dans LES JEUX DE LA PETITE THALIE.
OU NOUVEAUX PETITS DRAMES DIALOGUÉS SUR DES PROVERBES
Propres à former les moeurs des enfants et des jeunes personnes, depuis l'âge de cinq ans jusqu'à vingt.
M. DCC. LXIX.
Par M. de MOISSY.
Chez Bailly, Libraire, Quai des Augustins, à l'Occasion.
Texte établi par Paul FIEVRE, octobre 2018
publié par Paul FIEVRE, octobre 2018
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:38.
DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
L'éducation si précieuse à l'Humanité, ne peut être regardée sous trop d'aspects, et il serait à souhaiter que tous les auteurs, même les plus accrédités voulussent bien ne pas trouver au-dessous d'eux les ouvrages qu'ils tendraient à ouvrir à cette éducation, quelques routes plus utiles et plus agréables que celles qui sont connues.
Malgré tant d'écrits ( dit un fameux Philosophe de nos jours ) qui n'ont pour but que l'utilité publique, la première de toutes les utilités qui est l'Art de former des hommes, est encore oubliée. Que de romans paraissent journellement, qui ne servent qu'à amollir l'âme aussitôt qu'elle est capable de quelque force, qui tournent toujours dans un certain cercle de galanterie plus ou moins dangereuse, et n'apprennent aux jeunes personnes des deux sexes, que le jargon d'un vice raffiné, en faisant à leur esprit un amusement réfléchi des faiblesses de leur coeur !
Il faut instruire les enfants pour le Monde, et que les instructions qu'on leur donne se présentent à eux dans des tableaux agréables ; que ces tableaux diminuent dans leur coeur et dans leur esprit, la pente que l'humanité a pour le vice, et leur fasse trouver les vertus de chaque âge assez douces, assez nécessaires à la vie , pour que ces mêmes enfants défirent de les pratiquer fans effort, et comme un moyen de tranquillité et de bonheur.
Le grand Art est donc de les conduire à la Vertu, pour ainsi dire, par le chemin de la séduction , et qu'ils ne s'aperçoivent pas même qu'on ait voulu les séduire.
Le seul moyen pour parvenir à cet art ; est de leur présenter ces instructions sous la forme d'amusements ; alors toutes leurs facultés d'apercevoir et de sentir se développeront.
Ces réflexions ont fait naître l'idée de dialoguer un certain nombre de Proverbes, qui, vus d'un oeil philosophique, sans être hors de la portée des enfants et des jeunes personnes, roulent au contraire fur les petites affections répréhensibles et sur les semences de défauts et de vices qui peuvent germer en eux.
Ces Proverbes ainsi dialogués, outre l'avantage de l'instruction morale qui s'y trouve proportionnée aux différents âges et aux différents états, ont encore celui d'apprendre aux enfants, à parler avec assurance, à disserter d'eux-mêmes sur des choses qui les regardent, qui les amusent, et qui les intéressent.
Voici comment on pourra tirer toute l'utilité qui doit en résulter.
En faisant apprendre aux enfants les rôles qu'ils ont dans ces Proverbes, pour les jouer comme une petite Comédie, on choisira celui qui conviendra à leur âge, et à tel défaut qu'on voudra réprimer en eux.
Suivant le degré de leur intelligence, on les engagera, à travers toutes les scènes qu'ils réciteront par coeur, à étendre d'eux-mêmes le Dialogue, sans qu'ils s'écartent trop de l'Action.
Rien ne formera plus les jeunes personnes à parler aisément, et avec une honnête assurance devant le monde, à donner du ressort à leur imagination, enfin à multiplier avec méthode leurs idées, que ces petits Drames ainsi représentés par elles, une partie de mémoire, et l'autre par impromptu.
Pour cet effet, on a marqué les endroits susceptibles d'être variés, ou plus étendus dans le Dialogue écrit, en mettant au-dessus de ces endroits le mot d'Impromptu.
C'est dans ces moments de dialogue, que l'on engage les personnes qui en dirigeront l'exécution, à faire observer aux enfants, quand ils auront assez fait agir leur petite Minerve, à rendre à l'interlocuteur les mots de réplique comme en jouant la Comédie.
