LA CLOISON, BEAUCOUP DE PEINE POUR RIEN
COMÉDIE EN UN ACTE ET EN PROSE
PRIX 1fr. 20 cent.
Jouée pour la première fois sur le théâtre de la rue de Louvois, le 29 Germinal an 11.
AN XI .- 1803.
Par L.F.M.B.L., Auteur de Célestine, Anna Grenwil, La Nuit Anglaise, etc.
À PARIS, Chez Madame MASSON, Éditeur de Pièce de Théâtre, rue de l'Echelle, n°558, au coin de la rue Saint-Honoré.
Jouée pour la première fois sur le théâtre de la rue de Louvois, le 29 germinal an 11.
Texte établi par Paul FIEVRE, avril 2020
Publié par Paul FIEVRE, avril 2020.
© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:55:39.
AVIS.
Il n'y a d'édition avouée par l'Auteur que celle dont les exemplaires sont signés par l'Éditeur. Elle poursuivra les contrefacteurs, conformément à la loi.
PERSONNAGES
MONSIEUR DURIVAGE, homme de quarante à quarante-cinq ans, costume du jour, frisure poudrée. M. PICARD aîné.
CÉCILE, sa nièce ; jeune personne de seize ans, mise élégante et enfantine. Melle ADELINE.
DORSAY, jeune homme de dix-huit ans. À la première entrée il a une redingote large, attachée sur le devant par des gances et des boutons à olives de couleur tranchante, collet de velours fait en schall ; gilet blanc, pantalon large de nankin, chapeau rond, souliers à cordons, coiffure à la Titus. À la seconde entrée, il porte frac, gilet, culotte et bas de soie noirs, souliers à boucles, chapeau à trois cornes, coiffure à la mode, poudrée. M. BEFFROY.
La scène est à Paris, dans un hôtel garni.
LA CLOISON.
Le théâtre représente un salon : à la gauche du spectateur est un pan de cloison ; à droite sur le devant du théâtre est une table avec une écritoire et du papier ; une porte dans le fond et une à la seconde coulisse de droite. Entre autres meubles, il doit y avoir une harpe.
SCÈNE PREMIÈRE.
CÉCILE, seule.
Elle arrive par la porte de droite, et va d'abord écouter au pan de la cloison.
Pas le moindre bruit.... Il n'est point dans sa chambre... Mon oncle est sorti ; et Dorsay aussi sans doute... Nous ne nous sommes pas dit un mot de la journée !... Le vilain endroit que Paris !... Ma cousine me l'avait bien dit que je regretterais les six mois que je viens de passer chez elle à Soissons... C'est une personne bien sage, bien prudente, bien sensée que ma cousine ; elle a au moins trois mois de plus que moi... Elle connaissait Dorsay, elle approuvait notre amour, elle nous permettait de nous voir ; mais mon oncle... Il est vrai que je n'ai osé encore lui rien avouer... Il a le meilleur coeur du monde : c'est lui qui m'a élevée ; il m'aime comme sa fille, mais il est si vieux !... Je parie qu'il a bien... quarante-cinq ans !... Comment oser dire à quelqu'un de cet âge-là qu'on aime un jeune homme ?... Ma cousine ne m'effrayait pas, elle chérit si tendrement son mari ; mais mon oncle, il a l'air d'un froid !... Je ne l'ai jamais vu amoureux de personne... Puis d'ailleurs, il me disait encore hier qu'un de ses amis lui avait écrit pour lui demander ma main pour son fils... Si ce n'est pas Dorsay, comme il y a à parier, mon oncle me défendrait de penser à lui, moi, je lui dirais que je veux y penser tout de même ; mon oncle se fâcherait, moi je suis vive... Non, non, mon oncle, vous ne saurez pas que Dorsay a mis le maître de cet hôtel garni dans nos intérêts ; qu'il s'est logé dans une petite chambre, qui n'est séparée de celle-ci que par cette cloison, et que nous nous parlons à travers, chaque fois que votre absence nous le permet... Dorsay n'arrive point !... Je suis d'une colère contre lui !... Qu'il vienne, qu'il vienne... Je m'en vais le gronder... Pas trop fort pourtant, parce que cela lui ferait de la peine... J'entends du bruit... Le voilà qui rentre... Je ne lui parlerai toujours pas la première...
Silence d'un moment ; Cécile tousse.
SCÈNE II.
Cécile, Dorsay, derrière la cloison.
DORSAY.
Cécile,... Cécile,... êtes vous là ?
CÉCILE.
Oui, monsieur, j'y suis ; mais vous mériteriez bien que je n'y fusse pas.
DORSAY.
Seriez-vous fâchée contre moi ?
CÉCILE.
Certainement, Monsieur, je suis fâchée contre vous, et tout de bon même, il y a un quart-d'heure que vous me faites attendre, et vous savez que je n'aime pas cela.
DORSAY.
Ah ! Pardon ; mais une affaire indispensable m'avait forcé de sortir ; j'étais allé chercher une lettre de mon père.
CÉCILE.
Eh bien, cette lettre de votre père ?
DORSAY.
Hélas ! Vous ne devinez pas ?
CÉCILE.
Non, monsieur, je ne devine pas ; est-ce que je puis donc savoir ce que votre père vous mande ? Il vous gronde peut-être ?... Eh bien ! Il a raison, si vous le méritez.
DORSAY.
Plût à Dieu que ce ne fût que cela !... Mais il m'apprend qu'il se dispose à me marier, et qu'il a déjà écrit à un de ses amis pour lui demander la main de sa nièce.
CÉCILE.
J'en suis fâchée pour cette demoiselle ; mais elle s'y prend trop tard : vous vous êtes donné à moi , je vous ai accepté, et je ne suis pas disposée à vous céder à une autre. En attendant, vous pourriez écrire à votre père.
DORSAY.
Une lettre bien soumise, bien respectueuse.
CÉCILE.
Oui, vous lui manderez, par exemple, qu'il vous est impossible de lui obéir.
DORSAY.
Ah, Cécile ! Que me conseillez-vous !
CÉCILE.
Ce que je ferai moi-même. Vous croyez peut-être qu'il n'y a que vous qu'on veuille marier ! Eh bien, Monsieur, apprenez que mon oncle me destine aussi au fils d'un de ses amis.
DORSAY.
Grand Dieu ! Quelle nouvelle !
CÉCILE.
Pourquoi vous désoler ? En attendant que ces beaux mariages se décident, ne pouvons-nous pas nous aimer tranquillement sans en rien dire à personne ? Mais cependant il n'y a pas de mal de prendre des précautions, et je vais vous donner un signal... Oui... Quand je frapperai trois petits coups contre la cloison, ... ce sera signe qu'il n'y aura que moi, et vous pourrez parler sans crainte.
DORSAY.
Trois coups contre la cloison ; je me souviendrai de cela. Mais, Cécile, nous nous parlons si difficilement !... Si vous vouliez permettre...
CÉCILE.
Quoi, Monsieur ? Vous avez toujours quelque chose à demander.
DORSAY.
Que je vous écrivisse ?
CÉCILE.
M'écrire ! Non certainement, Monsieur, je ne le veux pas !... Comment me feriez-vous tenir vos lettres ?
DORSAY.
