CRITIQUE À L'OPÉRA-COMIQUE

PETITE PIÈCE EN UN ACTE

Pour l'ouverture du Théâtre de la Foire Saint-Germain, en 1742.

1763.

À PARIS, Chez DUSCHESNE, rue Saint-Jacques, au dessous de la Fontaine Saint-Benoît, au Temple du Goût.

Représentée pour la première fois sur le Théâtre de la Foire en 1742.


Texte établi par Paul FIEVRE, août 2023

Publié par Paul FIEVRE, septembre 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:55:32.


ACTEURS.

JULIE.

RAIMOND.

UN ACTEUR.

UN PROCUREUR.

UN GASCON.

UN MÉDECIN.

UNE ACTRICE.

LA CRITIQUE.

L'ANTIQUITÉ.

LA NOUVEAUTÉ.

La Scène est à l'Opéra.

Texte tiré de "Théâtre et Oeuvres diverses de M. Panard", Paris, Duschene, 1763. pp 259-298.


LA CRITIQUE À L'OPÉR...

SCÈNE PREMIÈRE.
Mademoiselle Raimond, Un acteur.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Restons un moment ; laissez-moi regarder cette salle ; Qu'elle est riante ! Que cet aspect est beau ! Quel plaisir, si cela continuait jusqu'au dix-huit de mars !

L'ACTEUR.

C'est de quoi je n'ose ma flatter.

AIR. Je ne suis pas si diable.

Le jour où l'on commence,

Le jour où l'on finit,

D'une grande affluence

Tout ceci se remplit.

MADEMOISELLE RAIMOND.

5   Volontiers on nous donne

Le bon jour et l'adieu ;

Mais on nous abandonne

Vers le milieu.

L'ACTEUR.

Nous nous sommes plaints plus d'une fois.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Il faut tâcher que cela n'arrive point cette année... Vous soupirez ! Qu'avez-vous ? Votre esprit est furieusement agité !

AIR. La serrure.

C'est avec raison qu'il se frappe ;

10   Nous avons à rendre contents

Des censeurs à qui rien n'échappe,

Beaucoup de frais, et peu de temps.

L'ACTEUR.

En deux mots, voilà notre situation.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Elle n'est pas gracieuse ; mais j'espère que notre rossoli de Turin vaudra bien les gouttes d'Angleterre qui sont à des certains spectacles de cette fille.   [ 1 Rossolis : Liqueur composée d'eau-de-vie brûlée, de sucre, et de jus de quelque fruit doux, tel que celui de cerises, de mûres, etc. [L]]

L'ACTEUR.

Je n'aurais aucune inquiétude, ma chère camarade, si l'ancien protecteur de l'Opéra-Comique nous avait tenu parole. Vous savez ce que Momus nous a promis.

MADEMOISELLE RAIMOND.

AIR. Vivons comme le voisin vit.

Il nous avait, pour aujourd'hui.

Flatté de sa présence ;

15   Il devait d'un solide appui

Nous prêter l'assistance.

L'ACTEUR.

Il nous avait même fait espérer qu'il amènerait ici la Critique, sa fille, pour mettre un peu de son fiel dans nos épigrammes.

MADEMOISELLE RAIMOND.

AIR. Comme un coucou.

D'où vient que ce Dieu nous oublie ?

Manque-t-on de parole aux Cieux ?

Et le vice de Normandie

20   S'est-il introduit chez les Dieux ?

L'ACTEUR.

Momus nous a donné trop de preuves de son zèle pour le penser ; je suis persuadé que sans une cause très grave, il n'aurait pas manqué à sa promesse.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Je le crois comme vous ; il a subi plus d'un exil, et je vous dirai qu'hier, en passant, j'ai entendu parler de quelque chose : on nommait tout bas, Momus, la Critique, Jupiter.

L'ACTEUR.

AIR. Comment faire ?

Ceci confirme mon soupçon :

Sûrement à notre patron

Il est arrivé quelqu'affaire.

Je voudrais bien m'en éclaircir.

MADEMOISELLE RAIMOND.

25   Il faut tâcher d'y réussir.

L'ACTEUR.

Comment faire ?

MADEMOISELLE RAIMOND.

Si vous alliez consulter l'Oracle de la Comédie-Italienne ?

L'ACTEUR.

Non.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Vous avez raison, la presse est trop grande ; d'ailleurs,

Cet Oracle est moins sûr que celui de Chalcas.

