MONOLOGUE
1881. Tous droits réservés.
de Jules de MARTHOLD
PARIS, TRESSE, ÉDITEUR, GALERIE DU THÉÂTRE-FRANÇAIS PALAIS-ROYAL
F. AUREAU. - imprimerie de Lagny
© Théâtre classique - Version du texte du 30/09/2024 à 17:30:55.
PERSONNAGE
ELLE.
Extrait de "Saynètes et monologues : Première-huitième série. Troisième série", Paris, Tresse éditeur, 1881.
L'ALLIANCE
À Madame Émilie Broisat, de la Comédie-Française.
Tout petit salon-boudoir très élégant, très parisien, avec les mille raffinements du goût le plus délicat. Au fond, au milieu, cheminée avec grand feu de bois ; pendule et candélabres allumés. Devant la cheminée, un peu sur la droite, table ovale de moyenne grandeur en marqueterie ; dessus, lampe allumée avec globe ; journaux, brochures, livres, entre autres, près de la lampe et ouvert, un volume broché (édition élégante). - À gauche, deuxième plan, une porte ; premier plan, au-dessus d'un petit bureau-secrétaire ouvert et en désordre, portrait moderne à l'huile, d'une vieille femme à cheveux blancs. - À droite, deuxième plan, fenêtre dont les grands rideaux sont fermés premier plan, au-dessus d'une table sur laquelle sont un petit miroir, de la poudre de riz, etc., portrait aux trois crayons d'un homme jeune, très distingué, légèrement chauve et portant favoris tirant sur le blond. - Sur un fauteuil, à gauche de la cheminée, un manchon, un chapeau et une grande pelisse fourrée. Un parapluie auprès. - Un coffre à bois à droite de la cheminée.
ELLE.
Assise premier plan à droite, à la table-toilette, très occupée à parfaire sa coiffure. - Un temps. Un coup sonne à la pendule.
Huit heures et demie.
Elle se lève sur place.
À neuf heures...
Soupir mêlé de satisfaction ironique et de regret vague.
Ah ! À neuf heures. Je serai loin.
Pensive, se souriant.
Pas comme distance, mais....
Résolue, un peu sèche.
mais moralement.
Allant à la fenêtre et soulevant les rideaux pour regarder dehors joyeusement.
Il neige toujours ! Tout est blanc !
Avec un petit frisson voluptueux des épaules.
Heu !
Elle laisse retomber le rideau et vient à la cheminée où elle s'appuie d'une main en se chauffant du pied, debout.
Comme il va faire froid ! ? Et comme Il va faire bon,.. après ?
Elle s'assied à gauche de la cheminée, dans un petit fauteuil-crapaud où elle s'enfonce.
Après... ?
Un temps assez long.
Après... Quoi ?...
Soupir d'inquiétude interrogative.
Ah !
Un silence. - Elle se lève, brusque, puis, après un temps, debout, va machinalement vers la table ovale où elle s'arrête, oeil et pensée vagues.
Ah ! Je voudrais bien savoir !
Un temps. - Réfléchissant tête baissée.
Un amant ?
Savourant le mot.
Un amant !
Voix sèche, scandant les trois syllabes et comme avec une sorte de terreur.
Un na mant.
Elle va au secrétaire de gauche où elle prend un petit billet.
Il m'attend.
Avec un sourire intérieur très tendre.
Il m'attend...
Se tournant vers la pendule tout en frappant du doigt le billet qu'elle tient.
« L'oeil fixé sur la pendule et son coeur bat. »
Soupir d'oppression, la main comprimant le coeur.
Oh ! Pas plus fort que le mien, toujours !
Très calme. S'arrêtant épeurée, puis, timide.
... chez lui... - Oh ! Je ne prends pas de voiture ; d'abord, d'un temps pareil, je n'en trouverais pas... Et puis, non, j'aime mieux le grand air, le froid, la bise, le vent, tout le tourbillon, toute la tempête.
Vivement.
Et puis, j'irai plus vite !
Allant à la table du milieu et y prenant le volume broché, redescend un peu tout en lisant.
