ARICIE

BALLET EN MUSIQUE

REPRÉSENTÉ PAR L'ACADEMIE ROYALE DE MUSIQUE.

M. DC. XCVII.

AVEC PRIVILEGE DU ROI

On le vend À PARIS, À l'Entrée de la Porte de l'Academie Royale de Musique, au Palais Royal, rue Saint Honoré.

Imprimé aux dépens de ladite Académie, par CHRISTOPHE BALLARD, seul Imprimeur du Roi pour la Musique.


Texte établi par Paul FIEVRE, avril 2020

Publié par Paul FIEVRE, mai 2020.

© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:55:28.


AVIS.

Il n'y a d'édition avouée par l'Auteur que celle dont les exemplaires sont signés par l'Éditeur. Elle poursuivra les contrefacteurs, conformément à la loi.


ACTEURS DU PROLOGUE.

APPOLON.

MELPOMÈNE, Muse.

EUTERPE, Muse.

POLYMNIE, Muse.

MARSIAS, Satyre.

TROUPE DE FAUNES ET DE SYLVAINS.

TROUPE DE BERGERS ET DE BERGÈRES.

TROUPE D'HABITANTS DES BORDS DE LA SEINE.

ACTEURS DU BALLET.

FERNAND, Prince d'Espagne.

ALCIPE, suivant de Fernand.

ARCAS, suivant d'Aricie.

ARICIE, Princesse de l'île inconnue, amante de Fernand.

DEUX PRINCESSES COQUETTES.

ÉLISE, confidente d'Aricie, Amante d'Arcas.

TROUPE DE PEUPLES que Fernand a subjugués.

TROUPE DE BERGERS ET DE BERGÈRES.

TROUPE D'AMANTS qui s'assemblent au Temple de l'Amour.

ARISTANDRE, Magicien.

TROUPE DE DÉMONS.

FLORINDE, Magicienne.

TROUPE DE PEUPLES DE L'ÎLE INCONNUE.


PROLOGUE

Le Théâtre représente un lieu agréable sur les bords de la Seine.

SCÈNE PREMIÈRE.

MARSIAS, seul.

Les bois et les rochers s'animent par mes chants,

À mes accords doux et touchants

Tout doit céder, tout doit se rendre ;

Taisez-vous, importuns oiseaux,

5   Écoutez-moi, si vous voulez apprendre,

Des sons plus savants et plus beaux.

La plus fière beauté ne saurait se défendre,

Dès que ma voix se fait entendre,

De se soumettre à l'amoureuse loi.

10   Le jaloux Apollon voudrait en vain prétendre,

De l'emporter sur moi.

Pendant que Marsias achève de chanter, Euterpe qui préside à la Musique Pastorale, Melpomène qui a inventé la Musique Tragique, et Polymnie qui préside aux Arts, l'écoutent avec indignation.

SCÈNE II.
Marsias, Melpomène, Euterpe, Polymnie.

LES TROIS MUSES.

Ton audace sera punie,

Tes chants seront changés, en des cris furieux,

Oses-tu jusques dans ces lieux,

15   Braver le Dieu de l'harmonie ?

MARSIAS.

Est-ce le Dieu jaloux dont vous suivez, les lois

Qui vous fait mépriser les charmes de mes voix ?

Qu'il jouisse de son partage

Sa lumière féconde éclaire l'Univers,

20   Je dois sur lui remporter l'avantage,

Par la douceur de mes concerts.

POLYMNIE.

Les Arts lui doivent leur naissance

Ses bienfaits ont rendu tous les mortels heureux,

Une juste reconnaissance

25   Lui fait offrir partout de l'encens et des voeux.

MELPOMÈNE.

Crains le triste succès d'un orgueil téméraire,

Tremble, Satyre ambitieux.

EUTERPE.

Crains un Dieu qui dans sa colère

Peut embraser et la Terre et les Cieux.

On entend ici un prélude qui annonce l'arrivée d'Appollon.

MELPOMÈNE.

30   Quel son harmonieux vient de se faire entendre ?

TOUTES TROIS.

C'est Apollon qui va descendre.

Let trois Muses entrecoupent le prélude en chantant les quatre Vers suivans, pendant qu'Appollon descend.

Tremble, Satyre ambitieux,

Crains le triste succès d'un orgueil téméraire,

Crains un Dieu qui dans sa colère,

35   Peut embraser et la Terre et les Cieux.

SCÈNE III.
Apollon, Les trois muses, Marsias.

APOLLON, dans son Char.

Les Dieux font à regret ressentir leur puissance

Quand elle doit servir leur courroux irrité,

Mais ton crime a trop éclaté

Et je dois punir une offense

40   Qui de mon rang blesse la majesté ;

Prenez,soin, Dieu des Bois, d'une juste vengeance,

Rendez sa peine égale à mon ressentiment ;

Et punissez son insolence

Par le plus honteux châtiment.

SCÈNE IV.
Apollon, Les trois muses, Marsias, Trois Faunes et Trois Sylvains.

MARSIAS, en voyant arriver les Faunes et les sylvains.

45   Ciel ! Quelle injustice !

Ah ! Quelle cruauté !

LES MUSES.

Va malheureux, cours au supplice,

Que ton orgueil a mérité.

MARSIAS se voyant entraîné par les Faunes et les Sylvains.

Ô Ciel ! Quelle injustice !

50   Ah ! Quelle cruauté !

SCÈNE V.
Apollon, LES TROIS MUSES, Suite des Muses, et les habitants des bords de la Seine, qui viennent prendre part à la vengeance d'Appollon.

APOLLON.

Muses chantez, dans ses retraites

Les exploits glorieux du Héros que je sers,

Inventez de nouvelles fêtes,

Préparez, de charmants concerts,

55   Célébrez par vos chants les nouvelles conquêtes,

Du plus grand Roi de l'Univers.

