |
De ce coup nécessaire eut fait une vertu.
FLORIDAN.
Oui, car dans ce duel tu n'avais rien à craindre.
DORIMON.
N'était-ce pas assez puisque j'avais à feindre.
FLORIDAN.
Et tu le fais si bien quand tu veux témoigner
950 | Que seule dans ton coeur Clymène peut régner. |
DORIMON.
À propos de maîtresse, il faut que je vous blâme
D'être près de la vôtre avec si peu de flamme ;
Elle brûle pour vous d'un feu continuel,
Et vous lui refusez un amour mutuel.
955 | Ha ! C'est trop d'injustice, et trop d'indifférence |
Payez-la pour le moins d'une belle apparence,
Puisque vous ne pouvez la contenter d'effet.
FLORIDAN.
Lucine, montre moi le don qu'elle t'a fait,
N'en as-tu pas reçu pour parler de la sorte ?
960 | Je juge à ton discours que la chose t'importe. |
DORIMON.
Celle pour qui je feins de l'inclination,
Me fait exécuter cette Commission ;
En un mot, c'est Clymène, à qui votre maîtresse
Parle confidemment de l'ardeur qui la presse,
965 | Et qui par son moyen espère du secours ; |
C'est à vous maintenant que nous avons recours,
Traitez plus doucement une si belle amante.
FLORIDAN.
Ha ! qu'il paraît ici que rien ne te tourmente ;
Car si tu ressentais la moitié de mon mal,
970 | On te verrait moins gaie, et l'esprit moins égal. |
DORIMON.
Quoi donc : vous nommez, mal, des voeux et des caresses
Qui s'adressent à vous pour finir vos tristesses.
FLORIDAN.
Ces caresses, ces voeux et tous ces compliments
S'adressent moins à moi qu'à mes faux vêtements.
DORIMON.
975 | Taisons-nous, j'aperçois Flaviane et Clymène |
Qui se viennent conter leur amoureuse peine.
FLORIDAN.
Cette pâle couleur dont le visage est peint,
Montre assez de quel mal leur coeur se trouve atteint.
SCÈNE II.
Clymène, Flaviane, Floridan, Dorimon, à l'écart.
CLYMÈNE.
Madame, d'où vous vient ce trouble extraordinaire ?
FLAVIANE.
980 | D'une fille, ou plutôt d'un monstre sanguinaire. |
CLYMÈNE.
Ha ! Chassez ce penser.
FLAVIANE.
Je ne puis l'oublier.
CLYMÈNE.
Pourquoi ?
FLAVIANE.
J'ai vu mon frère avec un cavalier,
De qui le procédé m'est de mauvais augure.
CLYMÈNE.
C'est trop s'épouvanter sur une conjecture,
985 | Peut-être est-ce quelqu'un qui cherche avecque lui |
Le moyen de finir ses maux, et votre ennui,
Et l'accueil qu'ils se font m'est un meilleur présage.
FLORIDAN.
Ha ! L'on voit trop souvent que sous un gai visage
On cache des desseins funestes et cruels,
990 | Et principalement ceux qui font les duels ; |
Ainsi leur bon accueil ne détruit pas ma crainte.
DORIMON, bas.
Allez flatter le mal dont son âme est atteinte.
FLORIDAN.
Allons, et paraissons moins charmeurs que charmés.
CLYMÈNE.
On vient à nous, hé Dieu ! Ce sont nos bien aimés
995 | Qui viennent à propos pour nous tirer de peine. |
FLORIDAN.
Quel destin favorable en ce lieu nous amène ?
FLAVIANE.
Le bien de ce rencontre est pour nous seulement.
FLORIDAN.
Ha ! Ne nous privez pas d'un bonheur si charmant :
Mais si vous ne trouvez ma demande importune,
1000 | D'où vient que votre front témoigne une infortune ? |
Est-ce mon frère ou moi qui vous causons ce mal ?
Et notre seul aspect vous est-il si fatal ?
Dorimon et Clymène vont faire un tour de Parc ensemble, tandis qu'elles s'entretiennent.
FLAVIANE.
Bien que l'extrême peur dont mon âme est gênée,
À votre seul aspect doit être terminée ;
1005 | Ou que pour vous donner plus de contentement, |
Je dusse vous cacher l'excès de mon tourment ;
Si ne puis-je pourtant que je ne vous déclare
La crainte que me donne une fille barbare,
Dont les lâches amants se font, pour sa beauté,
1010 | Ministres de sa rage, et de sa cruauté. |
FLORIDAN.
Est-ce à vous qu'elle en veut ? Je prends votre défense,
Et m'offre de punir une telle insolence :
Commandez seulement que je l'aille étouffer.
FLAVIANE.
Elle en veut bien à moi cette peste d'Enfer,
1015 | Puisque faisant mon frère objet de leur conquête, |
Au bout d'un fer sanglant elle veut voir sa tête :
Mais traître, si tu viens seconder son dessein,
Je jure de te mettre un poignard dans le sein,
En dussai-je mourir, nous périrons ensemble ;
1020 | Et si là bas encor le Destin nous assemble, |
Mon ombre furieuse au milieu des Enfers
Te tourmentera plus que les feux et les fers.
FLORIDAN.
Qui donc nommez-vous traître ?
FLAVIANE.
Un jeune gentilhomme,
Je ne sais quel il est, ni comment il se nomme :
1025 | Mais j'ai vu qu'à mon frère il parlait d'action, |
Et je crains qu'un appel soit sa commission.
FLORIDAN.
Si j'apprends qu'il ait fait une telle entreprise,
Je saurai l'empêcher par force ou par surprise ;
Tenez pour assuré ce que je vous promets,
1030 | Et s'il n'arrive ainsi ne m'estimez jamais. |
FLAVIANE.
Tigresse qui ne vis que de fiel et d'envie,
Donques tant de combats ne t'ont point assouvie ?
Donques l'ardente soif qui te brûle le coeur
S'augmente d'autant plus que mon frère est vainqueur ;
1035 | Et sans craindre du Ciel l'équitable colère, |
Tu veux l'ôter des mains de son Dieu tutélaire ?
Lâche qui ne sais pas que contre un innocent
Quelque effort que l'on fasse, est toujours impuissant.
Donques pour accomplir ton serment exécrable,
1040 | Tu veux boire son sang, panthère abominable, |
Et n'éteindre jamais que dans cette liqueur
Le funeste brasier qui t'enflamme le coeur ?
