DRAME EN UN ACTE ET EN VERS
1892. Trous droits de propriété et de traduction réservés.
par CLAUDE MICHU.
PARIS. 5, rue de la Pompe, 5.
Le Puy-en-Velay.- Imprimerie MARCHESSOU fils.
Texte établi par Paul FIEVRE septembre 2024
Publié par Paul FIEVRE octobre 2024.
© Théâtre classique - Version du texte du 30/09/2024 à 17:31:06.
PERSONNAGES
L'ABBÉ FALUT, vicaire de la paroisse.
LE CURÉ DE LA PAROISSE.
LE COMMUNARD PRINCIPAL.
L'OFFICIER.
UN COMMUNARD qui crie « trahison! ».
UN COMMUNARD qui se vante d'avoir fusillé l'abbé Falut.
UN COMMUNARD qui jette la soutane de l'abbé à la tête de la servante.
UN SOLDAT qui raisonne.
UN CAPORAL.
LA MÈRE de l'abbé Falut.
LA SERVANTE MARIE.
UNE PAROISSIENNE.
PREMIÈRE JEUNE FILLE DÉGUENILLÉE.
DEUXIÈME JEUNE FILLE DÉGUENILLÉE.
QUELQUES COMPARSES comme Communards, fédérés et bourgeois.
La scène se passe à Paris.
Certains rôles peuvent être tenus par un seul acteur, ainsi : Les rôles de l'abbé Falut, du Communard principal, du Communard qui crie : trahison, du Communard qui jette In soutane à la tête de la servante. Les rôles des deux jeunes filles déguenillées peuvent aussi elre tenus par la même actrice en changeant sa mise.
LES DEUX SOUTANES
SCÈNE PREMIÈRE.
L'ABBÉ FALUT, à son bureau, cessant d'écrire.
De l'amour maternel, complaisante victime,
En cédant à ses voeux je perdis mon estime ;
Et, vaincu par ses soins, je suis presque apostat,
Car, sur Tordre de Dieu ! ma mère l'emporta...
5 | Apôtre, me disait la parole du Maître, |
Aux Indes, pour porter ma croix je te fis naître..
Va donc, ardent semeur, prodiguer le bon grain
Je saurai de ta mère apaiser le chagrin.
Dans tout amour charnel est une idolâtrie...
10 | La terre est ton exil, le ciel est ta patrie ! » |
Mais survenait ma mère, et pressé sur son sein
À ce vicariat, je bornais mon dessein.
SCÈNE II.
L'Abbé Falut, Première jeune fille déguenillée.
LA JEUNE FILLE, entrant.
Nous n'avons plus de pain depuis deux jours... l'aumône.
S'il vous plaît.
L'ABBÉ FALUT.
Pauvre enfant !.....
En cherchant dans ses poches.
Mais que Dieu me pardonne,
15 | Je n'ai plus de monnaie..... attends... |
Cherchant dans les tiroirs de sa table.
Il est urgent... |
De vendre au brocanteur mon vieux couvert d'argent...
Prends... Voici quelques sous.
LA JEUNE FILLE.
Oh ! Merci pour grand'mère.
L'ABBÉ FALUT.
J'irai la voir tantôt... Verrai-je ton grand-père ?
LA JEUNE FILLE, sortant.
Non !... Père, aux Versaillais, ne lâche point Paris.
L'ABBÉ FALUT, seul.
20 | Dût-il en voir fumants les palais en débris !... |
À son siège fatal pour comble d'infortune,
Paris voit succéder la sanglante Commune.
Le fédéré blessé rugit comme un lion
Dans sa cage de fer et la rébellion
25 | Qui, devant l'ennemi, l'acharné à tout détruire, |
En fait un criminel. Faubourien, sans t'instruire,
Comme le chien hargneux, dans les clubs, tu jappais !
Dans la poudre et le sang trouveras-tu la paix ?
D'où te vient le mot d'ordre ?... Et d'où l'or qui circule
30 | Aux mains de tes meneurs ?... Le désespoir t'accule ! |
Le fardeau, quel que soit le parti triomphant,
Retombera sur toi, cruel et grand enfant !
Après l'enivrement d'un triomphe éphémère,
Combien devront quitter cette France... leur mère ! !...
35 | Mais que le Communard sombre sur Nouméa ; [ 1 Nouméa : Ville principale de la Nouvelle-Calédonie.] |
Qu'il s'en prenne, en sa rage, au Dieu qui le créa ;
Dans ses juges qu'il trouve un pouvoir despotique ;
Homme de charité sourd à la politique
Des partis factieux, le Ministre du Christ
40 | Ira calmer, bénir le Communard proscrit. |
SCÈNE III.