L'ACTEUR.

Il me vient une meilleure idée.

AIR. Votre époux ejl de glace.

Je m'en vais de Mercure

Savoir cela.

30   De toute l'aventure

Il m'instruira.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Où le trouverez-vous ?

L'ACTEUR.

À l'Opéra.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Allez et revenez vite : en vous attendant, je vais donner audience aux trois personnes que vous voyez.

SCÈNE II.
Mademoiselle Raimond, un Procureur, un Gascon, Monsieur Clamart, Médecin.

LE PROCUREUR.

Madame, je suis un homme de Justice,

MADEMOISELLE RAIMOND.

Je le vois bien..

LE GASCON.

Je suis un chevalier de la Garonne.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Je l'entends bien.

MONSIEUR CLAMART.

J'ai l'honneur d'être un médecin.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Je le sens bien.

AIR. Il était un Avocat.

Qui vous amène en ce séjour ?

LE PROCUREUR.

C'est...

LE GASCON.

Écoutez.

LE MÉDECIN.

Je viens pour...

MADEMOISELLE RAIMOND.

35   Que chacun parle à son tour,

Tour, tour, tourlourirette.

Au Procureur.

Commencez, Monsieur Gripos.

LE PROCUREUR.

Voici mon affaire en deux mots.

Tous les Procureurs, mes confrères, m'ont député, pour vous porter leurs plaintes.

MADEMOISELLE RAIMOND.

De quoi ?

LE PROCUREUR.

Des traits de satyre, dont on nous accable ici tous les jours ; vous ne cessez de dire que nous sommes tous des Arabes, des corsaires.

MADEMOISELLE RAIMOND.

C'est la vérité...

LE PROCUREUR.

Hem !...

MADEMOISELLE RAIMOND.

Que nous le disons.

LE PROCUREUR.

De plus,

AIR. Non, je ne serai pas.

Les couplets outrageants qu'en ces lieux on débite

40   Toujours de notre épouse attaquent la conduite ;

Et de quelque façon qu'une femme ait vécu,

Un clerc sut l'attendrir, et le Maître est tondu.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Voilà une belle affaire !

LE PROCUREUR.

Je viens vous prier de ne plus parler de nous à l'avenir.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Si ce n'est que cela, vous pouviez vous épargner ce petit voyage ; il y a déjà du temps que nous avons résolu de ne vous plus mettre en scène : le Public ne peut plus vous y souffrir ; vous y feriez bientôt autant de mal qu'au Palais.

LE PROCUREUR.

Vous ne nous jouerez donc plus ?

MADEMOISELLE RAIMOND.

Non.

LE PROCUREUR.

Tenez-moi parole ; je vous prie, sinon?

Que d'exploits ma fureur vous prépare !

AIR. Au faubourg Saint-Antoine.

Vous verrez du grabuge :

45   Je vous apprendrai

Comme un Procureur gruge

Lorsqu'il est outré. ,

Je ferai tomber un déluge

De papier timbré.

Il sort.

MADEMOISELLE RAIMOND, au Gascon.

À vous, Monsieur le Chevalier ; qu'est-ce qui vous amène ?

LE GASCON.

Vos mauvais procédés.

AIR. Les Trembleurs.

50   L'injustice est évidente ;

Sur ma province abondance,

Votre satyre mordante

Verse toujours ton poison.

L'incomparable patrie

55   Des arts et de l'industrie

Doit-elle être ainsi flétrie ?

J'en viens demander raison.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Vous avez tort de vous plaindre ; quelle injure vous a-t-on fait ?

LE GASCON.

Quelle injure, cadedis ! Depuis vingt ans, et plus, vos pièces font farcies de Gascons.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Il est vrai ; mais ce n'est pas sur vous que tombent nos traits de critique.

LE GASCON.

Sur qui donc, cap de bious ?

MADEMOISELLE RAIMOND.

AIR. Ton humeur est, Catherine.

Sur une vieille coquette

Qui chez elle vous reçoit,

60   Sur le marchand qui vous prête,

Sur un nigaud qui vous croit,

Sur la veuve dont le coffre

S'ouvre pour vous mettre en fonds ;

Sur l'actrice qui vous offre

65   Les débris de vingt Barons.

LE GASCON.

Ceci change la thèse : touchez-là, je suis le meilleur de vos amis ; adoufias, ma Reine, adoufias.

