LE RÊVE

OPÉRA COMIQUE EN UN ACTE

Représentée pour la première fois sur le Théâtre de la Foire en 1738.

1763.

À PARIS, Chez DUSCHESNE, rue Saint-Jacques, au dessous de la Fontaine Saint-Benoît, au Temple du Goût.

Représentée pour la première fois sur le Théâtre de la Foire en 1738.


Texte établi par Paul FIEVRE, août 2023

Publié par Paul FIEVRE, août 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:55:31.


ACTEURS.

CHRYSANTE, oncle d'Angélique.

ANSELME, ami de Chrysqnte.

CLITANDRE, ami d'Angélique.

JULIE, femme de Chrysante.

FLORETTE, soubratte de julie.

JACQUES, portier de Chrysante.

NICOLE, cuisinière.

SCAPIN, valet d'Anselme.

La Scène est à l'Opéra.

Texte tiré de "Théâtre et Oeuvres diverses de M. Panard", Paris, Duschene, 1763. pp. 213-258.


LE RÊVE

SCÈNE PREMIÈRE.
Chrysante, Florette.

CHRYSANTE.

Eh ! Bien ; Florette, as-tu exécuté mes ordres ?

FLORETTE.

Avec toute la fidélité possible.

CHRYSANTE.

AIR. Du Confiteor.

Angélique est donc au couvent ?

FLORETTE.

Oui, Monsieur; votre aimable nièce ;

Du cloître inutile ornement,

Va bientôt sécher de tristesse

5   Sans savoir par où, ni comment

Elle a mérité ce tourment.

Ah ! Monsieur, j'en pleurerai plus d'un jour. Si vous saviez avec quelle tendresse la pauvre enfant m'a embrassée, quand j'ai pris congé d'elle ! Elle m'a dit, les larmes aux yeux : ma chère Florette, assure bien cher mon oncle de mes respects ; dis lui :

AIR. Quand le péril est agréable.

Que, sans peine et sans répugnance,

Je me conforme à son désir

Et, que je mets tout mon plaisir

10   Dans mon obéissance.

CHRYSANTE.

Passons là-dessus.

FLORETTE, à part.

C'est un rocher que ce vieux bourru-là.

CHRYSANTE.

As-tu vu Monsieur Anselme ?

FLORETTE.

Oui, Monsieur ; il sera ici dans un moment.

CHRYSANTE.

Tu peux aller à tes affaires : je n'ai plus rien à te dire.

FLORETTE.

Oh ! J'ai à vous parler, moi : il faudrait être dépourvu de tout sentiment pour demeurer dans le silence. En bonne foi, Monsieur, faites-vous les actions d'un homme sensé ? Est-il possible qu'un notable comme vous, un personnage versé dans les lois se donne un pareil ridicule ? Savez vous bien comme on vous traite dans le monde ?

AIR : Dans un amoureux mystère.

De vous on tient ce langage ;

Que vous êtes un jaloux,

Qui d'un rien prenez ombrage ;

Le plus fâcheux des époux ;

15   Un vrai sauvage,

Plus fou cent fois que les fous

Que l'on encage.

On dit que vous êtes un homme impraticable, ennemi déclaré de tout plaisir et de toute société ; en un mot que le vieux hibou desséché que vous avez fait clouer sur votre porte cochère, sont des armes parlantes. Voilà ce que j'avais à vous dire, faites en votre profit.

SCÈNE II.

CHRYSANTE, seul.

Tous ces dictons-là ne m'empêcheront pas d'aller mon train. J'aperçois Monsieur Anselme ; c'est un bon voisin et un ancien ami : ses conseils peuvent m'être de quelqu'utilité.

SCÈNE III.
Anselme, Chrysante.

ANSELME.

Bonjour à Monsieur Chrysante.

CHRYSANTE.

Votre serviteur très humble, Monsieur Anselme.

ANSELME.

Je viens d'apprendre une étrange nouvelle. On dit que vous avez fait mettre Angélique au Couvent.

CHRYSANTE.

On vous a dit la vérité.

ANSELME.

AIR. Place au Régiment de la Calotte.

Ce procédé n'est pas humain.

D'où vient ce bizarre dessein ?

20   J'en suis surpris ; car votre nièce

Est une exemple de sagesse.

CHRYSANTE.

Des amants je sais le trantran.  [ 1 Trantran : La manière ordinaire de conduire certaines affaires ; la routine qu'on y suit. [L]]

C'est pourquoi j'ai formé le plan...

ANSELME.

De porter la marotte ;

25   Et plan, plan, plan,

Place au Régiment de la Calotte.

CHRYSANTE.

Voici ma raison, qui est, ce me semble, très sensée. Un long usage du monde m'a fait connaître que dans la maison où il y a une jeune femme et une fille à marier, celle-ci sert de prétexte aux amants de la femme. Je ne veux point chez moi de ces amours équivoques. En un mot, je veux voir clair dans mes affaires.

ANSELME.

Ceci serait fort bon, si vous aviez une femme coquette. Mais vous devez être sûr de Julie.

CHRYSANTE.

Pas autrement : je vous avouerai même confidemment que je crains quelqu'intrigue secrète : allez, allez ; si j'en pouvais faire d'elle autant que de ma nièce....

ANSELME.

Vous l'enfermeriez ? Quelle folie ! Ce n'est pas le moyen de ramener une femme.

AIR. Que faites-vous, Marguerite ?

On aime un époux facile,

Chez qui régné la douceur.

CHRYSANTE.

Moi, je traite d'imbécile

30   Un mari de cette humeur.

ANSELME.

Mon cher voisin, apprenez de moi qu'il en est d'une bosse au front d'un mari, près à peu comme d'un rhume de cerveau. Quand on a cette petite indisposition, il faut laisser aller son cours.

AIR. J'avais, Lisette, un billet doux.

Fleurs de pas d'âne,

Conserve, ce jus

Sirop, ptisanne  [ 2 Ptisanne : Nom, chez les Grecs, de l'orge pilée, avec laquelle on faisait une décoction qu'on administrait aux malades soit non passée et avec le grain, soit passée. [L]]

Sont superflus.

35   S'imaginer que l'on s'en trouve bien ;

Sottise extrême !

Faites-y quelque chose, ou rien ;

C'est tout de même.

La seule différence que j'y trouve, c'est que la diète est salutaire aux enrhumés, et pernicieuse aux jaloux. Il faut que ceux-ci mangent beaucoup, et boivent encore davantage. Le vin de champagne fait digérer bien des choses ; mais vous n'êtes pas dans ce cas.

CHRYSANTE.

Plût au ciel !

ANSELME.

AIR. De quoi vous plaignez-vous ?

De quoi vous plaignez-vous ?