Rien n'est plus aisé... Il y a un jour à la cloison, et personne ne saura... Voyez plutôt... à droite du pilier, à deux pieds de terre environ. [ 1 Jour : Ouverture, fissure par où le jour, l'air peut s'insinuer. [L]]
CÉCILE.
Écrivez-moi si vous voulez, mais je vous déclare toujours bien que je ne vous répondrai pas... Allons, taisez-vous, il est temps de nous quitter... Je reviendrai dans un quart d 'heure voir si votre lettre est finie ; si mon oncle était rentré je la prendrais tout de même : vous aurez soin de parler bas... Adieu.
DORSAY.
Déjà nous séparer ! Dites-moi donc d'abord que vous m'aimez encore, que vous m'aimerez toute la vie.
CÉCILE.
Toujours répéter la même chose ! Vous êtes bien enfant quoique vous ayez dix-huit ans ! Eh bien oui, je vous aime encore...
Monsieur Durivage parait à la porte du fond, et s'y tient sans faire de bruit.
Je vous aimerai toute la vie, je vous l'ai promis, je vous le promets, je ne changerai jamais, quelque chose qui arrive, et je serai votre femme en dépit de tout le monde... À présent, adieu jusqu'à une autre fois... N'oubliez pas le signal... Trois coups contre la cloison.
Monsieur Durivage fait signe qu'il a entendu et se retire, Cecile revient sur le devant du théâtre.
Ce pauvre Dorsay ! Ah, je suis bien sûre qu'il m'aime tout de bon ! C'est fort joli d'être adorée comme cela !....
Regardant à la porte du fond.
À quoi s'amuse donc mon oncle ? Il n'a pas coutume d'être si longtemps dehors !...
Monsieur Durivage tousse en dehors.
Ah ! Le voici !
SCÈNE III.
Monsieur Durivage, Cécile.
MONSIEUR DURIVAGE.
Bonjour, ma chère Cécile.
CÉCILE.
Ah, bonjour, mon oncle.
MONSIEUR DURIVAGE, à part.
Suivons mon plan, et dissimulons.
CÉCILE.
Vous avez bien tardé à revenir.
MONSIEUR DURIVAGE.
Tu m'attendais ?
CÉCILE.
Mon oncle,... pas précisément ; mais il n'y a pas toujours longtemps que je pensais à vous. Vous m'occupez plus souvent que vous ne vous l'imaginez... Quelquefois, quand vous êtes hors de la maison, je suis d'une inquiétude !...
MONSIEUR DURIVAGE, malignement.
Dont je suis bien reconnaissant. C'était peut-être même de moi que tu parlais tout-à-l'heure ?
CÉCILE, un peu déconcertée.
Est-ce que je parlais ? ..... Vous m'avez entendu parler ?
MONSIEUR DURIVAGE, d'un ton de bonhomie.
Oui, comme j'étais dans l'antichambre, il m'a semblé distinguer...
CÉCILE, vivement.
Vous avez distingué... ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Ta voix ; qu'y a-t-il d'étonnant à cela ?
CÉCILE, à part.
Comment savoir s'il a surpris notre conversation ?
Haut.
Mais mon oncle, dites-moi, je vous prie, là bien sincèrement, qu'avez-vous pensé en m'entendant parler toute seule de la sorte ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Ma foi, moi j'ai d'abord pris cela pour une habitude de femme ; mais, au feu que tu mettais dans ton débit, j'ai bien vite compris que tu lisais quelque chose d'intéressant.
CÉCILE.
Oui, mon oncle, de très intéressant en effet.
À part.
Bon ! Il ne sait rien.
MONSIEUR DURIVAGE.
Et, peut-on demander quel était le sujet de ta lecture ?
CÉCILE.
C'était...
MONSIEUR DURIVAGE.
Quelque joli roman moderne ?...
CÉCILE.
Oh non pas mon oncle ; vous m'avez dit qu'on n'en faisait plus de bons... C'était une lettre que j'ai reçue de ma cousine.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ah !... Une lettre de ta cousine !... Y aurait-il de l'indiscrétion à te prier de me la montrer ?
CÉCILE, embarrassée.
Impossible, mon oncle... Pardon, mais... de petits secrets de femme...
MONSIEUR DURIVAGE.
Ne sont plus de mon âge, j'en conviens, d'autant mieux que parmi ce que j'ai pu recueillir, il m'a semblé entendre le mot d'amour , et ce langage-là n'est guère celui d'un oncle.
CÉCILE, à part.
Le mot d'amour ! Tachons d'éloigner son idée.
Haut.
C'est qu'il s'agit d'une de nos amies... qui a une inclination secrète.
MONSIEUR DURIVAGE.
Secrète ! La pauvre petite ! Cela doit être gênant pour elle. Il y a donc quelques raisons bien fortes, pour qu'elle n'avoue pas à ses parents... ?
CÉCILE.
Ils veulent contrarier son goût.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ah j'entends ; il y a quelque père, quelque tuteur ?
CÉCILE.
Oui, mon oncle.
MONSIEUR DURIVAGE.
Et on le craint ?
CÉCILE.
Beaucoup même.
MONSIEUR DURIVAGE.
Par conséquent, on lui cache tout ?
CÉCILE.
Oui, mon oncle, on est obligé de le tromper, et on le trompe.
MONSIEUR DURIVAGE.
On se le persuade, peut-être.
CÉCILE.
Oh, mon oncle, on en est sûr.
MONSIEUR DURIVAGE.
Crois-tu qu'on ne ferait pas mieux de l'instruire de tout ?
CÉCILE.
Mais, comment voulez-vous juger ? Vous n'êtes pas au fait.
MONSIEUR DURIVAGE.
C'est vrai, je ne vois encore la chose qu'en gros.... mais, si j'étais à ta place, je conseillerais à la jeune personne de se choisir un confident.
CÉCILE.
Un confident !
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui ; n'a-t-elle pas quelque parent, quelque ami sage, expérimenté ? En pareille circonstance, de bons avis peuvent devenir très utiles...
CÉCILE.
Ces avis amènent de la morale ; et il y a des moments où cela déplaît.
MONSIEUR DURIVAGE.
La véritable et prudente amitié sait rendre la raison aimable ; et, tiens, quoique je ne connaisse pas ton amie, je vais, par l'intérêt qu'elle m'inspire à cause de toi, te dire mon sentiment sur sa conduite. D'abord, il me semble...
CÉCILE.
Mon oncle, je sens que mon amie vous doit beaucoup de reconnaissance pour vos intentions obligeantes, mais elle a ses idées, et, je vous en prie, qu'il ne soit plus question de cela...
MONSIEUR DURIVAGE.
Que ne parlais-tu plutôt ? Tu dois me connaître, Cécile ; tu dois savoir que je n'ai d'autre désir que de te plaire en tout ; et j'espère que tu me rends assez de justice pour penser... Mais qu'as-tu, mon enfant ? Tu parais mal à ton aise !
CÉCILE.
Ce n'est rien... C'est une migraine affreuse qui vient de me prendre à l'instant... Vous savez bien que j'y suis fort sujette...
MONSIEUR DURIVAGE.
Retire toi dans ton appartement ; je ne veux pas te gêner. J'espère que cela passera , Cécile ; j'espère que cela passera.
SCÈNE IV.