On a imprimé les répliques en lettres italiques, pour qu'on puisse les distinguer plus aisément.
Au moyen de cette opération, qui ne sera regardée par les enfants que comme un simple amusement, il se formera entre eux une vive émulation d'esprit ; ils apprendront tout ensemble à agir, à parler, à penser, et à contenir dans des bornes convenables leurs actions, leurs idées et leurs discours.
D'après ces observations, on espère que cet ouvrage tout puérile qu'il pourra paraître à certaines gens, n'aura pas le même sort auprès de ceux qui aimeront leurs enfants ou leurs élèves, avec cette tendresse ingénieuse et bien dirigée, qui n'aspire qu'à faire le bonheur de cette intéressante partie de l'humanité, et à la rendre dans la suite, sans danger pour ses moeurs, aussi raisonnable que vertueuse.
TABLE DES TITRES.
Avec un Précis du Sujet Moral qui est traité sous chacun d'eux,
La Table des Mots des Proverbes est à la fin du Livre.
Proverbe premier.
LA POUPÉE, page 3
Instruction pour les Enfants du premier âge, qui ne respectent pas assez leurs Gouvernantes.
Proverbe II.
LES GOURMANDES, page 15
Leçon nécessaire aux enfants qui sont gourmands et menteurs.
Proverbe III.
LE MENUET ET LALLEMANDE, page 33
Moyens d'inspirer de l'émulation aux enfants de parents qui ne font point assez riches pour leur donner des Maîtres.
Proverbe IV.
LES MOINEAUX, page 55
Leçon agréable et persuasive, pour engager un enfant à ne faire aucun mal, aucune méchanceté, même aux animaux.
Proverbe V.
LES POCHES, page 73
Bon Exemple d'une mère à sa fille, pour qu'elle ne s'écarte jamais de la confiance qu'elle devra à son mari.
Proverbe VI.
UN HABIT SANS GALONS, page 89
Trait d'un bon coeur pour engager un jeune homme à ne point aimer le faste, et à employer ce qu'il coûte à secourir l'humanité souffrante. Scène VI. Sujet de l'Estampe.
Proverbe VII.
LES DEUX MEDECINES, page 109
Ruse utile pour déterminer par amour propre, des enfants à prendre en maladie des médicaments.
Proverbe VIII.
LA VERSION, page 123
Moyen d'engager les enfants à ne point se dépiter contre eux-mêmes, quand ils trouveront des difficultés dans leurs études.
Proverbe IX.
LE DUEL, page 133
Leçon pour des enfants de condition orgueilleux, impertinents et mutins.
Proverbe X.
LE PETIT PAYSAN HARDI, page 151
Exemple qui tend à inspirer de la hardiesse aux enfants trop timides, et qui n'osent rien entreprendre.
Proverbe XI.
LE GOÛTÉ, page 161
Leçons d'égalité données à des enfants élevés avec hauteur, et qui méprisent les enfants des pauvres.
Proverbe XII.
LE QUI-PRO-QUO, page 177
Morale utile aux Fils d'un Paysan ou homme du peuple, qui veulent entrer au Service ou en service.
Proverbe XIII.
L'HEUREUX NATUREL, page 195
Bel Exemple de tendresse d'un Fils pour sa Mère, qu'il ne connaît pas.
Proverbe XIV.
LA COMÉDIE, page 207
Occasion plaisante de détruire l'orgueil mal fondé d'un enfant séduit par les apparences.
Proverbe XV.
LES REVENANTS, page 225
Moyens de prouver aux enfants, qu'il n'y a point de Revenants , et que tout s'opère ici bas par des causes naturelles.
Proverbe XVI.
LA PETITE VÉROLE, page 247
Exemple fort utile, pour consoler les jeunes Demoiselles que la petite vérole enlaidit, et Morale consolante pour les jeunes personnes laides.
Proverbe XVII.
LA PIÈCE DE VERS, etc. page 283.
Correction honnête qui tend à démasquer et à humilier l'amour propre ridicule d'un jeune homme qui se croit un prodige d'esprit et de mérite.
Proverbe XVIII.