40   Voudriez-vous me l'apprendre ,

De quoi vous plaignez-vous ?

Qui vous met en courroux ?

Julie a l'air doux et tendre :

Tous les coeurs en sont charmés.

45   Je ne saurais comprendre

Pourquoi vous la blâmez.

CHRYSANTE.

Pourquoi je la blâme ! Je l'ai vue l'autre jour tête à tête avec un jeune homme qui la conjurait, les larmes aux yeux, d'avoir pitié de lui.

ANSELME.

Bagatelle.

CHRYSANTE.

Elle lui a promis, (et je l'ai bien entendu,) qu'il ne tiendrait pas à elle qu'il ne fût bientôt heureux. Comment appelez-vous cela ?

ANSELME.

Pas grand' chose.

CHRYSANTE.

Vous me feriez mourir.

ANSELME.

Je suis persuadé que ce jeune homme est un nommé Clitandre.

CHRYSANTE.

Clitandre, Valère ; que m'importe ? Je ne m'étonne plus moi-même si Julie a tant de froideur pour moi. C'est une glace que cette femme-là ; je n'en reçois pas deux caresses dans un an de temps.

ANSELME.

AIR. La nuit et je jour.

Elle a, (j'en suis témoin,)

Grand sois de vous complaire.

Chrysante, est-il besoins

50   Qu'elle passe, à vous faire

Sa cour,

La nuit et le jour ?

Les démonstration les plus vives ne sont pas les plus sincères, au moins. Quelqu'un vient.

CHRYSANTE.

C'est elle. Qui ne serait trompé à cet extérieur ?

SCÈNE IV.
Chrysante, Julie, Anselme.

CHRYSANTE.

AIR. Mon gentil petit mari.

Vous voilà, Madame !

Qui donc cherchez-vous ?

JULIE.

55   De ma tendre flamme

L'objet le plus doux.

Oui, je viens chercher ici

Mon gen, mon gen, mon gentil mari.

AIR. Ah ! qu'il est beau, l'oiseau !

Ah ! que mon coeur est réjoui,

60   Quand je me vois près de celui

Que j'aime, que j'aime !

Loin de lui, Mon ennui

Devient extrême.

ANSELME.

Sont-ce là des froideurs, à votre avis ?

JULIE.

Qu'as-tu donc, mon fils ? Te voilà bien rêveur !

AIR : Il vous faudrait un biscuit.

Que te faut-il, mon petit,

65   Pour te , pour te, pour te remettre ;

Que te faut-il, mon petit,

Pour te remettre un peu l'esprit ?

Réponds-moi, je te prie : est-ce que tu me boudes ? Monsieur Anselme, engagez-le à nous dire quelque chose.

ANSELME.

Monsieur Chrysante, parlez donc à Ma dame. Faut-il être comme cela ?

CHRYSANTE.

AIR : Je ne bois jamais qu'un coup.

C'est ainsi qu'est mon humeur.

Je hais tout ce vain langage,

70   Le babil, le verbiage,

Qui du sexe est le partage.

ANSELME.

Un petit mot de douceur.

JULIE.

Allons, mon ami, courage :

Vous taire ainsi, quel dommage !

CHRYSANTE.

75   Madame, c'est mon usage.

Je suis né de cette humeur.

JULIE.

AIR : C'est ce qui vous enrhume.

Sur votre estomac que ceci soit joint ;

Boutonnez vous bien, fermez ce pourpoint.

Ici grand feu s'allume.

80   Allez vous chauffer ; ne craignez-vous point

Que l'air ne vous enrhume ?

Chrysante regarde d'un autre côté.

ANSELME.

De quel air il reçoit cela.

JULIE, entendant tousser Chrysante.

Voilà une toux qui m'inquiète.

AIR. Vous avez bien de la bonté.

T'a-t-on fait prendre, ce matin,

Certain , jus de réglisse ?

85   Donne-moi ta petite main :

Vite, qu'on m'obéisse.

ANSELME.

Pourquoi ce silence affecté ?

Vous voyez comme on vous caresse.

CHRYSANTE, à part.

Ah ! La traîtresse !

Haut.

90   Madame, en vérité,

Vous avez bien de la bonté»

JULIE.

Puisque tu ne veux point me parler, je m'en vais : adieu, mon petit mari. J'avais pourtant quelque chose à te dire au sujet d'Angélique ; ce fera pour une autre fois.

SCÈNE V.
Chrysante, Anselme.

ANSELME.

En vérité, vous avez grand tort d'accuser Julie d'indifférence ; ce que je viens de voir de d'entendre.

CHRYSANTE.

Redouble mes inquiétudes. Vous ne connaissez pas les femmes, Monsieur Anselme. Je suis à présent presque sûr de mon malheur. Julie est devenue trop caressante, pour n'être point coupable.

ANSELME.

Ma foi, je ne vous conçois pas.

AIR. Et voilà, comme l'homme.

Tantôt vous blâmiez fa froideur ;

Vous lui demandiez plus d'ardeur.

À présent qu'elle vous caresse.

95   Ce témoignage de tendresse

Vous déplaît.

CHRYSANTE.

Avec fondement.

ANSELME.

Et voilà comme

L'homme

N'est jamais content.

AIR. Du Confiteor.

100   Mais quelle est donc votre raison ?

Dites-la moi, je vous conjure.

CHRYSANTE.

Tant d'amitiés hors de saison

Pour moi sont d'un mauvais augure.

Femme si bonne à son mari

105   Fait soupçonner un favori.

Je parlerais que Clitandre...

ANSELME, à part.

Cet homme-là a le cerveau frappé.

Haut.

Vision, vision toute pure ! Je connais ce Clitandre, encore une fois. Angélique est l'objet qui le touche. Je suis sûr que c'est à son sujet qu'il a parlé l'autre jour à Julie. Il doit même tantôt vous aller voir pour cela.

CHRYSANTE.

C'est de quoi nous nous éclaircirons.

ANSELME.

Je ne songe pas que je m'arrête ici trop longtemps. Certaine affaire pressante m'oblige de vous quitter. Au revoir.

CHRYSANTE.

Votre serviteur, mon voisin. Je vais si bien éclairer la conduite de ma femme rien, que ne pourra m'échapper. Je veux, à quelque prix que ce soit, avoir le coeur net sur le chapitre de Clitandre.

SCÈNE VI.
Julie, Florette.

FLORETTE.

Il faut avouer, Madame, que vous avez un mari bien singulier !

JULIE.

Je ne sais plus tantôt qu'y faire, moi : je ne suis pas de ces femmes politiques qui étouffent leurs maris par leurs caresses ; sachant que mon époux se plaignait de ma froideur, je l'ai flatté, cajolé, mignardé j'ai joué auprès de lui ; en un mot le rôle de la femme du monde la plus prévenante : chose inutile.   [ 3 Mignarder : Affecter de la délicatesse, de la grâce. [L]]

AIR. Je suis la fleur, etc.