L'Abbé Falut, Seconde Jeune, Fille Déguenillée et les deux soutanes.
L'ABBÉ FALUT.
Pour panser les blessures
De ton père ?
SECONDE JEUNE FILLE.
Oui, monsieur; son corps, plein des morsures
Que lui fit un obus, saigne de toutes parts.
L'ABBÉ FALUT, ouvrant une armoire où se trouvent trois chemises, en donne une.
Où donc se battait-il ?
SECONDE JEUNE FILLE.
Il était aux remparts...
45 | On nous l'a rapporté Maman se désespère. |
Que devenir, hélas !... si nous perdons mon père !
L'ABBÉ FALUT, donnant une seconde chemise.
Porte, au blessé, ce linge... et crois toujours en Dieu,
Ma fille, va !
SECONDE JEUNE FILLE, en sortant.
Maman me le dit.
SCÈNE IV.
L'ABBÉ FALUT, devant son crucifix.
En ce lieu,
Resterai-je à prier ?.... Irai-je à la chapelle ?...
50 | Seigneur ! Je dois courir où le devoir m'appelle... |
Et le vaincu, tombé sous le feu du canon,
À son dernier soupir confessera ton nom !
L'abbé qui sort s'arrête dans le jardin pour respirer le parfum d'une rose, la servante Marie qui lui apporte une assiette de soupe le voyant s'éloigner, pose vivement l'assiette sur un meuble et court sur ses pas en criant.
SCÈNE V.
LA SERVANTE, appelant.
Monsieur l'abbé !... Monsieur !
En s'arrêtant à la porte de la rue.
... Il court aux barricades... ! !.
Les fédérés surpris quittent leurs embuscades
55 | Ils l'entourent. Lui, parle... ils soutiennent qu'il ment !... |
Ils l'entraînent au poste !... Ah ! mon pressentiment
Ne m'avait pas trompée. On vocifère... on tire !...
Jésus réserve-t-il l'outrage et le martyre
Au ministre zélé qu'il vêt de sa douceur ?
SCÈNE VI.
La Servante, La Mère de l'Abbé.
LA SERVANTE, voyant la mère.
60 | Sa mère vient déjà l'embrasser. |
LA MÈRE, dissimulant ce qu'elle apporte.
Quel bonheur ! |
L'abbé dans le jardin se promène, Marie.
Laissons-le respirer la rose épanouie !...
Regarde la soutane et le chapeau romain
Que, depuis plus d'un an, a refusés sa main.
65 | Avant le déjeuner, demain, jour de sa fête, |
Je lui présenterai ce chapeau pour sa tête ;
Cette soutane neuve, un beau jasmin en fleurs,
Et qu'il se plaigne ou non de toutes ces splendeurs !
J'aurai la joie enfin que je me suis promise.
En cachant, dans le bas de l'armoire, soutane et chapeau.
70 | Mais il n'a plus de linge..... une seule chemise... |
Je vais en tailler deux ou trois dans un coupon
De toile.
Elle sort souriante.
SCÈNE VII.
LA SERVANTE, seule, entendant des coups de fusil.
Aux Versaillais, chaque fusil répond.
Deux fédérés passent en maltraitant un bourgeois vêtu d'une longue redingote noire.
J'ai cru que c'était lui !... Que de personnes viles
Se vengent bassement dans les guerres civiles...
75 | Si j'osais... en deux bonds, j'irai chercher l'abbé. |
SCÈNE VIII.
La Servante, Une Paroissienne.
UNE PAROISSIENNE, accourant.
Ah ! C'est bien la terreur ! Votre maître est tombé
Frappé d'un coup de poing... et battu...
LA SERVANTE.
Dans le poste ?
LA PAROISSIENNE.
Sa bénédiction fut sa seule riposte.
LA SERVANTE.
Moins haut... Sa mère croit qu'il est dans le jardin.
LA PAROISSIENNE.
80 | « Ce cafard nous trahit », répétait un gredin. |
Et le souffle aviné qui sortait de sa gorge
Faisait pâlir l'abbé.
LA SERVANTE, regardant dans la rue.
Que font-ils à la forge ?
LA PAROISSIENNE, écoutant.
Ils frappent sur l'enclume.
LA SERVANTE, désespérée.
Ils préparent des fers...
