LA LETTRE ROSE
MONOLOGUE
Dit par Mme MARGUERITE CONTI, des Théâtres de la Renaissance et de l'Ambigu-comique.
PRIX : UN FRANC.
1883 Droits de reproduction, de traduction et de représentation réservés.
Par Alphonse de LAUNAY
PARIS, PAUL OLLENDORF, ÉDITEUR 28 bis rue de Richelieu, 28 bis.
Imprimerie Générale de Chatillon-sur-Seine, J. ROBERT.
Texte établi par Paul FIEVRE, mars 2024.
publié par Paul FIEVRE, avril 2024.
© Théâtre classique - Version du texte du 30/08/2024 à 07:21:07.
PERSONNAGES
MADAME JEANNE DE CHAMPERTUIS.
La scène se passe à Paris, dans le jardin des Plantes.
LA LETTRE ROSE
MADAME JEANNE DE CHAMPERTUIS.
Mon Dieu, que les maris sont bêtes !...
Oh ! Pardon !...
Je ne vous voyais pas, messieurs !...
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Mais je me croyais seule, et bavarde, étant femme, |
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Je me parlais avec un fâcheux abandon, |
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Me disant tout ce qui me passait par la tête.... |
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Vousn bête ?... Que non pas !.... Quelques uns... rarement... |
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Un cas... de temps en temps !... Je voulais seulement |
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Dire : Mon Dieu, faut-il que mon mari soit bête !... |
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Et, même, en vérité, « bête » est un bien gros mot !... |
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Il m'aime, m'obéit, ne me rend pas esclave ; |
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Cela, c'est de l'esprit... du meilleur !... Non, Gustave |
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Est, comment dire ?... un peu... bébête... mais pas sot ! |
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Moi, je l'aime beaucoup ; nous faisons un ménage |
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Excellent... si cela peut vous intéresser... |
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Non ?... Tenez, soyez bons, laissez moi jacasser |
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Et vous conter un tout !... Un simple badinage !... |
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Nous sommes mariés depuis bientôt trois ans. |
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Vous peindre le bonheur divin des premiers temps, |
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Je ne saurais jamais !... C'était, sans vaine emphase, |
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Un beau rêve sans fin, une enivrante extase |
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À nous faire envier par les anges du ciel ! |
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Ô les beaux jours passés !... Ô la lune de miel !... |
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Vous vous en souvenez, de ces ardentes flammes, |
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Des effluves d'amour des coeurs épanouis ; |
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Les oiseaux du printemps chantaient tous dans nos âmes, |
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Et c'étaient des transports, des bonheurs inouïs |
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Pour rien, pour une main qu'on presse, pour un signe, |
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Pour un mot dit tout bas et qu'un baiser souligne, |
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Et, pour un rien aussi, des subites douleurs, |
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Pour un regard sévère ou bien pour une lèvre |
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Boudeuse, pour un pli de sourcil... Cette fièvre |
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Enfin, où le sourire est tout voisin des pleurs. |
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N'est-ce pas ?... Puis, le monde est ainsi fait. Tout lasse. |
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Sur l'horizon trop dur on appelle l'autan ; |
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Un vilainjour, tout part, tout s'échappe, tout passe, |
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Les rêves, les baisers, et les bonheurs d'antan ! |
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Adieu, poème, adieu, toutes ces choses douces, |
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Adieu, lunes de miel, voici les lunes rousses !... |
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C'était ainsi chez nous, Gaston était d'un froid !... |
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D'un froid à m'enrhumer !... Quand j'arrivais, sereine, |
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Le soir, pour l'embrasse : - Pardon, j'ai la migraine, |
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Chère enfant !... Moyen neuf et stratagème adroit !... |
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Nous la connaissons bien, la migraine opportune |
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Qui vient, impitoyable, au changement de lune ; |
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Migraine de mari qui n'est plus un amant !... |
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Mon Dieu ! J'exagérais. Ce n'est pas si grave, |
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J'ai conjuré le mal... et je me sens plus brave !... |
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Je savais, d'un ami très expérimenté, |
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Que l'amour s'assoupit dans une paix profonde ; |
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Que l'immuable azur d'un calme soir d'été |
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Endort vite un époux mobile comme l'onde, |
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Et que la jalousie est utile et féconde |
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Pour ramener un coeur las de sérénité. |
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C'était le cas exact. Le moyen est facile : |
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Jetez un peu d'angoisse en ce coeur indocile, |
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Aussitôt, regrettant son coupable abandon, |
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Monsieur devient charmant et demande pardon. |
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Ainsi fera demain Gustave, je suppose... |
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Voilà depuis huit jours, au courrier du matin, |
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Je reçois un billet écrit sur papier rose, |
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Coquet et sentant bon, comme il sied pour la prose |
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D'un amoureux. D'un geste inquiet, incertain ; |