J'ai déchiffré ton coeur, ô femme ! Et j'ai pu lire
Tous les désirs secrets où vaguement aspire
L'orgueil de ta beauté. Je sais les voluptés
Qu'il faut à ta grande âme aux élans indomptés ;
5 | Viens ! Nous irons ensemble au merveilleux empire |
Où la réalité, morose et laide, expire
Viens !...
Cessant de lire et redescendant tout à fait, le volume toujours ouvert en main.
Ah ! C'est un poète, lui !
Regardant un portrait en tête du volume.
avec son profil de camée, à la fois jeune et sévère, doux et pensif, sous ses longs cheveux bruns. Et sa voix, tendrement caressante et dont l'accent vous berce et vous persuade...
Très ferme, avec nuance de sourde colère dépit, remontée et posant le volume où elle t'a pris.
Et voilà l'homme qui m'a distinguée, qui m'a comprise, l'homme que j'ai captivé et qui a mis son coeur à mes pieds quand mon mari,
Tressaillant sur ce mot, puis, après un court moment d'hésitation, passant outre.
Lui ! A l'air de trouver tout naturel que je sois sa femme ! - Un commissaire-priseur, qui a des favoris et un lorgnon et qui serait aussi incapable de faire un vers... que moi !
Avec un petit rire nerveux, crispé.
Il me dit qu'il m'aime, je sais bien, de temps en temps, par politesse, en m'embrassant, sur le front, paternellement, comme si j'étais une petite fille.
Avec feu.
S'il croit que c'est ainsi qu'on aime une femme, - ce serait trop facile, vraiment ! - Avec cette tranquillité, ce calme, cette... indifférence !
Avec pitié.
Il m'estime. Mais... Tout Je monde m'estime. - Seulement, s'il veut bien reconnaître mes qualités, il sait parfaitement voir mes défauts, il me juge ! Ah je n'ai pas séduit sa raison, à lui, il faut bien en convenir. et me l'avouer ! Il est de sang-froid et son amour ne t'empêche pas de faire ses affaires... Et cela, après trois ans de mariage, à peine ! Monsieur est en voyage ! Parti ! Pour huit jours
Imitant le ton d'un homme'mais en raiHant.
« Pour huit ou dix jours, ma bonne amie. » Si ce n'est pas à... ! - Il est à Caen, pour expertiser une galerie de tableaux, un château, je ne sais quoi, moi !... Ah ! Le temps ne l'a pas arrêté.... Rien... ne l'arrête !
Imitant son mari.
« À mon retour, je te donnerai ce cachemire, tu sais, de l'autre jour, qui te plaît tant... » - Ce n'est pas de cachemires que je manque Dieu merci, un de plus ou de moins !... Quand on aime véritablement, on ne se sépare pas si facilement.
Prenant, avec une moue, sur le bureau, une lettre sur papier bleu grand format et tout en la parcourant.
Il m'écrit !... Quatre pages pour me dire qu'il a eu très froid en route, mais qu'il est arrivé à bon port et qu'il est très satisfait« de l'affaire. » - Toujours les affaires ! - « Écris-moi bien chaque jour, régulièrement, je t'en prie ! » Régulièrement ! Passionné, va !... Chiffre ! ? « À ma santé ? » Comme s'il ne savait pas à quoi s'en tenir là-dessus... quand il m'a quittée... la veille !... D'ailleurs, ma santé lui est bien indifférente : ici, jamais il ne m'en parle... Et puis ! Est-ce que la santé fait question... quand on se porte bien ! - Formule de politesse, voilà tout... - Je lui ai répondu... et je lui répondrai... régulièrement..., autrement, c'est moi qui aurais l'air d'être dans mon tort !
Après un temps, de profonde réflexion.
Ah ! Les parents sont bien coupables ! - Mais on gèle, ici, littéralement.
Bourrant la cheminée de cinq à six bûches, tout en regardant l'heure à la pendule.
Neuf heures moins le quart... Ah ! Dépêchons-nous.
Elle se relève, puis se baissant.