Bien loin, hélas ! Qu'une tendre et doux langage

Ait la vertu de la fléchir,

Plus on le flatte, et plus il est sauvage ;

110   Les douceurs ne sont que l'aigrir.

FLORETTE.

Il y a trois ans que vous êtes ensemble ; a-t-il toujours été jaloux ?

JULIE.

Toujours ; mais non pas à ce point là.

FLORETTE.

Quelque chose lui aura passé par la tête ; ne serait-ce point Clitandre. Il vous a vue l'autre jour avec lui. Je parierais qu'il ne aura conçu de l'ombrage.

JULIE.

Je l'ai déjà pensé comme toi. Ah, ah, ah.

FLORETTE.

AIR. Talalarire.

Vous riez ; qu'avez-vous? Madame ?

Daignez m'apprendre quel plaisir

Dans ce moment touche votre âme.

JULIE.

Je me rappelle un souvenir.

115   Il faut que je te fasse rire.

Talaleri, etc.

Tu sais qu'hier au soir mon mari, selon sa louable coutume, me fit une querelle aussi mal fondée que toutes les autres. Ses tracasseries, et la visite de Clitandre que j'avais reçue l'après-midi, s'emparèrent de mon idée en me couchant : tout cela m'a occaSIonné le plus plaisant rêve du monde.

FLORETTE.

Je suis impatiente de le savoir : les rêves quelquefois deviennent des vérités.

JULIE.

AIR. L'autre nuit j'aperçus en songe.

Cette nuit j'ai cru voir en songe

D'Angélique le jeune amant.

Je ne puis deviner comment

120   L'esprit le forge un tel mensonge :

Mais jamais, jusques à ce jour

On ne m'a tant marqué d'amour.

FLORETTE.

AIR. Souvenez-vous-en.

Vous rêvez fort joliment ;

Je vous en fais compliment.

125   De ce longe si charmant

Détaillez-moi tout; souvenez-vous-en :

De ce songe si charmant

Voyons le commencement.

CHRYSANTE, arrivant à pas de loup.

Les voilà toutes deux ; n'y aurait-il point quelque confidence sur le tapis ? Écoutons.

JULIE.

J'étais seule dans ma chambre à travailler. Il était, je crois, cinq à six heures du soir ; et Monsieur Chrysante était à son occupation ordinaire : j'entends ouvrir ma porte tout doucement ; je regarde, je vois Clitandre.

CHRYSANTE, à part.

Je ne me suis pas trompé.

JULIE.

Cet amant s'est approché de moi d'un air fournis et respectueux ; il m'a fait une décla[ra]tion si tendre, si tendre ! Quelle différence de ce langage à celui d'un mari ! Belle Julie, m'a-t-il dit, ne croyez pas qu'un autre objet que vous m'attire en ces lieux.

AIR. La ferrure.

Votre seule beauté me pique ;

130   Je languis sous votre pouvoir.

Ce que je fais pour Angélique

N'est qu'un prétexte pour vous voir.

CHRYSANTE, à part.

Je l'avais bien deviné ; je ne suis pas une dupe.

JULIE.

Mais, lui ai-je dit, comment avez-vous pu pénétrer jusqu'ici ? Monsieur Chrysante a donné des ordres bien précis. Je n'y ai pas trouvé la moindre difficulté, m'a répondu Clitandre. Le portier était ivre, la cuisinière m'a ouvert, et j'ai donné deux louis à Florette qui m'a conduit à votre appartement... J'en ris encore.

FLORETTE.

Ces deux louis-là ne m'ont point échauffé les mains.

Elle rit aussi.

CHRYSANTE.

Le portier Ivre, la cuisinière qui ouvre la porte, deux louis donnés à Florette : retenons bien ceci ; vous le payerez, malheureux que vous êtes !

FLORETTE.

Après, après, Madame.

JULIE.

Clitandre, dans ce moment, s'est jeté à mes genoux avec transport. J'étais résolu, dit-il, de tout sacrifier pour avoir l'avantage de vous entretenir. Peut-on trop l'acheter ? Non, belle Julie, rien ne le saurait payer.

AIR. Quand le péril est agréable.

Malgré la blessure profonde

Que font dans les coeurs vos beaux yeux,

135   Un de leurs regards précieux

Vaut tous les biens du monde.

FLORETTE.

Où diantre va-t-il chercher toutes ces sornettes ?

JULIE.

Je n'en sais rien.

CHRYSANTE, à part.

Les fripons de séducteurs en trouvent bien d'autres.

FLORETTE.

Le plaisir de vous entendre dire tant de douceurs aurait dû vous réveiller.

CHRYSANTE, à part.

Je crois qu'elle n'était pas endormie, la belle coquine.

FLORETTE.

Ensuite ?

JULIE.

Ensuite, il m'a conjuré de lui accorder du retour.

AIR. Que je l'aimais infiniment.

Donnez moi du soulagement :

N'est-il pas temps que j'obtienne,

M'a-t-il dit ? Et, dans le moment,

140   D'une main saisissant la mienne,

Il la baisas si tendrement,

Qu'on l'aurait pris pour son amant.

Il la serra,

Il la pressa,

145   La baisa

Rebaisa,

Si tendrement,

Que c'était un enchantement.

CHRYSANTE, à part.

Avec quelle impudence elle avoue cela !

FLORETTE.

Enfin ?

CHRYSANTE, a part.

Ouf, voilà un enfin qui va m'achever.

JULIE.

Dans ce moment, j'ai cru entendre la voix de mon époux. Clitandre s'est caché vite dans cette bibliothèque.

CHRYSANTE, a part.

C'est donc là la cachette. Que j'ai bien fait de venir ! Sans cela....

FLORETTE.

Et Monsieur Chrysante entra-t-il ?

JULIE.

Non : au lieu de mon époux, que je m'attendais de voir, il est entré un monstre furieux.

AIR. Des fraises.

Il avait les yeux ardents ;

150   Une fureur sans bornes,

Il avait de longues dents,

Et sur la tête...

FLORETTE.

J'entends ;

Des cornes, des cornes, des cornes.

CHRYSANTE, a part.

Je n'y puis plus tenir.

FLORETTE.

AIR. Ah ! Que Colin l'autre jour.

Cet ornement, sur la tête du Sire

155   Convenez-en, venait comme de cire.

Ah, ah, ah, ah ;

Qu'on en rira !

TOUS DEUX.

Ah, ah, ah.

JULIE.

N'est-il pas vrai que cela est plaisant ?

FLORETTE.

Fort plaisant.