Mais saches que l'effet de ce voeu sanguinaire
Te coûtera la vie aussitôt qu'à mon frère :
1045 | Oui, ne te promets pas de survivre un moment |
Celui que ta fureur veut mettre au monument,
Un mortel ennemi te reste en ma personne,
Et pour te déchirer je deviendrai lionne :
Monte pour te sauver dedans le firmament,
1050 | Son signe en ma faveur agira puissamment ; |
Cache toi si tu veux au centre de la Terre,
Je sais trop le moyen de t'y porter la guerre ;
Va chercher un asile au plus creux de la mer,
Le feu de ma colère ira t'y consommer ;
1055 | Descends dans les Enfers pour éviter ma rage, |
Ton ombre sentira l'effort de mon courage ;
Ainsi dans quelque lieu que te souffre le sort,
Tu ne peux éviter le supplice ou la mort.
FLORIDAN, bas à l'écart.
Ressentiments, courroux, transports, fureurs, audace,
1060 | Faisons la repentir de sa fière menace : |
Mais le coup de sa mort me perd en la perdant ;
Amour console moi dans ce triste accident.
FLAVIANE.
Voyez qui vient à nous.
FLORIDAN.
Madame, c'est Tersandre
Avec ce cavalier : mais laissons nous surprendre.
SCÈNE III.
Tersandre, Alcinor, Floridan, Flaviane.
ALCINOR, reconnaissant Floridan.
1065 | Enfin notre bonheur nous le fait rencontrer. |
TERSANDRE.
Ce n'est pas celui-là que je veux vous montrer.
ALCINOR.
C'est lui même pourtant, si mon oeil ne s'abuse,
Qui peut rendre le jour à mon âme confuse,
Et nous tirer tous deux d'un extrême souci,
1070 | Ayant reçu de moi le papier que voici. |
TERSANDRE.
Loin de perdre celui dont mon âme est atteinte,
Je descends plus avant dedans ce labyrinthe ;
Vous l'avez, dites vous, chargé de cet appel ?
ALCINOR.
Lui même s'est offert à porter le Cartel.
TERSANDRE.
1075 | Il me vient toutefois de la main de son frère : |
Mais apprenons de lui comment va cette affaire.
Ici, cher Floridan, je vous trouve à propos,
Et pour votre décharge, et pour notre repos.
FLORIDAN.
Si c'est pour vous servir la rencontre est heureuse.
TERSANDRE.
1080 | Nous apprendre une chose incertaine et douteuse, |
Qui nous coûte déjà tant de pas et de voeux,
Est en quoi vous pouvez nous obliger tous deux.
FLORIDAN.
Dites moi quelle elle est, si j'en ai connaissance,
Je vous satisferai de toute ma puissance.
TERSANDRE.
1085 | Après avoir tiré d'un effort généreux |
D'entre trois assassins ce guerrier valeureux,
Vous ayant déclaré qu'un dessein de vengeance
L'obligeait à me voir armé pour ma défense ;
L'avez-vous pas contraint à vous faire porteur
1090 | De ce fatal écrit dont il était l'auteur ? |
FLORIDAN.
Il est vrai, je m'offris de le porter moi-même,
Me défiant d'un autre en ce péril extrême :
Mais c'était à dessein d'empêcher ce combat.
FLAVIANE.
D'un excès de plaisir le coeur au sein me bat.
TERSANDRE.
1095 | Quel est donc cet ami qu'une vaillante audace |
A fait dans ce duel s'emparer de ma place ?
FLORIDAN.
Quelqu'un s'est-il battu ?
TERSANDRE.
Vous changez de couleur ;
Craignez-vous d'avouer votre insigne valeur ?
Ha ! Ne rougissez point si ce n'est de ma honte.
FLORIDAN.
1100 | Quoi que ce traître sang au visage me monte, |
Son effet passe-t-il pour un signe assuré,
Que je sois l'ennemi qu'il a vu sur le pré ?
TERSANDRE.
Vous savez comme nous qu'il est de sa nature
Le véritable appui de notre conjecture :
1105 | Mais sans vous échapper par ce raisonnement, |
D'un si digne combat parlez nous franchement.
FLORIDAN.
Puis qu'il faut déclarer ce que je voulais taire ;
Il est vrai que c'est moi qui fus son adversaire,
Piqué des vains discours de ce même guerrier
1110 | Qui prétendait cueillir un injuste laurier. |
TERSANDRE.
Quoi, pour me mettre au port, s'exposer à l'orage,
Aviez-vous peur en moi d'un manque de courage ?
Craigniez-vous que mon bras ne fut pas assez fort ?
Et que je succombasse à ce dernier effort ?
FLORIDAN.
1115 | Les preuves de valeur que vous avez rendues ; |
Ces rivières de sang justement répandues,
Et tant de beaux exploits, dont on m'a fait récit,
Pouvaient de cette peur délivrer mon esprit ;
Aussi ne croyez pas que pour votre défense,
1120 | Je me sentisse atteint de cette défiance ; |
Plutôt j'avais dépit que ce nouvel amant
Osa vous attaquer si fort insolemment ;
Et pour mettre un obstacle à sa funeste envie,
J'exposerais encore, et mon sang et ma vie :
1125 | Heureux si je mourais les armes à la main, |
Ayant rompu l'effet de son mauvais dessein.
ALCINOR.
Ce généreux discours ne sert qu'à me confondre.
TERSANDRE.
Surpris, confus, ravi, je ne sais que répondre.
FLAVIANE.
Incomparable ami qui nous prêtez secours
1130 | Sans nous l'avoir promis par quelques vains discours, |
Qui croira désormais vos promesses frivoles,
Voyant que les effets précèdent vos paroles ?
TERSANDRE.
Aimable Floridan, protecteur courageux,
Que vous avez rendu mon sort avantageux,
1135 | Et que je dois bénir le moment favorable, |
Qui me fit rencontrer un bras si secourable.
ALCINOR.
Et moi que par deux fois vous avez obligé
Dans le péril de mort où j'étais engagé,
Quels devoirs assez grands faut-il que je vous rende,
1140 | Qui puissent m'acquitter d'une faveur si grande ? |
FLORIDAN.
Être pour mon devoir si dignement traité,
Me faire tant d'honneur, sans l'avoir mérité,
C'est payer peu de chose avec beaucoup d'usure,
Ou me récompenser d'une faveur future.
TERSANDRE.