Ainsi, martyrs chrétiens, vous vous êtes offerts,
85 | Partout aux moribonds portant le pain de vie... |
Ainsi le divin Maître à mourir vous convie...
J'y vais !
LA PAROISSIENNE, la retenant.
Gardez-vous en ! S'il doit être épargné,
Vos cris le pourraient perdre !
LA SERVANTE, découngée.
Il est trop résigné,
Le simple Abbé Falut, pour disputer sa tête...
En aparté.
90 | Sa mère ne pourra lui souhaiter sa fête. |
Des fédérés débraillés passent avec leurs fusils.
LA PAROISSIENNE, regardant les fédérés.
Ô ! Citoyens pervers que vous êtes hideux !
LA SERVANTE, songeant â l'abbé.
Depuis que, mère et fils, je les sers tous les deux,
Je connais sur mon doigt l'histoire du bon prêtre.
Toujours humble, jamais il ne voulut paraître.
95 | Respectueux, aimant, studieux, tout gamin |
Il était réputé l'être le plus humain
De son pays natal. Son curé, très austère,
Comprit qu'il était né pour le saint ministère...
A sa mère, apprenant sans orgueil ses succès
100 | De doux séminariste,il répétait : « Tu sais ! |
« Je remporte pour toi la première couronne,
« Mais mon bonheur, à moi, sera de faire un prône. »
Et quand tout jeune il sut qu'en ce pauvre faubourg
Il devait exercer, ce fut son plus beau jour !
105 | « Enfin ! Nous disait-il, je vais avoir des âmes |
À soigner ; des pécheurs, consumés par les flammes
Du mal, à ravir au noir démon, à guérir...
Et je verrai la foi ! Dans leurs coeurs refleurir. »
Plusieurs communards passent en criant dans la rue.
Trahison ! Trahison !... Les Versaillais arrivent ! !...
LA SERVANTE, remontant vers la rue avec la paroissienne.
110 | On a cessé le feu. |
LA PAROISSIENNE, regardant dans la rue.
Les Communards s'esquivent... |
Tenez, leur chef, là-bas ! fuit comme un réprouvé !
LA SERVANTE, les mains au ciel.
Ah ! Je rends grâce à Dieu !... L'abbé sera sauvé !
LA PAROISSIENNE, partant.
Je cours à sa rencontre !
LA SERVANTE.
Allez ! Allez ! Voisine ;
Moi, je vais réchauffer sa soupe à la cuisine.
Mais elle s'arrête en entendant un feu de peloton et remontant vers la rue n'aperçoit pas la mère qui rentre avec un rouleau de toile.
115 | Oh !... Quelle fusillade ! ! ! |
SCÈNE IX.
La Servante, La Mère de l'Abbé.
LA MÈRE, qui croit que son fils est là.
Entendez-vous l'abbé ! |
En posant son rouleau de toile.
Encor dans le jardin... serait-il absorbé
Tellement qu'il fut sourd aux fusils qui crépitent.
LA SERVANTE, à la porte de la rue.
Les Communards chargés partout se précipitent.
SCÈNE X.
La Servante, La Mère, Deux
Communards, dans la rue.
PREMIER COMMUNARD, montrant le poing à la servante.
Il venait nous trahir, nous l'avons fusillé !
SECOND COMMUNARD, jetant la soutane de l'abbé à la tête de la servante.
120 | Tiens ! Comme un vieux lapin, moi, je l'ai dépouillé ! ! |
LA SERVANTE, recevant la soutane sur la tête.
Atrocité !
SCÈNE XI.
La Servante, La Mère de l'Abbé.
La servante ignorant que la mère s'avance derrière elle, lui présente la soutane sinistre en rentrant dans la salle.
LA MÈRE, s'évanouissant.
Mon fils !
La servante qui a traîné la soutane jusqu'à la pauvre mère la laisse sur elle.
LA SERVANTE, soignant la patiente et la voyant revenir.
Relevez votre tête...
LA MÈRE DE L'ABBÉ, serrant la soutane dans ses mains.
Mon fils ! !...
Une lutte s'engage entre la patiente et la servante qui veut faire disparaître la soutane ; enfin la servante renonce à arracher la soutane et la malade arrive à la prostration complète.
LA SERVANTE, mettant des compresse sur le front de la malade.
Quelle pâleur !
LA MÈRE, dans une sorte de délire.
Ô cher fils... c'est ta fête ! !...
Vois la belle soutane et le beau chapeau neufs...