Il sort.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Approchez, Monsieur le Médecin ; c'est votre tour.

MONSIEUR CLAMART.

Le Docteur Ciamart, que vous voyez dans ma personne, vient se plaindre à vous des licences qu'on se donne sur votre Théâtre, dépens aux de la Médecine.

AIR. Bois de Boulogne.

Vous avez tort, en vérité

De jouer notre Faculté ;

Chacun aujourd'hui la révère.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Comme a fait autrefois Molière.

Monsieur le Docteur Clamart, j'ai bien peur que vous n'ayez pris une peine inutile.

MONSIEUR CLAMART.

Se déchaîner contre un Corps si nécessaire à tous les autres, quelle audace !

MADEMOISELLE RAIMOND.

Il est vrai que vous rendez service à bien du monde.

AIR. Le bal du Cours.

70   Par vous d'une grand'mère

On recueille le bien ;

Vous délivrez d'un frère

Un cadet qui n'a rien.

Vous ôtez un gardien

75   À de jeunes fillettes ;

Aux femmes, un époux

Jaloux ;

Aux fils, un vieux papa.

Voilà

80   Les plaisirs que vous faites.

MONSIEUR CLAMART.

Chanson que tout cela ! Notre profond savoir est connu de tout l'Univers.

AIR. Monsieur le Prévôt des Marchands.

Dans tous les maux nous voyons clair.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Comme on voit au fond de la mer.

MONSIEUR CLAMART.

Nous en connaissons l'origine.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Comme je connais le grand Khan.

MONSIEUR CLAMART.

85   Nos yeux lisent dans la poitrine.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Comme je lis dans l'Alcoran.

MONSIEUR CLAMART.

Vous ne pouvez disconvenir des effets admirables que nous opérons sur le sang.

AIR. Des époux réunis.

Quand sa masse est épaisse,

De lui nous venons à bout.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Afin qu'il se purifie,

90   Vous n'en laissez point du tout.

MONSIEUR CLAMART.

Quand le rhume vous accroche

Notre secours est fort bon.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Bon !

Souvent votre seule approche

95   Le fait descendre de-là;

MONSIEUR CLAMART.

AIR. Le jus d'Octobre.

Le courroux enfin m'aiguillonne ;

Pour punir ces traits insultants

À jamais je vous abandonne.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Tant mieux, j'en vivrai plus longtemps.

Ce Monsieur Clamart a bien la mine de peupler l'endroit, dont il porte le nom... Mon camarade revient ; il aura sans doute appris des nouvelles de Momus.

SCÈNE III.
Mademoiselle Raimond, un Acteur.

L'ACTEUR.

AIR. Turlutaine.

100   Je n'ai pas perdu ma peine

Et je viens d'être éclairci.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Croyez vous que Momus vienne ?

L'ACTEUR.

Turlutaine.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Sera-t-il bientôt ici ?

L'ACTEUR.

105   Turlutu, tantaléri.

Je crois que vous ne Le verrez de longtemps ; Mercure, que je quitte, vient de m'expliquer le sujet de sa disgrâce. Ces jours passés il y a eu fête au céleste Palais ; Momus et la Critique, fa fille, y ont été invités, ainsi que tous les autres Dieux ; sur la fin du repas, l'ambro[i]sie, qu'on fit couler à longs traits, échauffa les esprits.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Le Dieu de la raillerie s'est sans doute émancipé ?

L'ACTEUR.

Un peu plus que de raison ; le nectar leur donna si fort dans la tête, que lui et la Critique se livrèrent tout entiers à la médisance ; les traits partaient comme un éclair, rien ne fut épargné.

AIR. Ô reguingué.

Minerve reçut son lardon ;

Ils tirèrent sur Apollon :

Leurs coups attaquèrent Junon ;

Par une censure trop aigre

110   Pluton fut traité comme un nègre,

Air : Par bonheur ou par malheur.

Saturne fut leur jouet,

Plutus reçut son paquet ,

Neptune eut son épithète ;

De sot, on traita Vulcain ;

115   Cérès, de vieille coquette ;

Et Bacchus, de sac-à-vin.

AIR. Vous m'entende? bien.

Mars par eux fut nommé Gascon ;

Mercure, intriguant et larron ;

Ils ont dans leur rancune...

MADEMOISELLE RAIMOND.

120   Eh ! Bien ?

L'ACTEUR.