CHOEUR.

Inventons de nouvelles fêtes,

Préparons de charmants concerts,

Célébrons par nos chants les nouvelles conquêtes,

60   Du plus grand Roi de l'Univers.

APOLLON.

Partout où je répands ma lumière féconde

On entend retentir le bruit de ses exploits,

Tous les Peuples du monde

Seraient charmés, de vivre sous ses lois,

65   Si leur destin dépendait de leur choix.

Tandis que je suivrai ma brillante carrière,

Muses, ne songez qu'à lui plaire.

Apollon s'envole.

SCÈNE VI.
Les muses suite des Muses, les Habitants des bords de la Seine.

MELPOMÈNE.

À l'ombre de ces bois, sur ce bord enchanté

Jouissez d'une paix profonde,

70   Un héros que l'on craint sur la terre et sur l'onde,

Veille pour votre sûreté.

UNE BERGÈRE.

Dans ce charmant séjour

Les plaisirs de l'amour

Sont pour les coeurs fidèles,

75   Nos flammes y sont mutuelles,

Nous aimons sans détour ;

Nous fuyons les ardeurs nouvelles, ,

Dans ce charmant séjour

Les plaisirs de l'amour

80   Sont pour les coeurs fidèles.

UN BERGER.

Un coeur volage

N'a pour partage

Que des rigueurs,

Un amant tendre

85   Peut seul prétendre

À nos douceurs ;

Quand il languit, quand il soupire

Un doux espoir doit flatter ses désirs,

Il voit bientôt succéder les plaisirs,

90   À son martyre.

CHOEUR.

Inventons de nouvelles fêtes,

Préparons de charmants concerts,

Célébrons par nos chants les nouvelles conquêtes,

Du plus grand Roi de l'Univers.

PREMIÈRE ENTRÉE.

Le Théâtre représente un bois auprès d'un lieu agréable où l'on prépare une fête champêtre à la Princesse de l'île inconnue.

SCÈNE PREMIÈRE.
Fernand, Alcipe.

ALCIPE.

95   Seigneur, il faut bannir une indigne tendresse,

Le grand coeur de Fernand doit être sans faiblesse,

Sur ces bords inconnus au reste des humains

Vous aimez sans espoir, et vos soupirs sont vains.

FERNAND.

Hélas est-il aisé quand l'amour est extrême,

100   De renoncer à ce qu'on aime !

ALCIPE.

Votre gloire est connue en cent divers climats....

FERNAND.

Dans un honteux repos ma gloire est obscurcie,

Je ne le vois que trop, hélas !

Mais je ne puis quitter les funestes appas,

105   Qui tiennent mon âme asservie.

D'un sort digne d'envie

Je goûtais la douceur

Rien ne manquait à mon bonheur,

J'aimais, j'étais aimé de la belle Aricie.

ALCIPE.

110   La fin d'un tendre engagement

N'est pas l'ouvrage d'un moment.

La beauté qui vous a soumis à son empire,

Brûle toujours des mêmes feux ;

Non pour avoir brisé ses noeuds

115   Un seul jour n'a pu lui suffire.

Cette Princesse en ce jour

Assemble ici sa Cour,

On lui donne en ces lieux une fête champêtre,

Seigneur y devez-vous paraître !

FERNAND.

120   Je cherche le silence, et l'horreur des forêts,

Va, laisse-moi rêver en paix.

SCÈNE II.
Deux Princesses coquettes, Fernand rêve dans un des côtés du théâtre, pendant qu'elles parlent sans le voir.

PREMIÈRE PRINCESSE.

Allons nous mêler à la fête,

Que l'on apprête,

Allons danser au son des chalumeaux,

125   L'amour sous ces ormeaux

Nous promet plus d'une conquête.

TOUTES DEUX.

Allons nous mêler à la fête,

Que l'on apprête.

SECONDE PRINCESSE, à Fernand.

Seigneur quel noir chagrin dans ces lieux vous arrête,

130   Quel soin vous fait rêver au murmure des eaux ?

TOUTES DEUX.

Allons nous mêler à la fête,

Allons danser au son des chalumeaux.

FERNAND.

Laissez-moi dans ma rêverie,

Laissez-moi m'occuper des soins de mon amour,

135   Je perds sans espoir de retour

Le seul bien qui pouvait m'attacher à la vie.

L'inhumaine Aricie

Malgré mon tendre amour me bannit pour jamais ;

Laissez-moi dans ma rêverie,

140   Laissez-moi m'occuper de mes tristes regrets.

PREMIÈRE PRINCESSE.

Pour se venger d'une infidèle,

Il faut savoir changer comme elle,

Votre maîtresse a des appas ;

Mais on en peut trouver qui ne lui cèdent pas.

SECONDE PRINCESSE.

145   Une volage

Que rien n'engage,

Peut-elle vous avoir asservi sous sa loi ?

De ses trompeurs appas il fallait vous défendre,

À quoi ne doit-on pas s'attendre,

150   Quand on s'engage sur la foi

D'une volage

Que rien n'engage ?

FERNAND.

À la jeunesse, à la beauté,

Quel coeur peut faire résistance ?

155   Il n'est point de pouvoir plus fort, plus redouté,

Que le pouvoir de la beauté,

Lorsque avec la jeunesse elle est d'intelligence.

PREMIÈRE PRINCESSE.

Peut-on se faire un embarras,

De perdre un coeur volage ?

160   Vengez-vous, si vous êtes sage,

Votre maîtresse a des appas,

Mais on en peut trouver qui ne lui cèdent pas.

FERNAND.

C'est sur mon destin déplorable

Que j'ai les yeux ouverts,

165   Je ne vois rien d'aimable,

Que le bien que je perds.

SECONDE PRINCESSE.

