COMÉDIE EN UN ACTE ET EN PROSE.
REPRÉSENTÉE AU MONASTÈRE DE GANDERSHEIM, AU DIXIÈME SIÈCLE.
[Transcription de CHARLES MAGNIN]
1826.
Transcription de CHARLES MAGNIN.
PARIS, CHEZ J.-N. BARBA, ÉDITEUR, PROPRIÉTAIRE DES OEUVRES DE MM. PIGAULT , PICARD ET DUVAL, COUR DES FONTAINES N° 7. Et au grand Magasin de Pièces de Théâtre, Palais-Royal, derrière le Théâtre Français.
IMPRIMERIE DE A. CONIAM, Rue du Faubourg Montmartre, N. 4.
Texte établi par Paul FIEVRE novembre 2023
Publié par Paul FIEVRE décembre 2023
© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:06:15.
ARGUMENT.
Martyre des saintes vierges Agapé, Chionie et Irène. Dulcitius, commandant des gardes de l'Empereur, va trouver furtivement ces pieuses filles pendant le silence de la nuit, dans une intention criminelle ; mais à peine est-il entré que, perdant tout à coup la raison, il saisit, au lieu des vierges, des marmites et des lèchefrites, et les couvre de baisers, au point que sa figure et ses vêtements en sont horriblement noircis. Ensuite, par ordre de Dioclétien, il livre ces saintes prisonnières au comte Sisinnius, chargé de les punir. Le comte est à son tour le jouet des plus singulières illusions. Enfin Sisinnius fait brûler Agapé et Chionie, et percer Irène à coups de flèches.
PERSONNAGES.
DIOCLÉTIEN.
AGAPÉ.
CHIONIE.
IRÈNE..
DULCITIUS.
LA FEMME DE DULCITIUS.
SISINNIUS.
HUISSIERS DU PALAIS IMPÉRIAL.
GARDES.
Texte extrait de "Théâtre européen, Nouvelle collection des chefs d'oeuvre des théâtres (...) : Théâtre antérieur à la Renaissance", Paris : Ed. Guerin et Cie, 1835. pp. 23-30
DULCITIUS
SCÈNE I.
L'Empereur Dioclétien, Agapé, Chionie, Irène.
DIOCLÉTIEN.
L'illustration de votre famille, votre haute naissance, l'éclat de votre beauté, exigent que vous soyez unies par les noeuds de l'hymen aux premiers officiers de mon palais. Ma puissance ne s'opposera pas à ce qu'il en soit ainsi, pourvu que vous consentiez à renier le Christ et à sacrifier à nos dieux.
AGAPÉ.
Vous pouvez vous épargner un pareil souci et ne pas vous inquiéter des apprêts de nos noces, car rien au monde ne pourra nous forcer à renier un nom que nous devons confesser, ni à souiller notre virginité.
DIOCLÉTIEN.
Que signifie, Agapé, la folie qui vous agite ?
AGAPÉ.
Quel signe de folie découvrez-vous en moi ?
DIOCLÉTIEN.
Un signe évident et notable.
AGAPÉ.
En quoi donc suis-je folle ?
DIOCLÉTIEN.
D'abord en ce que, renonçant à l'observance d'une antique religion, vous embrassez les nouveautés futiles de la superstition chrétienne.
AGAPÉ.
Votre témérité calomnie l'existence du Dieu tout-puissant. Il y a péril !
DIOCLÉTIEN.
Pour qui ?
AGAPÉ.
Pour vous et pour la république que vous administrez.
DIOCLÉTIEN.
Cette fille est folle ; qu'on l'éloigne !
CHIONIE.
Ma soeur n'est point folle ; elle blâme votre égarement stupide, elle a raison.
DIOCLÉTIEN.
Cette seconde Ménade est encore plus délirante que la première ; qu'on l'éloigne aussi de ma présence et qu'on fasse approcher la troisième ! [ 1 Ménade : Nom de femmes qui, chez les anciens, célébraient les fêtes de Bacchus, et se livraient à tous les emportements de ce culte. [L]]
IRÈNE.
Vous trouverez la troisième également rebelle à vos ordres et prête à vous résister opiniâtrement.
DIOCLÉTIEN.
Irène, bien que tu sois la plus jeune, tu peux devenir la première en dignité.
IRÈNE.
Dites-moi comment,je vous prie.
DIOCLÉTIEN.
Courbe la tête devant nos dieux, et sois pour tes soeurs un exemple qui les corrige et qui les sauve.
