DIALOGUE POUR L'ENFANCE
Prix : 1 franc
M DCCC LXXXXIX
PAR LEMERCIER DE NEUVILLE
PARIS, LIBRAIRIE THÉÂTRALE, 14, rue de Grammont, 14.
13129. Dijon-Paris, Imprimerie Régionale. - Dr : J. CHAVALIER.
Texte établi par Paul FIEVRE, avrim 2023
© Théâtre classique - Version du texte du 30/06/2024 à 10:55:42.
PERSONNAGE
CÉLINE, de 8 à 12 ans.
BERTA, de 8 à 12 ans.
Ce dialogue est extrait du volume "Les Enfants au salon" du même auteur.
LA PETITE PRINCESSE
CÉLINE, puis BERTA.
CÉLINE.
Ma mère est, voyez-vous, une très grande dame
Qui ne plaisante pas ! Tout tremble à son aspect.
Je l'aime, oh ! oui, je l'aime ! Et de toute mon âme !
Mais dès qu'elle paraît, l'amour cède au respect !
5 | Mon éducation est fort bien dirigée |
Par une vieille Miss qui fait ce qu'elle veut.
Je dois rarement rire, être sage, rangée,
Sortir quand il fait beau, travailler quand il pleut.
Je ne dois pas parler aux enfants de mon âge
10 | Qui ne sont pas du monde où je suis... C'est pourquoi |
Je suis seule ! Toujours seule et triste ! Et j'enrage
De les voir s'amuser et rire autour de moi.
Aussi j'ai résolu, malgré Miss et ma mère,
De m'amuser un jour... - Ce jour est arrivé !
15 | Avec Berta, je veux aujourd'hui me distraire. |
C'est une Italienne, un pauvre enfant trouvé
Qui mendiait le soir aux portes des cuisines,
Et que l'on renvoyait assez cruellement.
J'eus pitié ! - Je lui dis : - « Il faut bien que tu dînes !
20 | Viens manger, nous jouerons après, bien gentiment ! » |
- Et je l'ai fait entrer ! - Ma mère est en visite,
Miss prend son thé... J'ai pris des gâteaux au buffet
Et Berta mange ! Oh ! Mais comme elle s'en acquitte !
Ce n'est pas tout ! - Sachez encor ce que j'ai fait :
25 | - Comme la pauvre enfant n'est pas de notre monde, |
En me voyant jouer avec elle, bien sûr,
Miss gronderait ! - Si vous saviez comme elle gronde !
Sa voix est grosse... grosse !... Et son oeil devient dur ! -
Pour éviter cela, j'ai dit à la pauvresse :
30 | « - Mets cette belle robe et ce chapeau léger |
Et je t'appellerai princesse ! » - - Une princesse
Peut jouer avec moi, je crois, sans déroger !
Elle s'habille et va venir ! La bonne aubaine !
Maman n'en saura rien, Miss fermera les yeux,
35 | Et je puis assurer que toute la semaine, |
Grâce au plaisir acquis, je travaillerai mieux !
Berta entre, elle tient à la main un accordéon.
La voici ! Regardez ! Elle est toute charmante
Avec ses grands yeux noirs ; ma robe lui va bien !
La toilette, c'est tout ! « - Voyons ! Es-tu contente,
40 | Berta ? Tu n'as plus faim ? Ne te manque-t-il rien ? » |
BERTA.
Non, Signora !
CÉLINE.
Pour lors, ma petite princesse,
Causons d'abord, veux-tu ? Dis-moi, dans ton pays,
Que ça doit être beau ! L'on m'en parle sans cesse.
L'Italie ! On m'en fait de merveilleux récits !
45 | Connais-tu Rome ? |
BERTA.
Rome ! Oui ! |
CÉLINE.
C'est beau ! |
BERTA.
Non, c'est triste ! |
Des ruines partout !... Des carrefours déserts...
J'aime mieux ta maison.
CÉLINE.
Tu n'es pas une artiste !
BERTA.
Si, sur l'accordéon je sais jouer des airs !
CÉLINE.
Tu ne me comprends pas ! L'art, c'est tout autre chose
50 | Que ta musique ! L'art, m'a dit Miss, c'est le beau ! |
Or, c'est beau, des palais ruinés... Je suppose !
BERTA.
Hélas ! Combien de fois dans mon petit manteau
Ai-je passé ma nuit, ayant pour lit des herbes,
Dans ces vilains palais où je mourais de peur !
55 | Ah ! Je ne trouvais pas les ruines superbes, |
Un simple matelas m'eût semblé bien meilleur !
CÉLINE.
Pauvre Berta ! - Voyons ! Chasse cette tristesse !
Redresse-toi, prends l'air des dames de la Cour.
Ton rôle, maintenant, est d'être une princesse.
