LE NORMAND ET LA GASCON

COMÉDIE EN UN ACTE.

1882. Tous droits réservés.

Par M. GABRIEL LIQUIER

ÉVREUX. IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY.


Texte établi par Paul FIEVRE, octobre 2023

Publié par Paul FIEVRE, novembre 2023.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:39.


PERSONNAGES.

ARSÈNE GINGINET, M. F. GALIPAUX, du Palais-Royal..

CÉLESTE JOLIVAL, Mlle ROSAMOND, de la Comédie-Française.

Texte tiré de "Théâtre de campagne, Huitième série". Paris : Paul Ollendorff éditeur, 1882. pp 13-36.


UN AMOUR ÉLECTRIQUE

En province. - Un petit salon. - Porte au fond et porte à droite. - Fenêtre à gauche. - Une table avec tiroir, sur laquelle est une sonnette.

SCÈNE PREMIÈRE.

Au lever du rideau, la scène est déserte. On entend sonner au dehors. Arsène paraît à droite, une serviette au cou, un rasoir à la main.

ARSÈNE.

Hein ? Vous n'avez pas entendu ?... Il me semble qu'on a sonné à la grille.

Nouveau coup de sonnette.

Vlan ! Je le disais bien !... Une visite en ce moment... quand je suis sur un cratère... avec mon rasoir anglais !...

Faisant le geste de se raser.

Allons, bon ! Je me suis coupé ! Voilà ce que c'est que de se raser sur un cratère !...

Nouveau coup de sonnette.

Encore !... Ça doit être un vieux sonneur... très sourd !...

Allant regarder à la croisée.

Une inconnue !...

Criant.

Madame ! Je ne reçois pas ! Je n'ai pas le temps ! Je me fais la barbe !

Parlé.

Elle ne me voit pas, ne m'entend pas... Elle pousse la grille... Elle monte !

Au public.

Vous direz que je n'y suis pas !... Parce que... Non ! Je vous expliquerai une autre fois... je n'ai pas le temps. Dites que je n'y suis pas !

Il se sauve par la droite.

SCÈNE DEUXIÈME.

CÉLESTE, entrant par le fond ; elle est en tenue de voyage, un petit sac à la main.

Monsieur Ginginet ?... Personne ! C'est pourtant bien ici. On m'a parfaitement renseignée au télégraphe. J'ai trouvé la grille ouverte, donc il est chez lui.

Plus fort.

Monsieur Arsène Ginginet ?... Pas de réponse ! Voilà un monsieur qui a l'oreille trop dure et le coeur trop tendre : deux infirmités dont je le corrigerai. Ah ! mais... je suis élevée à l'Américaine, moi !... Je suis l'élève et la pupille de miss Rébecca Merrimac, qui n'entend pas raillerie sur le chapitre de la dignité féminine ! Et quand on me mystifie, quand on me compromet comme ce loustic que je n'ai jamais vu, j'accours par l'express... poussée par une soif de vengeance... une soif de soixante kilomètres à l'heure ! Ah ! Je vais donc le voir, ce monsieur !... Je suis sûre qu'il est vieux et laid, et je commence à croire qu'il est sourd. Ce sera la seconde surdité dont j'aurai fait la connaissance à Vouzy le Sec, cet affreux pays... Mais il ne viendra donc pas ?... Si je cassais quelque chose ? Si je tirais le canon ?...

Apercevant la sonnette.

Ah ! Le tocsin !...

Elle sonne en arpentant la scène.

SCÈNE TROISIÈME.
Arsène, Céleste.

ARSÈNE, en habit noir.

Sapristi ! Il faut en finir !... Madame...

CÉLESTE.

Monsieur Arsène Ginginet ?

ARSÈNE.

Ce n'est pas moi. Je suis son nègre.

CÉLESTE.

Son nègre ?... Avec ce teint-là !...

ARSÈNE, vivement.

C'est la poudre de riz ! Puisque je vous dis que je suis mon groom...