C'est pour aller au Ciel !... les pauvres seront veufs,
125 | Quand tu seras un ange !... eh ! tu dis toujours donne, |
Donne !... Mais je n'ai rien...
LA SERVANTE.
Sa raison l'abandonne...
LA MÈRE, ayant passé les mains sur son front.
Enflammé de l'amour que Jésus te portait...
Elle baise la soutane.
Sous ces lambeaux sacrés... ton coeur de saint battait !
Découvrant les traces des balles.
Ils l'ont assassiné !... Non... tout à l'heure encore...
130 | Je ne connaissais pas la haine qui dévore !... |
Je ne connaissais pas cette fatalité
Qui punit les méchants par la méchanceté ! !
LA SERVANTE.
Mais, par la charité, l'âme se rassérène.
LA MÈRE, sanglotant.
Comme elle a pris mon fils !... Ah ! Que la mort me prenne ! !
LA SERVANTE, lui offrant à Doirc.
135 | Buvez un peu de lait... Calmez-vous... Calmez-vous... |
Voyant que la malade essaie de se lever.
Voulez-vous vous lever... ou vous mettre à genoux ?...
LA MÈRE, cherchant à se lever seule.
Laisse-moi... laisse-moi !
Mais ses forces la trahissent.
LA SERVANTE, l'aidant à se lever.
La douleur vous accable.
LA MÈRE, aussitôt levée.
Je porte, dans mon sein, la vengeance implacable !
On aperçoit le curé traversant le jardin.
SCÈNE XII.
La Servante, La Mère, Le Curé.
LA SERVANTE.
Monsieur le curé vient.
LA MÈRE.
Le curé !... Que veut-il ?
LA SERVANTE.
140 | Vous consoler. |
LA MÈRE.
Jamais !... Pas de propos subtil... |
Ses consolations, mon esprit les devine...
Que Dieu venge mon fils ! devant lui, je m'incline.
LE CURÉ.
Votre fils, pauvre mère, au ciel est couronné !
Car, expirant martyr, son coeur a pardonné.
145 | Cessez d'offenser Dieu ! |
LA MÈRE, s'animant.
Vous condamnez ma haine ? |
Mais vous !... Vous avez su sauver votre bedaine...
On ne vous a pas vu dans la fange et le sang,
Traîner votre soutane au chevet du mourant;
On ne vous a pas vu bravant cette mitraille
150 | Qui cloua le vicaire au flanc d'une muraille ; |
Vous n'êtes pas allé recueillir l'orphelin ;
Vous vous êtes repu, n'étant pas assez plein !
Et, pour mieux digérer, tout comme un ver de terre,
Vous vous êtes terré dans votre presbytère.
LE CURÉ, toujours calme.
155 | La volonté de Dieu vint m'éprouver aussi. |
Deux jours, sous les verrous, je fus à la merci
De plusieurs fédérés. Comme vous, l'oeil farouche,
Ces forcenés avaient le blasphème à la bouche.
De ma prière même ils étaient envieux.
160 | Tout à coup ! un sourire éclaira le plus vieux. |
Il vint à moi, me dit : « - Tu ne vaux pas un crime. »
- Votre nom ? demandai-je. « - Un Communard infime.
« Allons ! vite ! ! détale... ou mes cinq compagnons
« Te pourraient bien, tantôt, aplatir les rognons ! »
165 | Grinçant un verrou glisse, un bras nerveux m'éloigne... |
Et de Dieu ! je sentis la formidable poigne,
Car j'étais dans la rue, où libre, malgré moi,
Je dus me résigner.
LA MÈRE.
Avec ironie.
Le beau rêve, ma foi !
Plus que mon fils l'était, êtes-vous charitable ?
170 | Il donnait jusqu'au pain qu'on mettait sur sa table. |
Et, si les dons qu'il fit ont été publiés,
Dieu serait donc le seul qui les eût oubliés ?
C'est le mal pour le bien alors que Dieu dispense.
Et du plus saint ! La mort reste la récompense.
LE CURÉ.
175 | Ne maudissez pas Dieu, mais de vos yeux hagards, |
Ô ! Femme courroucée, élevez les regards
Vers ce Mont Golgotha... [ 2 Mont Golgotha : colline de Jérusalem où serait crucifié Jésus-Christ.]
Il désigne un tableau.
...La foudre se déchaîne !
Et la mère du Christ pleure son fils, sans haine
Pour ses fiers bourreaux... Oui ! Dieu prend le plus saint
180 | Et nul ne peut sonder son glorieux dessin. |
Mais si je fus sauvé, c'est que j'étais indigne
D'être au rang des martyrs dont la palme est l'insigne.
