1881. Tous droits réservés.
par JULES MOINEAUX, rédacteur de la Gazette des Tribunaux.
PARIS, CHEVALIER-MARESCQ ÉDITEUR, 20 rue SOUFFLOT, 20.
8517. - Paris. Imprimerie de Ch. Noblet, 13 rue Cujas. - 1881
Texte établi par Paul FIÈVRE, novembre 2021
Publié par Paul FIEVRE, décembre 2021
© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:06:50.
PERSONNAGES.
LE NARRATEUR.
LE PRÉSIDENT.
LA FEMME BURON, prévenue.
MADAME LOCHEROT, portière.
Extrait de MOINAUX, Jules, "Les tribunaux comiques", Paris, Chevalier-Marescq éditeur, 1881. pp 227-231
LE LAPIN DE LA PORTIÈRE.
LE NARRATEUR.
Exactement comme dans la chanson de Colmance... seulement, c'est le contraire, la femme Locherot, concierge, n'entendait pas manger... [ 1 Charles Colmance (1805-1870) est un chansonnier prolixe de chansons dont certaines sont très longues.]
... Un lapin succulent
Avec la pau
Avec la pau
Avec la pauvre enfant.
Elle espérait bien le manger seule, et quant à la peau, elle l'avait mise sécher à un clou dans l'allée de sa maison.
Or, la pauvre enfant, nommée femme Buron, a pris non seulement le lapin, mais encore la peau. La concierge, furieuse, lui a arraché la chair, enlevé la peau, et par-dessus le marché voilà notre voleuse en police correctionnelle.
Madame Locherot vient faire connaître au tribunal comme les choses se sont passées :
MADAME LOCHEROT.
Messieurs, dit-elle, voyez tout de même comme quoi la Providence est une chose vraiment extraordinaire. J'étais sortie, sur les dix heures du soir, de ma loge, pour aller faire une petite course ; je rentre juste au moment où madame sortait de la maison ce qui est déjà le premier doigt de la Providence. Je me dis :« Tiens, d'où vient-elle donc celle-là ?... ». Je la regarde, le gaz donnait juste sur elle ; à la réverbération du gaz, qu'est-ce que je vois ? Une peau de lapin qui sortait de la poche de madame : second doigt de la Providence.
Je lui dis : « Madame, ayant dépouillé un lapin tantôt, pour ma substance individuelle, je voudrais bien savoir si c'en est la peau, vu que ce qui vous sort là, ça n'est pas de naissance. »
Elle me répond : « Madame, du moment qu'elle est à vous, voici votre peau, n'en parlons plus; je suis au-dessus d'une peau de lapin.» Là-dessus, Madame me la rend et s'en va.
Ayant mis la chair du lapin, dans une boîte qui me sert de garde-manger, et des fois de boite à souliers, je m'y précipite et je ne trouve plus le lapin. Comme il n'avait pas pu s'en aller tout seul sans sa peau, je me dis : C'est ma voleuse de peau qui a la chair avec. Je sors tout de suite, je m'informe, et quelqu'un me dit qu'il venait de voir entrer madame au n° 16 de la rue Pavée. J'y cours, je trouve Madame, assise an pied de la loge. Je lui réclame mon lapin, elle me dit qu'elle ne l'avait pas vu. Je la fais lever, et je trouve quoi... sous son océan ? Mon lapin enveloppé dans un linge ! Troisième doigt de la Providence.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Eh bien, femme Buron, qu'avez-vous à dire ?
LA PRÉVENUE.
Vous savez... on trouve une peau de lapin... alors...
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Pourquoi étiez-vous entrée dans la maison de la femme Locherot ?... Dans le but de voler, évidemment ?
LA PRÉVENUE.
Monsieur, je vous assure bien que ça n'était pas pour ça, Buron n'est plutôt pas mon nom.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Alors, pourquoi y étiez-vous entrée ?
LA PRÉVENUE.
C'est des choses... toujours gênantes à dire pour une dame... C'est donc, étant dans l'allée, qu'apercevant quelque chose le long du mur, je regarde et je me dis tout de suite « Tiens! c'est une peau de lapin. »
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Oui, et vous l'avez prise ?
LA PRÉVENUE.
Madame peut dire que sitôt qu'elle me l'a réclamée, je lui ai dit : « Madame, je suis au-dessus d'une peau de lapin, » et je la lui ai rendue.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Et la chair du lapin ?
LA PRÉVENUE.
Mon Dieu, voilà : ayant la peau, je regarde ; je vois une boîte, où il y avait quelque chose ; je me dis tout de suite : « Tiens! c'est le lapin dont v'là la peau... »
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Vous ne l'avez pas rendu, le lapin. Vous vous sauvez avec, vous allez au n° 16 de la rue Pavée, vous dites, à la concierge que vous êtes blessée à la jambe, et vous lui demandez, un linge pour vous panser ; elle vous donne un linge ; au lieu d'envelopper votre jambe avec, vous en enveloppez le lapin.
LA PRÉVENUE.
Monsieur, c'est un fait historique que je me suis brûlée à la jambe, et que le linge était pour ça.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Mais le lapin était dedans ; qu'est-ce que c'est que ces bottines d'homme que vous aviez à la main ?
LA PRÉVENUE.
Je les avais achetées le tantôt pour moi.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Des bottines d'homme ?
LA PRÉVENUE.
Précisément, comme brûlée à la jambe, qu'il me les faut larges.
Le tribunal, après ces excellentes explications, ne pouvait guère faire moins que de condamner la prévenue, comme il l'a fait, à trois mois de prison.
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Notes
[1] Charles Colmance (1805-1870) est un chansonnier prolixe de chansons dont certaines sont très longues.