LE MALHEUR IMPRÉVU, page 283
Leçons importantes aux jeunes gens, pour ne point se décider trop légèrement sur l'état qu'ils ont envie de prendre, et ne point perdre de temps à des occupations frivoles.
Proverbe XIX.
LES PRÉJUGÉS, page 299
Événements qui doivent apprendre aux jeunes gens à penser juste sur les deux plus forts pré jugés de notre Nation.
Proverbe XX.
LES LIAISONS DANGEREUSES, page 319
Aventure heureuse qui fait connaître aux jeunes gens l'importance de bien choisir leurs liaisons, pour éviter les chagrins et les malheurs.
TABLE DES MOTS DES PROVERBES.
Proverbe I. La Poupée : Trop parler nuit.
II. Les Gourmandes : Fin contre fin, n'est pas bon à faire doublure.
III. Le Menuet et l' Allemande : Le bon Oiseau se fait de lui-même.
IV. Les Moineaux : Il ne faut pas faire à autrui ce qu'on ne foudroie pas qu'on nous fît.
V. Les Poches : Les plus courtes folies font les meilleures.
VI. L'Habit sans Galons : Bon chien chasse de race.
VII. Les deux Médecines : Faire bonne mine à mauvais jeu.
VIII. La Version : Il vaut mieux laisser son enfant morveux, que de lui arracher le nez.
IX. Le Duel : Tout chien qui aboie ne mord pas.
X. Le petit Paysan hardi : Il n y a que le premier pas qui coute.
XI. Le Gouter : Pauvreté n'est pas vice.
XII. Le Qui-pro-quo : On ne peut tirer d'un sac que ce qui est dedans.
XIII. L'heureux Naturel : Bon sang ne peut mentir.
XIV. La Comédie : Les honneurs changent les moeurs.
XV. Les Revenants : On ne s'avise jamais de tout.
XVI. La petite Vérole : À quelque chose le malheur est bon.
XVII. La Piéce de Vers , etc. : Qui prouve trop , ne prouve rien.
XVIII. Le Malheur imprévu : L'homme propose, et Dieu dispose.
XIX. Les Préjugés : Après la pluie le beau temps.
XX. Les Liaisons dangereuses : Plus de peur que de mal.
ACTEURS de LA POUPÉE.
MADEMOISELLE MINETTE, Enfant de cinq ans.
LA MÈRE.
LA BONNE.
MONSIEUR DE LA FAYETTE, ami de la Maison.
La Scène est dans la chambre de la Bonne, et l'action se passe à dix heures du matin.
LA POUPÉE
SCÈNE PREMIÈRE.
LA JEUNE ENFANT seule, parlant à sa poupée.
Impromptu.
Eh bien ! Mademoiselle, ferez-vous ce que je vous dis ? Voulez-vous bien vous tenir droite ? Songez que je suis votre bonne, et qu'une bonne a droit de vous faire obéir, de vous gronder quand elle veut, et de vous corriger quand vous n'obéirez pas... Eh bien !... À qui est-ce que je parle ? Voulez-vous... Eh bien !... Ah ! Vous avez de l'humeur... Eh bien ! Vous aurez une tape sur l'épaule, comme ma bonne m'en donne souvent plus mal-à-propos ; oui, je ne suis pas si méchante pour vous, que ma Bonne l'est pour moi, et vous n'en êtes pas plus obéissante ; mais je ferai tout comme elle, et vous aurez affaire à moi.
SCÈNE II.
La Jeune Enfant, La Bonne.
LA BONNE, qui aura écouté tout le discours de l'enfant sans en être vue.
Ah ! ah ! Mademoiselle, vous dites-là de jolies choses à votre poupée ; je vous frappe donc mal-à-propos ; je fuis donc méchante ; allons donnez-moi votre Poupée tout-à l'heure. Elle prend la poupée. Vous ne la reverrez de huit jours pour vous apprendre à lui tenir de pareils discours.
L'ENFANT.
Mais, ma Bonne, je ne savais pas que vous étiez-là ; oh ! Rendez-moi ma Poupée.
LA BONNE.
Non, Mademoiselle.
L'ENFANT.