LA MÈRE.
Eh bien ! Gagnez la palme et montez droit au ciel !...
Sanglotant et tombant dans un fauteuil.
Mais rendez-moi mon fils à genoux à l'autel !
LE CURÉ.
185 | Il n'est plus à genoux, il trône dans les nues ! |
Les sublimes splendeurs lui sont toutes connues.
Souffle de l'éternel ! Parfum de l'encensoir !
L'âme de votre fils est la brise du soir.
« Manière, dit sa voix, recours à la prière,
190 | Je serai pour tes yeux la divine lumière ! » |
LA SERVANTE.
Elle va reposer.
LE CURÉ, considérant la pauvre mère qui s'endort.
La paix soit en son coeur.
Il sort accompagné par la servante jusqu'à la première porte et dit.
Pour la soigner, je vais envoyer une soeur.
SCÈNE XIII.
La Servante et la Mère de l'Abbé.
Scène muette.
Ayant fermé la porte, la servante, marchant sur la pointe des pieds, fait disparaître la vieille soutane et vient s'agenouiller auprès de sa maîtresse endormie ; puis elle se met en prière la tète dans ses deux mains qu'elle appuie sur la table. Donc silence absolu.
SCÈNE XIV.
La Servante, La Mère, Un Communard.
LE COMMUNARD, accourant et ouvrant bruyamment la porte.
On me traque !... Un refuge ! !... Un trou dans une cave ! !
La servante terrifiée reste auprès de la table. La mère réveillée se redresse comme un spectre, tes yeux hagards, les cheveux sur les épaules et d'une voix vibrante de colère s'écrie.
LA MÈRE.
Mitrailleur de cure, est-ce ainsi qu'on est brave ?
LE COMMUNARD.
195 | Je suis père ! |
LA MÈRE.
Moi, la mère d'un fusillé, |
Qui, de ta peau, bandit, te verrai dépouillé !...
Fermant la porte a la clef.
Tu ne crains pas la mort, quand c'est toi qui la donnes.
LE COMMUNARD, s'excusant.
J'ai défendu Paris !
LA MÈRE.
Tresse-toi des couronnes !
LE COMMUNARD.
Je n'ai pu fusiller...
LA MÈRE, furieuse.
Tu le voudrais nier ?
200 | La maison du martyr deviendra ton charnier ! |
L'atroce Communard commence par un traître
Et finit par un lâche !... Il fusille le prêtre
Et, sous son toit, demande une hospitalité
Qui vaille au criminel l'heur de l'impunité...
205 | Dent pour dent, oeil pour oeil ! ! ! |
LE COMMUNARD, devenant agresseur.
Démon de sacristie, |
Votre haine s'exalte en délectant l'hostie !
Même à votre bon Dieu vous faites la leçon.
Poursuivez l'innocent d'un perfide soupçon,
Livrez le Communard !
LA MÈRE, furieux.
Va !... Sur cette muraille,
210 | Le mitrailleur collé recevra la mitraille ! |
Je verrai ta dépouille aux mains de mes vengeurs,
La jetant, immondice infecte !... Aux vidangeurs
Puants.
LE COMMUNARD, calme.
A ma raison, vous rendez l'équilibre.
La vengeance a parlé, la mort me fera libre !
215 | Non, ne me cachez pas... J'eus peur et m'en repens... |
Je te lègue, ô Paris, ma femme et mes enfants...
Pour m'étrangler, bigote, avez-vous un bon câble ?
Assouvissez,sur moi, votre haine implacable !
Montrant ta poitrine pleine de cicatrices.
Ma poitrine, au Bourget, a bravé les Prussiens...
220 | Je puis dire à la mort- chassant la peur- reviens !... |
Ouvrez aux Versaillais, et voici ma supplique.
Avec ironie.
En choeur, Madame, en choeur...
À pleins poumons.
Vive la République !
LA SERVANTE.
Téméraire !
LA MÈRE, stupéfaite.
Il se livre.
LE COMMUNARD, railleur.
Ils nous laissent le temps
De causer à notre aise... Eh bien !...
LA SERVANTE.
Je les entends !
LE COMMUNARD, achevant sa phrase adressée à la mère.
225 | Jugez cette action si basse, vous, si haute ! |
De sauver le curé mon père a fait la faute,
LA MÈRE, se rappelant le récit du curé.