Dit que Vénus est une. ...

Vous m'entendez bien.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Les Dieux, comme les hommes, n'aiment pas la vérité.

L'ACTEUR.

Non, le Conseil céleste résolut de punir le père et la fille.

AIR. Comme un coucou.

Pour Se venger de leur licence,

Les Dieux, d'une commune voix,

125   Ont ordonné, par leur sentence,

Qu'ils se tairont pendant six mois.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Le terme est long.

L'ACTEUR.

Momus, pour ne rien voir qui l'excite à médire, s'est retiré dans un désert.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Et la Critique ?

L'ACTEUR.

Elle est d'un sexe à qui la défense de parler peut être mortelle longtemps ; aussi n'y aurait-elle pas résisté longtemps.

AIR. De tous les Capucins du Monde,

Après quatre jours de silence,

Sans pouls, sans voix, sans connaissance,

Elle étouffait ; mais par bonheur,

130   Pour elle on eut quelqu'indulgence,

Et Jupiter, en sa faveur,

Vient d'adoucir son ordonnance.

Eu égard à la qualité de femme on lui a permis de parler, à condition quelle ne dira pas plus de trois syllabes.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Trois syllabes ! C'est bien peu.

L'ACTEUR.

Ce peu-là lui a conservé la vie ; je viens de la rencontrer ici près.

MADEMOISELLE RAIMOND.

N'y aurait-il pas moyen de l'attirer ici ? Peut-être nous sera-t-elle utile.

L'ACTEUR.

Unissons-nous pour l'implorer.

MADEMOISELLE RAIMOND, à la Critique quelle aperçoit.

AIR. Ô Pierre.

Notre amour vous en presse,

Venez auprès de nous.

L'ACTEUR.

135   Soulagez la tristesse

Qui nous accable tous.

TOUS DEUX.

Déesse, Déesse,

Nous languissons sans vous.

SCÈNE IV.
Mademoiselle Raimond, L'Acteur, LA Critique.

MADEMOISELLE RAIMOND.

AIR. À l'envers.

Accourez à notre Opéra.

LA CRITIQUE.

140   M'y voilà.

L'ACTEUR.

Soutenez notre début.

LA CRITIQUE.

C'est mon but.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Nous ferez-vous des amis ?

LA CRITIQUE.

Si je puis.

L'ACTEUR.

On dit que Jupiter a rendu contre vous un Arrêt ?

LA CRITIQUE.

Terrible.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Et que vous ne pouvez proférer que trois syllabes à la fois ?

LA CRITIQUE.

Rien de plus.

L'ACTEUR.

AIR. Je suis un bon soldat.

145   Suivez-vous cette loi ?

LA CRITIQUE.

Malgré moi.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Quoi ! Jamais il n'arrive

Qu'en faute vous soyez ?

LA CRITIQUE.

Vous voyez.

L'ACTEUR.

150   Que cela vous captive ?

LA CRITIQUE.

Qu'y faire ?

MADEMOISELLE RAIMOND.

Nous en souffrirons beaucoup. Avant cela,

AIR. Des fraises.

Vous nous donniez des couplets,

Qui nous faisaient connaître ;

Vous ne pourrez désormais

Nous fournir de pareils traits.

LA CRITIQUE.

155   Peut-être.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Peut-être ?

LA CRITIQUE.

  Peut-être.

L'ACTEUR.

Comment !

AIR. Si l'on vous demande à la porte.

Sans palier les bornes prescrites

Vous pourriez remplir, votre emploi.

LA CRITIQUE.

Je le crois.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Avec trois syllabes petites,

160   De tout nous rendrez-vous raiSon la critique ?

LA CRITIQUE.

Pourquoi non ?

L'ACTEUR.

Je doute de ce que vous dites.

LA CRITIQUE.

Effrayez.

MADEMOISELLE RAIMOND.

J'y vois beaucoup de difficulté.

LA CRITIQUE.

Qu'importe ?

L'ACTEUR.

Cela ne paraît pas possible.

LA CRITIQUE.

Oh ! Que si.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Nous sera-t-il permis de vous interroger ?

LA CRITIQUE.

Volontiers.

L'ACTEUR.

Que fait-on au spectacle de la rue Saint-Honoré ?

LA CRITIQUE.

Rien de trop.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Dans la rue Mauconseil ?

LA CRITIQUE.

De l'argent.

L'ACTEUR.