Vous ne voulez pas ?
LA BONNE.
Non, vous dis-je, elle est avec vous en trop mauvaise compagnie ; vous lui dites des menteries, et cela n'est pas bien.
L'ENFANT. Impromptu.
Eh bien ! Ma Bonne, c'est vrai, je lui ai dit que vous êtes méchante, et ce ne sont pas des menteries, comme vous voyez, puisque vous voulez m'ôter ma poupée ; aussi pourquoi écoutez vous ce que je lui dis ? Ça n'est pas bien d'écouter les personnes qui parlent ensemble, seriez-vous bien aise que je vous écoutasse moi, quand vous causez avec Dubois, le valet de chambre de mon Papa, et qui vous dit bien d'autres choses que tout ce que j'ai dit à ma Poupée ?
LA BONNE.
Mademoiselle, quand je cause avec lui, nous ne disons du mal de personne.
L'ENFANT.
Ah ! Vraiment, je le sais bien, vous ne vous dites que des choses sort gracieuses à l'une et à l'autre.
LA BONNE.
Voilà qui est bien, il ne s'agit point de cela.
L'ENFANT.
Eh bien ! Rendez-moi ma poupée.
LA BONNE.
Non, vous ne l'aurez pas, sûrement.
L'ENFANT.
Vous ne voulez donc pas me la rendre, une fois, deux fois, vous ne voulez pas ?
LA BONNE.
Non.
L'ENFANT.
Eh bien ! Emportez-la, je sais bien ce que je ferai.
LA BONNE.
Eh ! Que ferez-vous s'il vous plaît ?
L'ENFANT. Impromptu.
Allez, je me la ferai bien rendre. Ah ! Tenez, j'entends parler Monsieur de la Fayette, qui est mon bon ami et celui de Maman : je m'en vais lui dire qu'il me la fasse rendre.
LA BONNE.
Ah ! Vous pouvez lui dire tout ce qu'il vous plaira, mais il ne me forcera pas de vous la rendre.
SCÈNE III.
Monsieur de La Fayette, L'Enfant, La Bonne.
L'ENFANT.
Mon bon ami, tenez, voilà ma Bonne qui vient de me prendre ma Poupée, parce que je causais avec elle, et qui veut me la garder pendant huit jours.
MONSIEUR DE LA FAYETTE.
Et pourquoi cela ? Ah ! La Bonne, rendez la poupée à Mademoiselle Minette, à ma considération.
LA BONNE.
Non, Monsieur, je vous considère beaucoup, mais j'ai des raisons de punir Mademoiselle des propos ridicules qu'elle tient à sa poupée, en lui ôtant les moyens de s'entretenir avec elle, comme elle fait, sur mon compte.
MONSIEUR DE LA FAYETTE.
Eh ! Qu'est-ce qu'elle lui disait donc sur votre compte ?
L'ENFANT.
Eh bien ! Je lui disais, que vous êtes méchante, ma Bonne ! Et cela est vrai, tant que vous ne voudrez pas me rendre ma poupée.
MONSIEUR DE LA FAYETTE.
Allons, la Bonne, rendez-la lui, elle ne le dira plus.
LA BONNE.
Non, Monsieur, vos prières sont inutiles, je ne la rendrai pas.
L'ENFANT.
Voyez, mon bon ami, si j'ai tant menti que ma Bonne le dit ; mais demandez lui donc plus fort.
MONSIEUR DE LA FAYETTE.
La Bonne. Je veux absolument, je veux absolument que vous rendiez à Minette sa poupée.
LA BONNE.
Et moi, je ne veux pas la rendre.
L'ENFANT.
Vous voyez, comme elle est obstinée ; eh bien ! Elle dira que c'est moi ; je sais bien quel qu'un qui me la fera rendre.
LA BONNE.
Oui, nous verrons.
SCÈNE IV.
La Bonne, L'Enfant, Monsieur de La Fayette, La Mère.
MONSIEUR DE LA FAYETTE, à la Mère.
Madame, je vous donne le bonjour. Ah ! Madame, Mademoiselle Minette a bien du chagrin.
L'ENFANT.