MONSIEUR DURIVAGE, seul.
Toujours la même ! Une vivacité charmante, l'espièglerie d'un lutin, le meilleur coeur possible, mais une dissimulation que tous les soins de l'éducation la plus suivie n'ont pu vaincre... Tâchons que la leçon que je vais lui donner la corrige pour jamais... Je feins d'être sa dupe, mais j'ai déjà pris des informations qui vont servir à assurer la réussite de mes projets. Dans la chambre voisine de celle-ci, loge un jeune homme qui s'est établi dans cet hôtel à la même époque que nous... On n'a pu encore m'apprendre son vrai nom , qu'il cache soigneusement; mais tout en lui annonce, m'a-t-on dit, une âme honnête et sensible. Il est bien élevé, instruit, et on croit même qu'il fait des démarches pour obtenir une place dans la robe... Tout cela me rassure, et je bénis le ciel de ce que mon étourdie a du moins fait un choix qui ne peut me donner de vives inquiétudes ; surtout en la veillant de près, comme j'ai soin de le faire... C'est à travers cette cloison qu'ils se parient, grâce au signal que je n'ai pas oublié... Essayons de nous en servir ; peut-être apprendrons-nous quelque chose de nouveau... Mais si l'amant va reconnaître... Eh bien ! Qu'importe ? Je n'ai pas envie que l'intrigue se prolonge davantage, ainsi que craindrais-je ?... Voyons... Trois petits coups... Non pas de la main d'un oncle, bien entendu...
Il frappe trois fois.
SCÈNE V.
Dorsay, derrière la cloison, Monsieur Durivage.
DORSAY.
Déjà de retour, Cécile ? Ah vous êtes charmante !
MONSIEUR DURIVAGE, à part.
À merveille, nous y voilà.
DORSAY.
Ma lettre est justement achevée, je n'ai plus qu'à la plier.
MONSIEUR DURIVAGE, à part.
Une lettre ! Le hasard me sert mieux que je ne l'espérais.
DORSAY.
Voilà que c'est fini... Auprès du pilier... Vous savez bien... À deux pieds de terre...
Monsieur Durivage prend la lettre.
La tenez-vous ?...
MONSIEUR DURIVAGE, contrefaisant sa voix.
Oui.
DORSAY.
Vous ne me dites rien ! Votre oncle est-il à portée de nous entendre ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Chut ! Chut !
Il revient sur le devant du théâtre, et ouvre la lettre.
Voyons donc si le style épistolaire est aussi tendre que le dialogue :
« Ma chère Cécile ! Qu'il m'est doux de vous répéter que je vous adore... »
Bon ! Des folies ! Hum ! Hum !
Il poursuit.
DORSAY, plus bas que la première fois.
Cécile ! Au moins un mot ! Sommes-nous encore brouillés ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Il n'y aura pas moyen de le faire taire à présent ! Un amoureux !...
Il se rapproche de la cloison.
Chut ! Chut !
Il revient au milieu du théâtre, et lit.
Hum ! Hum ! ...
« Lorsque nous serons en danger d'être surpris, frappez doucement dans vos mains pour m'avertir, et je me tairai sur-le-champ... »
Ah parbleu ! Bien obligé de l'instruction, elle vient à propos.
DORSAY.
Cécile ! Je suis d'une inquiétude !... Est-ce bien vous ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Il frappe légèrement dans ses mains, et écoute.
Fort bien ! Me voilà aussi moi dans le secret de la comédie, malgré Cécile.
SCÈNE VI.
MONSIEUR DURIVAGE, seul.
Poursuivons...
« Monsieur Deschamps, le maître de l'hôtel, vient de me dire que votre oncle lui avait demandé un peintre pour faire votre portrait ; je sais assez dessiner pour oser l'entreprendre. Je me présenterai donc dans quelques moments. Votre oncle ne me connaît pas ; vous m'avez dit d'ailleurs que c'était un bon homme à qui on faisait croire tout ce qu'on voulait. .. »
Ah un bon homme à qui on fait croire tout ce qu'on veut ; nous verrons !
« Quel délice de copier les traits de ce charmant visage, les contours de cette taille élégante ! Mais, Cécile, c'est au peintre ou plutôt à l'amour de dicter votre attitude ; demandez à être représentée tenant votre harpe entre vos bras... L'artiste osera-t-il espérer qu'on lui permette de prendre une copie de son ouvrage... ? »
Joli petit complot, si je ne l'avais pas découvert ! Jusqu'au maître d'une maison où l'on devrait se croire en sûreté, qui se prête à de semblables intrigues !.... Pauvres parents ! Pauvres parents ! Quelle tâche est la vôtre !
Il lit.
Hum ! Hum !..
« Croyez toujours à l'amour constant de votre fidèle Dorsay ».
Dorsay !... Oh venez, venez, Monsieur Dorsay ! Vous aurez votre part de la leçon. Le petit drôle ! Des travestissements ! Les grands moyens !... Mais, Monsieur le séducteur de dix-huit ans, malgré toute votre adresse, sachez qu'un ennemi n'est guère à craindre, quand on a intercepté sa correspondance et surpris ses signaux...
SCÈNE VII.
Cécile, Durivage.
CÉCILE, à part.
Il est encore là !...
Haut.
Mon oncle, j'ai cru que vous m'aviez appelée.
MONSIEUR DURIVAGE, malignement.
Moi ? Point du tout ; mais je lisais une lettre que j'ai reçue d'un de mes cousins. Elle vaut bien, je t'en réponds, celle de ta cousine...
CÉCILE, à part.
Il ne s'en ira pas ; et la lettre de Dorsay doit être écrite maintenant !
Haut.
Mon oncle, je croyais que vous vouliez sortir.
MONSIEUR DURIVAGE.
Sortir ? Tu ne songes donc pas que c'est aujourd'hui que doit venir le peintre dont je t'ai parlé ?
CÉCILE.
Un peintre ! Et qui voulez-vous faire peindre, je vous prie ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Toi-même. Tu sais que je veux faire cadeau de ton portrait ?...
CÉCILE.
À ce monsieur qui s'avise de vouloir m'épouser ? Ah ! Mon oncle, attendez, pour lui offrir la copie, qu'il ait l'original ; cela pourra donner du temps au peintre.
MONSIEUR DURIVAGE.
Mais, Cécile, si je te priais...
CÉCILE.
Vous ne me prierez pas, parce que vous voyez bien que je suis aujourd'hui laide à faire peur.
MONSIEUR DURIVAGE.
Je ne vois pas ça, moi. Je te trouve, au contraire, charmante.
CÉCILE.
J'ai le bonnet le plus maussade...
MONSIEUR DURIVAGE.
On peut en mettre un autre : ce n'est pas une affaire que de changer de bonnet...
CÉCILE.
Vous savez bien, de plus, que j'ai une migraine qui me laisse à peine la force de parler.
MONSIEUR DURIVAGE.
Tant mieux. L'artiste aura moins de distractions, et la bouche sera plus ressemblante.
CÉCILE.
Livrer ma figure pendant deux heures à un peintre ! Écouter malgré moi ses sots discours ! Et ces gens-là sont souvent d'un désagréable !...
MONSIEUR DURIVAGE.