Pouvez-vous faire cet outrage

À qui veut dissiper votre fatale erreur ?

Soupirez, gémissez dans un triste esclavage,

170   Je me ris de votre langueur.

PREMIÈRE PRINCESSE.

On ne fait guère de conquête

Avec cet air chagrin,

Il faut l'abandonner à son fatal destin,

Allons nous mêler à la fête,

175   Que l'on apprête.

TOUTES DEUX.

Allons nous mêler à la fête,

Que l'on apprête.

SCÈNE III.

FERNAND, seul.

Que mon sort est à plaindre ?

Accable de rigueurs, haï, désespéré

180   De mille noirs chagrins en secret dévoré,

Il faut sans cesse me contraindre,

Que mon sort est à plaindre !

Pourquoi tant murmurer ? Recourons au trépas ;

Eh ! Qu'ai-je affaire de la vie

185   Sans l'aimable Aricie,

Sans ses charmants appas.

Cachons-nous elle rêve en cette solitude,

Vous que déjà mes pleurs ont touchés, tant de fois,

Témoins de mon inquiétude,

190   Qui suivez mes ennuis, et mes pas dans ces bois,

Joignez, pour l'attendrir vos concerts à ma voix.

SCÈNE IV.

ARICIE, seule.

Auteur des peines que j'endure,

Amour sors de mon coeur, venge-moi de l'injure

Que fait l'ingrat que j'aime à mes faibles appas,

195   Anime mon dépit, allume ma colère,

Contre une âme légère,

Qui doit m'aimer et qui ne m'aime pas.

On me donne en ces lieux une fête nouvelle,

Pour un autre que lui je feins de m'enflammer,

200   Mais mon amour sans cesse me rappelle

Du côté d'un ingrat qui cesse de m'aimer,

En ces lieux écartez, qui l'engage à me suivre ?

SCÈNE V.
Fernand, Aricie, Suite de Fernand, Suite d'Aricie.

FERNAND.

Vous voyez un amant qui va cesser de vivre,

Vous avez prononcé l'arrêt de mon trépas ;

205   Mais c'est peu des malheurs où mon destin me livre,

Pour rendre hommage à vos appas.

Votre coeur peut-il suivre une chaîne nouvelle,

Quand j'adore toujours le pouvoir de vos yeux ?

Songez au prix d'un coeur fidèle,

210   Rien n'est si rare sous les Cieux.

SUIVANT DE FERNAND.

Amants qu'amour unit de ses noeuds les plus doux,

Évitez les soupçons jaloux,

Fuyez, les plaintes vaines,

Gardez-vous de briser vos chaînes,

215   Gardez-vous, gardez-vous,

D'écouter un fatal courroux.

LE CHOEUR.

Évitons les soupçons jaloux,

Fuyons les plaintes vaines,

Gardons-nous de briser nos chaînes,

220   Gardons-nous, gardons-nous

D'écouter un fatal courroux.

SUIVANT DE FERNAND.

Il faut aimer dans la jeunesse,

Il faut quitter les vains détours ;

Nos coeurs sont faits pour la tendresse,

225   Et les plaisirs pour nos beaux jours.

ARICIE, à Fernand.

Malgré les conseils qu'on me donne,

Je suivrai le penchant où mon coeur s'abandonne,

Si vous voulez me changer en ce jour,

Il faut encor pour vous intéresser l'Amour.

DEUXIÈME ENTRÉE.

Le Théâtre représente une prairie bordée d'un bois, où la Princesse Aricie doit trouver au bout d'une route une fête champêtre.

SCÈNE PREMIÈRE.

ÉLISE, seule.

230   Ruisseau, d'où vient votre murmure,

Heureux ruisseau, votre sort est trop doux,

Vous ne connaissez point d'autre loi parmi vous,

Que le penchant de la nature ?

Rien ne s'oppose à votre cours,

235   Vous le suivez sans vous contraindre

Hélas ! S'il en était ainsi de mes amours,

On ne m'entendrait jamais plaindre.

Amour vois quelle est ta rigueur,

J'aime un indifférent qui méprise ma flamme,

240   Arcas brûle pour moi d'une sincère ardeur,

SCÈNE II.
Arcas, Élise.

ARCAS.

Te verrai je toujours insensible à mes feux ?

Ne veux-tu point finir ma peine

ÉLISE.

Je n'aurais point brisé mes noeuds,

Si tu n'avais brisé ta chaîne.

ARCAS.

245   Pour rallumer tes feux, je feignis de changer,

Tu ne me voyais plus qu'avec indifférence,

Tu te lassais de ma constance,

Et ton coeur s'allait dégager,

Je cessai de te ménager,

250   Mais ce ne fut qu'en apparence,

Afin de te mieux engager.

ÉLISE.

Je ne prétends point te contraindre,

Tu peux ailleurs feindre de t'enflammer,

Peut être à force de le feindre

255   À la fin tu pourras aimer.

ARCAS.

Mon ardeur a pour toi toujours été constante,

Il faut me pardonner cette ruse innocente.

ÉLISE.

Il ne faut plus songer à tes liens rompus,

Quand on a pu me faire cet outrage

260   Mon coeur pour jamais se dégage,

Et l'on n'y revient plus.

ARCAS.

Veux-tu m'ôter toute espérance ?

Quoi : sans avoir égard à ma persévérance

Cet injuste dessein serait-il résolu ?

ÉLISE.

265   Pourquoi l'as-tu voulu ?

ARCAS.

Tu quittes pour jamais une chaîne si belle,

Ton âme devient infidèle ;

Quoi, c'est un arrêt absolu ?

ÉLISE.

Pourquoi l'as-tu voulu ?

ARCAS.

270   Deviens sensible à mon martyre,

Je suis plus que jamais

Soumis à ton empire,

je suis plus que jamais,

Sensible à tes attraits.