1145 | Certes, cher Floridan, il n'appartient qu'à vous |
D'être vaillant et beau, galant, modeste et doux,
Et comme ces vertus sont rarement ensemble,
Aussi n'est-ce qu'en vous que le Ciel les assemble.
FLAVIANE.
On ne peut dire assez, parlant des beaux trésors
1150 | Dont il vous a pourvu l'esprit comme le corps ; |
Et vos perfections vous donnent la licence
D'assurer que d'un Dieu vous tenez la naissance.
FLORIDAN.
Ce titre glorieux qui me rend tout confus,
Flatte trop mon esprit pour en faire refus,
1155 | Et malgré mes défauts il faudra que j'avoue |
Que je suis quelque Dieu puis qu'un ange me loue.
FLAVIANE.
Vraiment voilà railler avec tant de douceur
Qu'on ne se peut fâcher contre un si beau gausseur ; [ 3 Gausseur : Celui, celle qui se gausse des autres. Gausser , Terme familier. Se railler. [L]]
Épargnez, toutefois, celle qui vous estime,
1160 | Et ne me flattez point d'un titre illégitime. |
ALCINOR, devenu amoureux de flaviane.
Si les puissants attraits d'une rare beauté
Élèvent à l'honneur de cette dignité,
Ce n'est pas vous flatter d'une injuste louange,
De publier ici que vous êtes un ange.
FLAVIANE.
1165 | Si la fière beauté, dont le charme vainqueur |
Vous a troublé les sens, vous a ravi le coeur,
Oyait votre discours si plein de courtoisie,
Elle aurait bien sujet d'entrer en jalousie.
ALCINOR.
L'adorable beauté, dont le charme vainqueur
1170 | A mes sens enchantez, et m'a ravi le coeur, |
M'écoute proférer ce discours véritable,
Et ne s'en fâche point le jugeant équitable.
FLORIDAN, bas à l'écart.
Sortons, cet équivoque est par trop hasardeux,
Laissons-les quelque temps s'entretenir tous deux.
SCÈNE IV.
Flaviane, Alcinor.
FLAVIANE.
1175 | Ces mots cachent un sens difficile à comprendre. |
ALCINOR.
Consultez vos beaux yeux ils pourront vous l'apprendre.
FLAVIANE.
On ne consulte point des muets ni des sourds :
Mais pour vous découvrir celui de mon discours
Je parle de Claironde.
ALCINOR.
Et moi, de vous, Madame,
1180 | Qui seule absolument régnez dedans mon âme. |
Pardonnez ces transports à ma sainte amitié,
Et rendez vous sensible aux traits de la pitié ;
Je sais que j'ai failli dans le dessein barbare,
Qui m'a fait attaquer une vertu si rare :
1185 | Mais puisque dans mon coeur rien ne vous est secret, |
Vous savez bien aussi quel en est mon regret.
FLAVIANE.
Vous m'obligez beaucoup.
ALCINOR.
Que ne vous ai-je vue
Avec tous ces appas dont vous êtes pourvue ;
Vous m'auriez fait tomber les armes de la main,
1190 | Et rompre au même instant ce projet inhumain. |
FLAVIANE.
Puisque votre combat s'est passé de la sorte,
Ma haine en votre endroit ne doit pas être forte,
Et vos ressentiments apaisent mon courroux.
ALCINOR.
Ce changement heureux rend mon destin plus doux :
1195 | Mais quelque grand bonheur qui suive ma défaite, |
Je ne saurais goûter qu'une joie imparfaite,
Si je n'obtiens de vous, pour comble de plaisirs
L'honneur de vous servir, où buttent mes désirs.
FLAVIANE.
Je me connais, Monsieur, trop peu considérable
1200 | Pour mériter jamais un sort si favorable : |
Aussi ne crois-je pas que votre intention
Me fasse ici l'objet de votre affection.
ALCINOR.
Je n'en connais pas un qui charme mieux les âmes,
Et les fasse languir en de plus douces flammes.
FLAVIANE.
1205 | Je ne puis que répondre à vos civilités, |
Mon frère saura mieux ce que vous méritez :
Mais qu'est-il devenu ? Votre cajolerie
A duré plus long temps par sa galanterie.
Vous plaît-il qu'au logis nous l'allions retrouver ?
ALCINOR.
1210 | Partout, et devant tous, vous pouvez m'éprouver. |
SCÈNE V.
Dorimon, Clymène, retournant de la promenade.
DORIMON.
Plus je suis avec vous, plus mon âme est ravie,
Et c'est en vous quittant que j'en ai plus d'envie :
Mais donnons quelque trêve à nos discours charmants,
Pour regagner l'endroit où sont nos deux amants.
CLYMÈNE.
1215 | Je crains que notre absence étonne un peu Madame. |
DORIMON.
Croyez-vous qu'elle y songe en l'ardeur qui l'enflamme ?
CLYMÈNE.
Nous approchons du lieu d'où nous sommes partis :
Mais je n'y vois personne, ils sont déjà sortis.
DORIMON.
Quand l'amour mutuel deux jeunes coeurs assemble,
1220 | L'heure n'est qu'un moment alors qu'ils sont ensemble. |
CLYMÈNE.
Il est vrai, Dorimon, qu'étant avecque vous,
On ne peut s'ennuyer.
DORIMON.
Que mon destin est doux,
Et que je suis heureux qu'une si belle bouche
Allège quelquefois la douleur qui me touche.
Elle la baise.
1225 | Ma Reine, mon Soleil. Ha ! Que je vois d'appas |
Dans ces yeux plus brillants.
CLYMÈNE.
Ha ! Ne poursuivez pas ;
Car enfin ce discours tient par trop de la feinte,
Et si vous l'achevez il commence une plainte.
DORIMON.
J'obéis, mon souci : Mais pourquoi m'empêcher
1230 | De vanter un trésor que j'estime si cher ? |
CLYMÈNE.
Pour employer le temps à de meilleures choses,
Au lieu de les semer il faut cueillir les roses.
DORIMON.
Il est vrai que j'ai tort, sans attendre à demain,
Ma bouche fait ici l'office de ma main ;
Elle la baise.
1235 | Jugez si j'ai dessein d'ouïr plus ces reproches, |
Pour obéir plutôt j'ai cueilli les plus proches.
CLYMÈNE.
Puisque vous prenez mal un discours sérieux,
Croyez qu'une autrefois je m'expliquerai mieux.
DORIMON.