Celui-là est fort aimable, m'a-t-on dit. C'est un jeune-homme du plus grand talent.
CÉCILE.
Un jeune homme ! Vous savez encore, mon oncle, que je déteste les jeunes gens.
MONSIEUR DURIVAGE.
Je ne le savais pas, mais je l'apprends, et je m'en souviendrai.
CÉCILE.
Plaisantez tant que vous voudrez ; mais, puisqu'il faut vous le dire clairement, je ne veux pas me faire peindre, et l'on ne me peindra pas.
MONSIEUR DURIVAGE.
Je t'avais trouvé une attitude charmante ; assise avec grâce, ta harpe entre tes bras...
CÉCILE.
Ma harpe ? Ah bien oui, la belle idée ! Un instrument que je ne puis souffrir.
MONSIEUR DURIVAGE.
Aujourd'hui ? Je crois qu'en ce moment la pauvre harpe et moi partageons le malheur de te déplaire.
CÉCILE.
Tenez, mon oncle, pardonnez si je l'avoue ; mais quand vous avez quelque chose dans la tête... On dirait que vous prenez plaisir à me contrarier.
MONSIEUR DURIVAGE.
Eh bien, eh bien, n'en parlons plus. Il faut donc que je reste ici pour donner le congé au peintre...
CÉCILE.
Vous pouvez sortir sans crainte et me charger de ce soin ; je vous jure qu'il ne songera pas à revenir.
MONSIEUR DURIVAGE, à part.
Sa petite colère me divertit plus que je ne puis dire.
CÉCILE.
Enfin, mon oncle, dites-moi, s'il vous plaît...
MONSIEUR DURIVAGE.
Écoute donc... J'entends du bruit... Je pense que c'est notre jeune homme qui arrive, je vais au-devant de lui.
SCÈNE VIII.
Cécile, Monsieur Durivage, Dorsay, en peintre; il a un carton sous le bras.
CÉCILE, à part.
Qu'il vienne... Je vais lui ôter pour longtemps l'envie de peindre de jeunes filles malgré elles.
MONSIEUR DURIVAGE, à Dorsay à la porte.
Entre, Monsieur, entrez ; ma nièce vous attend, elle sera charmée de vous voir.
CÉCILE, vivement.
Ah ! Pour cela, mon oncle, il me semble...
À part.
Juste ciel ! Que vois-je ? Dorsay !
MONSIEUR DURIVAGE.
C'est bien à Monsieur Dujour que j'ai l'honneur de parler, à ce jeune artiste dont on m'a vanté l'habileté ?
CÉCILE, à part.
Étourdie que je suis de n'avoir pas deviné !
DORSAY.
Oui, Monsieur, c'est moi-même. J'ai osé me flatter que vous voudriez bien m'accorder l'avantage de...
MONSIEUR DURIVAGE.
Parbleu, Monsieur, d'après ce que je sais, je vous jure que j'aime mieux avoir à faire à vous qu'à beaucoup d'autres... Cécile, voilà ton peintre...
Salut mutuel d'un air embarrassé.
Il est bon de vous dire, Monsieur, que vous aurez plus d'ouvrage que vous ne pensiez ; ma nièce a une répugnance invincible à se faire peindre...
DORSAY.
Quoi, Mademoiselle !...
CÉCILE.
Monsieur, il est vrai que je faisais à mon oncle quelques difficultés, mais puisqu'il le désire si vivement, et que vous voilà ici, je ne veux pas vous donner la peine de vous en retourner.
DORSAY.
Permettez que je vous remercie de la bonté...
MONSIEUR DURIVAGE.
Savez-vous que vous devez être tout fier des dispositions favorables que Cécile annonce maintenant ; car il n'y a pas longtemps qu'elle m'assurait qu'elle détestait les artistes, et surtout les jeunes gens.
CÉCILE.
Mais, mon oncle, allez-vous répéter à monsieur tout ce que je vous ai dit depuis huit jours ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Pourquoi pas ? Quand un peintre connaît les inclinations de son modèle, il me semble qu'il doit mieux saisir ses traits.
Surprenant Dorsay qui regarde tendrement Cécile.
Et monsieur me paraît posséder ce secret-là au suprême degré, car il te regarde déjà d'un air qui dénote un grand talent.
DORSAY, embarrassé.
Je tâchais de placer dans mon idée... l'ensemble de la physionomie de mademoiselle. Elle a des yeux !...
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui, ses yeux ne sont pas mal ; mais aujourd'hui ils sont moins bien qu'à l'ordinaire : elle a une migraine horrible.
CÉCILE, à part.
Encore ?
Haut.
Je sens qu'elle commence à passer !
À part.
Il a juré de me désoler.
MONSIEUR DURIVAGE.
Croyez-vous, malgré son indisposition, pouvoir réussir ? Nous remettrions la chose à un autre jour...
CÉCILE.
Non, non, mon oncle ; je vous assure que je me trouve mieux.
Avec coquetterie.
Ma figure n'est pas trop mal, n'est-ce pas, Monsieur ?
DORSAY.
Ah mademoiselle, il y aurait de quoi désespérer les peintres ordinaires mais j'espère qu'enflammé par mon modèle...
MONSIEUR DURIVAGE.
Doucement, doucement, jeune homme ; on voit bien que vous êtes accoutumé à peindre des femmes ; mais il est bon de vous prévenir que ce qui déplaît le plus à ma nièce, dans les gens de votre métier, c'est cette fureur si commune de dire des douceurs à celles dont ils copient les traits : ainsi les phrases de l'art... Quelques mots techniques, voilà tout ce qu'elle vous permet.
CÉCILE.
Mon oncle, ce n'est pas vous que Monsieur doit peindre, c'est moi ; permettez donc qu'il n'écoute que moi seule.
MONSIEUR DURIVAGE.
Allons, allons, je ne dirai plus rien. Commençons notre séance... Quant à l'attitude... Un livre à la main par exemple... On n'a pas besoin de regarder le peintre ; c'est moins gênant.
DORSAY.
Mais le portrait serait bien triste... Mademoiselle ne joue-t-elle d'aucun instrument ?
CÉCILE.
De la harpe.
DORSAY.
De la harpe ! Eh bien voilà tout ce qu'il nous faut. Je ne connais rien de délicieux comme l'attitude d'une femme qui pince de la harpe.
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui, mais elle la déteste.
CÉCILE.
C'est le son que je n'aime pas ; mais la forme de l'instrument est charmante.
MONSIEUR DURIVAGE.
À la bonne heure ; je vais la chercher.
DORSAY, bas à Cecile.
Si nous pouvions l'éloigner un moment.
MONSIEUR DURIVAGE.
Tiens... Mais oui, ce n'est pas trop mal ! Il s'agit maintenant de l'expression de la figure... C'est-il bien important ?... Moi je crois que pourvu que les bras soient bien placés...
DORSAY.
Comment, Monsieur, l'expression est ce qui donne de la vie à un portrait... Mademoiselle, regardez-moi, je vous prie, bien attentivement... Je suppose que vous éprouviez en ce moment une impression agréable... Tâchez que votre figure soit l'interprète de ce qui se passe dans votre âme... Fort bien... Vos yeux fixés sur les miens... comme si nous nous parlions par nos regards... Oh jamais je ne sentis si bien le bonheur de savoir peindre !