60 | Princesse ! Mais qui sait ? Tu pourrais l'être un jour ! |
BERTA.
Qu'est-ce qu'une princesse ?
CÉLINE.
Eh bien, dans les histoires
Que Miss me lit parfois avant de m'endormir,
Il est des rois qui sont affligés d'humeurs noires,
L'ennui les tue, et rien ne peut les réjouir !
65 | Ils sont découragés, le plaisir ou l'étude |
Les rend indifférents... Ils sont très malheureux !
Ils s'en vont dans les bois chercher la solitude...
C'est alors que le ciel, enfin, a pitié d'eux !
Ils rencontrent toujours une jeune bergère
70 | Comme toi, par exemple, et c'est une beauté, |
Comme toi, - leur bon coeur s'émeut de sa misère,
Et tout à coup l'ennui qu'ils ont les a quitté !
Un roi fait ce qu'il veut, - n'est-ce pas ? - Il l'épouse !
Et la voilà princesse ! Oui ! Princesse, ma foi!
75 | C'est en vain qu'à la Cour plus d'une la jalouse : |
Elle est princesse ! Car c'est l'épouse du Roi !
BERTA.
On rirait trop de moi !
CÉLINE.
Pourquoi ?
BERTA.
De l'ignorante,
Le roi, si bon qu'il soit, serait bien vite las.
J'aimerais mieux vraiment qu'il me prît pour servante,
80 | Je serais à ma place et n'en descendrais pas ! |
CÉLINE.
Mais l'on te donnerait des maîtres, pour apprendre
Tout ce qu'il faut savoir !... Tu te transformerais !
BERTA.
Eh bien ! Va dire au roi qu'il peut venir me prendre !
CÉLINE.
Ah ! Si je le pouvais, comme je le ferais !
85 | - Tout ce que je t'ai dit, c'est un conte... pour rire, |
Mais enfin te voilà princesse, de par moi :
Cherche dans ton cerveau, que pourrais-tu me dire,
Si je te rencontrais et que je fusse roi ?
Que demanderais-tu ?
BERTA.
Voilà ! Beaucoup de choses !
CÉLINE.
90 | Mais quoi ? |
BERTA.
Premièrement, des gâteaux, c'est si bon ! |
Puis des fleurs! J'aime tant les fleurs, surtout les roses !
Puis, - oh ! Mais j'y tiendrais ! - Un autre accordéon :
Celui-ci ne va pas très bien...
CÉLINE.
C'est tout ?
BERTA.
Sans doute !
Que désirer de plus ? C'est suffisant, je crois...
CÉLINE.
95 | Voyons, cherche encore... |
BERTA.
Ah ! Si tu voulais ?... Écoute ! |
Bas à l'oreille de Céline.
Je voudrais ne jamais me séparer de toi !...
CÉLINE.
Vrai ? Bien vrai ?
BERTA.
Bien vrai ! Mais, hélas ! C'est impossible !
CÉLINE.
Tu te trompes, Berta, nous allons aviser.
Si ma mère est sévère, elle est aussi sensible,
100 | Et, pour la conquérir, il ne faut qu'un baiser : |
Quand elle va venir, je me ferai petite
Dans ses bras, - lui jetant mes regards les plus doux, -
Et puis je lui dirai : « - Mère, viens tout de suite,
« La fée Urgèle a fait un miracle pour nous !
105 | - Un miracle ! - Un miracle, ou je serais trompée, - |
Tu n'avais qu'une fille, eh bien, t'en voici deux !
Elle a, pendant la nuit, transformé ma poupée
En une belle enfant qui rit, ouvre les yeux,
Mange, cause, babille, est tout à fait mignonne ;
110 | À qui je veux montrer ce que je sais déjà |
Et qui, si tu le veux, toi si tendre et si bonne,
Comme une jeune soeur près de moi grandira ! »
Tu paraîtras alors et, - je connais ma mère, -
Elle ouvrira ses bras, pour nous deux assez grands,
115 | Et tu ne seras plus toute seule sur terre, |
Car, ma mère avec moi, nous serons tes parents !
Veux-tu ?
BERTA.
Si je le veux ! C'est donc vrai que tu m'aimes ?
CÉLINE.
Oui ! Mais autant que moi, Berta, tu m'aimeras ;
Nos travaux enfantins, nos jeux seront les mêmes :
120 | Et puis... jamais, jamais tu ne me quitteras ! |
BERTA.
Jamais ! Oh ! tout cela c'est un rêve, je pense !
Oui ! Tout quitter pour toi, car ton coeur est si bon !
Mais je conserverai mon vieil ami d'enfance...
CÉLINE.
Comment l'appelles-tu ?
BERTA.
C'est mon accordéon !
Céline embrassse Berta et sort en lui prenant la main.
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