IRÈNE.
Que les hommes qui veulent encourir la colère du Très-Haut se souillent en sacrifiant à vos idoles ; pour moi, je ne déshonorerai point ma tête, sur laquelle a coulé l'onction du roi céleste, en l'abaissant aux pieds de vos dieux faits de bronze et de pierre.
DIOCLÉTIEN.
Le culte des dieux, loin d'être honteux, honore ceux qui le pratiquent.
IRÈNE.
Y a-t-il bassesse plus honteuse, y a-t-il turpitude plus grande que de rendre aux esclaves l'hommage que l'on doit aux maîtres ?
DIOCLÉTIEN.
Je ne vous engage pas à adorer des esclaves, mais les dieux des maîtres et des princes.
IRÈNE.
N'est-il pas l'esclave du premier venu le dieu qu'un artisan vend comme une marchandise pour un peu d'or ?
DIOCLÉTIEN.
Il faut que les supplices mettent fin à ce présomptueux verbiage.
IRÈNE.
C'est là notre souhait ; nous aspirons au bonheur de subir des supplices pour l'amour du Christ.
DIOCLÉTIEN.
Que ces femmes opiniâtres, qui luttent contre nos édits, soient chargées de chaînes et retenues dans les ténèbres d'un cachot, pour être examinées par Dulcitius, le chef de nos gardes.
SCÈNE II.
Dulcitius, gardes.
DULCITIUS.
Amenez, soldats, amenez ici vos prisonnières.
SCÈNE III.
Les précédents, Agapé, Chionie, Irène.
LES GARDES.
Voici celles que vous demandez.
DULCITIUS.
Dieux ! Qu'elles sont belles ! Que ces jeunes filles ont de grâces et d'attraits !
LES GARDES.
Assurément, elles sont très belles.
DULCITIUS.
Je me sens épris de leur beauté.
LES GARDES.
Cela est facile à croire.
DULCITIUS.
Je brûle de leur faire partager mon amour.
LES GARDES.
Il nous paraît douteux que vous réussissiez.
DULCITIUS.
Pourquoi ?
LES GARDES.
Parce qu'elles sont inébranlables dans leur foi.
DULCITIUS.
Et si je les gagne par de douces paroles ?
LES GARDES.
Elles les méprisent.
DULCITIUS.
Et si je les effraie par la vue des supplices ?
LES GARDES.
Elles les dédaignent.
DULCITIUS.
Que faire donc ?
LES GARDES.
Pensez-y.
DULCITIUS.
Enfermez-les dans la salle intérieure de l'office, dont le vestibule contient les ustensiles de cuisine.
LES GARDES.
Pourquoi dans ce lieu ?
DULCITIUS.
Pour que je sois à portée de les visiter plus fréquemment.
LES GARDES.
Il sera fait selon vos ordres.
SCÈNE IV.
Dulcitius, les gardes.
DULCITIUS.
Soldats, que font nos captives a cette heure de nuit ?
LES GARDES.
Elles s'occupent à chanter des hymnes.
DULCITIUS.
Approchons.
LES GARDES.
Nous entendons dans l'éloignement le son de leurs voix argentines.
DULCITIUS.
Veillez à cette porte avec des flambeaux, moi j'entrerai et je jouirai de leurs embrassements désirés.
LES GARDES.
Allez ; nous vous attendrons.
SCÈNE V.
Agapé, Chionie, Irène.
AGAPÉ.
Quel bruit entends-je à la première porte ?
IRÈNE.
C'est le misérable Dulcitius qui entre.
CHIONIE.
Que Dieu nous protège !
AGAPÉ.
Amen.
CHIONIE.
Que signifie ce cliquetis de marmites, de chaudrons et de lèchefrites qui s'entrechoquent ? [ 2 Lèchefrites : Ustensile de cuisine, ordinairement de fer, destiné à recevoir la graisse et le jus qui dégouttent de la viande que l'on fait rôtir. ]
IRÈNE.
Je vais voir ce que c'est. Ah ! Venez, approchez je vous prie, mes soeurs ; regardez, à travers les fentes de cette porte.
AGAPÉ.
Qu'y a-t-il ?
IRÈNE.
Voyez ! Cet insensé a perdu la raison ; il croit jouir de nos embrassements.
AGAPÉ.
Que fait-il ?
IRÈNE.
Tantôt il presse tendrement sur son sein des marmites ; tantôt il embrasse des chaudrons et des poêles à frire, et leur donne d'amoureux baisers.