Ah ! Ma chère Maman, vous venez bien à propos ; baisez-moi donc, ma petite Maman.
LA MÈRE, la baise.
Bonjour, Minette. Eh bien ! Qu'est-ce qu'il y a donc ? Quelque mécontentement que vous avez donné à votre Bonne, je gage, Mademoiselle ; vous savez que je n'aime pas cela.
L'ENFANT.
Ni moi non plus, Maman, car c'est toujours moi qui en suis punie : mais, Maman, je ne saurais plus avoir recours qu'à vous, pour l'avoir ma poupée, que ma Bonne m'a ôtée.
LA MÈRE.
Votre Bonne vous a ôté votre Poupée, apparemment parce que vous le méritez.
LA BONNE.
Oui, Madame, Mademoiselle lui dit des choses qui ne sont pas bien ; elle lui fait entendre que je suis méchante, que je ne sais ce que je dis, ce que je fais.
LA MÈRE.
Ah ! ah ! Mademoiselle, en ce cas votre Bonne a bien fait.
L'ENFANT.
Eh bien ! Ma chère Maman, faites-moi la rendre, cela ne m'arrivera plus, je vous le promets.
MONSIEUR DE LA FAYETTE.
Allons, Madame, cette promesse là doit vous désarmer ; Mademoiselle Minette n'a plus que vous pour ressource, car elle a prié sa Bonne inutilement ; mon crédit n'a rien fait non plus, ainsi...
LA MÈRE, à la bonne.
Je veux bien que vous lui rendiez sa poupée, la Bonne, pour cette sois-ci.
À l'enfant.
Mais la première fois qu'il vous arrivera, Mademoiselle, de tenir avec votre Poupée des propos qui déplairont à votre Bonne, je ne veux pas qu'elle vous la rende de la vie.
L'ENFANT.
Oui, Maman.
LA MÈRE.
Je veux que vous ayez pour votre Bonne, autant de respect que pour moi.
L'ENFANT.
Oui, Maman.
LA MÈRE.
Que vous soyez assez raisonnable pour penser qu'elle tient ma place auprès de vous, parce que je ne puis pas y être toujours.
L'ENFANT.
Oui, Maman.
LA MÈRE.
Et qu'enfin, lui déplaire, c'est déplaire à moi-même.
L'ENFANT.
Oui, Maman.
LA MÈRE, à la Bonne.
Allons, la Bonne, rendez-lui sa poupée pour cette fois-ci.
À l'enfant.
Et vous , Mademoiselle, songez à ce que vous me promettez, et à me tenir parole.
L'ENFANT.
Oui, Maman.
LA BONNE, en rendant la Poupée à l'enfant.
Tenez, Mademoiselle, la voilà ; vous êtes bienheureuse que votre Maman...
L'ENFANT.
Oui, ma Bonne...
En tenant la Poupée.
Ah ! La voilà. Je savais bien moi que je l'aurais, mais j'ai eu bien de la peine... Allez ma bonne, soyez tranquille, je ne lui parlerai plus jamais de vous du tout, du tout. Oh ! Je vois bien que sans Maman... Mais le Proverbe a raison qui dit que...
LES GOURMANDES
SCÈNE PREMIÈRE.
Caroline, Joséphine.
CAROLINE.
Ma soeur, Fanchette ne revient point pour nous donner à gouter, et il est six heures.
JOSÉPHINE.
Dame, mon Papa l'a envoyée en commission bien loin, bien loin ; il est dans la boutique ; veux-tu que je lui demande à gouter ?
CAROLINE.
Bon, il nous donnera du pain sec ; il y a dans le buffet un bon morceau de tourte de frangipane.
JOSÉPHINE.
Et puis un reste de pot de confitures.
CAROLINE.
Mon Papa est occupé dans la boutique avec des Marchands.
Elle ouvre le buffet.
Tiens, vois-tu, ma Soeur, mangeons-en un peu sans que cela paroisse.
JOSÉPHINE.
Allons voyons, as-tu un couteau?
CAROLINE.
Oui, tiens, coupons d'abord de la tourte.
Elle coupe de la tourte.
Tiens, voilà pour toi, et puis voilà pour moi, vois ; il n'y paraît presque pas.
