DON JUAN OU LE FESTIN DE PIERRE
M. DCC. XIII.
Représentée pour la première fois à la Foire Saint-Laurent et 1713.
Texte saisi par Isabelle Martin d'après le manuscrit ff. 9251 de la Bibliothèque Nationale de France.
publié par Paul FIEVRE, janvier 2014
© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:22:55.
ACTEURS.
DON JUAN.
ARLEQUIN.
LE COMMANDEUR.
PIERROT.
FANCHON.
ISABELLE.
COLOMBINE.
UN BERGER.
UNE BERGÈRE.
PROLOGUE.
SCÈNE PREMIÈRE.
Pierrot, Fanchon.
Pierrot tient du fromage dans ses mains et Fanchon un panier d'oeufs. Pierrot après avoir mis son fromage a terre présente un écriteau.
PIERROT.
Dis-moi, ma petite Fanchon
Que portes-tu dans ton giron
Ô reguingué.
Air.
Prends bien garde à ta marchandise
5 | Car aujourd'hui tout est de prise. |
FANCHON.
Ne touches point à mes oeufs frais
Pourquoi tant les mirer de près
Ô reguingué.
Air.
Veux-tu voir si dans la coquille
10 | Quelque petit poulet fourmille. |
SCÈNE I.
Arlequin vient manger le fromage de Pierrot à la dérobée et Pierrot lui enfonce le reste dans le plat.
PIERROT.
Que faites-vous là cousin
Vous mangez mon fromage
Eh bien si vous avez faim
Mangés en jusqu'à demain
15 | Courage, courage. |
SCÈNE III.
Don Juan, Arlequin, Fanchon.
Don Juan après quelques lazzis sur la gourmandise avec Arlequin s'approche de Fanchon.
DON JUAN.
Que cet objet est charmant
Me ravit et m'enchante
Quel bonheur pour un amant
Qui de sa beauté naissante
20 | Peut cultiver la plante |
Et l'arroser souvent.
PIERROT.
Laissés en repos
Notre minagère
Comme
25 | J'en avons affaire |
Morguienne de vous
Quel homme, quel homme
Morguienne de vous.
Air.
FANCHON, à Pierrot.
Tu te mets en colère
30 | Petit mari |
Va, je n'ai point affaire
D'un favori
Tu seras toujours mon bouchon
Mon joli mignon
35 | Et qui te plaira |
Ô gai lanla.
Avant que de finir la scène [ 1 Colin-maillard : jeu d'enfants, où on bande les yeux à l'un de la troupe, qui est obligé d'attrapper quelqu'un des autres à tâtons pour le mettre en sa place.]
Inventons quelque jeu gaillard
Pierrot laisse bander ta veine
40 | Nous jouerons a colin-maillard. |
On bande les yeux a Pierrot et Don Juan enlève Fanchon. Arlequin ôte le bandeau des yeux de Pierrot qui est fort affligé de ne plus trouver sa femme, Arlequin enlève a son tour Pierrot sur son dos et le prologue finit.
ACTE I
Le théâtre représente le rivage de la mer.
SCÈNE I.
[Isabelle, Colombine].
Isabelle et Colombine en Bergères viennent se promener au bord de la Mer.
ISABELLE.
Nous jouissons au bord de ce rivage
D'un sort heureux, d'un tranquille repos
Et de l'amour nous fuyons le naufrage
Plus dangereux que la mer et ses flots.
SCÈNE II.
On entend un grand bruit de tempête et les flots jettent Don Juan et Arlequin sur le rivage, en chemise, Isabelle et Colombine courent a leur secours.
ISABELLE.
45 | Quel objet, j'en suis attendrie |
En vain j'appelle ma fierté
Ah faut-il lui sauver la vie
Aux dépends de ma liberté.
COLOMBINE.
Tâchons avec cette eau de vie
50 | De sauver ces deux malheureux |
Ne trouverai-je point en eux
Quelque signe de vie.
DON JUAN, revenant de son évanouissement.
Échappé du naufrage
Je rends grâce au sort
55 | D'avoir sur ce rivage |
Abordé votre port
Et vogue la galère.
Air.
ISABELLE.
Sensible a votre malheur
À votre triste aventure
60 | Je vous offre de bon cour |
Turelure
Ma chambre et sa garniture
Robin turelure...
Air.
ARLEQUIN.
Vous ne connaissez pas
65 | Ce dangereux corsaire |
Mais moi qui suis son frère
Je vous le dis tout bas
Ne vous y fiez pas.
ISABELLE.
Quoi de ce beau seigneur
70 | Vous vous dites le frère |
L'amour le fit pour plaire
Et vous faites horreur
Vous n'êtes qu'un menteur.
ARLEQUIN.
Savez-vous la raison pourquoi
75 | Mon cadet est plus blanc que moi |
Liron falarirette
On l'a fait de jour, moi de nuit
Liron falariri.
DON JUAN.
Pour m'avoir sauvé du naufrage
80 | Ma chère enfant |
Je veux vous prendre en mariage
Dès à présent.