Au Faubourg Saint-Germain ?

LA CRITIQUE.

Des dettes.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Comment trouvez-vous le premier ?

LA CRITIQUE.

Passable.

L'ACTEUR.

Le second ?

LA CRITIQUE.

Florissant.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Le troisième ?

LA CRITIQUE.

Tout à bas.

L'ACTEUR.

À merveille ! Mais,

AIR. Un Berger de notre village.

Pourparler suivant notre style,

Il nous faut ici....

LA CRITIQUE.

Quelques chants...

MADEMOISELLE RAIMOND.

165   Sur l'air d'un nouveau Vaudeville.

Nous entendrez-vous ?

LA CRITIQUE.

J'y consens.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Votre réponse est nécessaire.

LA CRITIQUE.

Vous l'aurez.

L'ACTEUR.

En chanson pourrez-vous la faire ?

LA CRITIQUE.

170   Vous verrez.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Nos camarades viennent à propos, pour vous seconder. Allons, Monsieur le Musicien.

LA CRITIQUE.

Commencez.

SCÈNE V.
Tous les acteurs.

VAUDEVILLE.

UN ACTEUR.

Si je ne ma fixe jamais,

Je prendrai, quoiqu'on puisse dire,

Quelqu'un de ces doux objets

Que sur le théâtre on admire

175   Femme de ce goût

LA CRITIQUE.

Est propre à tout...

Détruire.

UN ACTEUR.

Pour moi, je saurai choisir

Une Agnès simple et naturelle

180   Tous les jours, ah ! Quel plaisir !

Cette épouse tendre et fidèle

Me souhaitera,

Et m'aimera...

LA CRITIQUE.

Loin d'elle.

UNE ACTRICE.

185   Nous avons ici, dit-on

Plus de trente amants dans nos chaînes,

Quelle erreur ! Dans ce canton,

Je connais nombre de Climènes

Qui, pendant trois mois,

190   N'en ont que trois...

LA CRITIQUE.

Douzaines.

UN ACTEUR.

Je suis le tuteur heureux

D'un objet qui me trouve aimable.

Quand je suis loin de ses yeux,

195   Cette belle est inconsolable

Son plus doux espoir

Est de me voir...

LA CRITIQUE.

Au Diable.

UNE ACTRICE.

Tous les jours, mon jeune amant

200   Me promet un doux hyménée ;

Quand il me voit un moment,

De plaisir son âme est charmée

Qu'il s'applaudira !

Quand il m'aura...

LA CRITIQUE.

205   Trompée.

UN ACTEUR.

Plaideurs, que vous êtes fous

De manger en procès vos terres !

Plus vite, et bien mieux que vous,

Nous savons terminer nos guerres.

210   On se va, chez nous,

Battre à grand coups...

LA CRITIQUE.

De verres.

UNE ACTRICE.

Le savoir et le talent

Aux tréSors ont droit de prétendre.

215   Mon grand couSin, le traitant,

Mieux que moi, pourra vous l'apprendre.

Tout son revenu

Vient d'avoir su...

LA CRITIQUE.

Bien prendre.

UN GASCON.

220   Spadassins et fiers à bras ,

Ce fer-là craint peu votre brette.  [ 2 Brette : Longue épée. [L]]

Je ne vous conseille pas

D'attaquer un pareil athlète.

Dans tous mes combats

225   Toujours je bats...

LA CRITIQUE.

Retraite.

UNE ACTRICE.

Un jeune époux de vingt ans,

Selon moi, n'est pas convenable

Lorsque ; nos feux font constants,

230   D'y répondre il est incapable.

Un mari barbon

Nous fait raison...

LA CRITIQUE.

À table.

UN ACTEUR.

Qu'un mari nabot est laid

235   Me disait l'autre jour Thérèse !

Puisqu'un grand homme est son fait,

J'ai de quoi la mettre à son aise ;

Car, certainement,

Je suis un grand...

LA CRITIQUE.

240   Nicaise.  [ 3 Nicaise : Nom propre qui s'emploie pour désigner un jeune homme simple, crédule et même niais. [L]]

UNE ACTRICE.

C'est de la Cour que l'on tient

Le bon goût, la mine gentille

Mon origine en provient.

Tout Paris dit que la famille

245   De mon grand papa,

Sortit de là...

LA CRITIQUE.