MONSIEUR DURIVAGE.
Quoi ! Vous allez me la peindre avec cet air tendre et passionné ! Plaisantez-vous ? Songez donc que le portrait est pour un mari qu'elle ne connaît pas ! On dirait à voir ces yeux-là, qu'ils se fixent sur un amant chéri.
CÉCILE.
Mais mon oncle, laissez donc faire Monsieur, s'il vous plaît ; un peintre doit savoir son métier.
DORSAY.
Mademoiselle m'encourage à vous le dire, Monsieur ; lorsque j'ai trop près de moi des personnes indifférentes, cela me trouble et je ne réponds plus de la ressemblance. Auriez-vous la bonté de vous éloigner un peu ?
CÉCILE.
Oui mon oncle, je vous en prie, asseyez-vous et prenez un livre. Je me suis contrariée pour consentir à laisser faire mon portrait, veuillez me prouver que vous m'en savez quelque gré...
MONSIEUR DURIVAGE.
Oh ma chère enfant, en s'y prenant de la sorte, tu seras toujours sûre de tout obtenir de moi.
CÉCILE.
Je l'espère bien, mon oncle ; vous êtes si bon !
DORSAY.
Cela se devine d'abord en voyant monsieur. Si je voulais peindre un excellent père, je le prierais de me servir de modèle.
MONSIEUR DURIVAGE.
J'aime à voir que vous jugiez si bien de mon coeur. Eh bien, Cécile, pour te prouver que tu me rends justice, puisque c'est uniquement par déférence pour moi que tu te prêtes à laisser faire ton portrait, je te dispense de ta docilité, et je consens à ce que tu ne te fasse pas peindre.
DORSAY, à part.
Que dit-il, grands dieux !
CÉCILE.
Quoi mon oncle !...
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui, ma bonne amie, j'ai changé d'avis.
DORSAY.
Mais cependant, Monsieur...
MONSIEUR DURIVAGE.
Je vois que j'avais tort. Elle n'est pas bien aujourd'hui ; puis elle n'est pas coiffée à son avantage.
CÉCILE.
L'art du peintre suppléera bien...
MONSIEUR DURIVAGE.
Quand on ne se fait pas peindre de bonne volonté, il y a toujours de la gêne, de la contrainte...
CÉCILE.
Mais non, mon oncle, c'est du meilleur coeur...
MONSIEUR DURIVAGE.
Je te dis que je ne le veux pas... C'est décidé. Lève-toi et qu'il n'en soit plus question... Cécile !... M'obéissez vous ?
CÉCILE, se levant en rechignant.
Vous avez aujourd'hui des caprices..... et devant des étrangers encore !
MONSIEUR DURIVAGE.
Monsieur me jugera bien, j'en suis sûr : il voit mon motif ; puis il a si bonne opinion de moi ; il a vu tant de choses sur ma figure !
DORSAY.
Monsieur... Assurément...
CÉCILE.
Il doit vous avoir bien de l'obligation de le faire venir ici pour rien.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ah ! Tu as raison. Il ne serait pas juste qu'il perdît sa séance, et je vais lui donner de l'ouvrage.
CÉCILE.
Quelques-unes de vos mauvaises gravures à enluminer, je parie ? Le beau passe-temps pour un artiste !
MONSIEUR DURIVAGE.
Point du tout ; je vais lui donner quelque chose qui l'amusera, et beaucoup, j'en réponds.... Il y a longtemps que j'avais envie de se faire cadeau de mon portrait : je vais profiter de l'occasion,
CÉCILE.
Votre portrait !... Par monsieur !... Aujourd'hui !...
MONSIEUR DURIVAGE.
Pourquoi non ? Quel inconvénient y aurait-il ? Je me porte à merveille, moi, je n'ai pas la migraine, et j'ai ma coiffure de tous les jours. De plus, je permettrai à monsieur de me dire tout ce qu'il voudra, des douceurs même, si cela lui convient ; je ne suis pas aussi sévère que toi.
DORSAY.
Monsieur, j'ai des affaires indispensables ; il m'est impossible...
MONSIEUR DURIVAGE.
Un quart d 'heure est bientôt passé, je ne vous demande que l'esquisse...
Il s'assied.
Allons, me voilà placé... Trois coups de crayon, et je suis content... Mais il me faut une attitude aussi à moi... Tenez, donnez-moi celle d'un observateur, elle ne m'ira peut-être pas mal. Quant à l'expression de ma figure... Faut-il fixer mes yeux sur les vôtres, comme ma nièce ?
CÉCILE, passant entre Monsieur Durivage et la table où est Dorsay.
Vous ne remarquez pas que ce jeune homme a l'air d'avoir de l'humeur ?
MONSIEUR DURIVAGE, la faisant repasser derrière lui.
Ma chère Cécile, éloigne-toi de nous. Tu as entendu que quand monsieur voit auprès de lui des personnes indifférentes, il ne répond plus de la ressemblance : ainsi prends un livre.
DORSAY, à part.
On dirait vraiment qu'il le fait exprès. Si, je pouvais saisir les traits de Cécile au lieu des siens !...
Il regarde Cécile ; elle lui fait signe qu'elle le comprend et se tient derrière son oncle.
Haut.
Fort bien, Monsieur, ne bougez pas ; je commence à espérer que vous ne serez pas si difficile à attraper que je l'avais craint d'abord.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ne vous y fiez pas ; il y a des choses qui trompent mon visage...
DORSAY.
N'importe Pourvu que vous ne vous dérangiez pas... Encore deux traits, et j'ai tout ce que je désire...
MONSIEUR DURIVAGE.
Je n'ai qu'une inquiétude, c'est que vous ne me fassiez trop grand.
DORSAY.
Pourquoi, je vous prie ?
MONSIEUR DURIVAGE.
C'est qu'il me semble que vous me regardez toujours au dessus de la tête.
CÉCILE, s'éloignant vivement.
Par exemple, mon oncle, vous me permettrez de vous dire que ce n'est pas à vous de juger des moyens qu'emploie un peintre.
DORSAY.
D'ailleurs, Monsieur n'est pas placé pour juger de la perspective.
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui, je suis dans le faux jour... Mais à propos, jeune homme, vous êtes discret au moins ? On peut se fier à vous ?
DORSAY.
Comment, Monsieur ? Expliquez-vous ; je ne vous comprends pas.
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui, il y a de jeunes artistes qui ne se font pas scrupule de prendre des copies de portraits qu'on leur donne à faire. J'espère que pour le mien vous voudrez bien...
CÉCILE, riant.
Soyez tranquille, je ne crois pas que monsieur en soit tenté.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ma chère Cécile, tu ne fais pas attention que tes remarques commencent à n'être pas très obligeantes. Mais patience, je me dédommagerai peut-être quand on travaillera à ton portrait : quand il en sera temps, je ferai avertir monsieur ; pour aujourd'hui, je ne veux pas le retenir davantage.
Il se lève.
DORSAY, à part.
Il m'interrompt précisément à l'instant où je tenais la ressemblance...
Haut.
Monsieur, si vous vouliez encore, pour un moment...
MONSIEUR DURIVAGE.
Non, c'est assez, j'ai quelques petites affaires ; vous m'avez dit que vous en aviez d'indispensables ; nous remettrons à une autre fois.
