LE REVENANT

OPUSCULE DRAMATIQUE

M. DCC LXXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi.

De SACY, Claude-Louis-Michel

À PARIS, Chez DEMONVILLE. Imprimeur-Librairie de l'Académie Française, rue Saint-Severin, aux Armes de Dombes.


Texte établi par Paul Fièvre, mai 2024.

publié par Paul FIEVRE, juin 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 31/05/2024 à 12:31:47.


PERSONNAGES

UN BOURGEOIS DE PARIS.

UN REVENANT.

La Scène est à Paris.

Extrait de Claude-Louis-Michel de Sacy, " Opuscules dramatiques, ou Nouveaux amusements de campagne, tome premier", Paris, Chez Demonville, Imprimeur-Libraire de l'Académie française, 1778, p. 435-442.


LE REVENANT.

LE REVENANT.

Monsieur, quelle est cette ville immense que j'aperçois ?

LE BOURGEOIS.

De quel pays venez-vous, pour me faire une question si étrange ?

LE REVENANT.

De l'autre monde.

LE BOURGEOIS.

Vous plaisantez : on ne croit plus aux revenants.

LE REVENANT.

Il est vrai que depuis la renaissance des Lettres, les portes des Enfers étaient fermées, et que nous ne pouvions plus en sortir. Mais Dom Calmee et l'Abbé Langlet nous les ont ouvertes, et nous ont permis de nous promener, comme auparavant, sur la surface de ce monde, quand nous nous ennuyons dans l'autre. Cependant ne craignez rien ; je ne suis point un vampire, et ne viens pas vous sucer le sang.

LE BOURGEOIS.

Parbleu ! Je suis charmé de vous rencontrer ; voilà de quoi confondre nos Esprits forts. Je vous présenterai à nos trois Académies, et je vous jure quelles seront fort étonnées.

LE REVENANT.

J'aurai aussi beaucoup de plaisir à les voir. Car j'aimais les Lettres jadis, quoique Gentilhomme. Je me cachais pour lire : je savais même écrire ; et quand, dans un acte, j'avais la complaisance de faire mettre que je ne sa vois pas signer mon nom, c'était simplement par forme, et pour ne pas déshonorer ma famille... Vos Académiciens sont sans doute de grands Clercs, de savants Bacheliers, de profonds Théologiens ?

LE BOURGEOIS.

Eh non ! Monsieur, tout est changé, tous est dégénéré ; toutes les Académies ensemble ne seraient pas capables de soutenir une thèse de Théologie. Vous ne reconnaîtrez plus votre Patrie. Dans quel siècle viviez-vous !

LE REVENANT.

J'étais un des principaux Officiers du Roi Louis le Gros. Je brillais beaucoup à sa Cour. J'avais deux valets, et la permission de faire servir deux plats sur ma table, et deux mets dans chaque plat. Les envieux criAient beaucoup contre mon luxe. Mais je les laissais dire. Au reste, j'en ai fait pénitence là-bas. Ne me le reprochez point, et faites-moi revoir ma Patrie.

LE BOURGEOIS.

Vous la voyez.

LE REVENANT.

Je demeure stupéfait ! Quoi ! C'est-là Paris ! Même avant d'y entrer, quel spectacle ! Comme ces arbres font alignés ! Nous savions aligner des armées, nous autres ; mais nous n'entendions rien à aligner des arbres. Dieux ! Que Paris est changé ! Je m'aperçois cependant qu'on y a conservé un peu de boue, sans doute par respect pour son ancien nom de Lutèce. Car je me souviens que, de mon temps, un savant fit une dissertation de deux mille pages, pour prouver que Lutèce vient de Lutum. Ce savant-là était le plus beau Génie de notre siècle ; et le Roi qui protégeait les talents agréables, lui donna une riche abbaye... Mais que vois-je ! Que de chars ! En voici un qui a passé près de moi avant que j'eusse le bonheur de vous rencontrer. J'ai pris pour une Princesse et sa Dame d'honneur, les deux personnes qui étaient dedans ; je me suis incliné jusqu'à terre pour les saluer ; elles ont fait un éclat de rire. Bon, disais-je, j'aime à voir rire les Princesses. Les Francs ne sont point changés... Cependant je vous avoue que le luxe de la Princesse m'a choqué. De mon temps elles voyageaient en croupe derrière leurs époux. C'était-là leur char le plus magnifique.

LE BOURGEOIS.

Ce char s'appelle un fiacre ; la Princesse qui est dedans est une petite Marchande, et la Dame d'honneur est sa cuisinière. Ainsi ne vous inclinez plus devant chaque voiture que vous verrez, car vous auriez trop à faire.

LE REVENANT.

Ce Palais que j'aperçois est sans doute celui d'un Prince.

LE BOURGEOIS.

Non, Monsieur ; c'est la maison d'un commis.

LE REVENANT.

Comment ! Vos Commis sont mieux logés que ne l'étaient autrefois les Rois, et même les Révérends Pères Carmes.

LE BOURGEOIS.

Cet autre hôtel est celui de sa femme.

LE REVENANT.

Quoi ! Le mari et la femme ne demeurent pas ensemble ! C'est par esprit de chasteté sans doute ?

LE BOURGEOIS.

Oui ; les maris sont chastes avec leurs femmes, et les femmes sont chastes avec leurs maris : c'est une vertu réciproque.

LE REVENANT.

Et quel est cet autre édifice à la porte duquel je vois tant de monde s'empresser ?

LE BOURGEOIS.

C'est une Salle de Spectacle.

LE REVENANT.

Je ferai charmé de la voir. Nous n'avions point de Spectacle, nous autres, parce que nous n'avions ni goût ni lumières ; mais depuis, les mystères s'établirent. Mes descendants furent, de tous les Seigneurs, ceux qui les accueillirent le plus. Aussi les regarda-t-on comme les protecteurs des Beaux-Arts. L'un d'eux entre autres joua, m'a-t-il dit, le rôle de Barabas dans la Passion, de manière à faire pleurer tous les Assistants. Vous voyez que je ne suis pas dans Paris aussi étranger que vous pensez, et que je me connais en Théâtre... Ah Dieu ! De quel nuage de parfums je me sens suffoqué ! Quel est ce joli automate qui vient de passer près de moi ?

LE BOURGEOIS.

C'est un militaire.

LE REVENANT.

Un militaire ! Lui ! J'ai cru que c'était une femme déguisée en homme. Si nous n'avions eu que de pareils soldats pour nous défendre contre nos ennemis...

LE BOURGEOIS.

Monsieur le Revenant, si ce joli automate vous entendait, il vous renverrait aux lieux dont vous venez. Pour faire la guerre, il ne faut plus que de la bravoure ; et à cet égard nous valons bien nos ancêtres.

 



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