Courtille.  [ 4 Courtille : Partie des faubourgs du nord de Paris où se trouvent beaucoup de cabarets. [L]]

UN ACTEUR.

Le beau Tircis que voilà,

En voulant m'égaler, me pique.

250   Du valet de trèfle il a

Le minois grotesque et comique ;

Mais ou voit en moi

Le port d'un Roi...

LA CRITIQUE.

De pique.

UNE ACTRICE.

255   Il court un écrit charmant,

Qu'à bon droit le Public admire.

Monsieur dit publiquement,

Que c'est lui qui l'a su produire.

UN ACTEUR.

Et c'est, en effet,

260   Moi qui l'ai fait...

LA CRITIQUE.

Transcrire.

UNE ACTRICE.

Des peintres les plus brillants,

Cléon doit augmenter la liste ;

Pour admirer ses talents,

265   Maint auteur le fuit à la piste.

UN ACTEUR.

On a bien raison ;

LA CRITIQUE.

Car je suis bon...

LA CRITIQUE.

Copiste.

UNE ACTRICE.

Vous voyez, dans ma maison,

270   Tous les jours, accourir Clitandre.

Que vous ensemble, Marthon ?

MARTHON.

Je crois qu'un hommage si tendre,

Et des soins si doux,

Sont pris pour vous...

LA CRITIQUE.

275   Surprendre.

UNE ACTRICE.

Ô les aimables époux

Que l'on trouve dans cet asile !

Nous plaindre, est mal fait à nous.

Leur humeur est douce et facile :

280   Ils sont amusants

Vifs, et charmants...

LA CRITIQUE.

En ville.

UN ACTEUR.

Philis à mes feux répond.

Dans les yeux j'ai vu qu'elle m'aime ;

285   Pour mes rivaux, quel affront !

Pour mon coeur, quel plaisir extrême !

La Belle, je crois,

N'aime que moi...

LA CRITIQUE.

Vingtième.

UNE ACTRICE.

290   Si des ennemis secrets

Sont venus ici pour nous nuire,

Contre eux aiguisez vos traits ;

Dans ce jour, il faut les détruire.

Quel bonheur pour nous !

295   S'ils crèvent tous...

LA CRITIQUE.

De rire.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Vous avez réponse à tout, et vous vous en acquittez...

LA CRITIQUE.

De mon mieux.

L'ACTEUR.

Je crois que Jupiter sera la dupe de sa vengeance.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Peut-on vous demander ce que vous allez ; faire à présent ?

LA CRITIQUE.

Vous quitter.

L'ACTEUR.

Que dites-vous, s'il vous plaît ?

LA CRITIQUE.

Que je pars.

MADEMOISELLE RAIMOND.

Tout à l heure ?

LA CRITIQUE.

Sur-le-champ.

L'ACTEUR.

AIR. Tout est dit.

Quel sujet important vous presse

D'abandonner sitôt ces lieux !

Demeurez avez nous, Déesse ;

300   Contentez nos voeux.

LA CRITIQUE.

  Je ne peux.

MADEMOISELLE RAIMOND.

À des faquins donnez encor la touche.

L'ACTEUR.

Quoi ! Vous sortez ! Rien ne vous attendrit !

MADEMOISELLE RAIMOND.

Rien ne vous touche !

LA CRITIQUE.

Tout est dit.

L'ACTEUR, à Mademoiselle Raimond.

Elle nous est nécessaire ; ne l'abandonnez pas. Moi, je m'en vais donner audience à l Antiquité et a la Nouveauté que je vois s'approcher.

SCÈNE VI et DERNIÈRE.
L'Antiquité, La Nouveauté, L'Acteur.

L'ANTIQUITÉ.

AIR. En badinant, en folâtrant.

305   Je dois avoir la préférence.

LA NOUVEAUTÉ.

C'est à moi qu'on la donnera.

L'ANTIQUITÉ.

Vous vous bercez d'une espérance

Qui sûrement vous trompera.

Vous avez trop de suffisance ;

310   Ne comptez point donner le loi :

Ce sera moi.

LA NOUVEAUTÉ.

Ce sera moi.

L'ANTIQUITÉ.

J'ai des suffrages d'importance.

LA NOUVEAUTÉ.

Les miens sont d'un meilleur aloi.

L'ACTEUR.

Écoutons cette dispute.

L'ANTIQUITÉ.

La Nouveauté vouloir avoir le pas sur l'Antiquité !