CHIONIE.
Que cela est risible !
IRÈNE.
Déjà son visage, ses mains, ses vêtements, sont tellement salis et noircis qu'il offre tout-à-fait l'aspect d'un Éthiopien.
AGAPÉ.
Il est juste que son corps soit tel que son âme possédée par le démon.
IRÈNE.
Voilà qu'il se dispose à sortir ; voyons ce que vont faire à sa vue les soldats qui l'attendent à la porte.
SCÈNE VI.
Dulcitius, Les gardes.
LES GARDES.
Quel est ce démoniaque, ou plutôt ce démon qui sort ? Fuyons !
DULCITIUS.
Soldats, où fuyez-vous ? Restez ; attendez ; conduisez-moi avec vos flambeaux à ma demeure.
LES GARDES.
C'est la voix de notre commandant, mais c'est l'image du diable. Ne nous arrêtons pas ; pressons notre fuite ; ce fantôme veut nous maltraiter.
DULCITIUS.
Je vais au palais et j'apprendrai aux princes comment on m'outrage.
SCÈNE VII.
Dulcitius, Les huissiers du Palais.
DULCITIUS.
Huissiers, introduisez-moi dans le palais ; j'ai à parler en particulier à l'Empereur.
LES HUISSIERS.
Quel est ce monstre horrible et dégoûtant, couvert de haillons noirs et déchirés ? Gourmons-le et précipitons-le du haut des degrés ; il ne faut pas qu'il pénètre plus avant. [ 3 Gourmer : Battre à coups de poings. [L]]
SCÈNE VIII.
DULCITIUS, seul.
Malheur, malheur à moi ! Que m'est-il arrivé ? Ne suis-je pas paré de mes vêtements les plus riches ? Toute ma personne n'est-elle pas éclatante de propreté ? Et cependant tous ceux que j'aborde témoignent à ma vue autant de dégoût qu'à l'aspect d'un monstre horrible. Je vais retourner près de ma femme ; j'apprendrai d'elle ce qui m'est arrivé. Mais la voici ; elle accourt les cheveux épars ; toute sa maison la suit en larmes.
SCÈNE IX.
Dulcitius, sa femme, gardes.
LA FEMME DE DULCITIUS.
Hélas ! Hélas ! Monseigneur, à quel mal êtes-vous en proie ? Vous n'avez plus votre raison, Dulcitius vous êtes devenu un objet de risée pour les chrétiens.
DULCITIUS.
Oui, je le sens enfin ; j'ai été le jouet des maléfices de ces femmes.
LA FEMME DE DULCITIUS.
Ce qui me confondait surtout, ce qui me contristait le plus, c'est que vous ne connussiez pas votre mal.
DULCITIUS, aux gardes.
J'ordonne qu'on expose en place publique ces filles impudiques, qu'on leur arrache leurs vêtements et qu'on les livre aux regards du peuple. Il faut, à leur tour, qu'elles sachent à quels outrages nous pouvons les condamner.
SCÈNE X.
Les gardes, Dulcitius, endormi sur son tribunal.
LES GARDES.
Nous nous fatiguons en vain, nos efforts sont inutiles, les vêtements de ces vierges tiennent à leurs corps autant que leur peau. Et ce n'est pas tout, Dulcitius lui-même, qui nous pressait de les dépouiller, s'est endormi et ronfle sur son siège, il n'y a pas moyen de le réveiller. Allons trouver l'Empereur et informons-le des choses qui se passent.
SCÈNE XI.
L'EMPEREUR DIOCLÉTIEN, seul.
J'apprends avec peine que le commandant de mes gardes, Dulcitius, a été en butte aux insultes, aux outrages et à la calomnie. Mais pour que ces méprisables femmelettes ne puissent se vanter d'insulter impunément nos dieux et se jouer de ceux qui les adorent, je vais charger le comte Sisinnius d'être l'exécuteur de ma vengeance.
SCÈNE XII.
Le Comte Sisinnius, les gardes.
SISINNIUS.
Soldats, où sont ces filles impudiques qui doivent subir la torture ?
LES GARDES.
Elles sont en prison.
SISINNIUS.
Retenez Irène et faites avancer les autres.
LES GARDES.
Pourquoi exceptez-vous la seule Irène ?
SISINNIUS.
Par pitié pour sa jeunesse. Peut-être sera-t-elle convertie plus aisément, si elle n'est point intimidée par la présence de ses soeurs.