CHRYSANTE, se mettant au milieu d'eux.

Très plaisant.

JULIE, fuyant d'un côté.

Aye !

FLORETTE, fuyant de l'autre.

Ouf !

SCÈNE VII.

CHRYSANTE, qui refle feul.

Ah ! J'ai découvert le pot aux roses : me voilà joliment accommodé ! J'avais bien raison de me défier de toi, femme abominable.

AIR. Le Grondeur.

De ta caresse perfide

160   Voilà donc l'effet trompeur !

C'est Lucifer qui te guide

Sexe ingrat et séducteur.

Sous un air simple et timide,

Que tu caches de noirceur !

AIR. Les Trembleurs.

165   J'implore votre justice ;

Qu'à ma rage elle s'unisse.

Dieux, que la foudre punisse

Celui qui m'ôte l'honneur.

Et toi, qui servis son crime,

170   De la fureur qui m'anime

Sois la première victime ;

Péris sous ce bras vengeur.

Il brise la bibliothèque.

SCENE VIII.
Chrysante, Florette, Nicole, Jacques, arrivant au bruit.

FLORETTE.

Quel bruit !

NICOLE.

Queu tapage !

JACQUES.

Queu bacchanal ! Qu'est-ce donc que vous faites là, Monsieur Chrysante ?

CHRYSANTE.

Ce qui me plaît. Écoute, écoute ; j'ai à te parler. Restez-là, vous autres. Je voudrais bien savoir, Monsieur Jacques, pourquoi vous êtes entré dans ma maison ?

JACQUES.

Eh ! Mais, Monsieur,

AIR. Vous m'entendez bien.

J'y suis pour ouvrir et fermer

La porte.

CHRYSANTE.

C'est bien s'exprimer.

175   Ce que vous devez faire ...

JACQUES.

Eh ! bien ?

CHRYSANTE.

Vous ne le faites guère.

Vous m'entendez bien.

JACQUES.

Non, Monsieur ; je ne sais pas ce que vous voulez dire.

CHRYSANTE.

Cela signifie, Maître Jacques, que je vous donne votre congé : je ne veux point de portier qui s'enivre, et qui laisse le soin de sa porte à une cuisinière. M'entends-tu à présent ?

JACQUES.

Pas plus qu'auparavant.

CHRYSANTE.

Est-ce que tu es encore fou ? Parle.

JACQUES.

Ma foi, Monsieur, s'il y en a ici, ce n'est pas moi.

CHRYSANTE.

Tu oses m'insulter, maraud ! Sors tout à l heure.

JACQUES.

Et mes gages ?

CHRYSANTE.

Attends, attends ; je vais te les payer. Un coquin, qui est entré ici la veille des étrennes, et qui demande des gages ! Il faut être bien effronté.

SCÈNE IX.
Chrysante, Florette.

FLORETTE.

AIR. Confiteor.

Près de vous, on l'a desservi.

180   C'est un garçon sûr et fidèle :

J'en répondrais,

CHRYSANTE.

Je suis ravi

De vous voir pour lui tant de zèle.

Florette, c'est fort bien penser :

Je veux vous en récompenser.

Approchez, Madame l Avocate ; combien y a-t-il que vous êtes ici ? Six mois, je crois ?

FLORETTE.

Oui, Monsieur.

À part.

Quel est son dessein ?

CHRYSANTE.

Vous gagnez quarante écus par an ? C'est pour la demi-année soixante livres.

FLORETTE.

Monsieur, je n'ai pas besoin d'argent.

CHRYSANTE.

J'en suis persuadé ; mais je n'ai plus besoin de vous, moi.

FLORETTE.

Pourquoi donc, s'il vous plaît ?

CHRYSANTE.

Un petit moment, laissez-moi arranger votre compte ; nous disions que pour six mois ce serait soixante livres, mais :

AIR. Aux Dardanelles.

185   Il faut sur ces vingt écus

Déduire une somme.

FLORETTE.

Plaît-il ?

CHRYSANTE.

Deux louis reçus

Par vous.

FLORETTE.

De qui donc ?

CHRYSANTE.

D'un homme.

FLORETTE.

Que jamais, si de mes jours...

CHRYSANTE.

190   Vous serviez bien ses amours ,

Et Clitandre on le nomme.

FLORETTE.

Moi, Monsieur ! Cela est faux.

À part.

Est-ce qu'il aurait pris le change sur le Rêve de Madame ?

CHRYSANTE.

Comment ! Tu n'as pas reçu de Clitandre deux louis pour l'introduire dans ma maison !

FLORETTE.

Non, Monsieur ; non, non, non, cent mille fois non ; j'en mettrais ma main au feu.

CHRYSANTE.

Sors d'ici, impudente soubrette ! Malheureuse, qui vends l'honneur de ta Maîtresse ! Il faut dans ma juste fureur...

FLORETTE.

Quels yeux ! Fuyons.

SCENE X.
Nicole, Chrysante.

CHRYSANTE.

Me nier ce que j'ai entendu, quelle audace ! Venez, Madame Nicole, qu'est-ce que vous tenez-là ?

NICOLE.

Monsieur, c'est un mémoire ; je venais vous rendre compte de ma dépense : peut-être que je ne prends pas bien mon temps ; remettons cela à tantôt.

CHRYSANTE.

Non, non, donnez.

Il lit.

NICOLE, à part.

Je suis bien fâchée d'être venue à cette heure-ci ; mon mémoire en souffrira ; quelle moue il fait ! Heu ! Le vieux renfrogné 1

CHRYSANTE.

Qu'est-ce que cet article là, Pour ce que vous savez bien, trente sols ?

NICOLE.

C'est pour cette machine, avec quoi vous faites la ronde toutes les nuits. Comment nommez-vous ça ? Une lanterne pour les sourds ?

CHRYSANTE.

Je sais ce que c'est ; trente lois ! C'est bien cher... Pour deux pucelles quatre francs ; quatre francs deux pucelles ! Friponne,tu m'as volé plus de la moitié là-dessus.

NICOLE.

Non, Monsieur, en conscience ; c'est un poisson bien rare cette année.

CHRYSANTE.

Encore, si elles avaient été bonnes ; mais elles ne valaient pas le diable.

NICOLE.

Ce n'est pas ma faute, à moi ; que ne les mangiez vous dans la journée sans les garder pour le lendemain ?

AIR. Réveillez-vous, belle endormie.

Voilà toujours comme vous faites.

Les pucelles, vous savez bien,

À dépérir sont très sujettes ;

195   Cela se gâte en moins de rien.

L'air de Paris les corrompt tout d'un coup.

CHRYSANTE.

Pour du goujon, six francs ; oh ! Pour celui-là, j'en rayerai les trois-quarts : six francs pour du goujon !