AIR. Simone, ma Simone,

C'est n'avoir absolument

315   Aucun jugement ;

Oui, Déesse, encore un coup,

Ce procédé m'étonne :

Il ne vous sied point du tout,

Ma petite mignonne.

320   Quelles sont vos raisons ? Parlez.

LA NOUVEAUTÉ.

Il n'est pas besoin.

AIR. Du jus d'Octobre.

Un de mes regards en impose :

Mieux qu'un discours sentencieux ;

Ma jeunesse plaide ma cause ;

Et mes Avocats, sont mes yeux.

L'ANTIQUITÉ.

Quel orgueil ! Je n'en ai pas tant, moi qui rends tous les jours tant de services. Vous conviendrez avec moi, que les plus beaux esprits ont recours à mon magasin.

AIR. De notre cabane,,

325   Le vrai philosophe,

L'auteur de bon goût,

Viennent s'y fournir de tout.

LA NOUVEAUTÉ.

Vous donnez l'étoffe,

Et c'est moi qui couds.

L'ANTIQUITÉ.

Il est bien difficile de faire un bouquet, lorsque l'on a des fleurs à discrétion ! Il vous faudrait de l'expérience, et vous n'en avez point ; pour moi, j'ai vu Marius, Sylla, Pompée, Mithridate, Annibal, Scipion.

AIR. La Reine du Barostan.

330   J'ai vu le Grand Alexandre,

J'ai vu Sénèque et Platon

J'ai vu Priam et Cassandre,

J'ai vu Brutus et Caton ;

Dans l'histoire et dans la Fable,

335   J'ai tout feuilleté, tout lu.

LA NOUVEAUTÉ.

Vous seriez bien plus aimable,

Si vous en eussiez moins vu.

L'ANTIQUITÉ.

AIR. Vieillards de Thésée.

Puis-je entendre et souffrir ce langage !

Dieux ! Que cet ouvrage

340   Blesse mon coeur !

Quelle récompense !

Moi, qui lui dispense

Tout ce que j'ai de meilleur,

Pour prix de mon zèle,

345   Je ne reçois d'elle

Que peine et tourment ;

Au Public, j'appelle

De ce traitement.

Allez, allez, vous devriez mourir de honte petite ingrate que vous êtes. Le ruisseau qui méconnut sa source, l'était moins mais j'en aurai raison, et je prendrai des arbitres, des arbitres.

L'ACTEUR.

Tâchons de les accommoder. Eh ! De grâce, Mesdames, finissez ces vains débats ; sied-il à ces Immortelles de faire rire à leurs dépens ?

L'ANTIQUITÉ.

Ai-je tort ?

LA NOUVEAUTÉ.

Est-ce ma faute ?

L'ACTEUR, à l'Antiquité.

Je vous conseille de ne point plaider avec la Nouveauté ; vous avez raison : mais elle gagnerait.

À la Nouveauté.

Vous ne pouvez vous passer de l'Antiquité ; croyez-moi, faites lui une petite satisfaction.

LA NOUVEAUTÉ.

Je le veux bien. Je vous allure, Déesse, que je n'ai eu aucun dessein de vous offenser, ne nous brouillons point, je ne vous prie ; je conviens de tous les avantages que vous avez sur moi ; et je les publierai partout.

L'ACTEUR, à l'Antiquité.

Êtes-vous contente ?

L'ANTIQUITÉ.

Je n'ai plus rien à dire.

LA NOUVEAUTÉ.

AIR. Très volontiers, fort volontiers.

L'aveu que je vous fais,

Répare toute offense.

L'ANTIQUITÉ.

350   Vous aurez déformais

Part à ma bienveillance.

LA NOUVEAUTÉ.

Terminons tout procès.

L'ANTIQUITÉ.

Très volontiers, fort volontiers, ma chère ;

Que notre paix

355   Dure à jamais.

L'ACTEUR.

Vous ne sauriez mieux faire.

Embrassez-vous de bonne amitié.

LA NOUVEAUTÉ, à l'Acteur, qui veut l'embrasser.

Que voulez-vous ?

L'ACTEUR.

Mon droit de médiateur.

L'ANTIQUITÉ.

Vous serez payé d'une autre façon ; nous allons composer pour vous un Vaudeville, sur le vieux et le nouveau.

L'ACTEUR.

Vous nous ferez plaisir.

LA NOUVEAUTÉ.