Je ne m'étonne pas d'une si froide mine,
1240 | On ne cueillit jamais de rose sans épine : |
Mais à peine d'autant, je veux qu'en mon banquet
Soient mêlés à la rose et le lys et l'oeillet.
Elle veut encore la baiser.
Vous résistez ?
CLYMÈNE.
Fort bien.
DORIMON.
Il faut céder, Clymène,
Où je fais quelque effort, la résistance est vaine.
SCÈNE VI.
Meliarque, Dorimon, Clymène.
MELIARQUE, les voyant se baiser.
1245 | Enfin je vous y prends, au milieu des plaisirs. |
DORIMON.
Vous pourriez mieux que moi contenter vos désirs,
Et je puis sans regret vous voir de la partie.
MELIARQUE.
Il faut pour le présent qu'elle soit divertie,
Flaviane au logis est en peine de vous.
CLYMÈNE.
1250 | N'est-ce point quelque trait de votre esprit jaloux ? |
MELIARQUE.
Pour voir de votre coeur cette doute bannie,
Votre fidèle et moi vous tiendrons compagnie ;
Ce discours vous plaît-il ?
CLYMÈNE.
L'effet me plaira mieux.
Allons, cher Dorimon, suivez nous envieux.
ACTE V
DIOMÈDE, TERSANDRE, MELIARQUE, FLAVIANE, ALCINOR, FLORIDAN, DORIMON, CLYMÈNE.
SCÈNE PREMIÈRE.
DIOMÈDE, seul.
1255 | Après avoir cherché sur la Terre et sur l'Onde, |
Où verrai-je finir ma course vagabonde ?
Et quel antre écarté cache encore à mes yeux
Le sujet d'un voyage aussi long qu'ennuyeux ?
J'ai fait en mille endroits mille tours inutiles,
1260 | J'ai couru vainement la campagne et les villes ; |
J'ai demandé Claironde à tous les habitants
Des lieux où j'ai perdu mes peines et mon temps :
En fin mal satisfait du désir qui me presse,
A quel Dieu désormais faut-il que je m'adresse ?
1265 | Ciel, termine aujourd'hui le malheur de mon sort, |
Et me fais rencontrer, ou Claironde, ou la mort :
Voici deux cavaliers, tente encor la Fortune,
Ta demande, après tout, ne peut être importune.
SCÈNE II.
Tersandre, Meliarque, Diomede.
TERSANDRE.
Que veut cet Inconnu qui s'approche de nous ?
MELIARQUE.
1270 | Je juge à son abord qu'il veut parler à vous. |
DIOMÈDE.
Oserai-je, Messieurs, vous faire une demande,
Dont le sujet me cause une peine très grande.
TERSANDRE.
Dites ce que de nous vous désirez savoir,
Nous vous contenterons de tout notre pouvoir.
DIOMÈDE.
1275 | Ne m'apprendrez vous point de certaines nouvelles, |
De deux jeunes garçons, ou plutôt Demoiselles,
Qu'un projet incertain
TERSANDRE.
Mes sens sont ébahis.
DIOMÈDE.
Sous de faux vêtements fait courir le pays.
TERSANDRE.
Dieux ! Ne serait-ce point Floridan et son frère ?
MELIARQUE.
1280 | L'aventure en tout cas, ne saurait nous déplaire. |
TERSANDRE.
Si vous nous dépeigniez, suivant notre soupçon,
La taille, les habits, l'oeil, le poil, la façon,
Ou quelques qualités dont ils sont remarquables,
Ce discours les rendrait plutôt reconnaissables.
DIOMÈDE.
1285 | Outre les dons du corps et les charmants appas, |
Pour qui mille Guerriers ont souffert le trépas ;
La plus belle des deux, charme, ravit, enchante,
Accordant la guitare aux doux airs qu'elle chante.
TERSANDRE.
Il n'en faut plus douter, c'est elle assurément.
MELIARQUE.
1290 | Je sens naître un espoir de mon ravissement. |
TERSANDRE.
Et moi, dans les transports de mon âme étonnée,
Je ne sais quel destin me parle d'hyménée.
MELIARQUE.
Aimable Dorimon, y pourrai-je arriver ?
DIOMÈDE.
Si vous savez l'endroit où je les puis trouver,
1295 | De grâce, obligez moi... |
TERSANDRE.
N'en soyez plus en peine, |
Et songez à finir votre course incertaine.
DIOMÈDE.
Quoi donc, m'assurez-vous qu'elles soient prés d'ici ?
TERSANDRE.
Chassez de votre esprit le doute et le souci,
Et tardez en ce lieu seulement un quart d'heure.
MELIARQUE.
1300 | Vous ne pouvez avoir de rencontre meilleure. |
DIOMÈDE.
Le Ciel en soit loué, j'attends votre retour,
Avec autant d'espoir que vous montrez d'amour.
SCÈNE III.
DIOMÈDE, seul.
Ô vous dont l'équité règle ici toutes choses,
Qui de nos soins piquants faites naître des roses ;
1305 | Qui voulez qu'au travail succède le repos, |
Et qui nous secourez quand il est à propos !
Quelles grâces, bon Dieu, faut-il que je vous rende,
Pour m'avoir obligé d'une faveur si grande ?
Soyez à l'infini, révéré des mortels,
1310 | Que toujours leur encens fume sur vos autels, |
Qu'ils n'omettent jamais ce devoir légitime,
Et que toujours leur coeur y serve de victime.
Mais attendant le bien qu'on m'a fait espérer,
Jouissons du repos sans plus le différer,
1315 | Mon oeil cède au sommeil que le travail attire, |
Maintenant que je suis sans soin et sans martyre.
Il va reposer à l'un des bouts du Theatre.
SCÈNE IV.
Flaviane, Diomede, endormi.
FLAVIANE.
Amour, de quelle peur troubles-tu mon esprit ?
Dois-je seule pleurer où tout le monde rit ?
Réserves-tu pour moi le fiel et l'amertume,
1320 | Dont se fournit ta mère en sortant de l'écume ? |
De quel nouveau tourment prétends-tu m'affliger ;
Toi qui me promettais de quoi me soulager ?
Dois-je perdre l'espoir dont tu m'avais flattée ?
Déjà de mille soins je me sens agitée,
1325 | Et la voix du Destin me prédit un malheur, |
Qui me fait par avance une extrême douleur.
Alcinor paraît.
Dieux ! Voici cet amant dont la seule infortune
Me peut faire trouver sa rencontre importune.