275   Pour toi nuit et jour je soupire,

Vois tous les maux que tu me fais,

Cruelle veux-tu que j'expire,

Ah ! Rends-moi ma première paix,

Sur l'amour que je te promets,

280   Ton coeur n'aura rien à me dire.

ÉLISE.

Non je ne veux jamais aimer,

Je crains un coeur volage,

En vain l'amour veut m'enflammer,

Je fuis son esclavage,

285   J'aimerais si j'étais moins sage,

Sans craindre le danger ;

Mais hélas ! Quel amant s'engage

Pour ne jamais changer ?

SCÈNE III.
Arcas, Alcipe traverse le Théâtre.

ARCAS.

Écoute un mot Alcipe, arrête ?

ALCIPE.

290   Que prétends-tu de moi ?

ARCAS.

Je veux m'éclaircir avec toi

Sur un doute qui m'inquiète ;

L'amour me tient sous son pouvoir,

je crois que tu n'es pas à t'en apercevoir

ALCIPE.

295   Je ne m'aperçois guère

De tout ce que tu fais,

Si l'amour en courroux t'accable de ses traits,

Si tu ne peux toucher l'objet qui t'a su plaire,

C'est ton affaire,

300   Je m'aperçois guère de tout ce que tu fais.

ARCAS.

Tu vois la beauté qui m'engage,

Si tu ne l'aimes pas, pourquoi me faire ombrage ?

ALCIPE.

Qui t'a dit que pour moi ses yeux sont sans appas ?

ARCAS.

Quoi ! Tu brûles pour elle, et tu me l'ose dire ?

ALCIPE.

305   Ton chagrin me fait rire.

Quelle raison pourrais-je avoir

De cacher à tes yeux une flamme si belle ?

D'une ardeur sincère et fidèle

Elle flatte mon espoir.

ARCAS.

310   Non, elle m'a promis une flamme éternelle,

Ce doux espoir à moi seul est permis.

ALCIPE.

Non, elle ne tient pas ce qu'elle t'a promis.

Tu te flattes d'un avantage

Que sur toi j'ai su remporter ;

315   Je suis assez content de la rendre volage,

Et je veux bien te laisser pour partage

La douceur de te flatter.

TOUS DEUX.

Tu crois obtenir la victoire,

Mais tu n'en as pas la gloire ;

320   Prétends-tu m'enlever son coeur ?

Tu n'es pas un rival qui doive faire peur.

SCÈNE IV.

ALCIPE, seul.

Je suis peu touché de la gloire

Qu'on peut obtenir en aimant ,

Mais je prends plaisir au tourment

325   D'un amant qui s'en fait accroire.

Élise aurait encor mille fois plus d'appas,

Que mon coeur ne les craindrait pas.

En ces lieux déjà l'on s'avance,

C'est la fête qui commence.

SCÈNE V.
Aricie, Élise, Les deux Princesses coquettes, Troupe de Bergers et de Bergères, Suite d'Aricie.

UNE BERGÈRE.

330   Accordez, vos musettes

Avec vos chalumeaux,

Que le bruit de vos chansonnettes,

Réponde au concert des oiseaux.

LE CHOEUR.

L'amour dans ces retraites,

335   Enchaîne tous les coeurs,

Chantons, célébrons les conquêtes

Du vainqueur des vainqueurs.

UNE PRINCESSE COQUETTE.

Dans l'amoureux Empire

Souvent on languit on soupire,

340   Mais sans amour la vie est sans appas,

On n'a rien à se dire,

Quand on n'aime pas.

UNE BERGÈRE.

C'est dans nos bois que l'amour a des charmes,

C'est dans nos bois que son empire est doux,

345   Préparons-nous.

À ses douces alarmes

Rendons lui les armes ,

Cédons à ses coups.

UNE PRINCESSE COQUETTE.

Amants ne quittez point vos chaînes,

350   Si l'amour a des peines,

Il rend contents les coeurs qu'il fait souffrir,

Ce Dieu charmant dans vos maux s'intéresse,

Il ne vous blesse

Que pour vous guérir.

LE CHOEUR.

355   L'amour dans ses retraites,

Enchaîne tous les coeurs ;

Chantons, célébrons les conquêtes,

Du vainqueur des vainqueurs.

TROISIÈME ENTRÉE.

Le Théâtre représente un bois où l'on voit un temple consacré à l'Amour.

SCÈNE PREMIÈRE.
Fernand, Alcipe.

FERNAND.

Arrêtons nous dans ce bocage,

360   Mille amants empressés,

Viennent rendre hommage

À l'Amour qui les a blessés ;

Et j'y pourrai trouver l'ingrate qui m'engage.

ALCIPE.

Languirez-vous toujours dans un triste esclavage.

FERNAND.

365   L'Amour nous fait brûler des plus vives ardeurs,

Nous cédons quand il veut aux lois qu'il nous impose ;

C'est l'amour qui dispose

De la liberté des coeurs.

SCÈNE II.

ÉLISE, seule.

Chantez petits oiseaux, vous n'avez rien à craindre.

370   La peur de n'être pas aimés,

Ne vous engage point à feindre ;

Et vous suivez sans vous contraindre

Les doux transports de vos coeurs enflammés,

Chantez, petits oiseaux, vous n'avez rien a craindre.

375   Que vois-je, ô Ciel ! C'est l'objet qui m'enflamme.

SCÈNE III.
Élise, Alcipe faisant plusieurs tours dans le bois.

ÉLISE.

L'Indifférent Alcipe aime enfin à son tour,

L'amour le fait rêver dans ce sombre séjour.

ALCIPE.

L' Amour n'a point encor blessé mon âme,

Pour me garantir de ses traits,

380   J'ai toujours avec soin respecté sa puissance,

Et grâce à mon indifférence,

Je goûte un assez, douce paix.