Bon ! J'ai mis trop de bois, maintenant.
Ôtant trois bûches avec les pincettes et arrangeant le feu à la diable.
Un peu plus, il était éteint... Je l'avais étouffé. Je ne sais pas faire le feu, moi ! J'ai congédié Marie, ce soir. Elle m'aurait gênée, ici... et, sans femme de chambre, c'est bien incommode. Enfin ! Voyons, je vais m'habiller.
Devant la glace de la cheminée.
Hou ! Je suis serrée, dans mon corset, à étouffer. - Ma pelisse?
Elle la prend et, la tenant des deux mains devant elle, redescend pensive.
Je suis sûre que ce doit être charmant, chez lui, que ce doit être !... Avec les idées qu'il a, il a dû se meubler un intérieur... étonnant ! Je voudrais déjà y être ; j'adore ça, aller chez les gens pour la première fois on voit un tas de choses qu'on ne connaît pas, on fait des découvertes, c'est très amusant. On étudie le mobilier, un dit que ça peint le caractère. - Oh ! Mon Dieu ! S'il allait y avoir des portraits de. d'actrices? Et si ça allait tout bonnement être comme chez tout le monde. Oh non, ça ne se peut pas; quand on est poète à ce point-là ! - Eu ! Eu ! Cependant, il une pièce de vers....
Remontant à ta table, toujours avec sa pelisse qu'elle tient de la main droite, tout en feuilletant malaisément le volume de la main gauche puis, tout à coup, impatientée, jetant sa pelisse sur ses épaules.
Ce manteau... Me gêne !
Elle s'assied, cherche, des deux mains cette fois ; ayant trouvé.
Celle-ci, qui est toute courte... et qui n'a pas de titre.
Lisant:
La maison du poète est simple, presque austère ;
Rien n'y distrait l'esprit, n'y trouble le mystère
10 | Du grand rêve sacré qui, seul, le satisfait... |
Quittant le livre.
Oui, mais, on n'est pas obligé de prendre cela au pied de la lettre,
Se levant.
pas plus que son « grand rêve. » Comme s'il ne sortait jamais, je vous demande un peu ? Il va très bien dans le monde, au contraire ; la preuve.
Se désignant elle-même.
C'est que... ? Il n'est pas déjà si gracieux, lui, avec son rêve
Appuyant.
« qui, seul, le satisfait, » Pourquoi va-t-il en soirée, alors, au bal, et aux courses... et partout ? Peuh ! Il n'en pense pas un mot de tout ce qu'il écrit ; c'est pour avoir quelque chose à dire... Des vers !... ? On ne me fera jamais accroire qu'on ait de ces idées-là pour de bon, sincèrement, sans aller les chercher... à quatorze heures, au diable, au ces poètes, faut-il leur en passer, mon Dieu ! - Neuf heures moins dix. Bon ! Je vais être en retard... Eh ! Bien, il attendra, voilà tout... D'abord, il n'y a pas de mal à ce que je le fasse un peu languir, au contraire...; une femme, ce n'est pas comme un homme... Il n'en sera que plus heureux de me voir, il ne m'en recevra que mieux.
À la glace de la cheminée.
Je ne suis pas contente de ma coiffure... J'aurais voulu.
Elle prend son chapeau qu'elle met, tout en redescendant à la table de droite où elle l'ajuste.
mais, quand on est obligée de mettre un chapeau, on ne peut pas !... Enfin, ça ira comme cela. - C'est comme ma robe ; j'aurais dû en mettre une autre, plus... moins. - Mon chapeau est charmant, par exemple, et me va !... Pourvu qu'il le remarque ?
Avec un petit air d'indulgente protection.
Oh ! Oui, il doit avoir du gOût...
Affirmative et se rengorgeant, mignarde, mais imperceptiblement.
Il a... du goût.
Tout à coup effrayée d'une découverte.
Ah ! Mon Dieu ! mais j'y pense...
Désappointée.
Ah !... Comment vais-je faire ?
Tête baissée, la main gauche toute ouverte sous le menton et la bouche, réfléchissant, debout, immobile. - Un temps.