NICOLE.

Comment vouiez-vous que je fasse, Monsieur ? Allez donc au marché vous-même, du goujon ! Du goujon ! Je sais qu'il y en a beaucoup, mais aussi on en consomme terriblement : est-ce que vous ne savez pas que toutes les femmes en font avaler st'année à leurs maris !

CHRYSANTE.

L'impertinente ! Elle se moque de moi à ma barbe ! Tiens, fais-moi un autre mémoire. N'oublie pas en même temps de faire ton paquet. Une cuisinière qui se mêle d'ouvrir la porte aux amoureux de ma femme, cela ne convient pas.

NICOLE.

Qu'est-ce que vous dites, Monsieur ? Moi ! J'ai ouvert la porte à des amoureux ! Pardi, il y a de mauvaises gens dans le monde ; fi ! Que cela est vilain de chercher querelle à de pauvres domestiques ! Je pardonnerais cela à queuque étourdi, mais pour vous ;

AIR. Vivons comme le voisin vit.

À votre âge ces façons là

Me surprennent.

CHRYSANTE.

Friponne !

À mon âge, apprends que l'on a

Encore la main bonne.

NICOLE.

Vous me frappez ! Mort de ma vie, n'y revenez pas.

CHRYSANTE.

Tiens, les deux font la paire.

NICOLE.

AIR. Des sept sauts.

200   C'en est trop, je saurai te le rendre ;

Oui, je vais décamper, vieux jaloux.

Mais je veux auparavant t'apprendre

Que l'on risque à Te gausser de nous.

Je te vais, dans mon courroux,

205   Donner dessus et dessous

Un coup, deux coups, trois coups, etc.

CHRYSANTE.

Aye, aye ! Au secours, au voleur, au feu !

SCENE XI.
CHRYSANTE, CL1TANDRE, Nicole.

CLITANDRE.

Que vois-je, insolente ? Oses-tu bien lever la main sur ton Maître !

NICOLE.

Oh ! Morguienne, j'y lèverons bien le pied itou.

CLITANDRE.

Retire-toi, ou tu vas périr de ma main.

NICOLE.

Bien t'en prend, vieux hibou, que Monsieur soit venu à ton secours ; va te faire friser voilà assez peigné.

CHRYSANTE.

Que je vous suis obligé de m'avoir dépêtré de cette harangère !   [ 4 Harangère : femme qui vend du hareng, de la morue, du saumon, et autres salines. On appelle figurément et par ressemblance toutes les femmes fortes en gueule, qui disent des parles, ou qui font des actions sales et insolentes. [F]]

CLITANDRE.

Je fuis bien mortifié, Monsieur, de l'accident qui vous est arrivé ; mais en même temps je me tiens heureux d'être venu fi à propos.

AIR. Convalescent.

Pour moi, c'est un plaisir bien grand

De soulager, en arrivant,

Celui de qui dépend mon choix.

210   Je vous sers la première fois

Que je vous vois.

Je m'appelle Clitandre.

CHRYSANTE, prenant un air froid.

Vous, Monsieur suivre, ayez la bonté de me suivre.

CLITANDRE, à part.

Où veut-il me conduire !

À Chrysante.

Monsieur, nous sommes bien ici, et ce que j'ai à vous dire...

CHRYSANTE.

Voulez-vous bien passer, s'il vous plaît ?

CLITANDRE.

Monsieur, je suis bien votre serviteur.

CHRYSANTE, à part.

Il est bien heureux d'être arrivé dans cette conjoncture, sans cela, morbleu....

CLITANDRE, revenant.

Il y a là quelque chose que je ne conçois pas.

CLITANDRE, à part.

Vous verrez qu'il faudra que je le chasse tout comme les autres.

CLITANDRE.

Votre procédé aurait lieu de me surprendre ; mais,

AIR. Non, }e ne veux pas rire.

J'en devine bien la raison,

C'est un tour qu'en cette saison

Le carnaval inspire.

215   Bon ! bon ! Vous cherchez à rire,

Bon !

Bon ! bon ! Vous cherchez à rire.

Je crois que Madame votre épouse a eu la bonté de...

CHRYSANTE.

Elle n'en eut que trop, et je vous prie d'avoir celle de me laisser en repos.

CLITANDRE.

Vous devez savoir....

CHRYSANTE.

AIR. Tout est dit.

Oui, je sais que tu n'es qu'un traître,

Un fourbe qu'on doit détester ;

220   Tel enfin que par la fenêtre

Je devrais te faire sauter.

Prends au plus tôt le chemin de la porte,

Délivre-moi de ton aspect maudit.

Çà, que l'on sorte ;

225   Tout est dit.

Clitandre sort.

SCÈNE XII.
Chrysante, Anselme, Julie.

ANSELME.

En vérité, il faut que vous soyez un grand fou !

CHRYSANTE.

Et vous, un grand fourbe ! Bonsoir.

JULIE.

Mon cher petit mari.

CHRYSANTE.

Allez au Diable, et n'en revenez jamais.

Il sort.

SCÈNE XIII.
Anselme, Julie.

ANSELME.

Voilà une extravagance dont il n'y a jamais eu d'exemple.

JULIE.

Si on pouvait lui parler, on le désabuserait ; mais, il ne veut rien entendre.

AIR : Savez vous bien, Beauté cruelle.

Pauvre cervelle insensée,

Que de maux tu me fais souffrir !

ANSELME.

De ces vapeurs qui troublent sa pensée,

[P]ar quelque tour je voudrais le guérir.

230   Pour cet effet il faudrait nous unir.

JULIE.

L'affaire est déjà commencée.

ANSELME.

Qu'appeliez-vous commencée ?

JULIE.

Oui, je suis convenue avec Florette, qu'elle tâchera de se raccommoder avec lui, par une fausse confidence, et en feignant de me trahir. Le reste, je vous l'expliquerai. Il s'agit actuellement de nous trouver un homme qui fasse le Prévôt connaissez-vous quelqu'un ?

ANSELME.

Scapin, mon valet, jouera le rôle à merveille ; j'en suis caution.

JULIE.

Mon époux vient ; Florette le suit ; retirons-nous. Allez faire travestir Scapin ; je vais prendre le déguisement nécessaire à notre projet.

SCÈNE XIV.
Chrysante, Florette.

CHRYSANTE.

Je suis fâché d'avoir été tantôt si vif ; la vengeance que je médite contre ma femme demande un certain ménagement. Voici, je pense, Florette ; j'ai besoin de son secours : tâchons de renouer avec elle.

FLORETTE affligée, tenant son paquet.

AIR. Pour la Baronne.

Ah ! Quel martyre !

CHRYSANTE.

Où vas-tu ?

FLORETTE.

Je vous obéis, et m'en vais.