LES GARDES.
Sans doute.
SCÈNE XIII.
Les précédents, Agapé, Chionie.
LES GARDES.
Voici celles que vous demandez.
SISINNIUS.
Agapé, Chionie, suivez mes conseils.
AGAPÉ.
Non ; nous ne les suivrons pas.
SISINNIUS.
Venez offrir des libations aux dieux.
IRÈNE.
Nous offrons sans cesse un sacrifice de louanges à Dieu le père véritable et éternel, à son fils co-éternel et à leur saint Paraclet.
SISINNIUS.
Ce n'est point là ce que je vous conseille ; je vous interdis au contraire ces pratiques sous les peines les plus sévères.
AGAPÉ.
Vos défenses sont vaines ; jamais nous ne sacrifierons aux démons.
SISINNIUS.
Que votre coeur cesse de s'endurcir ; sacrifiez aux dieux ; sinon je vous ferai mettre à mort, suivant les ordres de l'Empereur Dioclétien.
CHIONIE.
Il est juste que, lorsque votre Empereur ordonne notre mort, vous lui obéissiez, vous qui savez que nous méprisons ses édits ; si même la pitié vous faisait tarder à lui obéir, il serait juste que vous périssiez.
SISINNIUS.
Sans délai, soldats ! Sans délai, saisissez ces blasphématrices et jetez-les vivantes au milieu des flammes.
LES GARDES.
Hâtons-nous de construire un bûcher et livrons ces femmes à la fureur des flammes pour mettre un terme à leur insolence.
AGAPÉ.
Non, ce ne serait pas, ô mon Dieu ! Un effet extraordinaire de votre puissance que d'ordonner aux flammes d'oublier leur violence et de les forcer à vous obéir. Mais tout ce qui nous retient plus longtemps ici-bas nous fatigue. Nous vous supplions donc, Seigneur, de rompre les liens qui retiennent nos âmes, afin que, nos corps étant consumés, nous nous réjouissions avec vous dans le ciel !
LES GARDES.
Ô prodige nouveau et inexplicable ! Les âmes de ces femmes ont quitté leurs corps sans qu'on puisse apercevoir aucune trace de l'action du feu. Ni leurs cheveux, ni leurs vêtements n'ont été atteints par les flammes, encore moins leurs corps.
SISINNIUS.
Faites venir Irène.
LES GARDES.
Oui, Seigneur.
SCÈNE XIV.
Sisinnius, Irène, les gardes.
SISINNIUS.
Redoutez, Irène, le sort de vos soeurs et craignez de périr comme elles.
IRÈNE.
Je souhaite suivre leur exemple et mourir pour mériter de me réjouir éternellement avec elles.
SISINNIUS.
Cède, cède à mes conseils.
IRÈNE.
Je ne céderai point à celui qui me conseille le crime.
SISINNIUS.
Si tu t'obstines dans tes refus, je ne t'accorderai pas une mort prompte, mais je la différerai et chaque jour je multiplierai et je renouvellerai tes supplices.
IRÈNE.
Plus nombreuses seront mes tortures, plus grande sera ma gloire.
SISINNIUS.
Tu ne crains pas les supplices ; mais j'en saurai trouver un qui te fera horreur.
IRÈNE.
Avec l'aide du Christ j'échapperai à tout ce que vous inventerez contre moi.
SISINNIUS.
Je te ferai conduire dans un lieu de débauche où ton corps sera exposé aux plus honteux outrages.
IRÈNE.
Il vaut mieux que mon corps soit livré à toutes sortes d'outrages, que mon âme souillée par le culte des idoles.
SISINNIUS.
Si tu deviens la compagne des courtisanes, tu ne pourras plus, ainsi déshonorée, être comptée dans la phalange des vierges.
IRÈNE.
La volupté est suivie du châtiment, mais la nécessité donne la couronne céleste. On n'est déclaré coupable que des fautes auxquelles l'âme a consenti.
SISINNIUS.
En vain je l'épargnais ; en vain j'avais pitié de son enfance.
LES GARDES.
Nous savions, bien que rien ne la pourrait forcer à adorer les dieux et que la terreur ne pourrait la vaincre.
SISINNIUS.
Je ne l'épargnerai pas plus longtemps.
LES GARDES.
Vous avez raison.
SISINNIUS.
Saisissez-la sans pitié, traînez-la sans miséricorde et enfermez-la honteusement dans un lieu de prostitution.