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Comme s'il s'agissait d'un billet clandestin |
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Je le prends, et me sauve, émus et rougissante... |
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Si de méchants soupçons tourmentent vos esprits, |
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Rassurez-vous, messieurs, je suis bien innocente ! |
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Ces coupables billets... c?est moi qui les écris !... |
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Une enveloppe... et rien !... La lettre en est absente... |
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Gustave me regarde avec étonnement Mais ne dit rien. |
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Pourtant, hier, suivant ma piste, |
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Il arrive, croyant me prendre à l?improviste ; |
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Je l'attendais, lisant. Il entre. Vivement |
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Je cache le billet ; lui , prenant un air triste, |
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Sort, mais ne souffle mot. |
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Je le voyais songeur, inquiet, tourmenté, |
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N'osant m'interroger, bien qu'en sentant l'urgence... |
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Et moi, je savourais une sombre vengeance ! |
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Comme je recevais le pli mystérieux, |
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Ce matin, il m'a pris les deux mains dans les siennes : |
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- Jeanne, dit-il d'un ton doux, triste, sérieux, |
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Au nom de notre honneur, de tes fiertés anciennes, |
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Repousse loin de toi ce billet odieux !... |
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Eussiez-vous, cher ami, la voix d'une sirène |
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Et les charmes vainqueurs du bel archer Amour, |
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Je vous résisterais !... longtemps ?... Au moins un jour !... |
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Il m'attire vers lui... je prends un air de reine |
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Et me sauve en disant : - Mon cher, j'ai la migraine !... |
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Ah ! convenez, messieurs, que c'était bien mon tour !... |
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Ah ! ah ! le bon billet!... le joli billet rose !... |
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Il est là, le trésor !... Ô message adoré, |
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Ô poème charmant d'un coeur enamouré, |
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Madrigal, élégie, en vers ou bien en prose ! |
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N'est-ce pas lù, vraiment, une adorable chose |
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Que ce roman à deux en secret dévoré ?... |
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Eh bien ! non !... bien du tout!... Pas la moindre conquête !... |
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Et lui croit... Je dis bien qu'il est un peu bébête !... |
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Que va-t-il se loger en tête un tel souci ?... |
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Tenez, voyez plutôt : À madame, Madame |
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Jeanne de Champertuis... |
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Non !... Ce n'est pas ainsi !... |
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« Monsieur, Monsieur Gustave!... » |
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Une lettre dedans !... Que veut dire ceci ?... |
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« Mon bon coco chéri, le chien-chien à sa mère... » |
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Ah ! Mon Dieu !... C'est signé ?... |
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« Cora! » Quel est ce nom ?... |
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« Tu crois que je te trompe ! Ah ! rassure-toi ! Non, » |
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Non, mon amour n'est pas une flamme éphémère... » |
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Voyons, voyons, je suis folle ! J'aurai mal lu... |
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« Gustave, ô mon coeur ! Mon élu! » |
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Moi te tromper !... Mais toi, que toute femme envie, » |
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À m'aimer à jamais es-tu bien résolu ?... » |
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« Vois-tu, je ne sais pas la vie, » |
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Moi, ni qu'à des serments bien folle est qui se fie... » |
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Mais si je dois un jour, par cruauté du sort, » |
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Te perdre, ah ! sûrement c'est mon arrêt de mort !... » |
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Non ! Tu ne voudras pas ainsi creuser ma tombe, » |
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Et qu'à ton abandon ma jeunesse succombe !... » |
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As-tu bientôt fini de me vanter ta femme ? » |
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Vois-tu, je suis jalouse, et j'ai le coeur brisé » |
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De t'entendre exalter ce nom... divinisé... » |
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Elle est jeune, elle est pure, et belle, et grande dame... » |
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Allons, il a du bon encore, ce bigame ! |
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« Et, mon chéri, vois-moi la contradiction ! » |
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Pourquoi la trompes-tu, cette perfection ?... » |
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Au fait, elle dit vrai, la croqueuse de pommes !... |
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« Tiens, tu ne vaux plus cher, toi non plus ! Oh ! Les hommes! » |
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Tu sais pourtant quel sort je t'ai sacrifié !... » |
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Le trésor de mon coeur, je te l'ai confié ! » |
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Mal placé, ton trésor ! Le mien aussi, folie ! |
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Et mariez-vous donc jeune, pure, jolie ! |
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Tu me fais du chagrin ; il faudra réparer !... |