Que ne puis-je approuver son amoureux dessein,
1330 | Une plus juste ardeur peut-elle être en mon sein ? |
Il m'aime, et je l'estime, ô fâcheuse contrainte !
Qui fait céder mon âme à la première atteinte.
SCÈNE V.
Alcinor, Flaviane, Diomede,
ALCINOR.
Abordons hardiment ce glorieux vainqueur,
Je n'ai plus rien à craindre ayant perdu le coeur.
1335 | Madame, je sais bien que c'est trop entreprendre : |
Mais si j'ose approcher, c'est pour tâcher d'apprendre
Quel cours vous ordonnez à mes tristes ennuis,
Et m'enquérir de vous de l'état où je suis.
FLAVIANE.
Quoi, toujours cajoleur ?
ALCINOR.
Quoi, toujours incrédule ?
FLAVIANE.
1340 | Ma croyance en ce point serait trop ridicule. |
ALCINOR.
Douter encor du mal qu'amour par vous m'a fait.
FLAVIANE.
Je doute de la cause, et non pas de l'effet.
ALCINOR.
Vos yeux n'approuvent pas ce discours qui les touche.
FLAVIANE.
Mes yeux, comme mon coeur, s'expliquent par ma bouche.
ALCINOR.
1345 | Ne désavouez pas les coups de ces beaux yeux, |
Ils sont cruels pour nous ; ils vous sont glorieux.
FLAVIANE.
Ne donnez point de gloire à qui porte une chaîne,
Parlez de cruauté pour qui souffre la gêne.
ALCINOR.
Je parle aussi pour moi dont l'âme et tous les sens...
FLAVIANE.
1350 | Cessez de plaindre en vous un mal que je ressens, |
Et ne m'opposez plus l'amour qui vous possède,
Puisque loin d'en offrir j'ai besoin de remède.
ALCINOR.
Vous, besoin de remède ? Ha ! Discours superflus.
FLAVIANE.
Et trop vrais pour mon bien.
ALCINOR.
Que je reste confus.
FLAVIANE.
1355 | Oui, j'adore Alcinor, puisqu'il faut vous le dire. |
ALCINOR.
Moi, bons Dieux ! Que dit-elle ?
FLAVIANE.
Et mon coeur en soupire.
ALCINOR.
Dois-je croire à sa voix ?
FLAVIANE.
Oui, j'adore Alcinor.
ALCINOR.
Madame, mon respect...
FLAVIANE.
Puis-je en parler encor.
ALCINOR.
Il ne mérite pas...
FLAVIANE.
C'est en vain qu'on le blâme.
ALCINOR.
1360 | Que de joie en mon coeur ! |
FLAVIANE.
Que de peine en mon âme ! |
ALCINOR.
Cette rare faveur...
FLAVIANE.
Sert à me diffamer.
ALCINOR.
Hé, ne savez-vous pas ?
FLAVIANE.
Qu'il ne me peut aimer.
ALCINOR.
Qui, Madame ?
FLAVIANE.
Un cruel.
ALCINOR.
Ô Ciel !
FLAVIANE.
Un coeur de glace.
ALCINOR.
Elle parle d'un autre.
FLAVIANE.
Ingrat à cette grâce ;
1365 | Insensible aux discours dont j'aurais su toucher |
Le marbre le plus froid, et le plus dur rocher.
ALCINOR.
Et vous l'aimez encor.
FLAVIANE.
Puisque mon sort l'ordonne,
J'endure le tourment que sa froideur me donne.
ALCINOR.
Et moi par votre ardeur si contraire à mes feux
1370 | Je languis dans un mal beaucoup plus dangereux. |
FLAVIANE.
Adieu, je suis touchée, et de l'un et de l'autre.
ALCINOR.
Puis qu'avecque le mien je sens aussi le vôtre,
Trouverai-je un remède en votre guérison ?
FLAVIANE.
Oui, si vous n'en trouvez plutôt en la raison.
SCÈNE VI.
Alcinor, Diomede, endormi.
ALCINOR.
1375 | Malheureux Alcinor, quelle est ta destinée, |
Et quel astre inclément la rend infortunée ?
Tu deviens amoureux d'une fille en fureur,
De qui la cruauté te devait faire horreur :
Ton âme est bien ici de raison dépourvue,
1380 | Tu prends ses intérêts sans l'avoir jamais vue, |
Et pour exécuter son barbare dessein
Tu viens sur l'innocent les armes à la main ;
On veut t'assassiner entrant sur cette Terre,
Et sans voir que le Ciel te livre cette guerre,
1385 | Pour divertir ton coeur du dessein qu'il a fait, |
Tu suis les mouvements de ton lâche projet ;
Tu choisis son ami pour lui faire un outrage,
Tu prends ton défenseur pour seconder ta rage,
Et lui-même opposant son bras à ton effort,
1390 | Pour la seconde fois te sauve de la mort : |
Ayant senti les coups d'un Vainqueur légitime,
Tu détestes enfin le sujet de ton crime :
Mais pour tous ces remords en es tu mieux traité,
As-tu lieu d'espérer te voyant rebuté ;
1395 | Sous le prétexte faux d'un autre objet qu'elle aime ? |
Quel conseil dois-je prendre en ce besoin extrême,
Irai-je de son frère implorer le secours ?
La brigue des parents est un faible recours ;
Perdrai-je son ingrat dont le mépris me venge ?
1400 | Et comment le connaître en ce pays étrange ; |
Attendrai-je la fin de son feu qui me nuit ?
Mais languir dans le mien, et le jour et la nuit ;
Remettrai-je en mon coeur une amour mal fondée ?
Dieux ! Préférer au corps une incertaine idée,
1405 | Dans ce mortel danger qui fera son effort |
Pour divertir l'orage, et me pousser au Port ?
Au secours ma raison, Amour m'ôte la vie,
Empêche par tes soins qu'elle me soit ravie ;
Je soumets mon esprit à tes sages avis,
1410 | Pardon si jusqu'ici je les ai mal suivis : |
Espère, me dit-elle, en ta persévérance,
Oui, Raison, tu le veux, j'aurai donc espérance :
Mais sachons, s'il se peut, quel est ce conquérant,
Qui pour tant de beauté se trouve indifférent.
SCÈNE VII.
Diomède, endormi, Dorimon, Clymène.
Alcinor rentre dans le château qui est au milieu du théâtre, et ces deux femmes sortent chacune par un des côtés, disant tout à la fois ce demi-vers sans se voir.
