1881. Tous droits réservés.
par JULES MOINEAUX, rédacteur de la Gazette des Tribunaux.
PARIS, CHEVALIER-MARESCQ ÉDITEUR, 20 rue SOUFFLOT, 20.
8517. - Paris. Imprimerie de Ch. Noblet, 13 rue Cujas. - 1881
Texte établi par Paul FIÈVRE, janvier 2021
Publié par Paul FIEVRE, février 2022
© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:05:30.
PERSONNAGES.
LE NARRATEUR.
LE PRÉSIDENT.
FÉVROLLES.
L'AGENT.
Extrait de MOINAUX, Jules, "Les tribunaux comiques", Paris, Chevalier-Marescq éditeur, 1881. pp 265-268
LE CHANTAGE À LA CLA...
LE NARRATEUR.
Légalement, la prévention de mendicité relevée contre Févrolles ne pourrait pas aggraver ce délit de la simulation d'une infirmité ; mais, de fait, cet homme mendiait en feignant de jouer de la clarinette, ce qui est aussi une infirmité. Monsieur Prudhomme a même avancé que la culture de cet instrument rend aveugle. Cependant cette question n'ayant pas été traitée à fond par la science, il est sage de persévérer dans cette croyance vulgaire, que c'est quand on est déjà aveugle qu'on joue de la clarinette.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Vous reconnaissez avoir mendié ?
FÉVROLLES.
Je suis très humilié de ce que vous me dites là ; moi, mendier !
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
On vous à vu recevoir de l'argent de personnes assises devant des cafés du boulevard.
FÉVROLLES.
Si tous les gens qui reçoivent de l'argent étaient des mendiants, à ce compte-là, tout le monde serait mendiant. Qu'est-ce que c'est qu'un mendiant ? C'est celui qui dit : « La charité, s'il vous plaît! » Ou bien : « Ayez pitié d'un pauvre, malheureux ! ». Moi, je n'ai dit ni A ni B.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Soit, mais on vous a arrêté ayant encore la main tendue.
FÉVROLLES.
Si on arrêtait tous les gens qui ont la main tendue, à ce compte-là, il y a ceux qui tendent la main pour voir s'il pleut, ou ceux qui font le geste de donner une poignée de main à un ami et connaissance.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Vous feriez mieux de vous taire que de dire de pareilles choses.
À un gardien de la paix, présent à la barre des témoins.
Levez la main !
L'agent lève la main.
LE PRÉVENU.
Ainsi, voilà Monsieur l'agent qui a la main tendue.
Rires.
Vous me, direz qu'elle est levée, mais c'est une simple différence de position, eh bien, il ne mendie pas.
L'agent prête serment et déclare, qu'il a suivi le prévenu, l'a vu s'arrêter à la porte du café et recevoir de l'argent.
LE PRÉVENU.
Comme artiste musicien.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
Est-ce que vous avez une permission ?
LE PRÉVENU.
Non ; mais alors qu'on me juge comme musicien sans permission et pas comme mendiant.
L'AGENT.
Il n'est même pas musicien ; il avait bien une clarinette, mais voici ce qu'il faisait : il s'approchait d'un groupe de consommateurs et faisait celui qui va jouer de la clarinette ; alors tout le monde, voyant ça, criait : « Non, non, allez-vous en ! » et, comme il semblait persister, pour se débarrasser de lui, on lui donnait deux sous, et il s'en allait plus loin. Il a fait ce manège-là cinq ou six fois, et ça lui a réussi. Enfin, à une table, on ne lui dit rien, et on se met à le regarder ; mais comme quelqu'un le voyant rester, sa clarinette à la bouche lui dit : « Eh bien, jouez donc ! » il a fini par dire qu'il ne savait pas en jouer.
Rires bruyants dans l'auditoire.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT, au prévenu.
Ainsi, vous voyez ; vous forciez les gens à vous faire l'aumône en les effrayant de votre clarinette, dont vous ne savez même pas jouer.
LE PRÉVENU.
Je n'avais pas encore eu le temps d'apprendre, l'ayant achetée la veille 3 francs 50 à un marchand d 'habits ; mais je suis musicien tout de même, seulement, mon instrument, c'est l'accordéon ; j'en avais un ; voilà que le cuir s'est crevé ; je le donne à raccommoder à un rétameur ; c't imbécile croit que c'est un soufflet à musique, il y met un bout !... Je me suis tenu à quatre pour ne pas l'étrangler.
Le tribunal a condamné ce singulier artiste à deux mois de prison.
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