Menez moi dans votre logis
J'ai besoin de changer d'habits.
ARLeQUIN, arrêtant Isabelle.
85 | Je vous le dis encor un coup |
Il est plus à craindre qu'un loup
S'il met le pied dans la maison
Croyez moi prenez bien garde
À votre cotillon. [ 2 Cotillon : Cotte ou jupe du dessous. Jupon des paysannes. [L]]
Ils rentrent.
SCÈNE III.
Un Berger et deux Bergères viennent se réjouir au bord de la Mer.
UN BERGER.
90 | Dans notre brillante jeunesse |
Livrons nos cours a la tendresse
Laissons murmurer la vieillesse
Qui languit sous le poids des ans
Dans notre brillante jeunesse
95 | Ne songeons qu'a passer le temps |
UNE BERGÈRE.
Dans notre village
Chacun vit content
Fidèle et constant
Même après le mariage
100 | Vivez-vous ainsi |
Bonnes gens d'ici.
UNE AUTRE BERGÈRE.
Jamais une belle
Dans notre hameau
Ne descend sur l'eau
Vivez-vous ainsi
Bonnes gens d'ici.
Les Bergers et Bergères voyant venir Arlequin se retirent.
SCÈNE IV.
ARLEQUIN, chargé d'un tableau sur les épaules.
Oh, écoutez petits et grands
Mon histoire et mes ardeurs
110 | Depuis vingt ans je sers mon maître |
Un fourbe, un scélérat, un traître
Dont je n'ai touché que dix sols
Et qui m'a bien roué de coups.
Je tremble à chaque instant de peur
115 | Il vient d'occire le Commandeur |
Il a débauché tant de filles
Des plus honorables familles
Que je crains qu'un Diable aujourd'hui
N'emporte son valet et lui.
SCÈNE V.
Don Juan veut battre Arlequin et Arlequin fuit, la ferme s'ouvre et l'on voit la statue du Commandeur accompagnée d'autres figures.
ARLEQUIN.
120 | Ah, Messieurs sauvez-moi des coups |
De mon maître en courroux.
Bis.
Je vous payerai pinte a dix sols [ 4 Pinte : Vaisseau qui sert à mesurer les liqueurs, et quelquefois des choses sèches. Une pinte de vin, d'eau, d'huile. La pinte contient deux chopines, ou la moitié d'une quarte. La pinte de Paris est environ la sixiéme partie du congé Romain, et contient le poids de deux livres d'eau commune. [F]]
Pour vous enivrer tous.
Bis.
Don Juan se moque d'Arlequin et après lui avoir pardonné dit :
DON JUAN.
J'admire d'un poltron la gloire
125 | Qui croit établie sa mémoire |
Par un superbe monument
On le prendrait pour Alexandre
Mais son histoire le dément
Le lâche n'a pu se défendre.
ARLEQUIN.
130 | Quoi, c'est donc là ce Commandeur |
Que votre bras a mis parterre
Pour vous faire épouser sa soeur
Veut-il vous faire encor la guerre
Ah pour le coup il a grand tort
135 | Il mérite bien d'être mort. |
Don Juan ordonne à Arlequin d'aller prier la statue a dîner, Arlequin après les lazzis convenables dit :
ARLEQUIN.
Veux-tu nous faire l'honneur
Commandeur
Dont la mine me fait peur
De venir chez nous sans suite
140 | Manger une carpe frite. |
La statue baisse la tête, et Arlequin tout effrayé dit à Don Juan :
Ô le Diable d'homme
Je suis confondu
Monsieur voila comme
Il m'a répondu
145 | Il aime la carpe |
La peste soit du goulu [ 5 Goulu : Goulistre, glouton, gourmand qui mange beaucoup et fort vite. [Aussi,] Animal sauvage fort noir et fort luisant, qu'on trouve en laponie et en moscovie, qui vit dans l'eau et sur terre. Il est gros comme un chien. [F]]
Lanturelu lanturelu.
DON JUAN.
Ainsi je commence a croire
Qu'on aime à boire
150 | Chez les morts |
Ainsi je commence a croire
Qu'on aime à boire
Sur les sombres bords
Que cette parque inévitable [ 6 Parques : divinités des Enfers chargées de filer la vie des hommes, étaient au nombre de trois, Clotho, Lachésis, Atropos : Chlotho préside à la naissance et tient le fuseau, Lachésis le tourne et file, Atropos coupe le fil. [B]]
155 | Vienne aujourd'hui pousser mes jours à bout |
Je me moque de tout à table.
Puisque Platon permet qu'on soit à table
Lieu délectable
Je verrai le trépas d'un oeil serein
160 | Et là-bas comme ici je boirai du bon vin. |
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE.
Arlequin voyant son maître revenu lui dit ;
ARLEQUIN.