[CLYMÈNE].
1415 | Dieux ! Où puis-je trouver... |
DORIMON.
Que cherche ici Clymène ? |
CLYMÈNE.
Mais vous, cher Dorimon, quel sujet vous amène ?
DORIMON.
L'excès de mon amour te l'apprend assez bien.
CLYMÈNE.
Pourquoi feindre en voyant le même effet du mien ?
DORIMON.
C'est que pour en juger avec plus d'assurance,
1420 | Je désirais t'ouïr confirmer ma créance : |
Mais, après ce discours, loin du moindre soupçon,
Je douterais plutôt que je fusse Garçon.
Aussi ne pense pas que mon coeur dissimule,
Lors que je t'entretiens du beau feu qui me brûle,
1425 | Ce serait faire tort à tes charmants appas, |
Qu'à moins que d'être fille on ne peut n'aimer pas.
CLYMÈNE.
Ha ! trop heureuse Amante.
DORIMON, bas.
Ô trop aveugle Fille !
CLYMÈNE.
Et moi j'atteste aussi ce bel astre qui brille,
Que de ce même feu mon coeur est consumé,
1430 | Et que c'est par vos yeux qu'il y fut allumé. |
DORIMON.
Mais quel bonheur me vient de cette Destinée,
Si je n'ose espérer celui de l'hyménée ?
CLYMÈNE.
Mais qui peut s'opposer à ce chaste dessein,
Si, comme je le crois, vous l'avez dans le sein ?
DORIMON.
1435 | L'humeur de votre sexe, inconstant et volage. |
CLYMÈNE.
Vous aurez du contraire un parfait témoignage.
DORIMON.
Vous vous en dédirez.
CLYMÈNE.
Il ne tiendra qu'à vous
De joindre au nom d'Amant la qualité d'époux ;
Et j'espère qu'enfin vous romprez tout obstacle.
DORIMON, bas.
1440 | Isis encore un coup fera donc le miracle : |
Mais voici Floridan, dont le triste maintien
Semble me préparer un pareil entretien.
CLYMÈNE.
Adieu, de peur qu'ici ma présence vous nuise,
Je vais chercher l'objet dont il tient la franchise,
1445 | Cependant travaillez et pour elle, et pour moi. |
DORIMON.
Oui, je vous le promets...
Bas.
de vous manquer de foi.
SCÈNE VIII.
Diomede endormI, Dorimon, Floridan.
DORIMON.
Quel nouveau déplaisir, quelle étrange amertume
Fait paraître ce front moins gai que de coutume ?
Craignez-vous plus d'orage en approchant du Port,
1450 | Et l'horreur qu'on nous fait présage-t-il la mort ? |
Tout le monde est pour nous, frère, soeur, confidente,
Domestiques, Amis, un regard les enchante,
La soeur, de vos beaux yeux implore la pitié,
Le frère vous fait voeu d'éternelle amitié,
1455 | Clymène et Meliarque en font pour moi de même, |
Quel sujet avons-nous de craindre qui nous aime ?
Madame, croyez moi, le temps est préparé
À dissiper ces flots par un calme assuré.
FLORIDAN.
Ha ! Lucine, en ce point que n'es-tu véritable.
DORIMON.
1460 | Vous en verrez bientôt l'effet si souhaitable : |
Au moins si je dois croire aux secrets sentiments
Qui me font espérer mille contentements.
FLORIDAN.
Je crains qu'en cet habit nous soyons découvertes.
DORIMON.
C'est par là qu'au bonheur les portes sont ouvertes,
1465 | Et nous leur causerons des plaisirs inouïs, |
Quand ces noms de garçon seront évanouis.
FLORIDAN.
Je crains leur changement apprenant qui nous sommes.
DORIMON.
Rassurez vos esprits, et songez qu'ils sont hommes.
FLORIDAN.
Présenter cet appui pour affermir mon coeur,
1470 | C'est vouloir m'assurer par où j'ai plus de peur ; |
Songe que comme nous désirant la vengeance,
La mort suivrait de prés cette reconnaissance.
DORIMON.
Oui bien si leur esprit n'était préoccupé.
FLORIDAN.
Mais quand ils connaîtront que nous l'aurons trompé ?
DORIMON.
1475 | Croyez qu'ils aimeront ces erreurs favorables, |
Pourvu que nous soyons à leurs voeux exorables.
FLORIDAN.
Puisse le juste Ciel seconder ton espoir,
Et faire en ce miracle éclater son pouvoir.
DIOMÈDE, se réveillant.
Il prend Floridan et Dorimon pour Tersandre et Meliarque.
Mon oeil s'ouvre à propos, afin que je revoie
1480 | Ces courtois Cavaliers les auteurs de ma joie ; |
Que je suis redevable à vos soins obligeants,
Il ne fallait, Messieurs, que quelqu'un de vos gens.
FLORIDAN.
Que veut cet inconnu ?
DIOMÈDE.
Verrai-je en fin Claironde,
Après m'en être enquis sur la Terre et sur l'Onde ?
FLORIDAN.
1485 | Ô Dieu ! C'est Diomède. |
DIOMÈDE.
Ha ! Madame, est-ce vous |
Qu'un sort injurieux fit éloigner de nous ?
FLORIDAN.
Approche, Diomède, et reconnais Lucine.
DIOMÈDE.
Ô merveilleux effets de la bonté divine !
Je rends grâce au Destin qui termine aujourd'hui,
1490 | Par votre aimable aspect, ma course et mon ennui. |
FLORIDAN.
Mais venant du pays, dis nous en confidence,
Que pense-t'on de nous ? Quel bruit fit notre absence ?
Mon oncle, qu'en dit-il ?
DIOMÈDE.
Surpris, désespéré,
Cherchant pour vous trouver un moyen assuré,
1495 | Et s'enquêtant à tous de ce malheur étrange ; |
Cinq ou six jours après il rencontra Phalange,
Qui lui dit le sujet, et de quelle façon
Il avait fait pour vous des habits de garçon,
Si je m'en souviens bien.
DORIMON.
La ruse était hardie.
DIOMÈDE.
1500 | On lui dit que c'était pour une comédie. |
FLORIDAN.
Justement.
DIOMÈDE.
Qu'on devait chez vous représenter.
FLORIDAN.
Achève ce discours qui nous peut contenter.
DIOMÈDE.
Sitôt qu'il eut appris cette feinte subtile,
Il emploie un moyen pour son repos utile.