CÉLESTE, soulignant.

Mon groom... Vous vous êtes coupé.

ARSÈNE.

C'est vrai, madame,... avec un rasoir anglais. Ne vous servez jamais de rasoirs anglais !

CÉLESTE.

Allons au fait. Monsieur, je suis une vraie Américaine...

ARSÈNE.

Grand peuple, Madame, grand peuple ! Rasoirs supérieurs !...

CÉLESTE, continuant.

Fille d'un capitaine au long cours, actuellement à Terre-Neuve... Et je viens causer avec vous. J'ai fait tout exprès le voyage de Vouzy le Sec... Trois heures en express.

ARSÈNE.

Trois heures de chemin de fer pour venir d'Amérique ! De ce train-là, il ne vous faudra que vingt secondes pour m'expliquer votre visite : ça se trouve bien.

CÉLESTE.

Mais c'est vous qui vous expliquerez, Monsieur ! C'est à vous de vous justifier tout d'abord.

ARSÈNE.

Mon Dieu, Madame...

CÉLESTE, rectifiant.

Mademoiselle.

ARSÈNE.

Mon Dieu, mademoiselle, votre conversation est pleine de charmes... comme votre personne, du reste...

À part.

C'est que c'est vrai !

CÉLESTE, à part.

Moi qui le croyais vieux et vilain !

ARSÈNE.

Mais je ne vous cacherai pas que j'ai à sortir.

CÉLESTE.

Et voilà comme vous me recevez, vous, mon adorateur !...

ARSÈNE, stupéfait.

Moi, votre adorateur ?

CÉLESTE.

Vous qui, depuis un mois, me mitraillez de déclarations... électriques !

ARSÈNE.

Moi, je vous mitraille ?...

CÉLESTE.

Vous enfin, qui venez de mettre mon mariage en tout petits morceaux !

ARSÈNE.

Moi ? J'ai mis votre mariage... ?

CÉLESTE.

Et je viens vous sommer de le raccommoder.

ARSÈNE.

Mais, sapristi ! Mademoiselle, c'est vous qui allez faire manquer le mien ! On m'attend à quatre heures pour la demande... et il est quatre heures dix !

CÉLESTE.

Vous avancez.

ARSÈNE.

Du tout ! Heure de la Bourse ! J'ai réglé ma montre... il y a dix-huit mois,... pendant un voyage à Paris...

Prenant son chapeau.

Et j'ai bien l'honneur...

CÉLESTE, se plaçant devant lui.

Un instant ! Je suis Américaine, Monsieur.

ARSÈNE.

Oui !

CÉLESTE.

De Melun... Et je vous enjoins de m'y suivre à bref délai pour y déclarer publiquement...

ARSÈNE.

Ah ! J'y suis !... Vous me fricotez un poisson d'avril ! Nous sommes le premier avril !

CÉLESTE.

Le trente et un mars, monsieur... Quand je vous dis que vous avancez !

ARSÈNE.

Eh bien ! C'est du joli, les Américaines de Seine-et-Marne !... Mais votre nom, Mademoiselle ?... Votre nom ?...

CÉLESTE.

Mon nom ! Il me demande mon nom ! Un homme qui m'a offert le sien !... Que dis-je ! Qui m'offrait chaque matin son coeur et son âme... sur des tas de petits papiers bleus !

ARSÈNE, à part.

Du bleu ! Tout s'explique : elle a des papillons bleus !

CÉLESTE, continuant.

Un homme qui m'appelait son ange adoré... qui me baptisait : petit lapin rose !...

ARSÈNE.

Lapin rose ! Halte-là, Mademoiselle ! Ce nom suave, je ne l'ai donné qu'à une femme au monde... et cette femme, ce n'est pas vous !

CÉLESTE.

Impertinent !

ARSÈNE.

Il n'y a pour moi sous le ciel, il n'y a pour moi dans la nature qu'un seul et unique lapin rose... et il s'appelle Célestine !... Et je cours demander sa patte... Non ! Je cours demander sa main !