IRÈNE.
Ils ne m'y conduiront pas.
SISINNIUS.
Qui pourra les en empêcher ?
IRÈNE.
Celui dont la providence régit le monde.
SISINNIUS.
Nous verrons.
IRÈNE.
Plus tôt que tu ne voudras.
SISINNIUS.
Soldats, ne vous laissez pas effrayer par les fausses prédictions de cette blasphématrice.
LES GARDES.
Elles ne nous effraient point ; nous allons obéir à vos ordres.
SCÈNE XV.
Sisinnius, ensuite les gardes.
SISINNIUS.
Quels sont ces hommes qui s'approchent ? Comme ils ressemblent aux soldats auxquels j'ai livré Irène. Ce sont eux.
Aux gardes.
Pourquoi revenez-vous ? où courez-vous ainsi hors d'haleine ?
LES GARDES.
C'est vous que nous cherchons.
SISINNIUS.
Et où est celle que vous avez emmenée ?
LES GARDES.
Sur le sommet de la montagne.
SISINNIUS.
De quelle montagne ?
LES GARDES.
De la montagne voisine.
SISINNIUS.
Ô hommes stupides et insensés ! Êtes-vous privés de toute raison ?
LES GARDES.
Pourquoi ces reproches ? Pourquoi ces regards et cette voix menaçante ?
SISINNIUS.
Que le ciel vous foudroie !
LES GARDES.
Quel crime avons-nous commis contre vous ? Quelle injure vous avons-nous faite ? Auquel de vos ordres avons-nous désobéi ?
SISINNIUS.
Ne vous ai-je pas ordonné de traîner dans un lieu d'ignominie cette fille rebelle à nos dieux ?
LES GARDES.
Oui ; et nous étions occupés à vous obéir, quand deux jeunes inconnus sont survenus et nous ont assurés que vous les aviez envoyés pour nous transmettre l'ordre de conduire Irène au haut de la montagne.
SISINNIUS.
C'est vous qui me l'apprenez.
LES GARDES.
Nous le voyons.
SISINNIUS.
Quel aspect avaient ces inconnus ?
LES GARDES.
Leurs vêtements étaient éclatants ; leurs traits imposants et graves.
SISINNIUS.
Ne les suivîtes vous pas ?
LES GARDES.
Nous les avons suivis.
SISINNIUS.
Qu'ont-ils fait ?
LES GARDES.
Ils se placèrent aux deux côtés d'Irène et nous envoyèrent ici pour vous informer de la conclusion de cette affaire.
SISINNIUS.
Il ne me reste plus qu'à monter à cheval pour aller voir qui se donne les airs de se jouer ainsi de nous.
LES GARDES.
Nous y courrons aussi.
SCÈNE XVI.
Les précédents, Irène.
SISINNIUS, à cheval.
Qu'est-ce ? Je ne sais ce que je fais ; je suis ensorcelé par les chrétiens. Voyez ; je tourne incessamment autour de cette montagne, et si je parviens à trouver un sentier, je ne puis ni monter ni revenir sur mes pas.
LES GARDES.
Nous sommes tous ici les jouets des enchantements les plus étranges ; la fatigue nous accable. Si vous laissez vivre plus longtemps cette femme insensée, vous serez la cause de votre perte et de la nôtre.
SISINNIUS.
Qu'un des miens, quel qu'il soit, tende son arc, lance une flèche et perce cette femme criminelle.
IRÈNE.
Malheureux ! Rougis de te voir honteusement vaincu ; gémis de n'avoir pu triompher que par la force des armes de l'enfance d'une faible vierge.
SISINNIUS.
Je me résigne aisément à cette honte, car je suis sûr que tu vas mourir.
IRÈNE.
C'est pour moi le comble de la joie et pour toi un sujet d'affliction ; car, en punition de ta méchanceté, tu seras damné dans le Tartare, et moi j'irai recevoir la palme du martyre et la couronne de la virginité dans le palais aérien du Roi éternel, à qui appartiennent l'honneur et la gloire dans tous les siècles.
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Notes
[1] Ménade : Nom de femmes qui, chez les anciens, célébraient les fêtes de Bacchus, et se livraient à tous les emportements de ce culte. [L]
[2] Lèchefrites : Ustensile de cuisine, ordinairement de fer, destiné à recevoir la graisse et le jus qui dégouttent de la viande que l'on fait rôtir.
[3] Gourmer : Battre à coups de poings. [L]