1881. Tous droits réservés.
par JULES MOINEAUX, rédacteur de la Gazette des Tribunaux.
PARIS, CHEVALIER-MARESCQ ÉDITEUR, 20 rue SOUFFLOT, 20.
8517. - Paris. Imprimerie de Ch. Noblet, 13 rue Cujas. - 1881
Texte établi par Paul FIÈVRE, janvier 2021
Publié par Paul FIEVRE, février 2022
© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:05:29.
PERSONNAGES.
LE NARRATEUR.
LE PRÉSIDENT.
GARANCIER.
LE PRÉVENU.
FONDANT.
Extrait de MOINAUX, Jules, "Les tribunaux comiques", Paris, Chevalier-Marescq éditeur, 1881. pp 253-257
ORESTE ET PYLADE.
LE NARRATEUR.
Si nous ne disons pas que Fondant et Garancier s'aimaient comme Castor et Pollux, c'est qu'au rebours de ces deux frères, on ne les voit jamais ensemble. À cela près, du reste, amis depuis le jour où, ivres-morts, ils s'étaient réveillés chez un marchand de vin dans les bras l'un de l'autre. [ 1 Paglion : Petit fleuve niçois qui coule en ville, son nom actuel est le Paillon.]
On aime à retrouver l'ami.
Qu'on a rencontré sous la table,
dit la chanson. Un jour donc, Fondant et Garancier se retrouvaient dans la rue : « Te v'là, me vlà ; allons prendre un verre ! » Ce dont ils avaient, d'ailleurs, autant besoin qu'une rivière a besoin d'eau, exception, faite du Paglion, à qui il ne manque que cela pour qu'on puisse dire qu'il coule à Nice. Étant donné l'état dans lequel étaient nos deux amis avant de prendre un nouveau verre, on devine sans peine ce qu'ils étaient après, l'avoir pris, accompagné de plusieurs autres. Disons pourtant que Fondant était encore assez solide de la tête pour concevoir l'idée de prendre le porte-monnaie de Garancier et assez solide des jambes pour mettre son plan à exécution.
Nous parlons d'après la prévention. Nous verrons tout à l'heure si elle est suffisamment établie. Donc, Fondant est traduit en police correctionnelle pour vol au poivrier. Le poivrier, c'est Garancier, et voici les seuls renseignements que celui-ci peut donner au tribunal :
Ayant pris plusieurs consommations, nous deux Fondant, que nous en avions déjà pas mal avant, dont c'est moi qui ai régalé pomme lui n'ayant pas rien de rien dans sa poche, je veux tout de même aller à mon travail qui était donc rue du Mail et qu'il me fait un bout de conduite. Pour lors, en route, nous nous reposons chez plusieurs marchands de vin, si bien qu'arrivé rue Pagevin, j'étais si tellement ivre-mort que Fondant me dépose à l'entrée d'une allée. Pour ce qui est à partir de ce moment-là, je ne me rappelle pas ce qui me tiendrait dans l'oeil ; seulement que je l'ai bien senti tout de même qui farfouillait dans ma poche et que je lui ai même dit : Ce que tu fais là, c'est une saleté à mon égard. Voilà tout ce, que je sais.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Il savait que vous aviez de l'argent ?
GARANCIER.
C'est sûr et certain comme ayant vu ma monnaie quand j'ai payé les consommations, dont il me restait bien une bonne pièce ronde de 14 francs et 8 sous au moins.
Un témoin est entendu : Passant rue Pagevin, dit-il, je vois du monde amassé autour d'un homme ivre, qui était allongé sur le trottoir.
GARANCIER, de sa place.
C'était moi.
LE TÉMOIN (se retournant). ?
Ah !... Possible, je ne vous reconnais pas.
GARANCIER.
Oui, mais moi, je me reconnais.
LE TÉMOIN.
Auprès de lui était celui-ci (le prévenu) qui fouillait l'ivrogne.
GARANCIER, froissé.
Ivrogne !
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Taisez-vous donc !
LE TÉMOIN.
Le pochard, si vous aimez mieux.
GARANCIER.
J'aime mieux ça.
LE TÉMOIN.
J'interpelle l'individu ; il me répond qu'il est l'ami de l'ivrogne.
GARANCIER.
Encore !
LE TÉMOIN.
Du pochard, pardon, et il ajoute qu'il allait lui chercher une voiture pour le porter chez lui. On lui dit : « Il y a des voitures sur la place des Victoires. » Alors, il y va, je le suis et je le vois qui fait semblant de parler à un cocher.
LE PRÉVENU.
Comment, semblant ?
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Vous vous expliquerez tout à l'heure.
LE TÉMOIN.
De là, il s'en va du côté des Petits-Pères ; alors je l'ai signalé à un sergent de ville qui l'a arrêté.
FONDANT.
J'allais place des Petits-Pères pour chercher un autre cocher, vu que sur la place des Victoires... Voilà comme c'est arrivé : étant primo, d'abord, très loin de la rue du Mail ; il y avait loin... heu... Oh ! De là à la rue du Mail il y avait la distance au moins de trente marchands de vin.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Voyons, passons les marchands de vin.
FONDANT.
Alors, ça ira plus vite. Finalement que mon ami, arrivé rue Pagevin, ne peut plus aller et qu'il se couche sur le trottoir. Je le pose à l'entrée d'une allée et je vas dans la maison demander un verre d'eau pour mon ami, mais il n'en a pas voulu. Alors, je prends son porte-monnaie dans sa poche, au vu et au su de la société qui était présente. [ 2 Rue Pagevin : Rue de Paris, qui allait de la Place des Victoires à la rue Jean-Jacques Rousseau. Elle fut supprimée pour la rue Étienne Marcel et le nouvel Hôtel des postes.]
MONSIEUR LE PRÉSIDENT, au témoin précédent.
Est-ce qu'il prenait le porte-monnaie ostensiblement ?
LE TÉMOIN.
Oh ! Parfaitement ; il a même compté ce qu'il y avait dedans.
GARANCIER.
14 francs 8 sous.
FONDANT.
9 francs et 11 sous; c'est donc de là que je vas place des Victoires et que, quand je dis au cocher pourquoi c'était, il me répond qu'il ne veut pas d'ivrognes dans sa voiture.
GARANCIER.
Ivrogne !
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Mais faites donc taire cet homme !
FONDANT.
Alors tous les autres cochers ayant également récalcitré à emporter mon ami, j'allais donc place des Petits-Pères, quand on m'a arrêté. V'là comme c'est arrivé, qui est un fait réel.
Est-ce exact ? Le tribunal, après délibération, n'a pas estimé que la preuve contraire fût suffisamment faite et il a acquitté Fondant de sa tentative de vol sur l'ivrogne... pardon, bon Garancier, sur le pochard.
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Notes
[1] Paglion : Petit fleuve niçois qui coule en ville, son nom actuel est le Paillon.
[2] Rue Pagevin : Rue de Paris, qui allait de la Place des Victoires à la rue Jean-Jacques Rousseau. Elle fut supprimée pour la rue Étienne Marcel et le nouvel Hôtel des postes.