Fausse sortie.

CÉLESTE.

On ne passe pas !

Elle ferme la porte du fond et prend la clef.

ARSÈNE, à part.

Saperlotte !... Mais je ne suis pas rassuré !... Ça sent le vitriol !...

Haut.

Ma clef, s'il vous plaît ?

CÉLESTE.

Pas avant que vous ne m'ayez dit comment il se fait que vous courtisiez à la fois des Célestine à Vouzy le Sec et des Céleste à Melun.

ARSÈNE.

Puisque c'est la même personne !

CÉLESTE.

Je ne comprends pas.

ARSÈNE.

Qu'est-ce que ça peut bien vous faire ?

Regardant à sa montre.

Quatre heures vingt ! Je vais passer pour un indigne lâcheur !

CÉLESTE.

Eh bien ! Monsieur ? Vos explications ?... La clef est à ce prix !

ARSÈNE.

Au fait, un petit bout de récit... C'est peut-être le plus court !... Voici donc l'histoire.

Il prend une pose.

Depuis l'antiquité la plus reculée, la ville de Vouzy le Sec, ma patrie, était privée de télégraphe... Vous permettez que je passe aux temps modernes ?

CÉLESTE, s'asseyant.

Je vous en prie.

ARSÈNE, de même.

Enfin, il y a deux mois, un télégraphe nous fut octroyé. Et comme les télégraphes de province, ça ne marche pas tout seul... généralement... le gouvernement, toujours paternel, nous expédia une employée... du sexe aimable.

CÉLESTE.

Une vieille dame... Je l'ai vue.

ARSÈNE.

Pardon ! La vieille dame, c'est la maman ! Une duègne, une Cerbère !... Celle que j'aime, c'est la jeune, c'est Célestine, sa fille unique !... Une rose que personne encore n'a respirée qu'à travers son guichet !

CÉLESTE, à part.

A-t-il l'air de l'aimer, mon Dieu !

ARSÈNE.

La voir et l'idolâtrer fut pour moi l'affaire d'une secousse électrique. Connaissez-vous la secousse électrique ? Ça vous fait : bing ! Et ça vous casse les bras. C'est enivrant ! Voilà Célestine !... Ma clef, s'il vous plaît ?

CÉLESTE, à part.

Oh ! Être aimée ainsi !... Être aimée ainsi !...

Elle se lève, prend machinalement la sonnette et la secoue.

ARSÈNE, se levant.

Vous sonnez quelqu'un ?

CÉLESTE, posant la sonnette.

La suite de l'histoire, Monsieur.

Elle se rassied.

ARSÈNE, se rassied aussi.

J'adorais donc Célestine, mais comment le lui dire ? Elle ne sort jamais, et sa mère - une sainte femme... bien désagréable !... - monte la faction autour d'elle comme la vieille garde... aux barrières du Louvre ! Écrire par la poste, c'était tout compromettre. C'est alors que je fus ingénieux et hardi !

Regardant à sa montre.

Quatre heures vingt-cinq !

CÉLESTE.

Si vous regardez encore votre montre, je jette la clef par la fenêtre ! Vous en étiez à : ingénieux et hardi.

ARSÈNE, s'épongeant le front.

Je vais donc au bureau du télégraphe. Je prends un de ces petits papiers que le gouvernement, toujours paternel, met à la disposition du public, et j'écris bravement ceci : « Vous ai vue. Vous adore. Ai jamais aimé que vous. Dites qu'adoration déplaît pas. Signé : Arsène. » Puis, je m'approche du guichet, et, m'adressant à Célestine, je lui dis furtivement : « Amour et mystère ! Dépêche pour vous ! »

CÉLESTE, se levant.

Oh ! Dérision !... Dérision !...

Elle reprend et agite la sonnette.

ARSÈNE, se levant.

Vous sonnez quelqu'un ?

CÉLESTE, se rassied.