CHRYSANTE.

Bon ! Bon ! Tantôt j'ai voulu rire :

235   Demeure ici, faisons la paix.

FLORETTE.

Ah ! Je respire.

J'étais au désespoir de ma séparer de vous : car, au fond, vous êtes un bon coeur, et ce que l'on vous reproche, ne provient que d'un excès d'amitié.

CHRYSANTE.

Cette fille-là pense bien.

FLORETTE.

Tout à l heure quand je vous ai rencontré, je vous cherchais, pour avoir avec vous un moment d'entretien.

AIR. C'est la pure vérité.

J'avais un certain regret,

Certain reproche secret;

De quitter un si bon maître,

240   Sans lui donner à connaître

Qu'il est vraiment maltraité.

CHRYSANTE.

Par ce Clitandre peut-être ?

FLORETTE.

C'est la pure vérité.

Qu'il faut être méchant pour tromper un si honnête homme ! Mon pauvre Monsieur Chrysante !

Elle lui baise les mains.

Attendez, il y a une ordure sur votre basque ; accommodez donc votre perruque.   [ 5 Basque : Partie découpée et tombante de certains vêtements. [L]]

CHRYSANTE.

Je te suis obligé... Florette, veux-tu gagner cinquante pistoles ?

FLORETTE.

Plus ou moins, je n'y regarde pas avec vous ; que faut-il faire ?

CHRYSANTE.

M'avertir de l'heure et du moment où je pourrai surprendre ma femme avec son amant.

FLORETTE.

Ah ! Monsieur, que vous êtes heureux ! Il faut que vous soyez né coiffé : j'ai actuellement la plus belle occasion du monde, pour vous venger de votre infidèle.

CHRYSANTE.

Voyons, voyons.

FLORETTE.

Je vous dirai qu'elle a rendez-vous avec Clitandre pour ce soir, à six heures, chez Monsieur Anselme : ils doivent se rendre tous deux en masques ; Primo, de peur d'être reconnus ; Secundo, parce que de-là ils comptent aller au bal.

CHRYSANTE.

Ils comptent sans leur hôte.

FLORETTE.

Mon cher maître, savez-vous bien ce que je ferais à votre place ?

CHRYSANTE.

Quoi ?

FLORETTE.

J'irais à ce rendez-vous, sous l'habit et le nom de Clitandre.

CHRYSANTE.

Je le veux bien ; mais s'il y vient lui, nous nous trouverons ensemble.

FLORETTE.

J'ai à cela le remède qu'il faut ; je vais courir chez Clitandre ; je lui dirai que Madame le prie de mettre la partie à demain, pour des raisons quelle lui expliquera.

CHRYSANTE.

Fort bien.

FLORETTE.

Par ce moyen vous pourrez en compter à Julie sous le nom de votre rival, et après un moment d'entretien,

AIR. L'allumette.

Avec elle vous sortirez,

245   Sous les espérances flatteuses

D'aller au bal ; vous la mettrez

Où l'on fait danser les danseuses.

CHRYSANTE.

Que je t'embrasse, ma chère Florette ; rien n'est mieux imaginé.

FLORETTE.

Le temps approche, allez pourvoir à ce qu'il faut pour vous transformer en Clitandre ; moi, je vais lui porter le contre-ordre du rendez-vous.

CHRYSANTE, seul.

Allons, il faut risquer le paquet. Quel plaisir j'aurai de confondre l'ingrate ! Mais hélas ! En même temps quelle douleur !

AIR. Comme un coucou.

Victime de mon stratagème,

Si Julie a le coeur humain,

250   Je m'enregistrerai moi-même

Sur le grand livre de Vulcain.

Il sort.

SCÈNE XV.
Julie, Florette.

FLORETTE.

Monsieur Chrysante a donné tête baissée dans le panneau ; je crois que notre affaire ira bien.

JULIE.

Ton habit et le mien se ressemblent si fort, qu'il y sera aisément trompé. C'est ici, je pense, le lieu du rendez-vous ; il est bientôt six heures : toutes les mesures sont-elles prises ?

FLORETTE.

Oui, Madame ; Scapin, valet de Monsieur Anselme, sera ici dans un moment en habit de Prévôt ; tout est concerté, ne vous inquiétez de rien.

JULIE, riant.

Florette, crois-tu qu'il n'y ait aucun risque pour moi dans ce tête-à-tête ? Mon mari, tout fâcheux qu'il est, ne hait pas encore la galanterie.

AIR. La ceinture.

S'il allait avec trop d'ardeur...

FLORETTE.

Sur ce point, calmez-vous, Madame.

JULIE.

Mais enfin....

FLORETTE.

N'ayez point de peur ?

255   Il sait que vous êtes lit femme.

JULIE.

J'entends quelqu'un, cache-toi là ; quand il fera temps que tu remplisses ma place, je te ferai signe. C'est mon mari : la brillante métamorphose ! Voilà un petit-maître dans les formes ; il approche : commençons notre rôle.

SCÈNE XVI.
Chrysante, Julie.

JULIE.

AIR. Menuet de l'Amour et de l'Hymen.

Viens, cher Clitandre,

Viens donc couronner mes feux :

Rien sous les deux,

Sans toi, ne peut rendre

260   Mon fort heureux.

Quel soin t'arrête ?

Ce tête à tête

Doit te charmer ,

Si ton coeur sait bien aimer.

265   Pour te prouver la flamme

Qui régné dans mon âme,

J'attends ;

Attendrai-je longtemps ?

CHRYSANTE, à part.

C'est elle-même, le son de sa voix ne me permet pas d'en douter.

JULIE.

Est-ce vous, Clitandre ?

CHRYSANTE.

Oui, belle Julie.

AIR. Votre toutou me flatte.

Ce que je viens d'entendre

270   M'annonce mon bonheur ;

Un langage si tendre

Redouble mon ardeur.

JULIE.

Clitandre,

Loin des fâcheux et des jaloux.

275   Ah ! qu'il m'est doux,

Ah ! qu'il m'est doux

D'être avec vous !

Avouez que mon mari mérite bien le destin que nous lui préparons ; vous le connaissiez ?

CHRYSANTE.

Parfaitement.

À part.

La perfide ! Quel plaisir je vais avoir 1

JULIE.

C'est un fantasque, un grondeur, un...

CHRYSANTE.

N'en parlons pas d'avantage.

AIR. Ma femme est femme d'honneur.

Rendons nos désirs contents.

JULIE.

Oui, profitons des instants

Où sa jalousie

280   Paraît assoupie.

CHRYSANTE, s'approchant d'elle.

Ma chère maîtresse, l'amour que j'ai pour vous ne peut souffrir de délai.

JULIE, le repoussant.