DORSAY, à part.
Voilà donc tout le fruit que je retirerai de mon stratagème !... Je suis bien avancé !
MONSIEUR DURIVAGE, à part.
La première séance n'a pas été mauvaise ; nous verrons la seconde.
DORSAY.
Monsieur, j'ai l'honneur de vous saluer...
Il s'approche de Cécile.
Mademoiselle...
MONSIEUR DURIVAGE, se mettant au-devant.
Monsieur, je suis votre serviteur. Je vais vous accompagner si vous le permettez.
SCÈNE IX.
CÉCILE, seule.
Je suis d'une humeur ! Mon oncle me le paiera, je le lui promets. Il semblait qu'un malin génie lui soufflât exprès tout ce qui pouvait nous tourmenter... Ce pauvre Dorsay souffrait !... Il me faisait une peine !... Si mon oncle croit se rendre aimable en me contrariant... On voit bien qu'il ne connaît pas les femmes... Ce matin, j'avais presque envie de lui avouer tout ; mais à présent, il n'est rien dont je ne me sentisse capable pour le tromper... D'ailleurs, après, l'histoire du portrait, je crois qu'il nous ferait une belle mercuriale !... Allons-donc toujours notre train, le dénouement viendra quand il pourra ; je suis encore assez jeune pour ne m'occuper que du présent.
SCÈNE X.
Monsieur Durivage, Cécile.
MONSIEUR DURIVAGE.
Eh bien, ma chère Cécile, que dis-tu de notre peintre ? Moi, je suis persuadé qu'il ne nous a pas montré encore tout ce qu'il savait faire ; malgré cela, je suis fort content de lui.
CÉCILE.
Je ne crois pas qu'il le soit autant de vous.
MONSIEUR DURIVAGE.
Pourquoi donc ?
CÉCILE.
Vous vous êtes joliment conduit à son égard, vous qui êtes aimable ordinairement... Ce malheureux jeune homme avait un air si embarrassé !
MONSIEUR DURIVAGE.
Tu crois ? C'était sans doute à cause de cela que tu semblais mal à ton aise aussi, toi ?
CÉCILE.
Qui n'y aurait pas été ? J'avais beau vous faire signe : rien. Je suis fâchée de vous l'avouer, mon oncle, vous avez la prétention d'être très fin, et vous ne vous doutez de rien que de ce qu'on veut bien vous dire.
MONSIEUR DURIVAGE.
Que veux-tu, ma chère enfant ? Le ciel ne me donna pas plus de pénétration ; moi, je me contente d'être bonhomme.
CÉCILE, vivement.
Oh oui, mon oncle, très bo....
Monsieur Durivage la regarde ; elle s'arrête brusquement.
Mais n'aviez-vous pas à sortir ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Non pas tout-à-l'heure ; j'attends encore quelqu'un.
CÉCILE, avec ironie.
Un autre peintre peut-être ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Non, c'est une affaire plus importante. Je veux faire quelques dispositions à ton égard.
CÉCILE, à part.
C'est sans doute la donation de cette petite terre dont il me parle depuis si longtemps.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que la chose m'occupe, je veux enfin la terminer ; je viens de demander un homme de loi.
CÉCILE.
À Monsieur Deschamps sans doute ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui, au maître de l'hôtel.
À part.
Je devine le motif de la question.
CÉCILE.
Avez-vous désigné quelqu'un ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Ma foi non, moi je ne connais personne ici.
CÉCILE, à part.
Bon ! Dorsay pourra se présenter de nouveau, nous serons peut-être plus heureux.
Haut.
Viendra-t-il bientôt votre homme de loi ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Mais j'ai prié qu'on allât l'avertir de suite.
CÉCILE, à part.
Comment trouver le moyen de prévenir Dorsay ?
Haut.
Vous ne sortirez pas du tout, d'ici à ce qu'il arrive ?
MONSIEUR DURIVAGE.
As-tu quelque commission à ne donner ?
CÉCILE.
C'est qu'il me semblait que vous aviez dit... d'ailleurs les papiers qu'il vous faut...
MONSIEUR DURIVAGE.
Tu as raison, je vais les chercher ; je te remercie de m'y avoir fait songer.
À part.
On veut avertir l'amant ; il faut leur donner beau jeu.
SCÈNE XI.
CÉCILE, seule.
J'admire vraiment comme il se prête à tout ; c'est bien une nouvelle preuve qu'il n'y entend pas malice... Dépêchons-nous d'instruire Dorsay... Il sait assez de chicane pour faire la donation de mon oncle, d'ailleurs, comme c'est moi que cela regarde, je ne m'en inquiète guère.
Elle frappe trois coups à la cloison.
SCÈNE XII.
Dorsay, derrière la cloison, Cécile.
DORSAY.
Est-ce vous, Cécile ?
CÉCILE.
Écoutez bien et ne perdez pas de temps... Mon oncle veut me faire une donation ; il a demandé un homme de loi à Monsieur Deschamps. Prenez un nouveau costume et présentez-vous avec assurance. En vous déguisant un peu, je vous promets qu'il ne se doutera de rien. Ne me répondez pas, mon oncle va rentrer.
SCÈNE XIII.
CÉCILE, seule.
C'est un bien grand hasard si nous ne trouvons pas le moyen de nous glisser quelques mots... D'ailleurs nous nous verrons toujours, et puis je crois qu'aujourd'hui le seul plaisir de me venger de mon oncle suffirait pour me décider.
SCÈNE XIV.
Cécile, Monsieur Durivage.
MONSIEUR DURIVAGE, apportant une liasse de papiers.
J'ai cru que je ne trouverais jamais ces maudits papiers... Enfin voilà tout ce qu'il me faut.
À part.
Je pense qu'on a eu le temps de tout arranger.
Haut.
Ah ça, ma chère Cécile, nous allons, si tu le veux, un peu parler raison.
CÉCILE, gaiement.
Ah voyons, mon oncle.
MONSIEUR DURIVAGE.
Tu me répètes tous les jours, et je mets mon bonheur à le croire, que je dois compter sur la sincérité de ton attachement ?
CÉCILE, avec affection.
Vous me feriez tort si vous en doutiez.
MONSIEUR DURIVAGE.
C'est d'après la conviction que j'en ai, que je songe sérieusement a arranger tout pour que nous ne nous quittions jamais.
CÉCILE, avec affection.
Je sens assurément ce que ce projet a de flatteur pour moi, il mérite toute ma reconnaissance.
MONSIEUR DURIVAGE.
J'espère que je réussirai à rendre tous nos jours heureux ; j'ai là-dessus des idées, je te les expliquerai un jour... D'abord, nous aurons les mêmes plaisirs, les mêmes goûts, jusqu'aux mêmes pensées. Nous nous les communiquerons toutes, n'est-ce pas Cécile ?
CÉCILE.
Oui, mon oncle,... quand elles pourront nous divertir, car il y a quelque fois des choses...
MONSIEUR DURIVAGE.
Il n'y en a point de raisonnables que de véritables amis doivent se cacher. D'ailleurs il est clair que quand deux personnes sont bien unies, si l'une s'aperçoit que l'autre lui fait quelque mystère, elle a le droit de s'en venger.
CÉCILE.