La suite, monsieur !... La suite !

ARSÈNE, de même.

Célestine se mit à sourire... d'un sourire d'ingénue qui comprend tout... et n'en a pas l'air ! Dame ! Sa mère était là, comme toujours ! Puis, elle me demande à voix très haute : - Pour qui cette dépêche ? - Vous le savez bien, répondis-je très bas. C'est pour vous ! - L'administration, dit-elle très haut, exige une adresse... en toutes lettres. - Ah ! Très bien, fis-je en la regardant finement. Et comme elle s'appelait Célestine Beauvallon, j'écrivis - pour la frime - cette adresse que je forgeai : « À Mademoiselle Céleste Jolival. » Céleste, c'était le synonyme de Célestine Jolival, c'était celui de Beauvallon. Céleste Jolival, c'était donc Célestine Beauvallon. Comme ça, je me faisais mieux comprendre et je ne la compromettais pas. Enfin, j'ajoutai un nom de ville au hasard, le premier venu : Melun... Alors, elle sourit plus que jamais, et me dit d'une voix séraphique : Monsieur, c'est vingt sous !

CÉLESTE.

Les regretteriez-vous ?

ARSÈNE.

Jamais de la vie ! En amour, il y a toujours les faux frais ! De ce moment, la glace était rompue. Dès le lendemain, je retournais au télégraphe. Célestine s'épanouit en m'apercevant. Plus de doute : Adoration ne déplaisait pas ! Et je soupire ce télégramme numéro deux : « Dessèche sur ma tige. Abaissez regard de pitié sur adorateur ! » Elle en abaissa deux. J'eus deux regards pour un franc !

CÉLESTE.

Cinquante centimes pièce !

ARSÈNE.

Et depuis, j'ai recommencé tous les jours. Une fois même, je lui ai fait un quatrain... - un quatrain de trois vers !

CÉLESTE.

Eh bien ! Et le quatrième ?

ARSÈNE.

Le quatrième vers me donnait plus de vingt mots : j'ai trouvé qu'il faisait longueur. Bref, en prose et en poésie, ce fut une cour en règle ! Par exemple, la conversation était un peu bornée... à cause de la maman ! Je parlais avec mon papier, Célestine avec ses regards... Mais ses regards ont fini par devenir si encourageants... si encourageants, que ce matin j'ai brûlé mes vaisseaux en ces termes : « Aujourd'hui à quatre heures, quand télégraphe aura fermé... viendrai demander menotte à mémère. »

CÉLESTE.

Mémère ?

ARSÈNE.

Oui... C'est un peu plus long que « mère », mais ça ne fait toujours qu'un mot.

Se levant.

Et maintenant, il est quatre heures bien passées, le télégraphe est fermé, les chemins sont ouverts... ou demandent à l'être ! Clef, s'il vous plaît ?

CÉLESTE, se levant brusquement.

La voilà !

ARSÈNE.

Enfin !

CÉLESTE.

Allez lui demander sa main, à votre Célestine !... Nous verrons après.

ARSÈNE.

Bonheur ! Ivresse ! Triomphe !

Il va ouvrir la porte.

CÉLESTE.

Oh ! Ne chantez pas victoire ! Vous ne savez pas ce qui vous attend ici... Moi non plus, du reste... Mais ça sera dramatique. Je vais aviser.

ARSÈNE.

Tout ce qu'il vous plaira ! Je ne songe qu'à Célestine. Je m'élance, je m'évapore ! La secousse électrique : bing !... Je vole demander menotte à mémère !...

Il s'enfuit par le fond.

SCÈNE QUATRIÈME.

CÉLESTE.