Mon cher Clitandre,

AIR. Vivons comme le voisin vit.

Je saurai combler votre espoir,

Quelqu'effort qu'il m'en coûte ;

Mais auparavant il faut voir

Si personne n'écoute

CHRYSANTE.

J'y cours, j'y cours ; Dieux ! Je vais êtes plus heureux que je ne voudrais.

JULIE.

St, st, Florette.

AIR. Des billets doux.

285   Sors de ta cache, et mets-toi là ;

Remplis ma place.

FLORETTE.

M'y voilà.

Partez en diligence.

CHRYSANTE.

Je reviens vite sur mes pas ;

J'entends un certain bruit là-bas

290   Ô ciel ! Quelqu'un s'avance.

Le fâcheux contre-temps !

SCAPIN, en prévôt.

AIR. La Palisse.

C'est Clitandre assurément ;

Mort ou vif il faut le prendre.

CHRYSANTE, à Florette.

Sauvons-nous tout doucement.

SCAPIN.

Halte-là, Monsieur Clitandre.

Il y a longtemPs que je vous cherche ; je vous tiens, à la fin.

CHRYSANTE, tremblant.

Moi, Monsieur ?

SCAPIN.

Oui, vous-même ; point de résistance ; vous savez de quoi il est question.

CHRYSANTE, à part.

Il faut que Clitandre ait quelque mauvaise affaire sur le corps.

SCAPIN.

Marche, marche.

CHRYSANTE.

Maudite Florette, dans quel péril m'as-tu engagé ! Monsieur, vous vous trompez ; je ne suis point celui que vous cherchez ; regardez-moi.

SCAPIN, faisant l'étonné.

Que vois-je ? C'est Monsieur Chrysante, notable bourgeois. Dans cet équipage-là ! C'est fort joli ! Eh ! Mais, je crois qu'il est en partie fine ! Oui, vraiment ; cela convient fort à un homme de son âge et de son caractère.

CHRYSANTE.

AIR. Non, je ne ferai pas.

295   Vous vous trompez encor, votre erreur est extrême ;

C'est là ma femme.

FLORETTE.

Moi ! Vous vous trompez vous-même.

CHRYSANTE.

Ô ciel !

JULIE.

Je vous y prends, mon cher et tendre époux.

CHRYSANTE.

Tout ceci me confond.

JULIE.

C'est fort bien fait à vous.

SCAPIN.

Il en sera fait un exemple sur ma parole : à moi, la Rose, Francoeur, La Ramée.

JULIE.

Monsieur le Prévôt, je vous conjure.

SCAPIN.

Non , non, point de miséricorde.

JULIE.

AIR. Bouchez, Naïades, vos fontaines^

À vos genoux voyez Julie :

300   Pour son époux elle vous prie ;

De grâce, ne l'emmenez pas,

Ou je saurai partout le suivre ;

Si vous nous séparez, hélas !

Croyez-vous que je puisse vivre ?

Laissez-vous toucher.

SCAPIN.

Discours inutiles : un docteur ès lois, un homme en charge, un ancien [syn]dic, marguillier et doyen de sa Communauté ! Le cas est trop grave, Madame, le cas est trop grave;   [ 6 Marguillier : Anciennement on les nommait aussi trésoriers. [L]]

JULIE, tirant son diamant de son doigt.

Il faut s'y prendre autrement.

SCAPIN, d'un ton de colère.

AIR. Réveillez-vous, belle endormie.

305   Je vais, malgré votre prière,

Vos pleurs et vos gémissements ;

Je vais, dans ma juste colère,

Je vais....

Julie lui donne son diamant.

SCAPIN, d'un ton dur.

Sortir avec mes gens.

Madame, je vous laisse cet homme-ci, sous votre garde ; vous m'en répondrez.

À Chrysante.

Si j'entends parler de vous, par la mort....

Il sort.

SCENE XVII et dernière.
Chrysante, Julie, Anselme, Clitandre, Florette.

CHRYSANTE, après être un peu revenu.

Ma femme, il y a ici quelqu'un plus fin que moi ; avouez-le, je vous le pardonne.

FLORETTE.

Dites-vous cela de bon coeur ? N'y a-t-il point de tricherie ? Mettez la main là.

CHRYSANTE.

D'homme d'honneur.

FLORETTE.

Eh ! Bien, cela est vrai ; le désir de guérir votre imagination nous a réunis tous contre vous.

JULIE.

Sachez que l'entretien où vous m'avez surprise tantôt avec Florette, et qui vous a mis si fort martel en tête, ne roulait que sur un rêve, dont je lui faisais le récit.

ANSELME.

Assurez-vous que Clitandre n'a cru d'autres vues, en allant chez vous, que d'épouser votre nièce.

CLITANDRE.

J'ose vous la demander, Monsieur, dans le dessein de partager avec elle une fortune allez considérable, dont je peux disposer.

CHRYSANTE.

Je vous crois tous, c'est le meilleur parti : Clitandre, soyez mon neveu ; vous, Julie,

AIR. Très volontiers.

Oublions le passé,

310   Nous ne pouvons mieux faire,

FLORETTE.

Ma foi, c'est bien pensé.

JULIE.

Ne songeons qu'à nous plaire.

Bornons y nos souhaits.

CHRYSANTE.

Très volontiers, fort volontiers, ma chère.

315   Que déformais,

Chez nous, la paix

Soit durable et sincère.

On entend une symphonie.

Que nous annonce cette symphonie ?

ANSELME.

L'arrivée du Carnaval qui vient céléb[r]er lui-même votre raccommodement, et le mariage d'Angélique,

CHRYSANTE.

AIR. Toque, mon tambourin.

Tant mieux, sa présence

Bous rendra joyeux ;

320   C'est lui qui dispense

Les ris et les jeux.

Ça, que tout dans, danse,

Que tout dans en ces lieux.

DIVERTISSEMENT.

AIR.

Quelle folie,

325   Quelle manie ,

Pour un époux,

D'être jaloux !

Que fa chimère

Me fait pitié,

330   De vouloir garder toute entière

Celle qui n'est que sa moitié !

Il a beau faire, il a beau dire ;

Ce que l'Amour voudra

Sera.

335   Le pauvre Sire

De son martyre

Vainement se plaindra :

Chacun le raillera,

Le blâmera,

340   Le bernera,

Le honnira,

S'en moquera,

Lui chantera

Ce refrain-là ;

345   Quelle manie?

Quelle folie

Pour un époux,

D'être jaloux !

Que sa chimère

350   Me fait pitié,

De vouloir garder toute entière

Celle qui n'est que fa moitié !

AUTRE AIR, en forme de Cantatille.

Du Carnaval chantez la gloire.

Amants, par son secours, vous goûtez des plaisirs.