Oui mon oncle... C'est tout simple... Et je vous avoue que j'aimerais mieux cela...
MONSIEUR DURIVAGE, à part.
Toujours la même !...
Haut.
Moi, je choisirais la confiance entière ; mais enfin je ne veux pas te forcer ; et, puisque les choses s'établissent sur ce ton, prends garde à toi.
CÉCILE, riant.
Soit, j'accepte le défi...
Sérieusement.
Bien entendu que les suites ne pourront jamais nous brouiller ensemble, car dans ce cas...
MONSIEUR DURIVAGE.
Vas, vas, ma chère amie, je sais apprécier la bonté de ton coeur, et je ne le rends pas responsable des travers de ton esprit.
CÉCILE, étonnée.
Des travers de mon esprit ! Qu'entendez-vous par-là, s'il vous plaît ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Tu sais que nous ne sommes pas obligés de tout dire ; j'use des droits du traité.
CÉCILE, piquée.
À la bonne heure... Vous aviez commencé à m'expliquer votre projet.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ah, mon projet.... Si la conversation eût pris un autre tour, tu allais le savoir tout entier ; mais puisque nous gardons chacun nos secrets, il faut attendre l'homme de loi... Justement le voici.
CÉCILE, à part.
Pourvu que mon oncle n'aille pas le reconnaître.
SCÉNE XV.
Cécile, Monsieur Durivage, Dorsay, en légiste.
MONSIEUR DURIVAGE.
Soyez le bienvenu, Monsieur. En vérité, ma chère nièce, nous avons les plus grandes obligations à Monsieur Deschamps, il ne nous choisit que des gens dont la figure heureuse... Eh mais, c'est singulier... Cécile, ne trouves tu pas que monsieur ressemble beaucoup, mais beaucoup, au jeune artiste de tantôt ?...
CÉCILE.
Quelle idée , mon oncle ?
DORSAY.
À monsieur Dujour, peut-être ? C'est mon frère.
MONSIEUR DURIVAGE.
Jumeau, je parie ?
DORSAY.
Oui, Monsieur, nous sommes nés le même jour.
MONSIEUR DURIVAGE.
Oh, alors, je ne suis plus étonné... Je vous ai fait appeler pour une petite affaire... Mais je vais vous expliquer cela quand nous serons placés. Voilà déjà les papiers...
Il va auprès de la table.
DORSAY.
Ah, Cécile !
CÉCILE, bas, à Dorsay.
De l'assurance; ayez l'air de l'écouter attentivement ; je trouverai bien quelque prétexte pour l'éloigner.
MONSIEUR DURIVAGE.
Allons, Monsieur, quand il vous plaira.
DORSAY.
Je suis à vos ordres.
MONSIEUR DURIVAGE.
Voulez-vous bien prendre ce fauteuil ; moi je me mets ici à votre droite ... Cécile, à la gauche de monsieur.
DORSAY, quand ils sont assis.
Vous allez maintenant m'apprendre...
MONSIEUR DURIVAGE.
Deux mots suffiront pour vous mettre au fait. L'acte que vous allez préparer regarde ma nièce...
Surprenant les jeunes gens qui se parlent bas sans l'écouter.
Monsieur, l'affaire regarde ma nièce... Un légiste aussi instruit que vous l'êtes, m'a-t-on dit, malgré votre âge, ne peut manquer de connaître parfaitement toutes les clauses qui peuvent concourir à la solidité...
DORSAY.
D'une donation... D'abord, monsieur, il y en a de plusieurs espèces. Donation devant témoins, donation par contrat, donation entre-vifs, donation par testament, donation du fonds, donation de l'usufruit, donation...
MONSIEUR DURIVAGE.
Je vois, monsieur, qu'on ne m'a pas trompé ; vous êtes on ne peut pas plus instruit sur l'article des donations ; mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit... C'est tout bonnement d'un contrat de mariage.
DORSAY.
D'un contrat de mariage !
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui, monsieur.
CÉCILE.
Pour moi ?
MONSIEUR DURIVAGE.
Oui, Mademoiselle.
CÉCILE, se levant.
Dans ce cas-là, je crois que monsieur peut s'éviter la peine de le dresser, car bien certainement je ne le signerai pas.
MONSIEUR DURIVAGE.
Mais tu ne sais pas encore quelle est l'autre partie contractante,
CÉCILE.
C'est bien difficile à deviner ! Le fils de cet ami...
MONSIEUR DURIVAGE.
Et si ce n'était pas lui ?
DORSAY.
Monsieur, le devoir de mon ministère m'oblige à vous représenter que si mademoiselle se refuse à signer le contrat...
CÉCILE.
Certainement, Monsieur, je m'y refuse, et bien formellement.
DORSAY, se levant.
D'après cela, monsieur, un homme intègre, comme je me fais gloire de l'être, ne peut en conscience aller plus loin.
MONSIEUR DURIVAGE, revenant sur le devant du théâtre.
Vous allez avoir la bonté de m'écouter, c'est vous que je prends pour juge...
CÉCILE.
Soit, je promets d'en passer par la décision de monsieur.
MONSIEUR DURIVAGE.
Nous voilà déjà d'accord sur un point : il s'agit maintenant de poser l'état de la question. Un de mes amis me mande dernièrement qu'il a un fils dont l'âge s'accorde avec celui de ma nièce. Le jeune homme est aimable, il a de la fortune, de bornes qualités, en un mot le parti est sortable. Je le propose à ma nièce.
DORSAY.
Et mademoiselle répond ?
CÉCILE.
Que si le jeune homme est aimable pour d'autres, il ne l'est pas pour moi : que s'il a de la fortune, je ne m'en soucie guère : que s'il possède tant de qualités, il y joint celle de me déplaire ; et qu'en un mot si le père est l'ami de mon oncle, le fils ne sera jamais mon amant, et à plus forte raison mon mari.
DORSAY.
Réponse fort claire. Tous les cas sont prévus ; toutes les hypothèses anéanties, tous les arguments rétorqués.
CÉCILE.
Vous voyez, mon oncle, j'ai gagné ma cause.
MONSIEUR DURIVAGE.
Un moment, j'en appelle... Un oncle comme il y en a tant d'autres aurait peut-être prétendu faire usage de son autorité pour forcer sa nièce au mariage qu'on lui proposait ; moi j'ai pensé qu'il valait mieux approfondir la cause du refus, et je crois l'avoir découverte.
CÉCILE, riant.
Vous, mon oncle ! Ah, voyons, je vous prie.
MONSIEUR DURIVAGE.
J'ai donc trouvé que si Cécile répugnait à accepter le jeune homme en question, c'est qu'à l'instant où je vous parle, son coeur est secrètement prévenu en faveur d'un autre.
DORSAY.
Un autre !
MONSIEUR DURIVAGE.
Un oncle comme ceux que je vous citais tout à l'heure, aurait été piqué de ce qu'on lui faisait mystère d'une chose qui le touchait de si près ; mais j'excuse la jeunesse et l'étourderie de ma nièce, et je songe à tout arranger de manière à ce qu'elle ne puisse pas se plaindre de moi.
CÉCILE, étonnée.
Mon oncle, je ne sais vraiment...
MONSIEUR DURIVAGE, sans l'écouter.