Cela fera fait dans la minute.

L'ACTEUR.

Tant mieux, nous nous en servirons terminer pour la petite fête que notre Maître de Ballet va donner ici dans un moment.

VAUDEVILLE.

AIR. Tu croyais, en aimant Colette.

Je veux que l'on serve à la table :

Ce qu'il faut dans chaque saison ;

La jeune chair m'est agréable,

360   Et j'aime fort le vieux poisson.

     

Lorsqu'avec le voisin Grégoire

Je vais au Cerceau m'héberger,

Le vieux fromage nous fait boire,

Et le pain frais nous fait manger.

     

365   L'amitié, comme le tendresse,

Partage en tout temps mon ardeur.

Vieux amis et jeune maîtresse

Sont l'amusement de mon coeur.

     

Plus d'une belle, en cette ville,

370   Sait ménager en même temps,

Pour l'agréable et pour l'utile,

Jeunes plumets et vieux traitants.

     

Sur la fièvre et sur la migraine,

Un vieux médecin parle bien :

375   Mais, ma foi, pour ouvrir la veine ;

Vive une jeune chirurgien.

     

Jeune fille et vieille compagne

Servent d'enseigne aux libertins.

Vieux Bourguignon, jeune Champagne

380   Font l'agrément de nos festins.

     

J'aime, au pays de l'harmonie,

De jeunes voix et de vieux chants ;

Il faut, en fait de symphonie,

Jeunes mains et vieux instruments.

     

385   Souvent des épouses jeunettes

Rendent papas de vieux barbons ;

Vieux coqs, avec jeunes poulettes,

Font des oeufs qui sont beaux et bons.

     

Il faut aux Aides et Domaines

390   Vieux directeur, jeunes commis.

Jeune soldats, vieux capitaines,

Sont bons contre nos ennemis.

     

Dans un char, ou sur une flotte

Qui veut bien aller, doit chercher

395   Jeunes matelots, vieux pilote,

Jeunes chevaux et vieux cocher.

     

La docte Antiquité surpasse

Tous vos ouvrages les plus beaux ;

Phoebus met dans la même classe

400   Vieux almanachs et vers nouveaux.

     

À vieux tableau neuve bordure,

Bride neuve à vieille hument,

À vieux bouquins neuve reliure,

Font encore venir le marchand.

     

405   Aux devoirs mari qui déroge,

Se fait jouer de mauvais tours :

À jeune femme et vieille horloge,

Il faut regarder tous les jours.

     

Belle figure et bonne grâce

410   Mènent au comptoir le chaland :

La vieille marchandise passe,

Quand un jeune Objet nous la vend.

     

Je mets, quand la bise est piquante,

Vieille perruque et bon manteau :

415   Je prends, quand la cigale chante

Perruque neuve et vieux chapeau.

     

Un certain soupçon me tourmente.

Quand je vois aller au serein

Vieux maître et jeune gouvernante,

420   Jeune filleule et vieux parrain.

     

Ce qu'en vingt ans gagna le père,

Le fils le mange en un quartier :

Les vieux écus ne restent guère

Dans les mains d'un jeune héritier.

     

425   Contre qui voudra je parie,

Qu'un baudet en beau velours neuf

Plaira cent fois mieux à Sylvie?

Qu'un savant en vieux drap d'Elboeuf.

     

De peur que trop tôt on ne meure,

430   Il faut fuir les dérèglements ;

Quand on fait le vieux de bonne heure?

On est jeune pendant longtemps.

     

AU PUBLIC.

AIR. Du jus d'Octobre.

Meilleurs, souvent on vous rappelle

Par des salmis joliment faits :

435   Plus d'une fois fausse nouvelle

Fit passer pour neuf un vieux mets.'

     

Accordez-nous la même grâce

Qu'aux auteurs vous fîtes toujours ;

Que votre indulgence nous passe

440   Vieille pensée et nouveaux tours.

     

 



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Notes

[1] Rossolis : Liqueur composée d'eau-de-vie brûlée, de sucre, et de jus de quelque fruit doux, tel que celui de cerises, de mûres, etc. [L]

[2] Brette : Longue épée. [L]

[3] Nicaise : Nom propre qui s'emploie pour désigner un jeune homme simple, crédule et même niais. [L]

[4] Courtille : Partie des faubourgs du nord de Paris où se trouvent beaucoup de cabarets. [L]

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