FLORIDAN.
1505 | Quel ? |
DIOMÈDE.
C'est qu'il envoya par des chemins divers |
Un nombre de ses gens visiter l'Univers,
Espérant que quelqu'un pourrait faire rencontre
De celle qu'aujourd'hui la Fortune me montre.
FLORIDAN.
Il veut donc nous revoir.
DIOMÈDE.
Vous lui ferez plaisir
1510 | De hâter le retour. |
FLORIDAN.
C'est aussi mon désir. |
Voici Tersandre, ô Dieux !
DIOMÈDE.
Que dites-vous, Tersandre ?
FLORIDAN.
Oui, Tersandre.
DIOMÈDE.
Et comment ?
FLORIDAN.
Tu vas bientôt l'apprendre.
SCÈNE IX.
Tersandre, Floridan, Dorimon, Diomède.
TERSANDRE, à part.
Où puis-je rencontrer cette rare beauté
Dont le mérite extrême a mon coeur enchanté ?
1515 | Quel obstacle importun me prive de sa vue ? |
Dans l'espoir incertain dont mon âme est pourvue,
Si je ne vois bientôt vos ravissants appas ;
Beaux yeux il est certain que je cours au trépas :
Mais je les vois briller ces astres de ma vie,
1520 | Feignons d'ignorer tout, et sachons son envie. |
D'où vient, cher Floridan, la secrète douleur,
Qui ternit votre teint d'une pâle couleur ?
Vous est-il arrivé quelque malheur sensible ?
Ne me le cachez point.
FLORIDAN.
Il n'est que trop visible,
1525 | Cet homme en ce pays rencontré par hasard, |
M'apporte le sujet qui presse mon départ,
Et dans l'éloignement où mon devoir m'oblige,
Me séparer de vous est le point qui m'afflige.
TERSANDRE.
Ha ! Madame, épargnez ces discours superflus,
1530 | Et puis qu'il m'a tout dit ne vous déguisez plus. |
Oui, de quelque façon que Floridan s'habille,
Je sais qu'un coeur de Mars anime un corps de fille ;
J'en connais le maintien, j'en remarque les traits,
Et je sens le pouvoir de ses divins attraits.
FLORIDAN.
1535 | Oui, Tersandre, il est vrai, je suis cette cruelle |
Qui vous faisait l'objet de sa haine mortelle ;
Je suis cette Claironde à qui votre valeur
Causa le plus sensible et le plus grand malheur,
Qui depuis ce moment pressait les Destinées
1540 | A rompre injustement le fil de vos années ; |
Et qui même aujourd'hui venait mal à propos
Par un sanglant moyen troubler votre repos ;
Mais un pouvoir plus fort que ma rage excessive,
Au premier de vos coups m'a fait votre captive,
1545 | Et ce doux esclavage où mes jours sont réduis |
Avec des fers dorez enchaînent mes ennuis.
TERSANDRE.
De moment en moment voyant quelque merveille,
Depuis hier au soir je crois que je sommeille ;
Vous Claironde, Madame, ha ! bonheur sans pareil.
1550 | Ô le plus heureux jour qu'ait produit le Soleil ! |
Dans de si doux transports, quel assez humble hommage
Rendrai-je à vos beaux yeux dont j'adorais l'image ?
Faut-il pour terminer d'injustes différents,
Que ma main soit trempée au sang de vos parents,
1555 | Et que tant de guerriers, esclaves de vos charmes |
Aient perdu cet honneur par l'effort de mes armes.
Mais je ne songe pas que ces crimes commis
Me font le plus mortel de tous vos ennemis,
Et qu'il me siérait mieux de vous offrir ma tête,
1560 | Que de parler ici d'une injuste conquête : |
Vengez vous donc, Madame, et ne différez plus,
Par un injuste amour vos desseins résolus ;
Perdez cet homicide indigne de vous plaire,
Que je sente l'effet d'une juste colère,
1565 | Et que vos belles mains, ou le feu de vos yeux |
Me donne sur le champ un trépas glorieux.
FLORIDAN.
Si contre l'équité la personne offensée
Sentait le rude coup d'une mort avancée ;
Quel devrait être après le sort du criminel ?
1570 | J'aurais sujet de craindre un tourment éternel. |
TERSANDRE.
Ha ! Ne me flattes point d'une fausse innocence,
En cela seulement se fait voir votre offense ;
C'est moi, c'est moi plutôt qui suis ce criminel,
Qui devrait endurer un supplice éternel.
FLORIDAN.
1575 | Ha ! ne vous privez pas d'un titre véritable, |
En cela seulement vous paressez coupable,
Puisque cent et cent fois d'un dessein trop cruel
Je vous ai procuré la mort dans un duel ;
C'est moi, c'est moi plutôt qui suis la criminelle
1580 | Qui devrait endurer une peine éternelle. |
TERSANDRE.
Puisque tant de héros vos vaincus et les miens
Sont sortis de la main de vos sacrés liens,
Puisque vos cher parents pour de faibles querelles,
Sentirent devant eux ses atteintes mortelles ;
1585 | C'est moi, c'est moi plutôt qui suis ce criminel |
Qui devrait endurer un supplice éternel.
FLORIDAN.
Puisque pour quelque point de trop peu d'importance,
Votre père éprouva du mien la violence,
Puisque tous succombant au serment que je fis,
1590 | J'avais armé mon bras pour égorger son fils ; |
C'est moi, c'est moi plutôt qui suis la criminelle
Qui devrait endurer une peine éternelle.
Mais quoi que ma fureur ait été dans l'excès,
Détestant le dessein, aimes-en le succès.
TERSANDRE.
1595 | Oui, je l'aimerai donc, adorable ennemie, |
Puisque votre clémence a ma tête affermie,
Et semble couronner, oubliant le passé,
Ce front qui dût rougir du sang que j'ai versé.
Si vous croyant garçon mon amitié fut forte,
1600 | Jugez, vous sachant fille, où mon amour me porte. |
SCÈNE X.
Meliarque, Tersandre, Floridan, Dorimon, Diomède.
MELIARQUE, à part.
Après beaucoup de pas, après beaucoup de voeux,
À la fin j'aperçois le sujet de mes feux,
Et ce rencontre heureux dont mon âme est ravie,
Avec un peu d'espoir me conserve la vie.
TERSANDRE.
1605 | Oui, voila notre intime à qui je vais conter |
Que je n'ai désormais personne à surmonter.