Je n'avais pourtant qu'à me nommer pour le clouer en place... Mais non : rien ne l'aurait retenu. Il m'aurait dit simplement : « Mademoiselle, il y a mal donne... J'ai bien l'honneur de vous saluer... » Et je ne voulais pas de ce nouvel affront ! Oui, j'ai bien fait de ne pas me nommer encore ! Destinée bizarre ! Un étourdi invente un nom en l'air, et ce nom se trouve avoir une propriétaire... Et lui, l'écervelé, il n'a ni compris, ni cherché à comprendre... Oh ! Je lui mettrai les points sur les I... à moins que je ne me décide à l'abandonner à son sort ! Voilà donc l'homme qui a dérangé mon avenir ! C'est sa dépêche d'hier, tombée entre les mains de mon prétendu, qui m'a compromise et a rompu le mariage projeté de loin par mon père. Ça lui a porté un coup, h ce pauvre prétendu... le coup du lapin rose ! Et il a battu en retraite ! Pour moi, ce n'est pas le prétendu qui me touche... Mais ma réputation, mille téléphones !... Ma réputation !... Sur le conseil, de miss Rébecca, je suis partie... seule... - parce que je suis élevée à l'Américaine ! En arrivant, je cours au télégraphe. Je demande à l'employée,- une blonde fadasse, - l'adresse de cet Arsène, son client quotidien. Elle sourit et me répond un coq à l âne. - Pardon, me dit une vieille dame qui était là, ma fille est un peu dure d'oreille. Quant à Monsieur Arsène Ginginet, c'est l'archiviste de Vouzy le Sec... La maison d'en face !... Et j'accours ici pour dire à ce paltoquet : « Monsieur, vous allez me suivre à Melun, et certifier à qui de droit que je ne suis pas votre lapin rose ! » Mais voilà qu'au lieu d'un vieux plaisantin, je trouve un jeune... poète ! Comme il l'aime, sa Célestine ! Et moi, moi, Céleste Jolival, je n'inspire à Melun que des sentiments timorés... Mon caractère américain effraie nos petits gommeux... des faces-pâles ! Je n'ai de prétendus sérieux que ceux que m'expédie mon père... des loups de mer !... Il me prend des envies de me venger de tout le monde. Mon prétendu qui a douté de moi, je le laisse où il est. Mon mystificateur... Oh ! Celui-là... Celui-là qui a osé me dire en face sa passion pour une autre... Je veux lui jouer un tour qui vaudra le sien ! J'entrevois une idée de vengeance... Oh ! Mais, une idée ! Il a besoin d'être calmé, le jeune fou ! Et c'est un service à lui rendre que de jeter sur son électricité et sur son mariage un peu d'hydrothérapie ! On le relâchera après si l'on veut ! Voilà qui est dit. Où aurai-je de quoi écrire ?

Montrant la droite.

Dans cette chambre, peut-être... Oh ! Miss Rébecca ! Vous serez contente de moi !

Elle entre à droite.

SCÈNE CINQUIÈME.

ARSÈNE, entrant par le fond, ahuri, en désordre, furieux.

Déception ! Damnation ! Démolition !... Refusé ! C'est atroce. Je trouve la maman de Célestine en train de lire l'Histoire des prix de vertu. Je prends mon courage à deux mains... et mes gants... et je fais ma demande. Elle ouvre d'abord de grands yeux... puis de grands bras... J'ai cru qu'elle allait m'embrasser. Pas du tout ! C'était pour me donner sa malédiction... La malédiction d'une mère ! Et quand j'ai demandé des raisons : - C'est indécent, s'est-elle écriée. Un célibataire qui reçoit des dames... genre américain ! - Plaît-il ? - Ne niez pas ! Une dame est chez vous ! Elle est venue demander votre adresse. Ma fille n'est pas pour des coureurs de votre sorte !... Et elle m'a fermé sa porte au nez !

Il tombe accablé sur une chaise.

Oh ! Mes rêves ! Mes rêves !...

Se relevant vivement.

Et tout ça pour qui ? Pour cette yankee de Melun... Un article d'importation... que je ne connais pas !... Une folle, une vraie folle ! Elle n'est plus là : elle est partie... mais on peut la rattraper ! Il y a des gendarmes à Vouzy le Sec... C'est-à-dire, non... Il n'y a qu'un garde-champêtre ! Oh ! N'importe, mademoiselle !... Vous aurez des nouvelles d'Arsène... vous et vos papillons bleus !