JOSÉPHINE, mange.
Non, mais je n'en ai guère, prêtes-moi ton couteau.
Elle coupe.
Tiens, je m'en vais prendre encore ce petit coin-là.
CAROLINE.
Et moi donc, donnes m'en par-là.
JOSÉPHINE.
Oui, mais la tourte s'en va.
CAROLINE.
Oh dame ! C'est si bon : donnes-moi encore ça, tiens, plus que ça : ah ! Voilà le morceau tout cassé, comment allons-nous faire ?
JOSÉPHINE.
Eh bien ! Mangeons tout, nous laisserons le buffet ouvert, et nous dirons que c'est le chat qui l'a mangé.
CAROLINE.
Tu as raison, cela vaudra mieux que de laisser ce petit morceau tout rompu, tiens.
Elles partagent le reste de la tourte.
JOSÉPHINE.
Ah ! Que c'est bon de la tourte de frangipane ; quand je ferai grande et que j'aurai de l'argent, j'en veux manger à tous mes repas.
CAROLINE.
La voilà partie tout-à-fait.
JOSÉPHINE.
Et la mienne aussi : et des confitures, en veux-tu ?
CAROLINE.
Oui, un peu, mais n'en faisons pas comme de la tourte ; ne mangeons pas tout : tiens, voilà une petite cuillère pour toi et une pour moi, prenons dans le pot chacune à notre tour.
JOSÉPHINE.
Oui, prends. Caroline prend, et elles continuent ainsi chacune à leur tour. À moi, à toi, à moi, à toi, à moi : oh ! Voilà déjà le fond du pot que je vois.
CAROLINE.
Ma soeur, voilà mon frère qui revient de l'école, caches donc vite tout cela, et fermons le buffet ; dépêche-toi donc, dépêche-toi donc. Joséphine ferme le buffet.
SCÈNE II.
Caroline, Joséphine, le petit Dulac, leur Frère.
LE PETIT DULAC.
Mes soeurs, où est donc Fanchette ? Avez-vous gouté ?
CAROLINE.
Non, nous l'attendons, elle est allée en commission, elle va revenir.
LE PETIT DULAC.
Oh ! Moi, j'ai faim, je m'en vais prendre à gouter dans le buffet.
CAROLINE.
Mon frère, n'ouvrez pas le buffet, vous savez bien que mon Papa ne veut pas que nous prenions à gouter nous-mêmes.
LE PETIT DULAC.
Mais moi, j'ai faim, et je ne veux prendre que du pain.
JOSÉPHINE, s'oppose à son frère.
Oh ! Tu n'ouvriras pas le buffet ; Fanchette va revenir , attends un moment, nous attendons bien nous.
MONSIEUR DULAC, appelle de la boutique.
Dulac, qu'est-ce que vous faites là dedans ?
LE PETIT DULAC.
Rien, mon Papa.
Il sort et va dans la boutique.
SCÈNE III.
Caroline, Joséphine.
JOSÉPHINE.
Bon, le voilà occupé dans la boutique, achevons le pot de confitures, c'est à moi à prendre.
Elle s'ouvre le buffet.
CAROLINE.
Non, c'est à moi.
JOSÉPHINE la pousse.
Mademoiselle, c'est à moi. Elles prennent toutes les deux ensemble dans le pot.
CAROLINE.
Voyez-vous ce que vous faites, Mademoiselle, il n'y a plus rien à présent ; c'est pourtant vous qui êtes si gourmande...
JOSÉPHINE.
Ah ! C'est bien vous même : comment allons-nous faire maintenant ? Et quand on s'apercevra qu'il n'y a plus ni tourte, ni confitures...
CAROLINE.
Sais-tu ce qu'il faut faire ? Voilà le chat qui dort, enfermons-le dans le buffet, cassons le pot de confitures avant, et on croira que c'est le chat qui a tout mangé et tout cassé.
Elle casse le pot de confitures.
JOSEPHINE, va prendre le chat.
C'est bon, c'est bon, tiens le voilà, prends garde qu'il ne s'en aille.
CAROLINE.
Ah que non ; donne, tiens.