ÉLISE.

Il est doux quelquefois de lui rendre les armes,

L'intérêt de nos coeurs nous force a lui céder,

385   L'amour seul peut nous accorder

Des plaisirs pleins de charmes.

ALCIPE.

L'Amour me fait trembler, la douceur de ses chaînes

Me saurait tenter mes désirs,

Et pour être exempt de ses peines,

390   Je le quitte de ses plaisirs.

ÉLISE.

Tout nous parle d'amour dans ce charmant bocage,

Écoutez les oiseaux sous ces feuillages verts,

Ils expriment dans leurs concerts

La douceur de leur esclavage.

ALCIPE.

395   Je n'entends rien a leur langage,

Si l'Amour avait des douceurs,

Qui pourrait engager tant de coeurs à le craindre ?

Tout l'Univers se plaint de ses rigueurs,

Et je n'aime point à me plaindre.

ÉLISE.

400   Il faut aimer pour être heureux,

Il n'est plus temps d'être amoureux,

Quand a passé le bel âge ;

Que sert d'avoir un coeur, si l'amour ne l'engage ?

Et que peut-il aimer, s'il ne ressent ses feux ?

ALCIPE.

405   J'aime à voir en paix du rivage

Des malheureux amants le funeste naufrage,

J'aime à leur voir former des voeux,

Pour des maîtresses infidèles ,

Et s'applaudir souvent des faveurs de leurs belles,

410   Lorsqu'un rival caché les partage avec eux.

ÉLISE.

L'Amour vous forcera tôt ou tard à vous rendre.

ALCIPE.

Je saurai toujours m'en défendre.

ÉLISE.

Il a bientôt allumé son flambeau ,

Pour soumettre les coeurs qui bravent sa puissance.

ALCIPE.

415   Que son triomphe sera beau

S'il peut vaincre ma résistance ?

SCÈNE IV.
Aricie, Élise.

ÉLISE.

Tous les coeurs vous rendent les armes,

Je vois avec plaisir des triomphe si beaux,

L'Amour qui s'intéresse au pouvoir de vos charmes,

420   Dans vos fers tous les jours met des amants nouveaux.

ARICIE.

Les soins que l'on prend pour me plaire

Font trop d'honneur à mes faibles appas,

Mais l'amour ne plaît guère,

Quand l'amant ne plaît pas.

ÉLISE.

425   Pour suivre une flamme nouvelle,

Vous avez rendu malheureux

L'amant le plus fidèle,

Et le plus amoureux.

ARICIE.

Votre amitié pour moi toujours a su paraître,

430   c'est à vous que mon coeur veut se faire connaître,

Cet amant dont le sort semble vous attendrir,

N'est pas le plus à plaindre.

J'ai cru voir son ardeur pour moi se ralentir,

Et pour l'empêcher de s'éteindre

435   À des liens nouveaux j'ai feint de consentir.

ÉLISE.

Pouvez-vous sans trembler voir le péril extrême

Où vos rigueurs vont l'engager ?

Eh ! Que peut on avoir à ménager,

Quand il faut sauver ce qu'on aime ?

TOUTES DEUX.

440   Eh ! Que peut-on avoir à ménager,

Quand il faut sauver ce qu'on aime ?

ARICIE.

Je ne saurais briser mes noeuds,

Je veux, quoi qu'il m'en coûte, éprouver sa constance

Tâchez si vous m'aimez, d'entretenir ses feux,

445   Et s'il le faut encor, rendez-lui l'espérance.

SCÈNE V.

ARICIE, seule.

Cessez, vaine fierté, cessez de me contraindre,

Si mon vainqueur m'aime toujours,

Pourquoi m'engagez vous à feindre.

Pourquoi vouloir troubler nos tranquilles amours ?

450   Cessez vaine fierté, cessez de me contraindre

Aimez, mon cher amant, vous n'avez rien à craindre.

Vous régnez toujours dans mon coeur,

Vous l'embrasez d'un feu que je ne puis éteindre.

Je connais vos ennuis, je sais votre langueur.

455   Mais je ne suis pas moins à plaindre,

Si j'exerce sur vous une extrême rigueur,

C'est pour éprouver vôtre ardeur,

Aimez, aimez, vous n'avez rien à craindre.

Elle le voit.

Je le vois ; dans ces lieux il a suivi mes pas,

460   Revenez ma fierté, ne m'abandonnez pas.

SCÈNE VI.
Aricie, Fernand.

FERNAND.

Voulez-vous m'éviter sans cesse ?

ARICIE.

Voulez-vous m'arrêter toujours ?

FERNAND.

Voyez l'excès, de ma tristesse.

ARICIE.

Est-ce à moi d'en borner le cours ?

FERNAND.

465   C'est de vous seulement que j'attends du secours.

En vain vous m'ôtez l'espérance,

En vain de mes rivaux vous approuvez les soins,

Je ressens vos mépris, je vois votre inconstance,

Et je ne vous aime pas moins.

ARICIE.

470   Il faut vous dégager ; dans une amour nouvelle

Vous pourrez trouver des appas.

FERNAND.

Eh ! Le puis-je cruelle !

Puis-je vous oublier hélas !

Pour me rendre infidèle

475   L'exemple et les conseils ne me suffisent pas.

Dans le tourment qui me possède

Ce barbare conseil peut-il me soulager ?

Inhumaine, est-ce à vous à m'offrir ce remède

Après m'avoir promis de ne jamais changer ?

ARICIE.

480   Tant que j'ai régné sur votre âme

Aux soins de vos rivaux mon coeur a résisté,

Je voyais tous les jours expirer votre flamme,

J'ai voulu prévenir votre infidélité

FERNAND.