Ce n'est pas possible ! Avec ce froid-là, j'aurais les mains rouges en arrivant chez lui... et cependant, je ne peux pas prendre de manchon. Non,
Faisant de la main droite le mouvement de tenir son parapluie.
mon parapluie, à tenir,
Puis, de la main gauche, le [g]este de relever sa robe.
Et ma robe à relever.
Rageant.
Aah !
Se remettant.
Hum ! Voyons donc, voyons donc ? Il ne sera pas dit...
Elle va prendre au fond un manchon dont elle se passe autour du eau le ruban de suspension.
Là !... Maintenant.
Elle prend son parapluie et redescend.
Maintenant.
Ouvrant le parapluie, elle le tient de la main droite et met la main gauche dans son manchon.
Oui, mais pas pOSSible, je serais dans un état
Ôtant sa main gauche de son manchon et relevant sa robe.
Comme cela.
Colère.
comme cela, j'aurai les mains gelées.... et rouges ! - Ah ! Une idée...
Tenant à la fois son parapluie et sa jupe de la main gauche, la droite dans son manchon.
En changeant de main, de temps en temps...
Elle essaye, dépitée.
Eh bien ! Oui, mais c'est d'un incommode
Fermant son parapluie sur lequel elle s'appuie.
Et puis, non, me voyez-vous dehors, faire tout ce mic-mac là. C'est grotesque ! Sans compter qu'ici, ça va encore mais dans la rue, avec le temps qu'il fait... !
Désolée.
Ah !
Elle pose son parapluie et s'assied, impatientée, à la table de droite, frappant nerveusement ta table de la main gauche et le parquet du pied.
Ah ! Je suis sûre qu'il y a des flaques de neige fondue. Je vais avoir des bottines dans un état !
L'oeil vague d'une personne qui cherche un moyen d'en sortir.
Une voiture ? Il n'y en aura pas, les chevaux ne peuvent pas marcher,
Se levant sur place avec soupir.
Allons !
Elle reprend son parapluie, le considérant.
Un parapluie ! Comme c'est poétique ! Il va me trouver du dernier ridicule !... Pourtant ?... - Mais il est capable de se moquer de moi...; avec son petit air gouailleur...
Du fond du coeur et de très mauvaise humeur.
Oh ! Si j'avais su ! - Neuf heures moins cinq.
Avec un ton et un geste indiquant qu'elle est résolue à ne se point hâter.
Ah bien, C'est bon !
Un temps. - Regardant alternativement ses deux mains et son manchon, puis sa main droite et le parapluie, puis sa main gauche et sa jupe.
Comment sortir de là ?... Autrefois, on avait des tirettes pour relever les jupes, c'était très commode.
Avec conviction.
On fait les robes trop longues... et tous ces jupons.
Indiquant le dehors par un geste du côté de la fenêtre.
Allez donc, avec cela... ! Pas moyen ! - C'est à croire qu'on le fait exprès, les maris, pour vous empêcher de faire un pas !
Très résolue.
Ah ! Ma foi, tant pis ! Je serai mouillée, je serai crottée, je serai tout ce qu'on voudra, mais je n'aurai pas les mains rouges !
À son parapluie, le repoussant sur la table avec humeur.
Quant à toi.
S'arrêtant et ta conférant.
Ça a l'air bête, un parapluie ! Il était si facile de faire ça avec un peu plus de goût, il me semble. J'ai là une ombrelle indienne, chinoise, japonaise... Eh bien, mais, elle est charmante c'est léger, c'est gracieux, c'est coquet...
vivement, décidée.
En route !... Si j'allais me perdre..., en route ? Je ne suis pas très forte sur les rues de Paris, moi ; et le soir, ce quartier-là, surtout.;;; la rive gauche, une ville étrangère. Jamais je n'oserai demander mon chemin. Pour qu'on sache où je vais!
Avec petit rire forcé.
Un sergent de ville... une femme... coupable...