Elle met le chat dans le buffet.
Voilà le buffet bien fermé, vas, nous sommes des bonnes.
SCÈNE IV.
Caroline, Joséphine, Le Petit Dulac, Fanchette.
LE PETIT DULAC à Fanchette.
Ma Mie, nous vous attendons, pour nous donner à gouter.
FANCHETTE.
Vous ne pouviez pas en prendre ?
LE PETIT DULAC.
Dame, mes soeurs n'ont pas voulu.
JOSÉPHINE.
Non, mon Papa a défendu qu'on ouvre le buffet, quand vous n'y êtes pas, ma Mie.
FANCHETTE.
Allons, je m'en vais vous en donner, attendez un moment. Elle entend le bruit du chat dans le buffet. Mais, qu'est-ce que j'entends donc là, dans ce buffet ?
CAROLINE.
Dame, nous ne savons pas.
LE PETIT DULAC.
C'est le chat qui est enfermé dans le buffet, je gage.
JOSÉPHINE.
Peut-être bien : oh ! Cela serait drôle.
FANCHETTE ouvre le buffet , et le chat s'enfuit.
Peste soit du chat, il m'a fait peur.
LE PETIT DULAC, regarde dans le buffet.
Ma Mie, il a cassé le pot de confitures ; bon, il a mangé le reste de la tourte de diner.
CAROLINE.
Ah ! Le vilain chat, il faut le battre ; attendez, je m'en vais tâcher de l' attraper.
FANCHETTE.
Mais, comment se fait-il que ce chat s'est trouvé enfermé dans le buffet, Mesdemoiselles ?
JOSÉPHINE.
Ma Bonne, ce n'est pas notre faute, c'est vous, peut être, avant de vous en aller...
CAROLINE.
Vous étiez bien pressée, ma Bonne, et vous aurez enfermé ce maudit chat, sans y prendre garde : il se fourre partout.
FANCHETTE.
Mesdemoiselles, il y a quelque chose là dessous ; regardez moi.
JOSÉPHINE, à Caroline.
Eh bien ! Ma bonne, n'allez-vous pas croire que c'est nous à présent.
FANCHETTE.
Oui, c'est quelque nouveau tour de votre façon, car vous êtes si gourmandes !
CAROLINE.
Ah ! Ma Bonne, je vous assure... Demandez plutôt à mon frère.
FANCHETTE.
Oui, demandez à mon camarade, qui est aussi malin que moi.
SCÈNE V.
Caroline, Joséphine, Le Petit Dulac, Fanchette, Monsieur Dulac.
MONSIEUR DULAC.
Mais, qu'est-ce donc que ce train là ?
LE PETIT DULAC.
Ce n'est rien, mon Papa ; c'est le chat qui était enfermé dans le buffet, qui a mangé le reste de la tourte et des confitures, et qui a cassé le pot.
FANCHETTE.
C'est ce que Monsieur et ces Demoiselles veulent me faire croire ; ils ont tout mangé apparemment, et ont tâché de tout mettre sur le compte du pauvre chat, qu'ils ont enfermé dans le buffet.
MONSIEUR DULAC.
C'est-il vrai, Mesdemoiselles ?
CAROLINE.
Non, je vous assure, mon Papa.
JOSÉPHINE.
Oh ! Pour ça non, ce n'est pas nous.
MONSIEUR DULAC.
Ce n'est pas vous.
Au petit Dulac.
Et vous, Monsieur, vous ne dites rien.
LE PETIT DULAC.
Dame, mon Papa, si je ne dis rien, c'est que je n'en sais rien ; je sais seulement que je n'ai pas gouté, et que j'ai bien faim.
JOSÉPHINE.
Et moi aussi.
CAROLINE.
Et moi aussi...
FANCHETTE.
Les vilains enfants ! On ne peut pas tourner le dos un moment.
MONSIEUR DULAC.
Voilà qui est bien, Fanchette, une autre fois vous prendrez garde à fermer votre buffet.
FANCHETTE.
Monsieur, je vous assure qu'il était fermé, et que le chat n'était pas dedans quand je suis sortie, car il dormait sur une chaise.
MONSIEUR DULAC.