Vous usez d'une vaine adresse,

485   Pour donner une excuse à votre trahison.

ARICIE.

Je n'ai point changé sans raison,

Vous avez le premier trahi notre tendresse.

Je cédais au penchant de mon coeur prévenu,

Mes feux trop violents comblaient votre espérance ;

490   Et j'avais oublié qu'un amour trop connu

Ralentit d'un amant les soins et la constance,

Non, c'est vous qui me trahissez,

Non, vous m'aimez moins que vous ne pensez.

FERNAND.

Malgré les maux que vous me faites

495   je sens que vos attraits peuvent tout enflammer ;

je vous aime toujours, ingrate que vous êtes,

Plus que je ne dois vous aimer.

Pouvez-vous oublier une chaîne si belle ?

Nous nous étions promis de la rendre éternelle.

ARICIE.

500   Je ne veux plus me souvenir

D'une tendresse si charmante,

Quand je veux y penser ma honte s'en augmente ;

Cessez, de m'en entretenir

Je ne veux plus m'en souvenir.

FERNAND.

505   Qu'entends-je ? Ô Ciel !

ARICIE.

Non, vous ne devez pas prétendre

De me faire reprendre

Des noeuds que j'ai brisés.

C'est une erreur de l'entreprendre

510   Vous les avez, trop méprisez ;

Non, vous ne devez pas prétendre

De me faire reprendre

Des noeuds que j'ai brisés.

FERNAND.

Croyez-vous qu'il me soit possible

515   De me faire un destin paisible,

Si vous m'abandonnez ?

Je sens déjà l'horreur d'un désespoir funeste,

Et de mes jours infortunés

Vous bornerez bientôt le déplorable reste,

520   Si vous m'abandonnez ?

ARICIE.

Qu'est devenu votre courage ?

Vous devez le mettre en usage

Pour vaincre un sort qui vous paraît affreux.

ENSEMBLE.

L'espérance est le partage,

525   Le désespoir est le partage,

Des amants malheureux.

FERNAND.

Vous me quittez !

ARICIE.

Les amants en ce temple

S'assemblent en ce jour,

J'y vient à leur exemple

530   Pour accomplir un voeu que j'ai fait à l'Amour.

SCÈNE VII.
Fernand, Élise.

ÉLISE.

Quoi ? Toujours sombre et solitaire ?

FERNAND.

J'ai perdu pour jamais l'objet qui m'a su plaire.

ÉLISE.

Il faut toujours espérer en aimant,

L'Amour veut éprouver, peut-être,

535   Si votre coeurs sait aimer constamment ;

Ce Dieu peut faire naître

Vos plaisirs de votre tourment ;

Il faut toujours espérer en aimant.

FERNAND.

La rigueur de mon sort ne peut-être adoucie,

540   Non, non, je ne me trompe pas,

J'ai lu dans les yeux d'Aricie,

L'arrêt de mon trépas.

ÉLISE.

Soyez toujours tendre et fidèle,

Après une rigueur cruelle

545   Vous verreZ finir votre ennuI,

L' Amour vous aIdera, reposez-vous sur luI.

Allons assister à la fête,

Que pour ce Dieu charmant en ces lieux on apprête,

SCÈNE VIII.
Troupe d'amants et d'amantes qui sont venus rendre hommage à l'Amour.

DEUX AMANTES.

Jeunes coeurs gardez-vous de prétendre

550   Que l'Amour ne vous enflamme pas,

Tôt ou tard il saura vous apprendre

Que tout cède à ses charmants appas.

DEUX AMANTS HEUREUX.

Dans ce charmant séjour

Notre bonheur dépend de notre amour.

L'AMANT.

555   La grandeur brillante

Me rend pas content,

Un rang éclatant

N'a rien qui nous tente.

L'AMANTE.

Notre âme asservie

560   Sous d'aimables lois

S'attache à son choix,

Et voit sans envie

Le destin des Rois.

L'AMANT.

Pourquoi se contraindre

565   L'Amour comble nos voeux,

Ses maux rendent heureux.

On a beau le craindre

On a beau s'en plaindre,

On aime mieux sentir ses feux

570   Que de les éteindre.

L'AMANTE.

Un coeur qui soupire

Aime son martyre,

Il n'en veut point guérir

Dans l'excès du mal qui l'accable,

575   L'ennemi qui le fait souffrir

Lui paraît aimable.

ENSEMBLE.

Dans ce charmant séjour

Notre bonheur dépend de notre amour.

CHOEUR.

L'Amour tient sous ses lois le Ciel, la terre et l'onde,

580   Ses traits sont redoutés jusqu'au centre du monde,

Chantons, redisons tour à tour,

Que tout l'Univers nous réponde

Qu'il n'est point de pouvoir qui ne cède à l'Amour.

SCÈNE IX.
Aricie, Élise.

ÉLISE.

Fernand brûle pour vous d'une flamme constante,

585   Quittez une vaine terreur.

ARICIE.

Je ne suis point contente

D'une commune ardeur,

Et je veux pour toujours m'assurer de son coeur.

Sur le sort que je dois attendre

590   Allons consulter Aristandre.

QUATRIÈME ENTRÉE.

Le Théâtre représente l'Antre d'Aristandre.

SCÈNE PREMIÈRE.

ARISTANDRE, seul.

Mon art surprend les mortels et les Dieux,

Du plus sombre avenir je perce le nuage,

Je commande aux esprits du ténébreux rivage,

Je fais pâlir la lumière des Cieux,

595   Et je puis attendrir le coeur le plus sauvage.

Amants qui gémissez dans un triste esclavage

Venez, accourez en ces lieux.

SCÈNE II.
Aristandre, Aricie.

ARICIE.

Pour fixer mon incertitude

Je viens implorer ton secours,

600   D'une cruelle inquiétude

Tu peux sauver mes jours.