Un temps. - S'orientant en traçant devant elle et dans le vide avec ta main droite, trois lignes droites en éventail, la première à sa gauche, la seconde au milieu, la troisième à sa droite.
Par là, Le théâtre Cluny, où je suis allée, une fois... Il y a longtemps, j'étais demoiselle ; le Luxembourg, un jardin où il y a des tableaux, au milieu ; et Saint-Sulpice, où Albertine s'est mariée, par là, à droite... C'est de ce côté-là qu'il demeure, près de Saint-Sulpice, un peu avant, un peu après, enfin autour, tout à côté. - Je vais prendre le pont des Arts... et puis je verrai ! C'est loin. J'en ai pour plus d'une demi-heure, je ne marche pas, moi !... - C'est très loin, par là.
Elle prend sur la table un gant, celui de la main droite, et le met. Tout en se gantant, avec une sorte de petit frisson.
Ça me fait un drôle d'effet de m'en aller !... de m'en aller pour aller... là !
Elle s'arrête, prenant sa respiration au plus profond de son être.
Ça m'étouffe ! Je ne sais pas ce que j'ai... et je tremble....
Elle tombe assise devant le bureau de gauche et, silencieuse, continua de mettre son gant.
Ces gants neufs..., on a un mal !...
Petit soupir d'épuisement pour se donner le change sur son véritable sentiment.
Ah !
Soupir moral sincère, d'oppression profonde.
Ah !
Neuf heures sonnent. Elle se dresse, tout debout, comme mue par un ressort. Voix sèche, brève et comme machinale.
Ah !... C'est... l'heure...? Oui...
Regardant fixement la pendule. Un temps.
Neuf heures.
Avec terreur.
Ah ça ! Mais ?... À quelle heure vais-je donc rentrer, moi ? Ô mon Dieu ! Je n'y avais pas pensé du tout !
Un temps. - Puis, se réveillant, fiévreuse, brutale et surexcitée par une sorte de colère artificielle.
Eh ! C'est bon ! Je rentrerai, voilà tout !
Cherchant son autre gant.
Où ai-je posé mon gant ? Je ne sais plus ce que je fais. Dieu que j'ai chaud
Trouvant son deuxième gant où elle avait trouvé l'autre.
Voyons, je perds la tête, il est devant moi.
Elle la prend, et, redescendue, va pour commencer à le mettre mais s'arrête court, comme pétrifiée puis, avec un bouleversement plein d'amertume et d'une certaine quantité de reproche contre elle-même.
Mon alliance !
Se la tirant à demi du doigt, honteuse.
Je ne peux pas... la garder...
Elle la retire tout à fait. Un temps très court.
Je ne peux pourtant pas... la quitter.
Elle la tient de la main droite, du bout des doigts et la regarde, vaguement d'abord, puis tendrement et, finalement, la porte lentement à ses lèvres et la baise longuement, silencieusement, puis, en essuyant ses larmes, très émue et très lentement.
Pauvre chère petite bague... Je te demande pardon ! - Tu contiens là une date, intacte sur ton métal et que, moi, je !... Oh ! Je me rappelle !
Elle baisse la tête, humble.
Ce que m'a dit ma mère, surtout, ce jour-là ! « Sois honnête,
Dans nu sanglot.
l'honneur, c'est le bonheur. » Ma pauvre mère ! Pourquoi t'ai-je perdue !
Avec remords.
Oh ! Mon Dieu ! Si elle me voyait..., comme elle souffrirait ! - Mais... elle me voit; j'en suis sûre, je le sens !
S'adressant au portrait de femme.
N'est ce pas, bonne mère, et c'est toi qui viens de me réveiller au bien et de me sauver !
Elle tombe à genoux devant le portrait.
Pardonne-moi, chérie ! Tu vois, je suis encore ta fille !
Se relevant, et se retournant vers le portrait d'homme.
Et toi, ami... Oh ! Comme je vais rougir en le revoyant !
Elle ôte vivement son chapeau et son manteau qu'elle jette n'importe où.