Allons, en voilà assez de dit : il est trop tard maintenant pour faire gourer des enfants, il n'y a qu'à tout de suite leur donner à souper.
FANCHETTE.
Eh bien ! Leur souper est tout prêt, c'est un morceau de boeuf à la mode.
MONSIEUR DULAC.
Soit, faites-les souper, puisqu'ils n'ont pas goûté.
LE PETIT DULAC.
Oh ! Tant mieux. On cogne à la boutique,
Monsieur Dulac y va.
SCÈNE VI.
Fanchette, Les trois enfants.
FANCHETTE, après avoir arrangé trois couverts.
Allons, Monsieur et Mesdemoiselles, voilà votre souper, prenez vos serviettes.
Les trois enfants se mettent à table.
FANCHETTE.
Tenez, voilà chacun un bon morceau sur votre assiette ; tâchez de manger proprement.
CAROLINE et JOSÉPHINE.
Oui, ma Mie.
SCÈNE VII.
Les acteurs précédents, Monsieur Dulac, pendant que ses trois enfants mangent, les observe sans affectation, en se promenant autour de la table.
JOSÉPHINE haut à sa Soeur.
Ce coquin de chat ! Oh ! Si je le tenais, comme je le battrais !
MONSIEUR DULAC.
Allons, Mesdemoiselles, mangez, puisque vous avez si faim.
CAROLINE et JOSÉPHINE.
Aussi nous mangeons bien, mon Papa.
LE PETIT DULAC, bouche pleine.
Pour moi, je n'ai jamais eu tant faim.
CAROLINE, bas à son frère.
Mon frère, tu n'as plus rien, veux-tu mon morceau ?
LE PETIT DULAC.
Oui, donne.
JOSÉPHINE.
Oh ! Tiens, je t'en prie, prends le mien aussi, et mange le vite.
LE PETIT DULAC, la bouche toujours pleine.
Donne, mais dame, je ne peux pas manger tout à la fois.
MONSIEUR DULAC.
Ah ! Ah ! Mesdemoiselles, je vous y prends ; voilà donc l'appétit que vous avez ; vous faites manger tout votre souper à votre frère, et vous avez fait semblant d'avoir faim pour me tromper...
CAROLINE.
Mais, mon Papa, c'est que...
MONSIEUR DULAC.
Vous accusez le chat d'avoir mangé la frangipane et les confitures, et vous n'avez pas faim : allons, allons, je dais maintenant à quoi m'en tenir, et vous serez punies comme deux insignes gourmandes.
CAROLINE.
Ah ! Mon Papa, je vous assure.
MONSIEUR DULAC.
Chansons que tout cela, les chats peuvent manger de la frangipane, mais les chats ne mangent pas de confitures : vous n'avez pas pensé à cela, mais il faut vous l'apprendre : allons, montez toutes deux dans votre chambre, et je donne ordre à Fanchette, de vous corriger. Comme vous le méritez.
JOSÉPHINE.
Ah ! Mon Papa, eh bien, c'est vrai ; nous vous demandons pardon, cela ne nous arrivera plus.
CAROLINE.
Non, mon Papa, plus jamais.
MONSIEUR DULAC.
Cela est inutile ; allons, partez, partez vite. Fanchette, vous m'entendez bien.
FANCHETTE.
Oui, Monsieur, je vous réponds que je ne les épargnerai pas, car c'est tous les jours la même chose ; ce sont deux gourmandes fieffées.
Elle emmène Joséphine et Caroline.
CAROLINE, en s'en allant.
Ah ! Ma mie.
JOSÉPHINE.
Ma petite Bonne...
MONSIEUR DULAC, au petit Dulac.
Et toi, mon ami, je te rends justice, tu n'es point leur complice, je le vois bien à ton appétit ; mais on peut bien dire, en fait de gourmandise et de malice, de tes soeurs, que les deux font la paire ; elles sont rusées, mais je leur apprendrai cette sois-ci que...
J'ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier, un Manuscrit intitulé les Jeux de la petite Thalie ; et je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher l'impression. À Paris, ce treize Juin mille sept cens soixante-neuf.
CRÉBILLON.
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