ARISTANDRE.

Pour répondre à tes voeux je puis tout entreprendre,

Et mon pouvoir pour toi ne sera point borné.

Où faut-il m'employer ?

ARICIE.

J'ai peine à te l'apprendre,

605   Et tu vas en être étonné.

Ne trompe point mon espérance,

Pour connAître le coeur

De celui qui fait ma langueur,

Il faut me découvrir aujourd'hui ta science.

ARISTANDRE.

610   Qu'entends-je ! Ô Ciel ?

ARICIE.

  Pour connaître sa foi

Je veux ne me fier qu'à moi.

Il me jure toujours une tendresse extrême.

Pour cacher leur légèreté,

Tous les amants parlent de même,

615   Et l'on ne saurait trop prendre de sûreté,

Avec ce que l'on aime.

ARISTANDRE.

Mon pouvoir est connu jusqu'au centre du monde,

Je veux que l'Enfer te réponde.

Esprits soumis à mes lois

620   Venez, répondez à ma voix,

Montrez à me servir votre ardeur sans égale,

Hâtez-vous découvrez un mystère caché,

Sortez, de la nuit infernale,

Apportez la robe fatale,

625   Où mon pouvoir est attaché.

On voit sortir de dessous le théâtre quatre démons qui apportent la robe mystérieuse, qui communique la science d'Aristandre.

SCÈNE III.
Aristandre, Aricie.
Troupe de Démons.

UN DÉMON.

Ta voix a pénétré dans la nuit éternelle,

Nous suivons tes désirs avec un soin fidèle.

L'Amour se fait trop redouter,

Il ne cesse point d'agiter

630   Les coeurs qui lui rendent les armes,

Trop heureux qui peut éviter

Le pouvoir de ses charmes.

Que sans cesse la crainte

Suive vos ardeurs,

635   L'Amour n'est souvent qu'une feinte

Pour surprendre vos coeurs.

CHOEUR.

Que sans cesse la crainte

Suive vos ardeurs,

L'Amour n'est souvent qu'une feinte

640   Pour surprendre vos coeur.

LE MÊME DÉMON.

Quand l'Amour cherche à vous soumettre

Défendez-vous d'abord de vous laisser charmer,

Avant que de céder à l'ardeur qu'il fait naître ;

Il faut connaître

645   Ce qu'on doit aimer.

Le Démon donne à Aristandre la robe qu'il a apportée.

SCÈNE IV.
Aristandre, Aricie.

ARISTANDRE.

Par ce puissant secours tu peux te faire entendre

Jusques dans le sombre séjour,

Ton pouvoir va s'étendre,

Plus loin que la clarté du jour.

CINQUIÈME ENTRÉE.

Le théâtre change et représente un autre endroit de l'île inconnue, voisin de l'Antre d'Aristandre.

SCÈNE PREMIÈRE.
Fernand, Alcipe.

FERNAND.

650   Il faut m'éclaircir en ce jour

Du sort de mon amour,

C'est dans ces demeures secrètes

Que de l'obscur avenir

On consulte les Interprètes.

ALCIPE.

655   Votre coeur dans ses maux aime à s'entretenir.

La beauté qui vous a su plaire

Triomphe de votre embarras ;

Aux yeux d'une maîtresse fière

Les peines d'un amant ont toujours des appas.

660   L'excès du mal qui vous accable

Flatte sa vanité,

Et vous auriez trouvé sa fierté plus traitable

Si vos chagrins avaient moins éclaté.

FERNAND.

Il faut que sans témoins cet oracle se rende,

665   Ne suivez point mes pas, qu'en ces lieux on m'attende.

SCÈNE II.
Élise, Alcipe.

ÉLISE.

Quel sort vous conduit en ce bois,

Vous qui ne ressentez, ni l'amour ni sa flamme ?

ALCIPE.

Vous devez connaître mon âme,

Je fuis les amoureuses lois.

ÉLISE.

670   Rien n'est si doux que l'amoureux empire

Rien n'est si fort que les traits de l'Amour,

Tout ce qui respire

S'enflamme et soupire,

Tout aime à son tour,

675   Si vous avez, un coeur vous aimerez un jour.

ALCIPE.

Non, l'Amour ne peut me surprendre,

Son pouvoir ne m'étonne pas,

On peut être assuré toujours de s'en défendre,

Quand on résiste à vos appas.

ÉLISE.

680   Vous ne devez point vous contraindre

L'Amour doit toujours alarmer,

Je suis la première à le craindre

je ne saurais blâmer,

Un coeur qui se défend d'aimer.

ENSEMBLE.

685   De mille soins fâcheux la tendresse est suivie,

Évitons un fatal lien,

Heureux un coeur qu'Amour oublie ?

Heureux un coeur qui n'aime rien ?

SCÈNE II.
Arcas, Élise.

ARCAS.

Je ne dois point venir en ces lieux écartés,

690   Pour m'éclaircir du sort que mon coeur doit attendre,

Tes yeux me font assez entendre

Que mes voeux les plus doux sont toujours rebutés.

ÉLISE.

Lorsque j'étais sensible à ton amour extrême

Je te parlais de bonne foi,

695   Aujourd'hui que mon coeur ne sent plus rien pour toi

Je te parle de même.

ARCAS.

Ai-je pu m'attirer cette extrême froideur

Et mériter cette injustice ?

ÉLISE.

Soit que j'aime ou que je haïsse,

700   Je ne saurais cacher mon coeur.

ARCAS.

Ciel ?

ÉLISE.

Je t'offre un secours facile

Pour te faire un sort tranquille.

Et pour laisser mon coeur en paix,

Si le désespoir est utile,

705   Pour étouffer tes vains regrets,

Je te promets de ne t'aimer jamais.

ARCAS.