Voulez-vous savoir l'histoire
Des femmes de mon temps
On en voit mille à la foire
Venir avec leurs galants
165 | L'époux tranquille |
Garde au logis les enfants
Comme un bon Gille. [ 7 Gille : Personnage du théâtre de la foire, le niais. [L]]
Don Juan demande a dîner, et en même-temps le buffet paraît, le couvert est mis et Don Juan se met a table. Arlequin s'ennuie de ne point manger.
D'une jeune brune
Vous causez l'ardeur
170 | La fortune |
Et vous aurez son cour.
DON JUAN.
Quelle est donc cette brune aimable
Cher Arlequin, allons la voir
Vite, qu'on ôte la table
175 | Je reviendrai souper ce soir. |
ARLEQUIN.
Si je ne suis de ce repas
Ma foi je n'irai pas
Faites-moi donner un couvert
J'ai l'appétit ouvert.
Don Juan ordonne qu'on donne un couvert à Arlequin.
SCÈNE II.
On entend frapper à la porte, Arlequin va voir et trouvant que c'est la statue revient fort épouvanté. Don Juan va voir à son tour et sans s'effrayer éclaire la statue et la fait mettre à table et après bien des lazzis que fait Arlequin.
LA STATUE.
180 | À venir souper je t'engage |
Je veux ce soir sur mon tombeau
Te régaler d'un mets nouveau
Auras-tu ce courage ?
Don Juan accepte la proposition et reconduit la statue, Arlequin fait des lazzis qui font comprendre qu'il ne veut point aller souper chez le Commandeur.
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE.
Isabelle et Colombine trouvent Don Juan et Arlequin.
Le reste du manuscrit est illisible. [I.M.]
ISABELLE.
Vous n'êtes qu'un perfide amant
185 | Qui mérite un châtiment |
Quand on est si volage eh bien
Doit-on prendre pour gage
Vous m'entendez bien.
ARLEQUIN.
Vous vous plaignez injustement
190 | Nous vous aimons fidèlement |
Par un contrat en forme eh bien
Attendez nous sous l'orme [ 8 "Atendez moi sous l'orme" est une comédie de Régnard de 1697.On trouve aussi cette expression dans "l'Avocat savetier" de Rosimond (1683).]
Vous m'entendez bien.
Les bergères se retirent et la ferme s'ouvre, on voit le Commandeur sur son tombeau qui prépare à souper à Don Juan. Arlequin fait des lazzis qui marquent sa frayeur, mais Don Juan s'avance hardiment et dit :
DON JUAN.
Tout ceci n'est que vision
195 | Je donne peu dans la chimère |
Et poussons jusqu'au bout l'affaire
Nous verrons peut-être a la fin
Que c'est un tour à la Jobbin.
Don Juan, mange des serpents et poursuit.
Quel Repas et quels mets funestes
200 | Commandeur sont-ce là les restes |
De ton Infernale Maison
Mais je veux passer mon envie
J'en mangerai fut ce un poison
Et dût il m'en coûter la vie.
LA STATUE.
205 | Viens ici que je te régale |
Don Juan donne-moi la main
C'est ici ton heure fatale
Et ton repentir sera vain
Le Ciel se venge enfin
210 | Des maux dont tu l'outrages |
C'est ainsi qu'un libertin
Voit terminer son destin.
ARLEQUIN.
Mes gages, mes gages. Ven...
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Notes
[1] Colin-maillard : jeu d'enfants, où on bande les yeux à l'un de la troupe, qui est obligé d'attrapper quelqu'un des autres à tâtons pour le mettre en sa place.
[2] Cotillon : Cotte ou jupe du dessous. Jupon des paysannes. [L]
[3] Javelle : Blé battu qu'on laisse qulques jours sur le terre en petits tas pour se sécher, avant qu'on mette en gerbe. Se dit aussi de petits fagots de sarments ou bottes d'échalats, ou de lattes. Les javelles doient contenir 50 échalats. On dit parmi le stonneliers, qu'un bariel est tombé en javelle, losque les douves, et les fonds se séparent. [F]
[4] Pinte : Vaisseau qui sert à mesurer les liqueurs, et quelquefois des choses sèches. Une pinte de vin, d'eau, d'huile. La pinte contient deux chopines, ou la moitié d'une quarte. La pinte de Paris est environ la sixiéme partie du congé Romain, et contient le poids de deux livres d'eau commune. [F]
[5] Goulu : Goulistre, glouton, gourmand qui mange beaucoup et fort vite. [Aussi,] Animal sauvage fort noir et fort luisant, qu'on trouve en laponie et en moscovie, qui vit dans l'eau et sur terre. Il est gros comme un chien. [F]
[6] Parques : divinités des Enfers chargées de filer la vie des hommes, étaient au nombre de trois, Clotho, Lachésis, Atropos : Chlotho préside à la naissance et tient le fuseau, Lachésis le tourne et file, Atropos coupe le fil. [B]
[7] Gille : Personnage du théâtre de la foire, le niais. [L]
[8] "Atendez moi sous l'orme" est une comédie de Régnard de 1697.On trouve aussi cette expression dans "l'Avocat savetier" de Rosimond (1683).