Il prend dans le tiroir de la table un buvard et une écritoire.

- Ecrivant.

« Monsieur le Procureur de la République... Une jeune personne, donnant les signes les plus évidents d'aliénation mentale... »

Parlé.

Dans quarante-huit heures, elle sera dans une maison de santé. On la relâchera si elle guérit.

Il se remet à écrire.

SCÈNE SIXIÈME.
Arsène, Céleste, sortant de la chambre de droite, un papier à la main.

CÉLESTE.

C'est fait !

Elle lit.

« Monsieur le Procureur de la République... Un jeune homme qui vient de faire à mes dépens ses preuves de folie, réclame les soins d'un aliéniste... »

Parlé.

Demain, il sera à Charenton.

ARSÈNE, l'apercevant.

Elle !

CÉLESTE, de même.

Lui !

ARSÈNE.

Vengeance !

Il va pousser la porte du fond.

CÉLESTE.

Que faites-vous, Monsieur ?

ARSÈNE.

Je nous emprisonne ! Chacun son tour !

, effrayée.

Ah ! Mon Dieu !...

ARSÈNE.

Oh ! Il va se passer des choses... de l'Ambigu !

Il prend fiévreusement la sonnette et l'agite avec menace.

CÉLESTE.

C'est indigne, Monsieur ! Menacer une faible femme !

ARSÈNE.

Une faible femme ? Allons donc !... Une Américaine... une émancipée... une conférencière peut-être !... Ah ! Si j'avais devant moi une pauvre enfant craintive et tremblante, je ne dis pas... Je ferais grâce à une vraie jeune fille n'ayant pour toute arme que sa faiblesse et ses petits rubans de papier bleu... comme Célestine ! Mais une lionne... qui vient compromettre des archivistes... sans dire seulement son nom !

CÉLESTE.

Mon nom ? Céleste Jolival.

ARSÈNE.

A d'autres ! Céleste Jolival n'existe pas.

CÉLESTE.

C'est ce qui vous trompe.

ARSÈNE.

Je sais bien à quoi m'en tenir peut-être ? C'est un produit de mon imagination.

CÉLESTE.

Vous l'avez devant vous.

ARSÈNE.

Mazette ! Mon imagination ferait bien les choses !... Mais comment puis-je croire ?...

CÉLESTE, sortant de son petit sac une liasse de télégrammes.

Connaissez-vous ceci ?

ARSÈNE.

Des télégrammes !

En prenant un et lisant.

« Vous ai vue. Vous adore. Ai jamais aimé que vous. Dites qu'adoration déplaît pas... »

Parlé.

Mon style ! C'est mon style !...

CÉLESTE, en lisant un autre.

Et ceci : « Dessèche sur ma tige. Abaissez regard de pitié sur adorateur... »

ARSÈNE, à part.

Elle m'a regardé !...

Lisant un troisième télégramme.

« Vibrant comme appareil Morse,

Quand votre regard m'amorce,

Suis plein d'électricité !... »

Parlé.

Çà, c'est le quatrain... de trois vers.

CÉLESTE, éparpillant les télégrammes.

Et voici toute la collection.

ARSÈNE.

Fatalité ! Fatalité ! Mais alors ?...

CÉLESTE.

Alors, la destinée a voulu qu'il existât bien réellement à Melun une Céleste Jolival. L'être que vous supposiez imaginaire recevait ponctuellement vos petits papiers... qui ont détraqué son mariage.

ARSÈNE.

Mais, s'il en est ainsi... vous n'êtes pas folle !

CÉLESTE.

Folle ?... Par exemple !

ARSÈNE.

Mais si vous n'êtes pas folle... Vous êtes adorable !...

Il déchire son papier.

CÉLESTE, à part.