Je manquerais de courage

Après un tel aveu si je suivais tes pas ;

Pour me venger de tes appas

710   Je t'abandonne à ton humeur volage.

SCÈNE IV.
Aricie, Élise.

[ARICIE].

Pour soulager ma peine extrême,

De quel espoir ai-je pu me flatter ?

En voulant m'éclaircir quel soin vient m'agiter ?

J'ai peur de me trahir moi-même ;

715   Lorsque l'on a cessé de plaire à ce qu'on aime,

C'est toujours un bonheur que d'en pouvoir douter,

Pour soulager ma peine extrême

De quel espoir ai-je pu me flatter ?

ÉLISE.

Pour calmer votre inquiétude

720   Peut-être prendrez-vous trop de soin en ce jour,

Il faut se réserver un peu d'incertitude

Lorsque l'on veut avoir du plaisir en amour.

ARICIE.

Fernand me cherche en ce bocage,

Mon coeur va me trahir je n'ai pas le courage

725   De soutenir le trouble où je le vois ;

je sens que la pitié va découvrir ma flamme,

Et je dois me fier à quelqu'autre qu'à moi

Pour lire dans son âme.

SCÈNE V.

FERNAND, seul.

Rochers inaccessibles,

730   Écoutez le récit de mes vives douleurs ;

Vous cesserez d'être insensibles

Lorsque vous saurez mes malheurs.

SCÈNE VI.
Aricie, Florinde, Fernand.

ARICIE.

Il est seul, hâtez-vous d'éclaircir un mystère

D'où dépend mon bonheur ;

735   Pour sentir le repos de retour dans mon coeur

Amour c'est en vous que j'espère.

Aricie se cache dans un endroit d'où elle peut les entendre.

SCÈNE VII.
Aricie, Fernand, Florinde.

FERNAND.

Vous qui pouvez m'instruire

Du sort de mes amours,

Hâtez-vous de me dire

740   Quel en sera le cours.

FLORINDE.

Vous brûlez pour une inhumaine,

Elle n'a pu garder sa chaîne ;

Vos feux sont tendres et constants,

Mais vous avez, bien l'air de soupirer longtemps.

FERNAND.

745   Ne puis-je me flatter de l'espoir agréable

De la toucher un jour par mes soins amoureux ?

FLORINDE.

Cessez d'entretenir vos feux,

Elle sera pour vous toujours inexorable.

FERNAND.

Quoi ! Toujours amoureux et toujours misérable,

750   Je ne verrai jamais finir

Mon destin déplorable ?

FLORINDE.

Je ne vois rien dans l'avenir

Qui vous soit favorable.

FERNAND.

Ô Ciel ! Quel affreux désespoir !

755   Son coeur est-il en son pouvoir ?

FLORINDE.

L'Amour s'est pour jamais emparé de son âme,

Rien ne peut la changer,

Et vos malheurs loin de la dégager,

Ne font que redoubler sa flamme.

FERNAND.

760   Ah ! Que m'apprenez-vous !

Quel malheur !

FLORINDE.

Vous aimez, sous un astre en courroux.

FERNAND.

À cet Oracle épouvantable

Mon coeur ne veut point s'arrêter.

FLORINDE.

Téméraire, apprenez votre sort effroyable

765   Puisque vous en voulez, douter...

FERNAND.

Cessez, de vouloir me troubler,

Mon destin tel qu'il soit ne me fait point trembler ;

J'adore malgré lui la beauté qui m'enflamme ;

Si je ne puis toucher son âme

770   La vie est pour moi sans appas ;

Dites-lui que l'amour malheureux et fidèle

Dont je brûle pour elle

M'a contraint à chercher un funeste trépas.

Il tire son épée pour se tuer, Aricie sort avec précipitation du lieu où elle était, et se jette sur son épée.

ARICIE.

Arrêtez, Ciel! Ô Ciel ! Qu'allez-vous entreprendre ?

775   Après un tel amour je vous dois tout apprendre.

FERNAND.

Que vois-je ? Ô Dieux ?

ARICIE.

, Vous voyez devant vous

Cette même Princesse

Pour qui l'Amour vous fait sentir ses coups,

Et qui fait son bonheur de garder sa tendresse.

FERNAND.

780   Est-ce un charme ?

ARICIE.

  Oubliez, les innocents détours,

Que m'a fait prendre une tendresse extrême !

Si j'ai d'un art terrible emprunté le secours,

Pour s'assurer de ce qu'on aime

À quoi n'a-t'on pas recours ?

TOUS TROIS.

785   Ah que l'Amour aurait de charmes !

Si l'on pouvait aimer sans trouble et sans alarmes ?

ARICIE.

Peuples que le destin soumet à ma puissance.

Célébrez en ce jour l'amour et sa constance.

SCÈNE VIII.
Fernand, Aricie, Alcipe, Élise, Suite de Fernand, les Peuples de l'île inconnue.

FERNAND.

L'Amour a fini mes alarmes,

790   Un calme heureux succède au trouble de mes sens,

Et j'ai trop peu versé de larmes

Pour les douceurs que je ressens.

ÉLISE.

Dans l'amoureux empire

On a bien à souffrir,

795   Les biens où l'on aspire

Sont longtemps à venir.

On languit, on soupire,

Dans un cruel martyre ;

Mais un heureux moment

800   Finit un long tourment.

HABITANS DE L'ÎLE INCONNUE.

Il faut brûler d'une ardeur éternelle

Pour avoir un beau rang dans l'empire amoureux ;

Jeunes coeurs qui prenez une chaîne nouvelle

Aimez, d'un amour fidèle,

805   Tôt ou tard vous serez, heureux.

LE CHOEUR.

Célébrons la puissance

De l'Amour et de la constance ,

Célébrons les plaisirs charmants

Des fidèles amants.

 



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