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À propos, hier, j'ai vu chez Ravaut, dans la rue |
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De la Paix, tu sais bien, un croissant en brillants... |
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Un rêve !... Je l'ai mis!... Des astres scintillants !... |
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Mille éclairs !... - Ah ! Diane en vous m'est apparue ! |
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M'a dit un vieux monsieur, très riche parait-il, |
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Vert encore... 11 voulait me l'offrir... Lui, subtil !... |
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Si le coeur t'en disait... Oh ! tu sais, rien ne presse!... |
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Mais quand tu voudras voir Diane chasseresse... |
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Je te coûte un peu cher, n'est-ce pas, mon bon chien ? |
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En échange, dis-loi que je t'aime, oh ! Mais ferme !... |
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Merci pour le loyer !... Vrai, je n'ai pas de terme |
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Pour te remercier d'avoir payé le mien !... » |
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. . . . . . . . . . . . . . . |
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Pour être ainsi trompée, ô ciel! qu'avais-je fait ?... |
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Oh ! Pouah !... Ces trahisons, que c'est donc vil... et laid ! |
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Et voilà le secret des migraines féroces !... |
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Je crois bien qu'il disait : - Ne lis pas ce billet ? |
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De mon roman d'amour, c'est le dernier feuillet ! |
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Le premier, tout rempli de sourires, de charmes... |
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Tristement. Le livre a tourné mal et finit par des larmes !... |
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C'est l'hiver sombre après le soleil de juillet !... |
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L'abandon pour l'épouse, et pour... l'autre... les fêtes !... |
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Mon Dieu ! Que les femmes sont bêtes !... |
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Mais je me vengerai ! J'entre en rébellion ! |
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OEil pour oeil, dent pour dent, la loi du talion !... |
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Je lui veux infliger des douleurs... déchirantes !... |
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Quoi ! J'irais succomber sous le poids du souci, |
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Et lui... Non! non! Je veux que l'on m'écrive aussi |
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Des mots passionnés, des lettres délirantes... |
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Je veux... je ne sais pas... mais je me vengerai !... |
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Triste vengeance, hélas! la vengeance achetée |
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Avec l'opprobre lourd d'un nom déshonoré ! |
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Allons, non, ce moyen n'est pas à ma portée !... |
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Cette lettre me brûle ! |
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Eh mais! ce n'est pas tout ! |
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Une page encor!... Bien ! Allons jusques au bout |
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De la douleur !... Ce n'est pas la même écriture !... |
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« Gustave. » Ah ! Ah ! Voyons la nouvelle aventure... |
0 |
Ce doit être, à coup sûr, d'un très piquant ragoût... |
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« Allons, ne pleure plus, ma Jeanne bien-aimée !... » |
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« Cela n'est que mensonge et fumée... |
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Tu t'écris des billets, je m'en écris aussi. |
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J'ai voulu me venger... n'ai-je pas réussi ?... |
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Tu m'avais fait passer quelques heures jalouses ; |
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J'ai suivi ton roman... ingénieux, ma foi ! |
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J'étais mal inspiré; j'ai reconnu que toi, |
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Ange de pureté, modèle des épouses, |
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Par calcul féminin, tu créais cet émoi. |
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J'ai compris le chagrin dont tu fus assiégée ; |
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Tu m'en veux, chère enfant, de t'avoir négligée ; |
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Eh bien ! Plus de soucis ni de pleurs superflus ! |
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Jeanne, pardonne-moi, je ne le ferai plus ! |
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Et souviens-toi qu'il n'est pas de Coras au monde |
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Pour me faire oublier ta chère tète blonde |
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Et tes beaux yeux profonds, par la pudeur gazés, |
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Et ta lèvre de rose offerte à mes baisers !... » |
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Quel rêve !... Le malheur sous lequel l'âme ploie |
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Et sent venir la mort, a donc de ces réveils ?... |
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Ô consolation, ô bonheurs sans pareils, |
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Gais espoirs renaissants, c'est Dieu qui vous envoie !... |
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C'est bon d'avoir pleuré ! L'on ressent mieux la joie !... |
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Ainsi le prisonnier qui revoit les soleils ! |
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Ah ! Fuyez à jamais, nuages et tempêtes. |
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J'entrevois rayonnant comme une étoile au ciel, |
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Le joyeux renouveau de la lune de miel !... |
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Mais... qui donc avait dit que les maris sont bêtes ? |
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Notes
[1] Si des convenances l'exigent, on peut supprimer ce qui suit, jusqu'à : Pour être ainsi trompée, etc.