Comme ce qui lui reste du bien de sa mère est chargé de procès difficiles à terminer, je sens que je dois choisir pour elle quelqu'un dont les lumières et l'instruction en matière de jurisprudence... À propos de cela, on m'a beaucoup parlé d'un de vos confrères, nommé Dorsay ?
DORSAY.
Quoi ! Vraiment, ce serait lui dont vous voulez...
MONSIEUR DURIVAGE, finement.
Oui ; si vous ne le trouviez pas mauvais, je crois que sa présence ne serait point inutile ici.... Il est fort instruit ? M'a-t-on dit ?...
CÉCILE, vivement.
Oui, mon oncle.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ah, ah ! Sa réputation est donc parvenue jusqu'à toi ?
À Dorsay.
Il loge dans cet hôtel ?
DORSAY.
Oui, Monsieur.
MONSIEUR DURIVAGE.
Dans la chambre qui est derrière cette cloison ?
DORSAY.
Oui, monsieur.
CÉCILE, à part.
Il sait tout.
MONSIEUR DURIVAGE.
Il est fort aimable, m'a-t-on dit.
CÉCILE.
Mon oncle...
MONSIEUR DURIVAGE.
Qu'en pensez-vous, monsieur ?
DORSAY.
Mademoiselle voulait avoir la bonté de répondre.
CÉCILE, se levant.
Mon oncle, puisque vous êtes instruit...
MONSIEUR DURIVAGE, sans l'écouter.
D'après le bien que j'en ai appris, et que vous me confirmez tous deux, je vais donner des ordres pour qu'on le fasse appeler.
Fausse sortie.
CÉCILE, bas à Dorsay.
Faites-vous donc connaitre, voilà le moment.
MONSIEUR DURIVAGE.
Voulez-vous aller le chercher vous-même ?
CÉCILE, embarrassée.
Mon oncle.... Dorsay...
MONSIEUR DURIVAGE.
Eh bien ?
DORSAY.
Il est bien heureux... Mais il est bien coupable...
MONSIEUR DURIVAGE.
Qu'est-ce qu'il a donc fait ?
DORSAY.
Vous le voyez devant vous... Daignerez-vous pardonner ?...
MONSIEUR DURIVAGE, avec un étonnement feint.
Comment, monsieur, il serait possible ?... Vous seriez...
DORSAY.
Ce Dorsay en faveur duquel...
MONSIEUR DURIVAGE, avec bonhomie.
Ah ! Monsieur, que je rends de grâces au hasard... Je suis enchanté...
CÉCILE.
Quoi, vous avez la bonté d'excuser un stratagème ?...
MONSIEUR DURIVAGE.
Qui n'a rien de bien coupable. Monsieur a voulu faire une plaisanterie, c'est de son âge... Je n'ai pas besoin de vous rien répéter, vous savez ce dont il s'agit ?... D'après cela voudriez-vous bien reprendre votre place, et commencer mon contrat de mariage avec ma nièce.
DORSAY.
Dieux ! Qu'entends-je ! Vous épousez mademoiselle...
MONSIEUR DURIVAGE.
Sans doute.
DORSAY.
Et moi je suis...
MONSIEUR DURIVAGE.
Notre homme d'affaire, chargé de tous nos intérêts communs. Voilà déjà les papiers, je vous les remets avec confiance, vous les examinerez à votre loisir.
DORSAY, à part.
Je sais pétrifié...
Haut.
De grâce prenez pitié de ma situation.
CÉCILE.
Mon oncle, monsieur n'est pas...
MONSIEUR DURIVAGE.
Monsieur n'est pas Dorsay ?
DORSAY.
Hélas ! Sans doute je suis Dorsay ! Mais ce Dorsay que vous consultez, aime lui-même...
MONSIEUR DURIVAGE.
Ma nièce ?... Vous aimez Cécile ?
DORSAY.
Oui monsieur, je l'adore ; et vous allez faire le malheur de notre vie, puisqu'elle daigne répondre à ma tendresse.
MONSIEUR DURIVAGE, sérieusement.
Cécile vous aimerait !... Non Monsieur, c'est impossible, elle a trop confiance en moi : elle connaît trop bien mon attachement, pour ne m'avoir fait part de l'inclinaison que vous lui supposez.
CÉCILE.
Ah combien vous me faites sentir maintenant l'étendue de mes torts. .. Pardonnez une faute qui sera, je vous le promets, la dernière de ma vie.
DORSAY.
Permettez que je joigne mes prières aux siennes.
CÉCILE, se jetant à ses pieds.
Mon oncle !
DORSAY, de même.
Monsieur !
MONSIEUR DURIVAGE, il se retire un peu, et les considère en riant.
Les voilà donc ces deux amans si rusés , si adroits ; les voilà donc à la merci du bonhomme auquel on fait croire tout ce qu'on veut... Levez-vous, mes amis, levez vous ; vous intéressez mon coeur, et je consens...
CÉCILE.
À nous unir ?...
MONSIEUR DURIVAGE.
Non pas, mais à ne plus épouser Cécile ?
DORSAY.
Ah monsieur, pouvez-vous plaisanter encore ?
MONSIEUR DURIVAGE.
C'est déjà un rival de moins.
CÉCILE.
Mon oncle, promettez-nous aussi que l'autre.
MONSIEUR DURIVAGE.
Ah ! Ceci, c'est différent. Je ne crois pas, à vous dire vrai, que l'autre soit aussi raisonnable que moi. Il est jeune, amoureux, Cécile est jolie, aimable, et puis j'ai promis...
CÉCILE.
Si vous le vouliez bien.. .. .
MONSIEUR DURIVAGE.
La lettre du père est pressante, très pressante...
CÉCILE.
Chargez-moi de la réponse.
MONSIEUR DURIVAGE.
Eh ! J'en serais presque tenté !... Oui, ma foi... Mais pour qu'elle s'accorde avec la lettre, je crois qu'il est bon que vous en preniez lecture. Vous, Monsieur, qui êtes accoutumé à déchiffrer toutes sortes d'écritures, voulez-vous bien vous charger de ce soin ?
DORSAY.
Que vois je ? La signature de mon père ! Quoi ? Ce jeune homme que je craignais tant était...
MONSIEUR DURIVAGE.
Vous-même. Votre mariage était déjà arrêté entre votre père et moi ; ainsi vous pouvez, en vous rappelant toutes vos petites finesses, vous vanter tous les deux que vous vous êtes donné beaucoup de peine pour rien.
DORSAY.
Nous qui croyions si bien vous tromper !...
MONSIEUR DURIVAGE.
Que voulez-vous, mes enfants ! On prend tellement soin de nous former aujourd'hui qu'il n'y a plus guère de bonnes gens.
CÉCILE.
Je ne vous aurais jamais cru capable de tous les mauvais tours que vous nous avez joués.
MONSIEUR DURIVAGE.
Convenez que vous les méritiez. Mes amis, que cette leçon vous apprenne que dans toutes les occasions de la vie on ne peut jamais prendre de meilleurs confidents que des parents tendres, auxquels le ciel ne donna de l'expérience et de la raison que pour préserver la jeunesse des écueils dont elle est environnée...
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Notes
[1] Jour : Ouverture, fissure par où le jour, l'air peut s'insinuer. [L]