Son père ?... le curé ?... Son père était celui...
Levant les mains au ciel.
En mon âme, ô ! cher fils ! c'est ton âme qui luit !
Venger qui pardonna serait un acte infâme...
Elle court à l'armoire, en sort soutane et chapeau neufs qu'elle donne au communard en criant.
230 | Passez ce vêtement ! |
LE COMMUNARD, hésitant.
Je reverrai ma femme ? |
LA MÈRE.
Hâtez-vous !
LA SERVANTE, entraînant le communard.
Par ici !
On aperçoit à la porte de la rue un sous-lieutenant, cinq lignards et un caporal.
SCÈNE XV.
La Mère, L'Officier, Les cinq Lignards.
L'OFFICIER, dirigeant ses hommes dans le jardin.
Fouillez le bâtiment
Du fond... deux sur ce toit... l'ignoble garnement
A filé comme un lièvre...
LE CAPORAL, furetant dans le Jardin.
Ah ! Le vaurien !... La carne ! !...
L'OFFICIER, à ses hommes.
Sautez dans ce grenier, en brisant sa lucarne...
On entend aussitôt une vitre qui tombe en éclat.
Durant ce temps la mère de l'abbé qui occupe la salle relève ses cheveux et rajuste un peu sa toilette.
L'OFFICIER, au caporal.
235 | Nous le trouverons bien, s'il s'est ici jeté. |
La porte de la salle étant fermée à clef, l'officier frappe avec son sabre, et la mère vient ouvrir la porte.
L'OFFICIER, en entrant.
On sait que vous cachez - dites la vérité ! -
Un Communard fameux qui vient de disparaître.
LA MÈRE, introduisant l'officier.
Cette pauvre maison est la maison d'un prêtre...
Et, mère de l'abbé, je frémis de terreur !
L'officier va ouvrir l'armoire, regarde les statues de Jésus et de Marie, ouvre un des livres qui sont sur la table et dans lequel il trouve un rabat ; puis, saluant militairement.
L'OFFICIER.
240 | Madame, excusez-moi, je reconnais Terreur. |
À ses soldats dans le jardin.
Soldats, sortons d'ici ; c'est une fausse piste.
UN SOLDAT, étonné.
Comment ?
L'OFFICIER, impérieusement.
À l'officier, que pas un ne résiste.
LE CAPORAL, regardant dans la salle.
J'aurais remué tout et fouillé tous les coins.
UN SOLDAT, qui sort le dernier.
De son passage là, nous avions des témoins.
SCÈNE XVI.
LA MÈRE, seule, en face du crucifix.
245 | Dieu ! Que ta volonté devient parfois terrible ! |
SCÈNE XVII.
La Mère, Le Communard.
LE COMMUNARD.
Sans moustaches,vêtu de la soutane, le chapeau à la main.
Femme...
LA MÈRE, l'apercevant.
Partez ! Partez ! !... Votre aspect m'est horrible ! !
LE COMMUNARD, avant de franchir la porte de la salle.
Femme ! Je te vénère et tu me le défends...
Je graverai ton nom au coeur de mes enfants.
Il traverse le jardin, mais s'arrête à la porte de la rue.
SCÈNE XVIII.
La Mère, Le Communard, La Servante.
LA SERVANTE, en rentrant, voyant le Communard encore à la porte.
Il craint d'être suivi, car il reste à la porte.
LA MÈRE, songeant à son fils.
250 | Comme il chasse un fétu, le vent passe... et t'emporte ! |
LA SERVANTE, voyant encore le Communard à la porte.
Peut-être est-il trop tôt de l'avoir fait sortir.
En ce moment le Communard disparaît.
SCÈNE XIX.
La MLRE DE L'AIU, LA SERVANTE
LA MÈRE.
Ô ! Mon fils bien aimé !... Mon chaste et doux martyr !
Dans l'air, comme on entend l'abeille qui bourdonne,
Je t'entends murmurer : « Pardonne-leur, pardonne ! »
255 | Pour ta fête, à tes pieds, ta tombe se creusait. |
Et le vêtement neuf que ta main refusait,
Déguise un Communard... Ô ! Prévoyance humaine,
C'est donc ainsi que Dieu t'aveugle ! !... et puis te mène.
Elle tombe à genoux et sa servante l'imite en même temps que la toile se baisse.
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Notes
[1] Nouméa : Ville principale de la Nouvelle-Calédonie.
[2] Mont Golgotha : colline de Jérusalem où serait crucifié Jésus-Christ.