Après, cher Confident de mes peines passées,
Que Claironde aujourd'hui les a récompensées,
Adore comme moi, sous ces faux vêtements
1610 | Cette rare beauté, l'espoir de mille amants. |
MELIARQUE.
Dieux ! que m'apprenez vous ? Floridan est Claironde,
Depuis que le soleil donne le jour au monde,
Arriva-t'il jamais un semblable accident ?
Adorable Claironde, aimable Floridan ;
1615 | Que nos ravissements et vos métamorphoses, |
Après tant de soucis vont produire de roses,
Si cette Belle ajoute à mon contentement
L'honneur de la servir en qualité d'amant.
FLORIDAN.
Vous l'honorez beaucoup, et je suis très contente
1620 | Qu'un favorable aveu réponde à votre attente ; |
Lucine, qu'en dis-tu ?
DORIMON.
Si c'est votre désir,
J'y consens.
FLORIDAN.
Oui, ce l'est, et tu me fais plaisir.
MELIARQUE.
Ô bonheur sans égal ! Les Dieux pour ces délices
Vous veuillent préserver de soins et de supplices.
1625 | Et vous qu'un bon génie a conduite en ces lieux, |
Pour asservir mon âme au pouvoir de vos yeux ;
De quoi puis-je payer cette aimable réponse,
Connaissant la valeur du bien qu'elle m'annonce ?
TERSANDRE.
Ne vois-je pas ma soeur ? Elle vient à propos
1630 | Apprendre vos bontés, ma joie et son repos. |
FLORIDAN.
Je crois que ce dernier ne sera pas du conte,
Et qu'apprenant mon sexe elle aura quelque honte.
SCÈNE XI.
Alcinor, Flaviane, Floridan,
Tersandre, Clymène, Meliarque, Dorimon, Diomède.
ALCINOR.
Quoi, n'espérer jamais un plus doux traitement.
FLAVIANE.
Je sais votre mérite, et prise infiniment
1635 | L'honneur que je reçois de votre amour extrême ; |
C'est tout ce que je puis n'étant pas à moi-même,
Floridan a mon coeur.
FLORIDAN, la surprenant.
En mourant à vos pieds,
Il vous rend ce trésor dont vous le gratifiez.
FLAVIANE.
Vous mourez !
FLORIDAN.
Oui, je meurs, pour devenir Claironde.
FLAVIANE.
1640 | Si l'éclaircissement ce discours ne seconde, |
Le moyen de comprendre un secret si caché.
FLORIDAN.
Quand vous verrez mon sein, que vous l'aurez touché,
Serez vous satisfaite ? Et croirez vous le reste ?
ALCINOR.
En fin l'espoir succède à ma crainte funeste.
FLAVIANE.
1645 | Dois-je croire à mes sens ? |
TERSANDRE.
Ma soeur, n'en doutez plus. |
FLAVIANE.
Que dans ces changements mon esprit est confus !
FLORIDAN.
Approche toi, Lucine, et découvre à Clymène
Ce qui doit terminer son amoureuse peine.
CLYMÈNE.
Ô malheur de mon sort !
ALCINOR, à Flaviane.
Dans ce rare accident,
1650 | Qui sera l'héritier du bien de Floridan ? |
FLORIDAN.
M'abandonnant pour vous, aimable Flaviane,
Vous devez l'accepter, et je vous y condamne.
FLAVIANE.
Il vous succédera, puisque vous le voulez.
ALCINOR.
Agréable discours, que vous me consolez !
1655 | Et vous dont la beauté m'avait l'âme ravie, |
Pour la troisième fois vous me sauvez la vie :
Mais pour tant de faveurs je n'ai que des désirs.
FLORIDAN.
Mon coeur reconnaissant vous devait ces plaisirs.
FLAVIANE.
Mais n'apprendrai-je point, suivant mes conjectures,
1660 | Depuis votre départ, vos belles aventures ? |
Car il est malaisé que sous ce vêtement
Vous n'en ayez pas fait presque à chaque moment.
FLORIDAN.
Lors que l'occasion secondera l'envie,
Que vous donne le cours de deux mois de ma vie ;
1665 | Vous saurez des sujets dont un jour à venir |
Les théâtres fameux pourront s'entretenir.
TERSANDRE.
Attendant le récit d'une si belle histoire,
Dont le succès heureux fait ma joie et ma gloire ;
Allons de ce bonheur louer les Immortels,
1670 | Et perdre notre haine aux pieds de leurs autels. |
SCÈNE DERNIÈRE.
CLYMÈNE, seule.
Cesse, mon coeur, de regretter
L'apparence d'un bien offerte,
Puisque tu ne peux la quitter
Sans profiter de cette perte ;
1675 | À quoi te servirait d'être encor amoureux, |
Ayant connu l'erreur d'un choix si malheureux.
Reprends sans déplaisir ta foi
Que j'avais trop mal engagée,
Pour suivre une plus juste loi,
1680 | Où je serai mieux partagée ; |
Je ne me fierai plus à ces mentons rasés,
Dont mes aveugles yeux viennent d'être abusés.
Tôt ou tard il faut arriver
À ce but que tu te proposes :
1685 | Mais touchons-le avant que l'hiver |
Sèche nos oeillets et nos roses :
Une fille sur l'âge est comme un lys fané,
Qui, vieilli sur sa tige, est toujours profané.
Extrait du Privilège du Roi.
Par Grace et Privilège du Roi, donné à Paris le 8. jour d'Avril 1642, Signé par le Roy en son Conseil, le BRUN, il est permis à Augustin Courbé Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer une pièce de Théâtre, intitulée l'Amante Ennemie, durant cinq ans : Et défenses sont faites à tous autres d'en vendre d'autre impression que de celle qu'aura fait faire ledit Courbé, ou ses ayants cause, à peine de trois mil livres d'amende, et de tous ses dépens, dommages et intérêts, ainsi qu'il est plus au long porté par ledit privilège.
Et ledit Courbé a associé audit privilège Antoine de Sommaville, aussi Marchand Libraire à Paris, suivant l'accord fait entre eux.
Achevé d'imprimer le deuxième jour de Mai 1642.
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Notes
[1] Rets : Filet pour prendre du poisson, du gibier. [L]
[2] Cartel : Autrefois, dans les tournois, défi de chevalier à chevalier. [L]
[3] Gausseur : Celui, celle qui se gausse des autres. Gausser , Terme familier. Se railler. [L]