Ah ça !... Quelle folie avais-je donc ! Mais c'est affreux, cela, c'est terrible... Ce n'était pas moi, ce n'était plus moi... qui agissais. Je perdais le sens de tout, entraînée, dominée, grisée par je ne sais quoi, tout d'un coup. - Mais, mon mari m'adore ! Et je l'aime !
S'adressant au portrait d'homme.
Oui, oui, oui ! Et tu as raison de me traiter en enfant !... Pas en enfant gâtée, par exemple, car je suis une méchante enfant, bien folle, vraiment, et bien coupable ! - Oh ! Finis-en vite de cette vilaine expertise et reviens, reviens ! Il n'y a plus de danger, va, mais c'est pour te voir, c'est pour t'avoir, pour parler avec toi, pour causer... tous les deux, en bons amis. - Pauvre homme, loyal, qui travaille
Ayant pris au bureau la grande lettre Mené.
tout là-bas, pour moi, en pensant à moi et qui m'écris, longuement, bonnement, ce qui nous intéresse et que je méconnaissais, ingrate et stupide ! - Tu me demandais des nouvelles de ma santé... J'étais bien malade !
Montrant pour ainsi dire le portrait de sa mère à celui de son mari.
C'est elle qui m'a guérie... Et tu vas me retrouver tout entière.
Baisant la lettre.
Oh oui, je vais t'écrire. Régulièrement, sois tranquille.
Elle va an bureau pour s'y asseoir, trouvant le petit billet, s'arrête l'ayant pris.
Ah ! Ce monsieur ! - Ce monsieur ?... Je n'ai pas de reproches à lui faire ; il a fait son métier, voilà tout, son métier d'homme : ce n'est pas lui, le coupable ; il est libre, il ne me sacrifiait personne. - On rencontre une femme, elle consent à vous plaire, on accepte. - C'est la femme d'un autre ? Double victoire ! - Et j'allais m'obliger à rougir ? à jamais ! - d'un triomphe que je lui assurais moi-même... puisque les hommes mettent leur honneur à flétrir le nôtre. Quelle leçon ! - Et pourquoi ? Et pour qui ? Je vous le demande ! En définitive, je ne le connais pas, nous ne nous connaissons pas ; nous nous sommes rencontrés, souvent, oui, c'est vrai, dans le monde, mais on ne peut pas appeler cela se connaître. Il n'est jamais venu ici... et il n'y viendra jamais ! - Il va m'attendre... en se moquant de moi, ce soir... mais... demain, il ne s'en moquera plus... s'il y pense encore. ? Hum ! Il y pensera encore, il sera vexé. Ça, par exemple ! ? Il n'a pas de lettre de moi, - naturellement - je suis tranquille.
Elle prend la petite lettre.
Et, comme il n'a pas mis mon nom dans la sienne, je n'ai qu'à brûler l'enveloppe,
Elle la jette au feu.
voilà ! - Et
Montrant la lettre.
ça me fait un autographe.
Lisant.
« Chère, - À ce soir. L'oeil fixé sur la pendule, j'attends. Mon coeur bat. - À ce soir. »
Ironiqne.
Heu ! Deux lignes ! Un poète, de la vile prose...! C'est calculé, parfaitement ; c'est un effet. - Ah ! Je te garde comme un préservatif, comme l'aiguillon du remords. - Ah ! Mon Dieu, s'il allait se mettre à s'imaginer que c'est une grande passion qu'il a pour moi ? Ah ! Qu'il en fasse un sonnet, il tes fait si bien... Ça le consolera. Je ne regrette qu'une chose, c'est de ne pouvoir lui en donner le titre : « À celle qui n'est pas venue... » et qui ne viendra jamais ! - Neuf heures un quart.
Elle va regarder au carreau.
Toujours la neige ! - Je vais me déshabiller, demander pardon à Dieu en priant pour ceux qui ont froid, me coucher.
Envoyant un baiser au portrait d'homme.
et dormir à vous, Monsieur,
S'adressant au portrait de femme.
Sous ton oeil, ma mère ! ? Et que celle d'entre vous qui n'a jamais chancelé me jette la première pierre.
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