Tiens ! Il revient à la raison.

Elle déchire le sien.

ARSÈNE.

Mais Célestine, saperlotte !... Comment se fait-il que Célestine vous envoyât les dépêches ?... Puisque je lui disais qu'elles étaient pour elle !...

CÉLESTE.

Célestine ? Elle est sourde.

ARSÈNE.

Sourde ?

CÉLESTE.

Comme une potiche ! C'est sa mère qui me l'a avoué.

ARSÈNE.

C'était donc pour cela qu'elle me parlait si fort ! Et moi qui lui parlais tout bas !... Oh ! Mes rêves ! Mes rêves !...

Il tombe accablé sur une chaise.

Heu !

CÉLESTE.

Ah ! Mon Dieu ! Il se trouve mal !.. Si j'appelais ? Mais appeler, c'est achever de me compromettre... Monsieur Arsène !.. Monsieur Arsène !...

Elle lui tape dans une main.

ARSÈNE, se relevant d'un bond.

Bing ! La secousse électrique !

CÉLESTE.

Il respire encore.

ARSÈNE.

Oh ! Oui, je respire !... Je respire une atmosphère d'amour... Vous ai vue. Vous adore. Ai jamais aimé que vous. Dites qu'adoration déplaît pas... Tiens ! Je parle télégraphe.

CÉLESTE.

Mais, Monsieur... Un tel aveu...

ARSÈNE.

Oui, c'est peut-être un peu américain !... Soyons plus calme.

Mettant ses gants.

Mademoiselle... Je suis jeune encore... orphelin... mais rentier !

CÉLESTE.

Je vous croyais archiviste.

ARSÈNE.

Je suis aussi archiviste. C'est un poste honorifique... que j'ai pris pour ne pas me croiser les bras. Il n'y a pas d'archives à Vouzy le Sec ; mais le gouvernement, toujours paternel, a créé le poste en attendant.... Il n'y a rien à faire.... mais ça occupe.

CÉLESTE.

Et vous êtes un homme d'action ?

ARSÈNE.

Un tempérament... dévorant ! Vous comprenez que des archives... qui n'existent pas, ça ne suffit pas à remplir un coeur !

CÉLESTE, à part.

Pauvre garçon ! Est-il passionné !..

ARSÈNE.

Mademoiselle... J'ai l'honneur de vous demander votre main.

CÉLESTE, troublée.

Suis stupéfaite... Demande à réfléchir... Attendez semaine... Tiens ! Je parle nègre aussi !

ARSÈNE.

Vous voyez bien que nos âmes parlent la même langue ! Vous voyez bien que la destinée a des vues sur nous, puisqu'elle fait pour nous rapprocher des choses invraisemblables !... Je vais télégraphier à monsieur votre père.

CÉLESTE.

Il est à Terre-Neuve.

ARSÈNE.

Il y a le câble sous-marin ! Mon amour est capable de traverser l'Océan ! En attendant, vous me permettrez de vous accompagner à Melun ?...

CÉLESTE.

Jamais, Monsieur !...

Changeant de ton.

Du moins, pas encore !...

ARSÈNE.

Mais pour faire ma cour ?

CÉLESTE.

Il y a le télégraphe.

ARSÈNE.

Mais pour nous marier ?... Sera-ce aussi par le télégraphe ?...

CÉLESTE.

Ah ! Dame, alors... nous verrons !

Lui tendant la main.

Au revoir, Monsieur Arsène.

ARSÈNE.

Un instant !.. Je vous suis au bout du monde... à la gare !... Je...

Elle s'échappe et lui ferme la porte au nez. - Redescendant.

Elle a failli me casser le nez ! C'est un ange !... Je suis le prétendu d'un ange... qui n'est pas sourd ! Ô félicité !... Je cours lui faire un quatrain... de quatre vers !.. Non, ce n'est pas assez !... D'une foule de vers !...

En sortant par la droite.

Et voilà ce que c'est qu'un amour électrique !

 



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