355   On lui doit plus d'une victoire ,

Qui ne coûte à vos coeurs ni tourments ni soupirs.

Les jeux bruyants que l'on voit à sa suite

Font avancer l'amoureuse moisson ;

Ils étourdissent la raison,

360   Et l'Amour souvent en profite.

VAUDEVILLE.

AIR. C'est un carnaval.

L'Hymen est un triste animal :

Les jeux lui font mal à la tête.

Jamais galant ni libéral ;

Chez lui nul cadeau ne s'apprête.

365   L'Amour aime le bacchanal,  [ 7 Bacchanal : Famili?rement, grand bruit, vacarme. [L]]

Festins, concerts, spectacle et bal

C'est toujours fête,

Toujours carnaval.

     

Faut-il être ardent, matinal,

370   Pour un amoureux tête-à-tête :

À l'Officier rien n'est égal ,

Sa vive ardeur est toujours prête.

Tromper un jaloux, un brutal.

Pour lui c'est un charmant régal ;

375   C'est une fête

C'est un carnaval.

     

Si d'un certain original

Philis ménage la conquête,

C'est pour de l'or, dont un rival

380   Attrape une part fort honnête.

Duper le donneur de métal,

Pour ces amants c'est un régal ;

C'est une fête,

C'est un carnaval.

     

385   Chez le peuple médicinal

L'Amour va souvent à la quête,

Et sur le bonnet doctoral

Il se plaît à planter la crête.

Mettre un Purgon au grand journal,

390   Peur ce Dieu c'est un grand régal ;

C'est une fête ,

C'est un carnaval.

     

Des dons d'un caissier général,

Tous les jours remplir quelque boîte ;

395   Dégraisser un Provincial,

Ou quelqu'Étranger qui s'entête ;

Voisines du Palais-Royal,

Pour vous, pour votre coeur banal,

C'est une fête,

400   C'est un carnaval.

     

Loups-cerviers du Présidial,  [ 8 Pr?sidial : Ancien terme de jurisprudence. Tribunal qui, en certains cas et pour certaines sommes, jugeait en dernier ressort ; hors ces cas, il y avait appel au parlement. [L]]

Griffonneurs d'exploits et d'enquête,

Huissiers, Sergents, peuple infernal,

Vous nous sucez comme une arrête.

405   Mettre un mineur à l'hôpital,

Pour votre appétit déloyal,

C'est une fête,

C'est un carnaval.

     

D'amour vos yeux font l'arsenal

410   Iris, votre beauté lui prête

Des traits meilleurs que son fanal,

Son carquois et son arbalète.

Si votre coeur trop glacial

S'échauffait un peu, quel régal !

415   L'aimable fête !

L'heureux carnaval !

     

Quand, d'un air franc et cordial

À sa table un ami m'arrête ;

Qu'on serve en argent ou cristal

420   Ce n'est point de quoi je m'enquête.

Un petit repas jovial

Me plaît mieux qu'un banquet ducal,

Mieux qu'une fête,

Mieux qu'un carnaval.

     

425   Nous voici dans l'instant fatal

Où nous redoutons la tempête.

Messieurs, à votre tribunal

Nous présentons une requête.

De ceci ne jugez point mal ;

430   Le zèle en fait le principal.

C'est une fête

C'est un carnaval.

     

AUTRE.

AIR. C'est un rêve que cela.

L'autre jour j'ai cru voir Thémis

Soutenir, en pleine audience,

435   Les droits de l'indigent Damis,

Contre un Mylord de la Finance.

Turelure, lure, lon, lan, la,

C'est un rêve que cela.

     

On m'a dit que, dans ce canton,

440   Le négoce à changé de face,

Et que les billets d'un Gascon

Gagnent dix pour cent sur la place.

Turelure, lure, lon, lan, la,

C'est un rêve que cela.

     

445   J'ai cru voir Tiras l'autre jour,

Après l'aveu de ma tendresse,

Ressentir encor plus d'amour,

Qu'avant qu'il connût ma faiblesse.

Turelure, lure, lon, lan, la,

450   C'est un rêve que cela.

     

On m'a dit qu'un peintre étant mort,

Il fallut une rame entier,

Pour décrire tout son trésor.

Et minuter son inventaire.

455   Turelure, lure, lon, lan, la,

C'est un rêve que cela.

     

Après la mort d'un vieux mari,

On dit que la jeune Julie,

Dans la douleur et dans l'ennui,

460   Fut quinze jours ensevelie.

Turelure, lure, lon, lan, la,

C'est un rêve que cela.

     

Un Poète un jour délogeant,

On dit que le poids de la malle ;

465   Dans laquelle était son argent

Lassa , quatre forts de la halle.

Turelure, lure, lon, lan, la,

C'est un rêve que cela.

     

On m'a dit qu'un greffier du Mans,

470   Peu soigneux de tirer l'étoffe,

À l'offre de deux mille francs

Avait refusé son paraphe.

Turelure, lure, lon, lan, la,

C'est un rêve que cela.

     

475   On dit que de Monsieur Purgon,

Ces jours passés, on eut affaire,

Pour guérir l'indigestion

De deux Clercs de la Grapiniere.

Turelure, lure, lon, lan, la,

480   C'est un rêve que cela.

     

On m'a dit que, dans ces climats,

Un Conseiller dans son jeune âge,

À force de lire Cujas,

Des yeux avait perdu l'usage.

485   Turelure, lure, lon, lan, la,

C'est un rêve que cela.

     

Auteurs, que je vous trouve sots

D'aller offrir, des dédicaces !

Vous flattez-vous que nos héros

490   De Mécène suivront les traces ?

Turelure, lure, lon, lan, la,

C'est un rêve que cela.

     

 



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Notes

[1] Trantran : La manière ordinaire de conduire certaines affaires ; la routine qu'on y suit. [L]

[2] Ptisanne : Nom, chez les Grecs, de l'orge pilée, avec laquelle on faisait une décoction qu'on administrait aux malades soit non passée et avec le grain, soit passée. [L]

[3] Mignarder : Affecter de la délicatesse, de la grâce. [L]

[4] Harangère : femme qui vend du hareng, de la morue, du saumon, et autres salines. On appelle figurément et par ressemblance toutes les femmes fortes en gueule, qui disent des parles, ou qui font des actions sales et insolentes. [F]

[5] Basque : Partie découpée et tombante de certains vêtements. [L]

[6] Marguillier : Anciennement on les nommait aussi trésoriers. [L]

[7] Bacchanal : Familièrement, grand bruit, vacarme. [L]

[8] Présidial : Ancien terme de jurisprudence. Tribunal qui, en certains cas et pour certaines sommes, jugeait en dernier ressort ; hors ces cas, il y avait appel au parlement. [L]

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